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Le discours religieux en Tunisie: L'exemple de la communauté juive

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par Sadek MTIMET
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis ( Université Al-Manar) - Master en sciences poltiques 2007
  

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A - Le discours juridique tunisien : les réformes du XIX siècle

Sur le modèle des réformes des Tanzimet opérés dans le centre du Califat ottoman depuis 1839 , les changements institutionnels et fiscaux en Tunisie ouvraient aux juifs des positions dans la gestion financière et administrative du pays . Aussi, ils pouvaient abandonner « les symboles stigmatisants » et acquérir des propriétés foncières et avoir des représentants dans les tribunaux . Mais pour le courant conservateur musulman, les changements institutionnels, modifiant la position sociale et légale des juifs, ne sont pas introduits par les autorités locales mais dictés par les puissances étrangères par désir de s'assurer la position dominante dans la région de la Méditerranée musulmane (1) . Donc, il faut " combattre l'implantation des institutions étrangères et riposter à la pression exercée par la supériorité matérielle de l'Europe " (2) .

Les deux textes juridiques ( le Pacte fondamental de 1857 et la Constitution de 1861 ) préconisaient un nouveau discours, inexistant auparavent dans le champ sémantique politique tunisien : l'égalité juridique de tous les sujets , quelle que fût leur religion et mettaient ainsi fin à tout régime infériorisant . Parmi les institutions prévues par le mouvement de réformes fut le Conseil supérieur dont les membres étaient en partie nommés par le Bey et en partie cooptés

(1) Valensi L., op cit p. 233. (2) Chekir H., op cit , p. 72.

parmi les grands notables du pays par les premiers conseillers nommés . Or, en dépit de l'égalité affirmée entre sujets de la Régence , aucun notable juif ne figurait dans ce Conseil supérieur

A. Ibn Abi Dhief qui adressa au Conseil , dont il était membre , une question écrite dans sa première réunion : " Nous demandons au Conseil supérieur pourquoi il n'a pas choisi de juifs lors du dernier recrutement de cette assemblée (...) Les étrangers habitant le Royaume de Tunis n'ont point jusqu'ici été soumis à ses lois (...) Si nous considérons donc les non-musulmans comme sujets du royaume , cela facilitera la soumission des étrangers à nos lois (...) Mais si l'étranger constate que les non-musulmans sont tenus à l'écart, sa répugnance à se soumettre à nos lois ne fera qu'augmenter" (1).

On ignore la réaction des juifs tunisiens ou si ces sujets avaient inspiré la démarche du ministre de la plume mais ce que cet exemple illustre, c'est que des changements progressifs se produisaient dans la culture politique locale à travers le nouveau discours juridique qui était prêt à réviser les règles régissant les droits des minorités, dont la Communauté juive . Les initiateurs de ce discours étaient au courant des réformes (Tanzimet) introduites en 1839 et 1856 à la capitale du Califat ottoman , notamment la charte de Gülhâné de 1839 et de Khatt-i Hamayoun de 1856, et s'en inspiraient , comme ils " étaient informé des renouvellements de la pensée politique en Europe " (2). Le nouveau discours juridique tunisien cherchait réellement à améliorer le fonctionnement de ses propres institutions politiques . Le problème de la comptabilité entre un droit moderne et les fondements religieux de la chari'a ne manquait pas de se poser . D'ailleurs, Ibn Abi Dhief les confronte ouvertement, et "entreprit un voyage en Turquie pour s'assurer de la conformité des réformes en cours avec la religion musulmane "(3).

En fait, on ne saurait ignorer l'attraction , voire la fascination, que l'Europe des Lumières exerça sur l'élite dirigeante du pays . Déjà dans les années 1830, Hammouda Bey s'inspirait directement du modèle européen pour moderniser l'armée et l'Administration (4). Les juifs, attirés par l'Occident, ne sont donc pas seuls à penser que la "Terre promise" est désormais l'Europe plutôt que la "Terre sainte" .

L'exécution sommaire et précipité du charretier juif Battu Sfez a ébranlé la Communauté juive, l'a fait sortir de sa réserve due à sa situation de passivité et a constitué une occasion propice pour briser le vieux monde de la soumission à l'ordre des choses et l'abandon d'un habitus devenu inopérant et sans efficacité, l'intériorisation des conflits et l'acceptation du fait

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(1) Chérif M.-H., "Ben Dhief et les juifs tunisiens", Revue Confluences Méditerranée, Paris, n°10, printemps 1994, p. 89 (2) Valensi L., op cit, p.234. (3) Chekir H., op cit , p.76. (4) Ben Hammed M.-R., "La limitation du pouvoir politique chez Khéreddine" in Mélanges H.M'zioudet, 1994,C.P.U,Tunis, p221

accompli . Le discours religieux juif passe d'un discours légitimatoire à un discours revendicatif. On passe alors d'une complainte populaire en judéo-arabe chantée le soir, dans les ruelles de la Hara, à la mémoire du feu Battu Sfez, à la revendication politique ouverte en formant une délégation de juifs tunisiens et français, résidant à Tunis, qui se rendait à Paris, sollicita l'appui de Napoléon III et réclama ouvertement la protection de la France pour les personnes et leurs biens en Tunisie (1).

Cette brèche ouverte en 1857 par la Communauté juive en Tunisie a rompu avec l'habitude de complicité passive avec le pouvoir en place . Le Makhzen ne constitue plus la digue protectrice de la Communauté car il fonctionnait selon un modèle qui s'apparente au système "sultanien" où le souverain, imprévisible, disposant d'un pouvoir illimité, est maître des personnes et des biens ( 2).

Ces événements ne sont pas passés inaperçus pour la Communauté juive tunisienne qui a réalisé que l'action politique et le volontarisme tenace pouvaient aboutir à arracher des droits . La soumission passive n'est plus de mise, la participation active est à la mode . En réalité, ce sont les juifs livournais, et derrière eux les juifs étrangers, résidents à Tunis, qui, dès le tournant du XIX siècle, commençaient à activer "le levier extérieur, celui d'une puissance occidentale " (3).

Cependant, il faut reconnaître que le nouveau discours juridique tunisien systématisé à travers une série de réformes a été "trahis" par une partie de la Communauté juive en Tunisie, surtout étrangère, "mal vécu" par le Makhzen ( l'Etat précolonial) où le Bey voit son autorité se circonscrire, "incompris" par la population majoritaire et le courant conservateur et enfin "avorté" par l'établissement du régime de protectorat français qui a mis toute la Régence dans une dhimmitude généralisée et a ouvert le sillage de l'alternative d'un discours juridique français en Tunisie .

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