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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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3- Inversion et troncation :

3.1 Cas des mots monosyllabes

Lors d'une verlanisation, la permutation est souvent accompagnée d'élision de phonèmes. Voyons les exemples suivants :

À propos de l'assistante sociale Doria critique :"Je la trouve conne et en plus, elle sourit tout le temps pour rien. Même quand c'est pas le moment. Cette meuf on dirait qu'elle a besoin d'être heureuse à la place des autres." (p.1 7)Le terme « femme » est monosyllabe fermé terminé par un (e) muet. Dans ce cas de figure la verlanisation renforce la prononciation du (e) :

[fam] [fam+ ?] [fam?] inversion [m?fa] [a]tronqué [m?f] [moef]

En pensant au mariage de Hamoudi et Leila, Doria d'un ton amusé dit : « Il a intérêt à m'inviter à son mariage Hamoudi. S'il m'invite pas, j' le balance aux keufs...Non, j'rigole. Ça c'est trop grave. » (p.169)

Flic est un terme argotique désignant « policier », la verlanisation n'épargne pas également l'argot. « Flic » est un monosyllabe fermé et ne se termine pas par un (e) muet, donc il n'est pas possible d'opérer par le renforcement de la prononciation. On a proposé alors d'ajouter un schwa qui « selon les règles de la prononciation du français devient [ø] en syllabe ouverte et [oe] en syllabe fermée 1».Donc la verlanisation du mot flic procède ainsi :

Flic = [flik] + [ø] = [flikø] inversion [køfli] - [li] [koef] un keuf

La troncation en verlan "s'applique à des mots qui se terminent par la suite obstruante liquide voyelle et consiste à effacer la voyelle finale et la liquide qui la précède [. . j cette règle peut s'appliquer partout, mais elle est appliquée plus particulièrement aux dissyllabes formés par adjonction du schwa, les réduisant ainsi de nouveau à des monosyllabes fermés.2 »

3.2 Cas de mots dissyllabes :

La verlanisation des mots se composants de deux syllabes est plus simple : la deuxième syllabe se place en tête du mot alors que la syllabe initiale est décalée à la fin.

La narratrice a commencé des études en coiffure, mais il semble qu'elle n'apprécie pas cette nouvelle formation : « Du chinois. Du noich. Mais qu'est ce que je suis allée foutre dans ce truc ? » (p.164.)

Le mot chinois est dissyllabe, sa verlanisation s'opère ainsi :

Chinois [?i/nwa] inversion [nwa?i] le [i] tombe [nwa?] noich.

Remarquons que Doria a d'abord énoncé le mot chinois sans verlanisation puis l'a
précédé immédiatement par sa forme verlanisée. Cette double marcation prouve que

1 MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 78, cité par : Rania Adel Hassan Ahmed, Le français des cités d'après le roman Boumkoeur de Rachid, op. cit, p. 126.

2 Ibid.

le mot non verlanisé ne satisfait pas notre jeune Doria qui s'est familiarisée avec cette nouvelle forme de langue. Effectivement, la narratrice avoue trouver du mal à parler à des gens qui ne tolèrent pas ce code, comme est le cas de sa psychologue : « Elle (psychologue) vient d'un autre temps. Je le vois bien quand je lui parle, je suis obligée de faire attention à tout ce que je dis. Je peux pas placer un seul mot de verlan ou un truc un peu familier pour lui faire comprendre au mieux ce que je ressens. » (p.179)

La narratrice utilise spontanément le verlan tout comme beaucoup de jeunes qui retrouvent dans cette manière de déformer les mots un double plaisir : se révolter contre la langue normée de l'école et se créer un langage secret que les parents ne pourraient pas saisir. En outre, le verlan remplit une fonction identitaire car il permet la reconnaissance mutuelle des membres du groupe et les sépare des autres groupes.

Après une telle analyse, nous pouvons dire que le verlan n'a rien de dégradant, mais tout au contraire c'est un langage soigneusement élaboré participant dans la création d'un univers assoiffé de renouvellement et de changement. C'est l'expression d'une génération de jeunes mal à l'aise et qui au lieu de sombrer dans l'inconnu, affiche son goût de la vie par le biais d'un langage qui véhicule leur besoin de transgresser les normes qui enchaînent leur goût de création.

C. L'emprunt :

En France et spécialement dans les banlieues où réside une communauté majoritairement d'origine maghrébine, le français côtoie intimement l'arabe et donne lieu à de multiples formes de mélange linguistique. Ce phénomène sociolinguistique participe dans l'édification d'un parler très original qui n'a pas tardé à être répandu dans tout le pays prouvant ainsi son authenticité et la volonté de ses jeunes créateurs.

Cette réalité sociolinguistique est très représentative dans Kiffe kiffe demain, nous tenterons d'approcher ce phénomène en ayant au centre de notre intérêt deux concepts majeurs : l'alternance codique et l'emprunt.

Une analyse des manifestations de ce contact de langues dans notre corpus requiert, par ailleurs, une maîtrise des concepts pertinents du domaine. D'abord, l'alternance codique est entendue ici comme « la juxtaposition, à l'intérieur d'un même échange verbal, de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous- systèmes grammaticaux différents1 ».

Elle se manifeste souvent sous trois aspects : « Elle peut être intraphrastique (à l'intérieur d'une même phrase), (inter-)phrastique (une alternance de langues au niveau d'unités plus longues, de phrases ou de fragments de discours) ou extraphrastique (lorsque les segments alternés sont des expressions idiomatiques, des proverbes).2»

Lüdi et Py3 soutiennent l'idée que le sujet bilingue alterne dans son discours deux systèmes langagiers différents « dans le but de surmonter un obstacle communicatif ». C'est justement dans ce sens que Molander4 affirme que l'alternance est considérée comme marque d'incompétence dans l'une ou les deux langues dévoilant ainsi l'insécurité linguistique du locuteur. Cependant le recours à l'alternance codique peut être également la « preuve d'une très bonne compétence bilingue5». C. Hagège rejoint Lüdi sur ce sujet en affirmant : « l'alternance de codes doit être même être tenue pour l'indice d'une haute compétence communicative dans chacune des deux langues6».

1 GUMPERZ, J.-J., Sociolinguistique interactionnelle. Une approche interprétative, Paris, L'Harmattan, 1989, p.56

2 Gudrun, Ledegen, « Regard sur l'évolution des mélanges codiques à la Réunion : l'aventure de l 'interlecte », art. en ligne : http://www.univrouen.fr/dyalang/glottopol/telecharger/numero_2/10ledegen.pdf

3 Lüdi, G. & Py, B, Être bilingue. Berne: Peter Lang, 2002, p.144. Cité par Aline TÉTRAULT, Le Mythe - Rôle de la L1, art. en ligne : http://www.cavi.univparis3.fr/Ilpga/ed/dr/drdm/mytheL1.html

4 Molander, L, L'alternance codique en classe d'immersion : délimitation interprétation et

fonction interactionnelle. Sociolinguistica, 2004, p.87, cité par Aline TÉTRAULT, op.cit.

5 Lüdi, G. (1998). Le code-switching comme variété mixte? Sociolinguistica, 1998, p. 140, cité par, Aline TÉTRAULT, idem.

6 C. Hagège, cité in : Etude sociolinguistique et communicationnelle des pratiques bilingues français-arabe et français-kabyl chez deux famille immigrées, thèse soutenue par Safia AsselahRahal, à l'université Rennes2 Haute Bretagne, février 2000, présentation en ligne : http://www.uhb.fr/alc/erellif/credilif/Textes/alg%E9riens.htm

Les alternances repérées dans notre corpus relèvent du type intraphrastique car la narratrice ou les autres personnages intègrent dans le même énoncé au maximum deux unités linguistiques de la deuxième langue. Dans le cas où le locuteur intègre dans son énoncé une seule unité du deuxième code il serait plus convenable de parler d'emprunt. En effet, l'emprunt désigne « un élément d'une langue intégré au système linguistique d'une autre langue1 ». En d'autres termes, « il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne possédait pas ; l'unité ou le trait empruntés sont eux-mêmes qualifiés d'emprunts 2». L'emprunt est toutefois considéré comme « le phénomène sociolinguistique le plus important dans tous les contacts de Langues.3» (Dubois et alii 1973 : 188)

Or, emprunter ne se fait pas généralement par simple fantaisie car justement comme l'affirme Deroy « on n'emprunte raisonnablement que ce dont on manque. L'emprunt se justifie normalement par un besoin, ce qui est encore plus vrai pour les emprunts répondant à des nécessités d'ordre pratique.4»

Cependant Kiffe kiffe demain présente un genre d'emprunt un peu particulier. En effet, la plupart des personnages intégrant des mots arabes dans leur discours ne le font pas par nécessité de combler un déficit lexical. Nous nous interrogerons alors sur l'intention d'un tel choix linguistique : est ce seulement une manière d'exhiber ses compétences linguistiques ou a-t-il un rapport avec l'affirmation de l'identité ? Nous répondons à ces questions en puisant dans notre corpus quelques énoncés représentatifs de ce phénomène linguistique. Observons de plus près quelques cas d'emprunt du français à l'arabe dans Kiffe kiffe demain :

1 HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Bilingualité et bilinguisme, 2ème édition, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1983, p. 451.

2 DUBOIS, Jean, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994, p.177.

3 Jeans Dubois et alii, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1973, p.1 88.

4 Deroy cité par SOILIHI-FOUNDI Ghafar, « Bilinguisme : Alternance de codes, Emprunts linguistiques, Déclin du shimaoré », art. en ligne : http://www.acmayotte.fr/IMG/pdf/Interv_GHAFAR.pdf

La mère de Doria exprime sa joie le jour de la rentrée scolaire de sa fille en alternant l'arabe au français : "Elle voulait que sa fille soit la plus belle à l'occasion de " l''écoule neuf, la jdida...hamdoullah". Enfin pour le nouveau bahut quoi. » (p.156)

Yasmina, la mère de la narratrice, a intégré dans son énoncé deux mots arabes : « jdida » et « hamdoulillah ». L'adjectif « jdida » est précédé de son synonyme en langue française « neuf », nous nous interrogerons sur les intentions d'un tel choix. Comme nous l'avons perçu le recours à l'emprunt ne s'est pas fait pour combler un déficit lexical mais il parait que Yasmina ne ressens pas le mot qu'en arabe. En d'autres termes, l'emprunt à l'arabe s'est fait pour répondre à un besoin affectif. Ainsi, « son attitude linguistique s'explique par la valeur attachée à sa langue vernaculaire, et par un désir conscient de la promouvoir quand on sait qu'une concurrence redoutable vient l'investir et l'éliminer.1»

Quant au terme « hamdoulillah » est employé sans l'accompagnement d'indices de sens dans la langue française. L'emploi de ce terme n'est pas d'ordre affectif mais répond à une réalité religieuse qui ne peut remplir sa dimension qu'en langue arabe. Donc, l'emprunt devient nécessaire quand la langue dominante (langue véhiculaire) ne rend pas compte des réalités socioculturelles ou religieuses qui ne trouvent pas de traduction en langue française. Voici quelques réalités que la langue française ne peut combler :

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard