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Syrie: d'une révolte populaire à  un conflit armé

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par Sophia El Horri
Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012
  

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III.1. Nature de la guerre et type de révolte en Syrie depuis 2011

La contestation en Syrie ne proviendrait pas de multiples secteurs de la société, que le régime aurait écarté par des clivages qui satisfont le pouvoir en place. Le pouvoir syrien se préparait par la cooptation, la répression, l'usure et la peur à faire face à des parts très sectorisées de la société : ils prennent la forme de mouvements radicaux armés comme les Frères musulmans dans les années 1980, ou de revendications communautaires, à l'image des kurdes en 2004 ou d'autres mouvements politiques. Or, le pouvoir syrien est confronté depuis le mois de mars 2011 à une contestation plus massive et moins sectorialisée. Dans ce cas de

90 http://www.facebook.com/syrianarmyfree1

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figure, écrit Philippe Droz Vincent91, « les vieilles recettes ne font plus effet--comme des mesures populistes, un changement de premier ministre ou l'invocation du complot extérieur--, ni les promesses de « réformes » ». Dans cette partie, nous nous intéresserons au caractère autoritaire du régime, non pas sur quelles représentations ou sur quels territoires il s'appuie mais comment se fait l'encadrement de la population. Cette partie sera aussi l'occasion de nous demander dans quelle mesure la situation en Syrie bascule vers la guerre civile, et comment, pour sa survie, le régime est amené à résister « muqawama 92» à son propre peuple. Le peuple syrien, comprenant que le régime s'est mêlé jusqu'à la moelle à l'Etat, combat les deux : la formation politico-gouvernementale baathiste et l'appareil étatique, ses industries, son agriculture et sa défense.

La survie du régime est, comme nous l'avons dis à diverses reprises, dépendante de sa capacité à discipliner les déséquilibres instables. Nous verrons d'abord comment le régime referme sa main de fer sur l'Etat, et comment le Assadisme a finalement fini par l'emporter, au delà même du clientélisme alaouite. Ensuite, nous tenterons de comprendre pourquoi à la différence des révoltes islamiste et kurde, la contestation syrienne mobilise une opposition non sectorisée. Devant cette masse « difforme », le régime ne peut appliquer ses méthodes contre les oubliés du système : kurdes seulement ou islamistes ou gauchistes. Il combat alors son peuple.

La présidence syrienne est devenue héréditaire à la mort de Hafez el Assad. Voici un extrait de l'article "État et Pouvoir" paru dans La Syrie au présent, reflets d'une société93 édité par Actes Sud, et écrit par Burhan Ghalioun, président du Conseil National Syrien, créé le 1er octobre à Istanbul. L'auteur est un opposant de longue date au régime des Al-Assad. Cet extrait explique l'ensemble des prérogatives du président et le pouvoir absolu que détient le président de la République arabe de Syrie. Il donne les premiers éléments explicatifs structurels à ces révoltes : l'autocratisme du régime présidentiel.

"Le Chef de l'État est secrétaire général du Parti et Commandant suprême des forces armées. Il désigne le (ou les) vice(s) président(s) de la République, le Président et les vices présidents du conseil des ministres et les membres du gouvernement. Il est chef du Front

91 Philippe Droz-Vincent - Le régime syrien... - CERI/Alternatives Internationales - avril 2011 http://www.ceri-sciences-po.org

92 résistance en arabe, très connoté dans la langue et l'imaginaire, la résistance du peuple palestinien, ou encore la « résistance » prônée par la Syrie pendant la difficile des années 2000.

93 Sous la direction de Baudouin Dupret, Zouhair Ghazzal, Youssef Courbage et Mohammed Al-Dbiyat, La Syrie au présent, Reflets d'une société, éditions Sindbad Actes Sud, 2007.

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National Progressiste, président du haut conseil de la justice et gouverneur de l'état d'urgence dont la proclamation est l'une de ses prérogatives.

Le cabinet ministériel est, collectivement et individuellement, responsable directement devant le Président qui n'est responsable devant aucune instance et à qui incombe la responsabilité de définir la politique du gouvernement et d'orienter son action. Le Président ne peut être démis de ses fonctions que pour haute trahison et à la demande signée d'un tiers des membres de l'assemblée du peuple, appuyée par les deux tiers des députés et votée dans une session spéciale et secrète. Il ne peut être traduit en justice que par la haute cour constitutionnelle dont il est le Président".

Ce qu'on retient de cette organisation du pouvoir, c'est la fusion de tous les champs entre les mains de très peu d'hommes, portant tous la marque du clan Assad.

Dans les semaines qui suivent son « intronisation », Bachar el Assad tente d'abord de confirmer ses appuis au sein du Baath et des principaux clans familiaux du pays. Si, en théorie, le président détient tous les pouvoirs, à l'instar de son père Hafez, il n'exerçait pas seul son autorité. C'est pourquoi il renouvelle presque tous les postes d'administration pour s'entourer de gens de confiance. Les conseillers de Bachar ne sont pas des décideurs formés dans l'armée, mais plutôt des consultants qui apportent des idées. A mesure qu'il s'impose, ses décisions deviennent arbitraires94. La nouvelle fournée de proches du président influencent sur le projet politique, économique ou l'intérêt national. Aussi la libéralisation de l'économie était-elle un projet du tout puissant Rami Makhlouf. La prévalence des intérêts privés du clan Assad exacerbe les tensions au sein du pouvoir et plus largement du régime. Le contexte international fait éclater des tensions parmi les clans puissants, et le régime, les proches du président, n'acceptent plus aucune opposition. A titre d'exemple, après son interrogatoire par l'enquête des Nations Unies sur l'assassinat de Rafic Hariri, Ghazi Kan'an, chef des services de renseignements syriens au Liban de 1982 à 2002 et ministre de l'intérieur, a été retrouvé mort dans son bureau le 12 octobre 2005.

Le repli sur le clan Assad délite les relations de clientélisme entre le pouvoir et les alaouites. Bachar El Assad met une distance entre lui et sa ville d'origine Qardaha. Les notables locaux protestent contre la libéralisation et le creusement d'inégalités entre affairistes proches du clan Assad et le reste de la Syrie. Les risques d'affrontements inter-alaouites

94 Renvoi de Nibras Fadel en 2004, conseiller de Bachar et ancien camarade de classe de Bouchra El Assad, soeur du prédisent.

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n'étaient pas inexistants et menaçaient de déchirer la montagne alaouite après la mort de G. Kan'an. Les alaouites sont comme les autres syriens ; à partir des années 2000, ils sont au même titre des « victimes du régime, et ne sont en aucun cas à sa tête95».

Mais alors qui gouverne la Syrie ? Les moukhabarat, répondront des syriens. Toutes les démarches administratives, comme obtenir une patente, organiser un mariage96, s'inscrire à l'université, sont autant de ressources pour les services de renseignements. Ils monnaient comme nous avions dit auparavant leurs autorisations et sont devenus omniprésents. Les baathistes, bien que paraissant en perte de vitesse dans la « Nouvelle Syrie » qui se construit pendant les années 2000, détiennent les postes les plus avantageux financièrement, bien plus que les affairistes, selon Carole Donati. Quant au président, il ne peut gouverner sans le parti, mais il tente de le bâillonner pour être à son image, une coquille vide qui le conseille sur les grandes orientations politiques. Elle n'a plus son pouvoir de gestion des affaires courantes.

On voit de plus en plus se dessiner un portrait politique de la Syrie sous Bachar el Assad, marqué par la personnalisation du pouvoir, la « sultanisation » du régime d'après Carole Donati. La mort de Rafic Hariri le 14 février 2005 au Liban constitue un séisme isolationniste qui ébranle la politique intérieure. Mais le président désigne de nouvelles fournées plus loyales aux postes clés : le régime n'est plus, en quelque sorte, ni baathiste, puisqu'il est vidé de son essence idéologique et politique, ni alaouite.

On comprend mieux à ce niveau de la démonstration la particularité de la révolte syrienne depuis 2011 par rapport aux autres mobilisations identitaires qui ont secoué la Syrie. Les mécontents ne sont pas seulement kurdes, islamistes, alaouites ou druzes, ils sont au delà de ces cases. Au départ de la révolte, on a précisé que l'un des protagonistes les plus cités dans les slogans de Deraa était Rami Makhlouf, le « roi de Damas », plus fort que Bachar, le lion lui même. C'est donc l'accaparement avide des richesses étatiques, l'absence totale de société civile et le gavage financier de l'oligarchie qui produit des mécontentements partout pour différentes raisons.

La révolte Syrienne n'est pas qu'une répétition du scénario de Hama en 1982. D'abord car en 2011 cette révolte s'est étendue dans le territoire. Les villes frontalières Deraa,

95 Jean Pierre Filiu, professeur à Sciences po Paris, chercheur au CERI, conférence 20/03/2012 CERI- PSIA Sciences Po, Paris.

96 Ahmad Abbas, conférence Lyon ATTAC-Collectif des Syriens de Lyon, conf. introduction de partie.

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Baniyas se sont soulevée et ont très vite été réprimées du fait de leur positionnement géopolitique. D'autres villes ont pris le pas dont Hama, Homs et la tension devient électrique dans les quartiers périphériques damascènes. La révolte ne s'est pas allumée et éteinte à Hama, elle est apparue dans de nouveaux spots, éveillant l'inquiétude du régime lorsque les zones qui se révoltent sont proches de pays hostiles, comme Deïr Az Zor avec l'Irak, Jisr Al choghour avec la Turquie, Homs avec le Liban ou encore Deraa avec la Jordanie. Ensuite, la révolte syrienne n'est pas une bis repetita de Hama en 1982 car l'appareil étatique et sécuritaire a contrôlé les dérives identitaires et religieuses dans le pays, après les années 1980. Les oulémas, cheikhs étaient contrôlés, bien que certains aient rejoint l'opposition. De plus, le nationalisme islamique des islamistes modérés, autorisé en Syrie, n'est absolument pas contradictoire avec le nationalisme arabe. Afin de canaliser la demande d'islam d'une population née majoritairement sunnite et de contrer toute résurgence de l'islam politique après les violences des années 1972-1982, le régime baathiste a accompagné l'affirmation d'un islam quiétiste désintéressé de la sphère politique, et prônant la coexistence avec les minorités.

La révolte syrienne n'est pas non plus une insurrection identitaire. Nous prendrons ici l'exemple des tensions séparatistes de la minorité kurde. Quelques 10 000 kurdes manifestèrent le 21 mai 2005 dans la localité de Qamichli pour réclamer la vérité sur le sort du cheikh Mohammed Machouk Khaznawi, un leader religieux charismatique dont la disparition, en 2005, imputée au régime avait provoqué de violentes manifestations. A Alep, les kurdes défient les forces de l'ordre dans la traditionnelle marche organisée pour le Norouz, le nouvel an kurde. Brandissant des portraits de Bachar el Assad, et très encadrée par les partis kurdes, les slogans appellent à la création d'un Kurdistan libre et indépendant. Les kurdes en Syrie n'on pas le statut de citoyen ; ils ne l'ont obtenu qu'après le début de la révolte en 2011. Au sein du Conseil National Syrien, l'idée générale est de construire une république arabe unie. En 2004, des affrontements entre supporters arabes et kurdes ont abouti à de violentes répressions contre les kurdes, provoquant des émeutes et des échauffourées dans les enclaves kurdes de la Syrie. En Syrie, les kurdes ne sont pas considérés comme une minorité ethnique en dépit de leur importance numérique, soit près d'un million et demi de personnes en 2004, 8,1%97 de la population.

97 Youssef Courbage La population de la Syrie, in La Syrie au présent : reflets d'une société, loc. cit., p 189.

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L'exclusion des kurdes est devenue un principe de la doctrine nationaliste arabe de l'Etat. ). En matière de répression, la révolte syrienne, autant que la révolte islamiste et kurde ont été heurtées à une répression sans pitié. La répression continue nourrit la radicalisation d'une jeunesse qui échappe aux formations politiques, qu'elles soient kurdes ou arabes sunnites. Le recours à la violence sacrificielle par l'immolation, ou le combat pour la cause, est un indicateur de la radicalisation de ces mouvements de contestation. Cependant, dans les manifestations kurdes, les moyens militaires déployés ont été moindres que dans Homs ou Hama, en 2011/2012 pour se gagner l'aval des minorités. En somme, il existe des points communs car les trois révoltes ont exprimé un désarroi social cependant, la différence est que dans les révoltes à Hama ou à Qamechli, les modalités et moyens étaient communautaires et identitaires.

Le régime syrien excelle à démontrer à l'opinion publique intérieure comme à la communauté internationale qu'il est indispensable aux équilibres régionaux. Les sunnites, qui représentent, arabes et kurdes réunis, entre 75 et 80% de la population, sont devenus les épouvantails utiles dans une tentative de rassemblement des minorités. Bien que les défenseurs de cette thèse se multiplient dans les médias dits alternatifs sur la question syrienne, on peut leur objecter que tout en affirmant protéger les minorités, le régime syrien n'éprouve aucune gêne à sévir contre ces minorités. Le principal mouvement assyrien, l'Organisation Démocratique Assyrienne (ODA) compte parmi ses membres une longue liste de prisonniers politiques et de « martyrs »98, tout en réclamant justement cette protection de leur minorité. Ce n'est pas parce que Bachar el Assad s'affiche avec des dignitaires religieux qui représentent la mosaïque religieuse en Syrie, mais les cooptations et le clientélisme régissent aussi les nominations des hauts représentants religieux. Le terrain religieux est particulièrement surveillé et contrôlé. Le fonctionnement du régime est résumé par Fabrice Balanche : « On vous pousse à la faute pour ensuite pouvoir vous tenir99 ».

Dans un régime autoritaire comme la Syrie et dans le contexte des printemps arabes, la contestation a joué la carte de l'occupation de l'espace public et de la résistance civile. Le régime syrien, autoproclamé comme seul garant de la stabilité, a déployé tant ses forces policières que ses multiples services de sécurité. Ces Mukhabarat, dont nous avions déjà parlé dans ce mémoire, constituent une vaste nébuleuse dont l'objectif premier est

98 http://syrie.blog.lemonde.fr/2011/08/22/le-regime-syrien-ne-protege-pas-les-minorites-mais-les-utilise-pour-se-proteger/

99 Fabrice Balanche, émission radio « Planète Terre », par Sylvain Kahn. 18 avril 2012.

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d'imposer une certaine discipline dans l'espace public. Ils contribuent à écraser les hommes les uns contre les autres et à construire un mur de la terreur qui les séparerait de toute attitude de questionnement. Ces mukhabarat peuvent revêtir de multiples formes : en civil, en uniformes, ou en protections anti-émeutes. La terreur est selon Hanna Arendt100 « l'essence de la domination totalitaire » ; le régime syrien n'est pas totalitaire au sens des régimes soviétique ou nazi, même si les libertés et l'individu sont écrasés en Syrie, il semble que la sphère privée soit épargnée101. Cependant, il traque toute opposition dans la sphère publique, y compris numérique (Réseaux sociaux, adresses électroniques et moteurs de recherche).

Le futur de ce mouvement de contestation est imputé au rôle clé de l'armée régulière. Les débordements de manifestations massives ont montré l'importance capitale de l'arbitrage de l'armée. Ainsi, en Tunisie, elle refuse de tirer, à Bahreïn, elle a participé et en Libye, elle a implosé. Cependant, en Syrie, l'armée et le pouvoir politique sont inter-mêlés : le commandement opérationnel de l'armée est fortement encadrée par les logiques du régime. Celles ci comprennent entre autres le recrutement parmi la communauté alaouite ou l'allégeance au président. L'armée syrienne régulière est, du fait de la démographie syrienne, majoritairement sunnite : selon Philippe Droz-Vincent, « trois commandants de division sur dix semblent originaires de Deraa, cet effet démographique étant moindre pour les forces spéciales recrutées sur une base confessionnelle »102. Cette armée est donc, du fait de son caractère politique, soumise aux tensions communautaires et politiques. Elle s'est fissurée partiellement et a donné lieu à un organe antagoniste parallèle, dans le même territoire national, l'Armée Syrienne Libre. Philippe Droz-Vincent ajoute : « Plus structurellement, un régime autoritaire est une pyramide d'intérêts variés et il perdure tant qu'il a une capacité à donner sens à des équilibres instables ». Avec une organisation pyramidale calquée sur celle de l'administration civile, le régime, par le biais du Baath, mime la bureaucratie de l'Etat et joue le rôle d'un gouvernement non dit. Le régime a pénétré par forces de cooptation et de clientélisme jusqu'aux mohafazat, les représentants du pouvoir central, secrétaire du Parti et mohafez « se contrôlent mutuellement et oeuvrent eux-mêmes sous la surveillance étroite du responsable des services de renseignement, troisième personnage clef local103 ». Le régime, au travers du Parti Baas vidé de tout son contenu idéologique, exécute et attribue les

100 Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, Le système totalitaire, Paris, Editions de Minuit, 1972, p.210 et 212

101 Philippe Droz-Vincent, Le régime syrien face à son propre peuple, article publié par Sciences po et le CERT-CNRS, http://www.ceri-sciences-po.org/archive/2011/avril/chro_pdv.pdf

102Philippe Droz-Vincent, Le régime syrien face à son propre peuple, http://www.ceri-sciences-po.org/archive/2011/avril/chro_pdv.pdf

103 Carole Donati, l'exception syrienne, Ed. La Découverte, 2007. oc.pit p. 75.

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nominations, mutations et postes en l'échange de services loyaux. Voilà comment le régime acquiert sa stabilité : il discipline tous les pans de la société, contrôle tous les secteurs, et monnaie la loyauté en accordant de grands projets, ou en distribuant à prix bradés des entreprises d'Etat. En effet, la privatisation des entreprises d'Etat a profité aux proches du régime, ce qui a assuré le pillage visible en défi avec toute rationalité économique et le creusement monstre des inégalités.

A plusieurs reprises104, le régime syrien s'est vu demander de faire cesser la violence de la répression en Syrie. En mars 2012, le plan Koffi Annan pour l'arrêt de la violence en Syrie fut accepté et la prévision d'un cessez-le-feu était la première étape d'un dialogue. Mais chaque jour, la trêve est violée à travers tout le pays. La présence des observateurs de l'ONU n'y change rien, à Deraa ou à Erbine, les troupes ont pris la ville d'assaut, arrêtent et perquisitionnent. Selon l'opposition syrienne, 25 000 personnes sont toujours incarcérées par le régime. A un premier niveau d'analyse, la répression exercée par l'Etat, alors même qu'elle constitue une « ligne rouge » de Moscou, court à la perte de la société syrienne. L'Etat apparaît non seulement comme l'instigateur de clivages de diverses natures mais aussi comme le très vaste instrument de pouvoir du clan Assad, alors qu'il est garant de la réconciliation nationale et de l'intérêt général. En outre, l'échec et la faillite du dialogue politique témoignent de la scission entre la Syrie de l'establishment et la Syrie de la contestation.

En effet, le régime syrien ne dispose pas du soutien de l'opposition nouvelle qui est née de cette contestation. Cette génération constitue l'écho des jeunesses (18-30 ans) qui ne croient plus à la démocratisation du régime, dans son état établi. En effet, le régime syrien a émietté la société pour en contrôler toutes les facettes. Si l'on ne connaît pas l'histoire de la politique syrienne depuis 1962, on ne peut comprendre pourquoi le « dialogue national » tel qu'il est énoncé par le président Bachar el Assad lui-même en juin 2011 n'a absolument pas convaincu, et n'était pas par ailleurs destiné à convaincre. En effet, comme nous le disions en première partie, les représentations des deux parties sont absolument antagonistes. Le dialogue national n'était pas donc à destination de l'opposition syrienne née de la contestation.

104 http://www.hrw.org/news/2012/03/20/syria-armed-opposition-groups-committing-abuses

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Quand le président Bachar el Assad a pris possession de ses fonctions en juillet 2000 à la suite de la mort de son père, un changement du paysage politique était attendu par diverses parties de la population. Toutefois, il n'y a eu guère de changements dans le patrimoine politique hérité du président Hafez el Assad à l'issue de trente années au pouvoir. Au Xème congrès du Baas tenu en juin 2005, certaines décisions de réforme politique ont été prises mais sans en préciser les délais d'éxécution. En outre, bien que le président Bachar el Assad ait évoqué le droit à la liberté d'expression dans son discours inaugural, les tribunes de discussions qui ont été établies, notamment par des activistes des droits de l'homme, des intellectuels et opposants politiques au cours d'une période que l'on a appelé le « Printemps de Damas » ont été fermées l'année suivante. Malgré les amnisties qui ont abouti à la mise en liberté de plusieurs centaines de prisonniers politiques, la politique générale demeure répressive, tant en 2005 qu'en 2011. Dans un rapport en 2005, le Comité des droits de l'homme de l'ONU a rendu ses observations finales105 : il attire l'attention sur les conditions de réclusion et sur toutes formes de torture et de traitement cruel, inhumain et dégradant au titre de punitions exercées par des responsables de l'application des lois. Le rétablissement des condamnations à mort, des exécutions et le maintien en détention des défenseurs des droits de l'homme ont rétabli la peur après le « printemps de Damas ».

Aussi comprend-on mieux le refus de la majorité de l'opposition de négocier avec le régime, car le pouvoir est pour eux une force oligarchique, brutale, répressive et liberticide. Comme me disait un ami syrien alaouite, originaire de Tartous et étudiant à Damas en arts dramatiques: « Que crois-tu que j'attends d'un régime qui nous ment à longueur de temps ? Encore plus de mensonges ? ». Dans ce cas, la poursuite de la vie politique en Syrie, avec référendum constitutionnel et des élections législatives, prend la forme d'une mise en scène.

Une des annonces les plus importantes que le président Bachar el Assad avait faite concernait la tenue d'un référendum sur la réforme constitutionnelle qui a lieu dimanche 26 février. Le référendum serait alors un plébiscite déguisé, une flatterie106 du président et de sa personne réformatrice. C'est étonnant ; car ni sa présidentialisation en juillet 2000, ni la modification constitutionnelle qui l'autorisait à être présidentiable ne se sont préoccupées d'une consultation populaire ; la ruse du prince Assad, pour détourner en sa faveur, le pouvoir populaire, c'est de dévoyer le référendum en plébiscite. Bien entendu, à l'image des

105 La Syrie a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en avril 1969.

106 http://www.youtube.com/watch?v=Izi2ryxnG8c&feature=related Discours devant l'Assemblée du Peuple

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républiques bananières, le « oui » l'a emporté à 90%107 sur une constitution dont le contenu n'a pas fait réellement de débat.

En convoquant à nouveau le corps électoral le 7 mai, malgré un taux de participation très bas sur le total d'inscrits pour la réforme constitutionnelle et le retard énorme qu'avaient pris les législatives en Syrie qui devaient avoir lieu au premier trimestre de l'année 2011, le président prouvait une nouvelle fois qu'il prenait au sérieux le schéma de la réforme, plus que son fond. Le 19 mars 2012, Bachar el Assad promulgue un décret prolongeant d'une semaine le dépôt des candidatures pour élire les représentants du Conseil du Peuple. Officiellement, c'est à la demande des députés qu'un délai de plus a été donné, mais en réalité, et malgré le caractère louable de cette initiative, c'est le pouvoir syrien qui est à l'origine de la démarche, selon Ignace Leverrier108. La date des élections, le 9 mai, n'était absolument pas raisonnable, pour se garantir une élégante porte de sortie : « or, qu'y a-t-il de plus démocratique que l'accueil positif d'un chef d'Etat à une demande émanant de la représentation populaire ? ». Le régime a tenté de jouer la carte du maintien de la vie politique et d'élections pour prouver qu'il garde le contrôle sur la situation intérieure, mais aussi pour gagner du temps, détourner l'attention et contourner la pression internationale.

En réalité, le pouvoir syrien est en pouvoir : contre les manifestants, contre les soldats rebelles, contre la contestation arabe sunnite, contre les familles des déserteurs et opposants civil. Le régime est aussi en guerre contre les médias « mainstream » et les journalistes. On assiste à une véritable guerre en Syrie,.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault