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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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5) Voir un peu plus loin : l'Empire et Frédéric II

Philippe Mousket vit, on l'a dit, sur la rive droite de l'Escaut, et donc dans l'Empire. Quelle conscience a-t-il pu avoir de cette frontière et plus largement de cette entité politique imposante qu'était alors le Saint Empire de Frédéric II ? Il est difficile de le savoir. La frontière issue du partage de Verdun était floue et depuis longtemps remise en cause par les évolutions locales de la géographie féodale. Mousket lui-même ne perçoit pas le rôle fondateur de cette démarcation puisque, à défaut de citer le traité de 843, il ne fait que mentionner la prise de possession de la France par Charles le Chauve au lendemain de la bataille de Fontenoy (v. 12 506-08) ; selon lui, le royaume était déjà constitué en tant que tel, malgré l'existence d'une mémoire historiographique du partage2. Il affirme bien la juridiction de l'évêque de Tournai sur la rive droite :

Encor lor fist-il confermer Tel cose que ne sai nommer, Et de çà l'Escaut et de là, Tout si com sa puissance ala3.

Ce droit est conféré de surcroît par le roi Chilpéric : l'autorité sur la rive droite relève-t-elle, pour Mousket, de la suzeraineté du roi de France ? On touche ici à l'ambigüité d'un droit féodal qui revendique sa légitimité du passé en gommant les évolutions historiques. D'ailleurs, les nombreuses tentatives d'unification politique et juridique des deux rives de Tournai au cours du XIIIème

1 B. Guenée, Histoire et culture historique..., op. cit., p. 102.

2 J.-M. Moeglin, L'Empire et le Royaume. Entre indifférence et fascination, 1214-1500, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d'Ascq, 2011, p. 17-42.

3 Reiffenberg, op. cit., v. 1152-55.

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siècle, ainsi que les réactions du comte de Hainaut contre ces empiètements prouvent que cette frontière était un enjeu local bien connu. J.-M. Moeglin parle ainsi d' « étonnante mémoire locale de l'emplacement de la frontière »1. Pour désigner l'au-delà de cette limite géographique, Mousket parle habituellement d'Allemagne, le terme d'empire étant réservé à la vieille signification d'imperium, c'est-à-dire l'appellation juridique du pouvoir de commandement. Pour les habitants, les particularismes régionaux sont préférés au terme plus générique d'Alemant : Hainnuier, Avalois (région de Cologne), Sesnes... Quant à l'empereur, Mousket oscille entre roi et emperéour. Il semble donc que l'Empire en tant qu'entité politique soit difficilement conçu par le chroniqueur, et qu'il ait surtout eu la perception d'un certain nombre de peuples plus ou moins rassemblés sous la coupe d'un empereur, dont la prééminence théorique sur les affaires temporelles de la chrétienté n'est clairement pas affirmée.

Le chroniqueur s'est pourtant intéressé à cette partie de l'Occident et l'enjeu politique de l'élection impériale est senti, notamment lors de la succession d'Henri VI et l'imposition par Richard Coeur-de-Lion de son neveu Otton. L'Empire entre alors en jeu dans la perspective de la rivalité dynastique entre les Capétiens et les Plantagenêts, et plus largement de l'alliance croisée avec les Staufen et les Welf qui se joue à Bouvines2. Par la suite, Philippe Mousket relate certains évènements qui ont lieu en terre d'Empire, sans trop s'éloigner de ses environs géographiques : affaires de Hainaut, hérésie de Stade, troubles dans le diocèse de Cologne. Son époque est une période de forts échanges économiques et d'une présence grandissante d'Allemands en Flandre3, sans doute a-t-il pu être informé de quelques incidents survenus plus à l'est. Ses informations restent néanmoins lacunaires voire fantaisistes, soulignant la difficulté pour un historien d'élargir sa zone géographique et la réduction inévitable des représentations de l'autre à quelques stéréotypes. Ainsi la longue explication (v. 20 137-352), dénuée de noms propres et romancée, qu'il donne de l'abandon de l'hérédité pour le choix de l'empereur. Un empereur mourut un jour en Terre sainte, laissant deux enfants derrière lui. Son frère les enlève et les tient prisonniers, tandis que lui-même prend les rênes de l'empire. Les héritiers légitimes décèdent en captivité et les barons combattent l'usurpateur avant de choisir son successeur par élection. Au-delà d'un certain goût pour l'histoire édifiante, Philippe Mousket nous montre aussi la conviction d'une certaine supériorité de l'hérédité sur l'élection, cette dernière résultant d'une usurpation.

1 J.-M. Moeglin, op. cit., p. 23.

2 Ibid., p. 44-51.

3 Ibid., p. 68.

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Le procédé vise donc aussi à décrire l'autre pour mieux affirmer son ascendant culturel et la primauté de son système politique1.

Cette ambigüité, intérêt mêlé de répulsion ou du moins d'irréductible altérité, se retrouve avec Frédéric II. « Stupor mundi », sa présence domine la première moitié du XIIIème siècle. Mousket est un temps séduit par sa figure romanesque et l'appelle de son surnom populaire, « l'enfant de Pulle ». Son couronnement, récompense d'une longue attente, est prétexte à une scène émue :

Ensi, par l'uevre al roi de France

Fu li septres en acordance,

Quar tout li baron qui la èrent

L'enfant de Pulle couronnèrent.

El puing li ont le septre assis,

Ki de fin or estoit massis,

Et la couronne sour le cief

Li orent mise sans mescief.

Et il en a Dieu aouré,

Et s'en a de pitié ploré.

Ensi ot li enfés l'empire,

Ki de fine joie en souspire.

De cuer plorant larmes sans fiel,

A la couronne offierte au ciel,

Et si prist la crois d'outremer,

Pour l'amende mious afermer2.

Remarquons tout de même l'insistance sur le rôle du roi de France dans son avènement, qui traduit la volonté de reléguer l'empereur dans une position subalterne. Mais à mesure que la puissance de Frédéric II s'affermit, le chroniqueur change de ton. Son retard pour se croiser, ses guerres en Lombardie et sa lutte contre le pape en sont les premiers signes. A la toute fin de la chronique, on ne peut qu'être frappé par le contraste avec les débuts du règne. Il est d'abord accusé d'avoir trahi la chrétienté et d'avoir fait venir les Mongols ; il tient aussi prisonnier de nombreux prélats qu'il laisse mourir en captivité, allusion à la prise, en 1241, d'un bateau transportant des évêques afin d'empêcher la réunion d'un concile contre lui. Enfin, et sans doute faut-il y voir la raison de ce changement de ton, c'est clairement la prétention à l'empire universel qui est dénoncée, ambition pesant depuis longtemps déjà sur les

1 Ibid., p. 308.

2 Reiffenberg, op. cit., v. 22 782-98.

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relations entre le roi de France et l'empereur. On sent alors l'animosité de l'Occident contre Frédéric quelques temps avant la tenue du conseil de Lyon1 :

Par le consel l'emperéour, Qui del monde de là entor Voloit iestre par force sire, Et par son avoir et par s'ire, Et, par outrage et par boufoit, N'à clerc n'à lai ne portoit foit, Ainc faisoit partout les desrois2.

Le chroniqueur croit d'ailleurs bon de mentionner, après la relation des querelles entre le pape et l'empereur, la donation de Constantin, affirmant bien la position secondaire de l'empereur :

Emperéor fist d'un haut ome Et tout quan qu'il avoit à Roume, Mais ses om liges en estoit Et quant son sacre prist avoit. Tout ensi douna-on l'empire, Dont l'apostolités empire3.

De l'oeuvre de Philippe Mousket se dégage ainsi une certaine ambivalence à l'égard de l'empire. Voisin, mais déjà trop éloigné pour être exempt des clichés et des fantasmes propres à l'autre, il suscite la méfiance dans ses volontés hégémoniques et le plus souvent l'indifférence tant qu'il ne croise pas la route des Capétiens. Du moins le chroniqueur a-t-il porté son regard au-delà du royaume de France. Plus loin encore, il est cependant un autre horizon qui suscite l'imagination et l'écriture : l'Orient ouvert par les croisades.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry