2) Du rapport entre
échange social et échange économique
Selon Peter Blau comme pour Simmel ou Gouldner,
l'échange social au sens large peut être considéré
comme sous-jacent aussi bien aux relations entre groupes qu'entre individus,
sous-jacent au conflit comme à la coopération et aux relations
distantes entre les membres d'une communauté n'entretenant pas de
contacts directs (cité par Médard, 1995 : 22-23). L'une des
spécificités de l'échange social est qu'il repose sur un
ensemble d' « actions volontaires des individus qui sont
motivées par les avantages en retour qui sont
anticipés ». Dans le cas d'espèce, l'échange
social est un pari sur la réciprocité, il doit donc être
orienté vers des fins qui ne peuvent être réalisées
que par l'interaction avec d'autres personnes. Ces fins, à entendre Jean
François Médard peuvent être expressives ou instrumentales,
selon qu'elles sont orientées vers la poursuite de récompenses
immédiates ou celle de valeurs ultérieures (Médard,
1995 : 20-23).
Les théories sociologiques de l'échange social
ont subi une influence non négligeable de l'anthropologie
générale notamment à partir du traitement que Marcel Mauss
réserve à l'échange - don. C'est d'ailleurs ce qui
explique l'importance de la notion de réciprocité ainsi que
l'homologie qu'on observe entre échange social et échange des
dons à la seule différence que dans l'échange social, il
n'y a pas le plus souvent d'échange de dons au sens de cadeaux. Il
s'agit plutôt d'échanges non matériels que
matériels, informels que formels, mais la double nature symbolique et
sociale de l'échange de dons est présente dans cet
échange. Ce changement de perspective - passage de l'anthropologie
à la sociologie - n'est pas nécessairement propre à des
postures épistémologiques différentes liées
à une discipline scientifique ou à une culture nationale :
« constater que les sociétés modernes sont beaucoup
plus différenciées que les sociétés "primitives"
relève d'un constat empirique qui ne présuppose pas à une
quelconque allégeance à l'évolutionnisme »
(Médard, 1995).
Les théories usuelles de l'échange social, nous
l'avons vu, dans la mesure où elles se fondent sur l'individualisme
méthodologique, partent du postulat de la rationalité des
acteurs. Dans cette perspective, elles transposent une démarche
économique à des comportements non économiques.
Finalement, elles vont appliquer au domaine social les postulats fondateurs de
l'économie néo-classique que l'on résume sous l'expression
« homo oeconomicus ». Dans la mesure où les
partenaires de l'échange social poursuivent des intérêts
réciproques (sinon il n'y aurait pas échange), dans la mesure
où ils envisagent des bénéfices et des coûts, y
compris des coûts d'opportunité, l'échange social se
rapproche de l'échange économique mais la signification des biens
économiques ne se réduit pas à celle des biens
matériels ; elle inclut les biens sociologiques. S'il est admis que
la sociologie de l'échange social a longtemps été
influencée sinon contaminée par une analyse de type utilitariste,
il ne faut pas aller jusqu'à confondre les deux types d'échanges.
Les échanges économiques reposent sur une obligation
contractuelle alors que les échanges sociaux s'appuient sur une base
morale. De plus, la théorie néo-classique n'a pas affaire
à des acteurs mais à un marché, alors que dans les formes
variées de la théorie de l'échange social, la relation
longitudinale d'échange est le concept central autour duquel la
théorie est organisée (Emerson, 1976). Vu sous cet angle, l'enjeu
central de l'échange social ce n'est donc ni un échange de biens
au sens large du terme, ni même un échange de services, mais c'est
l'établissement et la préservation de la relation sociale.
Cette ambiguïté que l'on rencontre chez les
théoriciens de l'échange constitue un reflet de la
réalité sociale et pas seulement une maladresse de leur part.
aussi faut-il affirmer la spécificité de l'échange social
sans évacuer pour autant la prise en considération de sa
dimension économique (Médard,1995 : 28). C'est d'ailleurs ce
que fait Bourdieu (1980) dans la mesure où il réduit l'analyse
des pratiques symboliques à une « économie des
pratiques symboliques ».
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