WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

( Télécharger le fichier original )
par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II.4. L'idée d'une rationalité communicationnelle

Le coeur philosophique de la pensée de Habermas est une théorie de la raison, des rationalités et des formes de rationalisation. C'est là d'ailleurs, selon notre auteur, le domaine propre de la philosophie :

« La rationalité des opinions et des actions est un thème sur lequel travaille traditionnellement la philosophie. On peut même dire que la pensée philosophique provient du devenir réflexif de la raison incorporée dans la connaissance, dans la parole et dans l'action. Le thème fondamental de la philosophie est la raison »60(*).

Ce qui importe dans notre contexte, c'est surtout de voir comment le concept de la rationalité communicationnelle est un concept nécessaire. En effet, comment une société en général serait-elle seulement possible sans la présupposition d'une entente au moins implicite de ses membres à propos des normes qui leur permettent fondamentalement de coordonner leurs actions ? Par le mot « normes », il faut entendre ici tout aussi bien l'ensemble des significations socialement instituées, y compris les symboles du langage eux-mêmes. Nous pourrions parler, dans un langage philosophique, des catégories de l'intersubjectivité, qui sont constitutives de ce que Hegel entend par l' « esprit objectif », c'est-à-dire l'ensemble des règles qui fonctionnent comme la grammaire d'une langue à l'égard des hommes qui la parlent. Or ces « normes symboliques » ou encore ces « règles grammaticales », qui sont en quelque sorte les transcendantaux d'une société comme telle, comment sont-elles à leur tour seulement possibles sans la présupposition encore plus fondamentale d'une activité constitutive et de l'entente sur ces règles et de ces règles elles-mêmes ? Il devient alors tout à fait clair que l'activité stratégique61(*) ne peut absolument pas fournir le concept d'une telle activité « originaire », mais seulement l'activité communicationnelle en tant que telle. Seule, la rationalité communicationnelle est d'elle-même productrice de « sens » ; et tandis que l'activité stratégique ne produit que de l'expérience d'autrui, seule l'activité communicationnelle produit en outre de l'interprétation de l'expérience sociale. Car elle seule est une activité réflexive. Elle seule peut ainsi établir ce qui vaut socialement dans l'intersubjectivité : représentations collectives, images du monde, normes sociales, valeurs morales, légitimations politiques, références esthétiques, symboles linguistiques, etc. C'est ici que nous pouvons retrouver le lien avec l'idée de la « raison pratique ». Mais, dans son essence, cette « raison pratique » se fait ici connaître comme « raison communicationnelle » (Kommunikative Vernunft). Dès lors, Habermas peut parler d'une « raison communicationnelle » parce qu'un principe d'universalisation serait déjà impliqué dans les structures mêmes de la discussion.

La « raison communicationnelle » de Habermas ouvre des pistes théoriques qui mériteraient véritablement d'être prises au sérieux. Pour Habermas, en outre, l'éthique trouverait spontanément son principe dans la « raison » immanente à cette « activité orientée à l'intercompréhension ». « Spontanément », car la communication est, dans son concept, déjà normative. C'est déjà dans la pratique la plus ordinaire du langage que ceux qui s'engagent dans la communication doivent se faire comprendre, et lorsqu'ils défendent une position, faire reconnaître leurs arguments. Aussi bien est-ce là poser une condition minimale et une exigence infinie : prétendre à la vérité est la condition minimale d'une discussion ; mais réaliser cette prétention dans l'intersubjectivité fait sans cesse reculer l'horizon d'une pratique concrète : la transcendance réside au sein même de la proximité ; étant à la fois ce qu'il y a de plus proche et de mieux connu de nous, elle reste pourtant l'idéal à réaliser pour l'humanité : l'idéal du « nous » dans lequel les « je » peuvent dépasser leur certitude personnelle pour élever celle-ci à la forme universelle de la vérité.

Nous retrouvons ici la parole d'A. Philonenko à propos de Fichte. C'est l'éclatement merveilleux de l'actualité indubitable de Fichte et de la modernité de Habermas. Tout comme Fichte naguère, Habermas pense que le discours du philosophe n'est pas désintéressé, que le discours philosophique est aussi par conséquent un discours engagé, et qu'il est dans ce sens déjà politique. Mais politique, cette « raison décidée » l'est surtout en un sens plus profond. En effet, la certitude personnelle se transforme en vérité universelle, lorsque les « je » se dépassent dans un « nous », qui est l'accord politique des consciences. Chez Habermas tout comme chez Fichte, c'est la force d'une pensée critique qui révèle le fondement politique face au paradoxe apparent d'un discours de la certitude qui sans se confondre avec la vérité ne cesse pas moins d'y prétendre. En réalité, le « je » se pense dans l'espace du « nous » qui est l'élément politique par excellence, et que par ailleurs, la pensée critique reconnaît comme fondement de toute prétention à la vérité. « Le ``nous'', suggérait A. Philonenko toujours à propos de Fichte, est l'idéal qui doit être atteint grâce à la confrontation loyale des certitudes des ``je'', qui se sont librement dégagés de l'opinion »62(*). Ici, Fichte et Habermas se rencontrent : le « nous » apparaît à la fois comme fondement critique et comme idéal moral. Mais, l'idéal doit aussi pouvoir être réalisé. Surgit alors le problème politique que pose la tension entre théorie et pratique, boisson amère de la modernité. Dans l'ouvrage que Habermas consacra à cette question, tous les essais vont dans le même sens : la communication est la catégorie politique qui doit résoudre la tension moderne entre théorie et pratique. Mais cette idée d'activité communicationnelle n'a de sens que dans une communauté de personnes dont on présume qu'elles observent le même monde, des personnes physiquement capables d'expériences véridiques, dont les motivations les portent à parler « véridiquement » de leurs expériences, et qui parlent selon des schémas d'expression reconnaissables et partager.

II.4.1. La notion du monde vécu

L'analyse de ce mouvement de rationalisation porte ainsi Habermas à approfondir ce qui en est le moteur, la communication et le consensus que celle-ci génère : il introduit pour l'éclairer la notion de « monde vécu » [Lebenswelt]. Celui-ci est en fait « l'horizon » à partir duquel les sujets sont à même de communiquer : il est cet arrière-fond de convictions plus ou moins diffuses et de capacités partagées par tous ceux qui autorisent l'action en vue d'un consensus. Habermas divise alors le monde vécu en culture, société et personnalité : la culture est définie comme le savoir disponible où les sujets puisent des interprétations ; la société comme les ordres légitimes à travers lesquels les individus règlent leur appartenance à des groupes sociaux ; et enfin la personnalité comme les compétences qui rendent un sujet capable de parole et d'action.

Il ne s'agit pas ici de discuter de la pertinence de cette analyse de la communication chez Habermas, mais plutôt d'en tirer les conséquences sur le plan de sa réflexion politique. La notion de « monde vécu » recouvre dans les processus d'action communicationnelle les conditions d'une production de sens ; pour Habermas, elle permet ainsi de rendre compte de la « reproduction culturelle », de « l'intégration sociale » et de la socialisation. Néanmoins, elle n'épuise en rien l'ensemble du contexte social, économique et politique dans lequel sont plongés les acteurs : Habermas articule donc le monde vécu à la notion de « système ». Cette dernière désigne, par complémentarité, l'espace social qui abrite les activités rationnelles par rapport à une fin - c'est-à-dire l'ensemble des conditions matérielles objectives qui s'imposent aux acteurs par des processus de régulation technique et de reproduction strictement autonomes -. Mais l'analyse habermassienne ne s'arrête pas à cette dualité fictive : la théorie de la société se construit à travers les correspondances et de l'articulation problématique de l'évolution de ces deux réalités. Habermas considère l'évolution sociale comme un procès de différenciation d'ordre secondaire. Système et monde vécu se différencient simultanément du fait que croissent la complexité de l'un et la rationalité de l'autre. La disjonction entre système et monde vécu se constitue de telle sorte que le monde vécu, d'abord coextensif à un système social peu différencié, est de plus en plus rabaissé au rang d'un sous-système à côté des autres. En même temps, le monde vécu reste le sous-système qui définit l'état du système social dans son ensemble. C'est pourquoi les mécanismes systémiques ont besoin d'un ancrage dans le monde vécu. Il faut les institutionnaliser.

Cette « institutionnalisation » renvoie chez Habermas au besoin nécessaire que rencontre le système - divisé en sous-systèmes différenciés - de se coupler avec le monde vécu, c'est-à-dire avec les individus qui s'y meuvent. A la suite des travaux sociologiques de T. Parsons, Habermas analyse cette articulation en recourant à des « médiums régulateurs » ; ceux-ci sont au nombre de deux : l'argent et le pouvoir. Le premier est au centre de la sphère économique, le second au centre de la sphère politique. Au sein des « sous-systèmes » auxquels ils sont rattachés, ces derniers « fonctionnent » de la même façon que la communication langagière au sein du monde vécu. Mais, ce qui est ici politiquement fondamental, c'est la coexistence de ces deux « univers ». Parsons avait interprété le monde vécu comme un sous système parmi d'autres, tandis que Habermas entend montrer son caractère premier. Certes, la « colonisation du monde vécu » par des « logiques instrumentales ou stratégiques » est un phénomène à l'oeuvre dans la rationalisation occidentale, mais c'est elle qui fait de la théorie de la société un enjeu politique. Cette évolution est justement ce que la pensée critique doit remettre en cause en réaffirmant la force démocratique que recèle l'action communicationnelle, avec sa prétention d'un contrôle des sous-systèmes par le monde vécu. Il s'agit donc de rattacher les médiums régulateurs à la communication langagière à laquelle ils se sont substitués.

On voit alors apparaître l'idée d'activité communicationnelle en tant que celle-ci structure le monde vécu : « Très grossièrement, l'unanimité anticipée à propos des expériences [...] présuppose une communauté d'autres personnes dont on présume qu'elles observent le même monde, des personnes physiquement capables d'expériences véridiques [les sujets capables de parler et d'agir, chez Habermas], dont les motivations les portent à parler « véridiquement » de leurs expériences, et qui parlent selon des schémas d'expression reconnaissables et partagés. Lorsque des divergences se présentent [aspect également essentiel chez Habermas, le passage à l'argumentation ne se faisant pas sans dissensus], ceux qui tiennent des raisonnements relatifs au monde se sont préparés à mettre en question tel ou tel aspect contenu dans ces raisonnements. Pour celui qui tient ces raisonnements, une discordance impose qu'il y a des raisons de croire que telle ou telle condition supposée remplie dans l'anticipation de l'unanimité ne l'a pas été. » Ainsi les solutions qui visent à réduire la discordance, « ne mettront pas en question l'intersubjectivité du monde, mais l'adéquation des méthodes par lesquelles le monde est expérimenté et relaté »63(*). Ce monde vécu procure à la communauté humaine, les fondements offrant une garantie pour une sorte particulière de discussion. Mais c'est quoi cette discussion ?

* 60 J. HABERMAS, Droit et démocratie, p. 17.

* 61 L'activité stratégique est à l'oeuvre dans le cadre de la concurrence entre ceux qui sont susceptibles d'occuper une position d'autorité, d'exercer le pouvoir, ainsi que dans les décisions qu'ils sont amenés à prendre en vue de se maintenir dans cette position - en faisant ce que Habermas appelle des « compromis » à savoir un partage de la plus-value sociale inégal et pourtant légitime -.

* 62 A. PHILONENKO, Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et Fichte en 1793, p. 91.

* 63 [« Mundane reasoning », Phil. Soc. Sci., 4, 1974, p. 47s.] (Théorie de l'agir communicationnel, p. 30.)

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld