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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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Chapitre 3

Immigration, intégration, identité nationale :

vers une nouvelle idéologie nationaliste.

L'État se pense lui-même en pensant l'immigration.

Abdelmalek Sayad.

Dans un dernier chapitre, nous désirons ouvrir une discussion sur les évolutions idéologiques qui encadrent le débat public sur l'immigration. Une idéologie, au sens de Marx, est un ensemble de représentations imaginaires fondées sur des croyances. Cet imaginaire transparaît dans les débats à travers des jugements, des idées préconçues échangés par des acteurs qui adhèrent sans aucune prise de distance.

Nous allons d'abord montrer qu'il existe une adhésion générale autour de la nécessité d'intégration et de sa proximité avec l'existence du fait migratoire. Nous essayerons de voir quels présupposés sous-tendent ces discours. Ensuite, nous aborderons l'idée qu'il existerait aujourd'hui un regain de nationalisme lié à la définition d'une identité nationale.

I. L'idéologie intégrationniste

Pour débuter, il faut tout simplement se référer à la dénomination de la loi afin de construire notre démonstration. Il s'agit du projet de loi « relatif à l'immigration et l'intégration ». Cette proximité entre deux termes très différents nous mène à analyser ce télescopage et à traiter de la question de l'identité culturelle.

Un rôle inconscient assigné à l'intégration

Lors de la discussion autour du projet de loi, le thème de l'intégration a été très largement évoqué. Une disposition législative met en place la nécessité pour le migrant qui souhaite faire venir sa famille de démontrer les preuves de sa volonté d'intégration à la société française. Dans son discours, le gouvernement articule ce qui relèverait d'une « une intégration réussie » avec son imaginaire d'« immigration choisie ».

Mais qu'est ce que l'intégration ? Qu'est ce qui la lie à l'immigration ? Le terme « intégrer » signifie faire entrer dans un tout. On en déduit que l'intégration des immigrés consisterait à les faire entrer ou leur demander d'entrer dans la société d'accueil. Selon Patrick Weil75(*), « l'intégration désigne en effet un processus multiforme, un ensemble d'interactions sociales provoquant chez des individus un sentiment d'identification à une société et à ses valeurs, grâce auquel la cohésion sociale est préservée. L'intégration est ainsi définie par Émile Durkheim comme le processus par lequel une société parvient à s'attacher les individus en les constituant en membres solidaires d'une collectivité unifiée ». Cette définition nous permet d'insister sur la composante individuelle de ce processus social. Ainsi, il s'agit d'intégrer un individu singulier au sein de la société, d'une structure collective supérieure afin d'obtenir une forme plus harmonieuse.

Pourtant, ce concept d'intégration est employé comme une solution générale pour mieux mettre en oeuvre l'immigration. Cela nous conduit à formuler une remarque sur une modification sémantique importante. Dans le débat politique, il est toujours question de l'intégration à la société, c'est-à-dire la relation d'un individu avec un ensemble. Mais des voix s'élèvent pour que l'on évoque davantage l'intégration de la société, qui relève alors d'un processus collectif76(*). De même, il faut distinguer le verbe « intégrer », qui situe l'action du côté de la société, et « s'intégrer » qui renverse alors la situation pour désigner l'action de l'individu.

D'autre part, l'intégration est un concept difficilement appréciable. Comme l'a souligné le sociologue Abdelmalek Sayad77(*), l'intégration est un processus que l'on ne peut mesurer « qu'après coup ». Il affirme ainsi qu'on ne peut pas l'évaluer en cours d'accomplissement car il engage l'articulation de l'être social avec l'ensemble de la société. En outre, ce terme n'étant pas fixé, il n'existe pas de bornes signifiantes pour attester de l'aboutissement de l'intégration. Il faut alors observer ce qui, au cours de l'histoire, rempli le vide de ce concept et permet de fixer des critères définissant une bonne intégration78(*). Actuellement, ces critères se concentrent sur la question de la langue et des valeurs « universelles » françaises.

En second lieu, nous postulons qu'il existe un consensus dans l'espace public à propos de l'articulation entre immigration et intégration. Parmi l'ensemble des opposants au projet de loi CESEDA, presque aucun acteur ne s'est ému de la présence de la question de l'intégration dans le débat. Il semble qu'un lien « logique » désormais intériorisé soit apparu entre immigration et intégration. Une fois intégrée l'idée dans le temps long selon laquelle l'étranger arrivé sur le territoire doit traverser un processus d'insertion dans la société, les mécanismes de l'inconscient articulent les deux notions comme un automatisme.

Pour illustrer cela, nous avons recueilli des éléments allant dans ce sens à travers l'ensemble de notre corpus. Ainsi, la commission des épiscopats de la communauté européenne (COMECE) déclare que l'ensemble des organisations qu'elle représente « soutiennent que des efforts d'intégration peuvent être espérés de la part des migrants mais des efforts réciproques de la part de la société dans son ensemble sont nécessaires. Ils soulignent aussi que le respect des droits humains des migrants est la clé pour une intégration réussie ». On constate que le processus de validation du lien magique entre intégration et immigration passe par la médiation d'un appel à une intégration de la société. C'est donc la stigmatisation de la singularité d'un individu qui est critiquée, mais le processus n'est aucunement remis en cause. Le Secours catholique et Caritas France estiment que :

« les réflexions en cours feraient apparaître quelques aspects positifs : nécessité de l'immigration, recherche de l'intégration, ouverture du marché du travail, références au co-développement » et soutient une intégration de la société en avançant que « l'intégration est un objectif mais ne se décrète pas : elle procède de l'interaction entre les efforts des nouveaux venus et ceux de la société installée. Les étrangers, travailleurs en séjour ».

Claire Rodier, juriste au GISTI explique dans Le Monde du 4 janvier 2006 que :

« La bonne définition de l'intégration, ce n'est pas demander tout aux étrangers en matière d'efforts pour se conformer à la société qu'ils viennent rejoindre. L'intégration, ça marche dans les deux sens : intégrer, ça veut dire aussi qu'une société d'accueil doit se donner les moyens que les personnes à intégrer aient envie de faire partie de cette société ».

La discussion sur l'intégration représente dans l'espace public un nouveau débat à l'intérieur du débat sur l'immigration. Nous avons constaté que le vocable « intégration » est principalement lié à deux autres termes : « effort » et « contrat ». Le premier est lié à un discours sur l'intégration à la société. Il affirme qu'elle est liée à une volonté individuelle. Mais face aux « échecs » d'un « système » qui ne fonctionne plus, le gouvernement propose dans le projet de loi un « contrat d'intégration ». Ce dernier vient donc vider de tout son sens l'idée de volonté, qui repose fondamentalement sur un désir personnel du migrant de « s'intégrer ». Désormais, il s'agit « d'intégrer » : la société passe par un accord symbolique avec le migrant pour promouvoir la forme d'intégration désirée. Il n'est donc plus question de volonté puisque le contrat obligatoire impose et encadre le processus. Dès lors, l'intégration se formule à partir d'un idéal-type de l'étranger intégré qui se concrétise dans une structure juridique, un « principe » qui fait aujourd'hui consensus. Cela est illustré par l'intervention de Patrick Delnatte (UMP) :

« Il faut encore installer une véritable politique d'accueil des immigrés. On a trop longtemps cru en France que l'intégration se ferait d'elle-même. Le constat s'impose que les politiques s'attachent plus à réparer les échecs de l'intégration qu'à l'organiser. Ce projet de loi apporte enfin les outils qui permettront une intégration réussie pour le nouvel arrivant ».

D'ailleurs, l'opposition convient de la nécessité de l'intégration à la société en exigeant un grand débat pour les centristes et en demandant plus de moyens du côté socialiste :

« M. Serge Blisko (PS). Nous ne croirons à ce que vous appelez une politique volontariste d'intégration que le jour où vous y consacrerez plus de moyens, lorsque ce ne sera plus quelque chose que vous agiterez de temps en temps ».

Pour sa part, Nicolas Sarkozy expliquera son contrat de la manière suivante :

« Pour cela, la signature d'un contrat d'accueil et d'intégration sera rendue obligatoire pour toutes les personnes qui entrent en France légalement afin d'immigrer de manière durable. Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie. L'étranger prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille : il devra apprendre la langue française et respecter les lois et les valeurs de la République. En contrepartie, le contrat comportera des engagements de l'État à l'égard de l'étranger : formation linguistique et civique et première orientation dans les démarches pour s'adapter à la société française ».

Jouxtant le terme « immigration » dans ce discours, la nécessité d'intégration devient liée à l'identité de l'étranger. On retrouve ici un déséquilibre entre un individu posé comme particulier face à un général. Par ailleurs, le thème de la culture apparaît constitutif des éléments justifiant d'une bonne intégration. Il faudrait alors être « culturellement » français pour atteindre cet état. Pour le devenir, deux axes sont mis en avant : la langue, dont il est réaffirmée qu'elle est constitutive de l'identité, mais aussi le civisme, c'est-à-dire le respect du citoyen pour les conventions de la collectivité, en particulier la loi.

Dans un second temps, le ministre de l'Intérieur précise que la connaissance à l'avance de l'identité du futur immigré permet de favoriser l'état d'intégration, ce qui lui permet ainsi de justifier une immigration choisie :

« J'ajoute que je n'ai toujours pas compris pourquoi certains sont choqués que l'on puisse répertorier les catégories de population en fonction de leurs origines. Ce n'est pas faire preuve de racisme ou de discrimination. Si l'on veut réguler l'immigration, il faut la comprendre et, pour la comprendre, il faut la connaître. Si l'on refuse de connaître la composition de la société française, comment pourra-t-on intégrer ceux dont on nie la spécificité et l'identité ? Cela n'a aucun sens ! Le racisme n'est pas dans l'établissement d'un diagnostic, mais dans les idées nauséabondes que l'on met derrière ! »

On constate ici l'émergence d'une argumentation identitaire. L'intégration a pour visée de fabriquer de l'identique en niant toute altérité (par sa connaissance), et de favoriser l'indistinction. On voit ici ce que Paul Ricoeur79(*) appelle la « mêmeté », tiré de l'allemand Gleichheit. Il s'agit de la dimension de l'identité du même. Ainsi, « l'injonction à l'intégration80(*) » serait une injonction à passer de l'altérité radicale (nous sommes différents) à l'identité totale (nous sommes identiques), et certaines catégories seraient selon cet extrait plus ou moins préparées à cette recomposition identitaire. Par exemple, de nombreux discours ont avancé que les étrangers européens sont plus ouverts à ce passage dans la mesure où ils partageraient déjà des valeurs communes avec celles de la France.

Différences culturelles et nouveau racisme sans race

La plupart des discours dans l'espace public de notre débat tendent à opposer des valeurs françaises qui relèveraient de l'universel face aux valeurs de l'Autre qui ne le seraient pas. D'ailleurs, le député Noël Mamère insiste sur la prétendue universalité des valeurs en débat :

« - M. Noël Mamère. J'aimerais simplement, monsieur le ministre, que vous nous apportiez une précision nécessaire puisque vous n'avez pas assisté à nos débats ce matin. J'espère que les valeurs dont vous parlez ne sont pas les « valeurs françaises » dont M. Vanneste s'est réclamé ce matin, mais les valeurs universelles...

- M. Jacques Myard. Elles sont françaises !

- M. Noël Mamère. ...qui étaient effectivement celles des pères fondateurs de notre République. Il ne peut pas y avoir de valeurs françaises particulières qui s'opposeraient aux valeurs universelles. »

La notion d'intégration suppose dès le départ une différence, en l'occurrence entre des cultures comme nous l'a montré l'intervention de Nicolas Sarkozy. Il est alors nécessaire de poser ouvertement la question d'un nouveau racisme collectif. Selon Albert Memmi81(*), le racisme est « une valorisation généralisée et définitive de différences réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges ». Dans le cadre du débat dans l'espace public, nous rejoignons Etienne Balibar82(*) sur sa définition d'un nouveau « racisme sans races ». Il le définit comme « un racisme dont le thème dominant n'est pas l'hérédité biologique, mais l'irréductibilité des différences culturelles » ou plutôt devrions-nous dire l'imaginaire de cette irréductibilité. Car c'est bien ce dont il s'agit dans le cas du débat sur la loi CESEDA : le discours des acteurs politique place les immigrés à l'extérieur de la « communauté nationale » tant qu'ils n'ont pas renoncé à leur culture. D'ailleurs, l'analyse des représentations de l'immigré nous démontre qu'il est associé à des valeurs négatives. Dès lors, la définition de l'identité de l'étranger permet aux nationaux d'élaborer la leur par différenciation, se fondant alors sur des valeurs positives.

En outre, et en nous appuyant sur notre précédent chapitre abordant les représentations, il faut souligner que nous assistons à une « naturalisation » de la différence culturelle à partir de bases généalogiques. Des interventions au coeur de l'espace public reprennent progressivement ce que Taguieff qualifiait de théories « différentialistes », prônant l'importance vitale des clôtures culturelles. Cela mène aujourd'hui à un discours qui souhaite aseptiser les abords d'une « culture française universaliste ». Cette perception de l'intégration mène d'ailleurs à l'appellation « éloquente politiquement83(*) » d' « immigrés de la deuxième génération ». Ainsi, les enfants d'immigrés sont condamnés à un statut hybride qui les place hors de la société française pour des raisons culturelles.

Les députés se déchirent sur l'existence ou la non-existence de valeurs universelles, ces représentations positives qui instaurent l'identité de soi. Selon Jacques Myard (UMP) :

« Il existe bien des valeurs françaises, mais aussi des principes universels, et je m'étonne que, au pays de la laïcité, personne n'évoque certaines pratiques religieuses attentatoires à la dignité des femmes. Traiter la femme comme un objet me semble une preuve visible de non-intégration et du refus de « vouloir vivre ensemble » en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je me félicite donc que l'on mette en place un contrat d'accueil et d'intégration assorti de sanctions. Cela va dans le bon sens et je défendrai un amendement portant article additionnel après l'article 26 et visant à rendre ces sanctions effectives ».

Pour sa part Noël Mamère (Les Verts) avance qu'il n'y a pas de « valeurs françaises », mais explique que c'est la France qui a adhéré à des valeurs universelles, ce qui revient de fait à rejoindre ses confrères sur la nature universelle des valeurs françaises :

« Oui, les droits de l'Homme sont universels ; non, il n'y a pas de valeurs françaises, monsieur Vanneste : il n'y a, comme l'a souligné M. Braouezec, que des valeurs universelles ! Ce sont ces valeurs universelles de respect, de dignité humaine, confirmées par la Déclaration universelle des droits de l'Homme et par la Convention européenne des droits de l'Homme, qui doivent nous guider. Les droits de l'Homme ne sont pas à géométrie variable selon l'alternance politique dans ce pays : ils sont inoxydables ! »

Pour faire une synthèse, Jean-Christophe Lagarde (UDF) détaille l'existence de valeurs spécifiquement françaises en regrettant que la France ne les ait pas étendues au monde entier :

« Par ailleurs, M. Mamère et M. Braouezec ont évoqué l'absence de valeurs françaises. Je crois au contraire que si la France a toujours prétendu à l'universalité, elle n'est pas parvenue à transmettre au monde toutes ses valeurs. Je pense notamment à la laïcité, qui n'est pas une valeur universelle puisqu'elle n'est pas reconnue dans la plupart des pays qui nous entourent, notamment au sein de l'Union européenne. Il s'agit d'une valeur spécifiquement française, que certains pays n'accepteraient pas de se voir imposer ».

Selon Abdelmalek Sayad84(*), l'ensemble des discours sur ce processus devient performatif et il agit sur la réalité sociale en invisibilisant l'immigré auquel le processus d'intégration impose discrétion et réserve. Cela se traduit dans le réel du migrant par le refoulement de ses différences et de ses spécificités.

L'intégration en tant que résultat d'un parcours dans la sociabilité s'est aujourd'hui transformée en un idéal à poursuivre au risque de faire l'objet de discriminations racistes. En outre, elle permet avant tout aux nationaux de valoriser la représentation de leur identité nationale en opposition à une représentation négative des valeurs étrangères.

* 75 WEIL, Patrick, La République et sa diversité : immigration, intégration, discrimination, 2005, p 48.

* 76 SCHNAPPER, Dominique, La France de l'intégration : sociologie de la nation en 1990, 1991.

* 77 SAYAD, Abdelmalek, La double absence, Des illusions de l'immigré aux souffrances de l'immigré, 1999.

* 78 BASTENIER, Robert, et DASSETTO, Felice, Immigration et espace public : la controverse de l'intégration, 1993.

* 79 RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, 1990.

* 80 HAJJAT, Abdellali, Immigration post-coloniale et mémoire, 2005.

* 81 MEMMI, Albert, Le racisme, 1999 (1994).

* 82 BALIBAR, Étienne et WALLERSTEIN, Immanuel, Race, nation, classe. Les identités ambiguës, 1997.

* 83 TÉVANIAN, Pierre et BOUAMAMA Saïd dans COLLECTIF, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, 2006.

* 84 SAYAD, Abdelmalek, L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, 1991.

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