Première partie
AIRES PROTEGEES: CONSIDERATIONS RELATIVES AU CONCEPT ET
EVOLUTION DE LA POLITIQUE COLONIALE DE CONSERVATION EN AFRIQUE DE L'EST
Tout en mettant l'accent sur les relations «
sociétés/ressources naturelles», cette partie va
nous permettre d'abord de relater l'historique des aires
protégées depuis les temps les plus reculés jusqu'à
nos jours. Nous verrons ensuite quelques théories qui justifient la
création des espaces protégés dans le monde; et enfin,
l'analyse de ces justifications nous aidera à comprendre les politiques
coloniales de conservation qui ont été menées en Afrique
orientale.
Chapitre I
LES PRINCIPAUX ACQUIS HISTORIQUES ET THEORIQUES DU
CONCEPT « AIRE PROTEGEE »
Le concept d' « aire protégée
» recouvre aujourd'hui une gamme étendue de catégories de
conservation. L'objet de ce chapitre est de faire une étude historique
et spatiale des principales lois et théories qui expliquent
l'utilisation et la gestion actuelles des ressources naturelles dans le monde
en général et en Afrique orientale en particulier.
1.1 Les fondements historiques du concept « aire
protégée »
Par définition « n'importe quelle zone faisant
l'objet d'un contrôle particulier sur le plan juridique et administratif
ou pour des raisons de tradition, ainsi que des mesures d'aménagement
visant à conserver certaines caractéristiques, constitue une aire
protégée. »1 Dans ce contexte, des écrits
anciens montrent que ce contrôle et cette nécessité de
conserver certains espaces qui abritent des ressources naturelles
variées (faune et flore) se sont manifestés depuis plusieurs
siècles. Depuis lors, le concept « aire
protégée » a connu une longue histoire dans
l'évolution des sociétés. Aujourd'hui, il est devenu un
mode universel de protection de la nature tout en répondant à
plusieurs catégories de valeurs de ces sociétés.
1.1.1 Les aires protégées anciennes
Dans leur forme ancienne, les aires protégées
(même si le terme n'existait pas à cette époque) avaient
des objectifs et des modes de fonctionnement forts éloignés des
concepts actuels de conservation. Ceci a poussé plusieurs auteurs
à faire des recherches sur les vraies raisons qui conduisirent certaines
civilisations à prendre des mesures de protection d'un espace
donné. Selon ces auteurs, les « tabous religieux »
(Ramade F., 1981) sont considérés comme les premières
explications de la mise en place des aires protégées anciennes.
De ce fait, on peut dire sans se tromper que les « forêts
sacrées » des sociétés autochtones du monde
tropical sont les premières aires protégées au monde
même si il est extrêmement difficile de préciser
l'époque exacte où cette première initiative de protection
aurait été prise.
En abondant dans le même sens, G. Sournia (1996) affirme
que, pour des raisons de croyance, l'île de l'Inner Farne est la
première réserve (au sens classique) ornithologique au monde
puisque sa création remonte vers les années 676 après
Jésus Christ. En effet, ajoute-t- il, c'est au cours de cette
époque que « saint Cuthbert se retire sur la petite île
de Inner Farne au large du Nurthumberland, sur la côte Est de la Grande
Bretagne, pour y vivre en éternité. Ce grand croyant aime les
oiseaux, qui, chaque année arrivent par milliers sur l'île au
printemps. Il s'oppose avec succès aux pêcheurs qui y
débarquent en grand nombre, pour ramasser les oeufs et pour capturer les
oiseaux marins à l'aide de filets et les mettre en conserve dans le sel.
C'est ainsi que l'île de l 'Inner Farne devient la première
réserve ornithologique au monde. » (Sournia, G., idem)
1 Unasylva, 176, vol. 45, p. 2 (auteur anonyme)
Par ailleurs, la création des aires
protégées dans leur forme archaïque est également
justifiée par des motivations à des « fins de chasse et
de distraction » pour les familles aisées. Ainsi, il existe
(ou existait) en Afrique des réserves de faune créées par
les rois locaux à ces fins. Au Rwanda par exemple « l
'Itshyanya constitue [constituait] depuis des siècles un territoire
d'accès rigoureusement interdit à quiconque et
sévèrement gardé par les pygmées où le
souverain du pays, le Mwami, se rendait rituellement une fois par an pour y
tuer un éléphant ! » ( J.P. Harroy, 1970, cité
par F. Ramade, op. cit.) Même si cette réserve d'Icyanya (au lieu
d'Itshyanya) n'existe plus à cause de la pression démographique
que connaît le Rwanda depuis les années 1960, cet exemple montre
que l'idée de protection de la nature dans ce pays date depuis des
années. En outre, F. Busson (1999) donne aussi l'exemple des mesures de
protection des Aurochs (Urus) de la forêt de Bialowieza (Pologne) prises,
dès le 13ème siècle, par les princes de ce pays
à des fins de chasse.
En somme, il faut dire que ces premières mesures de
protection de la nature ci-haut évoquées avaient beaucoup
inspiré certains pionniers de la création des aires
protégées modernes, d'où certains les considèrent
d'ailleurs comme les racines de la modernité de la politique de
conservation dans le monde malgré leur manque d'efficacité par
rapport aux mesures de protection actuelles.
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