L'avènement de la colonisation
devait introduire dans la société Rwandaise des
éléments nouveaux, exogènes et dominateurs, susceptibles
d'entraîner des modifications et des distorsions dans les
équilibres internes. La colonisation allemande qui s'est
installée dès la fin du XIX siècle dura jusqu'en 1916. En
matière foncière, le pouvoir allemand reconnaissait
l'autorité du Roi sur les terres. Les premières missions
religieuses, catholiques et protestantes, achetaient les terrains pour enfin
devenir des propriétaires. La colonisation belge a également
introduit le droit écrit repris dans les « codes et lois du
Rwanda ». Le droit colonial devait servir principalement les
intérêts des colons et des autres étrangers désireux
d'acquérir une parcelle ou un terrain au Rwanda, pour assurer la
sécurité de leurs biens. Dès lors ce fut l'introduction
d'un système foncier dualiste. La question fondamentale qui se pose est
de savoir si les diverses dispositions figurant dans la législation
représentent réellement le cadre foncier, à travers
lequel la problématique foncière doit être analysée
(Banque Mondiale, 1997 : 16).
L'administration belge mit en application
l'ordonnance de 1885 relatives à l'occupation des terres. Deux
idées principales qui se dégagent de cette ordonnance sont les
suivantes :
- L'officier public colonial seul garantit
les droits d'occupation des terres prises sur les indigènes. Les colons
ou les étrangers qui veulent s'installer dans le pays doivent solliciter
l'intermédiation du pouvoir colonial et suivre ses règlements
pour l'obtention des terrains et procéder à
l'établissement des conventions d'installation.
- L'occupation des terres doit se faire avec titre de
propriété. Les indigènes ne doivent pas être
dépossédés des terres qu'ils occupent. Les terres vacantes
sont considérées comme appartenant à l'Etat. Cette
disposition introduit dès lors dans le système foncier rwandais,
introduite la dualité des systèmes.
La gestion politique dans l'ancien Rwanda
se fondait sur le contrôle du système économique
basé sur trois piliers, à savoir la maîtrise de la terre
pour la production agricole, le bétail pour l'élevage, et la
sécurité pour garantir la prospérité. La
colonisation belge introduit des changements profonds dans la gestion du pays
et qui devaient détruire le système traditionnel. Cette trilogie
qui représentait le système des grands équilibres fut donc
démantelée et transformée en une administration
unifiée. La réforme de 1926 divise ainsi le pays en chefferies et
supprime les pratiques en vertu desquelles un chef pouvait avoir plusieurs
possessions dans différents coins du pays, lesquelles possessions
caractérisaient son importance de la hiérarchie nationale. Cette
réforme de gestion territoriale était pourtant un facteur
d'unité et de cohésion nationale. La suppression des structures
traditionnelles, dans le but de mieux contrôler le territoire et de faire
passer les instructions coloniales, a fort perturbé la
société rwandaise. Néanmoins, la gestion foncière a
continué de s'inspirer des pratiques traditionnelles. (RUHASHYANKIKO N,
1985 : 22). Les terres occupées restent soumises à la
gestion traditionnelle et seuls les colons et les étrangers
bénéficiaient du nouveau système protégé par
la colonie. Le droit écrit s'exerçait ainsi seulement sur les
terres des missions catholiques et protestantes (décret du 24/01/1943
relatif aux cessions et concessions gratuites aux associations scientifiques et
religieuses et aux établissements d'utilité publique), dans les
circonscriptions urbaines et dans les centres commerciaux et de
négoce.
En raison de la forte densité de
population et de la volonté d'exploiter de nouveaux espaces, le pouvoir
colonial introduit le système de paysannat. Cette forme est proche du
système traditionnel de gukeba. Il se développa dans les
régions de pâturages ou d'autres réserves et consistait
à donner à chaque ménage une portion de terres de 2 ha
surtout pour le développement des cultures de rente, telles que le coton
à Bugarama, et le café au Mayaga. Après la suppression du
système d'ubuhake et le partage du bétail dans les zones de
pâturage (ibikingi), cette pratique favorisait l'extension des espaces
agricoles au détriment de l'élevage. Elle traçait ainsi
une nouvelle orientation du développement national fondé
plutôt sur l'agriculture, et créa ipso facto la rupture des
équilibres installés à travers l'histoire entre
l'activité agricole et celle d'élevage. Cela devait engendrer des
conflits latents et réels. Si, dans cette domination du système
agricole sur le système pastoral, l'on n'enregistre pas des conflits
ouverts entre le pouvoir et la population, il n'en est pas moins vrai que des
tensions réelles se manifestent à Cette époque. L'on
assiste ainsi aux migrations des populations éleveurs vers le Mutara,
l'Ouganda et le Congo (RUHASHYANKIKO N, 1985 : 23).
A partir de 1959, le système foncier devient un
facteur de conflit réel à travers la population. C'est la
période où, la crise politique aidant, l'on enregistre les
premiers réfugiés qui s'exilent en abandonnant leur
propriété tant foncière qu'immobilière.