II-Le cas particulier des noyades
Dans une seconde partie, nous allons nous attarder sur la
retranscription des noyades dans la presse locale du département du
Rhône et voir quel est l'apport de la presse concernant la
prévention des noyades et l'aide aux enquêtes.
a) Un moyen d'éducation quant à la
dangerosité des noyades
Comme nous avons pu le voir précédemment, la
presse connaît au XIXème siècle un essor fulgurant
marqué par une hausse du lectorat et un engouement pour la lecture des
faits divers. La retranscription des noyades dans la presse de l'époque
est quelque chose de très courant aux XIXème et XXème
siècles et nous avons eu l'occasion de rencontrer des cas de noyade au
sein de différents journaux régionaux, à savoir le
Journal du commerce de la ville de Lyon et du département du
Rhône et la Gazette de Lyon et Lyon
Républicain. Le Journal du commerce et de la ville de Lyon
est une feuille régionale diffusée à Lyon et dans ses
alentours de 1823 à 1844. La Gazette de Lyon est quant à
elle un quotidien régional fondé en 1845 et qui a paru jusqu'en
1852. Enfin, le dernier journal dans lequel nous avons pu trouver des articles
sur des noyades ayant eu lieu dans le Rhône est Lyon
Républicain un quotidien basé à Lyon fondé en
1878 et dont le dernier numéro a été publié le 30
juin 1944. Avec l'étude de ces trois journaux régionaux, nous
avons pu constater que les noyades étaient couramment
évoquées dans la presse de l'époque. La description de ces
événements tragiques est réalisée de la même
manière qu'au sein des PV que nous avons pu dépouiller. En effet,
ces journaux décrivent à chaque fois le lieu et la date de la
disparition ou de la découverte d'un cadavre de noyé, et donne
les informations relatives à l'identité du noyé lorsque
celles-ci sont connues. Nous pouvons citer par exemple un article de la
Gazette de Lyon datant du 7 juillet 1850 dans lequel est
évoqué la disparition d'une victime dans la Saône à
Lyon le 3 juillet de la même année. Cet article évoque
« un jeune homme de 18 ans s'est noyé dans la Saône
mercredi près de la Quarantaine. On raconte à ce sujet qu'un
courageux enfant de 10 à 12 ans, témoin de la catastrophe a fait
les plus grands efforts pour le sauver. Il a failli périr
lui-même, et ce n'est que par
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miracle qu'il s'est échappé sain et sauf des
étreintes du noyé272 ». Si de prime abord
cet article a une visée informative pour le lecteur, il possède
permet également d'avertir la population quant à la
dangerosité des noyades tout en mettant en lumière les personnes
qui fournissent des efforts afin de tenter de sauver une victime de la
noyade.
b) Un apport dans l'avancée des recherches et des
enquêtes policières
La diffusion de masse de ces articles sur les noyades de la
presse régionale possède également un autre
intérêt non négligeable pour cette période : une
aide à la reconnaissance des victimes et aux enquêtes. Au
XIXème siècle et au début du XXème siècle,
la presse écrite constitue l'unique média et donc l'unique mode
de diffusion d'informations au plus grand nombre. Il paraît
régulièrement au sein des articles publiés par ces
journaux régionaux des signalements de disparition de noyé ou de
découverte de cadavre dont l'identification n'a pu être
réalisée par les autorités en présence. Concernant
les cas de disparition évoqués par les journaux, leur diffusion
auprès du grand public permet d'apporter une aide de la part de la
population qui peut participer aux recherches pour retrouver la victime, mais
qui peut également apporter des informations importantes aux forces de
l'ordre, comme des témoignages afin de faciliter l'enquête. On
observe par exemple le signalement de la disparition d'un nommé Jean
Fonne, fusilier dans un article du Journal du commerce de la ville de Lyon
et du département du Rhône datant du 29 juin 1836. Ce
signalement permet alors de diffuser le lieu et la date de la disparition de la
victime tout en donnant des informations susceptibles d'aider l'identification
de son corps. Pour le cas de Jean Fonne, il est mentionné que cet homme
« s'est noyé dans la Saône derrière le quartier de
Perrache » et que « son cadavre n'a point encore
été retrouvé273 ». Concernant les
découvertes des cadavres de noyé qui sont retranscrites au sein
des articles de presse, leur diffusion permet également une aide
à l'enquête et plus particulièrement dans le cas des
cadavres qui n'ont pas pu être identifié. La description du
cadavre et de ses vêtements permet alors aux personnes reconnaissant
l'identité de la victime de venir témoigner et d'identifier le
corps. On retrouve par exemple dans un article du journal Lyon
Républicain datant du 28 juillet 1935 et intitulé «
Noyé retiré du Rhône » la description de la victime et
du cadavre concerné par cette noyade.
272 GAZETTE DE LYON, numéro du 7 juillet 1850, Retronews.
Consulté le 2 mai 2024.
273 JOURNAL DU COMMERCE ET DE LA VILLE DE LYON, numéro du
29 juin 1836, disponible sur Retronews. Consulté le 26 avril 2024.
Ainsi l'article informe les lecteurs qu' « un noyé
a été retiré du Rhône hier après-midi
à la hauteur de la place Antonin-Poncet » et que ce dernier
n'était vêtu que d'un caleçon de bain. L'article se
poursuit en proposant une description physique détaillée de
l'individu : « âgé de 45 ans environ, taille d'1m64,
corpulence moyenne, visage rond, nez pointu, chauve, moustaches rousses
grisonnantes, bonne dentition274 ».
Nous pouvons dire en conclusion de ce chapitre que la presse
locale et régionale aux XIXème et XXème siècles
dans le Rhône révèle l'importance et l'influence de
média dans la prévention et l'éducation de la population.
La retranscription des faits divers, et en particulier des noyades suscite chez
le lectorat un vif intérêt tout en jouant un rôle crucial
dans l'inculcation de valeurs morales. En mettant en lumière les actes
de courage et de bravoure lors des sauvetages des victimes, la presse contribue
à la formation d'une solidarité collective qui valorise
l'entraide. De plus, la presse joue un rôle de soutien lors des
enquêtes policières qui visent à retrouver le cadavre d'une
victime ou à identifier le cadavre d'un noyé.
En conclusion de cette troisième et dernière
partie, on peut dire que les XIXème et XXème siècles en
France marquent l'émergence d'une perception différente à
l'égard des noyades et de leur prise en charge. Au début du
XIXème siècle, les autorités publiques font émerger
une politique de lutte par la prévention et l'intervention avec la
création de diverses lois mais également de structures et
d'aménagements qui ont pour but également de contrôler les
baignades qui constituent les premières causes de noyade durant cette
période. Parallèlement, le développement de la
médecine légale à Lyon ainsi que la croissance des
lecteurs de la presse régionale permettent également des
évolutions quant à la prévention des noyades, l'incitation
à porter secours aux victimes mais également dans la prise en
charge des cadavres et l'avancée des enquêtes. Tous ces
changements reflètent un engagement plus profond de la part de
l'État et de la société dans la protection de la vie
humaine.
274 LYON RÉPUBLICAIN, « Noyé retiré du
Rhône, Numéro du 20 août 1932, disponible sur Retronews.
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