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Le système judiciaire en Haiti et les obstacles qui paralysent son développement

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par Gina BOURGEOT
Universite d'Etat Haiti (Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Port-au-Prince) - Licence en Droit 2001
  

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Chapitre III

Problématique du système judiciaire haïtien

Ce n'est pas les pétitions qui devraient forcer les portes de la justice. Le fonctionnement doit être régulier, normal, sans besoin de référence, ni d'interférence. La justice doit être saine pour un pays harmonieux, mais quand la politique s'infiltre, sans bornes, même dans les tribunaux, c'est à la loi d'en sortir.

Si l'on parle de réforme, c'est que la conscience est claire que nos institutions sont dysfonctionnelles, ou même la plupart inadéquates. Pourquoi d'après vous les gens restent aujourd'hui dans les prisons sans jugement ? Le fonctionnement du système judiciaire est mauvais joint à la confusion des pouvoirs, et elle perverti et par elle perturbé. Il n'y a pas à dire, l'enquête se poursuit

A travers cette analyse, nous nous rendons compte que le problème de l'indépendance du corps judiciaire est loin d'être résolu. Les pouvoirs publics n'ont pas étudié la question à la base pour y apporter des réponses satisfaisantes. Ce problème pourra déboucher sur beaucoup d'autres si des mesures appropriées ne sont pas prises. Nos législateurs doivent mettre accent sur cette crise que traverse la justice haïtienne. Nul ne peut nier le rôle primordial que jouent les magistrats dans la distribution de la justice. Ils sont les principaux acteurs. L'Exécutif est une institution indépendante, le Parlement ne l'est pas moins, mais s'agit-il du Judiciaire, il semble être une émanation des deux autres. La réforme de la justice telle qu'elle est prônée à l'heure actuelle par nos dirigeants et réclamée par le public victime du fléau, doit tenir compte de cette main-mise de l'Exécutif sur le Judiciaire. Les membres de ce pouvoir sont trop assujettis à ceux de l'Exécutif. Leur nomination et leur révocation doivent faire l'objet d'une étude particulière dans le cadre d'une véritable réforme de la justice.

Section I

Les maux de la justice

La mainmise du Ministère de la Justice

La justice, en réprimant les atteintes aux lois, assume par son organisation des fonctions sociales multiples et tient du même coup dans l'État une place éminente où les lois garantissent et protègent les libertés publiques. Mais les pouvoirs publics, dans la tradition constitutionnelle demeurent associés à l'oeuvre judiciaire, et la constitution de 1987 maintient cette tradition.

Cependant la mainmise de l'Exécutif comme plus d'un sont enclins à le croire, garantit de moins en moins l'indépendance de la Magistrature.

A la fois autorité politique et chef d'un organe administratif, le Ministre de la justice est la courroie de transmission du gouvernement dans l'institution et le chef du service public de la justice. A ce titre, il nomme les Magistrats du siège et du parquet et veille à leur promotion. Il est investi également d'un pouvoir réglementaire lui permettant d'assainir le fonctionnement de l'institution en se basant sur le principe hiérarchique et d'intervenir dans la formation des Magistrats. Dans les périodes de trouble il se considère comme le véritable chef de la justice1.

De ce fait, ne peut-on dégager la mainmise possible du Ministère de la justice sur l'institution judiciaire ?

Le Ministère de la justice est une survivance de l'histoire. A la vérité, la justice peut être rendue équitablement dans un Pays malgré l'existence d'un Ministère de la Justice. L'essentiel est de confier à celui-ci des attributions qui ne seront pas de nature à troubler l'administration d'une bonne justice.

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1- Boure R et Mignard J : La crise de l'institution judiciaire, Paris, Nuova Stampardi Mondadori Cles, 1977, pp.62-63

La justice est trop souvent, partante de l'affirmation, soumise au pouvoir politique. Comment parler d'une indépendance de la Magistrature quand le pouvoir de nomination est confié à une autre partie ? L'Exécutif choisira rarement un Magistrat de siège ne partageant pas ses idéologies politiques ou qui ne lui soit pas facile de manipuler sans parler de soumission.

Ceci est d'autant plus vrai que le Conseil de la Magistrature en France qui doit donner son avis sur la nomination des Magistrats est lui-même nommé par le même personnage. L'on peut dire que la nomination du Conseil Supérieur de la magistrature par le Président de la République place l'autorité judiciaire sous le contrôle du chef de l'État.

C'est ainsi qu'en France les juges organisés en syndicat font de la nomination leur cheval de bataille. « Il faut la retirer à l'autorité politique pour la confier à un Conseil Supérieur de la Magistrature élargi ou carrément à l'élection non par le suffrage universel mais par les juges eux-mêmes »1.

Ce procédé d'organisation de la Magistrature (qui incarnera vraiment l'indépendance des juges) s'inscrit dans la constitution et connaît des limites avec les procédures de nomination et d'avancement des Magistrats de siège.

Or, l'avancement des juges reste et demeure toujours une affaire de choix et non d'ancienneté. En France, c'est en fonction d'une liste d'aptitude et d'un tableau d'avancement ordinaire ou spécial sur lesquels s'inscrit la carrière du juge qu'une commission d'avancement formée de représentants de l'État fait son choix en fonction des notes du Magistrat 2.

N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur ces nominations ? Ces représentants de l'État vont-ils choisir quelqu'un ne partageant pas la sensibilité politique du régime en place ? L'on peut

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1-Lariviere Daniel Soulez : Les juges dans la balance, Saint-Amant, imp. Bussière, 1990 p. 301

2- De Coustine Christian : La justice, collection tout savoir sur, Paris, imp. Brodard et Taupin, 1974, p. 28

également affirmer que les nominations dans la magistrature reflètent les options politiques de l'Exécutif et la gestion du personnel va dans le sens du régime en place. 

Manque de moyens humains, financiers et matériels

Evaluation des ressources du système judiciaire

Du point de vue institutionnel, la justice haïtienne fait face à de nombreux problèmes. Les plus cruciaux sont : la carence qualitative et quantitative en ressources humaines, le manque de ressources financières, l'état de dénuement des bâtiments logeant la plupart des Cours et Tribunaux de la République. Ces problèmes constituent autant d'obstacles au bon fonctionnement du système judiciaire haïtien.

Il est courant, dans le cadre de l'élaboration d'un projet de réforme institutionnelle, de procéder à une évaluation du système existant en vue d'identifier aussi bien ses forces et faiblesses que les obstacles éventuels à sa bonne marche. C'est ce qui, en sciences physiques et naturelles, prend le nom de diagnostic. Notre mémoire emprunte cette terminologie dans son effort d'identification du mal qui affecte le système judiciaire haïtien. Certes, seul un bon diagnostic du système judiciaire haïtien pourra permettre d'identifier ses faiblesses ainsi que les obstacles qui entravent son fonctionnement.

A vue d'oeil, la situation actuelle du système judiciaire haïtien peut être comparée à celle d'un malade en pieux état, manifestant malgré toute une grande volonté de survie. La pénurie des moyens matériels dont souffre le système judiciaire haïtien affecte le fonctionnement de ses rouages les plus nécessaires, en l'occurrence les Cours et Tribunaux. Cependant, deux maux essentiels semblent être à la base de son disfonctionnement. Il s'agit, premièrement, de la trop grande dépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir exécutif. Deuxièmement, le rejet du droit coutumier qui régit et conditionne les relations entretenues par la majorité de la population rurale haïtienne ainsi que celle des zones urbaines marginales. Il est donc indispensable de s'attaquer aux racines du mal, à ses causes et non à ses effets.

Ressources humaines

Le grand problème qui affecte le système judiciaire haïtien est sans conteste le manque de ressources humaines, aussi bien qualitatif que quantitatif. Sur le plan qualitatif, la version préliminaire du rapport publié en janvier 1994 par la Mission Civile ONU/OEA1 sur l'état du système judiciaire haïtien, relatait un niveau de qualification très faible de la grande majorité des Juges de Paix titulaires et suppléants affectés dans les 180 tribunaux de paix répartis à travers les dix-huit juridictions de la République. La plupart ont à peine complété le niveau de certificat d'études primaires. Certes, la différence dans le niveau de qualification varie d'un tribunal de paix à l'autre à l'intérieur d'une même juridiction et d'une juridiction à l'autre.

Cependant, au niveau des Tribunaux de Première Instance, des Cours d'Appel et de la Cour de Cassation, le problème de qualification des juges ne se pose pas avec autant d'acuité que ceux décrits précédemment. Ces juges détiennent pour la plupart une licence en droit ou une expérience pratique équivalente. Le problème se situe plutôt au niveau de l'actualisation des connaissances acquises dans une discipline qui évolue au rythme des relations sociales, elles-mêmes en constante mutation.

Le problème de la qualification des juges résulte, en partie, de leurs modes de sélection et de recrutement qui, souvent, laissent beaucoup à désirer. Par exemple, la majorité des juges de paix en activité de service sont nommés par le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique. En générale, ces recrutements sont effectués en violation flagrante des dispositions constitutionnelles. Or, la Constitution de 1987 recommande le choix des juges de paix sur des listes préparés par les

assemblées communales. Pourtant vingt quatre ans après la promulgation de la Constitution, les

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1- Mission Civile OEA-ONU: Rapport préliminaire sur le système judiciaire haïtien, mimeo, Haïti, Janvier 1994, p. 7

assemblées communales n'ont toujours pas été constituées.

Sur le plan quantitatif, le manque de Juges en nombre suffisant pour animer les institutions du système judiciaire haïtien est patent. Pour une population estimée à plus de huit (8) millions1, le pays ne dispose que six cent (600) Juges de Paix environ, répartis dans environ 190 tribunaux ; de dix-huit (18) Doyens à la tête des dix-huit Tribunaux de Première Instance de la République, assistés de quarante deux (42) Juges d'instruction environ pour les dix-huit juridictions judiciaires, de cinq (5) Cours d'Appel dirigés par cinq (5) Juges-Présidents assistés d'environ quinze (15) Juges au total ; de douze (12) Juges affectés à la Cour de Cassation de la République 2.

Au total, sept (700) Juges environ sont disponibles, à tous les échelons de la hiérarchie judiciaire, pour dire le droit et rendre la justice dans les dix (10) départements géographiques du pays. Ces juges sont secondés dans l'accomplissement de leur mission par des greffiers et des huissiers. A l'exception des tribunaux de paix, un fonctionnaire du gouvernement est délégué comme commissaire auprès des Cours et Tribunaux de la République. Ces représentants du ministère public forment la magistrature debout, car ils se lèvent pour porter la parole. Certains de ces Commissaires du gouvernement et leurs Substituts, comme on les désigne, animent les Parquets près les Tribunaux de Première Instance. Leur rôle consiste principalement à promouvoir l'action publique destinée à assurer la répression des infractions.

Ressources physiques et naturelles

Sur le plan physique et matériel, un rapport d'évaluation préparé par le Service de Programmation du Ministère de la Justice en avril 1993 et distribué comme document de support au colloque organisé en juin 1995 sur l'avenir de la réforme judiciaire, décrivait comme suit l'état de délabrement des locaux abritant la plupart des cours et tribunaux du pays :

« Les visites d'inspection effectuées dans les quinze (15) juridictions d'alors de la République

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1- IHSI : Tendances et Perspectives de la population d'Haïti, 2000-2010, p. 35

2- Jumelle, (M.C.) : La géographie judiciaire d'Haïti, mimeo, 1995, p.1

permettraient de constater que bon nombre de locaux de justice (tribunaux de paix, tribunaux civils et parquets) étaient des constructions précaires, présentant un état de vétusté chronique et

ne respectant pas les normes élémentaires des constructions à usage public : murs lézardés, toiture trouée et défectueuse, répartition de l'espace inadaptée aux besoins réels des utilisateurs, absence de toilettes et/ou de fosse d'aisance,... »1

Pour compléter ce sinistre tableau, ajoutons que sur 314 locaux de justice recensés à travers le pays, l'Etat haïtien ne possédait que 32 bâtiments. Donc. 90% environ de locaux logeant les tribunaux, le plus souvent sans eau potable, sans électricité, l'étaient à la faveur d'un bail à loyer. Il est important aussi de mentionner les conséquences de la précarité des infrastructures physiques sur le fonctionnement général du système judiciaire haïtien.

Cette description du sombre tableau de ressources physiques et matérielles affectées au système judiciaire serait incomplète si l'on n'ajoutait pas l'état défectueux du mobilier qui s'y trouve. Il suffit de visiter certains tribunaux de paix établis dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince pour se faire une idée de l'état réel du matériel et mobilier (bureau, armoire, machine à écrire) dont ils sont dotés. Jouissant des faveurs de la localisation, ces tribunaux sont quand même privilégiés, comparés à l'état de ceux établis en province. Il manque dans certains tribunaux de paix jusqu'à la simple feuille de papier nécessaire aux juges pour rédiger un acte judiciaire. L'on ne pouvait s'attendre, dans de telles circonstances, à ce qu'un tribunal de paix dispose de moyens logistiques lui permettant d'effectuer des constats, par exemple. Que dire alors des moyens de communication !

Ressources financières

Sur le plan financier, une analyse comparée des dotations budgétaires annuelles au secteur justice montre combien est dérisoire le niveau des ressources allouées, au cours des années 1989-1995 par rapport aux années 2009-2011. Les dotations budgétaires à la justice s'amenuisent en termes réels d'année en année. A titre illustratif, mentionnons qu'au cours de l'année fiscale

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1- Ministère de la Justice : Les Infrastructures Physiques, Rapport préparé par le Service de Programmation, Haïti, Avril 1993, p. 2

1989-1990, une valeur de 24.110.840 gourdes, représentant seulement 1.66% du budget national, étaient affectées au fonctionnement des Cours et Tribunaux du pays. Pour l'année fiscale 1990-1991, sur un budget total de 1.350.000.000 de gourdes, une valeur de 36.000.000 de gourdes, représentant 2% du budget national, étaient allouées à la justice. De ce montant, 2.130.000 gourdes étaient affectées à la Cour de Cassation et 19.895.000 gourdes au fonctionnement des Cours et Tribunaux. Plus tard, au cours de l'année fiscale 1994-1995, sur un budget total de 3.454.500.000 gourdes, un montant de 76.899.182 gourdes (2.2%) était alloué au Ministère de la Justice. De ce montant, 5.000.000 gourdes (0.1%) étaient allouées à la Cour de Cassation de la République et 33.823.917 gourdes (0,9%) étaient affectées au fonctionnement des Cours et Tribunaux de la République. Au cours de l'année fiscale 2009-2010, sur un budget total de 88.942.900.943 gourdes un montant de 717.301.786 gourdes (0.81%) était alloué au pouvoir judiciaire. Cette analyse nous montre clairement au lieu d'augmenter le budget du Pouvoir Judiciaire afin de lui permettre de bien fonctionner on le diminue, d'où la volonté du Pourvoir Exécutif de tenir le Pouvoir Judiciaire en état. Il faut souligner que ce budget a été reconduit pour l'année fiscale 2010-2011.

Trois remarques s'imposent. La première, c'est le Ministère de la Justice, organe de l'Exécutif qui prépare le budget pour un pouvoir judiciaire supposé indépendant. La deuxième qui est une conséquence de la précédente, le montant alloué à la Cour de Cassation se trouve inséré au budget du Ministère de la Justice. Troisièmement, les dotations budgétaires ne reflètent nullement la priorité accordée à la justice.

Sur le plan strictement financier, à coté de la parcimonie de son budget, la Cour de Cassation est traitée comme faisant partie intégrante de ce Ministère. Il est donc légitime de s'interroger sur l'indépendance des pouvoirs proclamés par la Constitution en vigueur.

Parallèlement, le système judiciaire haïtien génère aussi de modestes ressources financières. Celles-ci proviennent à la fois des frais perçus par les greffes des Cours et Tribunaux pour les services rendus aux justiciables et des amendes. Cependant, il n'existait dans les tribunaux de paix que nous avons eu l'occasion de visiter aucun registre permettant de retracer ces recettes, encore moins l'utilisation qui en était faite.

L'État de la documentation juridique

Sur le plan de la documentation, il n'est point besoin d'épiloguer sur l'obsolescence des codes et de certains textes de lois haïtiens. Le Moniteur, Journal officiel de la République dans lequel sont publiés les Lois, Décrets-lois et Décrets, en un mot tous les documents officiels à caractère juridique, ne dispose même pas d'un index législatif, sorte d'inventaire des textes publiés à date. Ce qui faciliterait la mise à jour des lois haïtiennes en y incorporant dans un seul et même recueil les modifications subies par une loi suite à des amendements successifs. De plus, la publication du Bulletin des Arrêts de la Cour de la Cassation est en retard de plus de dix ans. Par ailleurs, la Constitution de 1987, dans son article 276-2, fait entrer sous certaines conditions les Traités ou Accords Internationaux dans la législation nationale. Mais il n'existe, à notre connaissance, aucun recueil à jour des Traités, Accords ou Conventions signés et ratifiés par la République d'Haïti.

Sur ce plan, la situation est tout aussi lamentable. Jusqu'à une époque très récente, ils étaient rares les tribunaux qui disposaient complet de tous les codes de lois, de tous les codes de procédure édités dans le pays au cours de ces trente dernières années. Or, de tels documents demeurent indispensables à leur bon fonctionnement. Les tribunaux haïtiens ne disposent même pas de mobiliers adéquats pour conserver leurs archives ; que dire d'un embryon de bibliothèque regroupant les documents d'usage courant ? L'on se demande comment, dans ces conditions, un juge peut valablement dire le droit quand il est dépourvu du support documentaire que représente un code ou un manuel de procédure.

Le problème d'accès à la justice

Il se pose, toutefois, le problème fondamental d'accès à la justice. La justice étant un service public, son accès doit être garanti à tous sans distinction. Cet accès se mesure en termes de distribution spatiale des tribunaux, de la distance à parcourir pour les atteindre, du coût des services disponibles ainsi que de la langue dans laquelle sont rendues les décisions de justice. Le nombre de citoyens qui peuvent aujourd'hui accéder à la justice est très réduit quand on tient compte de la distribution spatiale des tribunaux à travers le pays. Il suffit pour s'en convaincre de se référer à la répartition actuelle des tribunaux sur tout le territoire et du nombre de juges actuellement en fonction par tête d'habitants.

Distribution spatiale des tribunaux

S'il est un facteur qui limite l'accès des citoyens à la justice, c'est bien celui de la localisation des tribunaux. Cette limitation s'exprime en termes de distance à parcourir pour un tribunal, de nombre de tribunaux par habitants, de l'état des voies de communication et de la disponibilité de moyens de transport adéquats. Tout ceci nous amène à étudier la distribution spatiale des Cours et tribunaux dans les différents départements géographiques du pays.

La notion de « Géographie judiciaire », empruntée à Me Michèle César Jumelle, se réfère à la distribution spatiale des Cours et Tribunaux à travers le territoire national. Du point de vue de la géographie physique et politique, la République d'Haïti est divisée en dix (10) départements, quarante deux (42) arrondissements, cent quarante deux (142) communes et cinq cent soixante cinq (565) sections communales.

Du point de vue judiciaire, le pays est divisé en dix-huit juridictions réparties comme suit : Port-au-Prince, Croix-des-Bouquets, Cap-Haïtien, Les Cayes, Côteaux, Fort-Liberté, Saint-Marc, Gonaïves, Port-de-Paix, Grande-Rivière du Nord, Hinche, Mirebalais, Petit-Gôave, Miragôane, Anse-à-Veau, Aquin, Jérémie, Jacmel.

Il n'est un secret pour personne que la population totale haïtienne est à dominance rurale. De même, tous ceux impliqués dans le fonctionnement du système judiciaire savent que les tribunaux de paix sont dans leur quasi-totalité établis dans les communes, donc en milieu relativement urbanisé. Or, personne n'ignore l'état défectueux des routes reliant les communes entre elles, d'une part et aux différentes sections communales, d'autre part. Donc, il n'est point besoin d'avoir une expertise spéciale pour constater l'inadéquation entre le nombre d'habitants et celui des tribunaux, ainsi que la disparité dans leur répartition spatiale. D'ailleurs, le manque de moyens de locomotion isole les tribunaux des communautés qu'ils prétendent desservir.

Le langage judiciaire

La langue constitue l'un des facteurs limitant l'accès de la population à la Justice. Dans un

pays à dominance créolophone et à majorité analphabète, tous les textes de lois sont rédigés en français. Toues les décisions de justice sont rendues en cette langue qui n'est parlée et comprise que par une infime partie de la population. Cette dualité linguistique ne fait qu'accentuer la division du pays en un pays national à dominance rurale, créolophone, vaudouisante, analphabète et régi par le droit coutumier ; et, un pays officiel à dominance urbaine, francophone, catholique, éduquée et régi par le droit formel.

Le coût de la justice

Gratuite en théorie, la justice reste très onéreuse en Haïti. Le coût des services judiciaires réduit considérablement l'accès de la justice à la majorité de la population des campagnes et des zones urbaines marginales du pays, dont le revenu annuel avoisine moins de deux mille cinq cent gourdes. Les honoraires des avocats sont tellement élevés, en comparaison du niveau des revenus par tête d'habitants, que la justice est perçue comme étant au service des possédants et au détriment des démunis.

La corruption1

La corruption est apparemment un phénomène vieux comme le monde, mais elle n'avait pas été une préoccupation dominante de l'État. Ce phénomène est devenu, depuis près d'une décennie, un thème important dans les débats politiques, socio-économiques et juridiques tant au niveau national qu'au niveau international et prend une dimension médiatique intense. Si la corruption n'est pas un phénomène nouveau, par contre, la nature, le degré et l'ampleur des mesures pour la saisir et en venir à bout sont à inventer.

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1- www.jeansenatfleury.com

a) Phénomène de la corruption en Haïti

La corruption est un phénomène qui se rencontre aujourd'hui dans tous les secteurs de la vie civile en Haïti. Cependant, c'est au niveau de la justice que le phénomène est beaucoup plus perceptible et que les conséquences sont beaucoup plus ressenties.

Le thème justice et corruption est un thème très sensible qui interpelle au delà de la seule justice, la société dans son ensemble. Les problèmes liés à la corruption sont multiples et se rencontrent au niveau de différents axes.

b) L'environnement des Magistrats

Le magistrat est un être humain avec ses sensibilités. Placé dans un environnement politique, social, culturel et économique dans un pays en crise identitaire où tout se fonde sur la richesse matérielle, le magistrat placé dans un tel contexte social est beaucoup plus enclin à tirer les avantages de ses charges en accédant au cercle vicieux de la corruption. Pour Haïti, une étape préliminaire en vue de diminuer l'ampleur de la corruption dans le fonctionnement de la justice sera de traiter avec les avocats et les juges dont certains insistent pour le maintien des méthodes corrompues et informelles de pratique et d'application des lois dont ils profitent. Les règles et les pénalités sévères, ainsi que des critères de qualification doivent être appliquées à ce groupe d'acteurs importants. L'élaboration de lois appropriées dans tous les domaines: commercial, civil, droit pénal, immigration et autres et leur mise en vigueur constitueront une partie de la première étape. S'il existe un domaine ou un groupe de professionnels aura besoin de courage, d'intégrité, de qualification et de compétence, d'un sentiment de devoirs nationaux et d'humilité pour le développement et la mise en vigueur de normes légales, c'est bien dans le secteur de la justice en Haïti.

La mentalité des citoyens en Haïti est de considérer que dès lors qu'on se trouve en face d'une autorité, il est de bonne coutume de laisser un cadeau en guise de respect. Certains avocats utilisent parfois la même stratégie dans le système judiciaire haïtien : «donner une enveloppe au juge pour avoir sa faveur dans un jugement.» La corruption n'est pas seulement due à un fait économique. Elle résulte de l'absence de probité morale. La décadence morale est à l'origine de la corruption. Les revenus des juges  haïtiens sont modestes, il faut en convenir. Mais cette faiblesse ne saurait à elle seule expliquer l'ampleur du phénomène de la corruption qui est en train de gangrener la justice haïtienne  et de lui faire perdre ses valeurs essentielles.

c) Réprimer la corruption

La corruption est un fléau qui touche tous les secteurs d'activités. Au niveau de la justice, elle prend des proportions exponentielles et constitue une menace grave contre l'instauration d'un Etat démocratique soucieux du respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Aussi, les corrupteurs et les corrompus doivent être réprimés sans ménagement. Au besoin, les textes relatifs à la corruption doivent être revus et adaptés aux exigences actuelles. La bataille contre la corruption a été l'un des thèmes clés dans le discours du 18 mai 2007 prononcé par le Président de la République René Garcia Préval à l'occasion de la fête du drapeau. Devant la tribune de l'ONU lors de la 62ème assemblée nationale des Nations Unies tenue à New York, le président René Préval dans son discours de circonstance du 26 septembre 2007 a repris presque dans les mêmes thèmes la détermination de l'actuel gouvernement à combattre le fléau : « Nous construisons les moyens, en Haïti, pour faire face à la corruption et nous avons commencé à travailler à consolider les structures de l'État et à envisager les réformes légales et réglementaires à mettre en place pour que le mal endémique disparaisse de nos pratiques institutionnelles, en politique comme en affaire.» Aussi, s'avère-t-il nécessaire pour l'université, les sociologues, les dirigeants, les juristes, les politologues et les parlementaires en particulier, à se pencher sur la question. Au Parlement, des textes relatifs à la corruption doivent être revus et adaptés aux exigences actuelles.

Il faudrait arriver à un changement de mentalité et faire comprendre aux populations que celui qui corrompt ne rend pas service au magistrat et à son pays. Une mauvaise justice ne profite à personne; elle ouvre la voie à des situations de conflit et de vengeance. Sur le plan économique, le fléau de la corruption représente un frein au développement et à la stabilité du pays. Globalement, elle touche les fonds qui devaient être utilisés pour l'enseignement, l'investissement, les infrastructures publiques et qui sont souvent détournés à des fins privées. En d'autres termes, elle empêche les pays en développement dont Haïti d'attirer les investissements étrangers et crée des distorsions dans la répartition des capitaux. En outre, elle est préjudiciable à la société, en particulier au plus vulnérable, les pauvres. S'érigeant en système, elle décourage l'investissement étranger direct et crée une instabilité politique criante qui a des répercussions graves sur la crédibilité de l'État vis-à-vis de la communauté internationale.

Dans le domaine juridique, la corruption menace l'indépendance du pouvoir judiciaire dans son impartialité et son équité, sape la démocratie et l'État de droit, qui sont les principaux préalables à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté. Celle-ci constitue un blocage à l'aboutissement d'un procès équitable, encourage l'impunité, et porte atteinte à la légitimité des pouvoirs publics, la bonne gouvernance. Etant à la base d'une mauvaise justice, elle engendre des situations de conflit et de vengeance au sein de la société.

Relevant du domaine public, la corruption est une dérogation à la loi pénale, elle est prévue et punie aux articles 137,138, 139,140, 141, 142, 143, 144 et suivants du code pénal haïtien. L'article 137 punit la corruption en ces termes : «Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif, judiciaire ou militaire, tout agent ou préposé d'une administration publique qui aura agréé des offres ou promesses pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, sera punie de la dégradation civique et condamné à une amende double de la valeur de la promesse agréée ou des choses reçues sans que ladite amende puisse être inférieure à cinquante piastres.»

Haïti a ratifié le 19 décembre 2000 la convention interaméricaine contre la corruption, publiée dans le moniteur du 18 juillet 2002. Cette convention fait depuis, partie intégrante de notre législation.

Le gouvernement de transition Boniface Alexandre a créé par arrêté en date du 8 septembre 2004 une Unité dénommée « Unité de lutte contre la corruption (ULCC) « appelée à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes ses formes au sein de l'administration publique haïtienne. Aussi, toutes les lois étant là, il revient simplement à mettre en place les structures pour l'application de ces mesures.

La Mise en place d'un observatoire national de lutte contre la corruption.- L'idée de créer un observatoire national de lutte contre la corruption procède, d'abord d'une prise de conscience de la corruption dont les effets pervers sont durement ressentis par tous les citoyens. Ensuite, de la quasi inopérationnalité du Conseil Supérieur de la Magistrature qui, à quelques exceptions près, n'a jamais eu à prendre de sanctions à l'encontre des Magistrats véreux et corrompus.

Ce comportement du Conseil s'explique aisément dans la mesure où il est constitué de Magistrats. Or, l'on ne saurait être juge et parti. La solidarité agissante favorise l'impunité. L'observatoire trouve donc sa justification de cette assertion. Pour garder sa neutralité, il doit être constitué de membres de la société civile dont la mission serait de recueillir toutes informations sur les faits de corruption et d'en référer à l'autorité compétente pour prise de sanction si le cas y échait. Cette structure pourra exister à l'échelon local, régional et national.

L'observatoire de lutte contre la corruption dont la création est devenue aujourd'hui un impératif, doit être perçu comme un instrument efficace, qui utilisé à bon escient par les citoyens, peut simplement leur permettre de s'affranchir de la tutelle des agents publics aux conduites indécentes.

L'introduction d'un système de contrôle populaire de l'appareil judiciaire.- Ce système de contrôle populaire consiste à publier et à commenter des décisions de justice par certains spécialistes.

Pour que la population soit confiante de la volonté ou de la capacité  de l'État de sanctionner des abus, il est important que les autorités rendent publics les résultats des enquêtes. Par des communiqués de presse, on devait signaler les suspensions, révocations bref, les sanctions prises contre les fonctionnaires de justice sans distinction. Cette méthode permettra au public de s'édifier des abus qui ont été sanctionnés et quant aux auteurs, de prendre conscience de leurs actes. Ainsi, la population sera confiante de la volonté et de la capacité de l'État à réprimer des cas de violations commises par des acteurs du corps judiciaire. Des abus pourraient être dénoncés et l'opinion publique serait suffisamment informée de la pratique des acteurs du corps judiciaire. Un mandat précis pourrait être donné à ces spécialistes pour qu'ils aient accès aux pièces des dossiers devant les différentes juridictions.

d) Faire une vaste campagne médiatique

La campagne médiatique doit s'effectuer sur l'ensemble du territoire national. Les O.N.G. doivent s'impliquer activement dans ce processus. L'éducation, la formation, la sensibilisation et l'information des populations sont des préalables nécessaires en vue de l'éradication de la corruption au sein de la justice. Ce travail est ardu et nécessite l'implication de tous en vue d'un changement de comportement.

e) Respect des règles de déontologie

Les normes édictées par les règles de déontologie doivent être scrupuleusement respectées et cela passe par une moralisation du corps judiciaire. Il faudrait faire appel au sens moral et civique des agents chargés de la distribution de la justice principalement le Magistrat.

Le juge est dépositaire de pouvoirs énormes. Cela doit l'inciter à être juste. Rendre une saine justice devient alors pour lui une obligation de sa charge. Dans ses prises de décision, il ne doit obéir qu'à sa conscience et selon son intime conviction. Il ne doit céder à aucune pression extérieure d'où qu'elle vient. En effet, il est difficile de juger son semblable et la mission du juge est tout simplement un sacerdoce qu'il faut cependant assurer et assumer en toute conscience et connaissance de cause. Sa décision doit en toute hypothèse porter le sceau de la sincérité, de la rigueur, de l'intégrité et ne devant laisser transpirer le moindre signe de parti pris.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery