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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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2 Les témoins de la parentalité

Quand l'Etat ne reconnaît pas une forme de parentalité, les personnes impliquées ont besoin de témoins pour la prouver, la faire entendre comme étant une parentalité. Les

122 MUXEL Anne, op.cit p.169.

chercheurs/ses, les enquêteurs/trices, les étudiant-e-s comme moi font partie de ces témoins. Mais dans leur récit, d'autres sont mobilisés. D'une part, les structures, éléments officiels, parfois institutionnels qui d'une manière ou d'une autre, sont mobilisées dans le discours et parfois aussi dans les pratiques. D'autre part, l'entourage quotidien qui - s'il est moins reconnu comme « objectif » - a pour lui le fait d'être le témoin de la sphère privée, de l'ordinaire, du quotidien.

2.1 Les institutions, structures, contrats comme témoins « officiels » de la parentalité

Le Pacte Civil de Solidarité

Lisa et Véronique ont contracté un Pacte Civil de Solidarité. Dans ce dernier, elles ont pu - comme cela est possible - ajouter les mentions qu'elles souhaitent, notamment celles qui concernent leur coparentalité123 :

"Article V : Quant aux enfants issu-es de cette co-parentalité, la conclusion du PaCS devra être un élément d'appréciation en faveur d'un éventuel droit de visite et/ou de garde de la partenaire n'ayant pas l'autorité parentale

Article VI : En cas de décès de l'une des partenaires, des dispositions plus précises sont notifiées par testament concernant les biens et la responsabilité co-parentale"

Cependant, au moment de leur séparation, Lisa ne sait pas si son lien avec Thibault sera reconnu. Elle ne voit pas le PaCS et son libellé mentionnant la coparentalité comme une vraie protection et aurait-elle fait appel à un juge pour trancher ? En effet, celui-ci n'assure aucun droit à la partenaire qui n'est pas reconnue comme parent, et ne crée pas de filiation commune entre les conjointes. Il s'agit seulement d'un élément d'appréciation pour le juge.

Comme il suffit de signifier unilatéralement la rupture du PaCS au Tribunal d'Instance qui l'a enregistré initialement, et que de toute façon c'est un contrat privé, elle se retrouve un peu toute seule. Non seulement il n'y a pas de statut et donc ce ne sont que des « éléments

123 Extrait du PaCS conclu entre Lisa et sa conjointe.

d'appréciation » pour le juge, mais encore faut-il aller voir un juge... C'est une démarche que Lisa n'a pas osé faire, voire peut-être pas pensé faire... Car pour elle, judiciariser, c'est sans doute déjà déclarer un peu la guerre. Et ce qu'elle aurait obtenu à l'époque - ou pas - aurait radicalement changé la nature des relations avec son ex-conjointe. Et peut-être aurait-ce été invivable, elle ne le sait pas.

Faire inscrire l'existence de la coparentalité sur le PaCS permet de simuler une reconnaissance officielle par l'institution que représente le Tribunal d'Instance. En France où la tradition écrite est très importante, où tout passe par les documents papiers, parler de sa configuration décrite dans un contrat - même privé - sert d'argument à la reconnaissance.

Par ailleurs, ni le PaCS ni le couple ne sont des institutions, mais néanmoins, parler de la coparentalité dans le PaCS, fait écho à la légitimation des enfants dans le mariage qui existait encore jusqu'en juillet 2005124.

Etat Civil et maternité

Toujours dans la même tradition écrite, Vanessa, dans son projet de naissance, précise que Karine - en tant que personne ayant participé à l'accouchement - sera celle qui déclarera l'enfant à la mairie afin que son nom figure sur l'acte de naissance en tant que déclarante125. Mais l'enfant ne pourra être reconnu que par Vanessa et Maël. Vanessa raconte que les sages-femmes étaient à la fois surprises et épatées par la démarche. Elle mobilise alors deux arguments institutionnels : l'Etat Civil (par la déclaration) et la maternité (par le projet de naissance et en racontant la réaction des sages femmes). Ces deux institutions ont un point en commun : elles sont spécialisées dans les naissances et peuvent témoigner de qui est parent. L'Etat Civil officiellement, car c'est son rôle d'attester de la filiation de chaque individu-e sur l'acte de naissance. La maternité officieusement, par sa proximité avec les parents au moment de la naissance. L'Etat Civil ne reconnaîtra pas Karine comme parent. Néanmoins, Vanessa peut mobiliser - et elle mobilise - le document officiel rédigé par les services publiques et qui témoigne de la participation de Karine à l'accouchement et donc à la naissance d'Antoine. En cela, l'Etat Civil la reconnaît officiellement comme ayant eu un rôle dans la naissance de l'enfant.

Caisse d'Allocations Familiales

124 Ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant sur la réforme de la filiation.

125 Article 57 du Code Civil.

Une fois Karine inscrite sur l'acte de naissance, c'est la CAF que Vanessa mobilisera dans son discours pour faire valoir la parentalité de Karine. Aux yeux de la CAF, Karine serait chef de famille. Cela signifie qu'elle est responsable du dossier, qu'elle touche les aides comme ayant l'enfant à sa charge (la CAF ne demande pas d'avoir de lien de parenté) et par conséquent qu'elle participe à l'entretien et l'éducation de l'enfant.

Vous assurez financièrement l'entretien et assumez la responsabilité affective et éducative d'un enfant que vous ayez ou non un lien de parenté avec lui, cet enfant est reconnu à votre charge pour le versement des prestations jusqu'au mois précédent :

- ses 20 ans

- ses 21 ans pour le complément familial et les aides au logement.

En cas de séparation ou de divorce, n'est pas considéré à charge au sens des prestations familiales l'enfant pour qui vous versez une pension alimentaire.

Extrait du site de la CAF

Utiliser le terme de « chef de famille » fait aussi écho à la place longtemps occupée par les pères jusqu'en 1970. Comme l'Etat Civil, la CAF ne reconnaît pas Karine comme parent, néanmoins, elle reconnaît des actes traduits socialement comme étant parentaux (il ne suffit d'ailleurs pas de verser une pension alimentaire pour que l'enfant soit reconnu à charge mais bien qu'il y ait une vie quotidienne partagée, une cohabitation et un investissement éducatif déclaré).

Les lieux d'accueil de l'enfance, l'espace public

Quand elle et Véronique vivaient ensemble et toujours maintenant, Lisa emmenait Thibault à la crèche, l'accompagnait chez le médecin, lisait des livres à la bibliothèque, toute-s deux se baladaient. Elle a rarement eu l'occasion de l'emmener à ses activités extrascolaires, mais tout de même quelques fois quand il allait au judo. Elle ne croit pas avoir eu l'occasion de l'emmener à l'école, mais elle a eu chaque semaine l'occasion de le reprendre à la sortie. Lisa adorait littéralement et elle adore toujours aller à la sortie de l'école : l'attente

dans le lot des parents (qui parfois, comme le précise Lisa, ne sont certainement que des nourrices ou baby-sitters), la sortie des enfants, la joie de Thibault à courir vers elle et la retrouver, voir les copains de Thibaut, les relations qu'ils nouent entre eux, leur type de langage etc. Pour elle, c'est un moment social, d'abord, et tellement intime comme des retrouvailles. Ensuite, elle et Thibault discutent de ce que tou-te-s deux vont faire de leur temps, où se balader par exemple.

Les espaces publics - et a fortiori les lieux d'accueil des enfants comme les crèches, garderies, écoles - sont des lieux au sein desquels on peut rendre public sa parentalité. Si, comme le précise Lisa, les adultes qui attendent les enfants peuvent être des professionnel-les ; aux yeux des personnes qui les entourent qui ne les identifient pas, ce sont des parents. Par ailleurs, derrière une porte de classe de petite section, j'ai déjà entendu l'enseignante dire aux enfants : « C'est l'heure des mamans ! » Parmi les « mamans » : des hommes, des pères, des baby-sitters etc. Aller chercher l'enfant à l'école, à la crèche, à ses activités sportives et culturelles, c'est faire preuve de son investissement auprès de l'enfant, un investissement traduit par la société comme étant parental. C'est aussi avoir l'école, la crèche, les lieux d'activités comme témoins. Le personnel nous reconnait comme étant impliqué-e-s dans la vie de l'enfant. Par ailleurs, lorsque la justice demande à une personne de prouver son investissement parental, on lui demande des lettres de structures comme celle-ci - ou tout autre lieu d'accueil - attestant qu'elle est venue chercher ou accompagner régulièrement l'enfant126.

C'est aussi un moment particulier avec l'enfant, que l'on peut faire valoir. Un moment où l'enfant raconte sa journée. Une transition entre l'école, la crèche, les activités et le retour chez soi. Après, il y a les devoirs, le diner, les jeux, le coucher. Les échanges sont différents.

Les structures et les institutions servent souvent de témoins à la parentalité. D'autant plus lorsqu'elles concernent directement l'enfance et qu'un parent est censé les rencontrer dans son parcours de parent. Vanessa mobilise la maternité, l'Etat civil et la CAF afin de faire reconnaître Karine. Martine et Eva mobilisent l'Université et la recherche scientifique à travers leurs références et mon intermédiaire. Lisa mobilise l'école et le PaCS. Témoins dits « officiels » voire « institutionnels » et supposés objectifs quant aux définitions concernant les familles, les parents, l'éducation. Ces stratégies visent à compenser partiellement l'absence de

126 C'est ce que j'ai observé dans le cadre de mes activités militantes, quand un homme de nationalité étrangère, en instance de divorce et père d'un enfant français, était menacé d'expulsion.

statut. Partiellement, car elles ne garantissent aucun droit aux parents sans statut. Elles peuvent éventuellement permettre une reconnaissance sociale.

Ces différentes actions (PaCS, CAF, Etat-civil, projet de naissance) sont des actions politiques visant à faire de ces témoins « officiels », des témoins politiques de ces formes de parentalité.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci