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Lyon et la Saône au XVIe siècle

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par Katherine DANA
Université Jean Moulin - Lyon III - Maitrise 2009
  

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B. Les aléas climatiques

La Saône, bien que considérée comme un cours d'eau familier et paisible, reste une rivière, c'est-à-dire un élément naturel, qui connaît différents cycles de croissance et de rétractation de son lit. De plus, une rivière est soumise aux variations climatiques et ne peut donc être perçue comme immuable et totalement prévisible. Ainsi, dans le cadre d'un site urbain, un tel élément peut représenter un danger pour les installations humaines, particulièrement les habitations, et être à l'origine de difficultés, notamment de navigation. Les riverains sont nécessairement, et par la force des choses, conscients des risques qui existent. Il s'agit ici de s'intéresser à la perception des dangers liés à la présence d'une rivière dans la ville de Lyon, mais aussi à la prise en charge politique voire à l'anticipation par les autorités de tels épisodes.

Parmi les évènements climatiques qui peuvent survenir et avoir des conséquences sur une rivière telle que la Saône, le premier auquel nous allons nous intéresser est la forte baisse des températures. Celle-ci peut entraîner le gel de la rivière et donc un empêchement total de la navigation. Ce phénomène est assez peu courant mais plusieurs occurrences sont avérées pour la rivière de Saône. Selon Laurent Michel, « la rudesse relative du climat et la faible pente expliquent aussi que la Saône soit un des seuls fleuves français à être parfois pris par les glaces, comme le Rhin »18. Il fournit également plusieurs dates auxquelles de tels épisodes se sont produits mais sa chronologie ne recense de tels évènements seulement entre les années 1608 et 1956.

Cependant, des sources permettent de supposer que la rivière de Saône a été, au moins une fois, prise par les glaces au cours de la période que nous étudions. En effet, Guillaume Paradin, historien lyonnais du XVIe siècle, relate un tel évènement pour l'hiver de l'année 1500. Cet auteur déclare que « la riviere de Saone, fut entierement gelée, depuis Lyon, iusques à Mascon : de manière que le commerce

18 MICHEL, Laurent, La Saône, frontière et trait d'union ; son histoire, ses riverains, son cours, Saint-Etienne, Editions Horvath, sans date, page 64.

par eau, estoit arresté »19. Cette information est confirmée par un acte consulaire du 7 janvier 1500. Le consulat lyonnais accorde l'autorisation à des « poissonniers aians bateaulx et bachoirs sur la saonne [...de] retirer leursd. bateaulx au temps du dangier de glasses »20. Les bateliers formulent cette demande parce qu'ils souhaitent entreposer leurs embarcations dans les fossés de la ville ; c'est sans doute la seule raison pour laquelle ils ont besoin de l'avis du consulat pour retirer leurs bateaux. La suite de l'acte justifie la nécessité que les bateaux soient sortis de la rivière, car « silz ne les retiroient serront rompuz ». En effet, la glace « est un danger pour les bateaux, surtout en bois »21 puisque ceux-ci pourraient se fendre sous la pression de l'eau gelée. En plus de cela, la conséquence principale d'un tel évènement, comme l'explique d'ailleurs Paradin, est l'arrêt provisoire de la navigation, notamment du transport commercial, ce qui représente une perte économique importante pour la ville de Lyon.

Outre le danger des glaces, le principal risque, beaucoup moins anecdotique que le gel pour les personnes vivant à proximité d'un cours d'eau, est le débordement de celui-ci. Comme nous l'avons rapidement esquissé, le régime de la Saône épargne la ville de Lyon de crues et d'inondations fréquentes. Pourtant, de façon occasionnelle, de tels évènements s'y produisent. De plus, « la Saône est restée très dynamique au cours de la période moderne, si bien qu'il a pu lui arriver d'envahir les habitations »22. En ce qui concerne le XVIe siècle, aucune crue de la Saône ne semble à noter23. Pourtant, Laurent Astrade cite l'année 157024 lorsqu'il évoque les différents débordements connus de cette rivière au cours de l'histoire. François de Belleforest décrit cet épisode, qu'il présente uniquement comme une crue du Rhône, et considère que « si la Saone eut aussi bien espandu furieusement ses ondes que son voisin le Rhosne, c'est été fait de la plus grande partie de ceste belle, et magnifique cité de Lyon »25.

19 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), pages 279 et 280.

20 AML, BB 024, f°34, v°, acte consulaire du 7 janvier 1500.

21 MICHEL, La Saône~ op. cit., page 64.

22 AYALA, Grégoire, Lyon, les bateaux de Saint-Georges : une histoire sauvée des eaux, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2009, page 81.

23 Laurent Michel, dans La Saône, fronti4rek op cit., (page 63), recense les crues connues de la Saône et n'en relève pas entre 1408 et 1602. Par ailleurs, aucune source ne permet de penser qu'une inondation due à la croissance de la Saône, eut lieu au XVIe siècle.

24 ASTRADE, Les crues et les inondations de la Saône", in La Saône, axe* op.cit., page 163.

25 BELLEFOREST, De l'effroyable et merveilleuxe op. cit., page 4.

Cependant, au sujet de cette crue des 2 et 3 décembre 157026, Nicolas de Nicolay explique, quant à lui, que le Rhône a tellement débordé qu'il a rejoint la Saône27, elle-même déjà importante. Il s'accorde donc ici avec Laurent Astrade. Au début du mois de décembre, chaque année, la Saône est en effet dans sa phase croissante. Son cours s'élargit, mais le maximum des hautes eaux pour cette riviére n'est généralement atteint qu'au mois de février28. Laurent Astrade précise d'ailleurs que « les écrits anciens évoquent plus les catastrophes sur le Rhône que sur la Saône, ou bien, quand celle-ci est évoquée, il s'agit plutôt d'inondations de Lyon engendrées par la conjugaison de la montée des deux cours d'eau »29. L'on peut donc penser que cet épisode de débordement des eaux de 1570 à Lyon concerne la Saône comme le Rhône. Néanmoins, le dégât principal qui en résulte est la destruction partielle du nouveau pont sur le Rhône alors que celui de la Saône ne semble pas avoir subi de dommages importants. Cet épisode est avant tout une crue du Rhône d'une ampleur telle que la Saône s'y est joint.

La conséquence principale de ce type d'événements est la destruction de structures telles que des habitations ou, bien sûr, de tous les édifices à proximité du cours d'eau, particulièrement les ponts. Cependant, la montée des eaux comporte d'autres risques dont les autorités au XVIe siècle sont conscientes. En effet, dans un document produit par le consulat lyonnais au XVIe siècle30, un article interdit de faire des latrines à proximité des puits si ceux-ci ne sont pas protégés par un mur de béton. Ce mur doit être suffisamment haut afin d'être « par-dessus leaux qui pourroit estre dans led. puys, et a la mesure que leau croist alocasion du rosne et de la saonne, de telle fasson sera faict led. beton quil puisse rembarrer la matiere, quil ne puisse gaster le puits de son voysin »31. Ainsi, le consulat se préoccupe des inondations pour des raisons sanitaires, qui se justifient d'elles-mêmes. D'ailleurs, selon Brigitte Rossignol, « dès les premiers signes d'une épidémie, le consulat s'emploie à dresser un rempart de protection dans la ville et [...] veille à la propreté

26 Ibid., pages 1-2.

27 NICOLAY, Généralle description~ op. cit., page 50.

28 ASTRADE, « Les crues et les inondations de la Saône », in La Saône, axe de civilisation, op.cit., page 159.

29 Ibid., page 163.

30 La date de ce document n'est pas connue, mais l'inventaire des AML le décrit comme « un code

de la construction » dans la ville et il est placé parmi d'autres documents du XVIe siècle.

31 AML, DD 004, pièce 23, article 10.

des rivières, des puits, des fontaines »32. Ainsi l'eau, et donc les rivières, représente un risque de propagation des maladies et, encore une fois, un danger d'un point de vue sanitaire. D'autre part, en 1577, le consulat s'inquiète de la possibilité que vingt-sept pestiférés se noient. Ceux-ci sont enfermés dans des cabanes à Ainay, c'est-à-dire au sud de la presqu'île, afin de limiter l'épidémie de peste. Mais, les « grandes pluyes quy continuent journellement » laissent craindre une montée des eaux des deux fleuves de la ville et les malades, ne pouvant sortir des cabanes, sont en danger33. Les échevins décident donc de faire évacuer ces personnes et demandent à Bertrand Castel, le voyer de la ville, de s'en charger.

Le consulat lyonnais est donc préoccupé par certains risques qui résultent de la présence d'une rivière dans la ville. Cependant, les remèdes sont limités et ces questions ne semblent pas primordiales pour une autorité qui est responsable, au quotidien plus que dans l'anticipation, de l'administration de la ville. La population, face à ces aléas climatiques, s'en remet plutôt à la volonté de Dieu. En effet, les catastrophes climatiques peuvent être assimilées à des punitions divines. A ce propos, Nicolas de Nicolay considère que la grande inondation de 1570 est la manifestation d'un rappel à l'ordre de Dieu vis-à-vis de ses fidèles. Ainsi, cet auteur, lorsqu'il commente la crue, trouve qu'il s'agit d'une « chose grandement emerveillable et non moins epouvantable, que la diversité des réprimendes, qu'il plaict à Dieu d'envoyer aux mortels, quand le trop d'aise leur faict oblier le devoir en son endroit »34.

Les processions fluviales, dont l'objectif est l'Ile Barbe, au nord de la ville, sont révélatrices de cette perception des catastrophes climatiques comme manifestation divine. En effet, Jacques Rossiaud décrit les pouvoirs attribués par les Lyonnais, déjà au Moyen Age, à Notre-Dame de l'Ile Barbe : « elle commande aux éléments [...] elle détourne la foudre, obtient de Dieu la pluie, et protege des eaux »35. Elle est donc considérée comme un recours, auquel on peut demander protection, et comme un moyen d'intercession avec Dieu. A ce propos, Claude de

32 ROSSIGNOL, Brigitte, Médecine et médicaments au XVIe siècle à Lyon, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990, page 62.

33 BB 098, f°132 v° et f° 133 r°, acte consulaire du jeudi 4 juillet 1577.

34 NICOLAY, Généralle description op. cit., pages 48 et 49.

35 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 399.

Rubys décrit les « Processions blanches », dont le nom fait référence à la couleur des habits des processionnaires, qui se déroulent en 1504. Celles-ci vont notamment à l'Ile Barbe, pour demander l'aide de la Vierge car « furent les rivières, fontaines et ruisseaux, tellement tariz, que les bestes mouroyent de soif par les champs »36. La sécheresse est telle qu'elle entraîne une famine et les Lyonnais implorent l'aide de Notre-Dame de l'Ile-Barbe. D'ailleurs, une sécheresse eut également lieu durant le printemps et l'été 1556 et, comme en 1504, « les bonnes gens faisoyent nuict et iour processions blanches »37. D'autre part, « d'identiques mobiles fondent les Rogations : les craintes de l'eau, du feu et de la terre »38. En effet, la fête des Rogations, qui consiste en des « prières faites avec processions, pendant les trois jours qui précédent l'Ascension »39, est la demande à Dieu d'être préservé de toutes les catastrophes, entre autres de la sécheresse ou du débordement des eaux.

La rivière de Saône peut donc représenter un danger pour la ville de Lyon, à la fois pour ses habitants mais aussi pour ses constructions. Cependant, les risques, d'un point de vue climatique, que sa présence engendre sont ponctuels et assez rares. En effet, au cours du XVIe, deux évènements notables sont à recenser : la Saône gelée en 1500 et la crue de 1570, conjugaison du débordement des deux fleuves de Lyon. Les sécheresses sont à distinguer car la Saône, dont le niveau d'eau fut probablement trés bas en 1504 et 1556, peut alors faire office de réserve d'eau de dernier recours. D'ailleurs, en 1556, on vient « amener le bestail à grands troupeaux, abbrever au Rhone, et en la Saone »40. La population lyonnaise, face à ce types d'épisodes, semble s'en remettre à la volonté de Dieu. Le consulat, quant à lui, n'est pas préparé à de tels événements, ni les infrastructures qu'il a réalisées car en 1570, le pont du Rhône, tout juste reconstruit en pierre, est emporté par la crue. Enfin cette autorité semble surtout préoccupée par les conséquences sanitaires d'un débordement des rivières, assimilant l'eau à un élément de propagation des maladies.

36 RUBYS, Histoire véritable..., op. cit., page 354.

37 PARADIN, Mémoires..., op. cit., page 357.

38 GUILLERME, André, Les temps de l'eau ; la cité, l'eau et les techniques, Seyssel (Ain), Champ Vallon, 1983, page 28.

39 Société de Savants et de Gens de Lettres, La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des

sciences, des lettres et des arts, Tome 28, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, sans date, page 812, article Rogations.

40 PARADIN, Mémoires..., op. cit., page 357.

C. Pollution de l'eau et risques sanitaires

Lorsque l'on évoque l'hygiène dans les villes durant le Moyen-Age ou l'époque moderne, la saleté des rues est une caractéristique qu'on leur appose facilement. Pourtant, « on doit sans doute abandonner l'idée d'une cité médiévale livrée aux puanteurs des cloaques et parcourue de cours d'eau charriant immondices et déchets des activités industrielles »41. En effet, selon les historiens Patrick Boucheron, Denis Menjot et Marc Boone, dès le XIIIe siècle, des mesures ont été prises dans les villes d'Europe afin d'éloigner les sources de déchets, telles que les tanneries et les boucheries, des centres urbains et de les placer en aval des rivières. Ces auteurs admettent qu'« il est possible, toutefois, que ces hydrosystèmes urbains se soient dégradés à la fin du Moyen-Age, nécessitant la reprise d'une législation répressive des villes, mais aussi la mise en oeuvre de nouveaux chantiers de l'eau »42. Nous allons nous pencher sur ces questions de pollution de l'eau des rivières, ici la Saône, dans le cadre de la ville de Lyon.

Les historiens qui s'intéressent à la région de Lyon s'accordent à décrire la Saône, à la période moderne, comme très polluée. Par exemple, André Latreille évoque « l'infection »43 de la rivière qui résulte des nombreux déchets qui y sont jetés. Ces déchets qui polluent la Saône, sont variés : « défroques d'animaux jetées par les bouchers, effluents de teinturerie et de tannerie, outre forces vidanges. Dès le XVIIe siècle, les médecins s'interrogent devant les pointes de mortalité »44. Brigitte Rossignol, qui décrit elle aussi la saleté de la rivière, considère que dès le XVIe siècle, des médecins, tels qu'Ambroise Paré, sont conscients de ces questions d'hygiène et tentent d'y remédier45. Hormis cette question de l'intérêt médical porté aux questions d'hygiène, les historiens sont unanimes : la Saône sous l'Ancien Régime est une rivière polluée par les nombreux déchets qui y sont rejetés.

41 BOUCHERON, Patrick, MENJOT, Denis, BOONE, Marc, "La ville médiévale" in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, Tome 1 (pages 287 à 582), Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, page 552.

42 Ibid., page 552.

43 LATREILLE, André (dir.), Portrait de la France moderne, Histoire de Lyon et du Lyonnais, volume 1, Milan, éditions Famot, 1976, page 180.

44 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos fours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 383.

45 ROSSIGNOL, Médecine et médicaments~ op. cit., page 58.

Ce postulat est d'ailleurs confirmé par les études archéologiques, en amont de Lyon mais aussi dans la ville elle-même. Une campagne de fouilles dans la ville de Chalon-sur-Saône a mis au jour ce que Louis Bonnamour nomme « un dépotoir urbain de la fin du XVIe siècle »46. Il s'agit d'une fosse naturelle dans la riviére oi ont été retrouvés de nombreux objets ainsi que des déchets végétaux ou encore de tannerie. Ainsi, la Saône, en amont de Lyon est déjà un réservoir de détritus quotidiens. De plus, les fouilles préventives, réalisées au début des années 2000, dans le quartier Saint-Georges de Lyon, ont confirmé qu'à l'époque moderne, « la riviére semble avoir été un facteur d'assainissement, car la berge a servi de dépotoir à des déchets en tout genre »47.

Ainsi, la rivière de Saône était, en quelque sorte, le déversoir des détritus pour la population lyonnaise. Au quotidien au XVIe siècle, les déchets, notamment ceux qui résultent du travail des artisans et des industries y sont jetés. Les fouilles qui mettent au jour ces rejets permettent d'ailleurs de compléter les informations fournies par les documents. Par exemple, le quartier « Saint-Georges se concentre sur la boucherie, ce que les trés nombreux restes d'animaux retrouvés dans le cours de la Saône ont permis de confirmer »48. Il est intéressant de constater que dans le cas de ces déchets de boucherie, donc des restes d'animaux, ils se concentrent en aval de la Saône car le quartier Saint-Georges est à l'extrémité sud de la ville. Cependant, d'autres boucheries existent plus au nord49 et l'on peut supposer que leurs déchets sont également jetés dans la rivière.

D'aprés les travaux de Brigitte Rossignol, des la fin du XVe siècle, le consulat prend des décisions au sujet de la salubrité des rues. En effet, selon un document de 1496-1497 que cet auteur a transcrit, le consulat préconise de ne pas laisser de fumier dans les rues mais de « porter le tout en Saône »50. Ainsi, la conséquence directe d'une telle mesure d'hygiéne est la pollution de la riviére. D'ailleurs le consulat encourage les professionnels à y jeter leurs déchets afin qu'ils ne soient pas entassés dans les rues. Par exemple, un acte consulaire de 1566,

46 BONNAMOUR, Louis, Archéologie de la Saône, Paris, co-édition Editions Errance et ville de Chalon-sur-Saône, 2000, page 103.

47 AYALA, Lyon, les bateaux« op cit., page 81

48 AYALA, Lyon, les bateaux« op cit., page 30

49 C'est le cas, par exemple, de la boucherie Saint-Paul qui se trouve dans le quartier du même nom, au nord de la ville sur la rive droite de la Saône.

50 AML, CC 531, 1496-1497, cité dans ROSSIGNOL, Médecine et médicaments~ op. cit., page 59.

adressé « aux taneurs et aultres » leur conseille de stocker chaque jour leurs détritus puis de les « porter le nuict suyvant dans lad. riviere ou bien faire faire des conduictz » c'est-à-dire, en quelque sorte, des égouts pour que « leurs eaues et immondices » atteignent directement la Saône51. En effet, comme les tanneries ont un usage important d'eau, ces établissements sont à proximité des rivières et peuvent facilement y déverser leurs déchets, dont l'essentiel est de l'eau souillée, par le biais de simples canalisations. Il semble d'ailleurs, qu'il est courant, et pas seulement pour les artisans, que les Lyonnais jettent leurs déchets dans les rues ou dans la Saône.

Plusieurs rois de France, au cours du XVIe siècle, interviennent directement dans la question des déchets jetés par les habitants de la ville de Lyon. En effet, de nombreuses lettres royales, de 1509 à 1561, évoquent ce sujet et déplorent la situation. Dans une lettre patente du 16 août 1509, Louis XII explique que des individus possédant des maisons au bord de la Saône ont construit des auvents ou des galeries en saillie, probablement aux fenêtres de leurs maisons, et qu'ils « jettent immondices par iceulx tellement que ceux qui vont et viennent par lad. ville et sur lad. riviere [...] en ont plusieurs ennuys et puanteur »52. Plus loin dans le document, sont précisées les conséquences de ces gestes ; il est mentionné que cela « peult estre cause tant de l'infection du poisson que de ceulx qui passent [...] s'en sont ensuivy plusieurs maux et maladies ». Le principal problème évoqué par ce document est le risque sanitaire entraîné par ces comportements. En effet, il est évoqué l'intoxication d'individus soit directement par un contact avec ces déchets soit, probablement, par l'intermédiaire de l'ingestion d'un poisson impropre à la consommation.

Afin de lutter contre ces désagréments, Louis XII ordonne la destruction de ces saillies à Denis Richeran, châtelain de Saint-Symphorien-le-Château qui commence les démolitions53. L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon s'y opposent car ils considèrent que c'est à eux qu' « appartiennent touttes et chacunes les crues, fourgetz et augmentations des maisons [...] aboutissans et confinans sus

51 AML, BB 086, f°98 v°, acte consulaire du mardi 17 décembre 1566.

52 AML, DD 003, pièce 30.

53 VIAL, Eugène, "Les voyers de la ville de Lyon", in Revue d'Histoire de Lyon, Tome 10, année 1911, Lyon, A. Rey et Compagnie (imprimeurs-éditeurs), 1911, page 182, note n° 3.

et a la riviere de Saone »54. Cependant le roi maintient sa décision en précisant qu'il n'entend « aucunement prejudicier aux droits seigneuriaux »55. Une seconde lettre royale du 3 septembre 151056, adressée au sénéchal de Lyon, réitère donc l'ordre de détruire les galeries en saillie. Il semble que cela soit inefficace puisque Louis XII à nouveau57 , puis Henri II58 et Charles IX59 réaffirment, à plusieurs reprises, la nécessité de démolir les saillies des bâtiments. Systématiquement, l'objectif principal de ces interventions est de lutter contre cette habitude des Lyonnais de jeter les déchets « par le haut de leurs maisons »60. L'insistance des rois de France, surtout pendant la première moitié du XVIe siècle, s'explique probablement par la présence régulière de la cour à Lyon, dans le contexte des Guerres d'Italie. En effet, ce types de préoccupations et de décisions relèvent plutôt du pouvoir local, donc du consulat, que de l'autorité royale. Cependant, les rois prennent des mesures similaires pour la ville de Paris. En effet, en novembre 1539, une ordonnance royale traite de l'entretien des rues de la capitale61. D'autre part, Charles IX est à l'origine d'une décision similaire à celles qui concernent le ville de Lyon puisqu'en 1564, il promulgue un édit qui ordonne la destruction des galeries en saillie des maisons de Paris62.

En ce qui concerne la ville de Lyon, dès Louis XII, la responsabilité du consulat dans ces questions de voirie et d'hygiène est évoquée. En effet, le roi considère que « nos tres chers et bien amez les Conseillers de nostred. ville et cité de lyon ont et doivent avoir plus que nuls autre le soing et cure de garder les places publiques [...] aussi afin que les cours et navigage d'icelle riviere ne soit en aucune manière empesché »63. Plusieurs lettres royales confirment qu'il est du rôle du consulat d'appliquer la décision de 1509 mais celles-ci sont adressées à des

54 ADR, 10 G 860, document 15, confrontation au palais de Roanne du 9 octobre 1509.

55 ADR, 10 G 860, document 15, 9 octobre 1509.

56 AML, DD 003, pièce 33.

57 AML, DD 003, pièce 34.

58 Par exemple, AML, DD 004, pièce 6.

59 AML, DD 004, pièce 21.

60 AML, DD 004, pièce 16. Texte royal du 25 novembre 1556 au sujet des galeries en saillie.

61 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, tomes IX à XV (1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964, ordonnance de novembre 1539.

62 Ibid., édit du 29 décembre 1564.

63 AML, DD 004, pièce 7, document 2, lettre du 1er avril 1511 au sujet des galeries en saillies à détruire.

représentants du roi, comme le sénéchal de Lyon64, chargés ensuite d'informer la municipalité. Il n'y a aucune raison que les requêtes des rois n'aient pas été relayées par ses représentants. Ainsi, il semble surprenant que le consulat n'ait pas appliqué, ou pas avant la fin du siècle, l'ordre de démolition des galeries en saillie.

Les sources consultées ne permettent pas de déterminer si celui-ci a entamé la destruction des auvents dès le début du siècle. Selon Anne Montenach, dès 1515, la municipalité avait nommé deux commis pour « veoir et visiter les bancz et chevilles des bochiers qui sont par trop avancés sur les rues publicques »65. Il s'agit, d'après cette historienne, d'une tentative pour limiter les saillies, mais ce type d'essai semble limité puisque les rois de France doivent renouveler leur volonté au cours du siècle. Cependant, lorsqu'il s'agit des avancées de maisons sur la rivière, le consulat semble beaucoup moins préoccupé et réfractaire à leur présence. En effet, en 1556, il autorise un lyonnais, Michel Cusyn, à reconstruire une maison sur une pile au bord de la rivière ainsi qu'à avancer celle-ci sur la Saône tant qu'elle reste dans l'alignement des autres maisons qui ont les pieds dans l'eau66. Le consulat ne prend donc pas en compte les risques qui découlent de la pollution de l'eau de la rivière.

Toutes les galeries en saillies ne sont pas détruites par le consulat lyonnais au cours du XVIe siècle puisque leur présence constitue toujours une gêne au siècle suivant lorsque le pouvoir municipal tente de pratiquer une politique d'alignement des différentes habitations et édifices de la ville. Cependant, il semble que le consulat ait tenté d'appliquer la volonté royale de démolition de ces auvents et autres avancées par lesquels sont jetés des déchets, probablement surtout lorsque ceux-ci représentent une gêne pour la circulation. Il a pu rencontrer des obstacles tels que l'opposition de propriétaires. Néanmoins, la municipalité semble plus préoccupée par ce problème lorsqu'il s'agit de la circulation dans les rues plutôt que sur la Saône. En effet, le consulat incite les individus à jeter leurs déchets dans la rivière, notamment les rejets des tanneries. La Saône est probablement supposée emporter les déchets hors de la ville mais la faiblesse du courant laisse sans doute

64 Par exemple, AML, DD 004, pièce 21, lettre royale du 4 août 1561adressée au sénéchal de Lyon mais qui autorise le consulat à démolir les saillies.

65 AML, BB 034, 8 janvier 1515, cité dans MONTENACH, Espaces et pratiques..., op. cit., page 134.

66 AML, BB 078, f° 150 r°, jeudi 5 mars 1556.

une partie de ceux-ci stagner et tomber au fond de la rivière. Cela expliquerait, au moins en partie, l'importante pollution de la Saône dans la ville.

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