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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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2. APPROCHE TITROLOGIQUE DE Kiffe kiffe demain

Dans notre cas, le rôle du titre "Kiffe kiffe demain" est complexe et, par conséquent, nous examinerons sa fonction par rapport au texte du roman. A travers ce roman, nous essayerons d'étudier la stratégie mise en place par le titre pour reproduire indirectement le texte du roman.

En effet, avec le titre Kiffe kiffe demain nous sommes en présence d'un énoncé connotatif. Cependant l'originalité de ce titre réside au niveau de sa structure, il serait alors intéressant de l'approcher aussi bien sur le plan morphosyntaxique que sémantique. En effet, "le titre du roman requiert une véritable analyse de discours, comme préalable à son interprétation idéologique et esthétique."1

Nous nous appuierons dans notre analyse sur les travaux de Leo Hoek qui, comme le remarque Henri Mitterand, propose un modèle sémantique qui consiste en un découpage " des monèmes constitutifs du titre, appelés ici opérateurs, selon une catégorisation qui distingue l'animé humain (considéré pour sa condition, exemple La Demoiselle d'Opéra, ses qualifications, sa situation narrative), l'inanimé (opérateurs objectaux, par exemple les Gommes), la temporalité (indications de durée et d'époque, par exemple Chronique du règne de Charles IX ou La Semaine Chronique du règne de Charles IX ou La Semaine Sainte), la spatialité (par exemple le labyrinthe ou Notre-Dame de Paris), l'événement( ce qu'on pourrait appeler des opérateurs "narratiques", ou encore factuels, par exemple La Débâcle, La Curée)"2.

Au plan du dénoté le titre Kiffe kiffe demain ne comporte pas d'opérateur spatial, non plus d'opérateur objectal, ni d'opérateur évènementiel. En revanche, il est constitué d'un syntagme verbal un peu particulier car le verbe "Kiffer" est répété deux fois et suivi d'un opérateur temporel "demain". Remarquons-le, cette reprise du verbe n'est pas admissible au niveau de l'écrit mais reste tout de même courante à

1 Mitterand, Henri, « Les titres des romans de Guy des Cars », op.cit, p92.

2 Ibid. p93.

l'oral, comment peut-on alors interpréter cette récurrence? Serait-il un énoncé articulé en situation d'oral où la répétition représente une forme d'insistance sur l'importance du mot répété? Ou bien, cela ne serait-il qu'une sorte de jeu de mots pour faire allusion à autre chose qu'au sens dénoté du mot?

Quant à l'opérateur temporel "demain", il dénote un futur très proche et bien précis : la journée qui suit "aujourd'hui". Cependant, ce même opérateur sur le plan connotatif renvoie à l'Avenir dans son sens large. Nous pouvons ainsi dire que l'action se passera dans un présent aspirant à un lendemain. Mais la nature de ce "lendemain" dépendrait du sens donné au syntagme verbal "kiffe kiffe ".

Revenons d'abord sur la signification du mot argotique "Kiffer" : ce verbe est un néologisme qui a vite gagné droit de cité dans le jargon des jeunes français et qui a pris le sens de "aimer". Kiffe kiffe demain serait alors : "aime aime demain", la répétition du verbe n'est pas alors fortuite mais tout au contraire est utilisée à dessein pour insister sur l'importance de garder l'espoir et d'avoir confiance en son lendemain.

Cependant le jeu sur les sonorités nous oriente vers un sens opposé en faisant allusion à l'homophone "kifkif" qui veut dire "c'est exactement pareil". L'expression Kifkif est à l'origine une expression arabe qui semble avoir été importée en France au XIXe siècle par les soldats qui avaient été envoyés en Afrique du Nord. Donc, cette expression s'est introduite dans la langue française tout en gardant la même signification "pareil" et a réussi à être admise dans le dictionnaire. Cependant, l'expression "kifkif" n'est utilisée qu'en langue familière et notamment entre jeunes. L'allusion à une telle expression nous renseigne sur le genre de langue employée par Faiza Guène.

La combinaison du monème "Kiffe kiffe"'(pris ainsi dans le sens kif-kif) et l'opérateur temporel "demain" témoigne d'un vide, d'un lendemain inconnu, d'une perte, et par là même, d'une nécessité de quête. Cela annonce clairement le contenu

du roman. D'ailleurs, les premières pages du roman nous informant que la narratrice est abandonnée par son père annoncent cette perte:

"...les profs, entre deux grèves, se sont dit que j'avais besoin de voir quelqu'un parce qu'ils me trouvaient renfermée (...) je crois que je suis comme ça depuis que mon père est parti. Il est parti loin." (pp.9.10)

De plus, le monème «demain» précise la nature de la perte et le terrain dans lequel les personnages de Guène vont s'inscrire. En effet, l'histoire de la narratrice est celle de son entourage, de toute une communauté beurette souffrant de : l'acculturation, l'intégration, la différence, l'injustice etc. Cet espace d'injustice entraîne un désespoir et du fait une perte de confiance en soi et en son lendemain.

Le titre pris dans le sens de Kifkif demain fonctionne sur une condition d'opérateur psychologique car il renvoie à un état d'âme: le pessimisme et l'indifférence. Claude Duchet propose à ce genre de titre le terme de "sème pathétique"1

Cependant, si le titre est pris dans le sens de "Kiffe kiffe demain", l'opérateur temporel "demain" connoterait "l'espoir" et "le rêve d'un meilleur lendemain". Ce titre réunissant les deux revers de la vie : amour espoir/ pessimisme désespoir ne peut-il pas être considéré comme un opérateur évènementiel?

Remarquons également que dans Kiffe kiffe demain le verbe est conjugué à l'impératif. Rappelons-le ce temps est utilisé soit pour donner des ordres, soit pour inciter quelqu'un à faire quelque chose et concernant notre titre, comme on l'a vu plus haut, nous retenons cette dernière utilisation.

En outre, le verbe "kiffer" est conjugué à la deuxième personne du singulier autrement dit cet énoncé soit est adressé à quelqu'un de familier, soit il est articulé en situation d'oral où la plupart des conversations se tiennent souvent à la deuxième personne du singulier (le vouvoiement est rarement utilisé). "La deuxième personne

1 C. Duchet cité par Mitterand, Henri, « Les titres des romans de Guy des Cars », in C. Duchet, Sociocritique, Nathan, 1979, p92.

peut désigner soit un locuteur déterminé, soit une personne fictive"1, et dans ce titre la deuxième personne interpelle tout lecteur averti. Ainsi, l'auteur a voulu dès le début induire le lecteur en complice, c'est-à-dire l'impliquer en instaurant cette atmosphère d'intimité. En effet, tout titre "passe contrat avec le futur lecteur : c'est sa valeur illocutoire, sa valeur contractuelle, ce qui en fait un acte de parole performatif. Il promet savoir et plaisir."2

Le titre Kiffe kiffe demain est un énoncé court, facile à mémoriser et "allusif" (il ne dévoile pas tout). Nous décelons également une exploitation extrême des traits prosodiques, de la polysémie et de la symbolique des mots.

La séduction d'un titre varie d'un auteur à un autre selon ses objectifs, son talent, les époques et le type de lectorat visé. Cette forme d'attraction peut se faire aussi bien au niveau du contenu qu'à celui de la forme. En ce qui concerne notre jeune auteure, elle a choisi de renforcer cette séduction en jouant à la fois sur les deux aspects. Nous remarquons d'abord un jeu sur les sonorités (le titre offre des allitérations en "k" et "f") puis une sorte d'ambiguïté produite par la signification connotative du titre.

Cela dit, le titre "Kiffe kiffe demain" réunit deux signifiés prenant une valeur oxymorique (Kiffer et kifkif) d'où sa polysémie. Il a ainsi une valeur métaphorique c'est-à-dire qu'il résume le contenu du roman d'une façon symbolique. Leo Hoek propose pour ce genre de titre résumant le sujet l'appellation " titre subjectal"3. En effet, l'expression "Kiffe kiffe demain" est polysémique et cela se confirme à la lecture du roman. Doria se présente dès les premières pages du roman, après avoir

1 Benviniste, E., «Structure des relation de personnes dans le verbe», art. cité in Ph. Gasparini, Est-il je? Paris, Seuil, 2004, p.173.

2 Mitterand, Henri, Les titres des romans de Guy des Cars, in C.Duchet, Sociocritique, édit.Nathan, 1979, p91

3 Leo Hoek cité in Mitterand, Henri, Les titres des romans de Guy des Cars, in C.Duchet, Sociocritique, Nathan, 1979, p91, Selon Leo Hoek il y a deux types de titre: " le titre subjectal, qui désigne le sujet du texte (...) et le titre objectal, qui désigne le texte en tant qu'objet, c'est-à-dire en tant qu'appartenant à une classe donnée de récits, exemples Aventures de..., Révélation sur..., Histoire de etc. »

été abandonnée par son père, comme une fille qui a une vision noire du monde et qui pense que son jour n'a plus de lendemain, c'était pour elle alors Kif-kif demain (c'est pareil) :

"Quel destin de merde. Le destin c'est la misère parce que t'y peux rien. Ça veut dire que quoi que tu fasses, tu te feras toujours couiller (...) C'est comme le scénario d'un film dont on est les acteurs. Le problème, c'est que notre scénariste à nous, il a aucun talent. Il sait pas raconter de belles histoires » (p19)

Vers la fin elle explique sa position :

(...) C'est ce que je disais tout le temps quand j'allais pas bien et que Maman et moi on se retrouvait toutes seules : kif-kif demain" (p. 192)

Mais petit à petit les évènements heureux dans sa vie se succèdent et elle change d'avis vers la fin du roman et préfère plutôt l'expression Kiffe kiffe Demain, et retrouve alors l'espoir et commence même à aspirer à beaucoup de choses :

" Avec tous les évènements de cette année de toute façon, je me disais que la vie, franchement, c'est trop injuste. Mais là depuis quelque temps, j'ai un peu changé d'avis... Plein de choses sont arrivées qui ont changé mon point de vue." (P.177)

" Maintenant, Kif-kif demain je l'écrirais différemment. Ça serait kiffe kiffe demain, du verbe kiffer (...) ils ont peut-être raison les gens qui disent tout le temps que la roue tourne (...) Ici, y a plein de truc à changer...je mènerai la révolte de la cité (...) ce sera une révolte intelligente, sans aucune violence, où on se soulèvera pour être reconnus, tous. "(p.1 93)

Ainsi, le titre Kiffe kiffe demain et le texte du roman sont harmonieusement complémentaires "l'un annonce, l'autre explique, développe un énoncé programmé jusqu'à reproduire parfois en conclusion son titre, comme mot de la fin, et clé de son texte."1 En effet ce titre est présent au début, au cours et même à la fin du récit, il oriente et programme l'acte de lecture. Autrement dit ce titre Kiffe Kiffe demain

1 Achour Christiane, Bekkat Amina, Clefs pour la lecture des récits, Convergences Critique II, Tell, Alger, 2002.p72

remplit une fonction conative en fonctionnant comme "embrayeur et modulateur de lecture1."

La structure morphosyntaxique du titre s'écartant de la norme grammaticale du français standard, ainsi que la connotation sémantique nous renseigne sur le genre de langue employée par Faiza Guène. Un titre original qui promet une langue bien imagée et surtout soumise aux besoins linguistiques d'une classe sociale peu favorisée. Signalons que cette rupture est un aspect de la littérarité qui se croise dans ce titre avec la socialité. En effet, le titre fait allusion au langage employé dans les banlieues françaises habitées généralement par une classe sociale marginalisée.

Le choix d'un tel titre veut certainement provoquer chez le lecteur un sentiment d'inattendu et de ce fait stimuler sa curiosité. Comme nous l'avons souligné plus haut, certains titres tentent d'attirer le lecteur en le surprenant et surtout en le fascinant. Kiffe kiffe demain en éveillant ainsi l'intérêt remplit une fonction« apéritive ». En outre, il remplit une fonction de "rupture" car il se présente comme une démarcation par rapport aux titres habituels par sa formulation « atypique ».

Donc, Kiffe kiffe demain a bien rempli son rôle d'accroche et c'est sans doute ce qui lui a valu la vente de plus de 200 000 exemplaires et le tour du monde en étant traduit en vingt-deux langues. Outre la formulation originale de Kiffe kiffe demain il y a d'autres facteurs qui ont contribué à son succès et à sa diffusion (entre autres le thème d'actualité, de la vie sociale des "beurs" à un moment où ce problème est soulevé publiquement en France et coïncide avec les dernières émeutes, ce genre d'écrit n'est sûrement pas passé inaperçu).

Cela dit, le choix d'un titre est primordial dans une oeuvre. On a vu comment Guène annonce à la fois le contenu du récit et le cheminement de l'écriture.

1 Achour Christiane, Bekkat Amina , Clefs pour la lecture des récits, Convergences Critique II, op. cit., p.73

Récapitulons cette interprétation du titre à travers ce schéma :

- Kiffer = aimer, adorer.

- Registre familier (Jargon des jeunes).

- Conjugaison à l'impératif :
Incitation ou obligation.

Kiffer

-Conjugaison à la deuxième Personne du singulier

Oral familiarité

Kiffe kiffe demain

Kiffe kiffe

Répétition du verbe = insistance

Homophone = Kif-kif

Demain = futur très proche

Demain

Demain = Avenir

Le titre "apparaît donc comme l'un des éléments constitutifs de la grammaire du texte, et aussi de sa didactique : il enseigne à lire le texte1."

1 Mitterand, Henri, « Les titres des romans de Guy des Cars », in C.Duchet, Sociocritique, Paris, Nathan, 1979, p.91.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera