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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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De l'immigré au terroriste

Dans ce dernier paragraphe, nous allons montrer que les représentations actuelles de l'immigré tendent à le renvoyer vers celles de l'Islam radical. Dans un contexte de mondialisation croissante et de repli communautaire, un certain nombre d'éléments viennent renforcer ces conceptions et ont mené à l'équation simpliste « immigré=arabe=musulman=islamiste=terroriste ». Gastaut, nous l'avons cité en début de chapitre, a montré comment s'est construit le raccourci d'immigré à arabe. Aujourd'hui, nous proposons à partir des quelques éléments dont nous disposons d'aller un peu plus loin.

Il faut tout d'abord réinvestir le temps long pour analyser la production de ce mécanisme. Après la guerre d'Algérie, la France a découvert l'immigration nord-africaine, et avec elle les français de confession musulmane. Plus tard, avec les arrivées massives de travailleurs, pour la plupart musulmans provenant du Maghreb, le modèle de « l'arabe » a été associé à sa religion71(*). On voit ici l'assignation d'une identité à l'autre par des variables d'opposition stricte : Europe/Afrique ; Blanc/Non blanc ; Chrétien/ Musulman.

Pour Battegay72(*), avec l'affaire Rushdie, l'affaire des foulards, l'Islam est apparue aux yeux du grand public sous la plume de journalistes dont la méconnaissance de la religion a entraîné un traitement médiatique relevant du fantasme. De plus, la guerre d'Algérie a aussi réactivé le mythe du « Sarrasin » perfide et cruel à travers le « fellagha », égorgeant à l'arme blanche. Lourd des représentations les plus négatives, on comprend davantage pourquoi l'Arabe est apparu comme le symbole de l'immigration dans une période durant laquelle les dirigeants français voulaient s'en débarrasser.

Des années 1980 jusqu'à nos jours, les principaux moments de médiatisation de l'Islam ont été liés à des crises relevant d'une pratique radicale de la religion : crise du voile, affaire des caricatures... Autre moment fort de stigmatisation d'une communauté religieuse, les actions terroristes menées au nom de l'Islam ont conduit à la construction d'un imaginaire négatif, d'une peur de cette religion, même dans une pratique modérée73(*). De l'Irak à Al Qaeda, la France a regardé l'Islam à travers des évènements étrangers à l'hexagone traités avec des représentations violentes et radicales. D'ailleurs, on peut noter que les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues parisiennes ont fait l'objet de discours gouvernementaux associant violence et Islam et désignant comme responsables des jeunes musulmans issus de l'immigration. Ce point est d'ailleurs réapparu au cours du débat :

« - M. Noël Mamère (Les Verts). Cette révolte n'avait en effet rien à voir avec l'Islam, rien à voir avec la religion qu'ils peuvent éventuellement pratiquer.

- M. Jacques Myard (UMP). Il faut être aveugle ! »

Deuxièmement, nous proposons de percevoir ces représentations comme le fruit d'un conflit israélo-palestinien interminable. Cette guerre perpétuelle cristallise une situation d'antisémitisme et d'anti-islamisme qui se reproduit sur le territoire français. C'est ainsi que les médias qualifièrent les émeutes de l'automne 2005 d'« intifada des banlieues »74(*). C'est en proposant ce modèle que nous expliquons l'absence de réactions sur le projet de loi par la majorité des instances juives et musulmanes. Durant la période du débat, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) aborda la question de l'antisémitisme. Côté musulman, il n'existe pas de voix unique pour s'exprimer au niveau national dans la mesure où les instances de la Mosquée de Paris s'entredéchirent avec le Conseil français du culte musulman initié par Nicolas Sarkozy. Sur le site Oumma.com, Tariq Ramadan, icône d'un Islam controversé, développe durant cette période de débat une réflexion sur la question palestinienne. D'ailleurs lorsque est évoqué le rôle des associations dans l'encadrement des étrangers, il ne fait aucun doute que les structures musulmanes sont stigmatisées :

« - M. le ministre délégué aux collectivités territoriales (Brice Hortefeux). Des garde-fous sont prévus. Je vous les rappelle. Le dispositif est limité aux fondations et aux associations qui sont reconnues d'utilité publique, ce qui signifie que ce n'est pas ouvert à tout vent, il y a une prise en charge matérielle de l'étranger par la structure d'accueil et, comme vient de le dire le rapporteur, il y a l'engagement écrit de quitter le territoire.

Je pense que, de temps à autre, très ponctuellement, monsieur Myard, on peut encourager cette démarche de confiance.

- M. Jacques Myard (UMP). Qu'Allah vous entende ! »

Pour conclure, nous terminerons sur l'analyse d'un extrait d'une intervention du ministre de l'Intérieur lors du journal télévisé de TF1 du 27 avril 2006 qui dessine dans une temporalité réduite une représentation très révélatrice du « mauvais » immigré auquel on attribue des éléments stéréotypés de l'Islam.

« Bien je veux que le contrat d'intégration soit obligatoire, pourquoi ? Parce qu'un étranger qui vient en France, on l'accueille bien volontiers, il a des droits en tant que personne humaine, mais il doit avoir des devoirs. Parmi ces devoirs il y a celui d'apprendre le français [...] et puis considérer qu'on est dans une démocratie, ça veut dire qu'on accepte quand il y a des caricatures dans les journaux, y compris religieuses, ça veut dire qu'on accepte que les femmes ne soient pas voilées sur les cartes d'identité, cela veut dire que l'on accepte que sa femme soit soignée par un médecin, même si c'est un homme. Parce que ce n'est pas à la France à s'adapter à d'autres cultures ou à d'autres lois ».

Le ministre de l'Intérieur explique la nécessité de mesures d'intégration par l'existence de pratiques et de valeurs qui ne sont pas compatibles avec celles de la France. Or on perçoit ici que l'intégration se résume pour le ministre à la simple acceptation d'un certain nombre d'éléments qu'il faudrait refuser. La définition caricaturale d'un processus d'assimilation se construit à partir de faits divers. Ainsi, un devoir d'intégration serait d'accepter les caricatures dans les journaux. Soit. Mais le président de l'UMP précise « y compris religieuses » : il est désormais évident qu'il mobilise l'inter-évènementialité des caricatures de Mahomet. Son second argument concerne les femmes voilées, dont la représentation est désormais intimement liée à l'Islam depuis la succession régulière des crises dans le monde scolaire. Enfin, l'exemple des soins réinvesti une actualité qui avait vu un obstétricien frappé par un mari exigeant un médecin de sexe féminin pour accoucher son épouse. Les médias ont construit l'évènement en précisant la confession de cet homme, en l'occurrence musulman. Ces évènements sont utilisés comme une médiation entre le fait divers et le téléspectateur pour venir à l'appui d'un projet politique. L'emploi de tels exemples vide de sens la force de la parole de loi pour se reposer sur un jugement de valeur sur une échelle bien/mal en stigmatisant en particulier une religion qui n'est en rien liée aux phénomènes migratoires. Quelle image un tel discours renvoie-t-il aux cinq millions de musulmans français qui sont dès lors exhortés à mieux s'intégrer ? L'extrait que nous avons choisi se conclut en opposant la France à « d'autres lois ». Cette phrase s'insère dans un autre débat, celui sur la charia. Le ministre rappelle alors que la parole de la République prévaut sur la parole religieuse.

* 71 MEMMI, Albert, Portrait du décolonisé : Arabo-musulman et de quelques autres, 2007.

* 72 BATTEGAY, Alain, et BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l'immigration, Média, actualité, immigration dans la France des années 1980, 1993.

* 73 DELTOMBE, Thomas, L'Islam imaginaire, la construction médiatique de l'islamophobie en France, 1975-2005, 2005.

* 74 FASSIN, Didier, et FASSIN, Éric (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, 2006, p 91.

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