CHAPITRE II. HISTORIQUE DE
LA QUESTION FONCIERE AU
RWANDA
Depuis la conquête coloniale,
l'Afrique rurale en générale connaît une situation de
pluralité juridique : aux système fonciers locaux,
eux-mêmes fruits d'une longue histoire de mouvements de populations, de
conquête, de conversion religieuse, s'est superposée une
législation nationale imposée par le colonisateur, fondée
sur des principes différents, et orienté vers les
intérêts du colonisateur. Pour des raisons différentes (de
l'immatriculation en zone francophone, politique d'administration indirecte en
zone anglophone), le pouvoir colonial a eu à composer avec des
systèmes fonciers qu'il ne voulait ou ne pouvait pas transformer
radicalement, avec des pouvoirs locaux qu'il a cherché à
contrôler ou à ménager. Face aux enjeux politiques et
sociaux de la question foncière, l'Afrique rurale a connu une
coexistence, de fait de droit, de différents systèmes juridiques.
Le Rwanda en particulier est un pays à
prédominance agricole. L'agriculture fournit la part, la plus importante
de son revenu national et constitue la source principale de son exportation.
C'est pourquoi une attention particulière devrait être
focalisée à la question foncière.
2.1
Régime foncier pendant la période précoloniale
Le régime foncier des
sociétés agraires du Rwanda précoloniale était
caractérisé par la propriété collective de la terre
et était fondé sur la complémentarité entre
l'agriculture et l'élevage. Il était au service de la production
économique et un facteur de stabilisation et d'équilibre des
rapports sociaux de production. Les familles étaient regroupées
dans des lignages et ceux-ci regroupés à leur tour en clans.
Chaque clan avait un chef. Les clans se répartissaient sur tout le
territoire national dans des proportions différentes selon les
régions. Les rapports fonciers étaient ainsi fondés sur la
liberté d'occupation du territoire et la complémentarité
des modes de production de cette époque (RUHASHYANKIKO N, 1977 :
14).
Les principales facettes de l'appropriation et de
l'occupation des terres se présentaient comme suit :
- Ubukonde ou droit clanique détenu par le
chef du clan premier défricheur de la foret dont la
propriété foncière pouvait atteindre ou même
dépasser 500 hectares ; territoire sur lequel il installait
plusieurs familles
dites « abagererwa » qui
jouissaient d'un droit foncier soumis à des conditions
réglementées par la coutume.
- Igikingi ou droit de pâturage détenu
par une famille pratiquant l'élevage.
- Gukeba signifiait installer des personnes dans un
pâturage ou sur une terre en friche. Gukeba ou parfois
Kugaba était une opération du ressort de
l'autorité en place. Au fur et à mesure que l'organisation
socio-politique et administrative se fortifiait et devenait de plus en plus
mieux organisée, la structure étatique du royaume du Rwanda avait
prouvé son attachement à l'importance vitale des ressources
foncières et à leur saine gestion, en mettant en place un chef
chargé du foncier « umutware
w'ubutaka » et un chef chargé de l'élevage
« umutware w'umukenke », considérés
au même niveau que le chef de l'armée ou « umutware
w'ingabo » (RUHASHYANKIKO N 1977 : 15).
Le système foncier était
respecté et transmis de génération en
génération, selon la tradition et la coutume du Rwanda colonial
en place. Et, c'est sur ce même système foncier régi par la
coutume et agréé par l'autorité royale qu'allait se
superposer un nouveau système foncier basé sur le droit
écrit. La cohabitation ne fut toujours pas parfaite, si bien qu'il
vaudrait mieux parler de dualisme calqué, sur la duplicité des
pouvoirs du roi et du colonisateur.
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