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L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

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par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

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II.3. Le changement de paradigme de Jürgen Habermas

La notion de paradigme58(*) fut introduite par Kuhn pour désigner l'ensemble des procédures, des hypothèses, des valeurs, des croyances et des résultats qui caractérisent une communauté scientifique et lui donnent sa cohérence. Chez Kuhn, cette notion permet de saisir ce qui distingue la recherche scientifique proprement dite de toute autre pratique cognitive ; mais le paradigme désigne dans le même temps un état d'esprit, une tradition, un mode d'appréhension du réel et une véritable vision du monde que partagent - même à des siècles d'intervalle - chercheurs, penseurs et spécialistes d'un même problème. Appliquer cette notion à l'histoire de la philosophie relève sans aucun doute d'une extension ou d'une torsion que réfuterait probablement Kuhn lui-même. Néanmoins, si l'on s'autorise à dépasser l'emploi originel qui en fut fait, il semble que l'idée d'un changement de paradigme soit particulièrement féconde pour caractériser, en partie au moins, le rapport que Habermas entretient avec la tradition philosophique.

II.3.1. Un autre regard sur la modernité

Parler d'un « changement de paradigme », ce pourrait donc être d'abord appréhender une pensée comme une nouvelle vision, comme un nouveau regard sur une tradition déjà instituée. L'emploi de cette expression semble d'ailleurs d'autant plus juste que Habermas qualifie lui-même ainsi sa lecture, ou plutôt sa relecture, de la pensée philosophique moderne et donc l'ensemble de son entreprise. Le travail de la déconstruction ne peut avoir de conséquences définissables, qu'à partir du moment où le paradigme de la conscience de soi, de l'autoréférence d'un sujet qui connaît et agit dans l'isolement est remplacé par un autre paradigme, en l'occurrence par celui de l'intercompréhension, c'est-à-dire de la relation intersubjective entre des individus qui, socialisés à travers la communication, se reconnaissent réciproquement.

L'impératif que se fixe Habermas paraît ainsi tout à fait fondamental, car l'affirmation qui s'y exprime doit être expliquée, justifiée et même démontrée. Habermas ne se borne pas à énoncer la nécessité d'un abandon de l'ancien paradigme de la philosophie du sujet, il entend surtout assumer cette nécessité - c'est-à-dire ne pas se limiter à une critique qui, en fait, n'aurait pas su quitter les termes de son objet - en proposant lui-même une démarche constructive, un changement de paradigme, ce qu'il appelle un autre cadre conceptuel. Dès lors, la démarche qu'il entreprend se laisse comprendre clairement ; il entend montrer que les critiques radicales faites à la raison (et donc à la modernité) n'autorisent pas à désespérer de son potentiel d'émancipation. En effet, le concept de raison critiquée restait intimement liée aux présuppositions de la philosophie de la conscience, si bien que les critiques de la raison sont demeurées des critiques de ce paradigme, c'est-à-dire, des critiques menées de l'intérieur de celui-ci : pour Habermas, elles ont été incapables de s'en libérer faute de pouvoir s'ancrer dans un autre. Ainsi, la modernité ayant promu un aspect de la raison - la raison instrumentale - et cet aspect ayant engendré des effets massifs de réification, d'oppression et d'aliénation, la critique s'est abandonnée au piège de la critique immédiate.

Or pour Habermas, il convient, aujourd'hui, de raisonner en termes plus vastes et de se doter d'un concept de raison plus englobant ; dès lors, ce n'est plus la raison comme telle qui est source de réification ou de domination, mais une exploitation sélective de ses potentialités dans l'histoire de l'Occident moderne. Cependant, de façon relativement paradoxale, Habermas présente lui-même la position qu'il entend tenir comme un retour. Tout fonctionne en effet, comme si, effrayé par sa propre capacité à innover, Habermas prétendait fonder et enraciner son apport personnel dans une tradition dont il ne serait que le modeste continuateur59(*). Ainsi, bien souvent, pour ne pas dire systématiquement, le paradigme de la « raison communicationnelle » est présenté comme une redécouverte de ce qui se trouvait déjà en germe chez d'autres, comme une voie déjà maintes fois entrevue mais jamais vraiment empruntée. L'idée d'une raison centrée sur la communication ou d'un dualisme radical entre travail et interaction pourrait ainsi se déduire d'une certaine relecture de Marx ou se déceler dans la philosophie de l'esprit du jeune Hegel ou encore chez Kant et Fichte. Du côté des sociologues, Habermas n'estime faire que reconstruire ce que pressentaient Dilthey, Mead, Durkheim ou Parsons.

Ainsi se comprend donc Le Discours philosophique de la modernité que reconstruit Habermas [...]. Il s'identifie en quelque sorte à une sorte d'archéologie de tous les discours tenus par la tradition philosophique moderne et post-moderne dont le seul but ou la seule fin serait de montrer le caractère nécessaire ou même évident de cet aboutissement que représenterait la « raison communicationnelle ». Car de quoi s'agit-il ? En fait, Habermas ambitionne de se détacher de la philosophie du sujet, ce paradigme inauguré d'une part par le cogito cartésien limitant la raison à la vérité de la connaissance objective, et repris d'autre part par « l'ordre social » hobbesien limitant les sujets à des « actions rationnelles par rapport à une fin ». Rapportant une théorie de la connaissance à une théorie de l'action, Habermas reconstruit ainsi une théorie de la société qui est toujours en même temps une théorie de la modernité ou plutôt, devrait-on dire, un regard sur la modernité.

* 58 In La Structure des révolutions scientifiques, (1962). Cet essai marque le début d'une nouvelle réflexion philosophique, davantage portée par des préoccupations ancrées dans l'histoire et la sociologie des sciences - remettant ainsi en cause les thèses épistémologiques classiques qui niaient l'influence des facteurs sociaux sur le développement de l'activité scientifique.

* 59 Cela à tel point qu'il est, la plupart du temps, très difficile pour le lecteur de séparer la description de son apport théorique de l'interprétation détaillée d'autres positions ou d'autres auteurs.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci