2) L'anthropologie de
l'échange - don
Comme le fait remarquer Jean-François Médard,
Malinowski, à propos de la Kula fut le premier à souligner la
différence radicale reconnue par les indigènes des îles
trobriand entre l'échange cérémoniel et le troc, mais
c'est à Marcel Mauss que revient le mérite d'avoir proposé
une interprétation de l'échange de dons en termes
d'échange symbolique et non plus économique (Médard,
1995 :17-34). Alors qu'il mène une réflexion sur le don en
terme d'échange dans les sociétés primitives, ce qui
paraît en faire une transaction économique comme toutes les
autres, Mauss observe que la plupart des échanges économiques se
font sous la coupe d'échanges de dons. Cependant, ces échanges de
dons ne doivent en aucun cas être réductibles à
l'échange économique.
Le « potlatch » ne peut donc
être interprété à la manière de Boas comme un
prêt à intérêt, mais comme « une
compétition agonistique dont l'enjeu est le prestige et non
l'enrichissement » : si le don appauvrit économiquement,
il enrichit symboliquement. Dans le cas d'espèce, ce que les clans
échangent, ce n'est pas nécessairement des biens et des
richesses, des meubles et des immeubles, pour tout dire des choses utiles
économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des
rites, des services militaires, des danses, des fêtes, des foires dont le
marché n'est qu'un des moments et où la circulation des richesses
n'est qu'un des termes d'un contrat beaucoup plus général et
beaucoup plus permanent (Etienne ; Mendras, 1999). L'enjeu de
l'échange va au-delà des biens échangés. Ici,
l'obligation de rendre n'est pas de nature juridique encore moins
économique, elle est d'ordre moral : il y a bien plus dans
l'échange que les objets échangés (Lévi-strauss,
1949). Comme Claude Lévi-strauss l'a si bien démontré,
s'appuyant sur le tabou de l'inceste qui m'oblige en me refusant ma soeur, de
l'offrir à un autre pour obtenir mon épouse, l'échange
constitue en lui-même un lien social primordial (Lévi-strauss,
1949).
Finalement, dans l'échange - don apparaît en
filigrane l'idée de réciprocité, même si celle-ci
peut être considérée comme "imparfaite". C'est le point de
vue de Bourdieu pour qui, il n'existe vraiment pas de
réciprocité. Celle-ci ne correspondrait qu'à une
idéologie visant à transformer le capital économique en
capital symbolique ; le capital symbolique étant la seule forme
possible d'accumulation lorsque le capital économique n'est pas reconnu
(Bourdieu, 1980 : 201). Ainsi, pour notre auteur, l'échange est
toujours inégal et le principe de réciprocité ne serait
qu'un voeu pieux ou même une expression politiquement correcte consistant
à nier le caractère profondément inégal de
l'échange. Ce qu'il importe de souligner ici et de façon forte
c'est le principe d'équité et non d'égalité qui
prévaut le plus souvent et si une réciprocité
inégale est perçue comme équitable, ce n'est
nécessairement pas l'effet de l'idéologie (Médard, 1995).
Les analyses sociologiques de l'échange social ont été
largement influencées par la tradition anthropologique de
l'échange - don.
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