WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La chronique de Philippe Mousket

( Télécharger le fichier original )
par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

4) Un patriotisme de clocher

Tournai, la ville de Philippe Mousket, est présente tout au long de sa chronique. Il en vante les vertus et la puissance, et se fait l'écho des traditions fabuleuses qui y circulent à propos de ses origines. Elle aurait ainsi été fondée par un chevalier romain du nom de Turnus et revendique, comme beaucoup de villes médiévales, une parenté avec l'Urbs par excellence :

Car Tornais fu d'ancisserie Dame de si grant signorie Que VI vins castiaus que cités, Dame de si grans seurtés, Et fu premiers, ce dist la somme,

Apielée seconde Roume, Qar visée fu et pourtraite

Soentre Rome et si grans faite3.

1 I. P. Bejczy, La lettre du prêtre Jean, une utopie médiévale, Imago, 2001.

2 M. Gosman, op. cit. ; B. Woledge, op. cit.

3 Reiffenberg, op. cit., v. 1018-25.

114

Philippe Mousket va plus loin et n'hésite pas à affirmer qu'il s'en fallu de peu que les Romains ne laissent leur ville pour être manants à Tournai ! Ces traditions, ainsi que l'énumération des destructions successives de la cité, viennent de plusieurs textes latins du XIIème siècle, rédigés dans l'entourage du chapitre cathédral et de l'abbaye Saint-Martin, afin d'obtenir l'autonomie de l'évêché de Tournai couplé depuis le VIème siècle avec le diocèse de Noyon. G. Small a bien montré comment ces revendications ecclésiastiques se sont ensuite diffusées en langue vulgaire afin de flatter la bourgeoisie tournaisienne du XIIIème siècle1.

Ecrire l'histoire et y intégrer Tournai étaient ainsi l'occasion pour Mousket de l'intégrer dans le jeu politique et de vanter sa position. Position singulière de surcroît : on l'a dit, la cité de Tournai est une enclave royale dans les terres du comte de Flandre, mais aussi dans celles du comte de Hainaut et donc dans l'Empire. La Flandre, vassale remuante du roi de France était de plus au contact de l'influence du roi d'Angleterre. Avec une telle imbrication de dépendances et de mouvances, écrire l'histoire des rois de France à Tournai au XIIIème siècle n'était sans doute pas anodin. Selon Mousket, les Tournaisiens avaient fait le choix du Capétien, et il s'agissait de le revendiquer. Cela passait d'abord par légitimer l'autorité de l'évêque, seigneur de la ville et vassal du roi, sur les deux rives de l'Escaut et par affirmer ses prérogatives2. Le chroniqueur était peut-être, à l'instar des autres bourgeois influents de la ville, un membre de la confrérie des Hommes de Sainte-Marie. Cela n'est pas improbable dans la mesure où son frère en faisait lui-même partie en tant qu'échevin. Dépendants directs de l'évêque, les Hommes de Sainte-Marie relayaient son pouvoir aux côtés du chapitre. Il était dès lors normal de justifier l'autorité de leur maître. Au-delà de ces rapports de dépendance proche, on note chez Mousket une insistance sur le lien de vassalité directe qui unit Tournai et le roi de France. C'est déjà le cas sous Chilpéric I, quand la cité sert de refuge au roi contre Sigebert : au VIème siècle déjà, Tournai avait témoigné de sa fidélité au roi légitime contre l'usurpateur. Cela explique sans doute pourquoi Mousket prend le contrepoint d'une tradition historiographique en général plus favorable à Sigebert qu'à son adversaire. Puis c'est ensuite l'épisode déjà cité de la remise des clés de la ville à Philippe Auguste en 11873. A plusieurs reprises encore, le

1 G. Small, « Les origines de la ville de Tournai dans les chroniques légendaires du bas Moyen Âge », Les grands siècles de Tournai (Tournai, Art et Histoire, 7), Tournai, 1993, p. 81-113 ; P.-J. De Grieck,

« L'historiographie à Tournai à la fin du Moyen Âge : le manuscrit-recueil de Mathieu Grenet (1452-1503) et ses sources », Revue belge de philologie et d'histoire, 84/2, 2006, p. 271-306.

2 Voir supra, IV. 7) Ecrire l'histoire, un certain regard sur le temps et le passé, p. 96.

3 Voir supra, II. L'auteur et son contexte, p. 15.

115

chroniqueur signale la présence de troupes tournaisiennes dans l'ost royal, et la ville prend le parti du roi de France et de la comtesse Jeanne contre le faux Baudouin.

Ecrire l'histoire des rois de France, en célébrer les exploits et les vertus, c'était d'abord faire acte de reconnaissance envers celui qui avait protégé la cité et ses intérêts en 1213-14. Par ailleurs, être vassal direct d'un des souverains les plus puissants de la Chrétienté était plus prestigieux qu'être dépendant du comte de Flandre ; il valait mieux de surcroît un suzerain lointain qu'un seigneur trop proche... Enfin, faire le choix du roi de France vers 1240-50, c'était aussi sentir le vent tourner. Après Bouvines, après les troubles causés par la disparition de Baudouin IX puis sa « résurrection » et au vue des querelles de lignages qui agitaient la région, il pouvait sembler évident que le Capétien avait, dans le Nord, remporté la partie.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe