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Syrie: d'une révolte populaire à  un conflit armé

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par Sophia El Horri
Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012
  

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II.3. Les régions, villes et quartiers de la révolte

D'un point de vue économique, la Syrie est au bord du gouffre et de la rupture sociale. Depuis plusieurs années, la Syrie est confrontée à des difficultés économiques et sociales majeures : chômage endémique, hausse vertigineuse du coût de la vie et afflux de réfugiés irakiens qui viennent grossir les rangs palestiniens déjà présents dans le pays. Le chômage touche 25% de la population (23 millions d'habitants) dont beaucoup de jeunes (75% de chômeurs ont entre 14 et 24 ans) 71. En effet, 60% de la population a moins de 20 ans. Les réfugiés palestiniens (435 000) et surtout, irakiens (1,2 million) ainsi que les 305 000 personnes déplacées du plateau du Golan depuis 1967, grèvent lourdement l'économie du pays.

Les fonctionnaires, dont les échelons sont bas, sont souvent obligés d'avoir un deuxième emploi dans le privé pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. En effet, si les magasins luxueux de style occidental se développent, ils restent hors de prix pour la population. L'inflation officielle est de 5,5% mais en réalité elle avoisinerait les 25%. En conséquence un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 10%, soit deux millions, n'ont plus les moyens de subvenir à leurs besoins alimentaires. A Damas, par

70 http://www.aufaitmaroc.com/actualites/monde/2012/5/27/le-regime-nie-toute-implication-sur-fond-de-tolle-international_176069.html

71 http://data.un.org/Data.aspx?q=Syria&d=GenderStat&f=inID%3a121%3bcrID%3a131

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exemple, les loyers ont augmenté de 300% en 2007 ; de nombreux fruits et légumes ont vu leur prix doubler. Cette augmentation générale des prix s'est surtout accentuée en 2009 et 2010 avec une inflation de plus de 10% pour les produits de première nécessité.

La sociologie des révoltés révèle que ce sont surtout les classes populaires qui entretiennent la révolte. Depuis plus d'une décennie, la Syrie se trouve dans une phase de transition économique. Le régime est forcé de libéraliser son économie pour répondre à la demande des entrepreneurs syriens sur lesquels il souhaite s'appuyer, mais également pour répondre aux centaines de milliers de syriens qui arrivent chaque année sur le marché du travail et auxquels l'État ne peut plus assurer de travail comme sous Hafez El Assad. D'un point de vue démographique, la Syrie traverse une phase de transition démographique critique. Après un demi-siècle de croissance naturelle galopante qui avait permis à la population de doubler tous les 20 ans, la natalité s'est enfin ralentie au milieu des années 1990.

La pyramide des âges de la Syrie est typique d'une pyramide des pays en voie de développement. La forme de la pyramide est en en parasol: elle traduit un grand nombre de jeunes dans la population; la forme effilée vers le sommet indique une faible proportion de personnes âgées.

Depuis l'arrivée au pouvoir de Bachar El Assad, la Syrie s'est ouverte aux investissements étrangers. Les sociétés immobilières du Qatar et des Émirats Arabes Unis

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sont largement investi dans des projets immobiliers à Damas et sur la côte, mais cela a créé relativement peu d'emplois et engendré beaucoup de frustrations relatives. La libéralisation forcée depuis les années 2000 a creusé les écarts de revenus au sein de la société. Elle génère une croissance économique captée par une minorité, mais n'engendre pas de développement comme dans les pays émergents. L'inefficacité de ces réformes et la lenteur de ce processus sont imputés à la crainte de l'explosion sociale et l'omniprésence d'une oligarchie dirigiste insérée partout, dans tous les organes de l'Etat, qui voient d'un mauvais oeil quoi que ce soit qui les dépossèderait de leur pouvoir.

Cette nouvelle donne économique remet en cause l'organisation socio-spaciale héritée de la période baathiste qui se voulait plus égalitaire en favorisant les nouveaux personnels politiques alaouites vivant en périphéries. En ce qui concerne la génération Bachar (depuis 2000, près de 6% d'accroissement naturel), l'État n'a plus les moyens financiers de financer la politique d'aménagement du territoire. Dans le cas syrien, l'aménagement de

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zones urbaines constituait aussi une politique sécuritaire : le IXème plan qui prévoyait le développement du Nord-Est (le croissant fertile) syrien à la suite de la révolte kurde de 2004 ne s'est jamais matérialisé sur le terrain.

L'État, qui sous Hafiz El Assad, était hégémonique sur le territoire, disparaît peu à peu. Sur la carte ci-dessus, les villes qui se soulèvent le plus sont des villes considérées en marge du développement (cf légende) et dans la capitale, Damas, seuls les faubourgs populaires ou informels du sud et du nord-est se révoltent.

En Syrie, les inégalités sociales et les déséquilibres macroéconomiques sont flagrants. Carole Donati 72raconte à quel point le coeur de Damas en face de la mosquée Suleymanié, point de départ du pèlerinage pour la Mecque à l'époque ottomane, s'est transformé en un temple de marques et de luxe. La modernisation a pris des accents des villes du Golfe ou du Liban voisin. Or, le pays est au bord du déficit énergétique et de la rupture sociale à la fin des années 2000.

L'économie syrienne dépend fortement du secteur des hydrocarbures et, malgré de récents signes de résistance, elle se trouve toujours dans un état d'équilibre précaire en raison de défiances structurelles importantes. L'évolution favorable des cours du pétrole au niveau international, l'existence de réserves de change confortables et une dette intérieure et extérieure gérable ont jusqu'ici atténué le sentiment d'urgence de la situation, en préservant un certain degré de stabilité macro-économique. Toutefois, l'amenuisement inéluctable des réserves nationales en pétroles ne laisse guère de place à l'autosatisfaction ; les cours mondiaux du pétrole élevés ont une forte répercussion négative sur le pays, car la Syrie est condamnée à devenir un importateur net d'énergie. Le pays doit promouvoir un nouveau modèle économique basé sur le développement économique en augmentant les recettes fiscales hors hydrocarbure. Et pour atteindre cet objectif, l'Etat doit développer son secteur privé, tout en réalisant une assez bonne croissance pour employer une offre de travail toujours plus grande et pour améliorer progressivement les niveaux de vie.

D'après le PNUD, la tranche de la population qualifiée de pauvre (à savoir en dessous de deux dollars par jour) a baissé de 14,3% en 1996-1997 à 11,4% en 2003-2004, mais la croissance économique de la Syrie n'a pas favorisé les pauvres et a accru les inégalités. Le coefficient de Gini est passé de 0,32 en 1997 à 0,37 en 2004. En 2003-2004, les

72 Carole Donati, L'exception syrienne, oc. pit. P. 264.

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20% les plus pauvres n'ont absorbé que 7% des dépenses, alors que les 20% les plus riches en ont absorbé 45%. Ainsi, la réforme doit être profonde et est devenue un impératif stratégique pour la Syrie. Mais ces difficultés ne peuvent se résoudre que par l'amorce d'une démocratisation. Celle-ci passerait nécessairement par le démantèlement du système basé sur les privilèges et le clientélisme mais il semble que le régime baathiste soit dans l'impasse.

Ainsi, nous l'avons compris, les causes économiques et sociales caractérisent les villes de la révolte. Le clientélisme, la libéralisation prédatrice et le creusement des inégalités expliquent la révolte. Le mode de résistance civile, lui, est appuyé sur les modèles révolutionnaires serbe et tunisien.

En outre, la spatialisation de la répression en Syrie montre que la violence sécuritaire est loin de s'abattre conformément à l'ordre dans lequel les villes sont entrées dans la contestation. Y a-t-il une logique, un ordre de priorité ? Il semble que oui, car la première priorité du régime a été de contrôler ses frontières. A Deraa, ville proche de la frontière jordanienne, les opposants utilisaient le réseau de téléphonie jordanien pour communiquer. A la présidence et aux renseignements, on craint un complot de l'étranger. Le pouvoir craignait que Deraa ne se place dans le sillage de Benghazi ou Misrata en Libye et ne décide de libérer la Syrie entière avec l'appui d'une intervention étrangère, comme dans le scénario libyen. De même, en juin-juillet 2011, les autres villes à se révolter se situent presque toutes à proximité de frontières : comme Deïr Az Zor près de la frontière irakienne, alors que les troupes américaines sont encore présentes dans la partie sunnite de l'Irak.. Les villes centrales comme Homs et Hama n'attiraient pas encore l'attention.

D'un autre côté, l'opposition s'est militarisée. L'automne 2011 marque une montée de la violence dans la répression, l'Etat se concentrant sur les villes contestataires de l'intérieur. Quelques éléments lient les villes où la révolte a été la plus forte : ce sont tous des territoires arabes sunnites et pauvres. La région de Deraa est une région en déclin économique avec des problèmes économiques endémiques face à la difficulté majeure de l'explosion démographique qui aggrave la pauvreté.

Si l'on en croit la carte p. 43, Deraa, première ville de la révolte, serait en marge du développement économique lié à la transition démographique et libérale que traverse la Syrie. Les domaines économique et politique étant liés en Syrie, on pourrait supposer que son isolement économique est volontaire et pourrait avoir des causes politiques. Mais la ville de

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Deraa sur le plateau du Hauran a souvent été qualifiée à tort de rebelle par les médias qui couvraient le début de la révolte en Syrie ou par les rapports d'observateurs qui pullulent d'idées reçues et de représentations :

« Deraa (au sud du pays, à quatre kilomètres de la frontière jordanienne sur la route qui mène à Amman et en Arabie saoudite) a toujours eu la réputation d'être la ville d'une double contestation orientée contre la suprématie du Baas et la minorité alaouite au pouvoir s'appuyant sur les régions et clientèles rurales »73

On ne préviendra jamais assez du danger que peuvent constituer des discours commencent par « De tout temps, X a été Y ». En effet, la ville de Deraa comptait parmi les fiefs de soutien de la politique agraire baathiste. La réforme agraire a consisté à redistribuer de manière plus équitable des terres aux paysans et à briser les chaines de dépendance qui octroyaient encore plus de pouvoir aux grands propriétaires terriens. Le niveau de vie des paysans du Hauran s'améliora nettement ; de nombreux villages furent promus au rang de villes grâce aux investissements publics et la ville de Deraa, d'envergure plutôt petite, devint un centre régional de services, alors qu'elle était quelques années auparavant reléguée au statut de bourgade frontière. La population s'est accrue rapidement en raison d'un fort taux de natalité, passant de 180 000 habitants en 1960 à 900 000 en 2010.

D'après Fabrice Balanche74, l'arrivée de Bachar El Assad au pouvoir en Syrie coïncide avec l'arrivée à l'âge adulte de la troisième génération de bénéficiaires de la réforme agraire. Les exploitations agricoles, plusieurs fois divisées, sont désormais insuffisantes pour nourrir la famille, malgré des innovations et progrès techniques. En même temps, le ministère d'Agriculture se lance dans une guerre contre la surexploitation des nappes phréatiques et interdit les puits illégaux. Ces mesures engendrent les principales causes de mécontentement car elle prive les paysans habitants de ces régions rurales de leur principale source de revenus et font naître des frustrations car les nouvelles mesures ne s'appliquent pas avec la même fermeté partout. En effet, selon Fabrice Balanche, l'Etat syrien n'est pas un Etat nation et encore moins une Etat territoire mais un Etat-territoires. Le renvoi du gouverneur à Hama ou à Deraa dénote l'absence de canal institutionnel par des assemblées élues car le dialogue se construit partout entre pouvoir central et les notables locaux. L'affaire des enfants de Deraa, dont nous parlions au début de cette deuxième partie, montre également à quel point les

73 http://www.cf2r.org/images/stories/RR/rr11-syrie-une-libanisation-fabriquee.pdf , partie « foyer de la contestation »

74 Fabrice Balanche « Géographie de la révolte syrienne », Outre-Terre 3/2011 (n° 29), p. 437-458.

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ennemis ciblés par la révolte sont les représentants du régime les plus proches des sociétés locales : « désormais la priorité va au capital territorial pour tenter de rétablir l'ordre75 ».

Les populations du Hauran, comme le reste de la campagne syrienne, ont vu leur niveau de vie s'améliorer après la réforme agraire conduite par Hafez El Assad, ce qui les porta à être des soutiens du régime. Mais la situation des régions agricoles autrefois « choyées » par les services et investissements publics s'est détériorée; au Nord Est de la Syrie, certaines mesures comme la modernisation des techniques d'irrigation n'ont rien résolu au problème de la gestion des ressources qui exige des investissements publics massifs elles ont favorisé les grands propriétaires et ont entrainé une destruction massive d'emplois. Quant au Sud, « la situation du Hauran contraste avec sa prospérité dans les années 1970 et 1980 et elle est comparable à celle des autres zones rurales autrefois favorisées par le régime baathiste et depuis négligées », écrit Fabrice Balanche. La plaine du Ghab est aujourd'hui dans une situation critique car le débit de l'Oronte a été fortement réduit en raison des prélèvements massifs en amont à Homs et Hama. Au Nord Est encore, les prélèvements d'eau en Turquie et la surconsommation syrienne créent un déficit structurel accentué depuis 2006 par plusieurs années de sécheresse. La superficie des zones cultivées dans la province de Hassakeh s'est réduite de 25% entre 1995 et 200876.

Enfin si l'on prend en compte ces derniers éclairages et le fait que la révolte se soit surtout concentrée en milieu urbain, on peut en conclure que les campagnes, traditionnellement fidèles au régime, ne se sont pas retournées contre lui. La misère rurale a simplement été transportée en ville où les ruraux tentent de trouver du travail. Le nombre de « mantiqa », départements, a augmenté, autant que la population des agglomérations qui les composent, sans que celles-ci ne voient leur statut administratif changer. Cela a entrainé un sous-équipement au niveau des services publics, et une insuffisance des activités privées pour compenser ce « déficit » public. L'État s'est concentré sur les métropoles régionales, autrement dit sur l'axe Damas-Alep, et à moindre mesure au Nord-ouest entre Tartous et Lattaquié, périphérie soutenue par le régime, et qui constitue un relais technique du premier.

Il existe bien en Syrie une opposition centre/périphérie qui se vérifie non seulement au plan national comme je viens de le montrer mais aussi au niveau des villes. Cette opposition reflète une fragmentation spatiale entre quartiers populaires et « beaux

75 Fabrice Balanche « Géographie de la révolte syrienne », Outre-Terre 3/2011 (n° 29), p. 437-458.

76 http://infos-eau.blogspot.com.es/2010/02/syrie-lexode-de-la-secheresse.html.

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quartiers ». A Lattaquié, c'est le quartier le plus pauvre qui s'est soulevé en premier : le Ramel Falestini », d'abord fondé par les réfugiés palestiniens, c'est désormais les Syriens pauvres qui l'occupent. Les manifestations à Damas ont surtout concerné la « ceinture de misère » damascène au Sud-Ouest et au Nord Est. A Homs, ce n'est pas le quartier résidentiel « Zahra » qui s'est soulevé mais bien Khaldiyeh et Bab Amro. Cette carte représente le nombre de morts cumulés par ville depuis le début de la révolte syrienne en mars 2011. Le conflit a été sanglant, l'ONU estimerait à plus de dix milles le nombre de personnes mortes, sans parler du nombre encore plus considérable de disparus.

(c)d'après The Guardian, 14/04/2012

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore