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La doctrine de la prestation caractéristique en droit international privé des contrats - une étude critique

( Télécharger le fichier original )
par Christian Robitaille
Université Paris I - Panthéon-Sorbonne - D.E.A. droit international privé et droit du commerce international 1998
  

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LA DOCTRINE DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ DES CONTRATS

Une étude critique

par

Christian Robitaille

Mémoire

présenté au

Professeur Vincent Heuzé

dans le cadre du

Diplôme d'études approfondies

de droit international privé et droit du commerce international

Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le jeudi 10 septembre 1998

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE: LA DOCTRINE DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

A) EXPOSÉ DE LA DOCTRINE DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

1.- La thèse d'Adolf Schnitzer

a) Le point de départ de la réflexion de Schnitzer

b) Exposé et fondements théoriques de la doctrine de la prestation caractéristique

i) Détermination du contenu essentiel du contrat : le critère de la prestation caractéristique

ii) Le rattachement fonctionnel du contrat à l'aide de la notion de prestation caractéristique

2.- Développement ultérieur de la doctrine de la prestation caractéristique

B) APPRÉCIATION DE LA DOCTRINE DE LA PRESTATION

CARACTÉRISTIQUE

1.- La notion de prestation : son sens et son utilité dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats

a) Origine de la prépondérance de la notion de prestation

b) Contenu de la notion de prestation

c) Utilité de la notion de prestation dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats

d) Précision terminologique

e) Conclusion

2.- Le principe de proximité en droit international privé des contrats

3.- La recherche du contenu essentiel du contrat

a) Le critère de la nature du contrat

i) Considérations méthodologiques

á) Inutilité du recours aux comparaisons

â) Inaptitude de la méthode

ã) À prémisses erronées, conclusion erronée

ä) La classification des contrats selon Schnitzer

ii) Conclusion

b) Le critère de la fonction du contrat

i) Appréciation

ii) Conclusion

c) L' apriorisme inavoué de la doctrine de la prestation caractéristique

d) Conclusion

4.- Le rattachement fonctionnel

a) Le rattachement proposé

b) Justifications

i) Considérations d'ordre objectif

ii) Considérations d'ordre subjectif

c) Appréciation

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

DEUXIÈME PARTIE: LA NOTION DE PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

ET LES INTÉRÊTS EN CAUSE

A) PRÉPONDÉRANCE DES INTÉRÊTS DU DÉBITEUR DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE : LES JUSTIFICATIONS DE RECHANGE FONDÉES

SUR LE CONTENU CARACTÉRISTIQUE DU CONTRAT

1.- La prestation caractéristique : prestation plus complexe et faisant l'objet d'une réglementation plus intense

a) Les arguments

b) Appréciation

2.- La prestation caractéristique : la prestation qui comporte le plus de risques

a) Le calcul des risques

i) Coûts antérieurs à la transaction

ii) Les coûts réels et potentiels découlant de la transaction

b) Implication en droit international privé des contrats

c) Appréciation

3.- Conclusion

B) PREPONDÉRANCE DES INTÉRÊTS DU DEBITEUR DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE RÉVÉLÉE PAR LES CIRCONSTANCES ENTOURANT LA CONCLUSION DU CONTRAT

1.- Contribution d'une analyse économique du droit : la thèse de M. Gunst

a) Exposé

b) Appréciation

2- Contribution d'une analyse sociologique du droit : la thèse de M. Heuzé

a) Les grandes lignes de la thèse

b) Observations

3.- Conclusion

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION

A défaut de choix de loi, le contrat est régi par la loi du lieu de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique du contrat.

Telle est, en substance, la solution générale proposée aujourd'hui par le droit international privé, notamment dans les pays membres de l'Union européenne, en Suisse et au Québec, pour résoudre le conflit de lois en matière d'obligations contractuelles lorsque les cocontractants n'ont pas valablement désigné la loi applicable à leur contrat1(*).

Le champ d'application de cette « règle » est controversé. Toutefois, on affirme généralement que cette solution est relativement simple à mettre en oeuvre, et opportune, dans le cas de contrats synallagmatiques intervenus entre des parties résidant habituellement dans des États différents, lorsque le contrat a pour objet l'échange d'une prestation en nature contre une prestation pécuniaire, et qu'il n'appelle pas par ailleurs un traitement particulier en droit international privé, soit du fait de son objet (immobilier, par exemple), soit en raison de l'appartenance d'une des parties à une catégorie de personnes jugées dignes d'une protection particulière (consommateurs et travailleurs, par exemple).

Dans le cadre des développements qui suivent, nous nous proposons de nous interroger précisément sur l'opportunité de cette solution au conflit de lois.

Afin de ne pas nous éparpiller dans des considérations étrangères à l'objet de notre étude, nous raisonnerons principalement en fonction de l'hypothèse contractuelle décrite plus haut. Ainsi, nous ne discuterons pas de la question de savoir quelles conditions doivent être réunies pour déclencher l'application de la règle de conflit de lois en matière contractuelle. Nous n'aborderons pas non plus en détail le problème de l'interaction entre la « règle » de la loi de la prestation caractéristique et le principe plus large dans le cadre duquel celle-ci s'inscrit dans les différents instruments législatifs qui la consacrent, à savoir le « principe de proximité » suivant lequel le contrat doit être régi par la loi du pays ou de l'État avec lequel il présente les liens les plus étroits. Nous laisserons de côté également tous les contrats dont l'objet ou la qualité des parties justifie un traitement particulier. En outre, nous ne nous attarderons pas à l'étude des variations sur le thème de la « résidence habituelle »2(*). Enfin, nous ne nous occuperons pas des contrats pour lesquels l'identification de la prestation caractéristique est généralement considérée comme impossible (p.ex. les contrats synallagmatiques ayant pour objet un échange de prestations en nature) ou problématique (p.ex. les contrats bancaires). Ceci nous permettra de concentrer notre attention sur la doctrine de la prestation caractéristique là où elle est censée trouver des conditions optimales.

Mais d'où vient donc cette idée de faire régir le contrat par la loi du lieu de résidence du débiteur de la prestation caractéristique? Quelle est l'origine de cette doctrine? Quels en sont les fondements théoriques, et quelle valeur peut-on leur accorder? Qu'est-ce que la prestation caractéristique d'un contrat? Quelle utilité cette notion peut-elle avoir pour résoudre le conflit de lois? Nous tenterons de répondre à ces questions dans la première partie de notre étude (I).

Ensuite, dans quelle mesure la doctrine de la prestation caractéristique se concilie-t-elle avec les intérêts qui sont mis en cause par la détermination de la loi applicable au contrat en droit international privé? C'est ce que nous examinerons dans la seconde partie de nos développements (II).

PREMIÈRE PARTIE : LA DOCTRINE DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

L'idée de soumettre un contrat international à une loi qui soit déterminée en fonction de la prestation caractéristique du contrat a véritablement pris forme en Suisse dans les

années 19403(*).

À cette époque, les règles du droit international privé suisse, parmi d'autres, conduisaient souvent à faire régir le contrat par une multiplicité de lois applicables chacune à différents aspects du contrat4(*), ce qui suscitait de vives critiques de la part de la doctrine5(*), qui estimait qu'il fallait soumettre à une loi unique l'ensemble des questions relatives à la formation et aux effets du contrat.

Le besoin d'unifier davantage le statut contractuel se faisait déjà sentir depuis plusieurs décennies, et il avait d'ailleurs fait l'objet de travaux menés notamment par l'Institut de Droit International et la Conférence de La Haye de Droit International Privé, qui avaient cherché en même temps à raffiner les solutions aux conflits de lois en matière d'obligations contractuelles, en élaborant des règles spécifiques pour différentes catégories de contrats6(*).

Voilà, en peu de mots, le contexte dans lequel est apparue la doctrine que nous nous proposons d'étudier à présent, tout d'abord en l'exposant (A), pour pouvoir ensuite l'apprécier (B).

A) EXPOSÉ DE LA DOCTRINE DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

Si Adolf Schnitzer n'a pas été le premier à préconiser la recherche de la loi applicable au contrat au moyen de la notion de prestation caractéristique7(*), il est cependant le premier auteur à avoir proposé un fondement théorique à ce mode de résolution du conflit de lois8(*). La thèse de Schnitzer a ensuite été adoptée par les tribunaux suisses, mais sans que ces derniers n'aient jamais exposé la moindre analyse relativement au bien-fondé ou à l'opportunité de la thèse en question9(*). De plus, si la notion de prestation caractéristique se retrouve aujourd'hui au coeur de l'article 4 de la Convention du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Convention de Rome »), le rapport des commissaires chargés de l'élaboration de cette convention10(*) se contente de réitérer les grandes lignes de la thèse de Schnitzer, ce qui semble indiquer que la doctrine de la prestation caractéristique n'a pas fait l'objet d'une réflexion originale de la part de la Commission qui a élaboré la Convention de Rome11(*). En tout cas, si une telle réflexion a effectivement été menée, on n'en trouve aucune trace. Nous commencerons donc par exposer la thèse de Schnitzer (1), après quoi nous nous pencherons sur les développements ultérieurs de la doctrine de la prestation caractéristique (2).

1.- La thèse d'Adolf Schnitzer

Exposer de manière synthétique la thèse de Schnitzer au sujet de la prestation caractéristique n'est pas une tâche aisée, car l'auteur a élaboré sa doctrine par couches successives, et l'a « prêchée », souvent avec des variantes, dans de nombreuses publications s'étalant sur près de quarante ans12(*).

Sans doute la meilleure approche consiste-t-elle à porter l'essentiel de notre attention sur la version la plus achevée de sa thèse, et c'est donc ce que nous ferons.

Toutefois, il nous paraît important d'exposer auparavant les développements que Schnitzer a toujours présentés comme étant le point de départ de sa réflexion, d'une part, parce que ces développements initiaux présentent la particularité de ne pas recourir à la notion de prestation caractéristique, et d'autre part, parce qu'ils fournissent un éclairage particulier sur la construction théorique que l'auteur a cherché à ériger ultérieurement sur ces bases.

a) Le point de départ de la réflexion de Schnitzer

Schnitzer situe l'origine de sa doctrine de la prestation caractéristique dans son étude des contrats commerciaux en droit international privé, publiée en 193813(*).

Tout d'abord, s'agissant de déterminer la loi applicable à un contrat international, l'auteur estime qu'il faut rechercher l'ordre juridique avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. Il se demande toutefois s'il ne serait pas possible de concrétiser ce principe en ce qui concerne les contrats commerciaux.

Il croit y arriver en exposant l'analyse suivante.

Il affirme que la recherche doit partir de la nature du commerce même, de l'activité qui se répète toujours14(*). Cette recherche le mène à la conclusion que le centre de gravité du contrat se trouve du côté du professionnel, car le contrat s'inscrit dans le cours ordinaire de l'activité de ce dernier, tandis que pour l'autre partie, le client, le contrat ne constitue qu'un acte isolé. L'activité du professionnel requiert une réglementation uniforme. Par ailleurs, le lieu de l'établissement du professionnel est connu dès le départ. C'est donc la loi de ce lieu qui doit régir le contrat. Si le contrat intervient entre deux commerçants, c'est la loi du vendeur qui est applicable car pour l'autre partie le contrat ne constitue qu'un acte préparatoire à l'introduction de la marchandise sur le circuit économique.

Ces développements constituent en quelque sorte la proto-genèse de la doctrine de la prestation caractéristique. Ce n'est que six ans plus tard, dans la 2e édition de son manuel de droit international privé, que Schnitzer entreprend d'apporter un fondement théorique plus élaboré à son idée de départ et qu'à cette fin, il introduit notamment la notion de prestation caractéristique15(*).

b) Exposé et fondements théoriques de la doctrine de la prestation caractéristique

Schnitzer écrit que pour déterminer les règles applicables à un contrat, il faut en examiner tout d'abord la nature. Cet examen doit permettre de déceler le contenu essentiel du contrat considéré. Cette composante essentielle est ensuite employée pour relier l'ensemble du contrat avec l'ordre juridique correspondant à l'endroit où le contrat déploie sa fonction dans la vie économique et sociale.

La méthode préconisée par Schnitzer se décompose donc en deux étapes distinctes : la détermination du contenu essentiel du contrat (i), puis le rattachement du contrat à un ordre juridique (ii).

i) Détermination du contenu essentiel du contrat : le critère de la prestation caractéristique

Schnitzer affirme qu'il faut rechercher « la vraie nature de la chose, le centre de gravité de l'obligation [sic] »16(*), « l'essence du contrat »17(*) afin d'y discerner le facteur de rattachement idoine.

Il rejette la conclusion et l'exécution du contrat, ainsi que la nationalité des parties, qui constituent tous des points de rattachement extérieurs, étrangers à la nature du contrat18(*).

Il approuve les approches de Savigny, qui préconisait de rechercher « die Natur des Rechtsverhältnisses », de von Bar, qui parlait de la « Natur der Sache », et de von Gierke, qui recherchait « das Schwergewicht des Rechtsverhätltnisses ». Schnitzer estime en effet que ces objectifs sont opportuns car ils présentent « l'avantage d'aider à rattacher le rapport de droit d'après sa raison d'être et non d'après les signes extérieurs »19(*).

Toutefois, il reproche notamment à ces auteurs de ne pas avoir poussé leur recherche assez loin, et de s'être contentés d'un « point de rattachement préconçu une fois pour toutes »20(*), point de rattachement qu'il estime « aprioriste ». Par contraste, Schnitzer affirme qu'il faut rechercher un rattachement qui tienne compte « de la nature du contrat et des particularités du cas »21(*), afin de « trouver ce qui est in concreto l'essence du rapport juridique »22(*).

Cette recherche, Schnitzer y procède d'abord en reprenant les développements exposés dans son étude relative aux contrats commerciaux. II réitère tout d'abord son opinion que le contrat commercial constitue le moyen par lequel le commerçant exerce sa fonction dans la vie économique, ce qui n'est pas le cas de son client23(*). Puis, il ajoute une idée qui deviendra fondamentale dans sa doctrine, à savoir que la prestation du client demeure toujours la même, quel que soit le type de contrat qu'il conclut : il paie toujours un prix en argent pour obtenir la prestation du commerçant. Schnitzer en déduit que le contrat n'est pas caractérisé par la prestation du client, mais plutôt par celle du professionnel, car ce dernier prend en charge cette prestation « de par sa fonction dans la vie économique »24(*).

L'auteur cherche ensuite à systématiser son analyse. Il estime avoir trouvé la clé qui permet d'extraire l'essence du contrat : « le critère qui distingue une obligation [sic] d'une autre nous permet de reconnaître cette essence. Ce critère est fourni par la prestation qui caractérise l'opération. »25(*) Ce critère lui fournit l'outil nécessaire à un traitement des contrats en général. Pour les contrats unilatéraux, il n'y qu'une partie qui fournit une prestation et, partant, c'est cette prestation qui caractérise le contrat26(*). Dans le cas des contrats synallagmatiques ayant pour objet l'échange d'un bien ou d'un service contre de l'argent, l'auteur explique que le versement d'une somme d'argent constitue la rémunération par excellence dans les contrats modernes et que, par conséquent, elle ne permet pas de rendre compte de la nature du contrat. En revanche, la prestation en nature en contrepartie de laquelle le prix en argent est payé permet, quant à elle, de distinguer le contrat. Par conséquent, en règle générale, c'est cette prestation qui caractérise le

contrat27(*).

ii) Le rattachement fonctionnel du contrat à l'aide de la notion de prestation caractéristique

L'élément essentiel du contrat étant identifié au moyen de la prestation caractéristique, il faut ensuite rattacher le contrat à un ordre juridique.

Pour ce faire, Schnitzer estime qu'il faut « examiner dans quelle sphère juridiquement réglée le rapport, d'après sa fonction, joue un rôle principal, cela pour chaque catégorie de contrats »28(*) ou encore, qu'il faut procéder à un « rattachement fonctionnel », i.e. qu'il faut rattacher le contrat à l'ordre juridique dans lequel il déploie sa fonction économique ou sociale29(*). Il indique que cette fonction s'exerce au lieu où la prestation est due (« Schuldort »), et ce Schuldort se situe habituellement au lieu de l'établissement ou du domicile de la partie qui fournit la prestation caractéristique du contrat, car c'est là que « celui qui se charge de la prestation [caractéristique] exerce sa fonction dans la vie économique »30(*).

2.- Développement ultérieur de la doctrine de la prestation caractéristique

Presque autant que le nom de Schnitzer, la doctrine de la prestation caractéristique évoque celui de Frank Vischer. De fait, ce dernier a pris fermement position en faveur de la doctrine en question31(*). Il a surtout insisté sur l'opportunité du rattachement fonctionnel réalisé par la doctrine de la prestation caractéristique, qui permet de ranger le rapport de droit dans l'environnement social auquel il appartient32(*), en tenant compte à la fois de la structure du rapport et des intérêts des parties33(*), et en conciliant les exigences de sécurité juridique et de justice dans les cas particuliers34(*). Par ailleurs, il a formulé une critique apparemment fatale à l'endroit de la notion de Schuldort35(*). Enfin, une bonne partie de ses travaux relatifs à la doctrine de la prestation caractéristique ont porté sur les modalités de sa mise en oeuvre, son application aux différentes catégories de contrats36(*), et la détermination de son champ d'application37(*).

D'autres ont trouvé des justifications originales aux solutions fournies par la doctrine de la prestation caractéristique. Toutefois, ces développements se situent en parallèle, et non dans la suite de la doctrine qui retient ici notre attention. Aussi les aborderons-nous plus loin38(*).

En somme, donc, on retrouve déjà l'essentiel de la doctrine de la prestation caractéristique dans l'oeuvre de Schnitzer.

B) APPRÉCIATION DE LA DOCTRINE DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

Pour qu'une doctrine soit acceptable, elle doit reposer sur des fondements solides. Nous devons donc vérifier la validité des fondements théoriques de la doctrine de la prestation caractéristique, afin de pouvoir porter un jugement éclairé sur sa justesse. Étant donné que la doctrine de la prestation caractéristique se situe dans le prolongement de la recherche des « liens les plus étroits », nous dirons quelques mots sur ce principe (2), puis nous examinerons tour à tour les deux aspects essentiels de la doctrine, telle que décrite ci-haut, à savoir la recherche du contenu essentiel du contrat (3) et son rattachement fonctionnel (4). Mais tout d'abord, il importe de cerner la notion de « prestation » et d'évaluer la pertinence de sa prépondérance dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats (1).

1.- La notion de prestation : son sens et son utilité dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats

En droit civil, on n'a pas l'habitude de placer la notion de prestation au coeur des développements relatifs aux contrats. Il est beaucoup plus courant de parler d'obligations. En droit international privé, cependant, on constate que l'influence de Schnitzer et la diffusion de sa doctrine ont eu pour effet de renverser la tendance, de sorte que de nos jours la notion d'obligation est pratiquement tenue dans l'ombre de la notion de prestation, qui se retrouve désormais au premier plan de la discussion relative aux conflits de lois en matière de contrats. Comment expliquer ce renversement de perspective? Quel est le contenu exact de la notion de prestation en droit international privé des contrats? Diffère-t-il de celui qu'on lui attribue en droit privé? Quel intérêt peut-il y avoir à préférer la prestation à l'obligation dans notre discipline?

a) Origine de la prépondérance de la notion de prestation

Malgré un examen attentif de tous les écrits de Schnitzer auxquels nous avons pu avoir accès, nous n'avons trouvé aucune explication de la part de cet auteur quant à sa préférence pour la notion de prestation, au détriment de l'obligation.

Par ailleurs, à cause de l'insuffisance des ressources documentaires dont nous disposions, nous n'avons pas été en mesure de vérifier si la notion de prestation (« Leistung ») a une importance plus grande en droit civil allemand, ce qui pourrait expliquer la faveur de Schnitzer pour cette notion39(*).

En outre, à notre connaissance, aucun auteur ne s'est interrogé sur la question.

En conséquence, nous ne sommes pas en mesure de déterminer les causes de la préférence pour la notion de prestation dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats.

b) Contenu de la notion de prestation

En droit civil, on considère généralement que la prestation se définit comme l'objet de l'obligation, ce qui est dû par le débiteur40(*). Cette prestation consiste à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

À y regarder de plus près, cependant, on a l'impression que cette définition est restreinte indûment sous l'influence de l'importance que revêt l'obligation dans la réflexion du civiliste. En effet, parce que l'objet de l'obligation, c'est la prestation41(*), quand vient le temps de définir la prestation, on est porté à renverser tout simplement la proposition en affirmant que la prestation, c'est l'objet de l'obligation. Certes, il n'est pas indifférent, en droit civil, que la prestation ait été ou non l'objet d'une obligation. Néanmoins, rien n'exige qu'une prestation soit visée par une obligation pour exister. La prestation peut se définir simplement comme le fait de donner, de faire ou de ne pas faire, ou encore cela même qui est donné, est fait ou n'est pas fait.

Il n'apparaît pas que la notion de prestation soit comprise différemment en droit international privé et, plus particulièrement, dans la doctrine de la prestation caractéristique.

c) Utilité de la notion de prestation dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats

Il nous paraît utile de préférer la notion de prestation à celle d'obligation dans le domaine des conflits de lois en matière de contrats parce qu'elle permet une appréciation plus complète et plus constante de l'ensemble des implications patrimoniales du contrat et ce, à l'abri des conflits de qualifications.

L'obligation est une notion de droit. Dès lors, elle fait naître le risque d'un conflit de qualification. La notion de prestation, en elle-même, ne permet pas nécessairement d'éviter un tel risque. En effet, si une prestation qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose appartient exclusivement au monde des faits, on ne peut pas en dire autant de l'obligation de donner. Celle-ci consiste à transférer un droit, ce qui est nécessairement un phénomène juridique.

Pour nos fins, les avantages de la notion de prestation ressortent surtout lorsqu'on observe la place faite à l'obligation dans l'organisation des rapports contractuels, et qu'on se rend compte que toute prestation n'est pas l'objet d'une obligation, sans pour autant être dénuée d'importance. Nous n'avons trouvé qu'un exemple en droit civil qui permette d'illustrer notre propos. Il nous paraît cependant fort pertinent. Il s'agit du contrat réel. Le contrat réel peut se définir comme celui dont « la validité est subordonnée à la remise de la chose qui en est l'objet »42(*). Si l'utilité de la catégorie des contrats réels est contestée, cette catégorie de contrats n'en est pas moins de droit positif43(*). Dans ces contrats, la remise de la chose qui en est l'objet est certainement une prestation importante, et pourtant, elle n'est l'objet d'aucune obligation née de ce contrat. Par conséquent, l'analyse du contrat réel en termes d'obligations nous amènerait à en méconnaître un aspect essentiel. Une telle analyse conduirait, par exemple, à ignorer la remise de la somme d'argent dans le cadre d'un contrat de prêt d'argent, ce qui nous paraît inopportun. En outre, le droit comparé révèle, d'une part, que la catégorie des contrats réels n'existe pas dans tous les ordres juridiques et que, d'autre part, parmi ceux où elle existe, son contenu n'est pas invariable44(*). Il y aurait donc là un conflit de qualification en puissance. En se rabattant sur la notion de prestation, on arrive à éluder le problème de qualification et, par ailleurs, on obtient une meilleure vue d'ensemble des implications patrimoniales du contrat45(*).

d) Précision terminologique

Avec l'importance prise par la notion de prestation caractéristique dans notre discipline, on a pris l'habitude de parler du débiteur et du créancier de la prestation caractéristique. L'emploi de ces expressions peut se justifier par une ellipse dans la mesure où il s'agit du débiteur ou du créancier d'une (obligation ayant pour objet la) prestation caractéristique. Toutefois, s'agissant d'une prestation qui n'est pas l'objet d'une obligation, il est impropre de parler de débiteur et de créancier. Par exemple, dans le cas des contrats réels, il n'y a pas de débiteur et de créancier de la prestation consistant à remettre la chose qui fait l'objet du contrat (à moins, bien entendu, que le contrat réel ne soit formé à la suite d'un avant-contrat). En pareille hypothèse, nous estimons qu'il serait plus exact de parler de fournisseur et de destinataire de la prestation. Par conséquent, nous parlerons ci-après de débiteurs et de créanciers de prestations parce que ces expressions sont consacrées par l'usage, malgré qu'elles ne nous paraissent pas toujours exactes.

e) Conclusion

Nous ne savons pas pourquoi la notion de prestation en est venue à dominer la question de la loi applicable aux obligations contractuelles, mais nous y voyons tout de même un avantage. La notion de prestation, si elle n'est pas toujours exempte de toute juridicité, est néanmoins plus proche de la réalité du rapport contractuel46(*). De ce fait, il convient de la préférer ici à la notion d'obligation, afin de minimiser le risque de conflits de qualification qui se présente dans la mesure où l'une ou l'autre de ces notions est appelée ï intégrer le processus de résolution du conflit de lois en matière de contrats.

Incidemment, comme nous le verrons plus loin, en retenant la prestation plutôt que l'obligation, on évite d'avoir à prendre en considération la cause de l'obligation, ce qui s'avère très commode pour la doctrine de la prestation caractéristique47(*).

2.- Le principe de proximité en droit international privé des contrats

En développant sa doctrine de la prestation caractéristique, Schnitzer affirmait partir du principe qu'un contrat doit être régi par l'ordre juridique avec lequel il présente les liens les plus étroits. C'est aussi ce principe qui domine l'article 4 de la Convention de Rome, quant à la loi applicable au contrat à défaut de choix48(*). Ce principe, aussi appelé le principe de proximité, exprime, en matière de conflits de lois, « l'idée du rattachement d'un rapport de droit à l'ordre juridique avec lequel il présente les liens les plus étroits »49(*).

Nous croyons que l'idée est bonne.

En écrivant cela, toutefois, nous n'avons pas le sentiment de prendre une position très compromettante50(*), car le principe de proximité nous paraît seulement traduire l'objectif idoine de toute règle de conflit de lois. Si nous l'approuvons, ce n'est pas parce qu'il nous paraît fournir une bonne solution, mais plutôt parce qu'il ne pose pas une mauvaise question51(*).

En effet, le principe de proximité ne semble pas être en mesure de fournir à lui seul une solution à un conflit de lois, car il ne peut être appliqué directement à un ensemble de faits. Pour parler avec MM. Giuliano et Lagarde, la notion de « liens les plus étroits » est une « notion en soi trop vague »52(*). Le caractère plus ou moins étroit d'un lien, ou d'un ensemble de liens, unissant, pour reprendre les mots de M. Lagarde, un « rapport de droit » et un « ordre juridique » - qui sont deux constructions de l'esprit, en l'occurrence deux notions de droit - n'est pas un fait observable dans la nature. II ne peut s'agir que d'une question de droit. Si ce problème n'est pas toujours bien perçu, il nous semble pourtant incontournable : comment peut-on apprécier intelligemment l'« étroitesse » d'un lien si le droit ne nous indique pas en quoi consiste cette « étroitesse »? On écrit que la recherche des liens les plus étroits entre un rapport de droit et un ordre juridique n'est pas arbitraire : elle constituerait l'exercice d'une discrétion encadrée, ou guidée, par l'obligation d'apprécier l'ensemble des points de rattachement qu'une situation présente avec différents ordres juridiques, pour ensuite procéder à une évaluation qualitative de l'intensité de ces liens, et finalement retenir le lien, ou l'ensemble de liens, qui traduit le rapport le plus étroit53(*). Si l'on s'arrête là dans nos développements, cependant, on n'aura fait que reformuler le principe de proximité en d'autres termes. Cette explication ne nous fournit pas la directive qui nous permette de mesurer la qualité des liens que l'on étudie54(*). Et, « lorsqu'on ne sait pas vers quel port on navigue, aucun vent n'est favorable. »

À cet égard, nous partageons donc l'avis de Schnitzer, qui reprochait à la formule des liens les plus étroits de ne donner « aucun moyen d'établir quel est le lien le plus étroit avec un pays déterminé »55(*).

C'est notamment afin de combler cette lacune que Schnitzer propose sa doctrine de la prestation caractéristique, qu'il présente comme l'étalon de mesure de l'intensité des lien dans le cadre du principe de proximité en matière de conflits de lois relatifs aux contrats. La Convention de Rome emploie elle aussi la notion de prestation caractéristique dans un énoncé qui se veut un affinement du principe « des liens les plus étroits »56(*). II convient donc de vérifier si la doctrine de la prestation caractéristique constitue une méthode acceptable de concrétisation du principe de proximité.

3.- La recherche du contenu essentiel du contrat

La doctrine de la prestation caractéristique prétend être fondée sur l'essence, la nature, ainsi que la fonction, du contrat. Non pas sur le contrat pris au sens large, car une telle démarche, nous dit-on, serait trop imprécise pour pouvoir fournir des éléments de solution satisfaisants, mais plutôt sur la nature et la fonction de chaque catégorie de contrat.

Le point de départ consisterait donc à rechercher, pour une catégorie de contrat, l'ensemble des caractères et des propriétés qui le définissent, ainsi que sa fonction.

Une telle recherche, à laquelle Schnitzer prétend se livrer, est censée être menée « de l'intérieur », afin de déterminer les qualités intrinsèques, l'ensemble des caractères constitutifs et invariables de chaque contrat, ainsi que la fonction qu'il déploie dans la vie économique et sociale.

Afin de déterminer le facteur de rattachement idoine, Schnitzer emploie donc deux critères, qu'il fait coïncider. L'un est ontologique et l'autre, fonctionnel57(*).

a) Le critère de la nature du contrat (le critère ontologique)58(*)

Schnitzer développe un critère formel de détermination de la nature du contrat, centré sur l'identification de la prestation caractéristique, i.e. la prestation « qui constitue un élément distinctif reconnaissable »59(*) de chaque catégorie de contrat.

La détermination de cette prestation caractéristique s'effectue au moyen de la comparaison de différentes catégories de contrats.

Une fois la comparaison faite, Schnitzer affirme que l'élément distinctif reconnaissable dégagé de la comparaison, la prestation caractéristique d'une catégorie de contrat, en constitue l'essence.

i) Considérations méthodologiques

La méthode suivie par Schnitzer nous parait critiquable, parce qu'inutile á) et inapte â) à atteindre l'objectif annoncé, et la conclusion à laquelle son application l'amène, erronée ã). Au surplus, Schnitzer classe les contrats d'une manière qui nous fait douter de la crédibilité de sa démarche ä).

Tout d'abord, comparer deux choses, ou deux catégories de contrats, nous paraît non seulement inutile pour en découvrir la nature, mais également inapte à la révéler.

á) Inutilité du recours aux comparaisons

La comparaison de catégories de contrats devrait nécessairement impliquer l'étude préalable de la nature des contrats relevant des différentes catégories, ceci afin d'en identifier les éléments constitutifs qui serviront ensuite de termes à une comparaison. A défaut d'une telle recherche préalable, le processus de comparaison sera fatalement encombré et obscurci par une foule d'éléments superflus. Or, si l'on identifie les éléments constitutifs des différents types de contrats, on en découvre déjà la nature et l'essence. Le but est donc atteint. Pourquoi faudrait-il alors poursuivre notre travail en procédant à la comparaison des différents types de contrats? Ce serait parfaitement inutile.

Nous ajouterons que le processus de comparaison est non seulement inutile, mais aussi inapte à rendre compte de la nature des types de contrats.

â) Inaptitude de la méthode

Quels renseignements peuvent ressortir de la comparaison de deux ou plusieurs types de contrat? La démarche nous révélera, d'une part, les éléments communs aux différents contrats et, d'autre part, les éléments qui les distinguent.

Ceci ne nous renseigne en rien sur la nature et l'essence des termes de la comparaison. Le fait qu'un élément s'avère distinctif au terme d'une comparaison n'en fait pas un élément essentiel, et inversement, car le caractère distinctif d'un élément n'est pas inhérent à celui-ci. En vérité, il est tributaire des termes choisis pour procéder à la comparaison. Selon les termes qui sont retenus, un élément pourra s'avérer caractéristique ou pas. Or, les notions d'essence, de nature, nous semble-t-il, s'accommodent fort mal d'une telle relativité. En outre, si un être comporte une particularité qui ne se retrouve dans aucun des autres termes de comparaisons offerts par l'ordre de référence ou, plus concrètement, si un contrat donné présente une particularité qui ne se retrouve dans aucun autre contrat connu de l'ordre juridique auquel on se réfère, cet état de chose n'est qu'accidentel au regard de la nature, de l'essence du contrat étudié : « ce n'est pas de sa faute, ni grâce à lui ». Tout ce qu'on peut en déduire, c'est qu'une des composantes du contrat ne se retrouve dans aucun autre contrat, point à la ligne. L'exercice ne permet en aucun cas de confirmer ou d'infirmer l'existence d'autres composantes essentielles du contrat étudié.

Et pourtant, Schnitzer prétend précisément que cet exercice de comparaison lui indique la nature du contrat. Comment expliquer cette prétention? Elle s'explique par une série de prémisses erronées.

ã) À prémisses erronées, conclusion erronée

La conclusion de Schnitzer repose sur des prémisses erronées, qui en conditionnent fatalement la justesse.

Si l'auteur parle beaucoup de la « nature » de « l'essence », des « qualités intrinsèques » du contrat, à notre grand étonnement, il ne procède jamais à l'analyse juridique isolée d'un type de contrat. En fait, lorsqu'il prétend rechercher l'essence d'un type de contrat, il concentre ses développements sur la comparaison de catégories de contrats. On constate toutefois que l'auteur se livre implicitement, au préalable, à l'identification des éléments essentiels des contrats qu'il étudie, ressentant sans doute la nécessité, que nous avons soulignée, de ne pas encombrer ses comparaisons d'éléments superflus60(*).

Par la suite, la déviation de la recherche vers le processus de comparaison s'explique par l'opinion de l'auteur suivant laquelle « le critère qui distingue une obligation [sic] d'une autre nous permet de reconnaître cette essence [du contrat] ». Nous croyons avoir

démontré qu'une telle affirmation est fausse61(*)62(*).

Un exemple devrait suffire à s'en convaincre.

Si l'on compare le contrat de vente avec le contrat de bail, le premier ne se distingue pas du second par l'obligation de verser une somme d'argent qui incombe à l'acheteur, puisque le locataire assume une obligation semblable. Par contre, on peut distinguer la vente du bail par l'aliénation d'une chose, réalisée par le vendeur, prestation qui ne se retrouve pas dans le bail, aux termes duquel le bailleur confère seulement la jouissance paisible d'une chose.

Si l'on compare ensuite la vente à la donation, les deux contrats ont pour objet le transfert de la propriété d'une chose. Cet élément ne les distingue donc pas. Par contre, la vente fait naître pour l'acheteur l'obligation de payer un prix, obligation qu'on ne retrouve pas à la charge du donataire dans la donation. C'est donc cette obligation (celle de l'acheteur de payer un prix) qui distingue la vente de la donation.

Dans ces deux comparaisons, nous avons eu recours au même contrat de vente, auquel nous avons attribué la même nature, la même essence. Pourtant, dans un cas, c'est la prestation du vendeur qui ressort comme étant caractéristique et dans l'autre, c'est plutôt la prestation de l'acheteur. C'est bien la preuve que le caractère distinctif d'une prestation est étranger à l'essence du contrat. Il s'agit d'un critère éminemment relatif.

L'on s'aperçoit aussi que, pour mener la comparaison, nous avons isolé au préalable les éléments essentiels des contrats à comparer. Pour nous, et pour la plupart des civilistes, il est de l'essence du contrat de vente qu'il ait pour objet le transfert de propriété d'une chose, que le vendeur s'engage à délivrer à l'acheteur, moyennant un prix que ce dernier s'engage à payer. Nous sommes donc en désaccord avec Schnitzer, notamment en ce que nous considérons que l'obligation de payer un prix constitue un élément essentiel du contrat de vente. Et nous croyons avoir raison. En effet, qu'est-ce qu'un contrat de vente ayant pour objet le transfert de propriété d'une chose sans contrepartie? Au yeux du droit, ce n'est rien. Ce n'est même pas une donation, car pour cela, il faudrait encore y ajouter l'animus donandi de l'aliénateur.

Incidemment, il est intéressant de constater que si l'on avait retenu l'obligation plutôt que la prestation pour mener l'analyse - ce qui n'eût pas été totalement farfelu -, le jeu des comparaisons aurait abouti à un match nul, du fait de la prise en considération de la cause de l'obligation. En effet, puisque le droit permet qu'une obligation produise ses effets à condition qu'elle ait une cause licite (art. 1108 et 1131 C.c.), et que nous devons raisonner en fonction des situations normales, nous devrions comparer les obligations avec leur cause. Dans les contrats synallagmatiques commutatifs, par exemple, la cause de l'obligation d'une partie réside dans l'obligation de l'autre63(*). Ainsi, en comparant, par exemple, les obligations principales plutôt que les prestations principales des contrats de vente et de louage, l'on s'apercevrait certes que les obligations du vendeur et du locuteur permettent de distinguer les deux contrats (pour le vendeur : obligation de transférer le droit de propriété de la chose et de livrer celle-ci à l'acheteur en considération du versement d'une somme d'argent (le prix); pour le bailleur : obligation de fournir la jouissance paisible de la chose en considération du versement d'une somme d'argent (le loyer)); cependant, on s'apercevrait également que les obligations de l'acheteur et du locataire sont tout aussi aptes à distinguer le contrat de vente et le contrat de louage (pour l'acheteur : versement d'une somme d'argent en considération de l'acquisition de la propriété et de la prise de possession de la chose; pour le locataire : versement d'une somme d'argent en considération de l'obtention de là jouissance paisible de la chose)!...

Par ailleurs, nous voyons un autre illogisme dans les développements de Schnitzer en ce qu'ils impliquent plus généralement que l'essence d'un contrat se réduit à un seul élément. L'essence du contrat de vente, selon lui, c'est le transfert de propriété consenti par le vendeur. Or, il nous paraît impossible de définir l'essence d'une chose par un seul élément, car alors, de deux choses l'une : ou bien on pose que A=A, tautologie qui ne nous avance guère; ou bien on pose que A=B, auquel cas, on affirme que A et B sont des termes équivalents, et donc interchangeables, et en pareille hypothèse, la rigueur nous commanderait d'affiner notre discours en cessant de désigner B par le terme « A », pour ne plus retenir que le terme « B » afin désigner l'objet dont on parle. Ainsi, si l'essence de la vente est constituée d'un transfert de propriété, alors on peut poser que contrat de vente = contrat ayant pour objet un transfert de propriété. Il semblerait même opportun d'arrêter de parler de contrat de vente, pour ne plus retenir que l'expression « contrat translatif de propriété ». On voit tout de suite, cependant, que cette description est bien insuffisante pour définir le contrat de vente.

ä) La classification des contrats selon Schnitzer

Schnitzer affirme vouloir raffiner les solutions aux conflits de lois en fonction des particularités de chaque catégorie de contrat, qu'il identifie au moyen de la comparaison de ces différentes catégories. Cependant, l'auteur manque de rigueur et de constance dans le choix des catégories de contrats qu'il retient pour effectuer ses comparaisons.

Il manque de rigueur lorsqu'il compare des catégories relevant de différents ordres de classification, juxtaposant, par exemple, des contrats nommés, soit le contrat de transport, le contrat de travail et le contrat d'assurance, avec des catégorie plus large, soit les contrats ayant pour objet un transfert de propriété et les contrats ayant pour objet de conférer l'usage d'une chose64(*).

Ensuite, il manque de constance en ce qu'il classe un même contrat dans des catégories différentes aux fins de comparaisons différentes. Ainsi, le contrat de vente est constitué en catégorie afin d'en faire ressortir le caractère distinctif de la prestation du vendeur (le transfert de propriété)65(*). Plus loin, au sein même de la catégorie des contrats de vente, une autre classification est opérée : lorsque Schnitzer se penche sur le contrat de brocante, par lequel « une marchandise est vendue, mais l'acheteur a le choix de payer la marchandise ou de la retourner », ce n'est plus le transfert de propriété qui est caractéristique de cette forme particulière de contrat de vente, mais plutôt l'option dont bénéficie l'acheteur66(*). On trouve un autre exemple de telles variances lorsque Schnitzer étudie le prêt. On ne s'étonne guère de ce qu'il affirme que le prêteur fournit la prestation caractéristique67(*). Toutefois, au sein même de la catégorie du contrat de prêt, une distinction supplémentaire est opérée : lorsque le prêt vise à fournir un crédit foncier, tout à coup, « le critère de la transaction est le besoin de crédit »68(*). Avec un argument pareil, on pourrait renverser toute la doctrine de la prestation caractéristique de bout en bout.

Sans parler des circonstances où il abandonne la recherche de l'élément caractéristique au sein du contrat pour des contrats qui s'y prêteraient pourtant aisément, comme c'est le cas pour le contrat de travail69(*).

Tout ceci donne l'impression que le jeu des comparaisons est manipulé en fonction du résultat souhaité, ce qui jette un doute sur la crédibilité de la démarche.

ii) Conclusion

Ce qui est désigné comme étant la prestation caractéristique du contrat ne s'identifie pas à son essence. S'il se trouve que la prestation caractéristique est un des éléments essentiels du contrat, c'est seulement parce qu'elle est choisie parmi ceux-ci70(*). Toutefois, la réduction de l'essence d'un contrat à un seul élément est contredite par le droit positif71(*)72(*), et constitue par ailleurs un illogisme.

Plus particulièrement, en ce qui a trait au contrat synallagmatique, selon l'article 1102 du Code civil : « Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres ». Le contrat synallagmatique bipartite comporte deux éléments essentiels, soit les deux engagements réciproques des parties. L'élimination d'un de ces deux éléments essentiels transforme le contrat bilatéral en contrat unilatéral - encore faut-il pour cela trouver à l'engagement pris aux termes du contrat une nouvelle cause -, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, convenons-en. D'ailleurs, Savigny avait bien vu le problème, et c'est pour cette raison qu'il se résignait à l'application de lois différentes lorsque les obligations nées du contrat devaient s'exécuter en des lieux différents73(*). Tout au plus pourrait-on parler de la prestation « la plus caractéristique »74(*), ou « la moins banale ».

Dès lors, chercher à identifier parmi les éléments essentiels celui qui est « plus essentiel » que les autres, rechercher la « vraie nature » du rapport de droit (par opposition- à sa « fausse nature »??? nous aurait-on bernés tout ce temps?) ne constitue plus une démarche objective. Il s'agit plutôt d'un jugement de valeur, car l'essence ne connaît pas de degrés.

Sans doute avons-nous trop sollicité la logique, cependant, car Schnitzer lui-même admet que son appréciation comporte une part de subjectivité :

« Certes, il faut toujours rechercher la prestation caractéristique et la fonction du rapport en cause, et cela demande une appréciation des faits. [... ] Cette trace de subjectivité est inévitable, mais dans notre matière elle est d'importance mineure, si le jugement est basé sur un examen consciencieux des faits économiques et sociaux qu'il faut régler par le rapport de droit. »75(*)

Ainsi, ce qui serait déterminant dans la doctrine de la prestation caractéristique, ce serait l'appréciation des « faits économiques et sociaux qu'il faut régler », ce qui semble renvoyer au critère « fonctionnel » développé par Schnitzer. Il convient donc à présent d'examiner les arguments qu'il présente au soutien de ce critère.

b) Le critère de la fonction du contrat

Selon la doctrine de la prestation caractéristique, le choix du facteur de rattachement qu'elle propose est également dicté par la fonction économique du contrat. En effet, la prestation caractéristique correspondrait à la fonction économique essentielle du contrat qui, selon Schnitzer, a pour objet fondamental la fourniture de biens en vue de la satisfaction de besoins76(*)..

i) Appréciation

En ce qui concerne les contrats synallagmatiques, une telle affirmation laisse songeur77(*). Lorsque Schnitzer pose que le contrat synallagmatique comporte une seule prestation économiquement essentielle, et qu'il n'y a qu'un seul des cocontractants, soit le débiteur de cette prestation, qui exerce une fonction économique en exécutant ce contrat, l'auteur nie le fondement même du libre marché qui caractérise l'économie des sociétés occidentales. En effet, l'économie de marché est fondée sur la rencontre de l'offre et de la demande, d'où découle la réalisation d'un échange. Cet échange n'intervient que lorsque chaque partie trouve un intérêt suffisant dans ce qu'elle reçoit de l'autre, en contrepartie de ce qu'elle lui cède. Dès lors, on ne saurait prétendre que, de l'offre et de la demande, l'une est « plus économiquement essentielle » que 1'autre78(*).

Et rien ne sert d'insister sur ce que l'argent ne constituerait qu'un « moyen » pour se procurer un bien ou un service, lequel serait plus essentiel79(*). On ne peut supposer que le destinataire de la prestation en argent veut obtenir cet argent dans l'unique but de se procurer à son tour des biens et des services. Il peut tout aussi bien désirer cet argent en vue de le thésauriser. Inversement, d'ailleurs, on ne peut supposer que le destinataire d'une prestation en nature la recherche en vue de satisfaire un besoin : par exemple, une personne peut très bien acheter des immeubles dans l'unique but de faire un investissement spéculatif. Du reste, dire que les contrats ont pour objet la fourniture de biens et de services en vue de la satisfaction de besoins traduit une conception, exagérément étroite du commerce international, quand on sait que, de nos jours, les transactions internationales ayant pour objet des biens ou des services ne comptent que pour environ un pour cent de la valeur totale des échanges internationaux, le reste étant composé de transactions financières.

ii) Conclusion

Contrairement à ce qu'affirme la doctrine de la prestation caractéristique, d'un point de vue économique, l'essence d'un contrat synallagmatique consiste en un échange de valeurs, et les prestations des deux parties sont tout aussi essentielles, et ce peu importe leur nature. Partant, en exécutant sa prestation aux termes d'un contrat bilatéral, chacune des deux parties remplit une fonction économique tout aussi essentielle.

c) L' apriorisme inavoué de la doctrine de la prestation caractéristique

Schnitzer reprochait à ses prédécesseurs d'avoir formulé une règle de rattachement a priori pour tous les contrats, affirmant qu'il fallait rechercher un rattachement qui tienne compte de la nature du contrat et des particularités du cas, afin de « trouver ce qui est in concreto l'essence du rapport juridique »80(*). Force est de constater, toutefois, que sa doctrine est doublement apriorique.

Premièrement, il affirme qu'il faut rechercher ce qui est in concreto l'essence du rapport juridique. Prise au mot, cette directive obligerait à renoncer à formuler une règle, car elle ne pourrait être appliquée qu'au cas par cas, en appréciant a posteriori chaque situation concrète. Apparemment, toutefois, Schnitzer ne demande pas à être pris au mot car, quelques lignes plus loin, il entreprend de formuler une règle en fonction de la nature et des particularités de chaque catégorie de contrat. Il ne préconise donc pas une véritable analyse in concreto, mais plutôt l'examen de modèles contractuels abstraits qui ne peut aboutir qu'à une solution abstraite, donc aprioriste81(*). En somme, il préconise un apriorisme un peu plus raffiné.

Deuxièmement, si l'on attribue au mot « concret » la connotation particulière que lui donne Schnitzer, on devrait logiquement s'attendre à ce qu'il procède à l'étude détaillée de chaque catégorie de contrat, quitte à en tirer ensuite une règle unique si ces analyses successives le justifient82(*). Cependant, là non plus, Schnitzer ne procède pas à l'analyse« concrète » qu'il annonce. En fait, il inverse complètement la démarche, en posant une règle générale pour tous les contrats. Cette règle générale est l'aboutissement de conclusions à l'emporte-pièce, fondées sur des prémisses générales qui ne résultent pas de l'étude de la nature et de l'essence particulières des différentes catégories de contrats. Elle est donc singulièrement aprioriste.

d) Conclusion

En somme, les arguments décrits plus haut faisant appel, d'une part, à la nature et, d'autre part, à la fonction du contrat ne démontrent pas qu'un contrat synallagmatique comporte une prestation prépondérante qui peut être retenue comme seul facteur de rattachement.

Cela dit, rien n'empêche que le rattachement auquel conduit la doctrine de la prestation caractéristique se révèle opportun. Nous examinerons donc à présent le deuxième volet de cette doctrine, à savoir le « rattachement fonctionnel ».

4.- Le rattachement fonctionnel

a) Le rattachement proposé

Dans l'hypothèse qui nous intéresse - un contrat synallagmatique ayant pour objet l'échange d'une prestation en nature contre une prestation pécuniaire -, la doctrine de la prestation caractéristique conduit à appliquer au contrat la loi du lieu de résidence habituelle de la partie qui fournit la prestation en nature.

On trouve essentiellement deux justifications à cette solution.

b) Justifications

i) Considérations d'ordre objectif

On affirme que ce rattachement conduit opportunément à faire régir le contrat par la loi de l'ordre juridique au sein duquel le contrat, et le débiteur de la prestation non pécuniaire, déploient leur fonction dans la vie économique et sociale83(*).

ii) Considérations d'ordre subjectif

D'autres considérations ne sont pas absentes des réflexions de Schnitzer. En fait, il écrit dès le départ que l'activité du commerçant doit faire l'objet d'une réglementation uniforme84(*), et il réitère cette idée à maintes reprises. On pourrait arguer que cette idée s'explique tout simplement parla volonté de rattacher le contrat à son milieu socio-économique et de permettre la standardisation des activités du commerçant, réalisant ainsi une meilleure allocation des ressources, dans le meilleur intérêt de tous. Toutefois, sans nier que Schnitzer ait pu penser en ces termes, celui-ci cherche aussi par là à satisfaire les intérêts du débiteur de la prestation caractéristique, comme le révèlent clairement ses commentaires au sujet de la convention du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels. II critique vertement l'article 3 paragraphe 2 de cette convention qui conduit parfois à faire régir le contrat par la loi de l'acheteur, en expliquant que les vendeurs « n'ont nullement envie de se soumettre à la loi souvent inconnue et imparfaite d'un pays parfois lointain »85(*). Ce commentaire montre bien que Schnitzer se préoccupe des intérêts, des attentes des parties, dans la résolution du conflit de lois86(*).

c) Appréciation

On a fait remarquer, à juste titre, que l'idée de rattacher le contrat à son milieu socioéconomique ne reposait sur aucune démonstration scientifique sérieuse87(*). En l'état actuel des développements doctrinaux, en supposant, pour les fins de la discussion, qu'un contrat ait un milieu socio-économique naturel88(*), on peut s'interroger sur l'utilité de ce rattachement : quel avantage pourrait-il y avoir à soumettre le contrat à l'ordre juridique dans lequel il déploie sa « fonction socio-économique »? Qui y trouve son compte? Quels intérêts justifieraient ce rattachement? Tel que le critère est présenté, nous ne pouvons y déceler que les intérêts de la société et de l'économie correspondant à l'ordre juridique auquel on veut rattacher le contrat. Ce seraient donc les intérêts de la population d'un État, ou peut-être ceux de cet État. Or, il a été démontré de façon convaincante que les intérêts des tiers ne peuvent être pris en compte pour résoudre le conflit de lois en matière de contrats, et que ceux de l'État ne peuvent intervenir utilement pour trancher le conflit de lois qu'en ce qui concerne certaines catégories de contrats, qui ne nous intéressent pas ici89(*). Par conséquent, ce critère du rattachement à l'environnement socio-économique du contrat doit être rejeté.

En revanche, la prise en compte des intérêts des parties nous paraît beaucoup plus justifiable90(*). Toutefois, si Schnitzer, à l'instar de Savigny, se souciait des attentes des parties, il est surprenant de constater que la prise en compte des intérêts du créancier de la prestation caractéristique dans la résolution du conflit de lois est à peu près absente des développements de Schnitzer91(*), et l'auteur ne semblait pas prêt à leur réserver quelque place que ce soit, car pour toutes les catégories de contrats visées par sa règle générale, il ne prévoyait aucune exception92(*).

Or, s'il se peut que le débiteur de la prestation caractéristique ne soit « aucunement disposé » à voir le contrat régi par la « loi souvent peu connue et peu développée d'un pays exotique », il se peut fort bien que son cocontractant se retrouve dans une disposition analogue.

Pourquoi la doctrine de la prestation caractéristique n'en tient-elle pas compte?

Nous n'arrivons pas à nous défaire de l'impression que cela s'explique par le fait que Schnitzer a construit toute sa théorie en vue de justifier une solution qui lui paraissait opportune : appliquer une seule loi à l'ensemble du contrat et assurer l'uniformité de la réglementation des contrats par lesquels une entreprise réalise son objet93(*). Souvenons-nous que c'est là le point de départ de sa réflexion et que, à ce stade, son analyse ne portait pas sur la nature, l'essence ou la fonction du contrat commercial, mais plutôt sur le contexte dans lequel il intervient : le contrat commercial constitue le moyen habituel d'exercice de l'activité d'une entreprise commerciale. Il serait souhaitable que tous ces contrats, que l'entreprise conclut à répétition, soient soumis à la même loi Ce faisant, toutefois, on met systématiquement le risque de la loi applicable à la charge des clients. Comment le justifie-t-on? On indique que les contrats ne constituent que des actes isolés pour les clients. Pourtant, le fait qu'un client ne conclue qu'un seul contrat avec l'entreprise commerciale considérée n'exclut pas qu'il puisse être intéressé par la question de la loi applicable à ce contrat. Pour contrer cette objection, la doctrine de la prestation caractéristique n'offre que ses arguments relatifs à la nature, l'essence et la fonction du contrat. Mais puisque ces arguments, comme nous l'avons démontré, sont mal fondés, la doctrine de la prestation caractéristique reste sans réponse valable face à la question de savoir pourquoi on ne doit jamais tenir compte des intérêts du créancier de la prestation caractéristique quant à la loi applicable au contrat.

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Pour qu'une doctrine soit acceptable, elle doit reposer sur des fondements solides, avonsnous dit. Que peut-on retenir des fondements théoriques de la doctrine de la prestation caractéristique élaborée par Adolph Schnitzer? Peu de choses, semble-t-il.

S'il nous paraît opportun de rechercher une directive qui permette de concrétiser le principe de proximité dans le domaine des conflits de lois en matière contractuelle, l'analyse de la nature et de la fonction du contrat synallagmatique mène à une impasse, car elle ne permet pas d'identifier au sein du contrat un facteur de rattachement unique. D'ailleurs, on a souligné avec raison qu'il y aurait quelque chose de curieux à ce que deux analyses, l'une portant sur la nature et l'autre, sur la fonction, convergent systématiquement et définitivement, étant donné que la nature ne s'identifie pas à la fonction, et que la nature est immuable tandis que la fonction tend à évoluer94(*).

Le rattachement du contrat à son milieu socio-économique, à supposer qu'il soit concevable, nous paraît devoir être rejeté, parce qu'il ne pourrait se justifier autrement que par la prise en compte d'intérêts qui doivent au contraire être écartés de la recherche de la loi applicable dans les cas qui nous intéressent.

En revanche, la prise en compte des intérêts des parties semble tout à fait opportune. Nous estimons, à l'instar de Schnitzer, qu'une entreprise a intérêt à ce que les contrats qu'elle conclut soient régis par la loi de sa résidence habituelle.

Cependant, dans la logique de la doctrine de la prestation caractéristique, seuls les intérêts du débiteur de cette prestation sont dignes de considération ou, en tout cas, sont systématiquement préférés aux intérêts de son cocontractant, sans que Schnitzer ne réussisse à nous convaincre du bien-fondé d'une telle préférence de principe.

Cela dit, peut-être d'autres auteurs ont-ils réussi là où Schnitzer avait échoué. Ce n'est pas impossible, car certains ont présenté des arguments différents à l'appui de la solution préconisée par la doctrine de la prestation caractéristique. Ces arguments reposent sur l'analyse des intérêts de toutes les parties au contrat. Nous vérifierons donc si ces « justifications de rechange » sont aptes à sauver la doctrine qui retient ici notre attention.

DEUXIÈME PARTIE: LA NOTION DE PRESTATION CARACTÉRISTIQUE

ET LES INTÉRÊTS EN CAUSE

Afin de déterminer la loi applicable au contrat à défaut de choix, il a été démontré de manière convaincante qu'en règle générale seuls les intérêts des parties peuvent être utilement pris en compte95(*).

Il est à noter que le principe de proximité ne semble pas s'opposer à la recherche d'une solution en fonction des intérêts des parties. En effet, comme l'explique M. Lagarde, le principe de proximité a pour objectif, notamment, « le respect de l'attente légitime des parties »96(*). Or, il serait tout à fait paradoxal de rechercher la satisfaction de l'attente légitime des parties tout en s'interdisant d'en tenir compte.

M. Heuzé a bien montré que les intérêts d'une partie quant à la loi applicable ne peuvent être pris en considération que dans l'hypothèse où cette partie a entretenu la conviction qu'un droit donné, dont elle connaissait la teneur, devait s'appliquer au contrat, et que cette croyance a exercé une influence sur son consentement. Et l'on peut raisonnablement supposer qu'une telle croyance sera très généralement relative au droit du domicile de l'intéressé97(*).

Dans cette perspective, l'hypothèse la plus intéressante est celle où les parties ont effectivement entretenu des croyances divergentes quant à la loi applicable au contrat, et toute la difficulté consiste alors à faire la juste part de choses entre les intérêts divergents des parties quant à la loi applicable. Pour trancher ce conflit, M. Heuzé centre son analyse sur les circonstances entourant la conclusion du contrat, après avoir conclu qu'il n'est « pas possible de raisonner ici à partir d'une définition abstraite du modèle contractuel »98(*).

Pourtant, en ce qui concerne plus particulièrement les contrats synallagmatiques ayant pour objet l'échange d'une prestation en nature contre une prestation pécuniaire, plusieurs ont implicitement adopté la position contraire, en affirmant que l'analyse abstraite de ces contrats révélait la prépondérance des intérêts du débiteur de la prestation caractéristique.

A) PRÉPONDÉRANCE DES INTÉRÊTS DU DÉBITEUR DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE : LES JUSTIFICATIONS DE RECHANGE FONDÉES

SUR LE CONTENU CARACTÉRISTIQUE DU CONTRAT

Deux arguments, qui se recoupent en partie, et qui se basent sur le contenu caractéristique du contrat, ont été avancés pour justifier le rattachement de principe du contrat à la loi de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique. Le premier se fonde sur la complexité de la prestation caractéristique et l'intensité de la réglementation dont elle fait l'objet (1), tandis que le deuxième argument repose sur l'idée que la prestation caractéristique comporte plus de risques que sa contrepartie (2).

1.- La prestation caractéristique : prestation plus complexe et faisant l'objet d'une réglementation plus intense

a) Les arguments

Plusieurs se sont portés à la défense de la doctrine de la prestation caractéristique en faisant valoir que le débiteur de cette prestation est généralement la partie la plus active aux termes du contrat; sa prestation, généralement plus complexe que celle de son contractant, fait l'objet une réglementation plus intense. La prestation du créancier de la prestation caractéristique consiste à payer un prix. Son obligation reste essentiellement la même, peu importe la loi applicable. Par contraste, la réglementation plus élaborée qui vise la prestation caractéristique est susceptible de varier davantage d'un ordre juridique à l'autre. L'on en déduit que le risque de l'application au contrat d'une loi étrangère concerne de manière prépondérante le débiteur de la prestation caractéristique. Il importe donc de soumettre le contrat à la loi qui est la plus familière à ce contractant, soit la loi du lieu de sa résidence habituelle99(*).

b) Appréciation

Ces explications ont été critiquées, et avec raison100(*).

Tout d'abord, ces développements ne sont acceptables que si l'on présuppose que les obligations corrélatives nées du contrat synallagmatique peuvent être appréciées isolément aux fins de répartir les risques découlant du conflit de lois. Or, c'est impossible, car les règles relatives à une obligation intéressent le débiteur tout autant que le créancier101(*), les obligations du premier étant les droits du second, et inversement. La réglementation de la prestation caractéristique ne se borne pas à imposer des obligations à son débiteur : du coup, elle fixe aussi les droits du créancier.

Et si l'on apprécie plutôt l'intensité de la réglementation en termes de droits, on doit nécessairement conclure que, si la prestation caractéristique est plus complexe et fait l'objet d'une réglementation plus intense, les droits contractuels du créancier de la prestation caractéristique sont susceptibles de varier davantage que ceux de son cocontractant, selon la loi applicable au contrat. Les droits du débiteur de la prestation caractéristique sont relativement protégés contre les risques découlant de la diversité des ordres juridiques. Par conséquent, dans cette perspective, le créancier de la prestation caractéristique est davantage intéressé par le conflit de loi II conviendrait donc d'appliquer au contrat la loi de la résidence habituelle du créancier de la prestation caractéristique, puisque c'est cette loi qui lui est vraisemblablement la plus familière.

Ainsi, on s'aperçoit qu'en évaluant les deux côtés de la médaille, i.e. en analysant l'intensité de la réglementation des prestations corrélatives des parties en termes de droits et d'obligations, les intérêts des cocontractants quant à la loi applicable s'équivalent et se neutralisent. Puisque nous ne connaissons pas de principe général du droit qui commande de favoriser les intérêts du débiteur au détriment de ceux de son créancier, nous devons conclure qu'une solution du conflit de lois qui vise à assurer au débiteur de la prestation caractéristique une meilleure certitude quant à l'étendue de ses obligations est susceptible de causer un désavantage proportionnel à son cocontractant sans raison valable.

En outre, on peut dire que si la prestation caractéristique est plus complexe, cette complexité est prise en compte dans le prix que le créancier accepte de payer pour l'obtenir102(*). Par hypothèse, il y a équivalence des termes de l'échange qui est l'objet du contrat synallagmatique. Ce n'est pas un hasard si, par exemple, un vendeur se voit imposer des obligations plus contraignantes qu'un donataire: c'est parce qu'on estime que l'acheteur a le droit « d'en avoir pour son argent ». Raison de plus pour ne pas favoriser les intérêts du débiteur de la prestation caractéristique au détriment des intérêts de son cocontractant.

Par ailleurs, le lien entre le critère de l'intensité de la réglementation et la doctrine de la prestation caractéristique est loin d'être évident103(*). En effet, si le premier justifie qu'on applique la loi du vendeur au contrat de vente, par exemple, alors la notion de prestation caractéristique n'est plus d'aucune utilité.

Du reste, si on voulait étendre ce critère de l'intensité de la réglementation à d'autres catégories de contrats, il faudrait s'assurer auparavant de son exactitude en procédant à une recherche approfondie, non seulement en droit interne, mais aussi en droit comparé, pour chaque catégorie de contrat, chose qui n'a pas encore été faite, et qui paraît relever de l'utopie.

Le critère de l'intensité de la réglementation peut être rapproché de l'idée de favoriser le

débiteur de la prestation caractéristique à cause de sa position plus risquée.

2.- La prestation caractéristique : la prestation qui comporte le plus de risques

On pourrait être tenté de favoriser le débiteur de la prestation caractéristique au plan du droit international privé en raison de la position plus risquée qu'il assume au titre du contrat, sur le plan économique. Cette notion de risque pourrait être élucidée par l'analyse des coûts réels que le débiteur de la p104(*)restation caractéristique assume avant la transaction, combinés aux coûts réels et potentiels occasionnés par le contrat.

a) Le calcul des risques

i) Coûts antérieurs à la transaction

On pourrait dire que la prestation caractéristique, par rapport à sa contrepartie, requiert généralement un investissement plus important en ressources de toutes sortes. Par exemple, avant qu'un fabricant de téléphones portatifs ne réussisse à vendre son produit, il aura d'abord dû le fabriquer, ce qui aura exigé de rassembler et d'exploiter efficacement des ressources autrement plus importantes que les quelques centaines de francs que la vente du téléphone peut lui rapporter. Avant qu'un avocat ne soit en mesure de représenter un client dans le cadre d'une action sur compte, toutes les ressources qu'il aura dû investir, ne serait-ce qu'aux fins de sa formation, dépassent largement en valeur les honoraires qu'il peut escompter en contrepartie de cette prestation de services relativement simple. Avant qu'un bailleur immobilier ne puisse louer ses locaux, il aura d'abord dû acquérir l'immeuble, dont la valeur est sans doute plus élevée que les loyers qu'il peut espérer obtenir au titre d'un bail.

Dans les exemples qui précèdent, on voit que, au jour de la conclusion du contrat, le débiteur de la prestation caractéristique a déjà engagé des ressources nettement plus importantes que son cocontractant.

A ces coûts nécessairement engagés antérieurement à la transaction s'ajoutent les coûts réels et potentiels découlant de la transaction.

ii) Les coûts réels et potentiels découlant de la transaction

La loi oblige les parties à fournir les prestations qu'elles ont promises aux termes du contrat. Les obligations doivent être exécutées, et elles doivent l'être correctement.

Le créancier de la prestation caractéristique s'oblige, par hypothèse, à verser une somme d'argent106105(*). Ce prix est généralement déterminé. Il est accepté par son débiteur parce que celui-ci estime qu'il correspond, ou est inférieur, à la valeur de la prestation qu'il doit obtenir en retour. Le pire qui puisse lui arriver aux termes du contrat, c'est qu'on l'oblige à payer le prix, majoré d'intérêts. Ce cocontractant sait donc avec précision à quoi il s'engage, et la valeur maximale de sa responsabilité contractuelle ne peut guère dépasser la valeur qu'il a accordée à la prestation qu'il recherchait au moment de contracter.

La situation est toute autre pour le débiteur de la prestation caractéristique. En effet, la fourniture de biens ou la prestation de services étant plus complexe, elles offrent beaucoup plus de place à l'erreur, au comportement fautif et donc, à l'obligation de réparer les dommages qui en découlent. Reprenons les exemples précédents. Si l'on s'aperçoit que les micro-ondes émises par un téléphone portatif causent le cancer, ou si le téléphone explose spontanément entre les mains de son utilisateur, le fabricant, ou son revendeur, risquent fort d'engager leur responsabilité bien au-delà de la valeur du prix qu'ils auront touché pour la vente du téléphone. De même, l'avocat qui, par inadvertance, laisse s'écouler la prescription de l'action sur compte pourrait bien être obligé de payer à son client la valeur de la créance à recouvrer, même si son recouvrement réalisé selon les règles de l'art aurait procuré à l'avocat des honoraires sensiblement inférieurs à la valeur de la créance. Le bailleur dont l'immeuble serait détruit par un incendie causé par un système défectueux d'alimentation en électricité ou en gaz, pourrait être tenu responsable de dommages dépassant largement la valeur des loyers qu'il retirait de la location.

Ces exemples montrent que l'exécution du contrat peut s'avérer beaucoup plus risquée pour le débiteur de la prestation caractéristique que pour son cocontractant.

Quelle conclusion pourrait-on en tirer pour le droit international privé des contrats?

b) Implication en droit international privé des contrats

Si, à la lumière de ce qui précède, on pouvait conclure que le contrat synallagmatique entraîne des coûts et des risques beaucoup plus élevés pour le débiteur de la prestation caractéristique que pour son cocontractant, on pourrait être tenté de favoriser le premier. Celui-ci étant le plus lourdement engagé dans la relation contractuelle, tant par ce qu'il apporte au contrat que par ce que le contrat est susceptible de lui coûter, il aurait un intérêt plus grand à connaître l'étendue exacte de ses droits et obligations contractuels. La règle de conflit de lois pourrait favoriser cet intérêt en désignant la loi de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique, car c'est très généralement la seule loi que celui-ci aura eue à l'esprit, pour peu qu'il ait contracté en considération de règles de droit matériel particulières.

c) Appréciation

Cette analyse recoupe en partie celle menée en termes d'intensité de la réglementation et, dans cette mesure, elle encourt les mêmes critiques. Cela étant, elle s'en démarque aussi à certains égards, ce qui lui mérite des critiques distinctes.

En ce qui concerne tout d'abord ce que nous avons appelé les coûts antérieurs à la transaction, ils ne se présentent pas de la même façon dans tous les contrats. Par exemple, si les coûts liés à la conception et la fabrication d'un téléphone portatif sont évidemment plus élevés que son prix de vente, cette disproportion ne s'observe que dans le cas de la vente effectuée par le fabricant. Le détaillant de téléphones portatifs, pour sa part, n'engage pas nécessairement des dépenses sensiblement plus élevées que son client pour pouvoir réaliser la transaction. S'agissant, d'autre part, de prestation de services, les coûts que leur prestataire engage pour être en mesure de les fournir sont souvent proportionnels à leur degré de complexité. Si, par exemple, un avocat doit nécessairement étudier le droit pendant quelques années avant de pouvoir offrir ses services professionnels, d'autres types de prestation de services n'exigent pas toujours un investissement préalable particulièrement important.

Quant à ce que nous avons appelé les coûts réels et potentiels découlant de la transaction, ils sont tributaires de la réglementation applicable au contrat; leur importance dépend des obligations imposées au débiteur de la prestation caractéristique par la loi applicable à la situation. Par conséquent, si l'on voulait appliquer ce critère, on serait pris dans un cercle vicieux : quelle loi consulter pour mesurer l'étendue des obligations contractuelles du débiteur de la prestation caractéristique, alors qu'on n'a pas encore déterminé la loi applicable au contrat? À moins, bien sûr, qu'une titanesque étude de droit comparé ne nous indique de manière générale et invariable, pour chaque catégorie de contrat, l'identité de la partie qui assume le plus de risques en raison du contrat, ce qui relève, encore une fois, de l'utopie.

En outre, même en faisant abstraction de la diversité des ordres juridiques, il faut bien admettre que l'exercice de la liberté contractuelle peut influer considérablement sur les coûts réels et potentiels découlant d'un contrat. Tout d'abord, au sein même du contrat, les parties peuvent, par des stipulations, étendre ou restreindre leurs obligations, limiter, exclure ou rajouter des garanties. Ensuite, contrats d'assurance et sûretés de toutes sortes peuvent être mis en orbite autour du contrat principal et modifier de manière importante le rapport des risques assumés par les parties. En vérité, même pour une catégorie de contrat donnée, les variations possibles de la charge des risques économiques liés au contrat nous parait trop importante pour que l'on puisse raisonnablement tirer des conclusions générales à ce sujet.

Un exemple devrait suffire à s'en convaincre.

Selon le Tribunal fédéral suisse, le contrat de prêt doit être régi, en principe, par la loi du prêteur : « s'agissant de prêts, les gros emprunts exceptés, le lien le plus étroit existe en règle générale avec le pays où le prêteur est domicilié, car c'est sa prestation qui caractérise le contrat et c'est sa position qui est la plus menacée. »106(*) On retrouve ici l'idée que le contrat devrait être régi par la loi de la partie dont la situation contractuelle est la plus risquée. L'exemple vaut la peine qu'on s'y attarde.

Dans l'hypothèse d'un contrat de prêt d'argent, à première vue, il semble bien que ce soit le prêteur qui prenne le plus de risques. En effet, il confie une somme d'argent à l'emprunteur sans contrepartie immédiate, en escomptant que l'emprunteur tiendra sa promesse de rendre la somme au moment convenu, avec les intérêts stipulés. Au moment de la conclusion du contrat, l'emprunteur ne donne rien d'autre que sa parole.

Cependant, il est loisible pour le prêteur de ne consentir le prêt qu'à condition qu'on lui fournisse des garanties suffisantes, et c'est souvent ainsi que les choses se passent. Si une banque prête 100 000 francs à une entreprise et que, en garantie du remboursement de cette somme, l'entreprise lui consent une hypothèque de premier rang sur un immeuble qui vaut 1 000 000 francs, et souscrit une assurance tout risques sur cet immeuble au bénéfice de la banque, peut-on sérieusement prétendre que la banque prend des risques? S'il subsiste encore quelque doute de ce côté, le banquier avisé aura naturellement pris soin d'exiger au préalable un cautionnement de la part des dirigeants de l'entreprise ... de leurs conjoints ... de leurs enfants... En vérité, en pareil cas, on a plutôt l'impression que c'est l'emprunteur qui assume le plus de risques. En effet, afin de disposer, au moment venu, de la somme nécessaire pour rembourser la banque en capital et intérêts, l'emprunteur devra faire fructifier le montant du prêt, il devra le « jouer », en quelque sorte, ce qui comporte toujours des risques, y compris lorsque l'on mise principalement sur soi-même (!).

Cet exemple nous porte à croire qu'une analyse des catégories de contrats en termes de prépondérance des risques économiques est réfractaire à toute systématisation. La marge de manoeuvre que la loi laisse aux parties dans l'aménagement de leurs rapports contractuels leur permet de répartir des manières les plus diverses les risques économiques découlant du contrat. Pour un type de contrat donné, la charge des risques peut peser sur l'une ou l'autre des parties, en fonction de divers facteurs, tels le rapport de forces au moment de la négociation du contrat et la solvabilité des parties par la suite. Et l'analyse est d'autant plus compliquée que l'on ne peut examiner un contrat isolément, en faisant abstraction des contrats accessoires qui gravitent autour de lui, car ces contrats accessoires font partie intégrante de l'équation contractuelle.

Bref, si nous avions d'abord été séduit par l'idée de faire assumer le risque de la loi applicable par la partie qui est la moins lourdement engagée dans la relation contractuelle, tout bien considéré, un tel critère ne peut pas être érigé en formule abstraite. II ne pourrait être appliqué qu'au cas par cas, au terme d'un examen portant sur l'ensemble des circonstances de chaque situation concrète. Et même là, dans bien des cas, il serait fort possible qu'on n'arrive pas à déterminer avec certitude laquelle des deux parties assume le plus de risques en vertu du contrat. À ce prix-là, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Il est préférable de rejeter ce critère, y compris pour les contrats de prêt, et pour les mêmes raisons, sauf le respect que nous devons au Tribunal fédéral suisse.

3.- Conclusion

À supposer que la prestation en nature soit généralement plus complexe que sa contrepartie pécuniaire et fasse l'objet d'une réglementation plus intense, il n'en résulte pas pour autant que l'on doive favoriser les intérêts de l'une ou l'autre des parties aux fins de déterminer la loi applicable à un contrat synallagmatique.

Par ailleurs, s'il se peut que la prestation caractéristique comporte souvent un risque économique plus grand que sa contrepartie, ce qui pourrait justifier une faveur pour le débiteur de la prestation caractéristique, ce n'est certainement pas toujours le cas. Par conséquent, ce critère ne peut pas être retenu sans nuances. En outre, puisqu'il est à peu près impossible d'identifier dans l'abstrait les situations pour lesquelles le critère est vérifié, il ne peut être retenu pour formuler une règle quelconque.

Ainsi, ceux qui ont pris le relais de Schnitzer dans la défense de la doctrine de la prestation caractéristique ont été incapables jusqu'à présent de présenter des arguments valables au soutien d'une solution au conflit de lois qui soit fondée sur la nature ou le contenu caractéristique du contrat. On ne trouve à ce jour aucune justification au rattachement du contrat « de l'intérieur ». Nous serions tenté de conclure, avec M. Lagarde, que la méthode de localisation du rapport de droit « à partir de la `nature' du rapport de droit a montré avec le temps ses limites »107(*).

Dès lors, il ne reste plus qu'à « sortir » du contrat pour diriger notre attention sur le contexte, les circonstances dans lequel il se présente. Ce faisant, peut-être y trouverons nous matière à justifier la doctrine de la prestation caractéristique. Ce n'est pas impensable, puisque cette doctrine trouve justement son origine dans l'analyse du contexte du contrat108(*).B) PREPONDÉRANCE DES INTÉRÊTS DU DEBITEUR DE LA PRESTATION CARACTÉRISTIQUE RÉVÉLÉE PAR LES CIRCONSTANCES ENTOURANT LA CONCLUSION DU CONTRAT

On trouve dans la doctrine contemporaine des développements relatifs à la question de la loi applicable au contrat qui font appel à la notion de prestation caractéristique, mais qui, contrairement à la doctrine qui lui doit don nom, fondent leurs conclusions sur une analyse des circonstances entourant la conclusion du contrat plutôt que sur sa nature, son essence ou sa fonction. En ce sens, la thèse de Dirk Gunst prétend trouver une certaine justification à la doctrine de la prestation caractéristique en recourant à des éléments d'analyse économique du droit109(*). Quant à la thèse dé M. Heuzé, elle préconise un système de solution qui recourt à la notion de prestation caractéristique, mais qui se fonde plutôt sur des considérations d'ordre sociologique"110(*). Ces deux thèses sont d'autant plus pertinentes au regard de la doctrine de la prestation caractéristique que celle-ci est prétendument justifiée par la réalité socio-économique du contrat. Nous les examinerons donc tour à tour afin, d'une part, d'en apprécier la solidité et, d'autre part, d'en évaluer la compatibilité avec la doctrine de la prestation caractéristique.

1.- Contribution d'une analyse économique du droit : la thèse de M. Gunst

a) Exposé

Après avoir conclu à l'insuffisance des arguments avancés à ce jour pour justifier le rattachement du contrat à la loi du lieu de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique111(*). M. Gunst se tourne vers. l'analyse économique du droit en vue d'y trouver de nouveaux éléments de solution à la question de la loi applicable au contrat à défaut de choix.

Il pose tout d'abord que la règle de rattachement objectif en droit des contrats internationaux doit partir de l'idée que le droit international privé doit réaliser une répartition adéquate des charges et des risques qui découlent de l'internationalité du contrat112(*).

.

Pour M. Gunst, l'internationalité du contrat fait naître essentiellement le risque qu'une partie, obligée de se renseigner sur la teneur du droit applicable au contrat en cours d'exécution, encoure des frais plus élevés du fait que son enquête porte sur un droit étranger plutôt que le droit en vigueur au lieu de sa résidence habituelle (« Informationsrisiko »)113(*).

Selon cette analyse, chaque partie a naturellement intérêt à ce que le conflit de loi relatif au contrat soit tranché en faveur de la loi de sa résidence habituelle.

Ceci amène l'auteur à conclure, à titre préliminaire, qu'il faut faire prévaloir les intérêts de la partie qui serait susceptible d'encourir des coûts sensiblement plus élevés que l'autre partie, du fait de l'application au contrat d'un droit qui lui est étranger114(*).

Procédant ensuite à l'analyse économique du droit des contrats, Gunst explique que les règles supplétives ont pour fonction de parachever la complétude du contrat, qui reste toujours lacunaire à cause des coûts beaucoup trop élevés qu'entraînerait la conclusion du contrat si les parties devaient stipuler sur tous les aspects imaginables de leur entente. Cette complétion du contrat doit être guidée par l'intérêt général, et donc tendre à une affectation optimale des ressources. Il s'ensuit que lorsque les parties n'ont pas stipulé sur un risque donné, la règle supplétive doit le mettre à la charge de la partie qui est en mesure de l'assumer au moindre coût115(*).

Après avoir examiné les différentes théories relatives à la répartition des risques en droit matériel des contrats, M. Gunst transpose son analyse en droit international privé. Il observe que, tout comme en droit interne, l'autonomie de la volonté permet aux parties de stipuler librement afin de maîtriser un risque de la manière qui leur convient le mieux, en l'occurrence le risque de la loi applicable. Ce n'est qu'à défaut de choix que la règle de rattachement objective entre enjeu, comme règle supplétive. Celle-ci devrait donc être élaborée en fonction des considérations décrites plus haut. Ceci permet à M. Gunst de formuler une règle de conflit pour le rattachement objectif des contrats : le risque de l'application d'une loi qui lui est étrangère est assumé par la partie contractante qui est en meilleure position pour maîtriser ce risque du fait de sa planification; le droit de l'autre partie est applicable en principe116(*).

Il tente ensuite de concilier sa formule de répartition des risques avec le rattachement fonctionnel.

Il note que l'internationalité d'un rapport économique découle en règle générale du fait qu'au moins un des participants « se place », soit en position d'offre, soit en position de demande, sur un marché étranger »117(*). Il estime que ce critère du lien ou du rapport au marché (« Marktbezug, Marktbezogenheit ») devrait conditionner la répartition du risque de la loi applicable118(*). En effet, lorsqu'une partie se place sur un marché étranger, elle se place par le fait même dans une sphère juridique étrangère. Ce faisant, elle en calcule les risques afférents et, notamment, le risque que le contrat qu'elle conclut soit soumis à l'environnement juridique de son cocontractant. Du moins, elle est mieux à même de prévoir ce risque et de prendre les mesures adéquates pour le maîtriser. En revanche, celui qui offre ou demande une prestation sur « son » marché n'a aucune raison de prévoir l'application d'un droit autre que le sien. Le principe de la répartition des risques se précise donc davantage : en règle générale, la partie qui se place sur un marché qui lui est étranger est mieux placée pour planifier son activité en fonction du risque d'application d'une loi étrangère qui découle de son comportement119(*).

Revenant au droit positif, M. Gunst affirme que les règles de conflits de lois actuelles, lorsqu'elles désignent la loi d'un établissement secondaire du débiteur de la prestation caractéristique, proposent en vérité un rattachement fonctionnel déterminé par le critère du Marktbezug, que la doctrine de la prestation caractéristique est cependant impuissante à expliquer120(*). Cette doctrine, en effet, mènerait toujours à la loi du principal établissement du débiteur de la prestation caractéristique. Les développements de M. Gunst, en revanche, fourniraient finalement une justification valable à ce rattachement subsidiaire.

Par ailleurs, M. Gunst est d'avis que les règles actuelles, grâce surtout au correctif qu'elles apportent pour tenir compte du Marktbezug, offrent généralement une solution adéquate au conflit de lois relatif aux contrats synallagmatiques comportant l'échange d'une prestation pécuniaire contre une prestation en nature. Pour cela, toutefois, il importe de n'utiliser la notion de prestation caractéristique que pour distinguer la prestation pécuniaire de la prestation en nature, et de traiter à part la question du rattachement, à l'aide du critère du Marktbezug121(*).

M. Gunst trouve inadéquate, cependant, la solution fournie par l'article 4 paragraphe 2 de la Convention de Rome lorsqu'une prestation caractéristique peut être identifiée au sein du contrat, mais que l'application de la loi du lieu de l'établissement principal ou secondaire du débiteur de la prestation caractéristique ne traduit pas un rattachement fonctionnel, i.e. n'exprime pas le Marktbezug tel qu'il l'entend. Tel est le cas, estime-t-il, lorsqu'une entreprise se place sur un marché par l'entremise d'agents ou de représentants, plutôt qu'en y ouvrant une succursale. En pareille hypothèse, toutefois, M. Gunst est d'avis que, pour les contrats conclus par ces agents ou représentants, la présomption de la prestation caractéristique devrait être repoussée au profit d'un rattachement dicté par le Marktbezug122(*).

b) Appréciation

Nous sommes d'accord avec l'idée que la règle de conflit relative à la loi applicable au contrat à défaut de choix devrait réaliser entre les parties une répartition adéquate des risques découlant de l'internationalité du contrat. En effet, s'agissant d'une question sur laquelle les parties n'ont pas stipulé alors qu'elles avaient la liberté de le faire - question qui, par hypothèse, intéresse les parties au premier chef -, la règle qui intervient à défaut de choix devrait normalement combler le silence des parties en tranchant la question de la manière la plus juste, compte tenu des intérêts respectifs des parties, en autant que faire ce peut.

Par contre, la conception que M. Gunst se fait du « risque de la loi » nous paraît trop étroite. En effet, l'auteur aurait dû envisager à ce chapitre le risque qu'une partie voit ses attentes trompées par la règle de conflit de loi, lorsqu'elle aura entretenu à tort la conviction que la loi de sa résidence habituelle, dont elle connaît la teneur, s'appliquerait au contrat, et que cette croyance aura influencé son consentement123(*). À bien y penser, ce risque paraît autrement plus important que celui envisagé par M. Gunst.

Quoiqu'il en soit, nous trouvons tout à fait opportune la solution qu'il propose, et qui consiste à faire assumer le risque de la loi applicable par la partie qui « se place » sur un marché étranger pour elle. On pourrait croire que, de là, M. Gunst nous proposerait un système semblable à celui préconisé par M. Heuzé, pour qui « [les contrats spéciaux] doivent être régis par la loi du lieu de résidence de celle des parties qui n'a pas pris l'initiative de leur conclusion. »124(*). Et pourtant, il n'en est rien.

En effet, M. Gunst s'accroche à la formule de la prestation caractéristique, telle qu'elle se présente en droit positif. Les exemples qu'il donne pour justifier une telle prise de position nous en révèlent la cause. En effet, il se base sur des exemples de contrats synallagmatiques dans lesquels il cantonne invariablement le débiteur de la prestation caractéristique dans un rôle purement passif par rapport à son client, de sorte que ce soit toujours le client qui apparaisse comme « s'étant placé » sur le marché de son cocontractant, au lieu de l'établissement principal ou secondaire de celui-ci125(*). Dans les exemples qu'il présente pour justifier les règles actuelles, M. Gunst n'envisage jamais de scénarios dans lesquels une entreprise choisit une politique de mise en marché internationale un tant soit peu dynamique, qui emploie des représentants ou de la publicité à l'étranger. Dans l'esprit de M. Gunst, tout se passe comme si les « fournisseurs de prestations caractéristiques » se contentaient de placer une enseigne à la porte de leur établissement, principal ou secondaire, puis de s'asseoir à leur bureau en attendant que l'on cogne à la porte ou que le téléphone sonne. C'est cette vision étriquée des relations pré-contractuelles qui permet à M. Gunst de concilier sa thèse avec le rattachement préconisé par la doctrine de la prestation caractéristique pour les contrats synallagmatiques en général126(*).

Au vu des développements ultérieurs, cependant, on s'aperçoit bien que M. Gunst reste fidèle à sa thèse. En effet, lorsque le rattachement à la loi de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique ne traduit pas le rattachement auquel conduit son critère du Marktbezug, c'est ce dernier qu'il fait prévaloir, notamment lorsqu'une entreprise conclut un contrat sur un marché étranger par l'entremise de représentants ou d'agents qu'elle y a postés pour assurer la mise en marché de ses produits ou services127(*).

Peut-être M. Gunst n'y a-t-il pas songé, mais il nous semble que son critère du Marktbezug ne devrait pas se limiter aux seules hypothèses où une entreprise se place sur un marché étranger au moyen d'une succursale ou de représentants ou agents. Le critère devrait logiquement s'étendre aux cas où une entreprise conclut un contrat avec une personne résidant habituellement dans un autre pays après l'y avoir invité à contracter, que ce soit à titre personnel (p. ex. en lui envoyant un catalogue qu'elle n'avait pas commandé) ou impersonnel (p. ex. au moyen d'une publicité faite dans ce pays et visant spécifiquement son marché), même si l'entreprise ne dispose d'aucun établissement ou représentant sur place. En effet, dans toutes ces hypothèses, il nous semble que l'entreprise prend l'initiative de se placer sur le marché de son cocontractant potentiel et que, de ce fait, elle est mieux placée que son cocontractant pour envisager la possibilité de l'application d'une loi étrangère au contrat.

En somme, le contenu des analyses de M. Gunst nous paraît moins critiquable que la façon qu'il a de les présenter. Il nous paraît clair que, pour lui, le lien avec le marché sur lequel les cocontractants se sont placés (le Marktbezug) constitue l'élément déterminant de la situation contractuelle aux fins de la désignation de la loi applicable. Ce critère nous parait tout à fait opportun. Cependant, nous ne comprenons pas pourquoi, dans ces circonstances, il cherche à démontrer que le rattachement suggéré par le droit positif est généralement satisfaisant. La notion de prestation caractéristique n'est d'aucune utilité dans le système qu'il préconise. À notre avis, il aurait donc dû aller au bout de sa pensée et se débarrasser tout simplement de la notion de prestation caractéristique, pour ne retenir que le critère du Marktbezug.

2- Contribution d'une analyse sociologique du droit : la thèse de M. Heuzé

a) Les grandes lignes de la thèse

Selon M. Heuzé, la règle de conflit doit protéger, dans la mesure du possible, les attentes légitimes des parties quant à la loi applicable au contrat128(*).

Les intérêts d'une partie quant à la loi applicable ne peuvent être pris en compte que dans l'hypothèse où cette partie a entretenu la conviction qu'un droit donné, dont elle connaissait la teneur, devait s'appliquer au contrat, et que cette croyance a exercé une influence sur son consentement. Et l'on peut raisonnablement supposer qu'une telle croyance sera très généralement relative au droit du domicile de l'intéressé129(*).

Les légitimes attentes des parties peuvent être déterminées en fonction des « réalités sociologiques »130(*). Puisqu'il n'est « pas possible de raisonner utilement ici à partir d'une définition abstraite du modèle contractuel », « il faut, au contraire examiner comment, en pratique, la question se présente aux parties »131(*).

L'auteur examine donc les différents scénarios selon lesquels la question de la loi applicable au contrat se présente aux parties, suivant les circonstances entourant la conclusion du contrat. Il en déduit que les contrats dont l'objet n'exige pas un traitement particulier « doivent être régis par la loi du lieu de résidence de celle des parties qui n'a pas pris l'initiative de leur conclusion ».132(*)

M. Heuzé, examine ensuite de plus près la notion d'initiative, et cherche à parer à l'éventualité que la partie ayant pris l'initiative du contrat ne puisse être identifiée, ce qui l'amène à formuler la règle suivante : « la loi normalement compétente est celle de la résidence du débiteur de la prestation caractéristique au jour de la convention. Par exception, le droit compétent sera celui du lieu du domicile du créancier, lorsqu'il sera établi par celui-ci qu'il n'aura pas pris l'initiative du contrat. »133(*)

b) Observations

Il est difficile d'apprécier l'utilité et l'opportunité de l'incorporation de la notion de prestation caractéristique dans le système proposé par M. Heuzé, pour la bonne et simple raison que l'auteur, dont le reste de la thèse démontre pourtant amplement qu'il est disposé à ne rien tenir pour acquis, attitude qui nous parant fort louable dans toute démarche scientifique, ne définit nulle part la notion de prestation caractéristique. Faute de pouvoir bénéficier des explications de l'auteur, il serait hasardeux de notre part de tenter de reconstruire sa conception de la « prestation caractéristique » par une interprétation de ses analyses. De toute façon, nous ne nous sentons pas le droit de lire entre les lignes des écrits des honnêtes gens.

Chose certaine, même si on ne sait pas exactement ce que M. Heuzé entend par « prestation caractéristique », sa thèse se démarque nettement de la doctrine de la prestation caractéristique au moins à deux égards : premièrement, son analyse ne porte pas sur la nature, l'essence ou la fonction du contrat, mais se concentre sur les circonstances entourant la conclusion du contrat; deuxièmement, dans le système théorique qu'il propose, la prestation caractéristique, dans l'absolu, est reléguée à un plan secondaire, à l'ombre du critère déterminant de l'initiative. Ces différences nous paraissent trop importantes pour ne pas conclure que, si le système de M. Heuzé incorpore la notion de prestation caractéristique, il a peu de choses à voir avec la doctrine du même nom.

3.- Conclusion

MM. Heuzé et Gunst estiment tout deux que le contenu du contrat n'est pas apte à servir de point de départ pour trouver une solution au conflit de lois. II faut plutôt se pencher sur le contexte dans lequel le contrat intervient, sur les circonstances entourant sa conclusion. Et l'on note avec intérêt que l'analyse économique de M. Gunst et l'analyse sociologique de M. Heuzé convergent vers un même principe : le contrat doit être régi par la loi de la partie qui n'en pas pris l'initiative. Nous approuvons tout à fait ce principe, qui offre au surplus l'avantage de s'identifier au gros bon sens que l'homme de la rue exprimerait par l'adage : « À Rome, on fait comme les Romains. »

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

Le rattachement du rapport de droit en fonction de sa nature a vraiment montré ses limites. Même une analyse débarrassée de considérations étrangères, et centrée sur les intérêts de droit international privé des parties, n'arrive pas à faire ressortir un facteur de rattachement unique ou prépondérant de l'intérieur du contrat, que ce soit en fonction de la complexité des prestations ou des risques qui leur sont liées.

Il est seulement possible de trouver une solution générale en sortant du contrat, pour examiner comment, en pratique, la question de la loi applicable se présente aux parties. Cet examen amène à penser, pour diverses raisons, que la partie qui prend l'initiative du contrat doit assumer le risque de la loi applicable134(*).

On pourrait se demander comment il se fait que la doctrine de la prestation caractéristique soit partie d'une analyse semblable du contexte dans lequel le contrat intervient, pour dévier ensuite vers une analyse du contrat en lui-même. Schnitzer aurait peut-être gagné à se rappeler cette phrase attribuée à Talleyrand : « Défiez-vous des premiers mouvements, parce qu'ils sont bons. »

En vérité, la doctrine de la prestation caractéristique ne reste jamais indifférente au contexte du contrat. Si elle aboutit systématiquement à faire régir le contrat par la loi du lieu de résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique, c'est, semble-t-il, parce qu'elle se fonde sur une conception étriquée des relations commerciales internationales, suivant laquelle le débiteur de la prestation caractéristique est cantonné dans un rôle purement passif. Schnitzer, en effet, parle toujours du client « qui s'adresse » au professionnel. Il n'envisage jamais l'hypothèse inverse dans ses développements généraux. Selon un des rapporteurs de la Convention de Rome, c'est cette même vision étriquée qui explique la formulation de son article 4, paragraphe 2. En effet, M. Lagarde écrit :

« Dans la Convention de Rome, la justification de la compétence de la loi du débiteur de la prestation caractéristique (par ex. le vendeur) repose, en effet sur l'hypothèse que ce débiteur a été sollicité par l'autre partie qui a pris en quelque sorte le risque du commerce international en s'adressant à un contractant établi à l'étranger, lequel peut légitimement penser que sa propre loi régira le contrat. Il en est tout différemment lorsque l'initiative du contrat est venue de ce débiteur, qui est allé démarcher un client dunss l'Etat de sa résidence habituelle. »135(*)

Dès lors, on peut s'interroger sur l'utilité de la notion de prestation caractéristique dans la résolution des conflits des lois en matière de contrats. Peut-être conserve-t-elle une utilité résiduelle dans un système comme celui proposé par M. Heuzé. Mais pour que l'on puisse en juger, il faudrait d'abord que cet auteur nous livre sa conception de la prestation caractéristique.

CONCLUSION

ou
De l'utilité de pétrir de la boue en vue d'en faire de l'or

Certains ont comparé la recherche de la loi applicable au contrat à défaut de choix à la recherche de la pierre philosophale136(*), insinuant par là que le juriste qui cherche une solution à ce problème, à l'instar de l'alchimiste qui tente de réaliser le grand oeuvre ou même, plus modestement, l'oeuvre au noir (ce qui serait déjà pas mal), s'agite en pure perte à la poursuite d'une chimère.

Cependant, il est remarquable de constater que ceux-là mêmes qui critiquent le plus n'ont rien de mieux à proposer137(*). Le contraire eût été surprenant, puisqu'ils ont posé d'entrée de jeu que le problème était insoluble. Dès lors, ils n'ont d'autre choix que de se rabattre sur leur argument ultime, l'ironie, ce qui nous rappelle une caricature illustrant un Marché aux idées à l'entrée duquel on avait accroché un panneau sur lequel on pouvait lire : « Nous sommes en rupture de stock pour tous nos produits, sauf l'ironie. »

Par ailleurs, nous trouvons les commentaires de ces critiques particulièrement méprisants à l'endroit des alchimistes. À notre connaissance, ceux-ci, il est vrai, n'ont jamais réussi à faire de l'or en pétrissant de la boue. Cependant, si leur quête était utopique, elle leur a tout de même permis de faire en cours de route des découvertes importantes qui ont contribué a jeter les bases de la chimie moderne138(*) En ce qui concerne le problème de la loi applicable au contrat à défaut de choix, la solution parfaite, la règle idéale, tout comme la pierre philosophale, n'est évidemment pas de ce monde. La parfaite justice n'est qu'un idéal vers lequel doit tendre le droit. Cela dit, le droit doit tendre à cet idéal, et ça ne se fait pas tout seul. Il faut y mettre, entre autres, un certain effort intellectuel.

Pour cette raison, quoique nous soyons très critique à l'endroit de la doctrine de la prestation caractéristique élaborée par Schnitzer, nous devons reconnaître à cet auteur le mérite de s'être creusé la tête afin de trouver une solution au problème qui retient ici notre attention.

L'idée de départ de Schnitzer était bonne de chercher à résoudre le conflit de lois en examinant le contexte dans lequel le problème se pose généralement. Malheureusement, son analyse a déraillé par la suite, lorsqu'il s'est enlisé dans l'élaboration d'une argumentation peu convaincante fondée sur la nature, l'essence et la fonction du contrat, sans trop qu'on sache pourquoi.

En tout cas, il avait bien vu que la question de la loi applicable au contrat intéressait les cocontractants. En vérité, il semble que seuls leurs intérêts puissent être retenus pour trancher la question.

Seulement, le contrat synallagmatique est bipolaire par nature, et ses deux pôles sont équipollents par définition. Il est vain de tenter d'y trouver un seul élément prépondérant afin de déterminer la loi qui doit le régir. Une analyse de l'échange économique que vise à réaliser le contrat synallagmatique aboutit à la même conclusion.

On n'a donc d'autre choix que d'examiner le contrat synallagmatique de l'extérieur, en se demandant comment la question de la loi applicable au contrat se présente en pratique. Ce faisant, une solution se dégage : la partie qui prend l'initiative du contrat devrait assumer le risque de l'application de la loi du lieu de résidence de son contractant.

Quel rôle peut jouer la prestation caractéristique dans tout ça? Nous ne saurions le dire, car nous ne savons plus du tout ce que peut être la prestation caractéristique d'un contrat synallagmatique.

« À l'aube, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. »

Arthur Rimbaud

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* 1 Cf. : Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, art. 4; Loi fédérale suisse du 18 décembre 1987 sur le droit international privé, art. 117; Code civil du Québec, art. 3111, 3112 et 3113.

* 2 L'article 4, paragraphe 2, de la Convention de Rome, par exemple, renvoie, selon les circonstances, à la « résidence habituelle », à « l'administration centrale », au « principal établissement » ou à « l'établissement [secondaire] ». Pour les fins de notre exposé, nous emploierons l'expression « résidence habituelle » pour désigner indistinctement tous ces points de rattachements.

* 3 Infra, I A).

* 4 En effet, chaque obligation était régie par la loi du lieu de son exécution. En cas de pluralité de lieux d'exécution, on appliquait donc des lois différentes aux différentes obligations nées d'un même contrat (ce qu'on a appelé la « petite coupure » ou « kleine Spaltung »). Par ailleurs, les effets du contrat étaient distingués de sa formation, laquelle était régie par la loi du lieu de conclusion du contrat (la « grande coupure » ou « große Spaltung »).

* 5 Cf. SCHNITZER, A., « Les contrats en droit international privé suisse », RCADI, 1968, t. 123, p. 543 aux pp. 552-557.

* 6 Cf. : BATIFFOL, H., Les conflits de lois en matière de contrats, Paris, Sirey, 1938; NADELMANN, K. H., « Choice of Law Resolved by Rules or Presumptions with an Escape Clause », (1985) 33 Am. J. Comp. Law 297 aux pp. 300-309; et GUNST, D., Die charakteristische Leistung, Zur funktionnellen Anknüpfung im International Vertragsrecht Deutschlands, der Schweiz und der Europäischen Gemeinschaft, Constanz, Hartung-Gorre Vorlag, 1994., aux pp. 56-60.

* 7 L'idée avait déjà été évoquée par certains de ses prédécesseurs : HOMBERGER, A., Die obligatorischen Vertrage im internationalen Privatrecht nach der Praxis des schweizerischen Bundesgerichts, Berne, 1925, aux pp. 10 et suiv. et à la p. 48; OSER, H.L. et W. SCHÖNENBERGER, Kommentar zum schweizerischen Zivilgesetzbuch, Das Obligationenrecht, Allgemeine Einleitung, Zurich, 1929.

* 8 Cf. SCHN1TZER, A. : Handbuch des internationalen Privatrechts, 1re éd., Zurich/Leipzig 1937; 2e éd. en 2 vol. édités à Bâle, 1944; 3e éd., 1950; 4e éd., 1957-58 (ci-après « Handbuch », en référence à la 4e éd.); Handbuch des internationalen Handels, Wechsel- und Checkrechts, Zurich/Leipzig, 1938; « Die Parteiautonomie im internen und internationalen Recht », Revue suisse de Jurisprudence 35 (1938-39), pp. 305-311, 323-329; « Vertragsfreiheit und Rechtswahl », Revue de jurisprudence suisse 49 (1953), pp. 285-293; « Rechtsanwendung auf Verträge », in Festschrift Hans Lewald, Bâle, 1953, pp. 383-392; « La loi applicable aux contrats », RCDIP, 1955, no 3, pp. 459-484 (ci-après « RCDIP, 1955 »); « Die funktionnelle Anknüpfung im internationalen Vertragsrecht », in Mélanges en l'honneur de Wilhelm Schönenberger, Fribourg, 1968, aux pp. 387-404; « Les contrats internationaux en droit international privé suisse », R.C.A.D.I., 1968, t. 123, p. 543 (ci-après « Les contrats »); « Die Zuordnung der Verträge im internationalen Privatrecht », Rabels Z 1969, pp. 17-29; « Realismus als Rechtsprinzip », in Zeitschrift für Rechtsvergleichung, Wien, 1977, pp. 257-270; « Betrachtungen zur Gegenwart und Zukunft des internationalen Privatrechts », Rabels Z 1974, pp. 317-343; « Die Einordnung der internationalen Sachverhalte in das Rechtssystem » in Internationales Recht un Wirtschaflsordnung, Festschrift far F. A Mann, Munich, 1977, pp. 289-305.

* 9 Cf. P.M. PATOCCHI, « Characteristic Performance: A New Myth in the Conflict of Laws? Some Comments on a Recent Concept in the Swiss and European Private International Law of Contract » in Études de droit international en l'honneur de Pierre Lalive, Bâle/Francfort-sur-le-Main, 1993 pp. 113-139, à la p. 122.

* 10 GIULLANO, M. et P. LAGARDE, « Rapport relatif à la Convention C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles », JOCE, 1980, no 282 (ci-après le « Rapport Giuliano/Lagarde »).

* 11 Le Rapport Giuliano/Lagarde cite une monographie de Frank Vischer ainsi qu'une décision française et une décision néerlandaise (note 38, p. 20). Néanmoins, le lien de filiation entre le commentaire contenu dans le rapport au sujet de l'article 4, paragraphe 2, de la Convention de Rome et l'oeuvre de Schnitzer est évident. En vérité, plusieurs passages du rapport ressemblent de manière déconcertante aux écrits de Schnitzer (comp. le Rapport Giuliano/Lagarde, p. 20-21, para. 3, et SCHNITZER, « Les contrats internationaux en droit international privé suisse », RCADI,1968, t. 123, p. 543, aux pp. 562-563 et 578-579). Il semble que l'on doive attribuer, à titre principal, le commentaire sous l'article 4, paragraphe 2, à Giuliano. En effet, le commentaire reprend verbatim un passage de son cours : GIULIANO, M., « La loi applicable au contrat : problèmes choisis », RCADI, 1977, t. 158, p. 187, aux pp. 237-239.

* 12 Voir les ouvrages et articles cités à la note 2.

* 13 SCHNITZER, A., Handbuch des internationalen Handels, Wechsel- und Checkrechts, Zurich/Leipzig, 1938, aux pp. 203-209.

* 14 II faut déterminer, pour chaque rapport de droit particulier, « was wesentlich ist, was immer wieder der Regelung bedarf und was andererseits für einen Beteiligten nur gelegentliche Situation ist, so daß es für ihn genereller Regelung nicht bedarf » (ibid, p. 204).

* 15 SCHNITZER, A., Handbuch des internationalen Privatrechts, 2e éd., Bâle, 1944, t. I, pp. 38 et suiv., t. II, pp. 513 et suiv.

* 16 Les contrats, p. 562.

* 17 Ibid., pp. 578-579.

* 18 Ibid., pp. 547-551.

* 19 RCDIP, 1955, p. 479.

* 20 Ibid., p. 476.

* 21 Id.

* 22 Ibid., p. 479.

* 23 Id.

* 24 Id.

* 25 Id.

* 26 Les contrats, p. 562.

* 27 Ibid., pp. 562-563.

* 28 Ibid., p. 564.

* 29 Ibid., p. 578-581.

* 30 RCDIP, 1955, p. 479. On a reproché à la notion de Schuldort d'être peu connue et de risquer de créer de la confusion avec la notion de lieu d'exécution (cf. VISCHER, F., Internationales Vertragsrecht, Berne, 1962, pp. 112-113). La notion n'a généralement pas été retenue. Pour cette raison, nous la mentionnons ici pour n'y plus revenir.

* 31 Cf. VISCHER, F., « Methodologische Fragen bei der objektiven Anknüpfung im internationalen Vertragsrecht », (1957) XIV Annuaire suisse de droit international, p. 43; Internationales Vertragsrecht, Berne, 1962, pp. 89-144.

* 32 Ibid., loc. cit., p. 47, et op. cit., p. 109.

* 33 Ibid., op. cit., p. 109.

* 34 Id.

* 35 Supra, note 24.

* 36 Internationales Vertragsrecht, p. 114-129.

* 37 Ibid., pp. 129-144.

* 38 Infra, II A)

* 39 On sait que Schnitzer est né en Allemagne, où il y a étudié, puis travaillé, jusqu'à l'âge de 44 ans, et qu'il s'est ensuite établi en Suisse, où il a poursuivi ses travaux juridiques principalement en langue allemande (cf. la notice biographique dans Les contrats). Par conséquent, si le droit allemand des obligations accorde une plus grande importance à la notion de prestation, on comprendrait, d'une part, pourquoi Schnitzer préfère la prestation à l'obligation et, d'autre part, pourquoi il a trouvé cette préférence assez naturelle pour ne pas ressentir le besoin de la justifier.

* 40 Le Vocabulaire juridique définit la prestation comme « l'objet de l'obligation en général qui peut, selon le contexte, désigner soit, dans sa matérialité, la chose due, par ex. la somme prêtée (prestation en argent), le logement assuré ou le meuble vendu (prestation en nature), soit l'activité attendue du débiteur relativement à cette chose, par ex. le versement de l'argent, la fourniture du logement, la livraison du meuble, la réalisation d'un ouvrage. »

* 41 Articles 1100 et 1126 du Code civil (français).

* 42 GHESTIN, J., Les obligations : La formation du contrat, dans Traité de droit civil, sous la direction de J. Ghestin, Paris, L.G.D.J., 3e éd., 1993, no 447, p. 413. En droit civil français, constituent des contrats réels le prêt à usage (art. 1875 C.c.), le prêt de consommation (art. 1892), le dépôt (art. 1919), le gage (art. 2071) et le don manuel.

* 43 Ibid., nos 448-452, pp. 413-420.

* 44 Ibid., no 452, p. 420.

* 45 On pourrait aussi se demander si la prestation qui consiste à donner quelque chose, i.e. à transférer un droit, est véritablement l'objet d'une obligation lorsque le transfert s'opère solo consensu. En effet, en pareil cas l'obligation n'existe « qu'en théorie et le temps d'un éclair » (CARBONNIER, Droit civil, t. 4, vol. 4, Les obligations, P.U.F., 1988, p. 27.)

* 46 On retrouvait une préoccupation semblable notamment en droit international privé anglais, avant l'entrée en vigueur de la Convention de Rome, qui cherchait à relier la « transaction » plutôt que le contrat : « the connection had to be with the substance of the contractual obligation and what had to be done under the contract rather than with the technical form of the contract itself », NORTH, P.M. (sous la dir. de), Cheshire & Norths Private International Law, 11e éd., Londres, Butterworths, 1987, p. 464).

* 47 Infra, p. 23.

* 48 À l'époque où Schnitzer a développé sa doctrine, la jurisprudence suisse parlait du « lien territorial le plus étroit ». Schnitzer considérait que l'on devait supprimer l'adjectif « territorial » parce qu'il fallait rechercher non pas un lien purement matériel, mais plutôt un lien intellectuel entre le rapport de droit et l'ordre juridique auquel on doit le soumettre (Les contrats, p. 572-573; dans le même sens : VISCHER, « Methodologische Fragen bei der objektiven Anknüpfung im internationalen Vertragsrecht », Ann. suisse de dr. Mt., 1957, pp. 43-68, à la page 47). Depuis, en droit suisse, la formule a été modifiée : l'article 117 de la loi fédérale suisse sur le droit international privé, à l'instar de l'article 4 paragraphes 1 et 5 de la Convention de Rome, parle de « loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits ». À notre avis, cette formule n'empêche pas de concevoir le rattachement en termes de liens intellectuels. En effet, on doit rattacher le contrat à un « pays », ce qui comprend son territoire (lien matériel) mais aussi son ordre juridique (lien intellectuel) (en ce sens, voir: SCHWANDER, I., « Internationales Vertragsschuldrecht - Direkte Zustündigkeit and objektive Anknüpfung », dans Beitrage zum neuen IPR des Sachen-, Schuld- and Gesellschaftsrechts : Festschrift ftir Prof. Rudolf Moser, Schulthess, Zurich, 1988, p. 79, aux pages 79-80). Aussi la divergence entre les versions française et anglaise de l'article 4, d'une part, qui parlent respectivement de la « loi du pays » et de « law of the çountry », et la version allemande, d'autre part, qui parle de « Recht des Staates », nous paraît-elle sans conséquence. On observe, par ailleurs, que la question a aussi retenu l'attention de nos amis les Anglais, dont les tribunaux, antérieurement à l'entrée en vigueur de la Convention de Rome, cherchaient à rattacher le contrat tantôt à un pays, tantôt à un système de droit. Cependant, il n'y aurait pas lieu de s'en inquiéter : « in practice the distinction between the connection with a country rather than a system of law will make no difference, provided that the search is not for purely geographical or physical factors, and there is nothing in the Giuliano/Lagarde Report (whose authors were plainly aware of the distinction) to suggest that the relevant connection is a physical rather than a legal connection. » (COLLINS, L. (sous la dir. de), Dicey & Morris on the Conflict of Laws, 13e éd., t. 2, Londres, Sweet & Maxwell, 1993, p. 1300.)

* 49 P. LAGARDE, « Le principe de proximité en droit international privé », RCADI, 1986, t. 196, p. 9, à la page 25. Si ce n'est que nous prenons parti en faveur de la règle de conflit bilatérale pour résoudre le conflit de lois.

* 50 Si ce n'est que nous prenons parti en faveur de la règle de conflit bilatérale pour résoudre le conflit de lois.

* 51 À tout prendre, tant qu'à adopter une formule vague, peut-être eût-il été préférable d'en retenir une concrète plutôt que métaphorique, comme celle du projet de Code civil du Québec de 1977, qui, pour désigner la loi applicable au contrat, faisait tout simplement référence à la loi qui, « compte tenu des circonstances, a le meilleur titre pour le régir. » (Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, vol 1, Projet de Code civil, Québec, 1978, p. 600, 601). (On a finalement préféré la formule des liens les plus étroits (cf. C.c.Q., art. 3112 et 3113)).

* 52 Rapport Giuliano/Lagarde, p. 21.

* 53 Roberto BARATTA, Il collegamento più stretto nel diritto internazionale privato dei contratti, Milan, Giuffrè, 1991, p. 64-66, 181-182, 187-190 et 249.

* 54 Nous trouvons tout à fait fascinant que M. Baratta, qui défend le principe de proximité avec vigueur, ne s'interroge nulle part sur ce qui fait l'intensité d'un lien entre un contrat et un ordre juridique.

* 55 Les contrats, p. 572-573. Dans le même sens : VISCHER, loc. cit., pp. 51-52.

* 56 Selon le rapport Giuliano/Lagarde, en effet, « l'article 4 paragraphe 2 [de la Convention de Rome] concrétise et objective la notion en soi trop vague de `liens les plus étroits' ».

* 57 Nous décomposons ainsi les développements de Schnitzer pour les fins de notre analyse. Dans ses écrits, cependant, l'auteur ne semble pas toujours distinguer très nettement les notions de « nature », « d'essence » et de « fonction ».

* 58 Nature et essence ne sont pas synonymes. Tout d'abord, s'agissant de la nature, on peut l'entendre comme ce qui définit une chose, soit en fait soit en Droit, ou encore comme ce qui est normalement attaché à un acte juridique et répond à son caractère ordinaire (Vocabulaire juridique, vo « nature »). Dans cette dernière acception, la nature se distingue de l'essence, qui se définit, dans le langage juridique, comme « ce qui est inhérent à un acte et dont dépend nécessairement soit son existence [...] soit son caractère spécifique [...]» (ibid., vo. « essence »). Puisque Schnitzer semble assimiler la nature à l'essence, la logique voudrait nécessairement qu'il s'agisse de ce qui définit un contrat en Droit. II semble que ce soit plutôt le cas. En effet, parler de contrats, de catégories de contrats, n'aurait pas de sens s'il s'agissait de la nature réelle des situations. Par conséquent, nous entendons ci-après essence et nature comme la nature juridique.

* 59 Dictionnaire Robert, vo « caractéristique ».

* 60 En effet, pour les contrats synallagmatiques auxquels il consacre ses développements généraux, il retient toujours les prestations principales que les cocontractants s'engagent à fournir.

* 61 Infra, I B) 3 a) i) â).

* 62 Paradoxalement, pour Schnitzer, en un premier temps, ce qui est commun à toutes les catégories de contrats doit être écarté, tandis qu'en un deuxième temps, ce qui est commun à tous les contrats au sein d'une même catégorie doit être retenu : « Wir knüpfen an die für die Obligation charakteristische Leistung an. Sie unterscheidet die Kategorie von jeder anderen. Umgekehrt ist sie als typische Leistung für diese Kategorie bei jedem Einzelfall der Kategorie gegeben. » (Schnitzer, Handbuch, t. II, p. 644).

* 63 Cass. 1ère civ., 25 mai 1988, Bull. civ., I, no 149, p. 102; GHESTIN, op. cit., no 813, p. 818 et no 856, p. 856.

* 64 Les contrats, p. 563.

* 65 Ibid., p. 597.

* 66 Ibid., p. 600.

* 67 Ibid., pp. 604-605.

* 68 Ibid., pp. 605-606.

* 69 Ibid., pp. 607-608.

* 70 À cet égard, le rapport Giuliano/Lagarde est plus prudent, en se bornant à affirmer que l'article 4 paragraphe 2 permet « de concrétiser le rattachement du contrat de l'intérieur et non de l'extérieur par des éléments qui ne sont pas en relation avec l'essence de l'obligation [sic], tels que la nationalité des contractants ou le lieu de conclusion. » (p. 20). On ne va pas jusqu'à nous dire que la prestation caractéristique s'identifie avec l'essence du contrat ou avec sa « vraie » nature.

* 71 Voir en ce sens : Karl KREUZER, Das internationale Privatrecht des Warenkaufs in der deutschen Rechtsprechung, Frankfurt am Main/Berlin, 1964, p. 95; Anne-Catherine IMHOFF-SCHEIER, Protection du consommateur et contrats internationaux, Genève, 1981, p. 122.

* 72 M. Foyer affirme que la « notion de prestation caractéristique n'est pas sans rapport avec la théorie de la cause du droit français » (FOYER, J., « Entrée en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles », JDI, 1991, 601, p. 610). Si nous comprenons bien, il réfère à la théorie de la cause du contrat. Quoi que l'on puisse penser de l'utilité de cette notion, force est de constater que le droit positif y accorde nettement moins d'importance qu'à la notion de cause de l'obligation (cf. GHESTIN, op. cit., no. 813, p. 818-819).

* 73 F. K. von SAVIGNY, Traité de droit romain, t. 8, trad. Guenoux, Paris, 1851, p. 199 s.

* 74 HAAK, W. E., « Choice of Law in the Field of Contracts in the EEC » (1975) 22 Nettes Int. L Rev. 183, 413.

* 75 Les contrats, p. 580-581.

* 76 En tout cas, s'agissant de contrats commerciaux, il écrit : « Kriterium des Handels ist wie uns Nationaltikonom sagt, die Bereitstellung eines Gutes zur Befriedigung eines Bedürfnisses and die Ausübung der dazu nütigen Nebentütigkeiten, Heranbringung des Guts (Transport), Lagerung,

Versucherung, usw. » (SCHNITZER, Handbuch, t. I, p. 53).

* 77 Cf. Dirk GUNST, op. cit., p. 123-126.

* 78 Celui ou celle qui en douterait n'a qu'à tenter de convaincre son boucher de lui fournir gratuitement un kilo de filet mignon, en insistant sur ce qu'il y a de vertueux pour le boucher à remplir sa fonction dans la vie économique et sociale de son pays en fournissant de la viande à la population. Et si la discussion dégénère en pugilat, qu'on ne m'en tienne pas responsable!

* 79 Cf. GUNST, op. cit., p. 125-156.

* 80 SCHNITZER, RCDIP, 1955, p. 479.

* 81 Sauf quand son système ne fonctionne pas, comme c'est le cas pour le contrat d'échange, pour lequel il suggère de revenir à une recherche véritablement in concreto de chaque cas particulier (cf. SCHNITZER, Les contrats, p. 603). Certains auteurs affirment d'ailleurs que lorsque les « trucs » de Schnitzer ne fonctionnent pas dans l'abstrait, il convient de rechercher in specie ce qui constitue la prestation principale du contrat (cf. RETTHMANN, Ch. et D. MARTINY, Internationales Vertragsrecht, 4e éd., Cologne, 1988, para. 74, p. 96-97 et para. 91, p. 108). Compte tenu des conclusions auxquelles nous arrivons quant à la nature et la fonction du contrat synallagmatique, que l'appréciation soit abstraite ou concrète, elle nous paraît tout aussi condamnable. On a souligné, par ailleurs, que cette approche véritablement in concreto sollicite la doctrine de la prestation caractéristique au-delà de ses limites (cf. Gunst, op. cit., p. 187).

* 82 Cf. PATTOCHI, loc. cit., pp. 131-132.

* 83 Cf. SCHNITZER, Les contrats, p. 578-581.

* 84 SCHNIT2ER, Handbuch des internationalen Handels, Wechsel- und Checkrechts, Zurich/Leipzig, 1938, 203 et s.

* 85 SCHNITZER, Les contrats, p. 598. A cette version quelque peu édulcorée de son propos, nous préférons celle qu'il a livrée sur la même question dans les Mélanges Schonenberger, à la page 393 : « Solche Firmen [...] werden in keiner Weise geneigt sein, ihre Vertri ge, die in vielen Lândern geschlossen werden, zersplittert dem Rechte des Kauflandes zu unterstellen, oft eines exotischen Landen, mit wenig bekanntem und unentwickeltem Recht. » (nos italiques).

* 86 Vischer, pour sa part, affirme beaucoup plus clairement la prise en compte des intérêts des parties aux fins du rattachement fonctionnel (cf. VISCHER, op. cit., p. 109-111).

* 87 H. U. JESSURUN D'OLIVEIRA, « `Characteristic Performance' in the Draft EEC Obligation Convention », (1977) 25 Am. J. Comp. Law 303, p. 313; PATTOCHI, loc. cit., p. 132.

* 88 Certains avouent leur incapacité à saisir le sens de cette formule (cf. MORSE, C. G. J., « The EEC Convention on the Law Applicable to Contractual Obligations », (1982) 2 Yearbook of European Law 123, 131, et DIAMOND, « Conflict of Laws in the EEC » (1979) 32 Curr. Legal Problems, 155, p. 168-169.

* 89 Cf. Vincent HEUZÉ, La réglementation française des contrats internationaux, Etude critique des méthodes, Paris, GLN Joly, 1990, nos 453-498, p. 213-227, et nos 546-548, p. 244-245.

* 90 Infra, II.

* 91 Sauf, comme nous l'avons mentionné, en matière de crédit immobilier, où tout à coup, c'est le besoin de crédit qui devient le critère déterminant. À notre avis, il ne s'agit là que d'un tour de passe-passe maladroit qui vise à concilier la doctrine de la prestation caractéristique avec le besoin de faire régir le contrat par la lex rei sitae.

* 92 93 II préconisait, en effet, l'abandon de la formule des liens les plus étroits, pour ne plus retenir que le critère de la prestation caractéristique, ce qui, dans son système, aurait aboutit à un rattachement passablement rigide (SCHNITZER, Les contrats, p. 576-577). En dernier lieu, cependant, il semblerait qu'il ait assoupli sa position, puisque le « projet de loi de droit international privé » qu'il publiait en 1980 comportait une clause d'exception (cf. SCHNITZER, « Gegenentwurf für ein schweizerisches IPRGesetz », Revue suisse de jurisprudence 1980, p. 309 et s.

* 93 Il est intéressant de noter qu'un auteur, par ailleurs favorable au rattachement à l'aide de la prestation caractdristique, écrit : « it must be admitted that the description for determining the characteristic performance, i. e. of the essence and the function of the obligation involved, is turgid. It conceals the real purpose of the exercise which is the search for one place of performance in order to concentrate the legal relationship there. » (Kurt LIPSTEIN, « Characteristic Performance - A New Concept in the Conflict of Laws in Matters of Contract for the EEC », (1981) 3 Northw. J. Int. Law & Bus. 402, p. 410).

* 94 JESSURUN D'OLIVEIRA, loc. cit., p. 311-313.

* 95 Cf. HEUZÉ, op. cit., nos 451 et s., p. 451 et s.

* 96 LAGARDE, « Le principe de proximité en droit international privé », RCADI, 1986, t. 196, p. 9, à la page 29.

* 97 HEUZÉ, op. cit., nos. 507-508, p. 230-231.

* 98 Ibid., no 509, p. 231.

* 99 Karl KREUZER, op. cit., p. 97-98; VISCHER, F., « The Antagonism Between Legal Security and the Search for Justice in the Field of Contracts », RCADI, 1974, t. 129, 1, p. 63-64; VON HOFFMANN, « General Report on Contractual Obligations » in European Private International Law of Obligation (éd. LANDO/VON HOFFMANN et SIEHR); 1975, 1, p. 9; LIPSTEIN, toc. cit, p. 410-411; JAFFEY, A. J. E., « The English Proper Law Doctrine and the EEC Convention », 33 (1984) ICLQ, 531, p. 547-548, avec des tempéraments, toutefois (p. 550-551 et 553-554); LANDO, « The EEC Convention on the Law Applicable to Contractual Obligations », CML Rev., 1987,159, p. 201-203; Ulrike MERSCHFORMANN, Die objektive Bestimmung der Vertragsstatuts beim internationalen Warenkauf eine studie zu Artikel 28 EGBGB unter Berticksichtigung der Haager IPR Abkommen von 1955 and 1986, Baden-Baden, 1991, p. 108-109 et 128-130; VIRGOS SORIANO, M., « La ley aplicable a los contratos internationales : la regla de los vinculos mAs esirechos y la presuncién basada en la prestacién caracteristica del contrato », dans Estudios juridicos en homenaje al profesorAurelio Menéndez, t. IV, Madrid, 1995, p. 5289, aux p. 53065307. Comp. Gerhard KEGEL, Internationales Privatrecht, 6e éd., Munich, 1987, p. 428, selon lequel, conformément à son principe du moindre dérangement (« Prinzip der geringsten Stbnmg »), le contrat doit être régi par la loi du contractant qui serait le plus « fortement concerné » par l'application d'un droit étranger au contrat, ce qui serait le cas du débiteur de la prestation caractéristique.

* 100 RETTHMANN, Ch et D. MARTINY, Internationales Vertragsrecht. Das internationales Privatrecht der Schuldvertrage, 4e éd., Cologne, 1988, no. 73, p. 96: selon ces auteurs, le critère de l'intensité de la réglementation ne peut pas être pris en compte pour résoudre une question de droit international privé, parce qu'il dépend essentiellement de la teneur des règles matérielles des différentes lois en présence.

* 101 Cf. GUNST, op. cit., p. 120-121. 1°3 Ibid., p. 121.

* 102 Ibid., p. 121.

* 103 Ibid., p. 121-122.

* 104 Ce critère a déjà été invoqué par le tribunal fédéral suisse, pour confirmer l'opportunité du rattachement du contrat à la loi du lieu de résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique (cf. ATF 78 Il 190, 191(10 juin 1952). Voir aussi : VISCHER, Internationales Vertragsrecht, Berne, 1962, p. 110; et REITHMANN/MARTINY, op. cit., no. 74, p. 96. Un auteur favorable à ce mode rattachement s'étonne d'ailleurs que le critère du risque ne soit pas évoqué plus souvent : « Somewhat incongruously, the Federal Tribunal has very occasionally paid due regard to the distribution of risk. » (LIPSTEIN, op. cit., p. 407)(nos italiques).

* 105 « Par hypothèse », parce qu'il n'existe un certain consensus .quant à l'identification de la prestation caractéristique au sein d'un contrat synallagmatique que dans le cas de contrats ayant pour objet l'échange d'une prestation en nature contre une prestation pécuniaire, la première étant alors désignée comme la prestation caractéristique.

* 106 Arrêt Müller, ATF 78 II 190, 191(10 juin 1952).

* 107 LAGARDE, « Le principe de proximité en droit international privé », 1986, t. 196, p. 9, à la page 27.

* 108 Supra, I A) 1 a).

* 109 Dirk GUNST, Die Charakteristische Leistung, Zur funktionnellen Anknüpfung im Internationalen Vertragsrecht Deutschlands, der Schweiz und der Europaischen Gemeinschaft, Konstanz,Hartung-Gorre Vorlag, 1994.

* 110 Vincent HEUZÉ, La réglementation française des contrats internationaux, Étude critique des méthodes, Paris, GLN Joly, 1990.

* 111

* 112 GUNST, op. cit., p. 103-126.

* 113 Ibid, p 136-137.

* 114 Ibid., p. 137.

* 115 « Das Interesse derjenigen Vertragspartei ist hbher zu bewerten und daher ihr Recht anzuwenden, deren Belastung durch Transaktionskosten (Rechtsermittlungskosten) lin Falle der Anwendung fremden Rechts ungleich starker wâre als diejenige der anderen Partei im Falle der Anwendung des ihr fremden Rechts. »

* 116 « Das Risiko der Anwendung des ihr fremden Rechts tragt die Vertragspartei, die typischerweise am zuverlassigsten und leichtesten das mit ihrer Planung verbundene Risiko anfallender Rechtsermittlungskosten besser zu beherrschen in der Lage ist; es ist daher grundsatzlich das Recht der anderen Partei anzuwenden. » (ibid., p. 164).

* 117 Ibid., p. 166.

* 118 Ibid., p. 169.

* 119 « Die grundsâtzliche Risikoverteilung kann deshalb dahin konkretisiert werden, daB regelmaJiig diejenige

* 120 Ibid., p 170-173.

* 121 Ibid., p. 176-178.

* 122 Ibid., p. 202-208.

* 123 Cf. HEUZÉ, op. cit., nos 506-508, p. 229-231.

* 124 Ibid., nos 541, p. 242.

* 125 Ainsi, il donne l'exemple d'un français qui commande des marchandises auprès d'une entreprise allemande, laquelle livre ensuite les produits au client en France. La loi allemande s'applique parce que le client s'est placé sur le marché allemand.

Il reprend ensuite l'hypothèse précédente avec une variante : cette fois-ci le contrat est conclu entre le client français et une succursale française de l'entreprise allemande, et ici la loi française s'applique parce que l'entreprise allemande s'est placée sur le marché français.

Dans un troisième scénario, il reprend la dernière hypothèse, mais en remplaçant le client français par un client espagnol. Dans ce cas-ci, la loi française s'applique parce que le client espagnol s'est placé sur le marché français. (p. 178-180).

* 126 Ibid., p. 181 à 186.

* 127 Ibid., p. 202-208.

* 128 HEUZE, op. cit., no 502-504, p. 228-229. 130 Ibid, nos. 507-408, p. 230-231. 131 Ibid, no 506, p. 229 132 Ibid., no 509, p. 231. 133 Ibid., no 541, p. 241-242.

* 129 Ibid., nos 507-408, p. 230-231.

* 130 Ibid, no 506, p. 229.

* 131 Ibid., no 509, p. 231.

* 132 Ibid., no 541, p. 241-242.

* 133 Ibid., no 545, p. 244-245.

* 134 II est intéressant de noter que Schnitzer évoquait aussi le critère de la partie qui prend l'initiative du contrat. Pour lui, toutefois, il s'agissait d'une solution de dernier recours, pour résoudre le problème de la loi applicable au contrat d'échange parfait. Du reste, l'auteur n'indique pas clairement à quelle solution devrait conduire ce critère, quoiqu'on ait l'impression qu'il préconise l'application de la loi de la partie qui a pris l'initiative du contrat : « Si l'on veut soumettre le contrat à une loi unique, il ne reste que de tenir compte du rôle prépondérant de l'une des parties contractantes, par exemple de celle qui incite cet échange par annonce dans les journaux spécialisés. » (SCHNTTZER, Les contrats, p. 603); et « Hier wird man wohl diejenige Partei als die wichtigere ansehen müssen, die den Tausch angeregt hat, etwa durch Annoncen in einer Zeitung. » (Schnitzer, Die Zuordnung der Vertrüge im internationales Vertragsrecht », 33 (1969) RabelsZ 17, p. 25).

* 135 LAGARDE, préface, p. VIII, dans HEUZÉ, op. cit.; voir aussi LAGARDE, P., « The European Covention on the Law Applicable to Contractual Obligations », (1982) 22 Virginia J. Int. Law, p. 91, à la note 32, p. 97.

* 136 Cf. WENGLER, W., « L'évolution moderne du droit international privé et la prévisibilité du droit applicable », RCDIP, 657; l'argumentation de M. Wengler a été largement récupérée dans KASSIS, op. cit.

* 137 En guise de conclusion à la critique qu'il fait des solutions proposée pour déterminer la loi applicable au contrat à défaut de choix de loi, M. Kassis nous vante les vertus ... du choix de loi! N'est-ce pas un peu « hors sujet »?

* 138 À ce sujet, nous suggérons au lecteur le fabuleux ouvrage, désormais classique, de Lynn Thorndyke : A History of Magic and Experimental Science During the First Thirteen Centuries of our Era, New York, Columbia University Press, (1923-1958, 1947-1964), 8 volumes. Malgré ce que son titre pourrait laisser entendre, il couvre en fait une période allant jusqu'au 17° siècle inclusivement. On en trouve sans doute une copie à Paris, à l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes (IRHT).






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