CONCLUSION GENERALE
Dans sa thèse sur la coopération
décentralisée pour le développement entre la France et le
Cameroun, Charles Nach Mback affirme sans ambages que« les faits ne
permettent de définir la coopération décentralisée
que comme un apport essentiel des collectivités du Nord (France)
à leurs homologues du Sud (Cameroun) » (Nach Mback, 1994 : 177).
Sans doute parce que trop pressé de remuer les cendres de l'approche
dépendantiste des relations internationales, l'auteur a
négligé certains détails qui, mis en exergue commandent la
prudence.
Qu'il nous soit donné l'audace de penser que
l'engagement international des collectivités locales françaises
dans une relation de partenariat avec leurs homologues Camerounais ne se
justifie plus simplement par une logique humanitaire, mais davantage par
l'intérêt réciproque pour la promotion d'un
développement durable de leurs territoires respectifs dans un univers
relationnel essentiellement interdépendant. La
"réciprocité" dont nous parlons ici exprime le fait que la
coopération consiste à donner mais aussi à recevoir. On ne
peut la concevoir comme une aide à sens unique du Nord vers le
Sud ; c'est pourquoi la notion de réciprocité ne saurait
être réduite à des opérations comptables encore
moins au financement puisque la coopération décentralisée
est avant tout financée par le Nord (Albine, 1999).Dans le cadre de ce
partenariat, les « effets retours » sont d'une toute autre
nature car les moyens et les attentes de chacun ne sont pas identiques.
Nous avons vu que l'échange social au lieu de reposer
sur une obligation juridique, repose sur une obligation morale et ceci
même si les conditions d'intérêt en sont partie
intégrante. C'est la raison pour laquelle le partenariat France-Cameroun
ne peut être réduit à l'utilitarisme qui caractérise
l'échange économique. Des biens symboliques comme le prestige,
l'honneur ou le pouvoir peuvent, nous le savons bien, s'échanger contre
des biens matériels. Dans le cadre des jumelages Franco-camerounais,
l'aide matérielle de la commune française est rendue par les
habitants de la commune camerounaise sous forme de manifestations culturelles.
De même, la contrepartie des collectivités Françaises dans
ce partenariat peut être appréhendée en terme d'ouverture
d'espaces de commerce pour les entreprises locales en France, de lutte contre
le chômage en France, d'organisation d'un cadre d'exploitation des
essences des forêts camerounaises dont la démarche est parfois
initiée par la collectivité camerounaise en vue de constituer un
appât à la formalisation des liens de coopération
décentralisée.
Quoi qu'il en soit, le partenariat France-Cameroun est un pari
sur la réciprocité, il doit être orienté vers des
fins qui ne peuvent être réalisées que par l'interaction
entre les acteurs. Ces fins peuvent être expressives ou instrumentales,
selon qu'elles sont orientées vers la poursuite de récompenses
immédiates ou celles des valeurs ultérieures (Médard,
1995). Mais, en sortant de l'apport concret pour entrer dans le retour
immatériel, on est en droit de se demander si la
réciprocité n'est pas en fin de compte « un voeu pieux
ou même une expression politiquement correcte consistant à nier le
caractère profondément inégal de
l'échange » (Allou ; Di Loreto, 2000). Ce jugement de
valeur qu'on peut ou non partager ne s'impose pas scientifiquement dans la
mesure où, si la réciprocité recouvre le plus souvent un
échange inégal, c'est en fonction des valeurs occidentales que
l'échange inégal est alors considéré comme
arbitraire. L'impossibilité dans laquelle on se trouve de pouvoir se
référer à une mesure objective de la valeur introduit un
flou dans l'évaluation. Ce flou peut éventuellement laisser une
place à la manipulation idéologique. Mais une fois de plus, c'est
le principe d'équité et non d'égalité qui
fonctionne le plus souvent et si une réciprocité inégale
peut être ressentie comme équitable, ce n'est pas
nécessairement l'effet de l'idéologie (Médard, 1995 :
19-20).
Il serait donc périlleux de souscrire hâtivement
aux thèses sommaires qui présentent la coopération
décentralisée entre la France et le Cameroun comme un apport
essentiel des collectivités locales du Nord à leurs homologues du
Sud, comme un partenariat vide de sens du fait du déséquilibre
des prestations qui donnent finalement à cette dernière une
allure d'assistance (Nach Mback, 1994). Madeleine Grawitz (2000) ne nous le
rappelait-elle pas déjà de façon implicite lorsqu'elle
affirmait que, en sociologie le risque est grand car les hommes s'imaginent
facilement connaître la société dans laquelle ils
vivent ?
En tout cas, il se peut plutôt qu'il y ait dans le cadre
de ces nouvelles relations internationales une démultiplication
d'interactions dont le caractère complexe laisse entrevoir une
réciprocité. D'ailleurs, c'est dans le cadre de ces interactions
complexes que la France chercherait sinon à promouvoir son rayonnement
sur le plan international du moins à disséminer
l'idéologie néolibérale au Cameroun que les acteurs locaux
politiquement intéressés pourraient reproduire dans une
perspective réflectiviste (Roche, 2000). Il ne s'agissait pas ici de
reprendre les catégories éculées de l'analyse
dépendantiste, laquelle considère les réformes politiques
du Sud comme totalement subordonnées à celles du Nord. Il
s'agissait ici de faire une sociologie fine et détaillée des
transactions objectives, voire subjectives entre les différents acteurs
en évitant de surestimer ou de mésestimer l'apport de l'un ou
l'autre dans le processus de la coopération décentralisée
France-Cameroun.
A cet égard, la littérature sur la
coopération décentralisée que nous avons produite a
constamment pris en compte le principe de réciprocité. Nonobstant
l'«encapsulation » de l'apport des collectivités locales
camerounaises dans les différents accords de la coopération
décentralisée, il y a pourtant lieu de remarquer que les
intérêts des collectivités locales françaises sont
moins évidents sans être moins importants. John Pilger (1998) ne
semble donc pas s'être trompé, lui qui dans son ouvrage Hidden
agenda rappelait aux journalistes et autres hommes de science qu'il ne
suffisait pas de se considérer comme des messagers s'ils ne comprenaient
pas le message diffusé et le mythe qui l'entoure, s'ils ne comprenaient
pas que dans le quotidien des médias, de nombreuses informations servent
la propagande des puissances occidentales, nous privant ainsi souvent de la
compréhension du sens exact des événements ;
événements dont les enjeux ne sont pas toujours visibles
à première vue et donc qui demandent un minimum d'exploration
avant d'être diffusés (Cité par Ntuda Ebode, 2000 :
365-366).
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