2.2. Le rôle des fonds propres dans la
prévention des faillites bancaires
Les réglementations prudentielles imposant aux banques
la détention de capitaux propres minimaux reposent sur l'idée que
la banque est en situation de faillite si elle n'est définitivement plus
en mesure de faire face à ses engagements notamment parce que,
préférant exercer leur clause de responsabilité
limitée, les actionnaires refusent de lui apporter les fonds
nécessaires à la poursuite des ses activités. Les
actionnaires estiment alors que la totalité des encaissements que les
actifs sont susceptibles de produire ne permet pas de couvrir la
totalité des décaissements associés aux passifs. Il n'est
pas rare que les flux attendus des actifs soient insuffisants pour couvrir les
engagements de la banque sur un horizon déterminé. Celle-ci
trouve alors généralement les moyens de financer cette
insuffisance de liquidité ponctuelle sur le marché interbancaire.
Si ses besoins sont durables, elle émet des titres de dettes ou des
actions nouvelles. La faillite est proche lorsque ces titres ne trouvent pas
d'acquéreurs.
Sur le plan formel, se sont les actionnaires qui, en refusant
tout financement nouveau, jugent que la faillite est avérée parce
que toute la séquence des flux attendus des actifs n'est pas en mesure
de couvrir la totalité des séquences des flux de passifs. Une
séquence de flux pouvant s'échanger contre la valeur actuelle, il
y a faillite si la valeur actuelle des flux produits pas les actifs est
inférieure à la valeur actuelle des flux associés aux
passifs. La valeur actuelle des flux d'un actif représentant la valeur
de cet actif, il y a donc faillite si la valeur des actifs de la banque est
inférieure à la valeur de ses passifs. Les capitaux propres
économiques correspondent à la différence entre la valeur
des actifs et la valeur des passifs, il y a faillite dès que ceux-ci
sont négatifs. Dans ce contexte, le ratio de solvabilité de la
réglementation Bale II constitue un indicateur de la probabilité
de faillite.
L'analyse qui précède suggère que les
autorités de surveillance doivent suivre attentivement les fonds propres
économiques des banques. Ceci serait relativement aisé si tous
les actifs et tous les passifs des banques étaient côtés
sur des marchés actifs. Ces autorités disposeraient ainsi en
permanence d'une estimation fiable et gratuite, pour autant que les
marchés concernés soit efficients, de la valeur des actifs et des
passifs bancaires. Dans ce contexte, une comptabilité en valeur de
marché produirait une mesure sans biais des fonds propres
économiques. La pluparts des actifs et des passifs n'étant pas
côtés sur des marchés, il convient de les valoriser par
d'autres moyens. Le processus de valorisation mis en oeuvre est long et
couteux. Il ne permet pas une estimation continue de la valeur des capitaux
propres économiques. La comptabilité produisant un état
certifié des actifs et des passifs des banques, au moins une fois par
an, c'est sur cet état que s'appuie la réglementation
prudentielle. Constatant la valeur des actifs et des passifs de la banque, et
par conséquent la valeur de ses fonds propres économiques,
à une date donnée, il convient de garantir que la valeur des
actifs ne deviendra pas inférieure à la valeur des passifs pour
un niveau de probabilité donné d'ici à la date où
il sera possible de céder ces actifs.
C'est la philosophie qui préside aux dispositions du
pilier 1 de la réglementation Bâle II, notamment celles relatives
aux notations en mesures avancées du risque crédit, aux mesures
avancées du risque de marché et aux modèles internes du
risque opérationnel. Il s'agit à chaque fois de déterminer
la perte maximale, et par conséquent la baisse du capital
économique, que la banque risque de supporter sur un horizon
donné avec une probabilité donnée. L'horizon dépend
de l'échéance à laquelle la banque peut céder
l'actif et le risque qui lui est attaché. Cet horizon
s'élève à un an pour le portefeuille bancaire du fait de
sa liquidité. Il s'élève le plus souvent à 10 jours
pour le portefeuille de négociation dont les positions peuvent
être dénouées rapidement. Le seuil varie en fonction du
risque considéré. Il s'élève à 99% pour les
risques de crédit et marché, à 99,9% pour le risque
opérationnel.
Cette brève analyse du rôle des fonds propres
dans la prévention des faillites bancaires suggère deux
commentaires.
Le premier concerne les modalités de valorisation des
capitaux propres économiques des banques et, par conséquent, les
modalités de valorisation de leurs actifs et de leurs passifs. Il s'agit
de garantir que la valeur des actifs restera supérieure à la
valeur des passifs sur un horizon donné. Ces valeurs devant
refléter la valeur actuelle des flux associés aux actifs et
passifs, c'est de la valeur marchande dont il s'agit. Puisque que la
réglementation prudentielle s'appuie sur la mesure comptable des
capitaux propres pour déterminer si la banque est suffisamment
capitalisée pour supporter les risques inhérents à ses
activités, il est souhaitable que les fonds propres comptables et les
fonds propres économiques coïncident. Il est donc
préférable que les actifs et passifs de la banque soient, pour
autant que cela est possible,
comptabilisés à leur valeur marchande ou
à leur juste valeur, pour reprendre la terminologie propres aux normes
comptables internationales. En ce sens, le régulateur devrait être
un ardant partisan des comptabilités en juste valeur.
Le second commentaire concerne le niveau de fonds propres
découlant des dispositions réglementaires. Un moyen simple de
réduire considérablement le risque des déposants et le
risque systémique consisterait à contraindre les banques à
n'être financée que par les fonds propres. Sur le plan
théorique, dans un monde aussi idéal que celui dans lequel
Modigliani et Miller (1958 - le coût de capital) situe leur
démonstration, une telle décision n'est pas aberrante. Le niveau
de fonds propre est alors sans effet sur la valeur de la firme. Dans un
contexte plus réaliste, il convient de prendre en compte les nombreux
facteurs qui influencent la structure financière des banques :
l'impôt, le risque de défaillance, les asymétries
informationnelles, les coûts de transaction...
La littérature propose plusieurs modèles visant
à définir un niveau optimal de fonds propres en intégrant
certains facteurs mentionnés précédemment. La
réglementation prudentielle des fonds propres ignore leur
préconisation. Elle ne vise qu'à protéger les
créanciers de la banque, les déposants ou prêteur contre le
risque de faillite. Elle impose à ce titre un niveau de fonds propres
susceptible de s'écarter sensiblement de l'optimum qui pourrait
résulter de la prise en compte des ces facteurs.
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