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La perestroika ou réformer l'irreformable

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par Vincent Geraud
Université de Toulon La Garde - Master 1 2006
  

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125. Organisation de la production déficiente et économie de pénurie

L'organisation des entreprises en URSS s'appuie sur les mêmes principes que leurs homologues occidentales : division poussée du travail, unité de commandement et de direction, parcellisation des tâches, travail en équipes, contremaîtres, production à la chaîne, normes de rendement, hiérarchie du pouvoir discipline du travail

Néanmoins la comparaison s'arrête là tant les structures de l'économie soviétique ont été incapables de mettre en place un équivalent de ce qu'ont représenté le taylorisme et le fordisme comme formes d'organisation et modes de régulation économique, dans les pays occidentaux. ...

D'ailleurs les études sociologiques réalisées dans l'industrie et dans l'agriculture par l'académicienne T. Zaslavskaia montrent que «le tiers à peine des intéressés travaillent à plein rendement. Parmi les raisons invoquées, figurent la mauvaise organisation du travail, la faiblesse du système de stimulation, l'inefficacité de la gestion administrative de la production». Tous ces éléments que nous nous efforcerons de détailler sont ancrés dans le système depuis plusieurs décennies.

Le système industriel soviétique se caractérise par sa tendance à la discontinuité et à l'irrégularité des approvisionnements. Cette situation s'explique notamment par les contradictions du système de planification, en particulier dans les effets perturbateurs de la centralisation des approvisionnements et les formes de pénurie typique de la régulation économique. L'explication de la crise soviétique tiendrait donc, au point de départ, pour une part mineure à la baisse des productions et, pour une part majeure, à l'explosion de la demande. Pour reprendre les analyses de l'économiste hongrois Janos Kornai,14(*) le pouvoir aurait perdu le contrôle des instruments qui maintenaient les pénuries autour de leur niveau "normal" et les pénuries croissantes seraient la conséquence directe de demandes poussées toujours plus haut, en face d'offres stables ou en déclin, pour des niveaux de prix administrés, fixés de toute façon à des niveaux trop faibles.

La demande est donc déterminée «par le haut», définie par l'Etat, avec pour conséquence que, contrairement à une économie de marché, l'économie planifiée est entièrement réglementée par les producteurs, par l'offre. Cette dictature de l'offre conduit à ce que Kornai appelle l'économie de pénurie. La pénurie au sens de Kornai détermine une situation ou la demande d'un bien ou service dépasse l'offre. Il s'agit d'un phénomène typique des économies socialistes, qui se manifeste sous différentes formes (marché du travail, biens de consommation, biens de production). Kornai souligne pour comparer les économies socialistes et capitalistes que la pénurie est à l'économie socialiste ce que le sous emploi et la sous utilisation des capacités de production sont aux systèmes capitalistes : c'est à dire un problème central. Il considère que l'on peut observer des pénuries dans tout système économique à ceci prés que la particularité du système soviétique réside dans le caractère chronique de la pénurie. Bien qu'elles se manifestent de façon visible dans la consommation, c'est dans les conditions particulières de la production que les pénuries trouvent leur origine. Les imperfections du système nous conduisent donc à parler d'équilibre de pénurie pour les économies soviétiques de la même manière que l'on parle d'équilibre de sous emploi dans une analyse keynésienne des économies capitalistes. Ainsi la pénurie n'apparaît plus comme un indice de crise économique mais bel et bien comme un véritable mode de régulation. Les véritables crises prennent diverses formes et notamment une plus forte intensité de la pénurie et se manifeste par certains phénomènes comme la stagnation de la croissance, la stagnation de la productivité ou une baisse de l'efficacité des investissements. Ainsi la pénurie doit être vue comme une caractéristique traditionelle dans ce type d'économie.

Le trait le plus parlant de cette situation est personnifié par le spectacle des files d'attentes à Moscou. Cela est souvent expliquée par la baisse de la production provoquée par des années de déclin, suivie de la désorganisation de l'économie planifiée sans remplacement par le marché, et de la baisse de la productivité due simultanément au découragement de la population et aux troubles politiques. Au fond, les problèmes de productivité inhérents à l'économie soviétique se seraient progressivement aggravés. Il n'est pas sûr pourtant que les causes de la crise se trouvent seulement du côté de l'offre :15(*) jusqu'au début de 1990, les données relatives à la production ne montraient pas de baisse importante mais seulement un ralentissement de la croissance, le point de retournement se situant vers la fin 1989.

Il est donc possible d'adopter une approche consistant à considérer la demande. La situation soviétique apparaît alors comme une situation d'hyperinflation se développant dans un contexte de prix officiels fixes et dans des conditions spécifiques d'économie administrée.

On rencontre dans cette perspective plusieurs phénomènes très significatifs : la disparition des marchandises vendues à prix fixes dans les magasins d'Etat, celles-ci étant détournées vers des circuits d'approvisionnement direct sur les lieux de travail, ou volées pour le marché noir ; la montée des prix sur les marchés noirs ; Le recours de plus en plus fréquent à des devises étrangères (dollars et marks) pour les transactions internes des particuliers. On dispose de peu de données pour expliquer complètement cette situation, mais on sait néanmoins que la source principale de l'hyperinflation est le déficit budgétaire qui, en l'absence d'institutions financières, est avant tout financé par émission monétaire. Ce déficit est passé de 18 milliards de roubles en 1985 (2,3 % du PIB) à 150 milliards en 1990 (plus de 10 %). Dans le même ordre d'idée, en 1989, on a imprimé pour 18 milliards de roubles, en accroissement de 56 % par rapport à 1988. La dette interne s'accroît aussi rapidement, passant de 310 milliards de roubles en 1988 à plus de 400 milliards en 1989. L'origine du déficit est elle-même double : d'une part, les subventions aux entreprises d'Etat déficitaires, d'autre part, les subventions à la consommation (logement, alimentation, transport). Une conséquence majeure est le maintien du chômage à un niveau relativement faible.

Sur un plan plus opérationnel, on constate couramment que les approvisionnements de l'entreprise en matières premières, moyens de production, produits semi-finis, ne sont pas livrés à temps ou selon les spécifications requises. Il s'ensuit des ralentissements de la production qui se retrouve bloquée et contrainte à attendre les nouveaux approvisionnements. Ces dysfonctionnements tendent à se répercuter d'un secteur de l'entreprise à l'autre, puis d'une entreprise à l'autre. Les premiers mois de la période planifiée se caractérisent par de nombreux temps morts, car les ruptures d'approvisionnements ou de stocks y sont plus fréquents.

En revanche les derniers mois de l'année sont marqués par ce qu'on appelle la chturmovchtchina, c'est à dire une accélération des cadences, la suppression des congés, l'augmentation des heures supplémentaires afin de remplir l'objectif annuel du plan. On voit ainsi que ce manque de constance du processus productif est source de désorganisations et à ce sujet une statistique est éloquente : le temps perdu par la désorganisation du travail est estimé à plus de 20 % du total16(*). Ces irrégularités du processus dans lesquelles accélération et ralentissement de la production se succède, incitent les directeurs à mettre leur unité de production dans une posture de suremploi en se constituant un matelas de main d'oeuvre supplémentaire. Ces accélérations de la production provoquent des dommages non seulement sur la production elle même (contrôle qualité plus laxiste, gaspillage...) mais aussi sur la population (augmentation des maladies, de l'absentéisme).

Le caractère irrégulier du travail et de la production contribue à démoraliser les travailleurs et, avec l'absence de contrôle ou de participation à la gestion à susciter un sentiment de frustration dans le travail qui se répercute à son tour sur la productivité des ouvriers. Ces nombreux temps morts sont subis, et sont essentiellement le fait de problèmes extérieurs à l'entreprise. Ils contribuent à renforcer la seconde économie (cf. La seconde économie : le secteur privé légal et illégal). L'absence de discipline de type taylorisme nécessite des substituts que sont la propagande socialiste, le contrôle des organisations sociales (cf. rôle des syndicats) ou encore le parti.

Janos Kornai souligne en étudiant les anomalies découlant de la nature para économique de la productivité soviétique les difficultés rencontrées par l'autorité centrale. En effet celle ci doit apprécier la valeur des réalisations de ses entreprises au moyen d'objectifs quantitatifs (production totale, rendement, qualité) qui doivent tous être mesurés objectivement et isolément et non en proportion de leur contribution à la profitabilité. L'accomplissement des objectifs apparaît de ce fait comme un critère trompeur.

Par ailleurs, pour Kornai, il existe à la base de l'économie planifiée d'autres contradictions fondamentales entre deux de ses principes : le plan  tendu  et les priorités. La tension du plan ne permet pas d'erreur aux entreprises non prioritaires : en cas de retard dans une livraison ou de tout autre aléa qui peut survenir dans une unité de production, elles ne disposent pas de réserves leur permettant de faire face à l'événement, tandis que les activités prioritaires disposeront d'une marge.

Kornai prend en considération ces éléments pour dire qu'il est difficile de définir des objectifs quantitatifs de production combinés avec des indices para-économiques tels que la technique et le système de prix soviétiques sans aboutir à des résultats scandaleux. Ces résultats sont de deux ordres :

- En premier lieu, les entreprises utiliseront inévitablement la marge de liberté que leur laisse l'obligation d'atteindre les objectifs pour chercher à gagner les primes par des moyens non prévus ce que Kornai appelle une « suracquisition des primes ». Les entreprises anticipent ces probables pénuries lors de l'élaboration de leur plan en surestimant leurs besoins et en sous estimant leurs capacités de production. Cette façon de procéder apparaît comme antiéconomique car elle est la résultante d'un gaspillage des ressources et n'obéit pas à une logique de rentabilité de l'investissement.

- Si en revanche - c'est le second point - les autorités supérieures s'opposent à cette tendance des entreprises en rendant les tests plus précis, ces entreprises seront trop fréquemment paralysées et mises dans l'impossibilité de prendre des mesures qu'elles devraient évidemment prendre, et auxquelles elles doivent renoncer. J. Kornai qualifie cette situation de «contradiction interne du système».

Comme on peut s'y attendre, ces défauts d'exécution se répercutent en chaîne sur les « clients » non prioritaires. La pénurie de certains produits est donc originellement incorporée dans la planification.

Ainsi, force est de constater que l'organisation de la production dans l'économie soviétique apparaît bien loin des standards occidentaux à différents niveaux (régularité de l'approvisionnement, gestion rationnelle des stocks, division et synchronisation systématique des tâches....). Contrairement à la gestion du temps des entreprises occidentales qui est homogène et continu, le temps industriel de l'entreprise soviétique est hétérogène et discontinu, il a des effets aliénants sur le travail, mais laisse aux ouvriers des marges de manoeuvre. Ces anomalies constituent un obstacle à l'établissement de normes de production plus rationnelles de type taylorisme.

* 14 J. Kornai : Socialisme et économie de la pénurie, Paris Economica, 1984.

* 15 FMI, Banque mondiale, OCDE : L'économie de l'URSS, résumé et recommandations, Paris 1991.

* 16 D. Brand : L'Expérience soviétique, Editions Dalloz, Paris 1993.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein