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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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6) Chevalerie et continuité héroïque

Pour finir, il est un dernier aspect de la chronique de Philippe Mousket qu'il ne faut pas négliger et qu'il faut approfondir : le regard porté sur la chevalerie et ses valeurs. Le fait que Philippe Mousket fasse autant appel à la littérature épique et romanesque n'est pas un hasard et résulte de choix culturels, attestant de la proximité au XIIIème siècle entre la noblesse et le patriciat urbain. Pendant longtemps les historiens avaient eu tendance à renvoyer dos à dos ces deux classes, sortes d'idéaltypes dont la cohésion était une illusion formée rétrospectivement, négligeant par là d'importantes affinités et la porosité naturelle des catégories sociales. Mousket appartenait à un de ces lignages de notables urbains qui monopolisaient les charges publiques, côtoyaient la noblesse et se constituaient eux-mêmes un patrimoine foncier dans l'arrière-pays2 . Pour ces bourgeois, bien installés ou en cours d'ascension sociale, les valeurs nées dans les cours du siècle précédent exerçaient une profonde attraction. Dans le courant des XIIIème et XIVème siècles, les tournois interurbains ne furent ainsi pas rares dans le Nord et l'Est du royaume de France.

Il n'est donc pas étonnant que Philippe Mousket affiche tout au long de son oeuvre un fort attachement à un modèle de vie, diffusé dans la littérature, qui était selon lui en voie de disparition. Ecrire l'histoire, faire acte de mémoire des exploits du passé, n'était-ce pas tenter de préserver ce qui à ses yeux n'était plus

1 Ibid., v. 26 589-614.

2 Voir supra II. L'auteur et son contexte, p. 15

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honoré à sa juste valeur ? Et ainsi, naturellement, raconter le présent consistait à y chercher un sens, la continuité des héros de jadis. On a déjà largement insisté sur l'importance de cette continuité dans la chronique de Mousket1. Il faudrait cependant s'attarder un moment sur cette chevalerie dont il collecte les avatars contemporains et qui fait le lien avec le passé. C'était Bouvines, les croisades, mais aussi les combats en Italie, comme à Plaisance vers 1237 :

Tantost, com il les ont percius, Escus et hiaumes ont reçus, Des palefrois ès cevaus montent, Leur escuier lances lor donnent. Qui dame ama ne damoisiele, Son cuer de bien faire en oisiele2.

Bien souvent au cours du récit, Mousket souligne l'importance de l'exploit, de la distinction personnelle dans le combat, de la largesse : autant de valeurs qui se confrontent au besoin d'humilité et de contrition, au caractère négatif de l'orgueil également mis en avant tout au long de la chronique. Cette ambivalence, courante dans une société où le discours englobant de l'Eglise s'oppose, censure, mais aussi s'adapte à une éthique et des pratiques plus profanes, se retrouve à l'égard des tournois. Interdites par l'Eglise depuis 1139, ces « détestables foires » restent un des points de discussion et de confrontation entre le discours clérical et laïc. Célébrations de la vanité et de la gloire mondaine, les tournois continuent cependant à se tenir quasiment sans encombre, face à un clergé qui se contente bien souvent de les condamner par principe. Dans la parole de Mousket, on décèle cette schizophrénie. Henri le Jeune, ou après lui Florent de Hollande sont loués pour avoir tournoyés avec noblesse et maintenus « largaice et proèce » ; mais parfois le chroniqueur est gêné, comme quand il évoque le tournoi de Nuiss. Condamnés par les frères mendiants, les chevaliers y participent malgré tout et sont dévorés par des loups, ce que le chroniqueur déclare être « venjance de Dieu » (v. 30 690).

C'est l'occasion d'insister une dernière fois sur la parole des frères mineurs et prêcheurs, dont on vient encore de constater l'influence. Ne faut-il pas y voir, ainsi que plus largement dans tout l'élan donné à la prédication au XIIIème siècle, une des raisons d'écriture de Philippe Mousket ? S'il était d'usage depuis longtemps que l'historien relie le passé à ses temps contemporains, on a

1 Voir supra, IV. 7) Ecrire l'histoire, un certain regard sur le temps et le passé, p. 96.

2 Reiffenberg, op. cit., v. 30 087-92.

vu l'importance nouvelle du témoignage, « l'irruption de l'actualité »1 dans l'écriture, diffusée par le biais, entre autres, des méthodes modernes de prédication. La place donnée au roi de France, soutenu dans son action par les Ordres mendiants, à la lutte contre l'hérésie, à l'édification et à l'enseignement dans la chronique de Philippe Mousket doit sans doute beaucoup à cette « parole nouvelle ». Pour écrire l'histoire, il aura mêlé à cette influence les codes et les valeurs de la littérature courtoise, donnant au présent toute sa dignité nouvelle et le liant dans une continuité de sens avec un passé toujours prestigieux et préservé. En somme, c'était toutes les forces du discours vernaculaire qui se retrouvaient dans la Chronique rimée.

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1 M. Bourrin-Derruau, op. cit., p. 26.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry