Paragraphe II : Un système destiné à
remédier aux lacunes de la Charte africaine
Le système africain de protection des droits de l'homme
institué par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et
longtemps incarné par la Commission africaine des droits de l'homme et
des peuples, présentait de nombreuses lacunes faute notamment de moyens
et d'un véritable pouvoir contraignant. Face aux nombreuses critiques et
lacunes, la naissance d'une Cour ne pouvais être que salutaire.
Créée 17 ans après la création de
la Commission et 11 ans après sa mise en place, « le
système de protection ainsi adopté ne résulte pas d'une
volonté délibérée à mettre en place un
système
33 Ibid., paragraphe 5, pages 4 et 5.

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global et entier, mais plutôt de la volonté
de combler une lacune qui paralysait de facto l'action de protection des droits
de l'homme telle que prévue par la Charte africaine
»34.
C'est donc « dans l'optique de remédier
à ces lacunes que s'inscrit résolument le Protocole de
Ouagadougou »35. Ainsi, il ressort de l'article 2
du Protocole que, « [l]a Cour [...] complète les fonctions de
protection que la Charte [...] a conférées à la Commission
[...] ». L'article 3 vient préciser quant à lui que
« [l]a Cour a compétence pour connaitre de toutes les affaires
et de tous les différends dont elle est saisie concernant
l'interprétation et l'application de la Charte, du présent
Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme
et ratifié par les Etats concernés », alors que la
Charte avait une conception beaucoup plus restrictive du champs de la
Commission que l'article 45 limitait à l'interprétation de ses
seules dispositions à la demande d'un Etat partie, d'une institution de
l'UA, ou d'une Organisation africaine reconnue par cette dernière.
Le Protocole contient également d'autres
éléments novateurs visant à remédier aux lacunes de
la Charte pour une meilleure protection des droits de l'homme en Afrique.
C'est notamment le cas du caractère
définitif et obligatoire des arrêts de la Cour
tel qu'il ressort de l'article 28 - 2 du Protocole : « l'arrêt
de la Cour [...] est définitif et ne peut faire l'objet d'appel
». La force obligatoire des décisions de la Cour est une
avancée majeure et une condition indispensable pour l'effectivité
de la protection des droits de l'homme en Afrique comme par tout ailleurs.
Cette absence de force obligatoire des conclusions ou recommandations de la
Commission fut l'une des limites fondamentales à l'effectivité de
la protection des droits de l'homme comme en témoigne l'article 52 de la
Charte en ces termes : « [...] après avoir essayé par
tous les moyens appropriés de parvenir à une solution amiable
fondée sur le respect des droits de l'homme et des peuples, la
Commission établit, [...] un rapport relatant les faits et les
conclusions auxquelles elle a abouti. [...] ». Nous remarquons donc
que la Commission s'inscrivait dans une dynamique purement et simplement
conciliatrice.
En ce qui concerne l'exécution des arrêts de la
Cour, les Etats parties s'engagent expressément à « se
conformer aux décisions de la Cour » et à « en
assurer l'exécution dans
34 QUILLERE-MAJZOUB Fabienne, « L'option
juridictionnelle de la protection des droits de l'homme en Afrique. Etude
comparée autour de la création de la Cour africaine des droits de
l'homme et des peuples », op. cit., p.730.
35 ATANGANA AMOUGOU Jean-Louis, «
Avancées et limites du système africain de protection des droits
de l'homme : La naissance de la Cour africaine des droits de l'homme et des
peuples », op. cit., p. 176.

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le délai fixé par
elle»36. En application de l'article 29, « le
Conseil des Ministres de l'UA veille à leur exécution au nom de
la Conférence »37. Cette solution plus «
réaliste »38 que celle de la Charte est similaire
à celle du système européen où l'exécution
des arrêts rendus par la CEDH39 est confiée au
Comité des Ministres du Conseil de l'Europe (CE).
Ensuite, l'une des innovations de la Cour découle de
l'article 27 du Protocole qui lui confère une très grande
liberté et un large pouvoir discrétionnaire «
lorsqu'elle estime qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des
peuples », d' « ordonner toutes mesures appropriées
afin de remédier à la situation, y compris le paiement d'une
juste compensation ou l'octroi d'une réparation ». En
application de cette même disposition, la Cour peut également
« dans les cas d'extrême gravité ou d'urgence, ordonner
des mesures provisoires qu'elle juge pertinentes lorsqu'il s'avère
nécessaire d'éviter des dommages irréparables à des
personnes ». Il convient de remarquer qu'un tel pouvoir
n'était pas offert à la Commission.
Enfin, l'article 28 du Protocole prévoit entre autres,
l'obligation pour la Cour de « motiver » ses arrêts,
le caractère « public » des audiences et la
possibilité pour les juges d'y joindre une « opinion
individuelle » ou « dissidente ». La Commission et
ses membres ne disposaient pas de telles prérogatives, aussi la
procédure devant la Commission était soumise à une stricte
confidentialité40 et les décisions étaient
très confidentielles et même « difficiles d'accès
et le chercheur n'était jamais certain d'en avoir une
appréhension exhaustive »41. Dans certaines de ses
décisions, même lorsque la Commission relevait une violation des
droits protégés par la Charte, « la motivation faisait
défaut, elles étaient très courtes et n'étaient pas
suivies d'indications claires et accessibles sur leur devenir
»42.
Il ne faut tout de même pas perdre de vu que le
système mis en place par la Charte africaine n'était pas un
système judiciaire ou quasi judiciaire même si la Commission a
opéré
36 Protocole de Ouagadougou, article 30.
37 Idem, article 29 paragraphe 2.
38 ATANGANA AMOUGOU Jean-Louis, «
Avancées et limites du système africain de protection des droits
de l'homme : La naissance de la Cour africaine des droits de l'homme et des
peuples », op. cit., p. 177.
39 Cour européenne des droits de l'homme.
40 Ainsi, l'article 59 de la Charte dispose que :
« 1. Toutes les mesures prises dans le cadre du présent chapitre
resteront confidentielles jusqu'au moment où la Conférence des
chefs d'Etats et de gouvernement décidera autrement. 2. Toutefois, le
rapport est publié par le Président de la Commission sur
décision de la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement. 3.
Le rapport d'activités de la Commission est publié par son
Président après son examen par la Conférence des Chefs
d'Etat et de gouvernement. »
41 TIGROUDJA Hélène, « Le
système africain de protection des droits de l'homme : un laboratoire
des droits universels ? », in Ludovic HENNEBEL et
Hélène TIGROUDJA (dir.), Humanisme et Droit (en hommage
au Professeur Jean DHOMMEAUX), Paris, Pedone, 2013, pp. 409-425, p. 411.
42 Ibid. p. 411.

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une transformation considérable en tendant à
s'ériger tant bien que mal en un véritable organe juridictionnel.
Pour pouvoir remplir convenablement sa mission, il faut reconnaitre que «
la Commission avait dû faire preuve d'une certaine audace et sortir
du champ étroit de son action dans lequel la Charte l'avait
confinée. Elle avait ainsi bravé l'obstacle de la
confidentialité de ses activités en procédant à une
interprétation extensive de la Charte »43.
Cependant, il s'avère très important de
préciser que la Charte africaine, contrairement aux Conventions
européenne et américaine des droits de l'homme, contient d'autres
lacunes auxquelles le Protocole n'a pas remédié : il s'agit
notamment de l'absence du droit à la vie privée et de la question
de dérogation.
Au regard de ce qui précède, la Commission
n'était donc pas une institution indépendante et elle
était confrontée à de nombreuses limites. Ce qui est loin
d'être le cas de la Cour africaine de droits de l'homme et des
peuples.
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