B- LA TRAJECTOIRE
SOCIOLOGIQUE DE L'ECHANGE SOCIAL
Alors que les théories anthropologiques de
l'échange - don paraissent en conformité avec une démarche
totalisante, les théories sociologiques de l'échange se
s'inscrivent à contrario dans une perspective empreinte d'individualisme
méthodologique (1), brouillant de ce fait le rapport entre
échange social et échange économique (2).
1) De la
nécessité d'une approche stratégique de l'échange
social
Le principe de l'individualisme méthodologique
énonce que pour expliquer un phénomène social quelconque -
que celui-ci relève de la démographie, de la science politique,
de la sociologie ou de toute autre science sociale particulière - il est
indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés
par le phénomène en question, et d'appréhender ce
phénomène comme le résultat de l'agrégation des
comportements individuels dictés par ces motivations. Et cette
proposition est valable quelle que soit la forme du phénomène
à expliquer, qu'il s'agisse d'une singularité, d'une
régularité statistique, qu'il se traduise par un ensemble de
données quantitatives ou qualitatives etc. (Durand ; Weil,
1997 :161-162).
Contrairement au holisme méthodologique,
l'individualisme méthodologique ne surestime pas les contraintes
sociales et l'influence exercée par la société, les
classes sociales ou la structure sur le comportement des individus
(Montoussé ; Renouard, 2003). L'individu ne saurait être
appréhendé comme une pâte molle sur laquelle viendraient
s'inscrire les données de son environnement, lesquelles lui dicteraient
ensuite son comportement dans telle ou telle situation (Assogba,
1999 :45). Le comportement d'un individu n'est jamais totalement
déterminé puisqu'il peut choisir entre plusieurs systèmes
de valeurs : l'individu est un être agissant dont l'action
possède une finalité, ou plus précisément une
rationalité qui est cependant limitée. Les difficultés
rencontrées par le modèle d'un individu parfaitement rationnel
ont amené certains sociologues (Raymond Boudon, Michel Crozier...)
à proposer celui d'un individu à la rationalité
limitée tout en maintenant la primauté de l'individu sur la
structure (Montoussé ; Renouard, 2003 :66). Dans le cas
d'espèce, expliquer le comportement rationnel d'un acteur, c'est mettre
en évidence les « bonnes raisons » qui l'ont
poussé à adopter tel comportement, telle attitude ou telle
croyance étant donné son passé, les ressources et son
environnement (Etienne ; Mendras, 1999).
Dans l'analyse de ces « bonnes raisons »,
Raymond Boudon a privilégié le paradigme utilitariste selon
lequel les acteurs agissent selon leur intérêt (Durand ;
Weil, 1997). Il s'agit d'un modèle construit à partir du postulat
de l'homo oeconomicus qui traduit la volonté d'un individu de maximiser
son utilité. S'intéressant principalement aux sources des
intentions des acteurs - valeurs morales et tentant d'en rechercher les raisons
objectives - (Durand ;Weil, 1997 :166), Boudon met en place un
modèle qu'il dénomme « modèle
cognitiviste », qui s'appuie sur deux types de
rationalité :
- « rationalité instrumentale (ou
utilitaire), fondement du paradigme utilitariste qui n'explique qu'une partie
du comportement des acteurs et, qui correspond à la recherche de
l'intérêt de chacun d'eux.
- La rationalité axiologique fondée sur les sens
qu'accorde l'individu à son action ou aux raisons qui le conduisent
à adopter tel ou tel comportement (Durand ; Weil, 1997).
L'individualisme méthodologique pose qu'on ne peut
expliquer un phénomène social par une cause qui lui serait
extérieure. Pour rendre compte d'un phénomène social, il
faut partir de la motivation des acteurs. Sans doute, en raison d'une
démarche épistémologique empreinte d'individualisme
méthodologique qui, finalement, introduit la condition restrictive que
les raisons du sujet doivent pouvoir être décrites dans le seul
vocabulaire des coûts et des avantages, l'échange social peut
parfois donner l'impression d'être un échange économique
sans qu'il soit nécessairement réductible à celui-ci.
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