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La coopération décentralisée entre la France et le Cameroun : un véritable partenariat ?

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par Cyprien BASSAMAGNE MOUGNOK
Université de Yaounde II - Soa - Master II 2007
  

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INTRODUCTION GENERALE

Contexte général

Le 1er janvier 1960, le Cameroun, territoire sous mandat français de 1919 à 1939, puis territoire sous tutelle française de 1946 à 1959 accéda à l'indépendance. Cet évènement était une rupture de continuité dans l'ordre juridique, car il y eut transfert, au profit du Cameroun des compétences jusque-là réservées à la France (Oyono, 1990 : 9). En théorie le Cameroun et la France devenaient des pays étrangers l'un par rapport à l'autre. Nonobstant ce fait, les deux partenaires se trouvaient en quelque sorte prisonniers des habitudes contractées pendant plusieurs décennies de vie commune. La France, de ce point de vue, apparaît comme le pays avec lequel le Cameroun entretient les relations les plus diversifiées, privilégiées et consistantes (Kombi Mouelle, 1996). C'est le lieu de rappeler que ces relations étaient essentiellement interétatiques car reposant sur les accords de coopération signés entre la France et le Cameroun au lendemain de l'indépendance de celui-ci. Rares ont été les occasions où les populations ont été directement et massivement associées à l'effort de coopération internationale.

Mais, de plus en plus aujourd'hui, les collectivités publiques locales s'engagent sur le plan international. Elles offrent ou reçoivent des services, accordent des subventions ou contractent des dettes avec les partenaires homologues situés au-delà des frontières nationales (Nach Mback, 1994 : 2). C'est dans cet état d'esprit que depuis le début des années 1980, un nombre croissant de collectivités locales françaises s'engagent en coopération au Sud. Ce phénomène a rapidement reçu la dénomination de "coopération décentralisée pour le développement" (Petiteville, 1995 : 7).

Sans sombrer dans un dépendantisme désuet, la présente étude se propose de faire une sociologie fine et détaillée des transactions objectives et/ou subjectives entre les différents acteurs sans surestimer ou mésestimer l'apport de l'un ou de l'autre dans le processus de coopération décentralisée. Dès lors, contrairement à Charles Nach Mback qui définit la coopération décentralisée comme un apport essentiel des collectivités françaises à leurs homologues Camerounais (Nach Mback, 1994 : 177), nous pensons que cette nouvelle forme de coopération internationale prend au sérieux le principe de réciprocité et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre étude s'intitule : la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun : un véritable partenariat ?

Délimitation du champ d'étude

· Sur un plan spatio-temporel

Dans le cadre de la coopération décentralisée Nord-Sud, la France est en occident une figure de proue. La branche française « cités unies-France » de la F.M.V.J par exemple est particulièrement active dans la promotion et la mise en oeuvre des relations de coopération décentralisée. (Nach Mback : 1994, 18). Pour s'en convaincre, il suffit de voir la politique volontariste qui anime les autorités françaises quand à l'élaboration et à l'opérationnalisation d'une législation cohérente en la matière. Ce pays nous servira d'échantillon dans l'hémisphère Nord non pas seulement du fait de son positionnement sur la scène internationale en matière d'expertise en ingénierie urbaine, mais également en raison de sa proximité politique et culturelle avec certains pays d'Afrique Noire, en l'occurrence le Cameroun. C'est d'ailleurs dans ce contexte qu'il faut comprendre Roger Gabriel Nlep quand il affirme que l'administration territoriale des Etats Africains présente plus de similitudes que de variances (Nlep, 1986).

Le Cameroun nous servira d'échantillon dans l'hémisphère Sud du fait de sa position stratégique dans la politique Africaine de la France(Oyono,1990). Ne dit-on pas souvent que le Cameroun est une « Afrique en miniature » du fait de ses caractéristiques particulières qui en font un « microcosme de l'Afrique » ?

· Sur le plan chronologique

Nous voulons étudier cette nouvelle forme de coopération internationale entre la France et le Cameroun depuis 1990. Cette date marque la signature de la convention cadre franco-camerounaise relative à la coopération décentralisée. Il ne s'agit pas ici de croire qu'il n'existait pas de Coopération Décentralisée franco- camerounaise avant cette date - d'ailleurs la ville de Bafoussam (Cameroun) est jumelée à celle de Bayeux (France) par un accord du 18 Février 1966 et dans sa forme actuelle, la Coopération Décentralisée lie des collectivités des deux pays depuis 1984 (Nach Mback, 1994) - mais de cerner les logiques qui sont inhérentes à cette coopération à partir de l'évènement de novembre 1990. Il n'est pas superfétatoire, nous semble-t-il ,de rappeler que le socle institutionnel de la Coopération Décentralisée est balisé à l'origine par la convention- cadre de Madrid proclamée au sein du conseil de l'Europe en 1980 (Ekoumou, 1991). Seulement, il faut remarquer que cette coopération était restrictive car se limitant à la sphère européenne et ayant pour objectifs avoués la consolidation des relations de voisinage et la promotion des rapprochements entre collectivités locales européennes. C'est à partir de la convention de Madrid que le mouvement prendra une tournure vertigineuse pour se répandre plus tard dans les autres continents. Certains Etats d'Afrique noire connaîtront véritablement ce mouvement avec la crise des autoritarismes ou tout simplement ce que Bourmaud(1997), empruntant le vocabulaire de Jean François Bayart appellera plus tard la « décompression autoritaire ».

Quelques clarifications conceptuelles

Si les hommes prenaient la peine de s'entendre au préalable sur les mots qu'ils allaient utiliser, il y aurait moins de problèmes dans le monde. C'est fort de cette somptueuse allégation d'Aristote (384-329) que nous voulons dégager la spécificité de sens mieux, la polysémie que renferment les concepts clés de notre étude à savoir, coopération décentralisée, collectivités territoriales décentralisées, partenariat...

1) La coopération décentralisée

La notion de "coopération décentralisée" est multidimensionnelle et certains auteurs cèdent à la tentation de parler des « coopérations décentralisées » (collectif de thiers, 1983). Mais la coopération décentralisée est une et une seule (Nach Mback, 1994). Dans la pratique, le même terme de « coopération décentralisée » peut revêtir des significations différentes et englober de manière plus ou moins extensive l'ensemble des acteurs de la coopération internationale. D'ailleurs, le règlement du conseil d'Europe accorde la qualité d'agent de coopération décentralisée à tous les acteurs dits "infra étatiques" ; c'est-à-dire toutes les organisations et personnes morales qui ne relèvent pas directement du gouvernement, qu'elles soient publiques ou privées. Il peut s'agir de la sorte aussi bien de collectivités et autorités territoriales ou locales que d'associations, d'ONGs et autres partenaires publics ou privés.

En revanche, selon les termes du droit français, la qualité et le statut d'agent de coopération décentralisée sont réservés uniquement aux collectivités et autorités territoriales car on considère qu'il s'agit des relations décentralisées au sens public de l'expression (Santus, 2003 : 8).

Pour Jean-Louis Vénard, la Coopération Décentralisée s'entend aujourd'hui dans un double sens : d'une part, les institutions de coopération tendent de plus en plus à favoriser la mobilisation des collectivités locales des pays développés au service du développement urbain en Afrique en apportant des compléments de financement aux accords directs passés entre villes du Nord et du Sud désignés sous le nom de "jumelage - coopération". D'autre part, selon le sens qui lui est donné par la CEE, la coopération décentralisée a pour objet de mettre l'aide au développement directement à la disposition des collectivités locales du Sud en contournant les administrations centrales des Etats (Jaglin et Dubresson, 1993). Allant dans le même sens, Franck Petiteville définit la coopération décentralisée comme une nouvelle forme de coopération internationale avec pour pendant l'acheminement de l'APD au Sud, aussi utilise-t-il avec insistance l'expression "coopération décentralisée pour le développement", pour catégoriser les relations Nord-Sud (Petiteville, 1995). Remarquons que ces différentes approches de la coopération décentralisée Nord-Sud sont essentiellement réductionnistes et constituent un facteur de minorisation de cette nouvelle forme de coopération internationale car, occultant, mieux faisant l'impasse sur les différentes interactions et/ou légitimations réciproques qui sont à l'oeuvre dans ce jeu. Laissons Bernard Dolez définir pour nous la "coopération décentralisée".

Pour notre auteur, la coopération décentralisée renvoie aux relations que les collectivités territoriales nouent avec leurs homologues étrangers (Dolez, 1993). Née dans un univers relationnel essentiellement interdépendant, la coopération décentralisée regroupe l'ensemble des actions de coopération internationale menées entre une ou plusieurs collectivités territoriales (régions, communes et leurs groupements) et une ou plusieurs autorités locales étrangères dans un intérêt commun fut-il relatif. Il s'agit finalement d'un ensemble de relations de solidarité et/ou de partenariat que développent les collectivités locales françaises avec leurs homologues Camerounais dans un intérêt commun sinon égal du moins équitable.

2) Collectivités locales, territoriales, décentralisées

On fait quelque fois la distinction entre la collectivité territoriale caractérisée à la fois par son étendue territoriale, ses attributions et son organisation d'une part, et la collectivité locale, notion plus large qui englobe les collectivités territoriales au sens strict défini ci-dessus et des établissements publics territoriaux. Les établissements publics territoriaux se caractérisent par une organisation liée aux collectivités territoriales (il s'agit dans le cas Camerounais des syndicats de communes).

Selon cette distinction, une commune est aussi bien une collectivité territoriale qu'une collectivité locale alors que le syndicat des communes serait un établissement public territorial et une collectivité locale, mais pas une collectivité territoriale (Finken, 1996 :13). Dans la pratique, on utilise indifféremment les deux termes de même que l'expression "collectivité décentralisée" pour désigner les constituants de l'administration décentralisée du territoire. Il s'agit de façon laconique des entités relevant du droit public, localisées sur un portion du territoire national, bénéficiant d'une personnalité juridique, d'une autonomie financière et d'un pouvoir de s'administrer par les autorités élues (Baguenard, 1980 ; Burdeau, 1980 : 400-401).

Les termes "infra étatique" ou "sub-étatique" fréquemment mobilisés pour qualifier les collectivités locales marquent la difficulté des internationalistes à célébrer le deuil tant d'un statocentrisme que d'un transnationalisme enthousiaste, que l'on remet heureusement en cause suite à l'ouvrage de Risse-Kappen (1995). L'engagement des collectivités locales sur la scène internationale est fondé par l'ordre étatique et l'on ne voit pas, dans le cas d'espèce, ce qui serait "infra étatique" ou "sub étatique". On constate à contrario que les collectivités locales et les services de l'Etat agissent de concert sur l'ensemble du territoire national - ce qui est sans doute récent - mais invite néanmoins à prendre en compte les évolutions globales de l'action publique dans l'analyse des relations internationales (Vion ; Négrier, 2002 : 7). Il en est de même des préfixes "infra" ou "sub" qui suggèrent l'existence d'un jeu local échappant au contrôle des administrations d'Etat. Ceci est certes vrai mais fait l'impasse sur tout un jeu de légitimations réciproques dans lequel se renforcent ou se limitent les capacités d'action de tel ou tel autre protagoniste. Dans le cadre de ce travail, nous utiliserons le concept d' « acteur gouvernemental non central » cité par Hocking en 1993 (Négrier ; Vion, 2002 : 8). Ce concept semble plus opératoire dans le cadre de notre étude dans la mesure où, il sera question de voir dans une certaine mesure comment l'Etat tend à pratiquer une logique de sous-traitance en matière de politique étrangère en confiant certains secteurs de son agenda politique saturé (Blom ; Charillon, 2001) aux collectivités locales. Il va de soi cependant que le concept d' « acteur gouvernemental non central » ne doit pas être appréhendé sous le prisme de la déconcentration administrative mais sous celui de la décentralisation de la coopération internationale.

3) Le partenariat

Le mot partenariat est à la mode aujourd'hui. Le banquier, l'entrepreneur se disent volontiers être partenaires de leurs clients. Dans l'arène sociale et politique, on parle couramment de partenaires sociaux. Même dans un couple, on parle de partenaires. Aucune de ces définitions ne semble satisfaire à notre préoccupation.

Par ce concept, entendons simplement un système de relations construites par différents acteurs dans un univers relationnel essentiellement interdépendant, prenant au sérieux le principe de "réciprocité". C'est le lieu de rappeler que la réciprocité est un principe de droit international selon lequel un Etat subordonne l'exécution de ses engagements ou de ses obligations à l'attitude équivalente de la part d'un autre Etat. L'article 55 de la constitution française de 1958 prévoit d'ailleurs une condition de réciprocité d'application des traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés pour que ceux-ci aient dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois (Debbasch ; Bourdon ; Ricci, 2001).

La notion de partenariat implique finalement un échange de prestations au service des intérêts mutuels des parties (Nach Mback, 1994) : c'est une relation fondée essentiellement sur la logique « donnant - donnant » et/ou « win - win ».

Ainsi dépouillé des ambiguïtés majeures qui en obstruaient le sens précis, nous espérons avoir clarifié et précisé davantage notre objet d'étude. Néanmoins, une inquiétude persiste ; celle de savoir pourquoi une étude sur la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun ?

Intérêt du sujet

Ce travail s'inspire d'une étude menée sur la  coopération décentralisée pour le développement entre la France et le Cameroun. Charles Nach Mback, puisqu'il s'agit de lui, pense que la coopération décentralisée entre les pays sus-indiqués est caractérisée par un partenariat qui ne mentionne que les apports de l'un (seul) des partenaires. Pour notre auteur, les faits ne permettent de définir la coopération décentralisée que comme un apport essentiel des collectivités du Nord à leurs homologues du Sud. La notion de partenariat qui implique un échange de prestations au service des intérêts mutuels des parties est ici vide de sens du moins prise dans sa réalité matérielle et immédiate (Nach Mback, 1994 : 177).

Ainsi libellé, le thème souligne la nécessité de s'interroger sur les stratégies inhérentes aux acteurs de cette nouvelle forme de relations internationales. Il ouvre un pan de réflexion sur ce "partenariat", malheureusement mis à mal par des conceptions boréocentriques et somMaires qui consistent à faire des collectivités locales Africaines en général et Camerounaises en particulier des mendiantes assises sur des mines d'or, les sébiles aux mains, prêtes à recevoir de l'aide de la part des collectivités locales françaises sans que celles-ci reçoivent quelque chose en retour ; ce qui doit être pris en compte ici de façon provisoire.

Une raison supplémentaire a guidé notre choix pour cet objet d'étude. Il nous aidera éventuellement dans une perspective heuristique voire pratique à saisir les différentes interactions complexes à l'oeuvre dans cette nouvelle forme de coopération internationale et partant, à marquer un point pour s'interroger sur la pertinence de ce partenariat.

Enfin, ce thème présente une particularité en ceci qu'il nous permettrait de saisir la nature complexe de la scène internationale où les collectivités locales nordiques se mueraient derrière l'A.P.D pour assujettir sans coup férir celles du Sud. L'encapsulation de leurs intérêts dans les différents accords de coopération décentralisée procéderait donc de cette démarche. Dans le cas d'espèce, la « coopération décentralisée » pour le développement dissiperait les logiques de prédation dont sont porteuses les collectivités locales françaises.

Revue de la littérature / Etat de la question

Depuis plus d'une décennie, des travaux scientifiques ont été réalisés sur la coopération décentralisée. Ces travaux soulèvent parfois des problématiques fondamentales. Mais aucun ne semble satisfaire notre inquiétude en la matière. Aussi remarquons-nous que, ceux des travaux que nous avons répertoriés sur la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun présentent pour la plupart une tendance à la juridicisation de cette nouvelle forme de coopération internationale. D'ailleurs, Charles Nach Mback par exemple dans ses travaux s'intéresse à la nature juridique des actes que posent les collectivités locales sur le plan international. S'interrogeant sur les possibilités d'intervention des collectivités locales dans la coopération internationale de l'Etat, il en arrive à l'hypothèse de la permanence de la tutelle de l'Etat en matière de coopération décentralisée d'une part, et d'autre part aux libertés qu'autorise cette tutelle au profit des acteurs de cette forme de coopération. Pour lui, en raison du caractère inachevé de la décentralisation en Afrique en général et au Cameroun en particulier qu'il caractérise à partir de la catégorie « décentralisation retenue », on ne saurait parler d'un véritable partenariat entre la France et le Cameroun car finalement, on assiste simplement à la création d'une nouvelle forme d'acheminement de l'A.P.D au Cameroun (Nach Mback, 1994).

André-Magnus Ekoumou relève pour sa part la nécessité d'une réorientation ou d'une nouvelle approche des politiques de coopération pour le développement. Dressant le constat de l'inefficacité de la coopération interétatique pour le développement, l'auteur met l'accent sur la nouvelle forme de coopération internationale qu'est la coopération décentralisée et pense qu'elle peut pallier aux insuffisances de la coopération classique internationale. Cependant, si l'on peut penser un seul instant que cette étude indique que les relations entre les collectivités locales françaises et leurs homologues Camerounais constituent un indice de redéfinition des paradigmes d'analyses, il n'en demeure pas moins qu'il y subsiste une préoccupation essentiellement fondée sur la juridicisation de ces relations. Aussi affirme-t-il que les accords de coopération décentralisée relèvent du droit interne. Pour lui, la seule difficulté est celle de déterminer, dans ce droit interne, si ces accords sont des contrats administratifs ou des contrats de droit privé (Ekoumou, 1991).

Emboîtant le pas à Ekoumou, Achille Bassilekin III pense que les accords de coopération décentralisée sont des actes des tribunaux nationaux. Il observe également que la coopération technique décentralisée met à mal les constituants classiques de la souveraineté car l'Etat n'est plus l'acteur unique sur la scène internationale : il est désormais concurrencé par ce qu'il appelle les acteurs infra étatiques (Bassilekin III, 1991). Les deux auteurs sus-évoqués fondent leur affirmation sur une jurisprudence de la C.P.J.I. qui dans l'affaire dite "des emprunts serbes et brésiliens" déclarait que tout contrat qui n'est pas un contrat entre Etats agissant en tant que sujets du droit international a son fondement dans une loi nationale.

Sylvain Mvondo quant à lui mène une étude qui porte sur les différentes manifestations et implications induites de l'action des collectivités locales Camerounaises dans le champ disciplinaire des relations internationales. A la lecture de ce travail, il appert une mise en crise des constituants classiques de la souveraineté étatique à travers la transnationalisation des relations internationales par les collectivités locales. Pour Mvondo, on ne saurait parler stricto sensu de mise en crise de l'Etat, car malgré la multiplicité de flux de coopération décentralisée qui échappent peu ou prou à l'Etat, il y a pourtant lieu de remarquer un jeu de légitimation réciproque où l'Etat, à un moment donné, confie un secteur de son agenda politique saturé aux collectivités locales : d'où les processus d'appropriation étatique des flux de coopération décentralisée (Mvondo, 2006).

De même, faisant allusion à la convention-cadre franco-camerounaise relative à la coopération décentralisée, Martin Finken pense qu'il y aurait une certaine contradiction entre cette dernière signée entre Etats et la notion de coopération décentralisée intéressant au premier chef les collectivités locales. C'est le lieu de rappeler à juste titre que cette convention avait été conclue entre le Ministre Français de la Coopération et du Développement (Jacques Pelletier) et l'Ambassadeur du Cameroun en France (Nko'o Etoungou) et non par les personnes publiques intéressées. Pour Finken, la convention-cadre accorde une place secondaire aux collectivités locales laissant par ricochet transparaître de part et d'autre le réflexe jacobin (Finken, 1996).

Franck Petiteville semble mener une réflexion sociologique et même politico-juridique de la coopération décentralisée. C'est dans ce sens qu'il s'intéresse à l'analyse d'une dizaine d'années de pratique de la coopération décentralisée pour le développement pour tenter d'évaluer l'apport, les spécificités et les limites de cette nouvelle forme de coopération Nord-Sud. (Petiteville, 1995). Il est important d'indiquer, nous semble-t-il, que beaucoup de travaux scientifiques ont été publiés dans le cadre des politiques de décentralisation qui ont eu un impact assurément non négligeable dans le processus de coopération décentralisée (Oumbe Fone, 1989 ; Nguimdo, 1992 ; Nanga, 2000...).

Finalement, il nous est resté, après lecture de ces travaux, le constat que le sujet était loin d'être épuisé ; et que, sans avoir la prétention d'y arriver, nous pouvions contribuer, dans une modeste étude à enrichir l'intelligence de cette nouvelle forme de relations internationales qu'est la coopération décentralisée. En réalité, nous voulons aborder cette coopération beaucoup plus sous l'angle sociologique que juridique. Mais la précision de notre contribution ne sera pourtant opératoire qu'en prenant appui sur une problématique et des hypothèses bien élaborées.

Eléments de problématique

La coopération décentralisée Nord-Sud rencontre de nouveaux enjeux de développement au Sud auxquels elle semble pouvoir répondre spécifiquement : la crise urbaine dans les pays en développement appelle les modes de régulation que maîtrisent à priori les villes du Nord. Dans un grand nombre de pays du tiers-monde, les mouvements de décentralisation sont au coeur des transitions démocratiques, ce à quoi les collectivités locales françaises font valoir leur propre expérience en matière de décentralisation. Dans le domaine économique encore, la tendance actuelle au Sud est au désengagement de l'Etat, aux initiations de petites entreprises, aux politiques d'accompagnement local : les collectivités locales françaises mettent alors en avant leur expérience du développement économique local. Enfin, dans le domaine social, éducatif ou culturel, la proximité des collectivités locales avec les acteurs de terrain paraît susceptible d'ouvrir la coopération décentralisée aux échanges sociaux, culturels avec le Sud (Petiteville, 1995 : 7).

Seulement, peut-on conclure sans risque de se tromper, au regard des éléments sus- évoqués à la « misère du partenariat » en ce sens que la réciprocité des gains manque cruellement dans la coopération décentralisée France-Cameroun ? Peut-on dire que les collectivités locales françaises apportent de l'aide à leurs homologues Camerounais sans contrepartie fut-elle prise dans sa réalité immédiate et matérielle ? Si non, qu'est-ce qui justifie l'engagement des collectivités locales françaises dans une relation de coopération décentralisée, malgré le caractère inachevé de la décentralisation au Cameroun ? Comment comprendre finalement cette nouvelle forme de coopération internationale entre la France et le Cameroun ?

Bloc des hypothèses

Madeleine Grawitz définit l'hypothèse comme une proposition de réponse à la question posée. En sciences sociales, les hypothèses peuvent porter sur des faits à expliquer, sur des concepts, sur des généralisations empiriques, sur des régularités observées et enfin sur des contradictions entre des observations nouvelles et des notions antérieures (Grawitz, 2001 : 398-399).

L'hypothèse principale autour de laquelle s'ordonne notre recherche est la suivante : la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun est un partenariat à part entière. Dans le cas d'espèce, l'engagement international des collectivités locales françaises dans une relation de coopération décentralisée avec leurs homologues Camerounais n'est plus simplement motivé par une logique humanitaire et/ou de solidarité mais davantage par l'intérêt réciproque des différents acteurs dans un univers relationnel essentiellement interdépendant. Nous nous situons ici principalement dans la problématique du partenariat qui n'est pas, au sens strict du terme, une aide à sens unique mais implique à contrario un échange de prestations au service des intérêts mutuels des parties : les collectivités locales françaises et leurs homologues Camerounais y trouveraient chacune leur compte.

De cette hypothèse principale découle une hypothèse secondaire : la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun est un partenariat entièrement à part du fait de la spécificité des moyens et des modalités d'action. C'est un partenariat qui laisse entrevoir des logiques de subordination de la coopération décentralisée à la coopération classique internationale.

La validité de ces hypothèses commande qu'on prenne appui sur un cadre méthodologique et /ou théorique bien structuré.

Approche théorique

Une théorie est un système élaboré à partir d'une conceptualisation de la réalité perçue ou observée et constituée par un ensemble de propositions dont les termes sont rigoureusement définis et les relations entre les termes posées pour être confirmées ou infirmées (Freyssinet - Dominjon, 1997 : 18).Le cadre théorique qui sous-tend notre analyse est celui du transnationalisme, de l'individualisme méthodologique et du holisme méthodologique.

1) Le transnationalisme

Formalisé dans le dessein de dépasser l'égoïsme des intérêts nationaux par l'intégration de ces derniers dans une société internationale inédite (Roche, 1999 : 53), la théorie transnationaliste étudie toutes les relations sociales qui, par volonté délibérée ou par destination, se déploient sur la scène mondiale au-delà du cadre étatique national et qui se réalisent en échappant au moins partiellement au contrôle ou à l'action médiatrice des Etats (Badie ; Smouts, cités par Blom ; Charillon, 2001 : 121).

Il y a dans le transnationalisme la transcendance, le dépassement et même le contournement de l'Etat. Mais celui-ci, en raison de son appareil normatif et institutionnel en est le facteur régulateur et le cadre de déploiement à priori. Le transnationalisme regroupe quatre écoles distinctes mais unies par le même souci de se différencier du réalisme : il s'agit de l'école de l'impérialisme, de l'école du mondialisme, du fonctionnalisme et de l'école de l'interdépendance complexe. Dans le cadre de cette étude, le fonctionnalisme et l'école de l'interdépendance complexe seront davantage explorés.

· Balisé par Joseph Nye et Robert Keohane1(*), le paradigme de l'interdépendance complexe établit que les relations internationales contemporaines ne peuvent plus être envisagées à travers le cadre exclusif des relations diplomatico-stratégiques car, en dehors des relations politiques essentiellement orientées vers le pouvoir et la sécurité, on note une prolifération d'interactions aussi bien culturelles, économiques que sociales se développant peu ou prou en marge de la souveraineté de l'Etat. Repensant les rapports entre l'individu et la société, Norbert Elias (1987) en arrive à la conclusion selon laquelle les relations de dépendance réciproque entre les individus et la société se retrouvent à l'échelle planétaire dans l'interdépendance des Etats qui, rapportée à l'échelle des individus, suscite le sentiment d'appartenance à une humanité globale (Roche, 1999 : 67) : chaque acteur est uni à tous les autres par les interactions de natures diverses.

Appliqué à la coopération décentralisée France - Cameroun, la démultiplication croissante des transactions inhérentes à cette nouvelle forme de coopération internationale aurait favorisé la construction d'interdépendances complexes entre les deux sociétés et l'irruption de nouveaux acteurs sur la scène internationale. Ces interdépendances complexes, du fait de leur « fluidité », auraient favorisé la prise en compte du principe de réciprocité et surtout, auraient permis d'envisager la coopération décentralisée en terme de configuration.

· Quant à l'approche fonctionnaliste dont David Mitrany (1946) en est l'un des principaux promoteurs, elle contribue certes à la théorisation d'une scène internationale plus intégrée aux plans économique, technique et culturel mais révèle surtout la fonctionnalité idéologique et/ou idéocratique de la coopération décentralisée qui constituerait, à un moment donné, un des supports structurels que l'Etat mobiliserait dans sa politique de coopération internationale. Dans le cas d'espèce, on assisterait ni plus ni moins à une instrumentalisation des collectivités locales par les différents Etats concernés.

2) L'individualisme méthodologique

Concept clé de la théorie économique contemporaine et de la microéconomie qui repose sur le postulat de « l'homo oeconomicus », la paternité du terme individualisme méthodologique reviendrait à Karl Menger, économiste marginaliste Autrichien qui l'aurait employé pour la première fois en 1871. Selon R. Boudon, ce sont l'économiste Friedrich Von Hacyek et le philosophe des sciences Karl Popper qui vont par la suite populariser la notion d'individualisme méthodologique (cité par Durand ; Weil, 1997 : 162). Ayant pour objectif avoué la suppression des « boîtes noires » (Boudon cité par Assogba, 1999 : 136), l'individualisme méthodologique comme cadre théorique énonce que pour expliquer un phénomène social quelconque, il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question, et d'appréhender ce phénomène comme le résultat de l'agrégation des comportements individuels dictés par ces motivations (Durand ; Weil, 1997 : 161-162). L'individualisme méthodologique, en grande partie issu de la pensée wéberienne occupe une place fondamentale dans notre étude. Elle emprunte largement à l'économie classique et érige en dogme la liberté d'action que détiendrait l'individu capable d'opérer des choix pour accroître sa satisfaction. Dans la coopération décentralisée, ce paradigme explicatif nous permet de comprendre et surtout de cerner les stratégies, moyens et motivations des différents acteurs.

3) Holisme méthodologique

Dire d'une société qu'elle a une structure, c'est se la représenter comme un ensemble de positions, de rôles des groupes stratifiés liés les uns aux autres suivant un schéma de rapports fonctionnels dans un équilibre constamment refait. Dans cette perspective, rendre compte d'un phénomène social c'est s'interroger sur les déterminismes sociaux qui expliquent les comportements individuels (Beitone ; al, 2002) et qui affirment le primat des structures sur les individus. Parce que les collectivités locales font partie d'un vaste ensemble (l'Etat) et parce que celui-ci tend à encadrer la coopération décentralisée pour finalement l'intégrer dans sa politique de coopération internationale, celles-là sont dans une certaine mesure influencées par celui-ci.

Cependant, dans le cadre de la présente étude, nous refusons de nous laisser enfermer dans cette « cage de fer » qui voudrait que l'on analyse les transactions inhérentes à la coopération décentralisée de façon dichotomique : d'un côté l'individualisme méthodologique, de l'autre le holisme. Nous prenons acte ici du pouvoir structurel et de l'action stratégique dans une perspective homogénéisante.

Les techniques de recherche

Toute recherche ou application de caractère scientifique en sciences sociales comme dans les sciences en général doit comporter l'utilisation des procédés opératoires, rigoureux, bien définis, transmissibles et susceptibles d'être appliqués à nouveau dans les mêmes conditions adaptées au genre de problème et de phénomène mis en cause. Ce sont là les techniques (Grawitz, 2001 : 352). La technique représente les étapes d'opérations limitées, liées à des éléments pratiques concrets adaptés à un but précis.

La présente étude est le résultat d'un ensemble d'entretiens (2) et d'une exploitation rigoureuse des documents généraux et/ou spécialisés (1).

1) L'analyse documentaire

L'exégèse des ouvrages et articles sur la coopération décentralisée en général et la coopération décentralisée France-Cameroun en particulier nous aurait permis d'explorer sinon entièrement du moins en partie cette nouvelle forme de coopération internationale.

D'autres sources documentaires à l'instar des accords de coopération décentralisée, des textes de lois, des mémoires et rapports ... nous ont également été d'une importance non négligeable dans l'identification et surtout la clarification de notre objet d'étude.

2) Les entretiens

L'entretien ou l'interview est une forme d'échange verbale entre deux interlocuteurs ayant pour objectif de glaner certaines informations relatives à un problème posé. Il s'agit d'un procédé d'investigation scientifique utilisant un processus de communication verbale pour recueillir des informations en relation avec le but fixé (Grawitz, 2001 : 644). Les différents entretiens réalisés, de part la richesse des informations fournies nous ont permis de saisir les principales motivations des acteurs de la coopération France-Cameroun. Sans doute, en raison d'un déficit de données chiffrées (qui rentre ici dans le registre des écueils rencontrés), notre étude se veut beaucoup plus qualitative.

* 1 Nye,J., R. Keohane.1972 Transnational relations and world politics. Cambridge: Harvard University Press.

- 1977. Power and interdependence: world politics in transition. Boston: Little Brown.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon