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Le droit de ne pas s'autoaccuser dans la jurisprudence de la CEDH

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par Jean-Dominique VOISIN
Université Paris II-Assas - Master 2 droit pénal et sciences pénales 2007
  

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CONCLUSION DE LA SECTION PREMIÈRE

121. Les comportements susceptibles de porter atteinte au droit de ne pas s'accuser lors de la phase préalable sont multiples. Qu'ils usent de la force physique ou qu'ils exercent des pressions psychologiques sur le suspect, les enquêteurs violent l'article 6 dès lors qu'ils le privent d'un choix équitable entre se taire d'une part, et parler au risque de révéler des preuves à charge d'autre part. La recherche de preuves doit, dans le système mis en place par la CourEDH, respecter la volonté de l'accusé de ne pas y collaborer. Pour autant, il n'est pas possible que l'établissement de la culpabilité du suspect soit tributaire de sa volonté, sous peine de réduire à néant les possibilités de répression des infractions. En conséquence, la Cour autorise les enquêteurs à user de la contrainte pour se procurer, contre la volonté de l'accusé mais par leurs propres moyens, les éléments dont ils ont besoin pour prouver la culpabilité de l'intéressé.

121 Cf. l'arrêt Funke : le verbe Ç tenter È est employé expressément par la Cour.

122. La coercition abusive a pour finalité de réunir les preuves à charge qui emporteront la conviction du juge. Le mécanisme de protection élaboré par la CourEDH est complexe, car l'atteinte portée au droit de ne pas s'autoaccuser peut dispara»tre au stade du procès: la violation de l'article 6 sera constatée si la décision prononcée confirme cette atteinte; la procédure de jugement peut au contraire avoir permis de la réparer. En outre, le comportement du juge national lui-même peut s'avérer contraire aux exigences du procès équitable, même s'il s'agit là d'une violation du droit de se taire et non du droit de ne pas s'autoaccuser.

SECTION DEUXIéME: LES VIOLATIONS AU STADE DU

JUGEMENT : LE CRITéRE DE L'IMPACT

123. Le rôle des enquêteurs est de découvrir des éléments permettant de prouver qu'une infraction a été commise, et d'en identifier l'auteur. Cette preuve est facile à apporter lorsque la personne qui fait l'objet de l'accusation reconna»t spontanément sa culpabilité: bien que l'admissibilité de la preuve en matière pénale soit régie par le principe de l'intime conviction, l'aveu occupe une place prépondérante sur la balance des preuves. Les difficultés surgissent lorsque l'accusé est seul à détenir les informations qui permettraient d'établir sa culpabilité, et qu'il conserve le silence lors des interrogatoires. Face à ce refus de collaborer, les enquêteurs peuvent être tentés de contraindre l'intéressé, au mépris de sa volonté, à leur révéler ces informations. Le mécanisme de protection mis en place par la CourEDH se déclenche alors, et la coercition, abusive, entache la procédure d'iniquité.

La première phase du contrôle de la Cour consiste donc à déterminer si l'accusé a été soumis en l'espèce à une coercition abusive au sens de l'article 6. En cas de réponse positive et si les poursuites pénales se sont poursuivies jusqu'au stade du procès, la seconde phase du contrôle est alors mise en oeuvre. La juridiction pénale devra en effet statuer sur la culpabilité de l'accusé, au vu des éléments à charge produits par l'accusation et des éléments à décharge invoqués par la défense. Ces éléments auront un certain impact sur l'esprit des juges, et, le cas échéant, serviront de fondement à une décis ion de condamnation. La CourEDH réglemente cet impact, et, selon que la coercition abusive a abouti à une violation du droit de se taire ou à une violation du droit de ne pas s'autoaccuser, elle accorde une liberté de décision plus ou moins importante au juge national.

Lorsque la contrainte exercée a porté ses fruits et que l'accusé a finalement révélé les informations demandées, le juge doit refuser de considérer l'aveu contraint comme une preuve à charge, et ne peut en aucun cas prononcer de condamnation sur son fondement (I). Lorsque la contrainte exercée est restée vaine, et que l'accusé a persisté dans son mutisme, le juge doit se montrer Çparticulièrement prudent È (sic) s'il décide de considérer ce silence comme une preuve à charge, et ne peut pas, en principe, prononcer de condamnation sur son seul fondement (II).

I. L'INTERDICTION ABSOLUE DE CONDAMNER L'ACCUSÉ SUR LE

FONDEMENT D'AVEUX CONTRAINTS

124. La coercition est abusive chaque fois qu'elle place l'intéressé dans une situation de faiblesse qui ne lui permet pas de choisir librement entre se taire ou parler. Vulnérable devant un tel dilemme, l'accusé retrouve une volonté libre et éclairée lorsqu'il reçoit l'assistance d'un avocat (A). Si les droits de la défense n'ont pu être exercés au stade de l'enquête, il appartient au juge national d'assurer leur respect lors du procès. Selon la CourEDH, l'atteinte au droit de ne pas s'autoaccuser n'est réparée que par le refus d'admettre l'aveu contraint comme élément à charge (B).

A] L'ACCUSÉ ASSISTÉ OU L'EXERCICE DES DROITS DE LA DÉFENSE COMME CONTREPOIDS Ë
LA COERCITION ABUSIVE

125. L'accusé plongé dans un environnement coercitif est soumis à des pressions destinées à vaincre sa volonté de ne pas collaborer à la recherche de preuve. Menacé d'une condamnation pénale, harcelé par les enquêteurs, il est en position de faiblesse par rapport à ceux qui l'accusent. L'inégalité des armes place ainsi l'accusé dans un état de vulnérabilité qui abolit sa volonté et l'amène à s'autoaccuser. L'abus consiste donc, pour les enquêteurs, à créer et exploiter cette situation en utilisant leurs pouvoirs de contrainte dans le but d'extorquer des aveux à l'intéressé.

Cette méthode de recherche de preuves est inéquitable et emporte violation de l'article 6
ConvEDH. Cependant, la Cour, qui statue en général sur le fondement de l'article 6§1, retient

122

également des violations combinées des articles 6§1 et 6§3 de la Convention , ce qui indique que le droit d'accès à un avocat et le droit de ne pas s'autoaccuser se situent sur un plan commun.

123

126. L'arrêt Mageerévèle le lien qui unit les droits de la défense et le droit au silence: la Cour estime que, Çpour l'équité de la procédure, le requérant aurait dü avoir accès à un solicitor dès les premiers stades de l'interrogatoire, ce pour contrebalancer l'atmosphère

122 Sur la pertinence de ce texte et sur les combinaisons entre les paragraphes de l'article 6, cf. supra, n33 et suivants.

123 CEDH 6 juin 2000, Magee c/ Royaume-Uni, § 43.

intimidante destinée à vaincre sa volonté et à le faire passer aux aveux devant les personnes qui l'interrogeaient È.

L'avocat, par l'assistance qu'il apporte à l'accusé, permet à ce dernier de résoudre librement le dilemme auquel les enquêteurs l'avaient confronté. L'avocat lui apporte son soutien au cours des interrogatoires et lui permet choisir librement le comportement à adopter. L'accusé qui a bénéficié de l'assistance juridique n'est, dès cet instant, plus vulnérable. L'exercice des droits de la défense rétablit l'égalité des armes et sauve l'équité de la procédure.

La coercition influencant le choix du requérant, l'accès à l'avocat ne peut être efficace que s'il intervient dès le début des interrogatoires, dès la première question posée à l'accusé dans le cadre d'un environnement coercitif. Alors seulement le choix de parler ou de se taire, éclairé par les conseils de l'homme de loi, sera fait en toute liberté.

127. Le droit d'accès à un avocat joue donc comme un contrepoids au caractère abusif de la contrainte, puisqu'il permet de faire dispara»tre le dilemme inéquitable auquel l'accusé se trouvait confronté en raison de cette contrainte. Autrement dit, l'environnement coercitif créé par les enquêteurs n'est abusif que s'il amène le suspect à s'accuser sans qu'il ait pu bénéficier d'une assistance juridique. Dès lors que les droits de la défense sont efficacement exercés à ce stade, l'abus dispara»t, y compris, du moins en théorie, lorsque les méthodes employées peuvent être qualifiées de traitements et dégradants 124

torture ou de inhumains .

En conséquence, si le requérant décide de parler après avoir consulté son avocat, il renonce à son droit de ne plus s'autoaccuser : l'aveu est libre, et pourra justifier sa condamnation à l'issue du procès ultérieur. En revanche, si le requérant décide de parler sans avoir été mis en mesure d'exercer ses droits de la défense, l'aveu est contraint et ne peut être utilisé comme élément à charge.

128. La Cour affirme en effet que seule importe, dans une telle hypothèse, Çl'utilisation qui sera faite, au cours du procès pénal, des dépositions recueillies sous la contrainte È125. En

124 Dans les arrêts oü la coercition est constitutive d'une violation de l'article 3, la Cour retient une violation combinée des articles 6§1 et 6§3, pour le même motif qu'une coercition abusive «classique», à savoir que Ç l'environnement coercitif a amené le requérant à s'accuser sans qu'il ait pu bénéficier d'une assistance juridique È. A contrario, l'avocat sert donc également de contrepoids à des interrogatoires menés sous la torture, mais c'est là une hypothèse d'école: il est difficilement concevable que des enquêteurs torturent l'accusé mais respectent ses droits de la défense.

125 Cf. CEDH 17 décembre 1996, Saunders c/ Royaume-Uni, § 71.

réalité, ce n'est pas tellement l'utilisation en soi de l'aveu contraint qui est visée126, mais plutôt l'impact recherché et obtenu par cette utilisation. L'accusation peut fonder ses prétentions sur des éléments abusivement recueillis sous la contrainte, mais le juge a l'interdiction d'admettre ces éléments comme des preuves à charge.

B] LE JUGE LIÉ OU L'EFFECTIVITÉ DES DROITS DE LA DÉFENSE COMME REMéDE Ë LA
COERCITION ABUSIVE

129. L'interdiction d'utiliser des déclarations recueillies sous la contrainte signifie que ces déclarations ne doivent pas avoir eu d'impact sur la décision de condamnation (1). L'influence redoutée n'est exclue avec certitude que si le juge national a suivi les règles de preuve fixées par la CourEDH (2).

1) Du critère de l'utilisation au critère de l'impact

130. On a vu qu'en cas d'accès à l'avocat lors de la phase d'enquête, l'iniquité de la procédure dispara»t et l'aveu, libre, peut à nouveau servir de preuve à charge. Il ne s'agit là que d'un retour aux règles classiques d'admissibilité des preuves en matière pénale: le juge décidera, en son intime conviction, si cet aveu suffit à fonder la condamnation de l'accusé. En revanche, lorsque les droits de la défense ont été bafoués au cours de l'enquête, la procédure est entachée d'iniquité dès cet instant. Si les poursuites s'arrêtent à ce

stade, l'accusé, qui, par hypothèse, n'a pas fait l'objet d'une condamnation pénale, peut tout de même faire reconna»tre l'atteinte à ses droits. La CourEDH admet en effet que, même en cas de relaxe, le requérant puisse demander la réparation des violations commises sur le fondement du droit à ne pas s'autaoccuser et de l'article 6§3127.

131. La situation se complique lorsque, ayant cédé à la coercition abusivement exercée à son encontre lors des interrogatoires, l'accusé est déféré devant le juge national sur le fondement des aveux obtenus par la contrainte.

126 Cf. supra, n117 et suivants.

127 Arrêt McGuiness, précité.

Le critère de l'utilisation, pris au pied de la lettre, entra»ne immédiatement deux difficultés. A contrario, il implique l'existence d'un procès pénal: l'utilisation suppose que l'accusation invoque l'aveu contraint au soutien de demande de condamnation; en l'absence d'une telle demande, pas d'utilisation, et donc pas de violation de l'article 6. Or on sait que la Cour rejette une telle solution et reconna»t la violation Çmême en l'absence de toute procédure pénale ultérieure >>128. Le critère de l'utilisation est donc incompatible avec cette décision. La seconde difficulté surgit alors: puisque la procédure est entachée d'iniquité dès l'instant oü les aveux ont été recueillis sous la contrainte, la CourEDH pourrait accorder réparation au requérant quelle que soit la décision finale du juge. Ce n'est pourtant pas la solution adoptée par la Cour, qui rejette les requêtes en violation de l'article 6 chaque fois qu'elle estime que la violation considérée n'a pas eu d'impact sur la décision du juge de condamner le requérant. Il est donc préférable, plutôt que de comprendre à la lettre le critère de l'utilisation, d'en considérer l'esprit : ce que la Cour veut éviter, c'est qu'un accusé puisse être condamné sur le fondement des déclarations fournies abusivement sous la contrainte. Il faut donc éviter que l'accusation puisse les utiliser efficacement au soutien de ses prétentions: l'aveu contraint ne doit avoir aucun impact sur la décision finale du juge. Dès lors, la sanction de la violation du droit de ne pas s'autoaccuser revient en premier lieu au juge national, et ce n'est que s'il échoue dans cette mission que la CourEDH censurera la procédure au nom de l'équité.

132. Cependant, le mécanisme n'est pas aisé à mettre en Ïuvre, et si le juge national a la faculté de réparer les atteintes subies par le droit de ne pas s'autoaccuser au cours de l'enquête, la Cour se réserve le droit de déterminer les modalités de cette réparation.

2) De l'intime conviction au principe de conventionalité de la preuve

133. La CourEDH affirme que, si le requérant se voit refuser l'accès à un avocat dès les premiers instants de l'interrogatoire, Ç les droits de la défense peuvent fort bien subir une atteinte irréparable >>129, tant il est vrai que l'utilisation des pièces obtenues abusivement par la contrainte porte atteinte à la capacité de l'accusé de se défendre contres les accusations pénales portées contre lui.

128 Arrêt McGuiness, précité.

129 Cf., parmi d'autres, l'arrêt Averill, précité.

De fait, l'aveu est doté d'une force probante particulière dans l'esprit du juge, qui risque d'être psychologiquement lié par une telle preuve. Par conséquent, même si l'accusé est mis en mesure de discuter la pertinence d'un tel élément, il est probable que ses critiques restent lettre morte: le contradictoire n'est qu'un faible contrepoids en présence d'un aveu libre. En outre, l'aveu jette le discrédit sur les autres moyens de défense que l'accusé pourrait invoquer, ce qui représente un danger pour la présomption d'innocence: il sera particulièrement difficile pour le juge de considérer innocente une personne qui s'est elle-même déclarée coupable.

De plus, l'aveu dispense presque l'accusation de son rTMle dans le procès : l'administration de la preuve s'en trouve bouleversée puisque le suspect s'accuse au lieu de se défendre. Certes, s'il est établi que l'aveu a été extorqué, le juge se montrera réticent à admettre un élément qui aura été recueilli en violation de ses propres règles nationales d'administration de la preuve. Cependant, la définition que la CourEDH donne de la coercition abusive n'est pas partagée par tous les Etats-membres, et il se peut que le juge soit lié par un droit qui autorise expressément un procédé que la Cour considère contraire à l'article 6130.

134. Il n'est donc pas excessif d'affirmer que la simple utilisation de l'aveu contraint comme élément à charge ferait subir des atteintes irrépar ables aux droits du requérant. Mais cette conclusion n'est que théorique; il reste possible que, in concreto, l'aveu ait été dépourvu de tels effets et que les droits considérés aient été préservés.

La Cour interdit au juge de fonder sa décision sur des aveux contraints Çs'ils n'ont pas été débattus lors du procès >>131, et affirme qu'il est nécessaire Ç de rechercher si le requérant s'est vu offrir la possibilité de remettre en cause leur authenticité et de s'opposer à leur utilisation >>132. Cette solution est surprenante puisque, dans le même moment, la Cour explique que le simple exercice du contradictoire n'offre qu'une mince garantie aux droits de l'accusé: si l'exercice des droits de la défense au stade de l'enquête permet de prévenir l'atteinte au droit de ne pas s'autoaccuser, cette atteinte une fois réalisée remet précisément en cause l'effectivité des droits de la défense au stade du procès.

130 Cf., pour l'administration d'un émétique, CEDH 11 juillet 2006, Jalloh c/ Allemagne.

131 CEDH 2 aoüt 2005, Kolu c/ Turquie.

132 Arrêt Jalloh, précité.

En réalité, l'affirmation signifie que l'efficacité du contradictoire dépend de son impact sur la décision du juge : il faut impérativement que les critiques formulées aient abouti à priver les déclarations obtenues abusivement sous la contrainte de toute force probante.

La CourEDH considère donc que, si le juge national rejette les éléments à charge obtenus

133

abusi vement par les enquêteurs, l'atteinte aux droits du requérant a été réparée . Toutefois, elle n'admet cette réparation que si l'aveu contraint n'a joué aucun rTMle dans la condamnation du requérant. Le juge n'est pas autorisé à fonder sa décision, même en partie, sur des éléments de preuve tirés des déclarations que le requérant a faites sous la contrainte. Autrement dit, ces éléments ne peuvent pas être inclus dans un faisceau d'indices qui servirait de fondement à la condamnation de l'intéressé134.

135. Il en résulte que le juge est doublement lié quant à l'admissibilité de l'aveu contraint. D'abord, il doit apprécier le caractère abusif de la contrainte exercée au stade de l'enquête selon les critères définis par la Cour, indépendamment des règles nationales d'administration de la preuve. Ensuite, il ne peut pas considérer que cet aveu est corroboré par d'autres éléments à charge et l'admettre comme fondement partiel de sa décision.

En conséquence, et bien que la CourEDH affirme ne pas s'immiscer dans les règles nationales d'admissibilité de la preuve135, tout se passe comme si elle remplacait le principe de l'intime conviction par un principe de «conventionalité de la preuve».

Si le choix final du requérant est sans influence sur l'appréciation du caractère abusif de la coercition exercée sur lui par les enquêteurs, les conséquences procédurales de ce choix varient légèrement selon qu'il a finalement collaboré à la recherche des preuves contre lui- même, ou qu'il a conservé le silence << d'un bout à l'autre de la procédure >>136.

133 Arrêt Kolu, § 57, précité.

134 Cf. CEDH 20 juin 2006, ORS c/ Turquie.

135 Cf. notamment l'arrêt Allan précité: << La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 19 de la Convention, elle a pour tâche d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Etats contractants. Spécialement, il ne lui appartient pas de conna»tre des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure oü elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si celle-ci garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne >>.

136 Cf., entre autres, CEDH 08 février 1996, John Murray c/Royaume-Uni. La seule hypothèse concernée ici est en réalité celle oü l'accusé conserve aussi le silence lors du procès. Dans le cas contraire, soit l'accusé s'exprime librement et il se contente alors d'exercer ses droits de la défense, soit il répond aux questions du juge et il para»t alors légitime de transposer les règles applicables en matière d'aveu contraint.

II. L'INTERDICTION RELATIVE DE CONDAMNER L'ACCUSÉ SUR LE SEUL

FONDEMENT DE SON SILENCE

136. Si la CourEDH préserve en toute hypothèse le droit de se taire contre les atteintes qu'il pourrait subir de la part des enquêteurs (A), elle prend en compte les nécessités de la répression lors de la phase de jugement, et l'accusé qui persiste à se taire devant le juge le fera, le plus souvent, à ses risques et périls (B).

A] LE SILENCE PRÉSERVÉ OU LE LIBRE EXERCICE DU DROIT DE SE TAIRE AU STADE DE
L'ENQUæTE

137. Par hypothèse, l'accusé n'a pas cédé aux pressions exercées dans le but de le faire parler, ce qui entra»ne des conséquences procédurales particulières (1). Chose étonnante, le choix de se taire peut être librement exercé même en l'absence d'un avocat (2).

1) Le droit de se taire exercé librement dans un contexte procédural particulier

138. Le contexte procédural ne sera pas le même selon que la coercition était abusive (a) ou seulement indirecte (b).

a-L'exercice du droit de se taire indifférent au prononcé de la sanction constitutive d'une coercition abusive

139. La coercition abusive est constituée notamment lorsque les enquêteurs menacent l'accusé d'une sanction pénale s'il refuse de rompre le silence. Cette condamnation peut même être effectivement prononcée, au terme de poursuites pénales indépendantes de celles ayant motivé l'enquête. Toutefois, la sanction prononcée par le juge pénal à l'encontre de l'accusé qui a refusé de collaborer à la recherche de preuves n'est pas en cause ici.

En effet, le caractère abusif de la coercition s'apprécie au moment oü le requérant doit choisir

137

entre se taire ou collaborer, indépendamment de l'option effectivement choisie . Dès lors que la menace d'une sanction plane à cet instant sur l'intéressé, l'abus est constitué. Partant, la sanction prononcée lorsque le choix final est de conserver le silence n'ajoute rien au caractère abusif de la coercition: il s'agit simplement d'une conséquence procédurale du refus de collaborer. L'existence même d'un mécanisme de sanction est inique, indépendamment de sa mise en Ïuvre.

140. Une difficulté surgit lorsque les enquêteurs informent l'accusé qu'il a le droit de garder le silence, mais que le juge pourra tirer des conclusions défavorables d'un tel comportement: cet avertissement n'est-il pas également une menace de condamnation destinée à obtenir la collaboration du requérant?

b-Le caractère indirect de la coercition en cas de mise en garde préalable à l'exercice du droit de se taire

141. Dans certains Etats-membres, les enquêteurs doivent informer l'accusé qu'il a le droit de garder le silence, mais que le juge pourra en tirer des conclusions défavorables lors du procès. Cette information pourrait être percue comme une menace visant à inciter l'intéressé à collaborer avec les enquêteurs, mais la CourEDH n'est pas de cet avis. Ainsi, elle affirme dans l'affaire Murray: Ç Certes, combiné avec le poids des éléments à charge, un système oü l'on avertit le prévenu - éventuellement en l'absence d'un avocat - que l'on pourra tirer des conclusions en sa défaveur de son refus d'expliquer à la police sa présence sur le lieu d'une infraction ou de déposer à son procès, comporte un certain degré de coercition indirecte. Cependant, le requérant ne pouvant être contraint à parler ou à déposer, comme cela a été indiqué, ce fait ne saurait à lui seul être déterminant; la Cour doit plutôt s'attacher au rôle que les déductions ont joué dans la procédure pénale et en particulier la condamnation È. Il ne s'agirait donc là que d'une coercition indirecte dépourvue de tout caractère abusif. En effet, contrairement à l'hypothèse précédente, l'accusé a le droit de se taire sans que ce choix soit formellement sanctionné. Certes, le choix final sera influencé par l'avis que le juge

pourra, lors du proces pénal ultérieur, tirer des conclusions défavorables du silence sur le fond. Toutefois, il s'agit là d'une simple information à prendre en considération au moment d'évaluer s'il est plus risqué de parler ou de se taire, afin de choisir la meilleure ligne de défense à adopter.

142. Ce dernier point est particulierement intéressant : la Cour semble suggérer ici que le silence participe des droits de la défense. Cependant, on constate avec surprise que ces droits peuvent être exercés « éventuellement en l'absence d'un avocat ». La présence de l'avocat, qui était obligatoire lorsque l'accusé décidait de collaborer à l'enquête, semble ne plus l'être lorsqu'il décide de se taire.

2) Le droit de se taire exercé librement en l'absence d'un avocat

143. La solution est d'autant plus surprenante que la Cour s'était attachée à démontrer l'importance de la présence de l'avocat des les premiers stades de la procédure138. Placé dans une situation de faiblesse, l'accusé, comme toute personne se trouvant dans une telle situation, doit pouvoir être assisté dans l'expression de sa volonté. Le priver de ce droit est contraire à l'équité, quel que soit le comportement finalement adopté par l'intéressé.

La Cour affirme pourtant le contraire dans l'arrêt Murray : « (É) rien n'indique que l'intéressé n'ait pas compris la signification de l'avertissement de la police avant de voir son solicitor. Dans ces conditions, le fait que pendant les quarante-huit premières heures de sa détention le requérant n'a pu avoir acces à un homme de loi ne retire rien au constat qui précede, à savoir qu'il n'était pas inique ou déraisonnable de tirer des conclusions [de son silence] ».

Il semble donc que l'atteinte aux droits de la défense constitué par l'absence de l'avocat des les premiers instants de la procédure, contrairement ce qui a été décidé en cas d'aveu contraint, soit dépourvue d'incidence quant au respect du droit de se taire. La question justifierait néanmoins un examen particulier sur le fondement combiné des articles 6§1 et 6§3, si l'on en croit la Cour dans l'arrêt Murray précité : « La question du déni d'acces à un

- 73 - solicitor n'en a pas moins sur les droits de la défense des incidences qui appellent un examen séparé >>139.

144. Ainsi, l'absence de l'avocat au moment oü l'accusé exerce son droit de se taire est seulement Ç l'un des éléments à prendre en considération pour apprécier le caractère équitable >>140

de la décision du juge du fond de tirer une conclusion défavorable de ce silence. En effet,

le mécanisme de contrôle mis en Ïuvre par la Cour est complexe et le

juge national ne peut tirer des conclusions défavorables du silence de l'accusé que si plusieurs éléments cumulatifs sont réunis. En réalité, la CourEDH se contente ici d'enfoncer une porte ouverte: l'exercice du droit de se taire, tel qu'elle le concoit, ne bouleverse pas le système des preuves en matière pénale.

B] LE SILENCE MENACÉ OU L'EXERCICE RISQUÉ DU DROIT DE SE TAIRE AU STADE DU PROCéS

145. Si le principe est que le juge ne peut pas tirer des conclusions du silence de l'accusé lors du procès (1), la règle porte en elle-méme ses propres limites, formulées de facon autonome par la CourEDH (2). Des difficultés particulières ayant été soulevées en cas de déduction tirée par un jury, la Cour a dü préciser les conditions propres à cette procédure (3).

1) L'interdiction de principe faite au juge de tirer des conclusions défavorables du silence de l'accusé

146. Le droit de se taire complète le droit de ne pas s'autoaccuser au sein du mécanisme mis en place par la Cour afin de garantir l'équité de la procéd ure (a). Pour autant, le système n'a rien de très original, comme l'indique l'examen des motifs de cette interdiction (b).

139 On constate encore une fois ici la difficulté d'établir avec certitude le fondement textuel du droit au silence, ainsi que le rôle joué par les droits de la défense au sein du contrôle exercé par la Cour.

140 CEDH 6 juin 2000, Averill c/ Royaum-Uni, § 48.

a-Le droit de se taire comme garantie de l'équité de la procédure

147. Le droit de ne pas s'accuser soi-même suppose que l'individu qui fait l'objet des poursuites puisse garder le silence librement, sans encourir de sanction pénale. Toutefois, ce droit reste théorique si le refus de parler est considéré comme un aveu de culpabilité. En effet, l'accusé se trouve alors dans une position t out aussi inéquitable puisqu'il sera de toute façon jugé coupable : qu'il produise des preuves contre lui-même ou qu'il se taise, le juge retiendra dans les deux cas un élément à charge. En conséquence, le droit de se taire, contre-face du droit de ne pas s'autoaccuser, interdit « de fonder une condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer ». En d'autres termes, le silence doit n'être que le fondement accessoire de la décision du juge, parmi un faisceau de preuves ayant emporté sa conviction.

148. Le principe est donc que le juge national ne peut pas tirer de conclusions défavorables du seul silence gardé par l'accusé lors de la phase d'enquête141. L'exercice du droit de se taire ne saurait justifier la condamnation pénale de l'accusé. La solution est logique, qui complete le dispositif mis en place par la CourEDH en matiere d'aveu contraint. Elle est loin d'être originale, comme l'indique l'exposé de ses motifs.

b-La justification classique de l'interdiction faite au juge de tirer des conclusions du silence de l'accusé

149. Le droit de se taire, dans l'esprit de la Cour, doit garantir la présomption d'innocence142 en prévenant les risques que la charge de la preuve soit inversée. En e ffet, en matiere pénale, le principe est que l'accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie. La regle selon laquelle « c'est à l'accusation de prouver la culpabilité du prévenu sans obliger aucunement ce dernier à prêter son concours »143 en est la traduction sur le plan procédural.

Il s'agit là d'une regle classique d'administration de la preuve en matiere pénale. Actori

141 CEDH 8 février 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, §47.

142 On notera à cette occasion l'intégration des exigences de l'article 6§2 dans l'article 6§1, cf. supra n°39.

143

Arrêt Murray, précité.

incumbit probatio, cÕest à la partie poursuivante (lÕaccusation) dÕétablir la culpabilité de lÕaccuse car se défendre, précisément, ce nÕest pas sÕaccuser ; il y aurait renversement de la charge de la preuve, non seulement à contraindre lÕintéressé à produire des preuves contre lui- même mais également dans le fait de considérer son silence comme une preuve à charge.

Partant, lorsque le juge tire des conclusions défavorables du silence de lÕaccuse lors de la phase dÕenquête, il transforme la présomption dÕinnocence en présomption de culpabilité et viole ainsi les exigences du proces equitable. On peut egalement considérer quÕen tirant une telle deduction du silence de lÕaccuse, le juge viole lÕexigence dÕimpartialité posée par lÕarticle 6§1 ConvEDH : il y aurait préjugé à considérer que lÕaccuse qui se tait dissimule sa culpabilité.

150. Les regles classiques dÕadministration de la preuve et la jurisprudence de la CourEDH interdisent de tirer des conclusions défavorables du seul silence de lÕaccuse. A contrario, lorsque ce silence nÕest pas le seul element soumis au juge, il devrait etre possible de lÕinterpreter comme un aveu tacite de culpabilité. La Cour confirme cette idée dans lÕarrêt Murray, lorsquÕelle énonce quÕil Ç est tout aussi evident que ces interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de prendre en compte le silence de l'intéressé, dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des elements à charge È. En clair, le juge peut fonder une decision de condamnation sur le silence de lÕaccuse des lors que ce silence nÕest pas le seul element à charge motivant sa decision. On retrouve ici une autre regle classique dÕadministration de la preuve, qui en renverse la charge des lors que lÕaccusation a fourni un commencement de preuve de la culpabilité de lÕaccuse. Reus in excipiendo fit actor, cÕest alors à lÕaccuse de prouver son innocence, ou tout du moins de refuter la force probante de lÕélément de preuve fourni par lÕaccusation. Dans le cadre du droit de se taire, ce principe se traduit par une série dÕexigences.

2) Le renversement du principe en presence des conditions fixees par la jurisprudence europeenne

151. La Cour fixe trois conditions cumulatives, à la denomination originale mais au contenu classique, dont la reunion permet au juge national de prononcer une decision de condamnation malgré le silence de lÕintéressé lors du proces. En réalité, il sÕagit davantage de

trois étapes dans le raisonnement de la Cour: si l'accusé persiste dans son silence lors des deux premières étapes, il devient possible de prononcer une condamnation sur ce fondement lors de la troisième.

a-Le silence confronté aux Ç éléments appelant une explicationÈ

152. On ne reviendra pas ici sur l'exigence de notification du droit de se taire, qui concerne essentiellement la phase d'enquête. Si le droit de se taire était absolu au cours de cette phase, l'accusé va devoir rompre le silence au cours du procès, dès lors que les éléments produits par l'accusation Ç appellent une explication >> ou que les questions soulevées par ces éléments Ç appellent une réponse >>.

Cependant, tous les éléments n'ont pas une force probante égale et n'appellent pas nécessairement une explication144. Le juge n'est donc pas libre d'apprécier la force probante des preuves qui lui sont soumises : il existe, ici aussi, un principe de conventionalité qui régit l'admissibilité des modes de preuves. Le nombre des pièces à charge est un élément d'appréciation, mais aussi la nature des preuves soumises au juge, lorsqu'il s'agit par exemple

145

de preuves médicolégales telles les empreintes de l'accusé sur le lieu de l'infra ction . Par ailleurs, l'hypothèse du défaut d'avocat, lorsque l'accusé a choisi de se taire face au questions des enquêteurs, est Ç l'un des éléments à prendre en considération>> pour évaluer la force probante des autres pièces à charge. Enfin, la Cour ind ique qu'il faut tenir compte du Ç degré de coercition inhérent à la situation >>, mais l'analyse qu'elle en donne

en fait une condition inopérante puisqu'elle se borne à contrôler que le requérant a en vérité pu garder le silence, condition nécessairement satisfaite puisque l'on est dans l'hypothèse oü le droit de se taire a été exercé146.

153. Ces éléments sont suffisamment accablants pour établir la culpabilité du prévenu : ils constituent le commencement de preuve exigé pour en renverser le fardeau. C'est alors à l'accusé de combattre les éléments à charge, de leur «apporter une réponse». Car l'équité

144 Sinon le juge aurait beau jeu de poser à l'accusé les mêmes questions que les enquêteurs, et la violation du droit de ne pas s'autoaccuser aurait simplement été décalée au stade du procès.

145 Arrêt Murray, §40, précité.

146 Cf. arrêt Murray § 48, précité. Il ne peut s'agir de la question de savoir si la notification du droit de se taire constitue une coercition abusive, puisque la Cour traite cette question de facon autonome (cf. supra, n°141).

impose que <<le silence, quand il doit produire des effets, soit soumis à une procédure qui garantisse les droits de la défense >>147.

b-Le silence comme renonciation à sa propre disculpation

154. La «réponse» mentionnée par la Cour est une simple application du principe du contradictoire: une fois la charge de la preuve renversée, c'est à la défense de contredire la force probante des éléments fournis par l'accusation.

A ce stade, l'accusé qui persiste dans son mutisme renonce en quelque sorte à contribuer à sa propre disculpation: le silence est une ligne de défense qu'il adopte à ses risques et périls puisque, par hypothèse l'accusation a déjà rapporté la preuve de sa culpabilité. En effet, il est une autre règle d'administration de la preuve selon laquelle ce qui n'est pas contesté est considéré comme établi148.

155. Dès lors que les éléments produits par l'accusation ont une force probante suffisante (selon l'appréciation de la CourEDH) pour renverser la charge de la preuve, le silence peut faire office d'aveu tacite sans que le juge ne viole la présomption d'innocence. En effet, l'accusé qui refuse de déposer à décharge ne laisse alors subsister que des éléments à charge.

c-Le silence transformé en aveu tacite par une déduction de Ç bon sensÈ

156. En effet, en l'absence de contradiction des éléments produits par l'accusation, les

149

seuls éléments soumis à l'appréciation du juge seront des éléments à charge . La CourEDH peut donc autoriser le juge à conclure, dans une telle hypothèse, <<par un simple raisonnement de bon sens, [que l'accusé] n'avait aucune explication à donner et qu'il était coupable >>150.

147 L.-E. Pettit, Droit au silence, précité.

148 De môme, si l'accusé fournit des explications (mais alors il ne conserve pas le silence) que le juge estime, cette fois-ci discrétionnairement, insuffisantes, alors l'exercice du contradictoire aura été vain et la culpabilité sera établie.

149 On notera que dans l'esprit de la CourEDH, les seuls éléments susceptibles de renverser la charge de la preuve lorsque le requérant conserve le silence sont des preuves accablantes qui ne laissent subsister aucun doute dans l'esprit du juge. L'adage in dubio pro reo dispara»t dans le mécanisme du droit de se taire: ce n'est plus le doute mais la présomption d'innocence qui profite à l'accusé.

150 Cf., par exemple, l'arrôt Condron, § 61, précité.

Une simple déduction logique permet effectivement de parvenir à une décision de condamnation. Le raisonnement de la Cour peut se résumer au schéma suivant: la présomption d'innocence impose à l'accusation de prouver la culpabilité de l'accusé et interdit au juge de déduire cette culpabilité de son silence. Si l'on symbolise par des chiffres les éléments à charge, la règle se traduit par l'équation suivante : 0 (éléments produits par l'accusation) + 0 (silence de l'accusé) = 0 (culpabilité). De même, si l'accusation est parvenue à réunir des éléments suffisamment probants pour renverser la charge de la preuve, on obtient alors l'équation suivante: 1 (élément probant) + 0 (silence persistant) = 1 (culpabilité). Effectivement, dans cette dernière hypothèse, le simple bon sens permet au juge national de rendre une décision de condamnation en conformité avec la présomption d'innocence. Cependant, nonobstant la formulation de la Cour, il serait plus exact de considérer que dans ce cas précis le juge ne tire pas de conclusions défavorables du silence mais des éléments à charge produits par l'accusation. La seule occasion de «tirer des conclusions défavorables du silence», au sens oü le juge déduirait la culpabilité de l'accusé de son seul silence, correspond à l'hypothèse oü l'accusation n'a pas réussi à renverser la charge de la preuve; de telles conclusions sont alors interdites par la présomption d'innocence et les règles classiques d'administration de la preuve.

157. En dernier lieu, il convient de mentionner des difficultés particulières qui surgissent lorsque l'accusé n'est pas jugé par un magistrat professionnel mais par un jury.

3) Les conditions particulières à la procédure de jugement par un jury

158. La Cour décide sur le fond que la «jurisprudence Murray» est transposable au jury. Ce dernier est donc soumis aux mêmes conditions de respect de la présomption d'innocence qu'un magistrat professionnel. Par conséquent, la Cour rejette l'argument du gouvernement dans l'arrêt Condron, qui consistait à soutenir que le jury devrait, certes, être informé des risques d'iniquité encourus en cas de conclusions défavorables tirées du seul silence de l'accusé mais que, souverain, il pourrait malgré tout déduire la culpabilité de ce seul élément.

159. Les particularités de cette institution appellent également des exigences de forme. En effet, le jury ne motive pas ses décisions, ce qui ne met pas la CourEDH en mesure de

contrôler l'impact que le silence a exercé sur les jurés et restreint la faculté de l'accusé de contredire, en appel, sa déclaration de culpabilité 151 . Par conséquent, c'est au juge national qu'il incombe de s'adresser au jury, afin de l'informer que ses membres sont soumis aux mêmes obligations que le magistrat professionnel et que la procédure serait entachée d'iniquité s'ils fondaient leur décision sur le seul choix de l'accusé de conserver le silence. Plus précisément, Çla formule doit refléter l'équilibre que dans son arrêt John Murray la Cour a cherché à ménager entre le droit de garder le silence et les circonstances dans lesquelles des conclusions en défaveur d'un prévenu peuvent être tirées de son silence È152.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo