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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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Quand la sociologie s'en mêle...

Ces changements sociopolitiques ont engendré une émulation scientifique - notamment en sociologie. La - ou plutôt les familles sont au coeur de nombreuses recherches. François de Singly considèrent que la « famille conjugale » d'Emile Durkheim35 s'est transformée en « famille moderne 2 », c'est-à-dire que dans l'intensification du processus d'individualisation et avec une société de plus en plus pédocentrée, ce n'est plus le mariage qui est le centre de la famille mais l'enfant36. Le lien électif de la conjugalité peut-être rompu dans le divorce ou la séparation. La famille doit servir la construction identitaire de l'individu-e et sa socialisation. Cette construction de l'identité, François de Singly l'étudie au sein du couple quand elle s'effectue par le/la conjoint-e dans le cadre de couples hétérosexuels (l'identité professionnelle féminine par exemple peut-être confirmée, valorisée ou niée)37. Il l'étudie aussi dans le cadre de la socialisation enfantine, quand elle s'effectue par les parents, et notamment les pères dont les rôles se sont transformés à partir des années quatre-vingt en devenant « partenaires de jeu » plus que « figures d'autorité ». L'identité se construit par et avec les autres, et devient le but ultime des relations entretenues.

Pour Jacques Commaille et Claude Martin, l'idée de l'individualisation dans la famille repose sur l'idée d'une famille construite non plus en fonction des intérêts de la société mais en fonction de ceux des individu-e-s. « La famille n'est pas seulement une réalité construite par les individu-e-s, elle est contrôlée et par là, instituée par la société, elle est une réalité socialement construite par les regards que la société et ceux qui y exercent le pouvoir portent sur elle, et par les usages qu'on prétend faire d'elle en référence à la société et à ce qui est représenté comme étant les intérêts de celle-ci »38. Si les individu-e-s s'individualisent et s'émancipent de leurs rôles, c'est toujours sous le regard de la société qui contrôle cette émancipation, au travers de liens d'interdépendance (en terme d'échange d'argents, de biens, de services).

Ce processus n'est pas sans aller avec un processus de démocratisation de la famille. Commaille et Martin expliquent que « la démocratie signifie la discussion, de façon à garantir

35 DURKHEIM Emile (1921), « La famille conjugale », cours de 1892, Revue Philosophique, reproduit in Durkheim Emile (1975), Texte III, Paris, Editions du Minuit, p.35-49.

36 SINGLY François de (2007), Sociologie de la famille contemporaine, 3ème édition refondue, Paris, Armand Colin, Collection « 128 ».

37 SINGLY François de (1996), Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan.

38 COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1998), Les enjeux politiques de la famille, Paris Bayard, p.47.

la supériorité du meilleur argument sur d'autres types de détermination de la décision »39 S'inscrire individuellement dans ce processus de « démocratisation » implique une conception des espaces publics et privés comme lieux d'égalité (égalité de genre, égalité sociale) entre individu-e-s. Les auteurs s'intéressent alors à ce qu'ils appellent « crise de la démocratie », car différents facteurs économiques et socioculturels, empêchent cette inscription de tous et toutes de manière égale dans ce processus de démocratisation.

Dans les années quatre-vingt-dix, ce sont les travaux sur les recompositions familiales qui se développent. En 1994, alors que la loi de 1987 impose de fixer une résidence habituelle pour l'enfant, Gérard Neyrand étudie la résidence alternée comme une redéfinition des rôles féminins et masculins, et comme une solution face à la séparation de l'enfant avec le parent non gardien (généralement le père)40 Cette pratique a commencé bien avant la loi de 2002 (par ailleurs, les lois sont bien souvent la résultante de pratiques sociales existantes). Si la solution apporterait des avantages relationnels (contact avec les deux parents), elle impliquerait également des contraintes matérielles (proximité, nouveau logement etc.).

Irène Théry et Marie-Josèphe Dhavernas s'intéressent à la construction du rôle du beau-parent « à la frontière de l'amitié »41. Elles mettent alors en lumière un paradoxe : si le beau-parent est « ignoré du droit, [il] ne l'est pas de la justice »42 c'est-à-dire qu'il peut être mobilisé lors d'une enquête sociale ou d'une expertise. Pour les auteures, la spécificité de la relation des beaux-parents aux enfants est qu'elle est choisie et désengagée. Ces caractéristiques l'éloignerait de la parentalité et la rapprocherait de l'amitié. Néanmoins, le beau-parent peut parfois se substituer à l'autre parent en cas de décès ou de rupture de contact. Sylvie Cadolle pense, quant à elle, que nous sommes passé-e-s d'un système dans lequel le beau-parent se substituait au parent non gardien et prenait la place du parent à un système au sein duquel beau-parent et parent se trouvent en concurrence43. L'enfant est parfois plus souvent avec le nouveau conjoint de sa mère mais doit loyauté à son père. Les liens entre parents statutaires et enfants sont devenus indissolubles et nous irions, selon Sylvie Cadolle vers une pluriparentalité. Par ailleurs, Claude Martin précise que les relations entre parents

39 Idem p.59.

40 NEYRAND Gérard (1994), L'enfant face à la séparation des parents : Une solution, la résidence alternée, Paris, Syros.

41 THERY Irène, DHAVERNAS Marie-Josèphe (1993), « La parenté aux frontières de l'amitié : statut et rôle du beau-parent dans les familles recomposées », in Meulders-Klein Marie-Thérèse, Théry Irène (dir), Les recompositions familiales aujourd'hui, Paris, Nathan, p.159-187.

42 Idem p.170.

43 CADOLLE Sylvie (2000), Etre parent, être beau-parent : la recomposition de la famille, Paris, Odile Jacob et CADOLLE Sylvie (2007), « Allons-nous vers une pluriparentalité ? L'exemple des configurations familiales recomposées », Recherches familiales, n°4, p.13-24.

statutaires ne prennent pas fin avec la rupture conjugale. En effet, parmi sa population enquêtée, 66% des parents « maintiennent des relations avec leur ex-conjoint, mais le plus souvent (dans près d'un cas sur deux), celles-ci sont réduites aux décisions concernant les enfants : leur circulation entre les deux foyers, leur suivi scolaire, les vacances etc. Dans près de 25% de ces cas où la relation parentale est maintenue, celle-ci dépasse ce niveau strictement fonctionnel : 166 parents gardiens (soit 16,3% de ceux qui ont répondu à cette question) nous disent avoir des relations tout à fait amicales avec leur ex-conjoint. La rupture complète de la parentalité ne concerne donc qu'un cas sur trois environ. »44

Cela signifie que ces configurations issues de recompositions, ne sont pas un ensemble d'électrons libres autour d'un enfant qui circule, mais qu'elles impliquent des interrelations non-seulement entre parents et enfants mais aussi entre les parents eux/elles-mêmes qu'ils/elles soient en couple ou non. L'identité de parent ne se construit donc pas seulement dans le couple et avec l'enfant mais à travers un ensemble interactionnel plus ou moins étendu.

Didier Le Gall appréhende la place de la conjointe de la mère dans le cas de recompositions homoparentales féminines45. Elle peut ne pas être dite comme la conjointe de la mère auprès des enfants, ou bien devenir une sorte de « marraine », «consultante »46. Mais comme pour toutes les recompositions, l'enjeu est pour elle de ne pas concurrencer la place du père non gardien. La venue d'un enfant commun ensuite, permettrait « d'institutionnaliser » la famille47. Mais jamais, dans les familles étudiées par Didier Le Gall, ces belles-mères ne sont appelées la « deuxième maman » ou « l'autre maman ».

A la fois dans un contexte de recompositions familiales et d'homoparentalité, ces familles ont des enjeux qui ne sont donc pas tout à fait les mêmes que dans les familles homoparentales où deux parents de même sexe veulent se faire reconnaître comme tel-le-s. Ces configurations vont apparaître dans les objets de recherche sociologiques dès la fin des années quatre-vingt-dix et à partir des débats autour du PaCS. Eric Fassin montre un renversement de la question homosexuelle dans les sciences sociales par un questionnement des normes, imposé par les acteurs et actrices elles-mêmes48. Les membres de ces différentes

44 MARTIN Claude (1997), L'après-divorce : Lien familial et vulnérabilité, Rennes, Presse Universitaire de Rennes, p.116.

45 LE GALL Didier (2001), « Recompositions homoparentales féminines », in Le Gall Didier, Bettahar Yamina (dir), La pluriparentalité, Paris, Presse Universitaire de France, p.203-242.

46 Idem p.225.

47 Idem p.230.

48 FASSIN Eric (2008), L'inversion de la question homosexuelle (nouvelle édition augmentée), Paris, Edition Amsterdam.

formes familiales se font reconnaître sur deux échelles : celle de la famille et celle de la parentalité.

A l'échelle de la famille, Anne Cadoret49 montre de quelle manière les familles homoparentales se constituent à partir de modèles déjà existants. Lorsque deux femmes ou deux hommes ont un enfant via les Nouvelles Techniques de Reproduction (NTR) ou via le recours à l'adoption, la famille est homoparentale mais il n'y a que deux parents vivant au sein d'un même foyer). En revanche, lorsqu'un couple de femmes et un couple d'hommes se mettent en accord pour avoir un enfant dans le cadre d'une coparentalité50, la famille est pluriparentale mais l'enfant a une mère et un père statutaires et cette forme familiale rappelle directement les familles recomposées.

A l'échelle de la parentalité, Virginie Descoutures étudie la relation entre les mères lesbiennes et leurs enfants51. Elle montre que la reconnaissance de soi ou de l'autre comme parent dépend des représentations que l'on se fait de l'engendrement (une femme serait mère par le fait d'être enceinte) et/ou de la reconnaissance par la loi (la filiation et dans une moindre mesure l'autorité parentale). Le travail parental n'est pas nécessaire aux yeux de la loi pour être reconnu-e comme parent quand on a adopté ou reconnu l'enfant à l'Etat Civil. Cependant, il est tout de même un argument politique dans la création de nouveaux statuts (parent, coparent, beau-parent). Virginie Descoutures relève l'aspect subjectif de la notion de travail parental. Il s'agit d'un ensemble de représentations qui assignent les parents à certaines tâches. Ces tâches sont attribuées à la parentalité, de manière genrée. Dans le cas des couples lesbiens, le travail parental de la mère non statutaire est vu comme « complémentaire » de celui de sa conjointe, selon une division des rôles essentialisée dans le cadre de famille hétéroparentale52. Par exemple, on le verra, la conjointe de la mère statutaire revendique alors un rôle de séparation entre l'enfant et sa mère, rôle que certains courants de la psychologie reconnaissent au père. Néanmoins, la prise de décision se fait en général par le parent statutaire, quel que soit son sexe.

49 CADORET Anne (2000), « L'homoparentalité, construction d'une nouvelle figure familiale. », Anthropologie et Sociétés, vol. 24, n°3, p.39-52.

50 Terme ici, utilisé dans le sens qui lui ai donné par l'APGL en référence à son sens premier, partage de l'autorité parentale. Ici la coparentalité implique statutairement le père et la mère statutaires mais aussi dans la réalité sociale, parfois concrétisée par une charte sans valeur juridique, les conjoint-e-s de ceux/celles-ci.

51 DESCOUTURES Virginie (2006), « De l'usage commun de notion de parentalité », in Cadoret Anne, Gross Martine, Mécary Caroline, Perreau Bruno (dir), Homoparentalités : Approches scientifiques et politiques, Paris, PUF, p.211-222

52 SINGLY François de, DESCOUTURES Virginie (2005), « La vie en famille homoparentale », in Gross Martine (dir) Homoparentalité, Etats des lieux, Paris, Erès, p.329-343.

La reconnaissance semble également se faire à travers l'enfant qui reconnaît l'adulte comme son parent. Ce parent non statutaire n'est pas forcément défini comme père ou mère mais relativement à un autre rôle, construit proche du parrain et de la marraine à l'exception faite qu'il/elle ne remplit pas son rôle parental à la suite du décès des parents mais dès l'arrivée de l'enfant.

Enfin, la reconnaissance est également publique53 (affichage du faire-part de naissance sur le lieu de travail par exemple).

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