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Histoire et épidémiologie historique de la noyade dans le Rhône XIXème-XXème sièclespar Charlotte Gouillon Université Lyon 2 - Master 2 2025 |
CHAPITRE 1LA PROPORTION DES NOYADES DANS L'ENSEMBLE DES MORTS
RECENSÉES Dans un premier chapitre, nous allons nous attarder sur les causes des morts recensées, leur proportion, et la proportion des noyades au sein de ces cas dans nos archives des PV situées aux ADR117. Comme nous avons pu l'évoquer dans l'introduction, nous avons réalisé au cours de nos recherches plusieurs bases de données. Pour ce premier chapitre dans lequel nous allons traiter l'intégralité des morts recensées nous nous baserons d'une part sur notre base de données au sein de laquelle nous avons classé toutes les morts évoquées dans nos PV des ADR hors noyades, et d'autre part nous allons utiliser la base de données au sein de laquelle nous avons registré les cas de noyades. Il nous faut préciser ici que nos statistiques seront basées uniquement sur les morts recensées et issues des archives des PV des ADR. En effet, pour des questions de logique, nous ne pourrons pas utiliser les cas de noyades que nous avons recensé suite au dépouillement des archives des registres d'entrée des morts à la morgue puisque pour ces années-là, c'est-à-dire de 1939 à 1950, nous avons uniquement recensé les cas de noyades et non pas l'intégralité des morts recensées. Leur utilisation fausserait nos statistiques. I- Les morts accidentelles recensées dans le département du Rhône entre 1800 et1939 Dans un premier temps, nous allons voir les morts accidentelles que nous avons pu recenser au sein de nos archives. Nous considérons comme mort accidentelle, toute mort non naturelle qui est causée par un accident, comme une chute, une collision routière ou un empoisonnement accidentel. En dépouillant les côtes 4M488 à 4M495, nous avons recensé 1126 cas de morts (hors noyade) s'étendant de l'année 1808 à l'année 1937. Au sein de ces 1126 cas, nous notons la présence de 433 cas de morts accidentelles, ce qui représente au total 38,45% des morts accidentelles. Il y a certainement d'autres morts causées par un accident, cependant, sans certitude concernant la conclusion de la mort, nous nous appuierons uniquement sur les certifications qui ont été apportées au sein des PV. 117 Voir partie « Annexes ».
52 a) Les accidents de la circulation Tout d'abord, nous allons nous intéresser à ce que l'on a nommé les accidents de la circulation. Nous considérons ici comme accident de la circulation toute mort qui a été provoquée par un moyen de transport, que ce soit une voiture, une charrette tirée par un cheval, un train ou un avion. Les accidents de la circulation représentent dans notre base de données 90 cas, c'est-à-dire que plus de 20% des morts accidentelles sont liées à un accident de la circulation. Parmi ces derniers, nous retrouvons en majorité les accidents de voiture, liés à des accidents de charrette et d'automobiles qui représentent 64 cas, soit 14,78% des morts accidentelles. Le premier accident de voiture que nous rencontrons a lieu en 1811 et le dernier en 1867. Ces accidents de voiture concernent en grande majorité des hommes puisque 55 cas sont de sexe masculin, ce qui représente 85,94% des victimes. Dans la majeure partie des accidents de voiture recensés, les morts sont provoquées par le poids de la voiture qui vient écraser la victime, et ainsi donc écraser ses organes vitaux. Ils sont provoqués soit directement par la personne possédant la voiture après une faute d'inattention soit sur une victime qui est percutée par un conducteur. 53 Pour illustrer ces accidents de la circulation, nous pouvons prendre comme exemple le cas d'Eugène Chatain118, qui en 1864 est tombé de sa voiture, laquelle lui est passée sur le corps puis a entrainé sa mort dans les heures qui suivirent. Nous pouvons également évoquer le cas de monsieur Chélin qui en 1818 a « été renversé par le cheval qu'il s'efforçait de retenir119 », la voiture lui est alors passée sur le corps, et la victime a été retrouvée morte sur place. Ces cas d'accidents de la circulation touchent l'ensemble de la population, sexe, classe sociale ou âge confondus. Notons le cas de la petite Frédière, alors âgée de 27 mois, qui « jouait sur le trottoir lorsque le bruit d'une voiture tout à coup a effrayé le cheval120 », l'enfant fut projetée à terre, le crâne fracturé et décéda sur place. Concernant les accidents de train, ces derniers surviennent à partir de l'année 1836. Ils ne concernent alors pratiquement que des hommes, un seul cas de sexe féminin étant à noter en 1851. Enfin, on ne décompte que deux accidents liés à un avion, un premier en 1919 et un second en 1937. Le premier accident a fait deux victimes de sexe masculin, deux militaires, il s'agissait d'un « biplan appartenant au centre d'aviation du Rhône » qui « s'est abattu sur un immeuble situé Rue Nationale n°23121 » à Villefranche-sur-Saône. Le deuxième accident a provoqué quant à lui le décès de 5 personnes, 4 hommes et une femme, de nationalité anglaise. Cet accident d'avion a été provoqué par une mauvaise météo ce qui provoqua le crash de l'avion dans la commune d'Ouroux, en pleine région montagneuse du Beaujolais. Nous pouvons noter une croissance de ces accidents de la circulation durant les années 1860, décennie qui regroupe à elle seule 37 victimes d'un accident lié à la circulation, tandis que nous recensons de 1900 à 1939, aucun cas d'accidents de voiture ou de train, mais uniquement les crash d'avion cités précédemment. Cela ne traduit pas une absence d'accidents de voiture ou de train au début du XXème siècle, mais une absence des procès-verbaux relatant ces faits pour cette période, ce qui nous empêche de démontrer une réelle évolution des accidents de la circulation durant cette période donnée. 118 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M494. 119 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M489. 120 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M494. 121 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M495. 54 b) Les accidents sur les lieux de travail Désormais, nous allons nous intéresser à une autre catégorie d'accidents mortels : ceux qui ont lieu sur les lieux de travail des victimes. Au cours de nos recherches, nous avons pu observer une forte hétérogénéité au sein des professions des victimes ayant connu une mort accidentelle sur leur lieu de travail. La catégorie professionnelle qui touche le plus de personnes victimes d'accident mortel sur leur lieu de travail au sein des PV est celle des ouvriers, notamment ceux qui exercent dans la construction ou le bâtiment. La majeure partie du temps, ces ouvriers décèdent à la suite d'un ensevelissement, d'un écrasement, d'un effondrement, d'une chute ou d'une asphyxie. L'intégralité des cas traitant de la mort d'un ouvrier concerne des ouvriers de sexe masculin. Ces accidents mortels sur les chantiers de construction ont lieu durant toutes les décennies que nous étudions au sein de notre travail et nous ne notons pas d'évolution particulière. Au début du XIXème siècle, nous pouvons citer comme exemple le décès d'un ouvrier qui en 1811 fut « enseveli sous les décombres d'un énorme rocher qui s'est détaché et éboulé122 » ou le cas d'Étienne Buisson, 18 ans, qui fut « écrasé par l'éboulement inopiné d'un bâtiment123 ». Une autre des circonstances majeures entraînant la mort de victimes sur leur lieu de travail est l'asphyxie. La mort par asphyxie peut être définie comme le « ralentissement grave ou l'arrêt de la respiration pouvant entraîner la mort, provoqué par des facteurs externes ou internes124 ». Plusieurs circonstances peuvent provoquer cette asphyxie chez une personne, nous retrouvons notamment l'asphyxie causée par un manque d'oxygène, une noyade, l'absorption de gaz toxiques ou la strangulation. Dans le cas des morts accidentelles causées par une asphyxie sur le lieu de travail d'une victime, nous rencontrons tous les cas de figure. En 1818, Jean Bourricant et Benoit Loup alors qu'ils sont en train de travailler trouvent la mort par asphyxie après avoir inhalé du gaz méphitique d'une fosse125 tandis qu'en 1864, Jean Milou trouve la mort par asphyxie « en foulant sa cuve de vendange126 ». Une autre cause importante de décès survenu sur un lieu de travail est le broiement, et notamment le broiement causé par l'implication d'une machine quelconque. 122 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M488. 123 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M494. 124 CNRTL, « Asphyxie ». Dans Dictionnaire en ligne. Consulté le 18 juin 2024. Disponible sur : < https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/asphyxie> 125 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M489. 126 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M494. 55 Ainsi, nous retrouvons une unique victime de sexe féminin, il s'agit de Jeanne Laurent, qui fut broyée en 1864 « par l'engrenage d'une pompe mise en mouvement par un âne »127. Concernant les victimes de sexe masculin, nous pouvons par exemple citer le cas de monsieur Crozet, âgé de 70 ans et meunier, qui dans un état complet d'ivresse fut broyé après avoir chuté dans l'engrenage de son moulin128. Enfin, la dernière des causes les plus courantes d'accidents du travail provoquant le décès est la chute nous relevons, notamment pour le cas des ouvriers, 15 cas de victimes ayant chuté d'une échelle ou d'un échafaudage tel que le maçon Jacques Raton, qui s'est « tué raide en tombant d'une échelle » en 1824129. c) Les chutes Si la mort causée par la chute a lieu sur les lieux de travail, elle est également l'une des plus courantes au sein des morts accidentelles. Nous comptabilisons au total 129 morts causées à la suite d'une chute, ce qui représente un total de 29,79% des morts accidentelles et la cause de la mort accidentelle recensée la plus répandue dans nos archives de PV. Au sein de ces 129 chutes, 16 victimes sont de sexe féminin, 112 de sexe masculin, et 1 de sexe inconnu. Bon nombre de ces chutes ont lieu directement au domicile de la victime et sont généralement causées après une faute d'inattention ou de maladresse de la part de la victime. Nous notons la présence nombreuse de chutes ayant été entrainées du haut d'une fenêtre, d'un escalier, d'une échelle ou d'un échafaudage. Concernant les chutes ayant eu lieu dans une maison d'une fenêtre ou d'un escalier, l'étage est généralement précisé, on retrouve alors des chutes ayant eu lieu d'un point assez élevé, comme du 6ème étage d'une maison, mais également d'autres chutes, dont l'élévation est plus surprenante et plus basse, comme le cas de Félix Gury, 8 ans, qui s'est tué après avoir chuté d'une hauteur de 80 centimètres en 1850130. Un facteur est également à prendre en considération concernant certaines chutes entraînant la mort de victime de sexe masculin : l'ivresse. En effet, sur les 112 chutes que nous comptabilisons, 17 ont été engendrées sous l'emprise de l'alcool tel que pour le cas de François Mulet, 23 ans, cordonnier, qui « est tombé du 4ème étage par suite d'ivresse »131. Tel que 127 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M494. 128 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M494. 129 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M492. 130 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 131 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M492. 56 nous avons pu l'observer concernant les morts liées à un accident de la circulation, la période comptabilisant le plus de morts causées par une chute accidentelle est celle s'étendant de 1860 à 1867, période durant laquelle nous avons collecté le plus d'archives de PV. d) Les asphyxies et les incendies Dans une quatrième sous-partie, nous allons désormais traiter les morts accidentelles ayant été entrainées à la suite d'une asphyxie et/ou d'un incendie. Ce choix de regrouper ces deux causes s'explique par la fait que « 80% des décès lors d'incendies sont en relation avec l'inhalation des fumées132 », et sont donc par conséquence provoqués la majeure partie du temps par l'asphyxie de la victime. De plus, il est fréquent que la cause médicale de la mort d'une victime ayant péri au sein d'un incendie ne soit pas explicitée, il nous paraissait donc logique d'associer ici ces deux circonstances. Il est également à noter qu'un nombre important d'incendies est recensé au sein des PV, mais la majeure partie n'ayant causé que des dégâts matériels, nous n'évoquerons ici que les incendies ayant provoqué la mort de victimes. Nous définirons les incendies comme des feux qui en se propageant ont engendré la mort de quelqu'un, nous étudierons donc tous les cas de décès liés au feu, que celui-ci soit minime ou plus important. Au total, nous recensons 18 cas de victimes ayant été tuées accidentellement par immolation au sein desquels nous relevons la présence de 8 femmes et de 10 hommes. La côte 4M494 est celle au sein de laquelle nous recensons le plus d'incendie ayant entraîné un ou plusieurs décès. En effet, nous comptabilisons 10 cas dans la côte 4M494, qui ont lieu de l'année 1864 à l'année 1867. L'âge moyen des victimes est relativement peu élevé, on note notamment plusieurs cas de jeunes enfants tels que le cas de la petite Saunier, qui est décédée dans un incendie à l'âge de 30 mois en 1835133, celui de la fille Sejatton, brûlée à cause de « l'imprudence de sa nourrice » alors qu'elle n'était âgée que de 4 mois134, ou celui de François Durand, décédé à l'âge de 3 ans après avoir « mis le feu à ses vêtements135 ». 132 Francis LÉVY, Expert en Médecine légale près la Cour d'Appel de Colmar, ancien Médecin-chef des Sapeurs-Pompiers du Haut-Rhin, « Pourquoi les fumées d'incendie tuent. Les dangers des fumées d'incendie », defifeu.fr. Disponible sur : < https://www.defifeu.fr/connaitre-les-risques-incendie/pourquoi-les-fumees-incendie-tuent> 133ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 134 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 135 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M494. Concernant les décès par asphyxie, hors incendie, nous retrouvons notamment des asphyxies ayant eu lieu dans des puitss et des asphyxies ayant été provoquées par l'inhalation de vapeurs de charbon de bois ou de four à chaux. Nous relevons 8 cas d'asphyxie sur les 30 répertoriés qui furent causés par la fumée de charbon de bois, comme la femme Meunier, âgée de 57 ans qui fut « asphyxiée par la vapeur du charbon » en 1823136. e) La représentation des noyades dans les morts accidentelles Désormais, nous allons nous intéresser dans un dernier temps à la proportion des noyades accidentelles au sein de l'intégralité des morts accidentelles recensées au sein des archives des PV. Pour cela, nous ne prendrons en compte que les noyades issues des dépouillements des archives des PV des ADR afin d'établir nos chiffres et nos statistiques, étant donné que lors du dépouillement des registres d'entrée des corps à la morgue aux AML nous n'avons pu répertorier que les cas de noyades par manque de temps. Comme nous avons pu l'évoquer auparavant, notre base de données contient 433 cas de morts accidentelles avérées dans les PV hors cas de noyade. Dans notre base de données classifiant les cas de noyades au sein des côtes 4M488 à 4M495, nous relevons 469 cas de noyades certifiées accidentelles, 35 cas de noyades dont la conclusion de la mort est soit liée à un accident soit à un suicide et 185 cas où nous ne connaissons pas les circonstances de la mort. Nous observons alors que la noyade représente la première cause de mort accidentelle dans le département du Rhône au XIXème siècle et au début du XXème siècle puisqu'elle représente 52% des morts recensées de l'année 1811 à l'année 1937. Nous vous proposons désormais d'observer un graphique au sein duquel sont représentées l'intégralité des circonstances accidentelles des morts rencontrées. 136 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M492. 57
En conclusion nous pouvons affirmer que l'étude de la période s'étendant de 1800 à 1939 dans le département du Rhône révèle une réalité complexe et une multiplicité dans les morts accidentelles. En étudiant les PV, on observe une prévalence notable des noyades dans l'ensemble des décès accidentels, ces derniers représentant une proportion significative des décès recensés. II- Les homicides dans le département du Rhône de 1800 à la veille de la Seconde Guerre mondiale Dans un deuxième temps, nous allons étudier le cas des homicides. Un homicide est « l'action de tuer volontairement ou non un être humain137 ». Lorsque nous évoquerons le cas des homicides, nous prendrons en compte les meurtres qui constituent l'action de tuer quelqu'un, mais également les assassinats qui constituent quant à eux l'action de tuer quelqu'un avec préméditation. Au sein des archives des PV, il n'est que très rarement mentionné si la victime a été tuée avec préméditation, c'est pour cette raison que nous regroupons dans un seul et unique groupe les homicides. Les homicides avérés représentent 77 cas sur 1126 représentant alors un total de 6,84%. 137 Larousse, « Homicide ». Dans Dictionnaire en ligne. Consulté le 23/05/2024. 58 Cependant, il faut préciser que la fiabilité des conclusions faites au sein des procès-verbaux qui sont rédigés sans qu'une enquête préalable ait été effectuée peuvent être remises en cause, et qu'il y a de fortes probabilités pour que le nombre d'homicide soit en réalité plus important. Au sein de ces 77 cas, la majorité des victimes d'homicide sont de sexe masculin, elles représentent 55,84% des cas, à noter que 18 concernent des victimes de sexe féminin, et 16 sont de sexe inconnu. a) Les infanticides Tout d'abord, nous allons traiter une catégorie d'homicide qui a fortement retenu notre attention : l'infanticide. Usuellement, l'infanticide définissait l'acte de tuer un nouveau-né. Pour notre étude, nous prendrons en compte tous les homicides concernant des victimes de moins de 10 ans. Nous prendrons également en considération les abandons et les avortements clandestins puisque dans la période qui nous intéresse, l'avortement était considéré comme un acte illégal qui était réprimé par la loi, et ce jusqu'à la loi Veil qui légalise l'interruption volontaire de grossesse du 17 janvier 1975138. Nous comptabilisons au sein des 77 homicides recensés, une part non-négligeable d'infanticides qui sont au nombre de 37, parmi lesquels diverses causes viennent expliquer la mort : l'avortement, l'utilisation d'une arme blanche, et l'abandon. À noter que dans 11 de ces cas, les causes de la mort ne sont pas mentionnées dans les PV. Concernant le sexe des victimes d'infanticide, 11 sont des filles, 10 des garçons, et 16 sont de sexe inconnu, ou non-identifié comme pour les avortements qui n'offraient pas toujours la possibilité d'observer un foetus assez développé pour pouvoir identifier son sexe. Dans la majeure partie de ces meurtres, il est fortement probable, même s'il n'est pas automatiquement mentionné dans les PV, que ces infanticides aient été réalisés par l'un des parents de la victime concernée. Plusieurs motifs sont évoqués pour justifier ces actes. Tout d'abord, concernant les avortements, le motif principal est le non-désir ou l'incapacité de devenir mère pour les femmes tel qu'on peut l'observer au sein de ces extraits : « un foetus de sexe féminin a été trouvé mort exposé dans une allée à Lyon139 » ou « une boite renfermant un foetus de sexe féminin on n'a trouvé aucun signe de mort violente (É) cause ne pouvait être attribuée qu'à un avortement140 ».Une autre circonstance est mise en lumière concernant ces cas d'infanticides, il s'agit de l'abandon à la naissance. Nous pouvons notamment 138 GOUVERNEMENT, « Le droit à l'avortement », gouv.fr, mis à jour le 6/05/2024, consulté le 12 juin 2024. Disponible sur : < https://ivg.gouv.fr/le-droit-lavortement> 139 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M490, 1819. 140 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M489, 1818. 59 60 citer un cas d'abandon ayant eu lieu en 1864 et qui évoquait la découverte d'« un enfant nouveau-né de sexe masculin (qui) a été trouvé exposé sur le quai Touville en face de la rue du noir141 ». L'auteur de l'avortement ou de l'abandon n'est alors jamais mentionné, puisqu'à défaut d'aveux volontaires, il était très compliqué d'identifier la personne à l'origine de l'avortement. Quant à l'identité des victimes, elle n'est également que rarement connue. Parfois, les lieux de découverte de ces nourrissons pouvaient en dire long concernant la nature et l'inhumanité dont pouvaient faire preuve les auteurs de ces crimes, tel qu'en 1866, lorsque le cadavre d'un nouveau-né est trouvé par des enfants dans un tas d'ordures142. Enfin, la dernière catégorie d'infanticides que nous avons rencontré est celle du meurtre volontaire d'un enfant, qui est par ailleurs souvent justifié par des excès de colère ou de détresse. Cet acte est parfois suivi du suicide du coupable. C'est ainsi qu'en 1850, monsieur Deshayes, ouvrier tisseur âgé de 35 ans a égorgé dans un « accès de fureur » ses deux enfants alors âgés de 4 et 7 ans143 ou qu'en 1864, Nicolas Charamas a assassiné ses deux filles âgées de 4 et 2 ans et demi avec un rasoir avant de se donner la mort en utilisant le même instrument144. b) Les homicides par arme blanche Désormais, nous allons traiter les homicides ayant été opérés à l'aide d'une arme blanche. Une arme blanche peut se définir comme toute arme tranchante, perforante ou brisante, généralement constituée d'une lame et d'un manche. Nous pouvons par exemple y retrouver les épées, les couteaux, les sabres ou les rasoirs. Nous recensons 16 victimes d'homicide par arme blanche, représentant 20,78% du total des homicides. Parmi ces 16 victimes, 4 sont de sexes féminins, 10 de sexe masculin, et de 2 de sexe inconnu. Il est intéressant d'observer que les meurtriers sont toujours des hommes. Dans le cas des meurtres de femme, on observe que l'auteur du crime fait toujours parti de l'entourage de la victime. 141 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M494. 142 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M494. 143 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M493. 144 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800 1939, Côte 4M494. Nous notons le cas de madame Neubert qui fut tuée en 1819 par son mari Philippe Neubert qui l'a frappa de trois coups de couteau145 ; le cas de madame Rambaud qui fut tuée « par vengeance » d'un homme en 1835146, et enfin les cas des fillettes Charamas que nous avons pu évoquer dans notre partie précédente et qui furent tuées par leur père en 1864. Concernant les victimes masculines des homicides par arme blanche, 7 d'entre elles ont été tuées lors d'un duel ou d'une rixe, représentant la majorité des circonstances des homicides. Concernant toujours une victime et un meurtrier de sexe masculin, les duels étaient encore très pratiqués en France au début du XIXème siècle. On observe que ces victimes de duel ne sont mentionnées que dans la côte 4M493 et durant la décennie 1830. Les derniers cas apparaissent en 1835 avec ceux par exemple de Nicolas Mangeot qui fut « tué en duel à la Guillotière147 » ou de monsieur Gagnière qui a « été tué en duel derrière le fort du Colombier148 ». La présence de ces duels au début du XIXème siècle peut s'expliquer notamment par le fait que ces derniers restent impunis par la loi, les duellistes se battent alors pour défendre leur honneur ou celui de quelqu'un d'autre, par vengeance ou tout simplement par défi149 . Leur popularité décroît par la suite lors de la seconde moitié du XIXème siècle, et devient dès 1903, passible de peine de mort150. c) Les homicides par arme à feu Un autre type d'arme est à prendre en compte dans les homicides, utilisé dans environ 10% des cas, il s'agit de l'arme à feu. Jusqu'en 1939 et la promulgation d'un décret-loi le 18 avril 1939 prohibant l'utilisation des armes à feu en France et visant à désarmer les français,151 leur possession, achat et vente demeuraient libres. Nous recensons 8 cas d'homicides par arme à feu ayant eu lieu entre 1816 et 1851. 145 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M490. 146 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 147ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 148 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 149 Martin MONESTIER, Duels. Les combats singuliers des origines à nos jours, Sand, 1991. 150Jean-Noël JEANNENEY, Le Duel : une passion française (1789-1914), éditions du Seuil, Paris, 2004. 151 LÉGIFRANCE, « Décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions », République française, mise à jour le 1er septembre 2007. Consulté le 2 juin 2024. Disponible sur : < https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/> 61 62 Toutes les victimes sont de sexe masculin, sauf un cas un peu particulier, celui de la petite Besson, qui en 1835 fut tuée accidentellement par son jeune frère d'un coup de fusil152. Tels que les duels évoqués précédemment, presque la totalité des cas d'homicides par arme à feu sont regroupés dans la côte 4M493. Concernant les auteurs de ces meurtres il s'agit presqu'exclusivement d'hommes. Généralement, ces meurtres prenaient l'allure de règlement de comptes comme pour le cas de monsieur Brousse, fusilier, qui fut assassiné à la sortie d'un cabaret en 1836 aux abords de Lyon par un autre militaire153. Ces données sont « à prendre avec des pincettes », comme nous avons pu l'évoquer précédemment les conclusions des PV concernant les circonstances de la mort sont faites dès la découverte du cadavre, sans enquête au préalable, il est donc fortement possible que parmi les 102 cas de suicide par arme à feu recensés dans notre base de donnée, une partie soit en réalité ce qu'on appelle des « suicides déguisés ». En effet, les premiers relevés d'une scène de crime sont parfois trompeurs et ne correspondent pas toujours à la réalité. De plus, l'utilisation de l'arme à feu permet une facilité dans la mise en scène du suicide, puisqu'il faut le rappeler, au XIXème siècle, les empreintes digitales et les relevés d'ADN ne sont pas encore connus de la médecine et de la police scientifique, il est donc facile pour le meurtrier de positionner la victime et l'arme de telle sorte que la conclusion aboutisse à un suicide. d) Une faible utilisation de la noyade comme arme meurtrière En dernier lieu, nous allons évoquer la proportion des noyades au sein des homicides. Les homicides réalisés sur les victimes par noyade sont relativement peu présents. Nous comptabilisons dans nos archives des PV au total 18 cas d'homicides par noyade, dont 11 cas d'infanticides pour 77 cas d'homicides réalisés par d'autres moyens. Si nous comparons ces chiffres aux chiffres des accidents mortels, qui représentent une forte majorité de morts par noyade, ceux des homicides peuvent paraître dérisoires. Le pourcentage de l'utilisation de la noyade comme arme meurtrière est donc faible, représentant 23,38% des homicides. Le profil des victimes varie également ; si l'on observait une majorité de victimes masculines dans les homicides réalisés par d'autres moyens que la noyade, concernant celle-ci, la différence est moins marquée. En effet, nous comptabilisons 10 victimes de sexe masculin et 5 victimes de sexe féminin. 152 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 153 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. Les infanticides sont également relativement présents au sein des noyades, pas moins de 8 victimes de noyades sont âgées de moins d'un an, ce qui nous renvoie à l'idée d'une noyade ayant été provoquée par une volonté d'abandon d'un nouveau-né ou d'un avortement. Dans ces cas, les auteurs de l'infanticide et ainsi que l'identité des victimes ne sont pas connus de la police, et à l'identique des autres cas d'infanticides cités auparavant, il sera très difficile de les retrouver a posteriori. Nous avons par exemple le cas d'un foetus de sexe masculin retrouvé noyé le 11 mars 1865 dans la Saône à Lyon près de la Mulatière qui paraissait avoir séjourné plusieurs jours dans l'eau154. Un autre cas d'infanticide précise cette difficulté à retrouver les auteurs de ces crimes, il s'agit de la découverte d'un foetus de sexe féminin retrouvée le 18 avril 1825 sur la commune d'Ouilly dans la Saône et dont le sous-préfet de Villefranche-sur-Saône déclare : « sa mort n'est que le résultat d'un crime, dont il sera difficile de découvrir les auteurs ». Il nous faut préciser que la noyade représentait durant cette période une mort douloureuse, qui de plus ne permettait pas d'offrir de sépulture au défunt. En observant le graphique ci-dessous, nous pouvons voir que la noyade comme arme meurtrière représente environ un quart des circonstances des homicides ayant eu lieu dans le département du Rhône entre 1800 et 1939, derrière les abandons et les avortements, et devant les homicides réalisés par arme blanche.
154 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M494. 63 Si l'on considère que les cas de noyades associés à des nouveau-nés sont le résultat d'un abandon ou d'un avortement de la part d'un parent, la catégorie des abandons/avortement passerait alors de 22 cas à 33 cas. Pour conclure, nous pouvons dire qu'à la différence des morts accidentelles, les noyades ne représentent pas la majeure partie des homicides qui eurent lieu dans le département du Rhône entre 1800 et 1939. Il nous faut cependant émettre un doute quant à la fiabilité des conclusions tirées au sein des procès-verbaux, doute que nous aurons l'occasion de développer au sein de notre deuxième partie. Nous pouvons cependant observer que la majorité des victimes d'homicide sont de sexe masculin, et il en va de même pour les meurtriers. |
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