B. Les aléas climatiques
La Saône, bien que considérée comme un
cours d'eau familier et paisible, reste une rivière, c'est-à-dire
un élément naturel, qui connaît différents cycles de
croissance et de rétractation de son lit. De plus, une rivière
est soumise aux variations climatiques et ne peut donc être perçue
comme immuable et totalement prévisible. Ainsi, dans le cadre d'un site
urbain, un tel élément peut représenter un danger pour les
installations humaines, particulièrement les habitations, et être
à l'origine de difficultés, notamment de navigation. Les
riverains sont nécessairement, et par la force des choses, conscients
des risques qui existent. Il s'agit ici de s'intéresser à la
perception des dangers liés à la présence d'une
rivière dans la ville de Lyon, mais aussi à la prise en charge
politique voire à l'anticipation par les autorités de tels
épisodes.
Parmi les évènements climatiques qui peuvent
survenir et avoir des conséquences sur une rivière telle que la
Saône, le premier auquel nous allons nous intéresser est la forte
baisse des températures. Celle-ci peut entraîner le gel de la
rivière et donc un empêchement total de la navigation. Ce
phénomène est assez peu courant mais plusieurs occurrences sont
avérées pour la rivière de Saône. Selon Laurent
Michel, « la rudesse relative du climat et la faible pente expliquent
aussi que la Saône soit un des seuls fleuves français à
être parfois pris par les glaces, comme le Rhin »18. Il
fournit également plusieurs dates auxquelles de tels épisodes se
sont produits mais sa chronologie ne recense de tels évènements
seulement entre les années 1608 et 1956.
Cependant, des sources permettent de supposer que la
rivière de Saône a été, au moins une fois, prise par
les glaces au cours de la période que nous étudions. En effet,
Guillaume Paradin, historien lyonnais du XVIe siècle, relate
un tel évènement pour l'hiver de l'année 1500. Cet auteur
déclare que « la riviere de Saone, fut entierement gelée,
depuis Lyon, iusques à Mascon : de manière que le commerce
18 MICHEL, Laurent, La Saône,
frontière et trait d'union ; son histoire, ses riverains, son
cours, Saint-Etienne, Editions Horvath, sans date, page 64.
par eau, estoit arresté »19. Cette
information est confirmée par un acte consulaire du 7 janvier 1500. Le
consulat lyonnais accorde l'autorisation à des « poissonniers aians
bateaulx et bachoirs sur la saonne [...de] retirer leursd. bateaulx au temps du
dangier de glasses »20. Les bateliers formulent cette demande
parce qu'ils souhaitent entreposer leurs embarcations dans les fossés de
la ville ; c'est sans doute la seule raison pour laquelle ils ont besoin de
l'avis du consulat pour retirer leurs bateaux. La suite de l'acte justifie la
nécessité que les bateaux soient sortis de la rivière, car
« silz ne les retiroient serront rompuz ». En effet, la glace «
est un danger pour les bateaux, surtout en bois »21 puisque
ceux-ci pourraient se fendre sous la pression de l'eau gelée. En plus de
cela, la conséquence principale d'un tel évènement, comme
l'explique d'ailleurs Paradin, est l'arrêt provisoire de la navigation,
notamment du transport commercial, ce qui représente une perte
économique importante pour la ville de Lyon.
Outre le danger des glaces, le principal risque, beaucoup
moins anecdotique que le gel pour les personnes vivant à
proximité d'un cours d'eau, est le débordement de celui-ci. Comme
nous l'avons rapidement esquissé, le régime de la Saône
épargne la ville de Lyon de crues et d'inondations fréquentes.
Pourtant, de façon occasionnelle, de tels évènements s'y
produisent. De plus, « la Saône est restée très
dynamique au cours de la période moderne, si bien qu'il a pu lui arriver
d'envahir les habitations »22. En ce qui concerne le
XVIe siècle, aucune crue de la Saône ne semble à
noter23. Pourtant, Laurent Astrade cite l'année
157024 lorsqu'il évoque les différents
débordements connus de cette rivière au cours de l'histoire.
François de Belleforest décrit cet épisode, qu'il
présente uniquement comme une crue du Rhône, et considère
que « si la Saone eut aussi bien espandu furieusement ses ondes que son
voisin le Rhosne, c'est été fait de la plus grande partie de
ceste belle, et magnifique cité de Lyon »25.
19 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume,
Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973
(1e éd. en 1573), pages 279 et 280.
20 AML, BB 024, f°34, v°, acte consulaire du
7 janvier 1500.
21 MICHEL, La Saône~ op. cit., page
64.
22 AYALA, Grégoire, Lyon, les bateaux de
Saint-Georges : une histoire sauvée des eaux, Lyon, Editions
lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2009, page 81.
23 Laurent Michel, dans La Saône,
fronti4rek op cit., (page 63), recense les crues connues de la Saône
et n'en relève pas entre 1408 et 1602. Par ailleurs, aucune source ne
permet de penser qu'une inondation due à la croissance de la
Saône, eut lieu au XVIe siècle.
24 ASTRADE, Les crues et les inondations de la
Saône", in La Saône, axe* op.cit., page 163.
25 BELLEFOREST, De l'effroyable et merveilleuxe
op. cit., page 4.
Cependant, au sujet de cette crue des 2 et 3 décembre
157026, Nicolas de Nicolay explique, quant à lui, que le
Rhône a tellement débordé qu'il a rejoint la
Saône27, elle-même déjà importante. Il
s'accorde donc ici avec Laurent Astrade. Au début du mois de
décembre, chaque année, la Saône est en effet dans sa phase
croissante. Son cours s'élargit, mais le maximum des hautes eaux pour
cette riviére n'est généralement atteint qu'au mois de
février28. Laurent Astrade précise d'ailleurs que
« les écrits anciens évoquent plus les catastrophes sur le
Rhône que sur la Saône, ou bien, quand celle-ci est
évoquée, il s'agit plutôt d'inondations de Lyon
engendrées par la conjugaison de la montée des deux cours d'eau
»29. L'on peut donc penser que cet épisode de
débordement des eaux de 1570 à Lyon concerne la Saône comme
le Rhône. Néanmoins, le dégât principal qui en
résulte est la destruction partielle du nouveau pont sur le Rhône
alors que celui de la Saône ne semble pas avoir subi de dommages
importants. Cet épisode est avant tout une crue du Rhône d'une
ampleur telle que la Saône s'y est joint.
La conséquence principale de ce type
d'événements est la destruction de structures telles que des
habitations ou, bien sûr, de tous les édifices à
proximité du cours d'eau, particulièrement les ponts. Cependant,
la montée des eaux comporte d'autres risques dont les autorités
au XVIe siècle sont conscientes. En effet, dans un document
produit par le consulat lyonnais au XVIe siècle30,
un article interdit de faire des latrines à proximité des puits
si ceux-ci ne sont pas protégés par un mur de béton. Ce
mur doit être suffisamment haut afin d'être « par-dessus leaux
qui pourroit estre dans led. puys, et a la mesure que leau croist alocasion du
rosne et de la saonne, de telle fasson sera faict led. beton quil puisse
rembarrer la matiere, quil ne puisse gaster le puits de son voysin
»31. Ainsi, le consulat se préoccupe des inondations
pour des raisons sanitaires, qui se justifient d'elles-mêmes. D'ailleurs,
selon Brigitte Rossignol, « dès les premiers signes d'une
épidémie, le consulat s'emploie à dresser un rempart de
protection dans la ville et [...] veille à la propreté
26 Ibid., pages 1-2.
27 NICOLAY, Généralle description~
op. cit., page 50.
28 ASTRADE, « Les crues et les inondations de la
Saône », in La Saône, axe de civilisation, op.cit.,
page 159.
29 Ibid., page 163.
30 La date de ce document n'est pas connue, mais
l'inventaire des AML le décrit comme « un code
de la construction » dans la ville et il est placé
parmi d'autres documents du XVIe siècle.
31 AML, DD 004, pièce 23, article 10.
des rivières, des puits, des fontaines
»32. Ainsi l'eau, et donc les rivières,
représente un risque de propagation des maladies et, encore une fois, un
danger d'un point de vue sanitaire. D'autre part, en 1577, le consulat
s'inquiète de la possibilité que vingt-sept
pestiférés se noient. Ceux-ci sont enfermés dans des
cabanes à Ainay, c'est-à-dire au sud de la presqu'île, afin
de limiter l'épidémie de peste. Mais, les « grandes pluyes
quy continuent journellement » laissent craindre une montée des
eaux des deux fleuves de la ville et les malades, ne pouvant sortir des
cabanes, sont en danger33. Les échevins décident donc
de faire évacuer ces personnes et demandent à Bertrand Castel, le
voyer de la ville, de s'en charger.
Le consulat lyonnais est donc préoccupé par
certains risques qui résultent de la présence d'une
rivière dans la ville. Cependant, les remèdes sont limités
et ces questions ne semblent pas primordiales pour une autorité qui est
responsable, au quotidien plus que dans l'anticipation, de l'administration de
la ville. La population, face à ces aléas climatiques, s'en remet
plutôt à la volonté de Dieu. En effet, les catastrophes
climatiques peuvent être assimilées à des punitions
divines. A ce propos, Nicolas de Nicolay considère que la grande
inondation de 1570 est la manifestation d'un rappel à l'ordre de Dieu
vis-à-vis de ses fidèles. Ainsi, cet auteur, lorsqu'il commente
la crue, trouve qu'il s'agit d'une « chose grandement emerveillable et non
moins epouvantable, que la diversité des réprimendes, qu'il
plaict à Dieu d'envoyer aux mortels, quand le trop d'aise leur faict
oblier le devoir en son endroit »34.
Les processions fluviales, dont l'objectif est l'Ile Barbe, au
nord de la ville, sont révélatrices de cette perception des
catastrophes climatiques comme manifestation divine. En effet, Jacques Rossiaud
décrit les pouvoirs attribués par les Lyonnais,
déjà au Moyen Age, à Notre-Dame de l'Ile Barbe : «
elle commande aux éléments [...] elle détourne la foudre,
obtient de Dieu la pluie, et protege des eaux »35. Elle est
donc considérée comme un recours, auquel on peut demander
protection, et comme un moyen d'intercession avec Dieu. A ce propos, Claude
de
32 ROSSIGNOL, Brigitte, Médecine et
médicaments au XVIe siècle à Lyon, Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1990, page 62.
33 BB 098, f°132 v° et f° 133 r°,
acte consulaire du jeudi 4 juillet 1577.
34 NICOLAY, Généralle description
op. cit., pages 48 et 49.
35 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité,
fête et frontière : la sensa lyonnaise des années
1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.),
La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon
(2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 399.
Rubys décrit les « Processions blanches »,
dont le nom fait référence à la couleur des habits des
processionnaires, qui se déroulent en 1504. Celles-ci vont notamment
à l'Ile Barbe, pour demander l'aide de la Vierge car « furent les
rivières, fontaines et ruisseaux, tellement tariz, que les bestes
mouroyent de soif par les champs »36. La sécheresse est
telle qu'elle entraîne une famine et les Lyonnais implorent l'aide de
Notre-Dame de l'Ile-Barbe. D'ailleurs, une sécheresse eut
également lieu durant le printemps et l'été 1556 et, comme
en 1504, « les bonnes gens faisoyent nuict et iour processions blanches
»37. D'autre part, « d'identiques mobiles fondent les
Rogations : les craintes de l'eau, du feu et de la terre »38.
En effet, la fête des Rogations, qui consiste en des «
prières faites avec processions, pendant les trois jours qui
précédent l'Ascension »39, est la demande
à Dieu d'être préservé de toutes les catastrophes,
entre autres de la sécheresse ou du débordement des eaux.
La rivière de Saône peut donc représenter
un danger pour la ville de Lyon, à la fois pour ses habitants mais aussi
pour ses constructions. Cependant, les risques, d'un point de vue climatique,
que sa présence engendre sont ponctuels et assez rares. En effet, au
cours du XVIe, deux évènements notables sont à
recenser : la Saône gelée en 1500 et la crue de 1570, conjugaison
du débordement des deux fleuves de Lyon. Les sécheresses sont
à distinguer car la Saône, dont le niveau d'eau fut probablement
trés bas en 1504 et 1556, peut alors faire office de réserve
d'eau de dernier recours. D'ailleurs, en 1556, on vient « amener le
bestail à grands troupeaux, abbrever au Rhone, et en la Saone
»40. La population lyonnaise, face à ce types
d'épisodes, semble s'en remettre à la volonté de Dieu. Le
consulat, quant à lui, n'est pas préparé à de tels
événements, ni les infrastructures qu'il a
réalisées car en 1570, le pont du Rhône, tout juste
reconstruit en pierre, est emporté par la crue. Enfin cette
autorité semble surtout préoccupée par les
conséquences sanitaires d'un débordement des rivières,
assimilant l'eau à un élément de propagation des
maladies.
36 RUBYS, Histoire véritable..., op.
cit., page 354.
37 PARADIN, Mémoires..., op. cit.,
page 357.
38 GUILLERME, André, Les temps de
l'eau ; la cité, l'eau et les techniques, Seyssel (Ain),
Champ Vallon, 1983, page 28.
39 Société de Savants et de Gens de
Lettres, La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné
des
sciences, des lettres et des arts, Tome 28, Paris,
Société anonyme de la Grande Encyclopédie, sans date, page
812, article Rogations.
40 PARADIN, Mémoires..., op. cit.,
page 357.
C. Pollution de l'eau et risques sanitaires
Lorsque l'on évoque l'hygiène dans les villes
durant le Moyen-Age ou l'époque moderne, la saleté des rues est
une caractéristique qu'on leur appose facilement. Pourtant, « on
doit sans doute abandonner l'idée d'une cité
médiévale livrée aux puanteurs des cloaques et parcourue
de cours d'eau charriant immondices et déchets des activités
industrielles »41. En effet, selon les historiens Patrick
Boucheron, Denis Menjot et Marc Boone, dès le XIIIe
siècle, des mesures ont été prises dans les villes
d'Europe afin d'éloigner les sources de déchets, telles que les
tanneries et les boucheries, des centres urbains et de les placer en aval des
rivières. Ces auteurs admettent qu'« il est possible, toutefois,
que ces hydrosystèmes urbains se soient dégradés à
la fin du Moyen-Age, nécessitant la reprise d'une législation
répressive des villes, mais aussi la mise en oeuvre de nouveaux
chantiers de l'eau »42. Nous allons nous pencher sur ces
questions de pollution de l'eau des rivières, ici la Saône, dans
le cadre de la ville de Lyon.
Les historiens qui s'intéressent à la
région de Lyon s'accordent à décrire la Saône,
à la période moderne, comme très polluée. Par
exemple, André Latreille évoque « l'infection
»43 de la rivière qui résulte des nombreux
déchets qui y sont jetés. Ces déchets qui polluent la
Saône, sont variés : « défroques d'animaux
jetées par les bouchers, effluents de teinturerie et de tannerie, outre
forces vidanges. Dès le XVIIe siècle, les
médecins s'interrogent devant les pointes de mortalité
»44. Brigitte Rossignol, qui décrit elle aussi la
saleté de la rivière, considère que dès le
XVIe siècle, des médecins, tels qu'Ambroise
Paré, sont conscients de ces questions d'hygiène et tentent d'y
remédier45. Hormis cette question de l'intérêt
médical porté aux questions d'hygiène, les historiens sont
unanimes : la Saône sous l'Ancien Régime est une rivière
polluée par les nombreux déchets qui y sont rejetés.
41 BOUCHERON, Patrick, MENJOT, Denis, BOONE, Marc,
"La ville médiévale" in PINOL, Jean-Luc (dir.),
Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe
siècle, Tome 1 (pages 287 à 582), Paris, Editions du Seuil,
Collection L'Univers historique, 2003, page 552.
42 Ibid., page 552.
43 LATREILLE, André (dir.), Portrait de la
France moderne, Histoire de Lyon et du Lyonnais, volume 1, Milan,
éditions Famot, 1976, page 180.
44 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER,
André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos
fours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 383.
45 ROSSIGNOL, Médecine et
médicaments~ op. cit., page 58.
Ce postulat est d'ailleurs confirmé par les
études archéologiques, en amont de Lyon mais aussi dans la ville
elle-même. Une campagne de fouilles dans la ville de
Chalon-sur-Saône a mis au jour ce que Louis Bonnamour nomme « un
dépotoir urbain de la fin du XVIe siècle
»46. Il s'agit d'une fosse naturelle dans la riviére oi
ont été retrouvés de nombreux objets ainsi que des
déchets végétaux ou encore de tannerie. Ainsi, la
Saône, en amont de Lyon est déjà un réservoir de
détritus quotidiens. De plus, les fouilles préventives,
réalisées au début des années 2000, dans le
quartier Saint-Georges de Lyon, ont confirmé qu'à l'époque
moderne, « la riviére semble avoir été un facteur
d'assainissement, car la berge a servi de dépotoir à des
déchets en tout genre »47.
Ainsi, la rivière de Saône était, en
quelque sorte, le déversoir des détritus pour la population
lyonnaise. Au quotidien au XVIe siècle, les déchets,
notamment ceux qui résultent du travail des artisans et des industries y
sont jetés. Les fouilles qui mettent au jour ces rejets permettent
d'ailleurs de compléter les informations fournies par les documents. Par
exemple, le quartier « Saint-Georges se concentre sur la boucherie, ce que
les trés nombreux restes d'animaux retrouvés dans le cours de la
Saône ont permis de confirmer »48. Il est
intéressant de constater que dans le cas de ces déchets de
boucherie, donc des restes d'animaux, ils se concentrent en aval de la
Saône car le quartier Saint-Georges est à
l'extrémité sud de la ville. Cependant, d'autres boucheries
existent plus au nord49 et l'on peut supposer que leurs
déchets sont également jetés dans la rivière.
D'aprés les travaux de Brigitte Rossignol, des la fin
du XVe siècle, le consulat prend des décisions au
sujet de la salubrité des rues. En effet, selon un document de 1496-1497
que cet auteur a transcrit, le consulat préconise de ne pas laisser de
fumier dans les rues mais de « porter le tout en Saône
»50. Ainsi, la conséquence directe d'une telle mesure
d'hygiéne est la pollution de la riviére. D'ailleurs le consulat
encourage les professionnels à y jeter leurs déchets afin qu'ils
ne soient pas entassés dans les rues. Par exemple, un acte consulaire de
1566,
46 BONNAMOUR, Louis, Archéologie de la
Saône, Paris, co-édition Editions Errance et ville de
Chalon-sur-Saône, 2000, page 103.
47 AYALA, Lyon, les bateaux« op cit.,
page 81
48 AYALA, Lyon, les bateaux« op cit.,
page 30
49 C'est le cas, par exemple, de la boucherie
Saint-Paul qui se trouve dans le quartier du même nom, au nord de la
ville sur la rive droite de la Saône.
50 AML, CC 531, 1496-1497, cité dans
ROSSIGNOL, Médecine et médicaments~ op. cit., page
59.
adressé « aux taneurs et aultres » leur
conseille de stocker chaque jour leurs détritus puis de les «
porter le nuict suyvant dans lad. riviere ou bien faire faire des conduictz
» c'est-à-dire, en quelque sorte, des égouts pour que «
leurs eaues et immondices » atteignent directement la
Saône51. En effet, comme les tanneries ont un usage important
d'eau, ces établissements sont à proximité des
rivières et peuvent facilement y déverser leurs déchets,
dont l'essentiel est de l'eau souillée, par le biais de simples
canalisations. Il semble d'ailleurs, qu'il est courant, et pas seulement pour
les artisans, que les Lyonnais jettent leurs déchets dans les rues ou
dans la Saône.
Plusieurs rois de France, au cours du XVIe
siècle, interviennent directement dans la question des déchets
jetés par les habitants de la ville de Lyon. En effet, de nombreuses
lettres royales, de 1509 à 1561, évoquent ce sujet et
déplorent la situation. Dans une lettre patente du 16 août 1509,
Louis XII explique que des individus possédant des maisons au bord de la
Saône ont construit des auvents ou des galeries en saillie, probablement
aux fenêtres de leurs maisons, et qu'ils « jettent immondices par
iceulx tellement que ceux qui vont et viennent par lad. ville et sur lad.
riviere [...] en ont plusieurs ennuys et puanteur »52. Plus
loin dans le document, sont précisées les conséquences de
ces gestes ; il est mentionné que cela « peult estre cause tant de
l'infection du poisson que de ceulx qui passent [...] s'en sont ensuivy
plusieurs maux et maladies ». Le principal problème
évoqué par ce document est le risque sanitaire
entraîné par ces comportements. En effet, il est
évoqué l'intoxication d'individus soit directement par un contact
avec ces déchets soit, probablement, par l'intermédiaire de
l'ingestion d'un poisson impropre à la consommation.
Afin de lutter contre ces désagréments, Louis
XII ordonne la destruction de ces saillies à Denis Richeran,
châtelain de Saint-Symphorien-le-Château qui commence les
démolitions53. L'archevêque et les chanoines-comtes de
Lyon s'y opposent car ils considèrent que c'est à eux qu' «
appartiennent touttes et chacunes les crues, fourgetz et augmentations des
maisons [...] aboutissans et confinans sus
51 AML, BB 086, f°98 v°, acte consulaire du
mardi 17 décembre 1566.
52 AML, DD 003, pièce 30.
53 VIAL, Eugène, "Les voyers de la ville de
Lyon", in Revue d'Histoire de Lyon, Tome 10, année 1911, Lyon,
A. Rey et Compagnie (imprimeurs-éditeurs), 1911, page 182, note n°
3.
et a la riviere de Saone »54. Cependant le roi
maintient sa décision en précisant qu'il n'entend «
aucunement prejudicier aux droits seigneuriaux »55. Une seconde
lettre royale du 3 septembre 151056, adressée au
sénéchal de Lyon, réitère donc l'ordre de
détruire les galeries en saillie. Il semble que cela soit inefficace
puisque Louis XII à nouveau57 , puis Henri II58 et
Charles IX59 réaffirment, à plusieurs reprises, la
nécessité de démolir les saillies des bâtiments.
Systématiquement, l'objectif principal de ces interventions est de
lutter contre cette habitude des Lyonnais de jeter les déchets «
par le haut de leurs maisons »60. L'insistance des rois de
France, surtout pendant la première moitié du XVIe
siècle, s'explique probablement par la présence
régulière de la cour à Lyon, dans le contexte des Guerres
d'Italie. En effet, ce types de préoccupations et de décisions
relèvent plutôt du pouvoir local, donc du consulat, que de
l'autorité royale. Cependant, les rois prennent des mesures similaires
pour la ville de Paris. En effet, en novembre 1539, une ordonnance royale
traite de l'entretien des rues de la capitale61. D'autre part,
Charles IX est à l'origine d'une décision similaire à
celles qui concernent le ville de Lyon puisqu'en 1564, il promulgue un
édit qui ordonne la destruction des galeries en saillie des maisons de
Paris62.
En ce qui concerne la ville de Lyon, dès Louis XII, la
responsabilité du consulat dans ces questions de voirie et
d'hygiène est évoquée. En effet, le roi considère
que « nos tres chers et bien amez les Conseillers de nostred. ville et
cité de lyon ont et doivent avoir plus que nuls autre le soing et cure
de garder les places publiques [...] aussi afin que les cours et navigage
d'icelle riviere ne soit en aucune manière empesché
»63. Plusieurs lettres royales confirment qu'il est du
rôle du consulat d'appliquer la décision de 1509 mais celles-ci
sont adressées à des
54 ADR, 10 G 860, document 15, confrontation au palais
de Roanne du 9 octobre 1509.
55 ADR, 10 G 860, document 15, 9 octobre 1509.
56 AML, DD 003, pièce 33.
57 AML, DD 003, pièce 34.
58 Par exemple, AML, DD 004, pièce 6.
59 AML, DD 004, pièce 21.
60 AML, DD 004, pièce 16. Texte royal du 25
novembre 1556 au sujet des galeries en saillie.
61 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER,
Recueil général des anciennes lois françaises depuis
l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, tomes IX à XV
(1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated,
1964, ordonnance de novembre 1539.
62 Ibid., édit du 29 décembre
1564.
63 AML, DD 004, pièce 7, document 2, lettre du
1er avril 1511 au sujet des galeries en saillies à
détruire.
représentants du roi, comme le sénéchal
de Lyon64, chargés ensuite d'informer la municipalité.
Il n'y a aucune raison que les requêtes des rois n'aient pas
été relayées par ses représentants. Ainsi, il
semble surprenant que le consulat n'ait pas appliqué, ou pas avant la
fin du siècle, l'ordre de démolition des galeries en saillie.
Les sources consultées ne permettent pas de
déterminer si celui-ci a entamé la destruction des auvents
dès le début du siècle. Selon Anne Montenach, dès
1515, la municipalité avait nommé deux commis pour « veoir
et visiter les bancz et chevilles des bochiers qui sont par trop avancés
sur les rues publicques »65. Il s'agit, d'après cette
historienne, d'une tentative pour limiter les saillies, mais ce type d'essai
semble limité puisque les rois de France doivent renouveler leur
volonté au cours du siècle. Cependant, lorsqu'il s'agit des
avancées de maisons sur la rivière, le consulat semble beaucoup
moins préoccupé et réfractaire à leur
présence. En effet, en 1556, il autorise un lyonnais, Michel Cusyn,
à reconstruire une maison sur une pile au bord de la rivière
ainsi qu'à avancer celle-ci sur la Saône tant qu'elle reste dans
l'alignement des autres maisons qui ont les pieds dans l'eau66. Le
consulat ne prend donc pas en compte les risques qui découlent de la
pollution de l'eau de la rivière.
Toutes les galeries en saillies ne sont pas détruites
par le consulat lyonnais au cours du XVIe siècle puisque leur
présence constitue toujours une gêne au siècle suivant
lorsque le pouvoir municipal tente de pratiquer une politique d'alignement des
différentes habitations et édifices de la ville. Cependant, il
semble que le consulat ait tenté d'appliquer la volonté royale de
démolition de ces auvents et autres avancées par lesquels sont
jetés des déchets, probablement surtout lorsque ceux-ci
représentent une gêne pour la circulation. Il a pu rencontrer des
obstacles tels que l'opposition de propriétaires. Néanmoins, la
municipalité semble plus préoccupée par ce problème
lorsqu'il s'agit de la circulation dans les rues plutôt que sur la
Saône. En effet, le consulat incite les individus à jeter leurs
déchets dans la rivière, notamment les rejets des tanneries. La
Saône est probablement supposée emporter les déchets hors
de la ville mais la faiblesse du courant laisse sans doute
64 Par exemple, AML, DD 004, pièce 21, lettre
royale du 4 août 1561adressée au sénéchal de Lyon
mais qui autorise le consulat à démolir les saillies.
65 AML, BB 034, 8 janvier 1515, cité dans
MONTENACH, Espaces et pratiques..., op. cit., page 134.
66 AML, BB 078, f° 150 r°, jeudi 5 mars
1556.
une partie de ceux-ci stagner et tomber au fond de la
rivière. Cela expliquerait, au moins en partie, l'importante pollution
de la Saône dans la ville.
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