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L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

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par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

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II.6. La théorie de l'agir communicationnel

La théorie de l'agir communicationnel exige une refondation communicationnelle de la rationalité. Elle marque l'abandon du cadre de pensée hégélo-marxiste. Habermas veut mettre à jour la « Théorie critique », en l'arrachant aux prises du « ballast du matérialisme historique ». Le basculement avait été préparé en 1976 par Après Marx. Ce recueil d'essais monumental énonçait un programme en quatre points : le rôle de la philosophie dans le marxisme et la question des structures normatives au plan supra-individuel, le débat avec les théories évolutionnistes de la société et enfin et surtout la problématique de la légitimation qui constitue, dans le prolongement de l'Espace public, le noyau central de la philosophie politique et sociale habermassienne précisément parce que la légitimité est, pour elle, la courroie de transmission entre le social et le politique.

II.6.1. Le « linguistic turn » : Habermas et Apel

La théorie de l'agir communicationnel postule une situation idéale de compréhension qui est la condition de possibilité de la communication et de la reconnaissance intersubjectives. Ce n'est en effet que de l'intérieur de cette situation de compréhension que peuvent être discutées des positions qui ont perdu dans le monde moderne l'évidence qu'elles ont pu posséder dans le monde vécu pré-moderne. Dans « Travail et interaction », Habermas interprétait, en ce sens, l'Esprit hégélien. Le tournant pragmatique a ensuite relégué à l'arrière-plan la référence à la dialectique. Du même coup, sa position s'est rapprochée de la « communauté de communication idéale » de Karl Otto Apel, dont il était resté très proche depuis leurs années communes à Bonn.

« J'appelle idéale une situation de parole dans laquelle les communications ne sont entravées ni par des actions extérieures, ni par des contraintes inhérentes à la structure même de la communication. La situation idéale de parole exclut les déformations systématiques de la communication. Or, pour que la structure de la communication n'engendre aucune contrainte, il faut que tous les participants de la discussion aient une chance symétrique de choisir et de mettre en oeuvre leurs actes de parole. De cette exigence générale de symétrie, on peut déduire, pour les différentes catégories d'actes de parole, des exigences particulières relatives à l'égalité des chances, dans le choix et la mise en oeuvre des actes de parole »72(*).

Karl Otto Apel est heideggérien73(*). Dans sa thèse rédigée sous la direction de Heidegger, il se focalisait, déjà, sur la question du langage et procédait à un déplacement de la problématique heideggérienne, de l'ontologie et du mode d'être spécifique du Dasein vers le problème transcendantal des conditions de possibilité de la compréhension. A la fin des années 1960, cette démarche a rencontré la réflexion que Habermas menait de son côté sur les « intérêts de connaissance »74(*). La portée de cette rencontre tient à l'opposition de l'explication à la compréhension, ou encore à celle de la domination de la science et de la technique à la conception ontologique, du Gestell à l'Etre, qu'Apel résume en parlant de « ce système de complémentarité [...] entre un scientisme ou un pragmatisme publics et un existentialisme privé, qui est éprouvé par beaucoup comme l'ultima ratio d'un ordre social pluraliste démocratique et libéral »75(*). Habermas et Apel ont certainement tiré un trait sous la culture philosophique et politique des trois premières décennies de la République fédérale et ils ont en même temps ouvert le débat sur la nature de l'ordre démocratique libéral.

Le linguistic turn sur lequel se fonde la théorie de l'agir communicationnel d'Habermas a été accompli par Gadamer et Apel. Le mérite d'Habermas consiste à avoir exploité systématiquement les apports scientifiques et philosophiques sur lesquels pouvait s'appuyer la primauté du langage affirmée par Apel. S'appuyant sur le pragmatisme de Charles Sanders Peirce, Apel transforme la recherche des conditions logiques de possibilité en une recherche des conditions de l'argumentation. Il ne s'agit plus de phénomènes et de noumènes mais de ce qui est connu à un moment donné par une communauté finie de chercheurs et de ce qui pourrait ou pourra l'être « par une communauté illimitée dans un processus indéfini de connaissance »76(*). Pour Apel, « l'individu [...] se constitue comme un être qui s'est toujours déjà identifié à la communauté idéale de communication. [...] Ici, se précise la possibilité de situer les présuppositions d'une « fondation ultime », pragmatique et transcendantale de l'éthique dans l'a priori de la communauté de communication et d'argumentation rationnelle »77(*).

Habermas va insister toutefois sur le caractère « quasi transcendantal » de cette situation idéale. Il n'est plus question d'une situation empirique ni d'une « construction pure et simple » mais d'un horizon qui, même s'il est « contrefactuel », est opératoire dans tout processus de communication. Mais il refuse de lui conférer, comme le fait Apel, le statut d'une « fondation ultime de la raison ». La « pragmatique universelle » est loin d'être la même chose que « la pragmatique transcendantale ». Habermas est plus proche du faillibilisme des poppériens78(*) et ouvert au contextualisme des communautaristes anglo-saxons. Il critique l'exigence apelienne d'une fondation ultime, en l' « historicisant » comme éthicité du monde vécu. Pour notre auteur, la quête du consensus idéal serait condamnée au mauvais infini et la discussion établissant un consensus ne serait jamais assurée d'atteindre un « vrai » ni même un « bon » consensus si la compréhension était une situation purement empirique. Le seul moyen d'échapper au mauvais infini et au relativisme culturel est donc l'anticipation toujours à l'oeuvre dans la communication. Il faut anticiper sur le mode du comme si kantien une situation idéale de discours à laquelle se mesure tout consensus effectif.

Apel avait développé entre le niveau de la vérification à l'infini et la prétention de la science à fournir, au niveau formel, des « langages scientifiques idéaux » « une pragmatique transcendantale du langage : sa tâche sera de réfléchir sur les conditions de possibilité d'une connaissance formulée verbalement et, comme telle, virtuellement valide d'un point de vue intersubjectif »79(*).

Cette validité intersubjective constitue un « moment inconditionné » auquel Habermas reconnaît un statut de fondement80(*). Mais, pour lui, « le fait qu'Apel s'accroche à l'idée que la pragmatique transcendantale revendique une fondation ultime s'explique par un retour inconséquent à des figures de pensée qu'il avait lui-même invalidées lorsqu'il avait effectué l'énergique changement de paradigme qui allait d'une philosophie de la conscience à une philosophie du langage »81(*). Ce n'est pas un hasard, ajoute-t-il, si Apel invoque Fichte : il s'agit là d'une rechute dans une philosophie du sujet et de la conscience dont Habermas, malgré ses préventions envers les « post-modernes », estime avec eux qu'il faut se dégager. Apel n'est à ses yeux pas assez « post-métaphysique ». Dans Le Discours philosophique de la modernité, il rend même hommage à la critique de Foucault des dédoublements du sujet et déclare très clairement que la conception communicationnelle de la raison abolit la séparation entre le transcendantal et l'empirique82(*).

La conception habermassienne de la situation idéale de compréhension exalte la sociologie de l'espace public. Tandis que Bourdieu claironne que « l'opinion publique n'existe pas »83(*), qu'elle n'est pas seulement une superstructure idéologique qui permet à une classe ou une couche sociale de se doter d'un capital symbolique compensant les handicaps que lui impose l'ordre étatique existant invoquant l'humanité »84(*). Chez Habermas, l'espace public, qui constituait la réalisation socio-historique de l'idéal d'Humanité, devient l'incarnation des prétentions à la validité qui fondent la pragmatique universelle ; ses acteurs sont dégagés de leurs particularismes sociaux et culturels et considérés comme des sujets « quasi transcendantaux » incarnant l'invariant anthropologique de la communication.

La situation de compréhension « quasi transcendantale » d'Habermas ne peut en outre être dissociée de la dialectique de la rationalisation et du monde vécu qu'il a ébauchée dans ses Repères pour la situation spirituelle de l'époque et développée dans sa Théorie de l'agir communicationnel. C'est cette dialectique qui révèle et met en oeuvre le « contenu normatif » jadis implicite dans les sociétés traditionnelles, de telle sorte que leur monde vécu se moralise et se théorise et que « ce que nous tenions sans problème pour un fait ou une norme peut désormais être effectif ou ne l'être pas, être valable ou ne pas l'être85(*) ». L'action communicationnelle résulte elle-même de la traduction, de l'explication, de la thématisation et de la problématisation, c'est-à-dire de la rationalisation, du monde vécu traditionnel.

* 72 J. HABERMAS, « Théories relatives à la vérité » (1972), in Logique des sciences sociales et autres essais, p. 322 et sq.

* 73 A. Renaut parle de « la genèse improbable de la position qui, sous le nom d' « éthique de la discussion », y occupe maintenant depuis une vingtaine d'année le premier plan » (A. Renaut, dir., Histoire de la philosophie politique, t. V : Les Philosophies politiques contemporaines, Paris, Calmann-Lévy 1999, p. 129.)

* 74 La rencontre peut être précisément datée : Habermas se réfère à Apel dans la postface de Connaissance et intérêt en 1973 - l'année même où Appel publie sa Transformation de la philosophie.

* 75 K.O. APEL, La Controverse Expliquer-comprendre, p. 31. On trouvera une réflexion globale sur ce changement des paradigmes philosophiques chez Vittorio Hösle.

* 76 A. CORTINA, « Ethique de la discussion et fondation ultime de la raison », in A. Renaut (dir.), Histoire de la philosophie politique, t. V. Op. cit., p. 199.

* 77 K.O. APEL, « La question d'une fondation ultime de la raison », p. 926.

* 78 Poursuivant le « dialogue avec les sciences » il estime qu'il n'est possible et fécond que si l'on accepte de modérer le transcendantalisme et de s'engager dans une conception faillible et révisable des conditions universelles de l'argumentation.

* 79 Ibid., p. 901.

* 80 J. HABERMAS, Morale et communication, p. 40.

* 81 Ibid., p. 117.

* 82 Id., Le discours philosophique de la modernité, p. 347 et sq.

* 83 P. BOURDIEU, « L'opinion publique n'existe pas », in Questions de sociologie, p. 222-235.

* 84 Cf. P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Ed de Minuit, 1979, p. 538, et G. Eley, « Nations, Publics and Political Cultures : Placing Habermas in the Nineteenth Century », in C. Calhoun (dir.), Habermas and the « public » Sphere, Cambridge Mass., MIT Press, 1972, p. 289-339.

* 85 J. HABERMAS, Morale et communication, p. 128.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote