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Eléments pour une clinique différentielle de l'anorexie à travers le stade du miroir

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par Serafino Malaguarnera
Université Libre de Bruxelles - DEA en Sciences Psychologiques et de l'Education 2006
  

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Deuxième chapitre

1. Introduction

Dans ce deuxième chapitre, nous nous proposons d'entamer un développement des hypothèses présentées au chapitre précédent. Nous consacrerons la première partie aux explications du cadre conceptuel concernant le stade du miroir qui représente l'espace théorique où s'inscrit notre tentative de repérer les premiers éléments de ce que nous avons appelé « une clinique différentielle ». Comme dit au premier chapitre, dans le cadre de ce travaille de DEA, nous prendrons en compte essentiellement deux contextes psychopathologiques, à savoir l'axe psychotique et l'axe névrotique. Au terme de ce travail, nous voudrions montrer la pertinence du choix de cet outil théorique et avoir repérer les premiers éléments de partage entre ces deux contextes psychopathologiques. Au sujet de l'anorexie dans ses rapports avec la psychose, nous ferons état des recherches de S. Thibierge concernant les troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Nous voudrions montrer la pertinence des contributions de cet auteur quant à un éclaircissement concernant la pathologie de l'image du corps auprès de cas d'anorexie se situant dans un contexte psychopathologique psychotique.

2. Le stade du miroir

A la fin des années vingt, H. Wallon aborde le thème du miroir dans le développement mentale de l'enfant lors de ses cours donnés60(*) à la Sorbonne qui seront mis par écrit et réuni dans un ouvrage61(*). Cet auteur considère le moment où l'enfant se reconnaît dans le miroir comme une étape importante du développement mentale de l'enfant. Face au miroir, l'enfant réagit devant son image et croit être l'image qu'il voit. C'est pour cette raison que l'enfant rit, tend les bras et appelle l'image reflétée dans le miroir. Selon cet auteur, cette étape ne correspond pas à un stade en lui-même mais elle est insérée, parmi les stades qu'il décrit, dans le stade dit « émotionnel ». Elle n'est donc qu'un terme parmi d'autres au sein d'une série d'intégrations successives qui montrent que l'évolution psychologique est nouée de façon complexe à l'évolution biologique. Selon Wallon, la notion du corps propre62(*) ne serait pas une donnée innée, mais elle se construirait. Actuellement, si certains auteurs63(*) proposent un caractère inné de la notion du corps propre, la plus part continuent à admettre que la représentation de notre corps se construit d'une façon ou d'une autre64(*).

En 1935, P. Schilder65(*) introduit le terme d'image du corps. En soulignant l'existence d'une image optique à laquelle la perception est rapportée, il préfère le terme d'image du corps à celui de schéma corporel. Ce terme ne désigne pas seulement une connaissance physiologique, mais renvoie également au concept de libido et à la signification sociale du corps. Du point de vue de l'organisation libidinale, l'image du corps s'organiserait autour des orifices du corps ou, selon les termes de Freud, autour des zones érogènes. Nous pouvons en déduire que, selon Schilder, le corps en entier n'est pas investi de la libido. En 1939, J. Lhermitte publie l'ouvrage « l'image de notre corps 66(*) ». Nous y trouvons l'idée, bien qu'elle soit indiquée d'une façon implicite, que non seulement les zones érogènes du corps sont investies de la libido mais l'image du corps dans son ensemble le serait également. Entre ces deux dates, Lacan soutient d'une façon explicite, lors d'une intervention67(*) au congrès de l'International Psychoanalytic Association à Marienbad en 1936, que l'image du corps reflétée dans le miroir est entièrement investie de la libido. Cet auteur donnera un compte rendu écrit de cette intervention seulement en 1949, intitulé « Le stade du miroir comme formateur du je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique68(*) ».

Dans cet écrit de 1949, Lacan expose le stade du miroir qu'il situe entre le 6ième et 18ième mois de vie. Il s'appuie, en partie, sur les travaux de Köhler69(*) concernant l'aperception situationnelle et les observations de Baldwin. L'aperception situationnelle se manifesterait par le plaisir que le bébé éprouve à reproduire les mouvements d'une image sur lui-même et sur des objets ou personnes de l'entourage. Baldwin avait remarqué que ce phénomène décrit par Köhler pouvait être observé à partir du 6ième mois lorsque le bébé se trouve devant un miroir. A partir de cette correspondance entre la perception visuelle et la perception cénesthésique des mouvements du corps, apparaîtrait le moment d'intégration, et donc de mise en commun entre le corps et l'image. Le raisonnement suivant, bien que d'une manière inconsciente, se mettrait en place chez le bébé: « quand je me sens bouger, l'image bouge exactement au même moment ; je souris, elle sourit ; donc c'est bien moi ». Le phénomène de reconnaissance, attesté par les signes de jubilation sur le visage du bébé qui caractérise sa rencontre avec son image reflétée70(*), se produirait à partir de ce moment d'intégration. Bien que Lacan ait mis l'accent sur le moment de la reconnaissance, il y a surtout une autre raison qui l'a poussé à introduire le stade du miroir dans le domaine psychanalytique. En effet, ce que nous avons appelé « moment d'intégration » n'est pas uniquement la source du phénomène de la reconnaissance, mais aussi d'un phénomène appelé « identification ». En psychanalyse, ce terme se réfère à un processus qui produit une transformation, un changement chez le sujet lorsqu'il assume une image. Cette première assomption est cruciale pour l'identification du sujet, c'est-à-dire pour l'acquisition de ce que nous appelons une identité. Le stade du miroir manifesterait donc un dynamisme affectif essentiel pour l'être humain. Dès ce premier écrit sur le stade du miroir, la reconnaissance et l'identification sont deux concepts qui ne se recouvrent pas, bien qu'au départ ils soient étroitement liés.

Il y a aussi un autre aspect important à retenir de ce stade. La jubilation avec laquelle l'enfant salue son image reflétée dans le miroir traduirait le plaisir de recevoir de cette image une « gestalt », une unité alors que du point de vue de la maturation physiologique il n'a pas encore une maîtrise sur la coordination motrice. Lacan trouve une confirmation, quant à l'importance qu'il accorde à la forme, dans des données de l'éthologie animale qui montrent certains effets de maturation et de structurations biologiques opérées par la seule perception visuelle du semblable. Il cite uniquement les travaux de R. Caillois connu pour ses essais de description du mimétisme animal et végétal. Lacan retient surtout l'effet morphogène de l'image à certains moments : des êtres vivants rencontrent, pendant leur croissance, des formes dont la seule perception ont une influence décisive sur leur développement ultérieur. Quant à l'être humain, la forme du corps propre reflétée dans le miroir permettrait à l'enfant d'anticiper une unité que réellement il n'a pas étant donné qu'il n'en a pas encore les moyens neuroniques et moteurs. Cette unité anticipée découvre en retour un corps qui, du fait de cette nouvelle réflexivité, va se sentir morcelé. Ainsi, le morcellement ne serait pas une donnée première dictée par une cénesthésie chaotique, mais il serait comme le choc en retour de cette unité donnée trop tôt dans l'image ; il serait un fait d'image. Cette unité anticipée se produit au travers de l'identification à l'image spéculaire. Cependant, cette mise en forme n'a aucune valeur de plénitude ou de résolution car il y aura toujours la tension initiale entre une insuffisance réelle, c'est-à-dire l'état réel de l'enfant au moment où il se reconnaît dans le miroir, et l'anticipation d'une totalité virtuelle.

Lacan a réarticulé la problématique freudienne du narcissisme à partir de cette élaboration de l'identification spéculaire. La forme spéculaire du corps à laquelle l'enfant s'identifie représente l' « idéal ich » - moi idéal - introduit par Freud dans « Pour introduction au narcissisme71(*) ». Lacan soutient que l'investissement libidinal de l'image constitue une normalisation en tant qu'elle polarise le narcissisme dans une forme contraignante de la représentation et elle constitue la souche des identifications secondaires. Grâce à cette identification, nous avons la représentation de l'unité ou de la permanence de tout ce qui nous entoure. C'est en effet à partir de la première étape du stade du miroir que la permanence de l'objet se met en place et que, vers le 8ième mois, l'enfant ne sourit plus à toutes les personnes. Cependant, cette identification présente également un caractère aliénant car cette unité et cette permanence sont toujours posées dans une ligne de fiction anticipatrice, méconnue par le sujet lui-même. Nous voyons là se dessiner une antinomie entre un corps réel, non coordonné et morcelé, et un corps imaginaire. Dés le début, la reconnaissance de cette forme unitaire implique une méconnaissance réelle, motrice et neurologique, et une méconnaissance normale du fonctionnement réel du corps. Cette forme de méconnaissance se manifeste, comme l'a souligné S. Thibierge72(*), dans le cas du membre fantôme73(*). Il nous semble possible de soutenir l'hypothèse que cette forme de méconnaissance soit à la base des relations pathologiques que l'anorexique entretient avec son corps.

A l'endroit où se manifeste cette opposition entre une image « toute une » et un corps morcelé, le « je » intervient pour assumer ces deux termes. Il revêtirait donc la fonction de représenter l'un et l'autre terme de cette crise irréductible entre un état physique réel et anticipation virtuelle. Le « je » qui intervient dans cette inadéquation entre cet état physique et l'image serait la matrice symbolique qui devra se symboliser grâce au langage. Nous pouvons constater que, dès cet écrit, Lacan fait intervenir la dimension symbolique pour expliquer le stade du miroir. A partir du premier séminaire74(*), Lacan accordera une place prééminente à la dimension symbolique concernant la constitution de l'image spéculaire. Dans le séminaire sur le transfert75(*), il introduit « la nomination » comme un moment logique essentiel du stade du miroir. L'adulte, près d'un enfant qui se regarde au miroir, reconnaît et nomme le corps reflété de l'enfant dans le miroir. En d'autres termes, pour que l'enfant puisse s'identifier à l'image, il doit être avant tout identifié par l'autre. Dans des cas extrêmes de maltraitance, l'enfant qui n'est pas reconnu par l'adulte n'accèderait pas au stade du miroir. Plusieurs mots associés au nom propre seront pris en compte par l'enfant pour spécifier son identité. Ces mots, et plus précisément ces traits symboliques qui représentent le sujet dans l'ordre du langage, seraient la traduction de l'Idéal du moi freudien. Ce processus est appelé par Lacan « identification symbolique ».

2.1 Identification symbolique

Dans le séminaire IX76(*), Lacan reprend la distinction entre l'identification imaginaire et l'identification symbolique. Pour approfondire celle-ci, il introduit les questions préalables au thème sur l'identification symbolique par l'exemple de la balle de ping-pong qui disparaît et apparaît à nouveau. Lorsque la balle apparaît à nouveau, nous disons avec certitude « c'est la même balle ». Ce rapport qui se constitue entre « c'est la balle » avec « c'est encore la même balle » est l'expérience la plus simple concernant le registre de l'identification. Bien que ce type d'expérience puisse se produire chez l'animal, il y en a d'autres concernant toujours le registre de l'identification qui leurs sont exclus. Lacan cite un exemple issu du folklore concernant un serviteur qui retrouve dans le corps de la souris le propriétaire décédé. Il y aurait ici une assomption spontanée faite par le sujet de l'identité de deux apparitions pourtant bien différentes. Dans ce cas-ci, ce que vise le « c'est encore lui », c'est-à-dire la réapparition de l'être du propriétaire, est possible grâce au langage, et plus précisément à la nomination. Nous ne pouvons retrouver cette expérience auprès d'un chien parce qu'il n'a pas la capacité de nommer. Comme soutient Lacan, il est possible d'attribuer au chien la parole en raison de sa capacité à aboyer lorsque le maître ouvre la porte de la maison étant déjà une forme d'appel à l'autre. Or nous ne pouvons lui attribuer le langage dans le sens d'un univers symbolique. En effet, nous avons du mal à soutenir qu'un chien puisse retrouver l'être de son maître dans l'apparition d'un animal.

Concernant le stade du miroir, l'enfant peut dire « c'est moi » après l'apparition ou disparition de l'image parce qu'il y a eu une « nomination », à savoir un adulte qui lui ait dit « c'est toi, tu es... ». L'adulte qui s'occupe de l'enfant est le premier représentant d'un lieu, que Lacan appelle « Autre », où se déroule l'univers symbolique. Cependant, la nomination revêt aussi d'autres fonctions. Nous avons déjà expliqué que l'identification, qui se met en place au stade du miroir, est la souche des identifications secondaires. En d'autres termes, à partir de cette première identification, l'enfant pourra s'identifier à d'autres personnes, tel que le père, la mère, enseignant, etc. La nomination permettra à l'enfant de se percevoir toujours identique à lui-même, sans se confondre avec les différentes personnes auxquelles il s'est identifié. Dans ce séminaire sur l'identification, Lacan considère le nom propre, auquel il consacre un développement important, le trait symbolique princeps auquel l'être humain s'identifie. A partir du nom propre, plusieurs traits symboliques se suivront et s'enchaîneront. L'enfant s'identifiera à certains de ces traits à partir desquels il se sentira aimable et percevra d'une certaine façon son corps propre.

En guise de synthèse, nous proposons une description plus schématique des points abordés concernant le stade du miroir :

- Identification imaginaire. La forme, la gestalt du corps donne le support pour l'identification imaginaire. Cette première identification est la matrice sur laquelle s'enchaînerons les autres identifications.

- Identification symbolique. Au travers de la nomination, l'enfant est identifié par l'Autre et le « je », première matrice symbolique, se traduit en un « je suis untel ». A partir de cette matrice symbolique, plusieurs traits symboliques, auxquels l'enfant s'identifie, s'enchaînerons. C'est grâce à cette identification symbolique, à la nomination par le nom propre, que l'enfant peut se sentir toujours le même malgré les différentes identifications imaginaires.

- Identification ( imaginaire ou symbolique) sur le versant transitif et intransitif. Dans le sens intransitif, l'enfant s'identifie « à quelque chose », en l'occurrence à une personne ou à un trait symbolique. Dans le sens transitif, l'enfant identifie « quelque chose », en l'occurrence une personne, un objet ou un trait symbolique. Le stade du miroir est un moment incontournable où se met en place l'identification imaginaire et symbolique sous la modalité transitive et intransitive.

* 60 1929-1930 et 1930-1931.

* 61 Wallon H. Les origines du caractère chez l'enfant. Les préludes du sentiment de personnalité. Paris : PUF, 1949.

* 62 Wallon H. « Comment se développe chez l'enfant la notion du corps propre ». J Psychol. Paris, 1931, 28, p. 705-748.

* 63 Gallagher S., Buttervworth G.E., Lew A., Cole J. « Hand-mout coordination, congenital absence of limb, and evidence for innate body schemas ». Brain Cogn, 1998, 38, p. 53-65; Melzack R. « Phanton limbs and the concept of a neuromatrix ». Trends Neurosci, 1990, 13, p. 88-92.

* 64 Ramachandran V.S., Hirstein W. « The perception of phantom limbs ». The D.O. Hebb lecture. Brain, 1998, 121, p. 1603-30.

* 65 Schilder P. L'image du corps. Paris : Gallimard, 1968.

* 66 Lhermitte J. « L'image de notre corps ». Paris : Harmattan, 1998.

* 67 Lacan J., Le titre de l'intervention est « The looking-glas phase » qui apparaît dans la revue officielle de l'I.P.A., l'Internaional Psychoanalytic Association, tome I, p. 115, mais le contenu n'y apparaît pas. L'unique source d'information disponible sur ce travail sont les notes prises par Françoise Dolto lors d'un exposé préliminaire que fit Lacan à Paris, devant les membres de la Société Psychanalytique de Paris. Cf. Le Gaufey G. Le lasso spéculaire. Une étude traversière de l'unité imaginaire. Paris : E.P.E.L., 1997.

* 68 Lacan J.(1948) « Le stade du miroir comme formateur du je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique » in : Ecrit, Paris : Seuil, édition en poche, 1966, p. 92-99.

* 69 Köhler W. The mentality of apes, Routledge and Kegan. London : Paul, 1925, trad.It. « L'intelligenza nelle scimmie antropoidi ». Firenze : Giunti Barbera, 1961.

* 70 Lacan J. (1949) « L'agressivité en psychanalyse » in : Ecrits, Paris : Seuil, édition en poche, 1999, p. 112.

* 71 Freud S. (1914) « Pour introduction au narcissisme » in : La vie sexuelle. Paris : PUF, 1969, p. 81-105.

* 72 Thibierge S., Morin C. « L'image du cors en neurologie : de la cénesthésie à l'image spéculaire. Apports cliniques et théoriques de la psychanalyse ». Evol. Psychitr., 2004, 69, p. 417-430.

* 73 Ramachandran V.S., Hirstein W . « The perception of phantom limbs». The D.O. Hebb lecture, Brain, 1998, 121, p. 1603-30.

* 74 Lacan J. (1955-1956) Le séminaire. Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse. Paris : Seuil, 1978.

* 75 Lacan J. (1960-1961) Le Séminaire VIII. Le transfert. Paris : Seuil, 1991.

* 76 Lacan J. (1961) Les séminaire IX. L'identification. Séminaire inédit. Cf. Safouan M. Lacaniana. Les séminaires de Jacques Lacan. Paris : Fayard, 2001, p. 185-230 ; Dor J. Introduction à la lecture de Lacan. Paris : Denoël, 2002, p.372-381.

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