CHAPITRE 3 :
LA COOPERATION
DECENTRALISEE FRANCE-CAMEROUN : UN PARTENARIAT A PART ENTIERE ET
ENTIEREMENT A PART
Après avoir essayé de retracer la
sociogenèse et la configuration de la coopération
décentralisée France-Cameroun, après avoir
présenté ses principaux enjeux et défis, il va s'agir dans
la présente articulation de voir en quoi cette nouvelle forme de
coopération internationale entre la France et le Cameroun peut
aujourd'hui prétendre au titre de partenariat au sens strict du
terme.
La coopération décentralisée a, nous
l'avons vu, dépassé le stade du simple jumelage folklorique et/ou
protocolaire, est passée de façon saisissante à la
promotion de l'intérêt réciproque des acteurs pour un
développement durable de leur territoire dans un contexte de
mondialisation et de décentralisation (Santus, 2003 : 14). A partir
de cette étude, nous voulons vérifier si les flux
inhérents aux relations transterritoriales des collectivités
françaises et camerounaises pourraient expliquer et surtout justifier la
coopération décentralisée France-Cameroun en tant que
partenariat à part entière (section1) et même,
entièrement à part (section 2).
SECTION 1 : UN
PARTENARIAT A PART ENTIERE
Les actions de coopération décentralisée
continuent trop souvent à être conçues comme une aide d'un
territoire nanti à un territoire démuni. C'est d'ailleurs la
posture épistémologique de Charles Nach Mback pour qui la
coopération décentralisée est essentiellement un apport
des collectivités du Nord à leurs homologues du Sud (Nach Mback,
1994 :117). Pourtant, aussi paradoxale que cela puisse paraître, la
notion de partenariat insiste sur la « nécessaire
réciprocité » (Santus, 2003). Il s'agit d'une
coopération qui, bien que partie sur des bases protocolaires, s'est
étoffée tant au niveau de la technicité des actions, que
de la diversité d'acteurs, affichant à long terme l'objectif de
réciprocité et, cherchant à changer ou à corriger
le système mondial actuel (Albine, 1999 : 13). Dans cette
perspective, rendre compte de la coopération décentralisée
France-Cameroun en tant que partenariat à part entière
consisterait non seulement à l'identifier aux principales
théories de l'échange social (paragraphe 1), mais
également à la mettre à l'épreuve de la robustesse
de la réciprocité (paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : THEORIES ET
CONCEPTS DE L'ECHANGE SOCIAL
Alors qu'il constitue une des dimensions essentielles de
l'anthropologie, un chapitre important de la sociologie voire de
l'économie, l'échange ne constitue pas en tant que tel un objet
ni une préoccupation reconnue de la science politique (Médard,
1995 :15). Néanmoins, l'échange politique n'est pas absente
de la littérature ; tout le courant gravitant autour de la
"political economy", du « public » ou
« collective choice » et du choix rationnel se rattache
plus ou moins directement à la notion de marché ou
d'échange politique (Claeys et Frognier, 1995). Pourtant, il suffit de
se munir des lunettes de sociologues pour décrypter la
consubstantialité de l'échange aussi bien à la vie
politique qu'à la vie sociale. Aussi nous semble-t-il que, par rapport
à l'intérêt qu'il revêt dans la coopération
décentralisée - univers relationnel essentiellement
interdépendant - ce phénomène de l'échange est
étudié à partir de certaines perspectives qui gagneraient
à être conceptualisées : il s'agit principalement des
conceptions anthropologique (A) et sociologique (B) de l'échange social.
Cependant, s'il est utile de choisir une théorie plutôt qu'une
autre et même de la pousser jusqu'à l'absurde afin de la tester et
de la soumettre aux feux de la critique, invariablement, la critique
démontre que la prétention d'une théorie à tout
expliquer aboutit à un échec. Ce n'est pas tant parce qu'une
théorie n'explique pas tout qu'elle n'explique rien. Dans le cadre de ce
travail, nous ne consacrerons pas un développement particulier à
l'économie néo-classique qui, rappelons le, repose sur le
postulat de l'« homo oeconomicus » ; celle-ci se
trouvera constamment à l'arrière-plan à la fois au titre
de modèle et d'anti-modèle.
A- LA TRADITION
ANTHROPOLOGIQUE DE L'ECHANGE SOCIAL
Les théories de l'échange social ont pendant
longtemps été influencées par l'anthropologie, notamment
à partir du traitement qu'elle réserve à l'échange
- don (2) dans les sociétés primitives. Sans doute, en
raison de l'approche holistique (1) de l'échange - don, l'anthropologie
a contribué à établir les lettres de noblesse de
l'échange social en tant que « fait social total »,
entretenant pour ainsi dire le structuralisme.
1) Le primat de l'analyse
structurelle : le « système des prestations
totales »
Pour l'analyse structurelle (holisme méthodologique),
la société (ou l'économie) ne sont pas réductibles
à la somme des individus qui la compose (Beitone ; al,
2002 :13-14). Dire d'une société qu'elle a une structure,
c'est se la représenter comme un ensemble de positions, de rôles
des groupes stratifiés liés les uns aux autres suivant un
schéma de rapports fonctionnels dans un équilibre constamment
refait. Dans le cas d'espèce, rendre compte d'un phénomène
social c'est s'interroger sur les déterminismes sociaux qui expliquent
les comportements individuels (Beitone ; al, 2002) et qui affirment le
primat des structures sur les individus : c'est la posture
épistémologique des anthropologues classiques qui ont longtemps
défendu le structuralisme tels Malinowski, Lévi-Strauss...
auxquels il convient d'ajouter Mauss avec sa notion de « fait social
total » (Mauss, [1923] 1960).
Dans les sociétés primitives, ce ne
sont pas les individus, mais ce sont les collectivités qui s'obligent
mutuellement, échangent et contractent ; les personnes
présentes au contrat sont des personnes morales, clans, tribus,
familles, qui s'affrontent et s'opposent soit en groupes, soit par
l'intermédiaire de leurs chefs (Mauss, [1923] 1960). La notion de
« fait social total » doit être entendue ici de
manière synonymique avec celle de "prestations totales" (Etienne ;
Mendras, 1999). Dans le cas sus indiqué, il y a prestation totale en ce
sens que c'est bien tout le clan, toute la tribu qui contracte pour tous, pour
tout ce qu'il possède et pour tout ce qu'il fait, par
l`intermédiaire de son chef (Etienne ; Mendras, 1999). La
théorie anthropologique de l'échange social propose
vigoureusement une conception holistique de celui-ci. Ceci est d'ailleurs plus
saisissant dans le traitement qu'elle réserve à l'échange
- don.
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