C) LES PARADOXES DE
L'ECHANGE SOCIAL
Très souvent, on convoque un vocabulaire
essentiellement dichotomique pour caractériser l'échange. Aussi
utilise-t-on les catégories d'échange social / échange
économique, échange matériel / échange symbolique,
choix rationnel / choix irrationnel, microsociologie / macrosociologie ... Nous
pensons qu'il est intéressant, d'un point de vue heuristique, de
dépasser ces analyses manichéennes en considérant au moins
certaines d'entre elles comme des paradoxes, c'est-à-dire au sens d'Yves
Barel comme des logiques doubles. Ainsi, l'échange - don de Marcel Mauss
dont les exemples les plus patents sont la "Kula" et le "potlatch"
(Etienne ; Mendras, 1999 : 102-103) présente le paradoxe d'un
don en principe généreux et gratuit, mais en
réalité intéressé, en principe volontaire mais en
réalité obligatoire.
On se souvient à juste titre que lorsque Marcel
Mauss sous-titrait l'Essai sur le don, « Essai sur les formes
archaïques du contrat », il était convaincu à
l'issu d'une recherche ethnographique bien menée que le don était
fait avec la certitude qu'il serait rendu. Emboîtant le pas à
Mauss, Emerson conclut qu'un grand nombre des comportements
considérés par la théorie de l'échange ne sont pas
motivés explicitement par les avantages qu'ils sont censés
apporter. Et pourtant, paradoxalement, de tels comportements
généralement entraînent ces avantages en retour (Emerson,
1976 :340). On ne peut se contenter d'une étude dichotomique de
ces deux types d'échange considérés comme des
idéaux (Médard, 1995). Il faut donc prendre acte de la
contradiction sans surestimer ou mésestimer l'un ou l'autre.
Dans le même ordre d'idées, nous refusons de
nous laisser enfermer dans cette « cage de fer » (Braud,
2001) qui voudrait que l'échange soit analysée d'un
côté à partir d'une perspective holistique (qui met
l'accent sur les déterminismes sociaux) et de l'autre à travers
celle de l'individualisme méthodologique (qui repose sur
le postulat de l'homo oeconomicus) ; on observe à contrario un
va et vient permanent entre les deux niveaux d'observation de la
réalité. Nous considérons donc que l'acteur est à
la fois rationnel et irrationnel et qu'il faut prendre acte à la fois du
pouvoir structurel et de l'action stratégique.
Quoi qu'il en soit, l'essentiel ici pour le politiste c'est
de reconnaître la fonction de l'échange, c'est de rendre compte du
principe de réciprocité inhérent à l'échange
social. Au regard de ces différentes théories de l'échange
social, peut-on déceler les gênes de réciprocité
dans la coopération décentralisée France-Cameroun ?
Si oui, comment comprendre cette nouvelle forme de coopération
internationale entre la France et le Cameroun ?
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