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L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

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par DEGDEG Sana
 -  2008
  

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    L'ACTE ANORMAL DE

    GESTION

    ET

    L'ABUS DE BIEN SOCIAL

    Mémoire présenté par Sana DEGDEG

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION Page 7

    1ère Partie - La préservation commune d'une notion protéiforme :

    l'intérêt social Page 11

    Section 1 - La défense analogue de l'intérêt social Page 11

    I. Les fondements de l'acte anormal de gestion et l'abus de

    bien social Page 11

    II. Les mécanismes de l'acte anormal de gestion et de l'abus

    de bien social Page 18

    Section 2 - Le caractère central et controversé de l'intérêt social Page 24

    I. La compréhension de l'intérêt social Page 24

    II. Les carences de l'intérêt social Page 31

    2ème Partie - L'irrémédiable dissension entre les visions fiscaliste et

    pénaliste de l'intérêt social Page 38

    Section 1 - Une appréciation discordante de l'intérêt social : le réalisme

    fiscal face au moralisme pénal Page 38

    I. Illicéité et intérêt social : la conception amorale du droit

    fiscal Page 40

    II. Sociétés de groupe et intérêt social : la conception

    objective du droit fiscal Page 47

    Section 2 - Une divergence de solution devant l'atteinte à l'intérêt

    social : l'approche financière du droit fiscal face à l'approche punitive

    du droit pénal Page 54

    I. La recherche de l'atteinte à l'intérêt social Page 54

    II. Les solutions disparates de l'atteinte Page 59

    CONCLUSION Page 63

    LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

    C.com Code de commerce

    CE Sous-sect. Arrêt de sous-section du Conseil d'État

    Chron. Chronique

    CGI Code général des impôts

    CP Code pénal

    CPC Code de procédure civile

    CPP Code de procédure pénale

    Dr. Et patr. Revue Droit et Patrimoine

    Dr. Fisc. Revue de Droit Fiscal

    Gaz. Pal. Gazette du Palais

    LPF Livre des procédures fiscales

    PA Les Petites Affiches

    Rep. Min. Réponse ministérielle

    Req. Requête

    RJF Revue de jurisprudence fiscale

    RTDCom Revue Trimestrielle de Droit Commercial

    SA Société anonyme

    TA Jugement du Tribunal administratif

    Trib. Corr Jugement du Tribunal correctionnel

    « L'excès de liberté ne peut tourner qu'en excès de servitude pour un

    particulier aussi bien que pour un État. »

    Platon, La République

    INTRODUCTION

    L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social sont des barrières à l'excès des dirigeants dans la gestion de leur exploitation. L'étude concomitante de ces deux notions issues de deux matières différentes apparait délicate au regard du flou entourant leur définition. De prime abord, un certain nombre d'éléments laisseraient penser que l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social sont deux notions gémellaires1, deux binômes obéissant aux mêmes finalités. Si elle est hâtive, cette position n'en est pas moins intéressante en ce qu'elle permet de remarquer la similitude des deux notions qui semblent en effet très voisines.

    D'une part, l'abus de bien social est défini par les articles L. 241-3 à 242-6 C.com. comme étant le fait pour « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux [...] de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ». Il s'agit donc d'un abus ayant eu pour conséquence d'enrichir les dirigeants au détriment de la société et que le code de commerce puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 375 000 euros. Cette atteinte au patrimoine social semble trouver un parallèle intéressant dans la définition de l'acte anormal de gestion.

    Cette théorie a de son côté été synthétisée par un auteur comme étant : « une dépense exposée au nom de l'entreprise dans l'intérêt plus ou moins direct d'un tiers ou d'une partie liée »2 et qui conduit l'administration fiscale à lui refuser le bénéfice de la loi fiscale de déduction. La similitude est frappante puisque les deux notions tendent chacune à corriger l'atteinte au patrimoine social réalisée au profit d'un tiers. Cependant, à ce stade il est déjà aisé de constater que l'une et l'autre de ces notions n'usent pas des mêmes outils pour corriger l'appauvrissement irrégulier de la société : l'abus de bien social est en effet sanctionné par une amende et une peine de prison alors que la théorie de l'acte anormal de gestion conduit à des conséquences purement fiscales. De plus, plusieurs questions demeurent : pour quelles raisons l'acte anormal de gestion qui est une notion fiscale n'entraine-t-il pas automatiquement des poursuites pénales pour abus de bien social ? Et inversement, pourquoi la condamnation d'un dirigeant pour abus de bien social

    1 MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 84 : « l'acte anormal de gestion est au droit fiscal ce que l'abus de bien social est au droit des sociétés »

    2 GOUYET (R.), La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4

    n'engendre pas automatiquement un redressement fiscal pour acte anormal de gestion ?1 Ces divers points conduisent donc à écarter l'idée d'une similitude parfaite.

    Pour autant, ce constat ne doit pas amener à penser que l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social sont finalement divergents. Cette position semble également excessive puisque bien malgré elles, ces deux notions tendent à protéger l'intérêt de la société contre des dépenses irrégulières. Toutefois, si l'abus de bien social conduit à sanctionner personnellement les auteurs de l'atteinte, la réponse de l'administration fiscale est plus nuancée. Loin de sanctionner les responsables de l'anormalité, elle procède à une correction fiscale des comptes. Cette réserve de l'administration fiscale s'explique par le caractère économique de sa mission qui s'avère éloignée des considérations morales du droit pénal et qui témoigne de la dissemblance des deux notions. Cependant, les différences bien que présentes ne peuvent conduire à conclure à la divergence totale de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social. Bien que rattachées à des matières fondamentalement éloignées (le droit fiscal et le droit pénal), elles demeurent voisines en ce qu'elles touchent à un même thème : l'intérêt supérieur de la société.

    En examinant de plus près la définition de l'abus de bien social, il apparait sans nul doute que l'intérêt social est le critère fondateur de la définition donnée par le Code de commerce : « [...] un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci [...] » précise le législateur qui fait de l'intérêt social un des éléments constitutifs du délit. A l'inverse, concernant l'acte anormal de gestion, le rôle et l'utilisation de l'intérêt social est plus subtile. La principale raison de cette complexité est que la théorie de l'acte anormal de gestion est une construction purement prétorienne, élaborée en réaction à des excès prenant appui sur la loi fiscale de déduction. En effet, l'administration fiscale n'est autorisée à imposer que le bénéfice net des entreprises (art. 38 CGI2), déduction faite des dépenses réalisées dans le but de conserver le revenu. Un grand nombre de ces « frais déductibles » est énuméré à l'article 39 CGI et est regroupé en trois catégories : les frais généraux, les amortissements et les provisions3. Cependant, beaucoup d'entrepreneurs sont tentés de déduire de leur bénéfice brut (et donc, leur assiette d'imposition) un certain nombre de dépenses inutiles pour l'entreprise voire même contraires à l'intérêt de celle-ci. A travers ces manoeuvres, l'administration fiscale souffre d'un manque à gagner

    1 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 100 : « On peut poser comme postulat qu'un acte sanctionné sur le plan juridique comme contraire à l'intérêt social constitue par la même un acte anormal de gestion et qu'à l'inverse un acte qualifié d'anormal sur le plan fiscal implique qu'il soit contraire à l'intérêt social. Mais il n'y a pas nécessairement concordance entre les deux notions ».

    2 Art. 38 1° CGI : « Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation »

    3 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de droit commercial, T.3, LGDJ, 1998, p. 317

    important, mais n'ayant pas pour mission de contrôler la gestion des entreprises1, la recherche d'une solution n'était pas aisée. Le Conseil d'État décida donc d'élaborer une théorie tendant à protéger l'administration fiscale de ce que M. Cozian appelait des « évaporations financières »2 tout en ménageant la liberté de gestion des commerçants. Les juges décidèrent donc de ne tolérer en déduction de l'assiette d'imposition que les actes concourant à la gestion normale de l'entreprise. À défaut, les actes sont « anormaux » et l'administration fiscale est en droit de les réintégrer dans l'assiette d'imposition. Et afin de déterminer le caractère normal ou anormal d'un acte, les juges utilisèrent la notion controversée d'intérêt social : une gestion normale doit être conforme à celui-ci. À l'instar de l'abus de bien social, cette notion joue donc un rôle central et force est de constater qu'elle constitue le point de ralliement des deux définitions. Cependant, si l'intérêt social constitue le socle commun des deux notions, elle n'en demeure pas moins fragile.

    Qualifié « d'indéfinissable» par un auteur3, l'intérêt social est un instrument essentiel du droit des affaires comme l'illustre son rôle au sein de la théorie de l'acte anormal de gestion. En effet, bien plus qu'une simple notion théorique, il s'agit là d'un véritable outil de régulation mis à la disposition « d'une certaine police des sociétés »4, un instrument qui légitime l'intrusion des juges dans la gestion sociale d'une entreprise, domaine jusque là jalousement protégé. Mais en dépit de l'utilisation inventive de l'intérêt social, sa définition ne cesse de nourrir de nombreux débats entre les différents auteurs qui ne s'accordent que sur une chose : son caractère incertain.

    Cette incertitude favorise une insécurité juridique qui détonne avec le nombre important de contentieux en ces matières. Selon les statistiques du ministère de la Justice, les condamnations pour gestion et comptabilité délictueuses s'élèvent à 547 en 2006 et 495 de ces affaires étaient relatives à un abus de bien social, soit plus de 90% d'entre elles5. De son côté, l'acte anormal de gestion est réputé être « le premier risque fiscal pour l'entreprise »6. La nécessité d'une détermination des contours de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social constitue un enjeu important en ce qu'elle permet de mieux cerner les deux principaux écueils dans la direction d'une société

    1 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 92 : « l'administration n'est pas un contrôleur de gestion ; de là découle le principe de non-immixtion dans la gestion des entreprises »

    2 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 92

    3 LEJEUNE (F.), Cautionnement des SCI : le faux critère de l'intérêt social, Dr. Et patrimoine, 1996, p. 60

    4 SCHAPIRA (J.), L'intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTDCom.1971, p. 970 : « en réalité, l'intérêt social est un instrument souple et pratique, utilisé en jurisprudence en vue d'une certaine police des sociétés. L'institution qu'il nous rappelle le plus est celle de la « cause » dans les contrats ».

    5 Annuaire statistique de la Justice, éd. 2008, p. 191

    6 BUR (C.), L'acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l'entreprise, EFE, 1999, 486 p.

    Dès lors, peut-on considérer que l'intérêt social constitue un solide point d'ancrage de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social, qu'il transcende leurs différences ?

    Si l'intérêt social joue un rôle central au sein de ces deux notions, il n'en demeure pas moins une notion protéiforme et insaisissable recouvrant plusieurs réalités (1ère partie) ; cette fragilité intrinsèque ne peut donc qu'être accentuée par l'inévitable dissension entre les visions fiscaliste et pénaliste de l'intérêt social (2ème partie).

    1ère partie

    La préservation commune d'une notion protéiforme :

    l'intérêt social

    Malgré les difficultés rencontrées afin d'en déterminer les contours, la notion d'intérêt social s'impose clairement comme l'outil de mesure de la normalité. Cet instrument permet de veiller à ce que les actes déductibles n'ont pas été accomplis « dans un intérêt autre que celui de l'entreprise qui en supporte les conséquences »1. (Section 1). Pourtant, aussi fondatrice et commune soit-elle, cette notion d'intérêt social est fragile et protéiforme et suscite débats et interrogations au sein de la doctrine (Section 2).

    Section 1 : La défense analogue de l'intérêt social

    Le délit d'abus de bien social est une notion qui a vu le jour au début d'un XXème siècle secoué par des scandales politico-financiers. Il s'agissait alors de lutter contre les agissements de dirigeants sociaux peu scrupuleux qui pillaient les biens de la société à des fins personnelles et au détriment d'épargnants. Au fil du temps, la notion d'intérêt des actionnaires ou associés a laissé place à la notion d'intérêt social (I.). Cette défense de l'intérêt social inspirera par la suite les juges fiscaux qui élaborèrent la théorie de l'acte anormal de gestion mais qui n'en firent pas le même usage (II.).

    I. Les fondements de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien
    social

    « Le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social »2. L'inspiration de la théorie de l'acte anormal de gestion est donc claire : elle emprunte largement à l'abus de bien social en ce qui concerne ses fondements historiques (A.), mais elle fera preuve d'une grande autonomie s'agissant de ses fondements théoriques (B.).

    1 GOUYET (R.), La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4

    2 RACINE (P.-F.) concl. Sous CE, 27 juillet 1984, SA Renfort service : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596

    A. Un fondement historique commun : la lutte contre l'évasion financière 1) L'origine légale de l'abus de bien social

    a) L'abandon de la théorie du mandat social et de l'abus de confiance

    Il convient de préciser à titre liminaire, que le début du XXème siècle est marqué par une effervescence financière inconnue jusqu'alors, prompte à toutes les dérives. Pourtant, face aux agissements délictueux de dirigeants sociaux, les juges se contentaient d'appliquer l'incrimination d'abus de confiance bien connue depuis 17911.

    L'abus de confiance, se définissait alors comme le détournement de la chose remise à titre précaire et en violation d'un des contrats limitativement énumérés par l'ancien article 408 C. pén.2. Le contrat de société ne faisant pas partie de cette liste et les juges utilisaient donc la notion de mandat social pour sanctionner les dirigeants sociaux coupables d'abus. Partant du postulat que les dirigeants sociaux étaient investis d'un mandat général par les associés ou actionnaires, le détournement des biens de la société équivalait à une violation, constitutive d'un abus de confiance.

    Si ce mode de répression ignorait encore la notion d'intérêt social, elle avait toutefois le mérite de mettre l'accent sur la protection des actionnaires et associés. Pourtant, elle s'est vite révélée insuffisante pour deux raisons essentielles : d'une part les peines infligées étaient minimes comparativement à d'autres délits3 et d'autre part, des scandales politico-financiers vont profondément ébranler la société française et précipiter l'apparition d'un délit autonome.

    b) La tentative de moralisation du droit des sociétés

    La France de l'entre-deux guerre connait tour à tour une phase d'euphorie économique inégalée et le spectacle d'un effondrement boursier aussi violent qu'inattendu. L'éclatement de la bulle spéculative en 1929 fut le théâtre de révélations médiatiques sur des dérives spéculatives mettant en cause des personnalités politiques d'importance.

    1 MASCALA (C.), Abus de confiance, Rép. Pén., DALLOZ, oct. 2003, p. 2 : « Le code pénal de 1791 distingue pour la première fois trois infractions autonomes : le vol, l'escroquerie et l'abus de confiance [...]».

    2 Cet article dressait une liste des différents contrats pouvant donner lieu à un abus de confiance : dépôt, louage, mandat, prêt, nantissement, travail salarié et non salarié. En dehors de ces sept cas, l'abus de confiance ne pouvait pas être constitué. Le nouveau code pénal de 1994 a supprimé cette liste (art. 314-1 C.pén.), mettant ainsi un terme à l'important contentieux découlant de la qualification des contrats ayant donné lieu à l'abus.

    3 BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 2 : deux mois à deux ans d'emprisonnement pour l'abus de confiance alors que l'escroquerie était punissable de six mois à cinq ans.

    Trois grandes affaires marquèrent particulièrement les esprits et déclenchèrent une crise politique, financière et sociale sans précédent : l'affaire Hanau en 19281, l'affaire Oustric en 19292, et enfin un scandale qui vient achever de détruire les derniers espoirs d'un système à l'agonie : l'affaire Stavisky3. Ces trois scandales ont prit une tournure politique lorsque le Canard Enchainé découvrit l'implication active de ministres, de magistrats, de journalistes et surtout de parlementaires qui s'employaient à étouffer les poursuites judiciaires des escrocs voire même à se porter garants de leur sérieux auprès des victimes.

    Ces scandales furent le détonateur de la chute de plusieurs gouvernements4, de l'émeute antiparlementaire du 6 février 1934 et surtout d'une prise de conscience générale sur la dimension morale du monde des affaires. Au coeur de l'indignation générale, le sénateur Lesaché déposa une proposition de loi en 19325 comportant des dispositions qui donneront naissance au décret-loi du 8 août 1935. Ce décret-loi introduit le délit d'abus de bien social au sein des sociétés anonymes qu'il déclare punissable des mêmes peines que l'escroquerie6. Lors de l'élaboration du projet de loi sur les sociétés commerciales au début des années 60, de nombreux auteurs commercialistes militèrent pour un assouplissement du délit, notamment par le recours aux sanctions civiles, mais la loi qui s'ensuivie du 24 juillet 19667 ne précise pas la définition de l'abus de bien social qui continue de susciter de nombreuses questions notamment sur ce qu'il faut entendre par « intérêt de la société ». C'est pourtant cette notion qui inspirera le juge fiscal dans l'élaboration de la théorie de l'acte anormal de gestion.

    2) L'origine largement prétorienne de l'acte anormal de gestion

    a) Les raisons de l'élaboration de la notion : les données du problème Fidèle à la tradition largement prétorienne du droit fiscal, l'acte anormal de gestion a pour partie été élaborée par le Conseil d'État au milieu du XXème siècle. Un arrêt du 7 juillet 19588 est habituellement considéré comme le point de départ de cette théorie qui est venue pallier

    1 Une femme d'affaires dénommée Marthe Hanau est arrêtée et soupçonnée d'escroquerie et d'abus de confiance sur de petits épargnants.

    2 Les médias révèlent une seconde affaire pointant du doigt les opérations frauduleuses d'un banquier bien connu de la place parisienne, Albert Oustric. Ce dernier est accusé de banqueroute et d'opérations irrégulières ayant ruiné des milliers de particuliers.

    3 Alexandre Stavisky est accusé d'émettre de faux bons pour garantir les prêts sur gage du Crédit municipal de Bayonne. Ces produits financiers étaient ensuite achetés par des compagnies d'assurance ainsi que des institutions qui se sont retrouvés lésées lorsque l'escroquerie fut mise à jour.

    4 Le Cabinet Tardieu suite à l'affaire Oustric et le cabinet Daladier consécutivement au scandale Stavisky

    5 BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, 2009, p. 2

    6 Le 30 octobre de la même année un second décret-loi étend le délit aux sociétés à responsabilité limitée.

    7 Loi n° 66-537 sur les sociétés commerciales

    8 CE, 8ème sous-sect. 7 juillet 1958, n° 35.977, Dr. Fisc. 1958, n° 44, comm. DUPONT, p. 938

    l'absence de moyens de l'administration fiscale face à ces « évaporations financières »1 fort dommageables pour elle et donc pour les contribuables.

    Au regard des articles 38 et 39 CGI, l'exploitant est en effet autorisé à déduire de son bénéfice les frais qu'il engage pour le fonctionnement de son entreprise. Cette règle apparait logique puisque ces dépenses visent à préserver le bénéfice et sont réalisées dans l'intérêt de l'entreprise. Pourtant, certains chef d'entreprise abusent de ce droit soit en élaborant des montages juridiques faussement réguliers en vue de minorer la base d'imposition, soit en tentant de faire déduire des actes réguliers, mais qui n'ont pas eu pour finalité de préserver le bénéfice de l'entreprise2. Certes, le législateur interdit la déduction fiscale de certaines dépenses qui sont généralement appelés « les actes anormaux de gestion par détermination de la loi » : les dépenses somptuaires (art. 39-4 CGI), les rémunérations excessives (art. 39-1-1° CGI) et les transferts indirects de bénéfices (art. 57 et 238 bis A CGI). Mais ces trois cas se sont vite révélés lacunaires au regard de certaines opérations telles que les abandons de créance au profit d'un tiers, les prêts sans intérêts ou les charges exposées au profit des membres de l'entreprise.

    De plus, la nécessité de mettre fin à une déduction systématique de toute dépense régulière conduirait l'administration fiscale à porter un jugement subjectif sur une décision de gestion. Or, le principe de non-immixtion dans la gestion de l'entreprise s'oppose à un tel contrôle d'opportunité.

    b) La construction prétorienne de la notion : les solutions apportées

    Le principe de non-immixtion découle directement de la liberté donnée au chef d'entreprise dans la gestion de son exploitation. Cette liberté est étendue puisqu'elle autorise le dirigeant à prendre des décisions qui ne sont pas nécessairement lucratives, telles que des opérations fiscalement optimales3, la commission d'erreurs de gestion4 ou même le fait de ne pas tirer un maximum de profit de ses choix5. Ces politiques conduisent à une perte de revenu pour l'entreprise (et donc pour l'administration fiscale), pour autant, ils relèvent de la liberté de gestion et ne peuvent être

    1 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 92

    2 Si la première hypothèse est sanctionnée par la théorie de l'abus de droit, la seconde éventualité posait quelques difficultés et ne trouvait pas de réponse.

    3 Rép. Min. n° 15.603, JO Déb. AN 20 mars 1971 : « En présence de deux techniques juridiques, dont la finalité est identique, il est licite d'opérer un choix en fonction de la fiscalité »

    4 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 24 avril 1981, req. n° 24638 : Dr. Fisc. 1981, n° 42, comm. 1866, concl. SCHRICKE ; RJF 1981, n° 6, p. 306 : concernant une exploitation déficitaire et le choix des dirigeants de ne pas augmenter le tarif des commissions.

    5 Illustration, CE, 8ème sous-sect. 7 juillet 1958, n° 35977 : Dr. Fisc. 1958, n° 44, comm. DUPONT, p. 938 : « [...] le contribuable, qui n'est jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite, le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser [...] »

    prohibés. L'élaboration d'une théorie visant à refuser la déductibilité de certains actes ne pouvait donc se fonder sur le critère de la perte de profit.

    Mais las de voir des bases d'imposition s'évaporer injustement, la jurisprudence est venue s'immiscer dans cette liberté de gestion tant nuisible pour la prospérité de l'entreprise et pour l'administration fiscale. Dans l'arrêt du 7 juillet 1958, elle approuve explicitement l'initiative de l'administration fiscale qui avait refusé de déduire une dépense qu'elle jugea contraire aux articles 38 et 39 CGI. Pour la première fois, les juges permettent à l'administration de remettre en cause les actes ne relevant pas d'une gestion normale car réalisés « dans un intérêt commercial étranger à l'entreprise »1.

    Par une lecture a contrario des articles 38 et 39 CGI, le Conseil d'État a donc doté l'administration d'un outil de mesure -l'intérêt social-, venant contrebalancer le pouvoir exorbitant accordé au Fisc. Malgré ces lacunes, la préservation de l'intérêt social apparait central tout comme elle l'est pour l'abus de bien social.

    B. Un fondement théorique commun : la préservation de l'intérêt social

    1) La contrariété à l'intérêt social : unique outil de mesure de la normalité

    a) Acte délibérément contraire à l'intérêt social : l'unique critère

    Malgré les difficultés rencontrées afin d'en déterminer les contours, la notion d'intérêt social s'impose clairement comme l'outil de mesure de la normalité. Cet instrument permet donc de veiller à ce que les actes déductibles n'ont pas été accomplis « dans un intérêt autre que celui de l'entreprise qui en supporte les conséquences »2.

    De façon plus précise, il apparait que la contrariété à l'intérêt social recouvre deux réalités. La première est celle admise depuis la naissance prétorienne de la théorie : un acte anormal de gestion est un acte pris délibérément dans l'intérêt d'un tiers ne fournissant aucune contrepartie à l'entreprise ou une contrepartie minime. La seconde réalité est plus récente puisqu'elle date de l'arrêt « Loiseau » du 17 octobre 19903 qui vient compléter la définition de l'acte anormal de gestion en introduisant la notion de « risque manifestement excessif » pour

    1 CE, 8ème sous-sect., 7 juillet 1958, cf. supra, p. 14

    2 GOUYET (R.), La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4

    3 CE 17 octobre 1990 Loiseau, req. n° 83310, ANNEXE n° 1 : « il [le chef d'entreprise] a excédé manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation »

    l'entreprise. Selon cette position, un acte peut être vu comme anormal lorsqu'il fait peser sur l'entreprise un risque manifestement excessif portant atteinte à son intérêt. L'élément intentionnel n'est donc plus un critère.

    Dans ces deux versants de la définition, un élément est récurrent : celui de l'appauvrissement délibéré de l'entreprise qui constitue donc le seul et unique critère de l'acte anormal de gestion.

    b) La dimension subjective de des agissements

    Pour l'acte anormal de gestion soit constitué, il faut que la violation de l'intérêt social ait été délibérée. Cet élément intentionnel contraste avec l'apparente objectivité de la notion d'intérêt social qui ne semble se préoccuper que de l'aspect économique de l'acte. Or, l'exigence d'une démarche volontaire du chef d'entreprise est malgré tout nécessaire puisqu'elle permet de différencier la théorie de l'acte anormal de gestion de la notion voisine d'erreur de gestion.

    Encore appelée « mauvaise gestion », l'erreur de gestion partage pourtant plusieurs points communs avec l'acte anormal de gestion : tous deux sont des actes de gestion. Tous deux conduisent à un appauvrissement de l'entreprise. Mais si une erreur de gestion est toujours involontaire, un acte anormal de gestion ne peut résulter que d'un choix visant à privilégier un intérêt autre que celui de l'entreprise. En effet, l'auteur d'une erreur de gestion a eu pour objectif la préservation de l'intérêt social mais le chemin pris pour y parvenir était erroné. Contrairement à lui, l'auteur de l'acte anormal de gestion savait que l'acte pris aurait ou aura pour conséquence un appauvrissement de l'entreprise1.

    Il s'agit ici d'une véritable prise en compte de la mauvaise foi de l'auteur de l'acte qui apporte une dimension subjective à l'utilisation de la notion d'intérêt social. Pour autant, cet élément intentionnel ne doit pas être entendu de la même façon qu'en droit pénal et doit davantage être rapprochée de la notion civiliste de « cause subjective »2 plutôt que d'une intention frauduleuse.

    2) La contrariété à l'intérêt social : élément matériel du délit d'abus de bien social

    1 GERSCHEL (C.), le principe de non-immixtion en droit des affaires, PA.1995, n° 104, p. 8 : « il y a acte de gestion anormal lorsque le dirigeant de l'entreprise, au moment où il réalise l'acte, sait ou devrait savoir qu'il s'en suivra un appauvrissement de son entreprise, qu'il pourrait éviter en ne prenant pas l'acte ».

    2 SCHAPIRA (J.), L'intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTDCom.1971, p. 970 : « en réalité, l'intérêt social est un instrument souple et pratique utilisé en jurisprudence en vue d'une certaine police des sociétés. L'institution qu'elle nous rappelle le plus est celle de la « cause » dans les contrats »

    a) Agissement délibérément contraire à l'intérêt social : l'un des critères

    Tout comme pour la théorie de l'acte anormal de gestion, la notion d'intérêt social est au centre du délit d'abus de bien social. Mais contrairement au principe fiscal, le code de commerce fait clairement référence à l'intérêt social, non pas comme un outil de mesure mais comme un des critères déterminants du délit1. Au regard de cette définition, la notion d'intérêt social s'impose donc comme l'élément matériel de l'infraction (un usage abusif des biens de la société qui a porté atteinte à l'intérêt social), complété par un élément intentionnel (un abus réalisé intentionnellement, à des fins personnelles).

    Plusieurs éléments recoupent ceux de la théorie de l'acte anormal de gestion. Tout d'abord, l'abus de bien social est un usage abusif des dirigeants sociaux. Il s'agit ici de l'élément matériel du délit qui implique qu'il soit commis par les organes dirigeants limitativement énumérés. Ce critère n'est pas officiellement requis pour l'acte anormal de gestion mais l'acte litigieux est presque toujours pris par le chef d'entreprise. Par ailleurs, l'abus de bien social et l'acte anormal de gestion intéressent tout deux le droit des sociétés en sanctionnant le comportement portant atteinte à l'intérêt de celle-ci.

    Pourtant, malgré ces similitudes certaines, les deux notions souffrent de différences notoires principalement dues à la définition elliptique de l'acte anormal de gestion.

    b) Le domaine limité de l'abus de bien social

    A la différence de la théorie fiscale, l'utilisation des biens de la société doit être entendue de manière extensive puisqu'elle englobe toute action portant atteinte au patrimoine social2. Parmi ces agissements, il faut comprendre le simple usage abusif3, l'omission accompagnée d'une participation personnelle du dirigeant4 ou la rémunération abusive du dirigeant5. L'acte anormal de gestion ne retient pas ce critère de l'usage pour une raison simple : la théorie sanctionne des déclarations comptables visant à déduire des actes contraires à l'intérêt social et non pas de simples comportements.

    1 En effet, les articles L. 241-3 à 242-6 C.com. définissent l'abus de bien social comme étant le fait pour « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux de la société de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».

    2 LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 282

    3 Crim. 11 janvier 1968 ; Bull. Crim. 1968, n° 11

    4 Crim. 7 septembre 2005

    5 Crim. 25 novembre 1975, Bull. Crim. n° 257

    Ensuite, un second critère dégagé par la définition de l'abus de bien social témoigne de la différence de domaine d'application entre les deux notions, celui de la mauvaise foi. Le dirigeant social doit avoir eu conscience de commettre un délit en agissant à l'encontre des intérêts de la société. Cet élément intentionnel fait l'objet d'une présomption simple contre le dirigeant social du seul fait de sa qualité1. Cette exigence n'est pas suffisante pour caractériser le délit, il faut au surplus que l'acte contraire à l'intérêt social ait été réalisé « à des fins personnels », le dirigeant s'étant enrichi directement ou indirectement au détriment de la société. Si la théorie de l'acte anormal de gestion exige un élément intentionnel2, elle ne précise pas que ces agissements doivent avoir été réalisés à des fins personnelles. Une fois encore, la notion d'abus de bien social s'avère particulièrement étroite.

    Ces différences témoignent déjà de divergences entre l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social. Elles ne permettent pas pour autant de conclure à une irrémédiable dissension entre les deux notions. L'étude de leur mécanisme respectif met en lumière leur subtilité respective.

    II. Les mécanismes de l'acte anormal de gestion à la lumière de

    l'abus de bien social

    Les mécanismes de la théorie de l'acte anormal de gestion répondent donc à des exigences moins importantes que pour l'abus de bien social qui implique la réunion de plusieurs critères. Pour autant, ces nuances n'aboutissent pas à une contrariété entre ces deux notions. Toutes deux sanctionnent les atteintes à l'intérêt social (A.) aboutissant à une perte financière (B.).

    A. Une atteinte à l'intérêt social

    1) Les objectifs de l'atteinte à l'intérêt social

    a) Acte anormal de gestion : des objectifs variés

    Un chef d'entreprise qui a recours à un acte anormal de gestion peut avoir trois types de desseins. Le premier est assez rare, il s'agit de l'objectif fiscal. Dans cette hypothèse le chef d'entreprise porte atteinte à l'intérêt social pour des raisons d'opportunité fiscale. Le problème n'est pas la réalité de l'acte mais sa déduction du bénéfice brut. Il peut s'agir de la recherche d'un transfert de

    1 LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 289 : « Comme souvent en droit pénal des affaires, la qualité de dirigeant social postule la mauvaise foi »

    2 Le chef d'entreprise doit avoir eu conscience d'agir contre l'intérêt social. Ceci permet de différencier acte anormal de gestion et erreur de gestion.

    bénéfice1, de la recherche d'un bénéfice fiscal plus favorable2 ou d'une volonté d'obtenir une exonération de plus-values3.

    La deuxième finalité du chef d'entreprise est beaucoup plus fréquente et protéiforme. Ce sont les objectifs visant à privilégier un intérêt autre que l'intérêt social. Notons à titre liminaire que le seul fait d'agir pour le compte d'un tiers n'est pas en soit suffisant puisque un acte peut concilier l'intérêt de l'entreprise avec un autre intérêt. Il peut s'agir de l'intérêt personnel d'un dirigeant social qui déduit du bénéfice le coût des travaux de son appartement4, de l'intérêt d'un associé, de l'intérêt d'un tiers par rapport à l'entreprise qui bénéficie d'un prêt sans intérêt dont le montant est là encore déduit du bénéfice imposable5. Enfin, l'intérêt poursuivi peut être « moral » comme le fait de prendre en charge spontanément l'hébergement d'associés ayant subi une fraude des dirigeants6.

    Une dernière hypothèse doit être évoquée : celle de l'incompétence ou l'insouciance de l'auteur de l'acte qui néglige délibérément l'intérêt de la société. Citons l'exemple de l'expert-comptable qui déposait tous les ans les déclarations fiscales de ses clients en retard et qui s'engageait à prendre en charge les pénalités de retard qui en découlaient. Il déduisait ensuite ces pénalités de son bénéfice. Mais lasse de ces méthodes, l'administration fiscale refusa de les déduire du bénéfice car ne « résultant pas de l'exercice normale de la profession »7. La frontière avec l'erreur de droit est mince mais « l'entêtement coupable »8 de l'auteur constitue une piste de différenciation.

    b) Abus de bien social : une atteinte nécessairement commise à des fins personnelles

    Contrairement la théorie de l'acte anormal de gestion, la définition de l'abus de bien social exige la preuve d'un usage abusif des biens à des fins personnelles9. Cette précision enferme donc le délit dans l'hypothèse d'une atteinte à l'intérêt social au profit exclusif, direct ou indirect des dirigeants. Ce dol spécial qui rend plus difficile la constitution du délit, illustre également

    1 CE 17 juin 1992, req. n° 74882

    2 CE 24 février 1978, req. n° 2372

    3 CE 19 novembre 1984, req. n° 35491

    4 CE 4 décembre 1981, req. n° 19133

    5 CE 7 janvier 1976, req. n° 94314 : une avance sans intérêt avait été consentie au père des associés

    6 CE 14 avril 1976, req. n° 92197

    7 CE 27 février 1991, req. n° 66971 ; concl. FOUQUET, RJF 1991, n° 4, p. 264

    8 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 105

    9 Le code de commerce précise : « (...) à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement »

    l'extrême précision de la définition de l'abus de bien social qui contraste avec le flou entourant la théorie de l'acte anormal de gestion. Afin d'adoucir la rudesse de cette exigence, la jurisprudence n'hésite pas à présumer l'utilisation à des fins personnelles notamment dans le cas de prélèvements occultes d'un dirigeant1, la charge de la preuve étant ainsi renversée.

    De manière générale, l'intérêt personnel renvoie à la recherche d'un enrichissement matériel, mais pas seulement. Il peut également s'agir d'un intérêt moral absent de la théorie de l'acte anormal de gestion : la recherche d'une notoriété2 ou d'un confort personnel3, la préservation de la réputation familiale 4 ou de relations personnelles d'amitié5.

    Cette compréhension de l'intérêt personnel qui s'avère être finalement très large se distingue de l'acte anormal de gestion qui ne s'intéresse qu'à l'intention de l'auteur de l'acte et non à ses projets. Cette différence s'explique en partie par la conception strictement économique du droit fiscal des affaires.

    2) Les techniques employées

    a) Acte anormal de gestion : omission ou commission

    L'acte anormal de gestion se scinde en deux catégories : d'une part la renonciation à un profit (abstention), d'autre part l'intégration de charges étrangères à l'intérêt de l'entreprise (acte positif). Dans les deux cas, l'acte peut avoir été réalisé pour le compte d'un tiers ou pour le compte d'un membre de la société. Nous ne nous intéresserons qu'aux actes réalisées au profit des membres de la société pour deux raisons principales : d'une part, la notion de « tiers » revêt une acceptation particulière en droit fiscal, point qui sera développé en deuxième partie. D'autre part, cette démarche favorisera la comparaison avec la notion d'abus de bien social qui se concentre exclusivement sur les agissements commis au profit des dirigeants.

    La renonciation à un profit constitue une abstention anormale qui nuit à l'entreprise, malgré l'évolution de la notion d'intérêt social qui ne renvoie plus uniquement à la recherche de profit. La renonciation prend la forme d'une vente par la société d'un bien pour un prix inférieur à sa valeur vénale6, d'un loyer insuffisant7 ou d'une avance sans intérêt. Les charges étrangères à l'intérêt de

    1 Crim. 11 janvier 1996

    2 Crim. 20 mars 1997, Rev. Sociétés 1997, p. 581, note Bouloc

    3 Crim. 26 juin 1978, JCP.1978.273 : le fait de faire rémunérer par la société le personnel de maison

    4 Crim. 3 mai 1967, Bull. Crim., n° 148

    5 Crim. 19 juin 1978, Bull. Crim., n° 202

    6 Exemple : CE 24 juin 1994, n° 128420

    7 CE 25 novembre 1981, n° 11383

    l'entreprise quant à elles renvoient au paiement par la société d'un loyer excessif pour la location consentie par l'un de ses membres mais également à l'entretien du train de vie du dirigeant.

    Ces hypothèses, lorsqu'elles sont commises par des dirigeants sociaux sont toujours des abus de bien social et peuvent faire l'objet de poursuites pénales.

    b) Abus de bien social : l'atteinte est davantage morale Traditionnellement, les abus commis par les dirigeants sont regroupés en trois catégories : d'une part, les dirigeants possédant un compte d'associés débiteur. D'autre part les dirigeants touchant une rémunération excessive. Enfin, les dirigeants opérant une confusion entre leur patrimoine et celui de la société. Si la première hypothèse renvoie à des agissements particuliers, la rémunération excessive est également un acte anormal de gestion par détermination de la loi (art. 39-1-1° CGI).

    De façon moins catégorique, les usages abusifs renvoient à des situations diverses et entendue de façon extensive. En effet, contrairement à l'acte anormal de gestion, la simple utilisation lorsqu'elle est abusive peut constituer le délit1. Or, la théorie fiscale ne s'intéresse pas aux simples agissements et ne se préoccupe que des actes ayant une répercussion fiscale. Cette différence, a priori mineure, illustre parfaitement l'une des grandes divergences de conception entre droit fiscal et droit pénal. A travers l'abus de bien social, les juges pénaux ne se préoccupent pas seulement de l'appauvrissement de la société mais contrôlent et sanctionnent les agissements délictueux des auteurs, peu importe les retombées financières.

    B. Une perte financière consécutive à cette atteinte

    1) L'admission commune de la notion de « risques » pour la sociétéa) L'admission par le droit fiscal

    Depuis l'arrêt « Loiseau »2, l'administration fiscale considère que l'acte faisant courir un « risque manifestement excessif » pour la société relève d'une gestion anormale. Cette position peut apparaitre étrange puisque toute gestion n'est pas sans risque, pourtant l'administration fiscale entend par là contrôler les gestions cavalières de certains dirigeants, qui font ainsi peser une incertitude sur les finances publiques.

    1 Exemple : l'utilisation excessive d'un hélicoptère appartenant à la société

    2 CE 17 octobre 1990, cf. supra

    Dans cette espèce, M. Loiseau s'était engagé à indemniser les pertes subies par les clients dont il gérait le portefeuille. Le contexte était particulier : d'une part, l'auteur de l'acte pensait agir conformément à l'intérêt social et d'autre part, cet acte pouvait être vu comme un moyen de fidéliser la clientèle. Pour autant, la disproportion de cet engagement constituait à long terme un risque vital pour la société. Les juges décidèrent donc d'élargir la notion d'acte anormal de gestion et estimèrent que l'intéressé avait « excédé manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer le résultat de son exploitation ».

    Cet arrêt étend considérablement la notion d'acte anormal de gestion pour trois raisons principales : tout d'abord, l'acte anormal de gestion peut être constitué même sans intention d'agir contrairement à l'intérêt social. L'élément intentionnel n'est plus un critère déterminant. Ensuite, l'appauvrissement de la société ne peut être qu'hypothétique. Enfin, cet arrêt étend considérablement le domaine de l'acte anormal de gestion, empiétant ainsi sur la notion d'erreur de gestion.

    b) L'admission par le droit pénal

    L'admission de la notion de risque par le droit pénal est ancienne. En effet, si le code de commerce ne précise nullement que la perte financière constitue une des conditions constitutives du délit, c'est que seule l'atteinte à l'intérêt social préoccupe le juge pénal, peu importe qu'elle ait donné lieu à des pertes financières ou non. L'aspect économique est secondaire et le délit (qui dérive de l'abus de confiance) est avant tout moral : la loi sanctionne des dirigeants malhonnêtes.

    Cette position a été officialisée par un arrêt en date de 19551 qui considère comme répréhensible « tout acte qui fait courir un risque anormal au patrimoine social ». Afin de déterminer de manière pertinente la notion de risques, il est fait usage de deux outils : d'un côté le préjudice pouvant résulter de l'usage du bien et de l'autre, l'avantage susceptible d'être dégagé par la société2.

    La notion de « risques » conduit à une conclusion similaire pour l'acte anormal de gestion et pour l'abus de bien social. Pourtant, les raisonnements qui fondent cette acceptation sont rigoureusement différents et illustrent les divergences fondamentales sur la question financière entre droit fiscal et droit pénal.

    1 Crim. 10 mai 1955, Bull. Crim. n° 234

    2 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., p. 372

    2) La perception différente de la perte financière

    a) Acte anormal de gestion : le rôle déterminant du critère de la perte financière

    La principale conséquence qui découle d'un acte anormal de gestion est la perte financière subie par l'entreprise. Au-delà d'un simple constat incident, cette perte financière injustifiée constitue le critère déclencheur de l'application de la théorie. Afin de mieux appréhender son rôle, il convient de se référer aux objectifs mêmes de la théorie de l'acte anormal de gestion. Son but est en effet de corriger un manque à gagner subi par l'entreprise et donc, indirectement par l'administration fiscale. Et c'est en raison de cette atteinte (économique) au patrimoine social, que la théorie de l'acte anormal de gestion est appliquée1. Même dans le cas de « risque », l'atteinte économique est déjà certaine.

    Dès lors, la théorie revêt une dimension presque exclusivement économique contrairement à l'abus de bien social qui met l'accent sur l'aspect moral du délit. La perte financière dont souffre l'entreprise en raison de l'acte anormal ne fait l'objet d'une répression fiscale que parce qu'il porte indirectement atteinte aux finances publiques. Le rôle central de la perte financière n'est pas perçu de la même manière pour l'abus de bien social, dans laquelle elle apparait presque secondaire.

    b) Abus de bien social : le rôle incident de la perte financière Concernant le délit d'abus de bien social, l'impact financier des agissements n'est pas le déclencheur de la répression mais davantage la preuve de l'atteinte à l'intérêt social. La récupération de la perte financière n'est pas une fin mais un moyen de prouver l'abus de bien social. En effet, afin de constater l'atteinte à l'intérêt social, le juge pénal ne se contente pas de rechercher une atteinte seulement économique, il tient également compte de l'enrichissement personnel du dirigeant au détriment de la société. Le dol spécial interdit donc de ne se fier qu'aux pertes financières de la société pour condamner le dirigeant2.

    Dès lors, le préjudice matériel de la société est davantage un indice de l'atteinte qu'un critère
    constitutif. De plus et comme nous l'avons précédemment précisé, l'atteinte à l'intérêt social peut
    également être morale3. Cet aspect moral imprègne la matière pénale et conduit à élargir la

    1 GOUYET (R.), La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4 : « Ainsi, ce sont essentiellement des intérêts financiers et surtout économiques de l'entreprise qui sont les vraies composantes de la normalité fiscale ».

    2 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., p. 376 : l'auteur y voit un rapprochement avec l'abus de confiance ce qui n'est guère étonnant puisque l'abus de bien social découle directement de l'abus de confiance.

    3 LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 290

    compréhension de la notion d'intérêt social par rapport au droit fiscal qui n'y voit qu'une perte financière.

    L'intérêt social apparait malgré tout au coeur de toutes les préoccupations. Pour autant, la notion souffre d'une image controversée qui la fragilise et conduit à s'interroger sur son utilisation.

    Section 2 : Le caractère central et controversé de l'intérêt social

    « La notion d'intérêt social est un procédé d'équité modératrice à la disposition du juge ». Cette phrase de M. Sousi1 témoigne du rôle central dont jouit la notion d'intérêt social. Pourtant, si son utilisation est récurrente en droit des affaires, l'intérêt social est l'une des notions les plus mal définies et les plus sujettes à controverses. A travers l'étude de la théorie de l'acte anormal de gestion et du délit d'abus de bien social, il n'est pas étonnant de constater que l'intérêt social reçoit une compréhension différente (I.). Ces querelles quant à son interprétation conduisent certains auteurs à s'interroger sur la pertinence de son utilisation (II.).

    I. La compréhension de l'intérêt social

    La définition de l'intérêt social a toujours fait l'objet de controverses, questionnements et débats doctrinaux, tant en droit fiscal qu'en droit pénal des affaires (A.). Paradoxalement, cette même notion se situe au coeur de la théorie de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social ce qui conduit à nous interroger sur la solidité de ce socle commun (B.).

    A. L'impossible définition de l'intérêt social

    1) Une notion sujette à controverses

    a) Les controverses quant à la nature de l'intérêt social

    Malgré son rôle majeur en droit des sociétés, les tentatives visant à cerner la notion d'intérêt social sont récentes2. Classiquement, le monde du droit des sociétés voit s'affronter deux thèses concernant la nature de l'intérêt social, chacune défend sa vision de la notion de société. La première conception suggère que la société repose sur un contrat entre ses membres. S'appuyant sur l'article 1833 C.Civ.3, cette théorie « société-contrat » met en évidence l'intérêt des associés qui se confondrait nécessairement avec l'intérêt de la société. En effet, la société est créée par les associés qui entendent ainsi, à travers elle, satisfaire leur intérêt commun (partager les bénéfices et profiter des économies). De ce fait, veiller à la protection de leurs intérêts revient à protéger la société. Pourtant, si cette théorie fut dominante au début du XXème siècle, elle est

    1 SOUSI (G.), « Intérêt de groupe et intérêt social », JCP.1975.11816, p. 10

    2 MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 80

    3 Art. 1833 C.Civ. : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés »

    apparue trop rigide aux yeux de certains en ce qu'elle refuse de considérer la société comme autre chose qu'un simple contrat1.

    Une autre conception est peu à peu apparue : celle de la « société-institution ». Principalement développée par MM. Champaud et Paillusseau dans les années 1960, elle dissocie l'intérêt commun des associés de l'intérêt social. Pour ces auteurs, l'intérêt social est autonome et propre à la personne morale qui devient une véritable institution.

    Si cette dernière conception l'a longtemps emportée, nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'une troisième théorie, mixte, qui décide de tenir compte de l'aspect protéiforme de l'intérêt social. Pour ces auteurs, dont M. Mestre est le chef de file, le caractère ambivalent de la notion empêche l'établissement d'une définition unitaire. Dès lors, l'intérêt social doit être vu comme une combinaison d'intérêts, un outil avec suffisamment de souplesse pour permettre une utilisation efficace dans différents domaines.

    Finalement, cette dernière conception admet l'impossibilité d'une définition de l'intérêt social et se contente de l'utiliser plutôt que d'essayer de la définir2, d'où les nombreuses critiques quant à sa pertinence.

    b) Les critiques quant à la pertinence de l'intérêt social

    Si les tentatives de définition de l'intérêt social émanent d'auteurs commercialistes, les critiques quant à la pertinence de cette même notion sont principalement soulevées par des fiscalistes, tant est si bien que le recours à la notion d'intérêt social pour l'abus de bien social n'est pratiquement pas contestée sur ce point.

    Concernant l'acte anormal de gestion, les auteurs reprochent à l'administration fiscale son utilisation systématique de la notion d'intérêt social, qui certes apporte une solution à l'anormalité de gestion mais ne la définit nullement. Or, cette absence de définition de l'anormalité est regrettable à deux égards : elle rend lacunaire la théorie de l'acte anormal de gestion et elle créée une grave insécurité juridique3 pour l'entreprise.

    1 DUCOULOUX-FAVARD (Cl.), sous TGI Mulhouse, 25 mars 1983, D.1984, p. 285 : « l'intérêt social est étrangère ; son pays natal est l'Allemagne. C'est une notion qui ne pouvait voir le jour parmi les juristes trop convaincus que la société est un contrat ».

    2 COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY (F.), Droit des sociétés, LITEC, 2006, 19ème éd., 673 p. : l'intérêt social est vu comme « un impératif de conduite, une règle déontologique, voire morale ».

    3 COLLET (M.), Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l'anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 536 : « Si les effets juridiques qui lui sont attachés sont claires (...), son identification renferme une part d'aléa ».

    Le critère de l'intérêt de l'entreprise apparait donc très contesté tant sur le plan théorie que sur le plan pratique. De plus, la dimension subjective de l'utilisation de l'intérêt social contrevient à l'habituelle objectivité de l'administration fiscale qui se retrouve obligée de statuer « au cas par cas ».

    C'est au milieu de ces controverses que la notion d'intérêt social n'a cessé d'évoluer au sein de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social.

    2) Une notion en constante évolution

    a) Les évolutions en droit pénal

    Si le juge pénal ne conteste pas l'utilisation de l'intérêt social, il tente malgré tout de faire évoluer
    la notion. Les juges ont ainsi essayé de confondre intérêt social et objet social. L'objet social qui

    peut être défini comme « l'ensemble des activités déterminées par le pacte social, que la sociétépeut exercer »1 est pourtant très différent de l'intérêt social puisqu'elle est dénuée de dimension

    morale et ne prend comme référence que la volonté des associés matérialisée par les statuts2. Ainsi, un acte conforme à l'objet social peut être contraire à l'intérêt social3.

    De la même manière, s'inspirant de la théorie « société-contrat », certains juges ont tenté de confondre l'intérêt de la société avec l'intérêt des actionnaires ou associés. Cette position est bien évidemment erronée puisque la seule victime de l'abus de bien social est la société et non les actionnaires ou associés4.

    En définitive, l'atteinte à l'intérêt social dans le cadre de l'abus de bien social est une question de faits relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond. En l'absence de textes et de définition précise, la Cour de cassation se contente de vérifier la réunion des éléments constitutifs du délit, laissant aux juges des Cours d'appel le soin d'apprécier l'atteinte à l'intérêt social5. Ce désintérêt pour la notion contraste avec les réactions virulentes de certains auteurs fiscalistes qui souhaitent tout simplement cesser d'utiliser la notion d'intérêt social.

    1 CHAPUT (R.), De l'objet des sociétés commerciales, Thèse, Clermont, 1973, p. 35

    2 A noter que le projet de loi du sénateur Lesaché de 1932 faisait référence à l'objet social.

    3 Pour illustration, l'octroi de rémunérations qui est conforme à l'objet social mais contraire à l'intérêt social lorsqu'elles sont excessive (CA Angers, 17 janvier 1991)

    4 Citons simplement l'exemple de l'EURL qui est concernée par le délit d'abus de bien social alors même qu'elle ne compte qu'un seul associé

    5 Une formule de la Cour de cassation est récurrente : « Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par ces motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle est saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnels, le délit d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable ».

    b) Les évolutions en droit fiscal

    Le caractère aléatoire de l'intérêt social a conduit à de nombreuses évolutions jurisprudentielles, certes en élargissant le champ d'application de l'acte anormal de gestion mais au prix d'une incohérence théorique.

    Cette évolution peut se résumer en trois étapes : dans un premier temps, la jurisprudence refusait d'admettre que l'intérêt social puisse se confondre avec l'intérêt d'un tiers, l'intérêt de l'exploitation était exclusif. Puis, en 1992, elle est revenue sur cette position en admettant que l'intérêt d'un tiers puisse être également conforme à l'intérêt de l'entreprise1. Dès lors, les juges ont eu pour mission de veiller à ce que la contrepartie accordée au tiers n'excède pas celle accordée à l'exploitation. Enfin, la jurisprudence du Conseil d'État relative aux groupes de société est venue rompre cet élargissement apparent : l'appartenance à un même groupe ne suffit pas à caractériser l'intérêt social2. Ainsi, un abandon de créance doit apporter une contrepartie à la société qui le consent sans qu'elle puisse se cacher derrière l'identité du bénéficiaire3.

    Face à ces constats, de nombreuses voix s'élèvent pour substituer à la notion d'intérêt social celles d'usage et d'égalité4. Cependant, si cette solution a le mérite de fonder la normalité sur un socle moins mobile, elle élude un peu trop facilement l'élément intentionnel de l'auteur de l'acte.

    B. Une utilisation partiale de l'intérêt social

    1) L'utilisation orientée d'une notion large

    a) Les deux orientations divergentes données par le droit fiscal et le droit pénal

    La notion d'intérêt social est la véritable matrice commune de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social. Pourtant, elle est entendue différemment suivant qu'elle est utilisée par un juge fiscal ou un juge pénal. Pour le juge fiscal, l'intérêt social est nécessairement économique et il se matérialise par une perte financière. Peu lui importe que l'acte soit illicite comme nous le verrons en seconde partie. Il n'entend pas porter de jugement moral. Pour le juge pénal en revanche, l'intérêt social est beaucoup plus large et vise aussi bien l'atteinte patrimoniale que l'atteinte morale à l'intérêt de la société.

    1 CE, Musel SBP et Bruner, 10 juillet 1992, req. n° 110213 et n° 110214

    2 Cf. infra sur l'intérêt de groupe p. 46 et s.

    3 CE, SA Rocadis, 26 septembre 2001, req. n° 219.825, Dr. Fisc. 2002, n° 24, comm. 490, concl. BACHELIER

    4 SERLOOTEN (P.), Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l'encadrement de la liberté, Dr. Fisc. 2007, n° 12, p. 11 : « la référence serait alors constituée par les usages de la profession ou les usages de contribuables placés dans des situations comparables »

    Ce constat est intéressant à deux égards : d'une part, il témoigne du caractère protéiforme de la notion qui possède plusieurs versants. L'intérêt social n'est pas figé et ne se limite pas seulement à son aspect économique. Si ceci est le cas pour le droit fiscal c'est uniquement en raison de la particularité de sa matière. D'autre part, cette divergence d'orientation met en évidence les conceptions foncièrement différentes du droit fiscal et du droit pénal et surtout l'autonomie de la première par rapport à la seconde.

    Pourtant, il est difficile sur le plan théorique de justifier qu'une seule et même notion soit utilisée de deux façons différentes dans un même cas. Cette utilisation partiale d'une seule et même notion qui permet aux juges d'éluder les éléments de la définition qui ne les satisfont pas, apparait étonnante d'un point de vue théorique.

    b) L'orientation essentiellement morale du droit pénal

    Dès l'apparition de la notion d'abus de bien social au début du XXème siècle, le législateur n'a pas caché son intention de moraliser le monde des affaires : le ratio legis de la loi de 1935 était la protection de l'intérêt social1 contre les abus des dirigeants sociaux. L'origine essentiellement politique du délit a conduit à une utilisation de la notion d'intérêt social qui visait à permettre de sanctionner un comportement considéré comme bien plus grave que le simple abus de confiance. Pour se convaincre de la dimension symbolique du délit d'abus de bien social, il suffit de se référer à une très ancienne jurisprudence, apparue quelques mois avant le délit d'abus de bien social, qui rend en quelque sorte « imprescriptible » le délit2. Cette décision fait débuter le délai de prescription de trois ans au jour où le délit est découvert et non au jour où il est commis (comme cela est habituellement prévu par les articles 7 à 9 CPP)3. Cette position audacieuse des juges trouve sa justification dans la nature même du délit qui est souvent clandestin. La volonté de la jurisprudence est claire : éviter que ne se retrouvent impunis les dirigeants indélicats qui ont réussi à dissimuler leurs agissements.

    Dès lors, l'intérêt social est volontairement utilisé comme un outil répressif qui permet, non pas de délimiter le « normal » et « l'anormal » comme c'est le cas en droit fiscal, mais de caractériser le délit.

    La théorie de l'acte anormal de gestion en particulier et le droit fiscal en général rejette
    clairement cette morale. Pour comprendre cette différence fondamentale entre l'acte anormal de

    1 MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 348

    2 Crim. 4 janvier 1935, Gaz. Pal. 1935.1, p. 353

    3 Cette position contra legem est toutefois à nuancer puisqu'elle n'est applicable que lorsque le délit a été dissimulé. Si ce n'est pas le cas, de point de départ du délai est fixé au jour de la présentation des comptes annuels.

    gestion et l'abus de bien social, il faut se pencher sur la mission première de l'administration fiscale qui est d'imposer les entreprises conformément à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et non de poursuivre les auteurs de délits.

    Dans les deux cas, l'aspect vaporeux de l'intérêt social conduit à une insécurité juridique qui contrevient tout particulièrement à l'exigence de légalité des peines imposées par le droit pénal et qui nécessite des remèdes.

    2) Propositions et remèdes à l'insécurité juridique découlant de la notion a) Le recours aux notions d'usage et d'égalité pour l'acte anormal de gestion

    Nombreux sont les auteurs qui considèrent l'intérêt social comme inapproprié. En effet, ces fiscalistes notent que cette notion est un outil insuffisant pour fonder une théorie aussi majeure que l'acte anormal de gestion1. Les reproches s'orientent tous vers le caractère incertain de cet outil et de son « emploi aléatoire » par la jurisprudence. Presque totalement livrée à l'empirisme, ce qui constitue le socle de la théorie de l'acte anormal de gestion apparait dangereux pour la sécurité juridique du contribuable et risque ainsi de mettre à mal l'équilibre fiscal. Leur souhait est de voir le juge fiscal utiliser d'autres notions beaucoup moins fluctuantes pour définir l'anormalité d'une gestion.

    Ainsi, ils souhaitent que le juge fiscal reviennent à la définition originaire de la normalité : « caractère de ce qui est conforme au type le plus fréquent, qui se produit selon l'habitude »2. Un acte serait anormal que s'il est contraire à un « usage de la profession ou d'usage des contribuables placés dans des situations comparables »3. L'avantage d'un tel outil de mesure serait de permettre un examen objectif de la gestion de l'entreprise beaucoup plus respectueuse de l'équité fiscale et loin de toute considération morale. Toutefois, l'absence de base légale ou jurisprudentielle nourrit une part d'aléa qui laisse une porte ouverte aux dérives généralisées des dirigeants4.

    1 COLLET (M.), Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l'anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 538 : « Affirmer que l'acte anormal de gestion est l'acte contraire à l'intérêt de l'entreprise n'est pas suffisant. La mise en oeuvre du critère de l'intérêt de l'exploitation oblige le juge à envisager de multiples combinaisons d'intérêts, et s'avèrent donc beaucoup plus ardue qu'il n'y paraît de prime abord ».

    2 Le Robert, dictionnaire de la langue française, 2008

    3 COLLET (M.), Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l'anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 538

    4 Par exemple, si un usage contraire à l'intérêt social venait à se généraliser parmi les chefs d'entreprise, ce comportement ne pourrait être sanctionné alors même qu'il nuit au Trésor Public.

    b) Les propositions législatives en droit pénal des affaires

    Aujourd'hui, la charge émotionnelle des années 1930 est retombée et la réponse répressive qu'est l'abus de bien social apparait excessive aux yeux de certains acteurs1. La réforme de l'abus de bien social est limitée puisque l'article 22 de la Convention de Mérida (Convention des Nations Unies contre la corruption) oblige en effet la France à sanctionner un tel comportement2. Une réforme de l'abus de bien social notamment s'agissant du critère de la contrariété à l'intérêt social apparait délicate, si ce n'est impossible. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que diverses commissions chargées de réformer le droit pénal des affaires n'ont guère pu modifier un quelconque élément matériel du délit d'abus de bien social.

    Très récemment, l'ancienne garde des Sceaux, Mme Rachida Dati, a confié à une commission le soin « de limiter le risque pénal des entreprises et d'envisager des modes de régulation plus adaptés à la vie économique »3. A l'issue de leurs travaux, la doctrine a pu constater qu'aucun élément matériel de l'abus de bien social ne fut modifié et qu'au contraire, cette incrimination fut considérée comme le noyau dur du droit pénal des affaires français. Toutefois, deux remises en cause ont été mises en relief, l'une concernant le délai de prescription, le rapport précise : « Si la justice veut être à la hauteur de ses valeurs et de son propre concept, il lui faut trouver un principe global et modéré, qui consacre des délais plus longs, mais insusceptibles de variation aux cas d'espèce »4. L'autre bémol concerne la notion d'intérêt social, le rapport se positionne contre l'extension continue du délit d'abus de bien social due au caractère nécessairement subjectif de « l'intérêt social »5.

    Premier président honoraire de la Cour d'appel de Paris, Jean-Marie Coulon n'a pas permis de mettre fin au délit d'abus de bien social et s'est montré beaucoup plus timoré que son prédécesseur, le député Marini, chargé de moderniser le droit des sociétés en 19966.

    1 Tels que Mme Annie Médina qui s'est exprimé lors du colloque sur l'abus de biens sociaux, organisé en 2003 : « La notion d'usage contraire à l'intérêt social est trop floue et n'a pas sa place dans un texte pénal ».

    2 Article 22 : « Chaque État Partie envisage d'adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale, lorsque l'acte a été commis intentionnellement dans le cadre d'activités économiques, financières ou commerciales, à la soustraction par une personne qui dirige une entité du secteur privé ou travaille pour une telle entité, en quelque qualité que ce soit, de tous biens, de tous fonds ou valeurs privés ou de toute autre chose de valeur qui lui ont été remis à raison de ses fonctions ».

    3 Rapport de la Commission Coulon, Documentation Française, 2008, p. 2

    4 Cf. Infra, p. 83

    5 Rapport Coulon, 2008, Documentation Française, p. 39 : « Toujours selon certains, la notion d'« intérêt social » ne peut être définie in abstracto, et est à rapprocher des notions génériques permettant une appréciation au cas d'espèce par le juge, tel que la notion d'intérêt de l'enfant, ou la gestion de bon père de famille.

    Cette extension du périmètre de l'abus de biens sociaux a également été due à la difficulté de caractériser d'autres comportements, tels que la corruption. Une modification de cette incrimination pourrait ainsi permettre à l'abus de biens sociaux de retrouver sa fonction initiale ».

    6 Cf. Infra, p. 33

    II. Les carences de la notion d'intérêt social

    En dépit des controverses entourant son utilisation, l'intérêt social est une notion qui continue d'être appliquée. Pourtant, les critiques doctrinales se fondent sur des carences biens réelles tant théoriques que pratiques (A.) qui ont pour conséquences de nuire à la sécurité juridique des justiciables. La solution alternative de la Corporate Governance qui considère que l'intérêt des actionnaires transcende l'intérêt social apparait pertinente à beaucoup d'acteurs économiques (B.)

    A. Les limites de l'utilisation de l'intérêt social

    1) Les limites théoriques

    a) Le principe de non-immixtion en droit fiscal des affaires

    En donnant la possibilité à l'administration fiscale d'écarter des décisions de gestion en se fondant sur leur contrariété à l'intérêt social, les juges ont entendu doter les services fiscaux d'armes contre les excès. Pourtant, cette théorie n'est pas un blanc-seing accordé à l'administration fiscale qui est tenue de ménager un autre grand principe de la fiscalité des entreprises : le principe de sa non-immixtion dans la gestion de l'entreprise1.

    Pourtant, loin de se sentir limitée par ce principe, la jurisprudence n'a pas hésité à empiéter sur ce terrain en admettant qu'un simple risque excessif pour l'entreprise puisse être considéré comme anormal2. L'audace de cette position contrevient très clairement au principe de liberté de gestion du chef d'entreprise et cet empiètement nourrit l'incohérence générée par le critère de « l'intérêt de l'entreprise ». En effet, la notion d'intérêt social s'en trouve élargie et amputée de l'élément intentionnel qui la distinguait de l'erreur de gestion.

    Le risque, qui était jusqu'alors considéré comme une erreur de gestion, devient un acte anormal de gestion. Cette évolution fragilise le principe de liberté de gestion et rend la théorie de l'acte anormal de gestion instable. L'abus de bien social connait ce même problème alors même que la loi impose la légalité des peines pénales.

    1 CE, 3 décembre 1975, req. n° 89412 : Dr. Fisc. 1976, comm. p. 467 : l'administration fiscale ne peut pas critiquer une décision de gestion de l'entreprise.

    2 CE 17 octobre 1990 Loiseau, req. n° 83.310, ANNEXE n° 1

    b) Le principe de légalité des délits et des peines en droit pénal

    Selon l'article 111-3 CP : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi »1. Cet article a deux conséquences : d'une part le principe de la nonrétroactivité des lois pénales plus sévères et d'autre part, l'interprétation stricte de la loi pénale qui interdit au juge d'étendre une incrimination à des faits non prévus par le législateur. Ce dernier point signifie que la jurisprudence ne peut pas étendre un délit à des faits ne réunissant par tous les éléments constitutifs prévus par la loi.

    Les éléments constitutifs du délit d'abus de bien social sont clairement définis par les articles L. 241-3 à 242-6 C.com. Or, les juges se montrent parfois très laxistes avec l'exigence du dol spécial (le dirigeant doit en effet abuser des biens de la société « à des fins personnelles »). Cette bienveillance s'explique aisément par la volonté de moraliser le monde des affaires mais ne respecte pas parfaitement l'exigence de légalité des peines. Certains auteurs s'interrogent finalement sur la pertinence de ce dol spécial qu'ils jugent « superfétatoire »2. L'éventuelle disparition du dol spécial aurait pour avantage de mettre le droit en conformité avec le principe de légalité des peines mais également de rapprocher l'abus de bien social de l'acte anormal de gestion qui n'exige pas un tel élément.

    Malgré l'incohérence à laquelle l'exigence d'un tel élément aboutit, les différentes réformes n'ont pas conduit à son éviction des éléments constitutifs du délit.

    2) Les limites pratiques

    a) La notion d'erreur de gestion et l'acte anormal de gestion L'intégration de la notion de risque dans le domaine de l'acte anormal de gestion a abouti à élargir le domaine d'application de la théorie de l'acte anormal de gestion. Étudier à la lumière de la notion d'intérêt social, ce « transfert » conduit à deux interrogations : d'une part, que devient l'élément intentionnel, principal signe distinctif entre l'acte anormal de gestion et l'erreur de gestion ? D'autre part, est-il permis de penser que la frontière entre les deux notions est devenue si floue qu'elle n'est plus pertinente ?

    1 Article 111-3 CP : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou pour le règlement si l'infraction est une contravention »

    2 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., p. 378 : « L'examen de toutes ces décisions conduit à s'interroger sur la rationalité de l'exigence d'un dol spécial pour l'abus de biens sociaux. Tout mobile étant pris en considération, cela ne revient-il pas en définitive au caractère superfétatoire du dol spécial et de ce fait à un rapprochement inattendu avec l'abus de confiance ».

    L'erreur correspond à une écriture comptable erronée, effectuée de manière involontaire ce qui l'exclut d'emblée de la catégorie des décisions qui sont nécessairement volontaires1. Pour différencier les deux notions, l'administration fiscale examine si l'auteur de l'acte a entendu agir dans l'intérêt de la société, en d'autres termes, elle procède à un examen de la « bonne foi » du chef d'entreprise.

    Or, depuis 1990, le risque excessif pris par un chef d'entreprise est devenu un acte anormal de gestion. Cette évolution est née du besoin de ne pas laisser s'échapper des pertes financières mais apparait bancale du point de vue théorique. En effet, le risque excessif est certes souvent le fruit de la gestion fantaisiste d'un chef d'entreprise déraisonnable, mais rien ne prouve son intention d'agir à l'encontre de l'intérêt social. Une fois encore, la jurisprudence utilise le critère de la contrariété à l'intérêt sociale de façon cavalière : l'accompagnant dans un premier temps d'un élément intentionnel, elle s'accommode depuis 1990 de l'absence de mauvaise foi du chef d'entreprise.

    b) La confusion d'intérêts

    Aussi bien dans la théorie de l'acte anormal de gestion que dans le délit d'abus de bien social, la principale difficulté réside dans un conflit d'intérêts : intérêt de la société et intérêt du dirigeant ou des tiers2. Il s'agit de protéger l'intérêt de la société face aux intérêts considérés comme « nécessairement » divergents et nuisibles des autres membres de l'entreprise ou des tiers.

    Cette dissociation entre ces différents intérêts constitue un postulat dans l'une et l'autre des notions. Pourtant, elle n'est pas forcément vraie et ne tient pas compte des « combinaisons » d'intérêts que peuvent constituer certains actes.

    Citons un exemple : un dirigeant peut être amené à acheter des vêtements de luxe pour lui et son épouse afin de maintenir un certain « prestige » non pas dans son intérêt, mais pour celui de la société. Ces achats pourront être vus comme des actes anormaux de gestion si l'administration fiscale les juge excessifs. Mais ils pourront également faire l'objet d'une condamnation pour abus de bien social.

    1 DAVID (C.), FOUQUET (O.) et PLAGNET (B.), Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Fiscale, DALLOZ, 2003, 4ème éd., p. 569

    2 L'intérêt au profit du dirigeant social est un des éléments constitutifs du délit d'abus de bien social.

    Cette dissociation basée sur la suspicion envers les dirigeants et actionnaires apparait extrême1 et conduit à nous interroger sur la possibilité d'une autre issue qui restaure une certaine confiance : la corporate governance. Le sénateur Marini, auteur du rapport du même nom écrivait à ce propos : « (...) l'on peut se demander si l'intérêt social, censé transcender les intérêts des actionnaires, n'est pas devenu l'alibi d'un nouveau despotisme éclairé »2.

    B. L'alternative de la « corporate governance »

    1) La définition

    a) Réorganisation du pouvoir dans les entreprises : composante essentielle

    La Corporate Governance est habituellement traduite en français par la « gouvernance d'entreprise » et désigne une nouvelle forme d'organisation du contrôle et du pouvoir au sein des entreprises qui met l'accent sur l'implication active des actionnaires. Le besoin d'un rééquilibrage s'est d'abord fait sentir dans les pays anglo-saxons dans les années 1990 à la suite du scandale « ENRON », mettant en scène un conseil d'administration ayant abusé de son indépendance3. Ces scandales financiers ont eu pour conséquence non pas d'alourdir le système répressif mais de réinstaurer une confiance entre actionnaires et dirigeants sociaux en impliquant les premiers dans le système décisionnaire et en limitant les frénésies spéculatives des seconds. A la répression « externe » (judiciaire), les systèmes anglo-saxons privilégient la répression « interne » (actionnaires).

    Cette réorganisation encourage la transparence et l'octroi de nouvelles prérogatives aux actionnaires qui sont chargés de seconder les décisions des dirigeants et non plus seulement de les contrôler.

    Cette nouvelle vision de la direction d'entreprise a donné lieu à plusieurs « codes de conduite » au Royaume-Uni notamment4 et à une loi aux Etats-Unis en 20025. Elle a vite été considérée comme un moyen de sauver l'économie de marché contre l'opacité du système. La Corporate Governance a commencé à intéresser les entreprises françaises dès les années 1990.

    1 Il s'agit d'une spécificité française selon MM. Richard et Miellet : MIELLET (D.) et RICHARD (B.), La dynamique du gouvernement d'entreprise, 2003, Ed. D'organisation

    2 Rapport Marini sur la modernisation du droit des sociétés, p. 13

    3 MIELLET (D.) et RICHARD (B.), La dynamique du gouvernement d'entreprise, 2003, Ed. D'organisation, p. 3 : selon les auteurs, le scandale ENRON est en partie du à une « multiplication des conflits d'intérêt entre les administrateurs et la société »

    4 Code of best practices de Sir Adrian Cadbury en 1992

    5 Corporate Accountability Act du 30 juillet 2002, dite « Loi Sarbannes-Oxley »

    b) La Corporate Governance à l'épreuve du système français

    Le modèle français issue de la loi du 24 juillet 1966 se fonde sur une vision institutionnaliste de la société : cette dernière est une véritable personne qui possède des intérêts propres, différents de ceux des actionnaires ou des dirigeants. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l'occasion de réaffirmer à maintes reprises la dissociation entre intérêts des actionnaires et intérêt social1. Seul l'intérêt de la société importe et le délit d'abus de bien social entend protéger les intérêts de l'entreprise à l'exclusion de tout autre. Dès lors, le système « institutionnaliste » français considère que les intérêts des actionnaires ne peuvent être contraires aux intérêts des associés, mais se garde bien de définir clairement quels sont les intérêts de la société.

    Or, la Corporate Governance insiste sur la combinaison d'intérêts : l'intérêt des actionnaires est le même que celui de la société qui y ont investi leur argent, leur temps et leur confiance. Cette conception n'est pas sans rappeler la théorie de la société-contrat2 que la loi de 1966 est venue remettre en cause. De ce fait, la Corporate Governance entend privilégier la régulation interne de la société et écarter l'implication du législateur dans les affaires sociales. Au lieu de porter plainte pour abus de bien social, les actionnaires sont invités à intervenir directement dans l'organe décisionnaire de la société. Le délit deviendrait en quelque sorte un problème de gestion interne au même titre que l'acte anormal de gestion.

    Cette approche typiquement anglo-saxonne a vite semblé difficilement applicable aux entreprises françaises, pourtant, des commissions ont subrepticement amené les débats en pointant du doigt l'incohérence de l'intérêt social.

    2) Le régime à la lumière de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social

    a) Les percées de la Corporate Governance en France

    Deux Commissions se sont penchées sur la modernisation de la vie des affaires et ont eu
    l'occasion de s'intéresser à la notion d'intérêt social. La première d'entre elles est la Commission
    Viénot I de 1995 : elle admet qu'un rôle actif doit être donné aux actionnaires mais insiste sur le

    1 Crim. 5 novembre 1963, Bull. Crim. n° 307 ; D. 1964, p. 52 : la justification prise de l'accord des actionnaires concernant l'acte litigieux est inopérante. Application récente : Crim. 22 septembre 2004, Dr. Pén. 2004, comm. 177, obs. J.-H. Robert

    2 Cf. Infra, p. 23

    fait que leurs intérêts sont différents de ceux de la société1. Un an plus tard, la Commission Marini sur la modernisation du droit des sociétés va plus loin. S'appuyant sur l'obsolescence de la loi de 1966 et de la conception « société-institution », elle fustige clairement l'utilisation de la notion d'intérêt social dans la vie des affaires2 et milite pour une réforme sur ce point.

    Ces deux rapports n'ont pas abouti à une réhabilitation de la « société-contrat » et ceci principalement en raison de l'importance que revêt en France la répression judiciaire des délits commis par les dirigeants. Définir l'intérêt de la société par rapport aux intérêts des actionnaires reviendrait à ignorer les autres acteurs s'impliquant malgré eux dans la vie de l'entreprise : administrateurs, salariés, dirigeants et Fisc.

    b) Les avantages et les inconvénients d'une régulation interne de la société

    Du point de vue de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social, le principal avantage d'une telle conception serait de définir l'intérêt de la société. La nécessité d'une définition se fait âprement sentir tant en droit fiscal qu'en droit pénal et conduit à une insécurité juridique. De plus, définir l'intérêt de la société par rapport aux intérêts des actionnaires aurait pour conséquence d'assouplir la gestion de la société voire même de diminuer le contentieux puisque les actionnaires auront un regard sur la prise de décision.

    Les inconvénients de la Corporate Governance sont les mêmes que ceux reprochés à la conception « société-contrat » : considérer l'entreprise comme une succession de contrats est réducteur puisqu'est ignoré le caractère d'ordre public du délit d'abus de bien social. Par ailleurs, une réorganisation de la gouvernance n'aboutira pas nécessairement à la résolution des problèmes propres à la théorie de l'acte anormal de gestion qui relève d'une matière totalement

    1 Rapport Viénot 1, 1995, Documentation Française, p. 5 : « L'intérêt social peut ainsi se définir comme l'intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c'est-à-dire de l'entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun, qui est d'assurer la prospérité et la continuité de l'entreprise. Le Comité considère que l'action des administrateurs doit être inspirée par le seul souci de l'intérêt de la société concernée. »

    2 Rapport Marini 1996, Documentation Française, p.13 : « La loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales a trente ans. Elle privilégie une approche institutionnelle dans laquelle la société est porteuse d'un intérêt social distinct de celui des associés. Elle comporte de ce fait une forte proportion de règles d'ordre public sanctionnées par un arsenal répressif très développé. Le cadre qui en résulte est certes garant de la sécurité juridique, mais il est également particulièrement rigide. Aujourd'hui, les impératifs de l'ouverture internationale et la nécessité pour nos entreprises d'évoluer dans un cadre juridique compétitif appellent à une remise en question de ce modèle afin de laisser plus de place à la liberté contractuelle. Une telle démarche apparaît d'autant plus nécessaire que l'on peut se demander si l'intérêt social, censé transcender les intérêts des actionnaires, n'est pas devenu l'alibi d'un nouveau " despotisme éclairé ". »

    autonome. Certains ajouteront qu'une telle conception de l'intérêt social aboutrait à une crainte pour l'administration fiscale : voir les actionnaires agir contrairement à l'intérêt du Trésor Public.

    « L'administration des sociétés expose leurs dirigeants à certaines tentations auxquelles la pratique démontre qu'il n'est pas rare qu'ils succombent »1. Cette réalité constitue le coeur du problème qui nécessite d'assainir la gestion des sociétés.

    La théorie de l'acte anormal de gestion et le délit d'abus de bien social sont liés par la recherche d'un même objectif : la préservation de l'intérêt social soit pour protéger la société elle-même contre ses dirigeants, soit pour protéger l'administration fiscale contre les évasions financières excessives. Véritable socle commun des deux notions, l'intérêt supérieur de la société est présent dans les deux définitions et en constitue un des éléments essentiels. Pour autant, ce point d'ancrage est fragilisée par la nature protéiforme de l'intérêt social et par l'absence de définition précise qui rendent difficile une théorisation de son utilisation. Les lacunes de cette notion qui constitue l'unique point commun entre acte anormal de gestion et abus de bien social militent pour une définition législative de l'intérêt social ou une substitution de la notion.

    Ces lacunes nous conduisent à penser que l'intérêt social est une base fragile et insatisfaisante. Ces difficultés se trouvent accentuées par les dissensions propres aux matières pénale et fiscale qui consomment la rupture entre acte anormal de gestion et abus de bien social.

    1 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, 2006, Dalloz, p. 368

    2ème partie

    L'irrémédiable dissension entre les visions fiscaliste et

    pénaliste de l'intérêt social

    L'intérêt social constitue donc le principal point d'ancrage de la théorie de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social. Comme nous avons pu le constater, ce point d'ancrage ne dispose pas de définition ce qui en fait une notion fragile voire dangereuse pour la solidité de la théorie de l'acte anormal de gestion et d'abus de bien social.

    Le caractère intrinsèquement fragile et polymorphe de la notion d'intérêt social (pouvant à la fois être vu sous un angle « économique » ou sous un angle « moral ») conduit nécessairement à un risque de divergences entre acte anormal de gestion et abus de bien social. Ce risque est en réalité bien concret puisque ces incompréhensions de départ concernant l'intérêt social sont accentuées par les dissensions originaires entre les matières fiscale et pénale.

    En raison de l'absence de définition de l'intérêt social, les principales sources sont jurisprudentielles. Elles nous montrent que dans une même situation, le juge fiscal et le juge pénal ne concluront pas à la même solution et ce, en raison d'une appréciation divergente de l'intérêt que peut représenter l'acte pour la société. Cette discordance trouve son origine dans le réalisme du droit fiscal qui contraste avec le moraliste pénal (Section 1). Mais le domaine où les différences sont les plus palpables reste la sanction infligée : là où le juge fiscal tente de corriger une anormalité, le juge pénal punit un comportement (Section 2).

    Section 1 : Une appréciation discordante de l'intérêt social : le réalisme du droit fiscal face au moralisme du droit pénal

    La protection de l'intérêt social est fondamentale, tant dans la théorie de l'acte anormal de gestion que dans le délit d'abus de bien social. Pourtant, cette protection ne recouvre pas la même réalité suivant qu'elle est vue par le juge fiscal ou suivant son appréciation par le juge pénal. Les raisons de cette dissonance sont à rechercher au-delà des simples notions étudiées, elles sont le fruit d'une incompréhension beaucoup plus profonde entre le droit fiscal et la matière pénale. Là où le fiscaliste ne recherche que l'intérêt financier d'une entreprise, le pénaliste ne peut faire fi de la dimension morale de l'intérêt social. C'est pour cette raison que

    face à un acte illicite (I.) et face à un groupe de société (II.), les solutions divergent et prouvent encore une fois que l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social ne sont pas des notions symétriques.

    I. Illicéité et intérêt social : la conception amorale du droit fiscal

    Si la mission du juge répressif est de départager le licite et l'illicite conformément à la loi, le juge fiscal ne s'embarrasse guère de moralisme. L'adage si cher aux civilistes « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »1 ne rencontre que de lointains échos en droit fiscal. Il s'agit donc de l'une des principales sources d'incompréhension entre l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social (A.) qui conduit une appréciation différente de mêmes faits. (B.)

    A. Illicéité et intérêt social : les raisons de l'incompréhension
    1) L'approche exclusivement comptable de l'anormalité
    a) Les scrupules du juge fiscal

    La dure réalité du monde des affaires peut conduire certains dirigeants à user de méthodes interdites par la loi non pas à des fins personnelles mais pour l'intérêt de leur société. Ces dépenses sont à la fois illicites et bénéfiques pour la société (et pour l'administration fiscale). Le juge fiscal s'est donc retrouvé face à un dilemme : un acte illicite est-il nécessairement anormal (et donc, devant être écarté de la déduction) ? A travers cette question, deux visions s'opposent : la vision gestionnaire et la vision moraliste, à l'imperturbable réalisme de la première s'oppose les scrupules moraux de la seconde.

    Longtemps, le juge fiscal s'est laissé tenter par la conception moraliste, refusant systématiquement de déduire les dépenses conformes à l'intérêt social, mais contraires à la loi. L'illustration la plus probante de ce courant moraliste est l'arrêt rendu par le Conseil d'État du 10 décembre 19692, un chef d'entreprise offrait divers cadeaux aux gestionnaires de collectivités territoriales dans le but d'obtenir des marchés. Cette méthode efficace était motivée par l'intérêt de la société mais s'apparentait à de la corruption de fonctionnaire. Voulant déduire ces dépenses, le chef d'entreprise s'est vu opposer un refus de l'administration fiscale justement en raison du caractère illicite de ces « cadeaux ». Le Conseil d'État confirma cet arrêt : les dépenses ne furent pas déduites du bénéfice et furent imposées par l'administration fiscale.

    Cette position est restée inchangée tout au long des années 1970 et jusqu'au début des années
    1980. L'administration fiscale refusait par exemple de déduire les amendes pénales infligées au
    dirigeant3 ou les charges financières résultant d'une clause d'indexation illicite4. Ce courant fut

    1 « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » : Nul n'est recevable à invoquer sa propre turpitude

    2 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 10 décembre 1969, req. n° 73973 : Dr. Fisc. 1970, n° 50, comm. 1429, concl. SCHMELTZ. Encore d'actualité aujourd'hui car on estime que le paiement de ces amendes est le fruit d'une gestion anormale. Le dirigeant peut toutefois apporter la preuve du contraire.

    3 Rép. Min. n° 27181 à M. Braconnier, JO déb. Sénat 14 décembre 1978, p. 4740

    4 CE, 7ème, 8ème et 9ème sous-sect., 8 mai 1981, req. n° 8294 : Dr. Fisc. 1981, n° 29, comm. 1477, concl. VERNY

    fortement critiqué par la doctrine1 et le commissaire du gouvernement Léger ne manqua pas d'affirmer : « Cette conception, qui fait de toute illicéité un acte de gestion anormale et qui doit être celle du juge pénal comme elle l'est du confesseur, doit-elle être celle du juge fiscal ? Nous ne le pensons pas »2.

    b) La conception gestionnaire du juge fiscal

    L'année 1983 constitue un tournant puisqu'elle marque la fin du courant moraliste au profit du courant réaliste : l'illicéité d'un acte ne le rend plus automatiquement anormal à condition qu'il ait été réalisé dans l'intérêt de l'entreprise. Une affaire jugée le 11 juillet 19833 est venue mettre un terme à la jurisprudence de 1969 : un épicier, afin d'attirer la clientèle, usait de procédés publicitaires réprimés par la loi (en l'occurrence la vente avec prime). Les services fiscaux lui refusèrent la déduction fiscale des dépenses occasionnées par ces techniques illicites au motif qu'elles seraient contraires à une loi de 1951.

    Cet arrêt a été l'occasion pour le Conseil d'État d'opérer un revirement important : bien que les dépenses opérées fussent illicites sur le plan juridique, elles sont déductibles dès lors qu'elles ne sont pas contraires à l'intérêt social. Cette nouvelle position fut initiée par le commissaire du gouvernement, qui mit en exergue trois incohérences dans ses conclusions4 : d'une part, le maintien d'un moralisme affaiblit la notion d'intérêt social puisqu'un acte illicite peut être conforme à celui-ci. D'autre part, le pouvoir donné à l'administration fiscale de juger du licite ou de l'illicite est excessif et n'appartient qu'au juge pénal. Enfin, M. Léger estime que cette nondéductibilité des dépenses illicites aboutit à sanctionner injustement le chef d'entreprise alors même qu'aucun texte ne le prévoit.

    Le courant réaliste l'emporte et avec lui la conception strictement gestionnaire et économique de la mission des services fiscaux. Ce réalisme fiscal est incompris du juge pénal dont la principale mission est de sanctionner les comportements contraires à la loi.

    1 COZIAN (M.), Illicéité et normalité, Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1837 : « Toute cette jurisprudence, d'inspiration moralisatrice, est très critiquable ; si une dépense ou une perte est subie dans le cadre de la gestion d'une entreprise il faut en admettre la déduction, à moins qu'un texte ne l'interdise de façon expresse ».

    2 Sous CE, 7ème et 9 ème sous-sect., 11 juillet 1983, req. n° 33942 : Dr. Fisc. 1984, n° 16 comm. 813, concl. LEGER

    3 Cf. Supra, note n° 2

    4 Cf. Supra, Concl. LEGER, p. 39

    2) L'approche fortement morale de l'abus de bien social

    a) Un acte illicite ne peut pas être fait dans l'intérêt social pour le juge pénal

    Il est difficilement admissible pour le juge pénal, qu'un dirigeant commette une infraction dans
    l'intérêt de la société. L'essence répressive de sa mission s'oppose à une vision strictement
    économiste de la gestion du dirigeant : « tout acte contraire au droit pénal - qu'il expose ou non la

    personne morale à des sanctions pénales - ne peut qu'aller à l'encontre de l'intérêt d'une sociétéqui ne saurait prospérer en marge de la loi »1. L'assertion peut paraitre abrupte, mais elle apparait

    en cohérence avec le rôle répressif du juge pénal qui ne peut « ignorer » l'illicite au nom de l'intérêt économique de la société. Il faut se rappeler que le juge pénal accorde une attention quasiment exclusive à l'aspect moral de l'intérêt social. Peu lui importe l'aspect économique qui relève du juge fiscal. Cet aspect est méconnu du droit fiscal qui admet parfaitement que des actes illicites puissent être imposés ou déduits et qui refuse de voir au-delà de l'aspect strictement financier.

    Le moralisme du droit pénal conduit donc à une position différente du droit fiscal : un acte illicite ne peut être considéré comme conforme à l'intérêt social. Cette affirmation qui semble pourtant évidente, a donné lieu à de nombreuses péripéties jurisprudentielles dans les années 1990 au cours desquelles, les juges de la chambre criminelles furent tentés par l'approche réaliste du droit fiscal. Est-ce à dire que le droit fiscal est à l'origine de cette « tentation » du réalisme ? Il n'est pas exagéré de le penser.

    b) La tentation du réalisme

    Deux types d'actes illicites commis par les dirigeants de société sont récurrents : la corruption active et la constitution de « caisse noire ». Ces comportements réprimés par la loi peuvent être considérés comme relevant d'une gestion normale par le droit fiscal à condition qu'ils ne soient pas contraires à l'intérêt social. Le juge pénal fut tenté d'adopter la même position « amorale », ce qui donna lieu à une série d'hésitations jurisprudentielles en trois étapes.

    Dans un premier temps, la chambre criminelle considéra que la corruption commise par le
    dirigeant constituait automatiquement un usage abusif. La position choqua beaucoup de
    commentateurs qui reprochaient à l'arrêt son « ton péremptoire »2, son absence d'explications,

    1 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., p. 374

    2 DALMASSO (Th.), L'arrêt Carignon : retour à la rigueur ?, PA.1997, n° 146, p. 32

    allant même jusqu'à qualifier la décision de « dévoiement » du délit d'abus de bien social1. Il apparaissait en effet étonnant aux yeux de ces auteurs que le juge pénal puisse considérer qu'un acte illicite est nécessairement contraire à l'intérêt social, alors même que la corruption peut avoir pour but la sauvegarde de la société. La ligne de conduite controversée des juges fut abandonnée quatre années plus tard par un arrêt dit « Rosemain »2 dont la formulation laissait penser que l'utilisation d'une caisse noire à des fins sociales n'était pas forcément constitutive d'un abus de bien social. Ce revirement de jurisprudence reçu un accueil positif3 par les auteurs qui se réjouissaient de cette audace. Cette position fut réaffirmée dans un arrêt « Mouillot-Noir » de 19974. Ainsi, la Cour de cassation cesse de soumettre l'acte illicite à une présomption irréfragable de contrariété à l'intérêt social et admet qu'une opération, même contraire à la loi, puisse avoir été réalisée conformément à l'intérêt social.

    Cette jurisprudence si proche de la position fiscale posait quelques problèmes « éthiques ». Comment justifier qu'un juge pénal, dont la principale mission est de sanctionner les actes non conformes à la loi, puisse admettre l'idée d'un délit bénéfique pour l'entreprise. Cette incohérence a pris fin avec un arrêt du 27 octobre 1997 « Carignon »5. Dans cette décision, la chambre criminelle revient à la jurisprudence « Carpaye » de façon claire6. Elle met ainsi un terme à sa période amorale et s'éloigne de la position prise par le Conseil d'Etat.

    B. L'illustration

    1) Un acte illicite est nécessairement abusif

    a) Les conséquences du revirement : intervention du juge pénal concernant la gestion immorale

    L'épopée prétorienne de la chambre criminelle nous amène à constater le rôle ambigu de la
    notion d'intérêt social dont la Cour a tant peiné à trouver l'orientation : tantôt morale, tantôt
    économique. L'issue de ces rebondissements montre le caractère irrémédiablement moral de

    1 BOULOC (B.), RJ Com, 1995.301. M. Bouloc reproche également à cet arrêt de confondre « intérêt social » et « objet social »

    2 Crim. 11 janvier 1996, Bull. Crim. n° 21, ANNEXE n° 2 : « S'il n'est pas justifié qu'ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte par un dirigeant social l'ont nécessairement été dans un intérêt personnel » ; Ceci signifie que, certes, le juge pénal impose une présomption de dol spécial mais celle-ci n'est pas irréfragable.

    3 BOULOC (B.), Rev. Soc. 1996, p. 586 ; ROBERT (J.-H.), Dr. Pén. 1996, p. 108

    4 Crim. 6 février 1997, Bull. Crim. n° 48

    5 Crim. 27 octobre 1997 « Carignon », ANNEXE n° 3

    6 Supra : « «Quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l'intérêt social, en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ».

    l'intérêt social tel que compris par le juge pénal. La tentation du réalisme fiscal fut de courte durée en raison des rôles totalement différents des juges pénaux et fiscaux : si le premier a pour mission de faire respecter l'ordre au sein de l'État, le second ne doit se soucier que de la protection de ses intérêts financiers. Le juge pénal a pour mission de réprimer tous les actes socialement dangereux, prévus par le législateur. Admettre, même de manière accessoire, qu'un acte illicite est partiellement bénéfique pour la société contrevient à son rôle.

    En effet, le rôle du juge pénal, résolument plus contraignant que celui du juge fiscal, se retrouve davantage limité par la décision « Carignon » qui refuse finalement de protéger l'intérêt économique de la société peut-être parce qu'elle risque d'être en contradiction avec l'ordre public dont la juridiction répressive est la gardienne.

    Si la position est la même qu'en 1992, elle offre plus d'explications : l'acte illicite ne peut être conforme à l'intérêt social « en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ». On constate que la Cour se garde bien de définir l'intérêt social et par un habile raisonnement revient à la « jurisprudence des risques excessifs » pour déclarer l'acte illicite contraire à l'intérêt social1.

    b) Un abus de bien social n'est pas nécessairement anormal

    L'arrêt « Carignon » évoque à l'appui de son raisonnement, les risques de « sanctions pénales ou fiscales » découlant d'un acte illicite. Comme le fait justement remarquer M. Bouloc, les conséquences fiscales sont inexistantes pour la société2 au regard de la jurisprudence du Conseil d'État datant de 19833. L'argument de la Cour est donc inapproprié et il aurait été plus compréhensible d'affirmer que tout acte illicite est nécessairement contraire à l'intérêt social en raison du caractère d'ordre public de la matière pénale.

    Dès lors, il s'agit ici d'une des situations dans laquelle un même acte est constitutif d'un abus de
    bien social sans relever d'une gestion anormale pour le juge fiscal4. Un dirigeant s'étant rendu
    coupable de corruption active sera poursuivie sur le plan de l'abus de bien social (dont

    1 Si un acte illicite est nécessairement contraire à l'intérêt social c'est non pas en raison du caractère immoral du comportement qui contrevient à l'ordre public, mais c'est en raison des risques excessifs que de tels agissements font peser sur l'entreprise.

    2 BOULOC (B.), Confirmation sur le recel d'abus de bien sociaux ; retour à 1997 sur l'acte contraire à l'intérêt social, Rev. Soc. 1997, p. 869 : « Quoi qu'il en soit, les arguments invoqués ne sont pas imparables. En effet, la sanction fiscale qui serait sans doute celle de l'acte anormal de gestion ne parait pas vraisemblable compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'État sur ce point ».

    3 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 11 juillet 1983, cf. supra

    4 COZIAN (M.), Illicéité et normalité, Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1837

    l'établissement sera d'autant plus facilité que pèsera une présomption d'intérêt personnel) mais pourra déduire les dépenses engagées au titre des articles 38 et 39 CGI. Cette asymétrie cache en filigrane la dissemblance manifeste entre les missions du juge pénal et celles du juge fiscal. A l'appui de l'indépendance du juge fiscal, le principe d'autonomie du droit fiscal vient théoriser ces différences.

    Afin de saisir cette dissension, citons un arrêt du Conseil d'État en date du 5 décembre 19831 qui admet à titre de principe la déduction de telles dépenses : « Considérant que l'Administration ne conteste ni qu'il était de l'intérêt de la société X, notamment afin de mieux assurer la sécurité de ses approvisionnements, de consentir à une personne désignée par son fournisseur une soulte en sus du prix d'achat apparemment fixé, ni que le prix pratiqué, majoré du montant de la soulte, ait été anormalement élevé ».

    2) Un acte illicite n'est pas nécessairement anormal

    a) L'autonomie du droit fiscal et le principe d'indépendance des législations

    La question de l'illicéité des actes déductibles fait resurgir une question plus large, celle de savoir si le juge fiscal est véritablement lié par les qualifications du droit pénal. Il s'agit de savoir dans quelle mesure le délit d'abus de bien social peut influencer la décision de l'administration fiscale qui se prononcera sur la déductibilité des dépenses engendrées pour commettre le délit. S'il est évident que l'administration fiscale se doit de tenir compte des décisions judiciaires et du droit commun, les arrêts du juge fiscal s'écartent parfois du chemin tracé par les juges civils ou administratifs.

    La spécificité du droit fiscal est parfois critiquée par certains auteurs, notamment Maurice Cozian2 qui reprochait aux principes d'autonomie et de réalisme du droit fiscal d'être des concepts vides, n'ayant jamais été sérieusement démontrés et ne servant que de conclusions à des auteurs peu inspirés3. Ces principes laissent en effet penser -à tort- que le droit fiscal possède une sorte de pouvoir exorbitant lui permettant de requalifier des délits, des décisions judiciaires ou des statuts juridiques. Or, l'autonomie du droit fiscal ne correspond pas à ce schéma caricatural et repose en

    1 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 5 décembre 1983, req. n° 35697 : Dr. Fisc. 1984, n° 14, comm. 695 ; RJF 2/84, p. 62

    2 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 3, Document 1 « Propos désobligeants sur une « tarte à la crème » : l'autonomie et le réalisme du droit fiscal.

    3 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, cf. Supra, note n° 2, « Lorsque, tant bien que mal, les spécialistes décortiquent les mécanismes de cette législation touffue et que, voulant faire les savants, ils avancent une explication théorique, c'est trop souvent pour invoquer l'autonomie et le réalisme du droit fiscal. Une « tarte à la crème » que le Petit Robert définit comme « une formule vide et prétentieuse par laquelle on prétend avoir réponse à tout » ».

    réalité sur une interprétation autonome, indépendante et réaliste de faits ou actes juridiques, à la lumière de l'intérêt économique de l'État. La législation fiscale tient uniquement compte de la réalité juridique telle qu'elle est et non telle qu'elle aurait du être.

    L'autonomie du droit fiscal est donc un concept qui consacre une autre vision des situations juridiques qui se trouve davantage accentuée par le principe d'autonomie des législations.

    b) Illustrations jurisprudentielles

    L'autonomie du droit fiscal est donc pleinement visible à l'étude comparative de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social. Plusieurs jurisprudences illustrent l'autonomie du droit fiscal par rapport au droit pénal concernant ce qu'il faut entendre par « atteinte à l'intérêt social ».

    Dans l'arrêt « Philippe » de 20001, un chef d'entreprise entendait déduire de son bénéfice le montant des condamnations pour recel et escroquerie. L'administration fiscale contesta ces déductions et redressa le contribuable arguant de l'anormalité de ces dépenses. Cette position fut confirmée par la Cour administrative d'appel de Nantes qui considéra que ces condamnations étaient la conséquence des risques manifestement excessifs que le dirigeant avait fait supporter à son entreprise. Le Conseil d'État censura la décision des juges nantais pour erreur de droit aux motifs que « ne relèvent pas nécessairement d'une gestion anormale tous les actes ou opérations que l'exploitant décide de faire en n'ignorant pas qu'il expose ainsi l'entreprise au risque de devoir supporter certaines charges et dépenses ».

    Cette décision qui s'inscrit pourtant dans la droite ligne de celle de 1983 (à la seule différence qu'elle s'applique aux frais résultant d'une condamnation) rencontre encore de violentes critiques de la part de commentateurs qui reproche au Conseil d'État sa position juridiquement immorale. Ainsi, Mme Florence Deboissy reproche au Conseil d'État2 de n'avoir pas pris en considération l'argument des « risques manifestement excessifs pour l'exploitation » avancé par les juges d'appel. L'auteur va plus loin, puisqu'elle prône l'application à l'acte anormal de gestion de la jurisprudence de la chambre criminelle sur l'abus de biens social3 : « Ceci démontre à l'évidence que l'intérêt de l'entreprise ne saurait procéder d'une approche purement mercantile et que

    1 CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RJF 2000, n°162, p. 114. Notons qu'une décision a été rendue par le Conseil d'État, le même jour (CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Jean-François) concernant une amende prononcée par le Conseil de la concurrence. Elle a opté pour un refus de déductibilité car non conforme à l'intérêt social. Mme Deboissy approuve : « la licéité est une composante nécessaire à l'intérêt de l'entreprise », il en va de la cohérence de la « politique juridique étatique » (DEBOISSY (F.), obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise Jean-François, RTDCom.2000, p. 757)

    2 DEBOISSY (F.), obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RTDCom.2000, p. 760

    3 Cf. Supra, note n° 2

    poursuivre dans cette voie mène au non-sens juridique. De toutes les façons, même si l'on réduit l'intérêt de l'entreprise à une dimension exclusivement financière, ce qui est encore une fois inadmissible juridiquement, il est évident que la commission d'infractions telles que le recel et l'escroquerie obèrent lourdement la continuité de l'exploitation »1. La mésentente entre acte anormal de gestion et abus de bien social se rencontre également dans un autre domaine : celui de l'intérêt de groupe.

    II. Sociétés de groupe et intérêt social : la conception objective du

    droit fiscal

    L'aide financière entre deux sociétés constitue le second point de discorde significatif entre la théorie de l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social. Pour le droit pénal, une telle opération est tout à fait admissible et n'est nullement constitutive d'un abus de bien social. En revanche, pour les services fiscaux, l'aide apportée à une autre société est présumée être anormale. Les raisons de cette incompréhension résultent d'une approche différente du solidarisme inter-entreprise qui met encore une fois en exergue l'absence de définition de l'intérêt social (A.). Ces clivages apparaissent davantage flagrants lorsqu'elles sont illustrées d'exemples jurisprudentiels (B.).

    A. L'intérêt de groupe : les raisons de l'incompréhension

    1) L'approche strictement économique de l'intérêt social en droit fiscal

    a) L'aide financière aux sociétés soeurs constitue un acte anormal de gestion

    Le droit fiscal se montre particulièrement exigeant et se situe à contre-courant de la position pénaliste : l'aide financière entre sociétés est par principe et jusqu'à preuve du contraire, un acte anormal de gestion. Autrement dit, lorsqu'une entreprise en aide une autre qui appartient à un même groupe, elle commet un acte contraire à son intérêt social2 sauf si elle démontre un intérêt commercial. Il était déjà admis que l'aide apportée à une autre société, sans aucun lien juridique,

    1 DEBOISSY (F.), Obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise Jean-François, RTDCom.2000, p. 758

    2 Pour une application récente ; CE, 1er mars 2004, req. n° 237013, SA Représentation, Dr. Fisc. 2004, n° 37, comm. 669, concl. GOULARD

    ne pouvait que s'apparenter à une gestion anormale1. Cette solution apparait logique au regard de la conception strictement économique de l'administration fiscale. Comme le faisait remarquer Maurice Cozian : « une entreprise n'est pas une oeuvre de bienfaisance ; sa mission est de réaliser des profits non de faire la charité »2. En revanche, lorsque les sociétés font parti d'un même groupe, cette même position semble excessive pour ne pas dire inappropriée au regard des réalités économiques.

    En effet, si l'on s'en tient à l'habituelle approche strictement économique propre au droit fiscal, les désagréments rencontrés par une société se répercuteront nécessairement, à moyen ou long terme sur sa société-soeur. De plus et comme le fait remarquer un auteur, l'intérêt social d'une filiale ne peut se concevoir pleinement sans tenir compte de l'intérêt du groupe dans lequel elle est intégrée3. Le réalisme du droit fiscal montre ici ses limites puisque cette réalité économique n'est pas prise en compte4.

    Un début de changement s'est néanmoins fait sentir à l'initiative de la Cour administrative d'appel de Paris dans un arrêt en date du 10 décembre 20045 : « c'est au regard de l'intérêt du groupe intégré [...] que doit être apprécié le caractère normal de l'acte de gestion en cause ». Cette solution n'a pas été reprise par le Conseil d'État qui étend même cette jurisprudence à l'aide apportée par une filiale à sa société-mère. A l'inverse, l'aide apportée par une société-mère à une filiale n'est pas considérée comme anormale.

    b) L'aide financière d'une société mère à sa filiale ne constitue pas un acte anormal de gestion

    L'aide financière d'une société à sa filiale en difficulté constitue une réalité économique que le droit fiscal a décidé de prendre en considération. Au-delà de la théorie de l'acte anormal de gestion, le code général des impôts prévoit à son article 223 A, la possibilité pour une sociétémère d'intégrer les déclarations fiscales de ses filiales dans sa propre imposition. Autrement dit, la société-mère peut acquitter le paiement de l'impôt de sa filiale. Cette faculté accordée aux sociétés-mères explique en partie la bienveillance de l'administration fiscale. Pour autant, il ne

    1 Sauf à prouver un acte conforme à l'intérêt social

    2 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 243

    3 LEGENDRE (A.), Plaidoyer pour la reconnaissance en droit fiscal de l'existence d'une part, non détachable de l'intérêt du groupe auquel elle appartient, de l'intérêt propre d'une société, Dr. Fisc. 2006, n° 11, p. 606

    4 A noter toutefois que malgré le refus des tribunaux, les entreprises invoquent souvent deux types de justification pour obtenir la déductibilité d'une aide à une autre société du même groupe : la sauvegarde de leur propre pérennité juridique (souvent rejeté) et la sauvegarde leur propre pérennité économique (parfois admise).

    5 CAA Paris, 10 décembre 2004, n° 00-36

    faut pas s'y tromper : le juge fiscal n'admet aucunement l'existence d'un intérêt de groupe mais tient uniquement compte de l'intérêt propre de la société-mère. L'intérêt financier de telles opérations motive la solution apportée par le Conseil d'État.

    Cette solution est étendue aux sous-filiales en difficulté (les filiales des filiales) pour les mêmes raisons. Il a été ainsi jugé qu'une telle aide ne constituait pas un acte anormal de gestion puisque cette opération visait à sauvegarder l'intérêt de la sous-filiale1.

    Face à cette rigueur fiscaliste, le droit pénal se montre particulièrement bienveillant et tranche encore une fois avec une solution paradoxalement basée sur l'intérêt économique.

    2) L'approche fortement subjective de l'intérêt social en droit pénal des affaires

    a) L'admission d'un intérêt de groupe

    Le droit pénal se montre paradoxalement beaucoup plus réaliste que le droit fiscal lorsque les abus ont lieu au sein d'un groupe de sociétés. Les juges de la chambre criminelle reconnaissent en effet un fait justificatif tiré de l'intérêt de groupe. Il convient de rappeler à titre liminaire que l'abus de bien social a pour mission de sanctionner les comportements des dirigeants sociaux, pillant des biens de la société à leur profit. Cet éclairage permet de resserrer le questionnement sur l'hypothèse d'un dirigeant utilisant les biens de la société pour aider une seconde société qu'il possède ou dont il est actionnaire. Contrairement au droit fiscal qui n'y voit qu'un acte anormal de gestion, sauf exceptions, le droit pénal fait preuve de beaucoup plus de subtilités.

    Tout comme pour l'acte anormal de gestion, le premier pas vers l'admission d'un intérêt de groupe a très tôt été franchi par des juges du fond, en l'occurrence le tribunal correctionnel de Paris. Dans cette affaire « Willot »2, les juges ont admis que l'existence d'un intérêt de groupe puisse assouplir le régime de l'abus de biens social. Cette souplesse est néanmoins limitée à la réunion de trois conditions : d'une part les sociétés doivent faire partie d'un groupement économique ; d'autre part, les sacrifices de la société doivent avoir été réalisés dans l'intérêt du groupe ; enfin, ces sacrifices ne doivent pas avoir fait peser des risques trop lourds sur la société.

    1 CE, 10 mars 2006 : Dr. Fisc. 2006, n° 21-22, comm. 414, concl. SENERS

    2 Trib. Corr. Paris 16 mai 1974, Rev. Soc. 1975, 665, note B.O. ; D. 1975, 37

    Contrairement à son homologue fiscaliste, les juges de la Cour de cassation décidèrent de poursuivre dans cette voie et officialisèrent l'existence de la notion d'intérêt de groupe en 1985, dans un arrêt « Rozenblum »1.

    b) Les conséquences de l'admission d'un intérêt de groupe

    L'arrêt « Rozenblum » est la décision de principe qui admet donc l'existence d'un intérêt de groupe dans l'intérêt social, susceptible d'assouplir les règles d'application du délit d'abus de bien social. La chambre criminelle considère donc que l'intérêt d'une société donnée est lui-même constitué -en partie- de l'intérêt du groupe dans lequel il est intégré. Cette conception repose sur des considérations économiques mais pas exclusivement puisque se dessine en filigrane l'admission d'une solidarité de groupe, là où le droit fiscal est régi par un « égoïsme sacré »2. Ce solidarisme est empreint de considérations morales : pourquoi poursuivre un dirigeant qui aide financièrement une filiale ou une société soeur sur le point de s'écrouler ?

    Pour autant, l'utilisation des biens de la société au profit d'une société du même groupe n'immunise pas automatiquement le dirigeant qui en est l'auteur. On peut le comprendre aisément puisque qu'il suffirait pour un dirigeant indélicat d'intégrer au sein du groupe sa propre société (fictive ou non), arguer de difficultés financières et détourner l'argent de la société en toute impunité. Pour ces raisons, la jurisprudence pénale a tenu à entourer cette justification de conditions cumulatives inspirées de l'arrêt « Willot ». Les sociétés concernées doivent appartenir au même groupement économique et le flux financier doit être interne au groupe ; ensuite, il doit effectivement exister un intérêt de groupe commun ; par ailleurs, le concours financier doit apporter une contrepartie à la société et ne doit pas excéder ses capacités.

    Tous ces éléments aboutissent donc à limiter cette justification mais l'existence de cette distorsion conduit à des situations asymétriques entre le juge fiscal et le juge pénal. L'illustration de cas jurisprudentiels permet de mettre en lumière cette incompréhension.

    B. L'illustration de la conception morale 1) Le cas des abandons de créance3

    a) La vision stricte du droit fiscal

    1 Crim.4 février 1985, Bull. Crim. n° 54 ; D. 1985, 478, note OHL; JCP 1986.II.20585, note JEANDIDIER

    2 TUROT (J.), Avantages consentis entre sociétés d'un groupe multinational, RJF 1989, chron. p. 263

    3 L'abandon de créance est la situation dans laquelle une société va renoncer à une créance qu'elle détient au profit d'une autre société. Cette situation n'est a priori pas conforme à l'intérêt social lorsqu'elle est réalisée sans contrepartie.

    Sauf lorsqu'elle est réalisée par une société-mère au profit de sa filiale en difficulté ou lorsqu'elle est justifiée par l'intérêt social, l'abandon de créance est un acte anormal de gestion. Maurice Cozian rangeait ces deux exceptions en deux catégories1. La première qu'il qualifiait d'abandon de créance présentant un caractère commercial renvoyait à l'hypothèse d'aide financière entre deux partenaires commerciaux2 que la jurisprudence fiscale admet aisément même s'ils sont indépendants juridiquement l'un de l'autre. La seconde catégorie est celle des abandons de créance présentant un caractère financier qui renvoie aux groupes de sociétés. Les aides financières entre sociétés soeurs sont des actes anormaux de gestion comme un arrêt Leclerc a pu le rappeler3.

    Les magasins Leclerc avait mis en place une règle de solidarité entre les différents magasins. Ainsi, lorsqu'un nouveau commerçant intégrait le réseau Leclerc, il était parrainé par un autre commerçant Leclerc. En l'espèce, ce nouvel adhérent Leclerc rencontrait quelques difficultés financières qui furent résolues par l'apport financier du « parrain ». Ce dernier souhaitait déduire fiscalement ces sommes qu'il a « données » au nouvel adhérent, mais le Fisc le lui refusa arguant de l'absence de relations commerciales. Il s'agissait ici de savoir si le Conseil d'État allait reconnaitre cette solidarité contractuellement prévue. Elle confirma la décision de la Cour d'appel, écartant ici encore l'idée d'intérêt de groupe ou de solidarité intra-groupe.

    b) La vision souple du droit pénal

    La vision pénaliste est résolument plus souple en ce qu'elle prend en considération l'intérêt du groupe dans son ensemble, intérêt de groupe qu'elle estime nécessairement rattaché à l'intérêt social propre de la société. Pour autant, les conditions imposées par la jurisprudence limitent les cas admissibles d'abandons de créances réalisés par des dirigeants.

    Tout d'abord, les abandons de créances réalisées par les dirigeants sociaux doivent bénéficier à des sociétés intégrées dans le groupe. Dans le cas contraire, l'abus de bien social est constitué si ces sommes bénéficient à des sociétés au sein desquelles les dirigeants ont des intérêts4. D'autre part, ces abandons de créances, ces aides financières doivent fournir des contreparties à la société débitrice. Les abandons de créance faisant peser plus de risques sur la société débitrice que sur la société bénéficiaire peuvent être constitutifs d'abus de bien social s'ils sont commis par

    1 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 241

    2 CE, 8ème et 9ème sous-sect., 9 octobre 1991, Laboratoires Goupil : laboratoire qui avait aidé financièrement une filiale étrangère.

    3 CE, 26 septembre 2001 : Dr. Fisc. 2002, n° 24, comm. 490, concl. BACHELIER

    4 Crim. 25 octobre 2006

    un dirigeant à des fins personnelles1. Autre cas : celui d'une société intégrée au sein d'un groupe mais de façon fictive, sans intégration dans la politique commune du groupe. Tel est le cas lorsque « aucune politique n'est décidée en conseil d'administration ou en assemblée générale »2.

    Ces limitations jurisprudentielles constituent un rempart contre l'utilisation de cet intérêt de groupe pour commettre des abus de biens sociaux et permet de conserver une éthique. Cette éthique se retrouve également au sujet de la question épineuse des rémunérations excessives mêmes si le sujet ne s'inscrit pas toujours dans le cadre d'un groupe.

    2) Le cas des rémunérations excessives versées aux dirigeants a) Un cas particulier

    Le thème des rémunérations et avantages excessifs est récurrent et nourrit de nombreux contentieux. S'il apparait normal qu'un dirigeant social soit rétribué pour le travail accompli, certaines rémunérations ou certains avantages excèdent ce que la société peut financièrement offrir aux dirigeants. La particularité du sujet réside d'une part dans le fait qu'il s'agisse d'un problème d'actualité et d'autre part que ces sommes ou avantages sont à la fois constitutifs d'un acte anormal de gestion et d'un abus de bien social.

    L'article 39-1-1° CGI dispose « Les rémunérations ne sont pas admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu ». Cette disposition du code général des impôts condamne directement le versement excessif de rémunérations. De son côté, le code pénal ne fait pas clairement référence aux rémunérations excessives, ni aux avantages en nature.

    La vision du droit fiscal et du droit pénal est la même et permet de constater qu'en dépit d'une approche différente de l'intérêt social, certaines situations reçoivent une compréhension strictement identiques. Cette particularité tranche avec les dissensions rencontrées tant concernant l'illicéité des actes ou les groupes de sociétés et s'explique par le caractère à la fois économique et moral de l'atteinte causée par les rémunérations excessives.

    1 Crim. 20 mars 2007 : un dirigeant social a fait régler les factures de la société dans laquelle il était intéressé par la société débitrice

    2 Crim. 8 aout 1995

    b) Les regards croisés du droit fiscal et du droit pénal

    Les rémunérations excessives concernent principalement les dirigeants sociaux (d'où cette symétrie parfaite entre le droit fiscal et le droit pénal). Dès lors, sont considérées comme excessives par le droit fiscal, toutes les dépenses qui excèdent les capacités financières de la société1. Ces dépenses ne seront pas déductibles et seront réintégrées dans le bénéfice de la société. Le droit pénal quant à lui, considère que ces dépenses « manifestement excessives »2 sont constitutives d'un abus de bien social. La preuve est aisée à apporter puisque par définition, ces rémunérations sont directement versées aux dirigeants à des fins personnelles (dol spécial).

    Le droit pénal distingue deux cas : le premier est l'hypothèse dans laquelle un dirigeant s'est octroyé des rémunérations excessives sans l'accord du conseil d'administration. Dans ce cas, l'abus de bien social ne fait aucun doute3. En revanche, lorsque les rémunérations ont été décidées par le conseil d'administration, le problème est plus délicat puisque le dirigeant ne s'est pas lui-même octroyé les biens de la société. En dépit des critiques de la doctrine4, la chambre criminelle ajoute une seconde condition empruntée au droit fiscal : il ne faut pas que ces rémunérations décidées par le conseil d'administration soit excessives par rapport aux possibilités financières de la société5, ni dénuées de contreparties.

    Les solutions apportées aux actes anormaux de gestion et aux abus de biens sociaux sont divergentes et aboutissent parfois à des situations contradictoires qui nuisent à la cohérence d'ensemble du droit.

    1 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 247

    2 Crim. 22 septembre 2004 : Rev. Soc. 2005, p. 45, note BARBIERI

    3 Crim. 26 juin 1978, Bull. Crim. N° 212

    4 Notamment : BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 12

    5 Crim. 9 mai 1973, Bull. Crim. n° 216

    Section 2 : Une divergence de solution devant l'atteinte à l'intérêt social : l'approche financière du droit fiscal face à l'approche punitive du droit pénal

    Les solutions apportées à l'atteinte sont nombreuses et diverses. Cette diversité s'explique par les buts respectivement différents suivis par les juges fiscaux et pénaux. La recherche de l'atteinte se traduit pour les services fiscaux par une souplesse étonnante alors qu'elle apparait très stricte pour les juridictions pénales (I.). Par ailleurs, les sanctions infligées ont une dimension presque exclusivement punitives pour l'abus de bien social et ne sont que rectificatives en droit fiscal (II.)

    I. La recherche de l'atteinte à l'intérêt social

    Tant en ce qui concerne l'acte anormal de gestion que pour l'abus de bien social, l'auteur de l'acte litigieux bénéficie d'une présomption de bonne foi. Celle-ci peut être brisée si sont découverts des éléments de nature à remettre en cause la sincérité ou la légalité de l'acte (A.), auquel cas, il appartient à l'administration fiscale et aux services judiciaires de prouver leurs allégations (B.).

    A. La découverte de l'atteinte à l'intérêt social

    1) La constatation d'une irrégularité de gestion

    a) La constatation fiscale par le vérificateur fiscal

    La théorie de l'acte anormal de gestion ne concerne que l'imposition du bénéfice et les impôts sur les sociétés sont déclaratifs, c'est-à-dire établis d'après la déclaration du contribuable. A ce titre, cette déclaration bénéficie d'une présomption de sincérité et d'exactitude, à charge pour l'administration fiscale d'apporter la preuve d'une irrégularité. Deux cas de figure se présentent alors : soit le contribuable a rempli ses obligations déclaratives et dans cette hypothèse, si l'administration fiscale estime que certains de ses éléments sont inexacts, elle doit engager une procédure de rectification contradictoire. Soit le contribuable n'a pas rempli son obligation déclarative, et dans ce cas, si à l'issue d'une mise en demeure de l'administration1 il ne s'en acquitte pas, son bénéfice fera l'objet d'une taxation d'office2.

    L'inexactitude est susceptible de résulter d'anomalies, d'incohérences ou du montant excessif de
    certaines dépenses, ce qui motivera l'administration fiscale pour enclencher une procédure de

    1 Mise en demeure avec un délai de 30 jours

    2 Art. L. 65 et s. LPF

    vérification fiscale1. Les services fiscaux adressent au contribuable une demande d'éclaircissement et de justification qui satisferont l'administration fiscale ou au contraire le conforteront dans son idée première.

    Enfin, en dépit du fait que la constatation d'un acte anormal de gestion est une question de droit, la commission départementale des impôts peut être appelée à se prononcer sur la matérialité ou l'appréciation des faits invoqués par l'administration (questions de faits). Elle n'est en principe pas compétente pour se prononcer sur la qualification des faits mais l'est exceptionnellement en matière d'actes anormaux de gestion. Son rôle s'étend donc jusqu'à apprécier si un acte est conforme à l'intérêt social ou s'il lui est contraire.

    b) La constatation d'un abus de bien social

    Les services fiscaux sont donc en position privilégiée pour constater l'existence d'irrégularités fiscales voire pénales, mais ils ne sont pas les seuls : les commissaires aux comptes, les actionnaires, les dirigeants peuvent également porter à la connaissance du procureur de la République des faits délictueux. Le procureur est en effet à l'initiative des poursuites pénales, il décide des suites à donner aux faits qui lui sont soumis en se plaçant au jour de leur commission pour apprécier la réunion des éléments constitutifs du délit et en veillant à ce que les faits ne soient pas prescrits. Il peut également faire procéder à une enquête de flagrance2.

    A la différence de l'acte anormal de gestion, la société n'est jamais mise en cause en tant que personne morale. L'abus de bien social est commis directement ou indirectement par les dirigeants de fait ou de droit de celle-ci. Le magistrat peut également poursuivre les complices et les recéleurs3.

    2) Les conséquences de la constatation

    a) Plusieurs cas de figure

    L'administration fiscale non satisfaite des éclaircissements du contribuable peut procéder à des vérifications de comptabilité sur place. Cette étape permettra aux services fiscaux de différencier la simple erreur comptable de l'acte anormal de gestion. Elle ne peut porter que sur les trois derniers exercices clos mais peut remonter au-delà (jusqu'à six ans) en cas d'activités occultes tel

    1 Art. 10 et s. LPF

    2 Art. 53 CPP

    3 Les personnes ayant bénéficié des biens utilisés frauduleusement, en connaissance de cause, peuvent être poursuivis. Le profit peut se matérialiser par des cadeaux, des voyages d'agréments ou des avantages divers (Crim. 29 avril 1996, Bull. Crim. n° 174)

    qu'un atelier clandestin. Cette vérification donnera lieu à la remise d'une proposition et le contribuable pourra se faire assister d'un conseil1. Elle ne peut excéder une année, sauf en cas de découverte d'un délit où la durée de vérification peut aller jusqu'à deux ans. La vérification de comptabilité se conclut presque toujours par une rectification fiscale2 et si les faits découverts sont constitutifs d'un délit, les services fiscaux ont l'obligation d'en avertir le procureur de la République du lieu où se situe le siège social de la société vérifiée.

    Cette procédure de vérification contradictoire est à différencier de la procédure d'imposition d'office. Dans trois hypothèses, l'administration fiscale est en droit de procéder à une rectification d'office de l'imposition : lorsque le contribuable n'a pas déposé de déclarations, lorsqu'il ne répond pas à la mise en demeure lui intimant de présenter des éclaircissements ou lorsqu'il s'oppose à la rectification fiscale. Cette procédure est unilatérale mais l'administration fiscale est néanmoins tenue de présenter les méthodes lui ayant permis d'aboutir à l'imposition d'office.

    b) La mise en examen dans le cas d'un abus de bien social

    La procédure pour l'abus de bien social est différente puisque contrairement aux services fiscaux, sauf pour l'instruction, la procédure est contradictoire. De plus, il n'y a pas de durée imposée par le législateur, mais celle-ci doit rester raisonnable conformément aux exigences de la Convention Européennes des Droits de l'Homme et si les investigations du juge d'instruction excèdent deux années, le magistrat est tenu de rendre une ordonnance motivée expliquant les raisons de cette durée.

    Si à l'issue des investigations, des indices graves et concordants existent et rendent vraisemblable que le dirigeant ait pu participer à l'abus de bien social, ce dernier est mis en examen. Mais depuis 2004, il peut bénéficier du statut de témoin assisté, statut hybride entre le mise en examen et le simple témoignage : il est entendu en qualité de témoin mais ne prête pas serment, peut être confronté à la personne mise en cause et peut se faire assister d'un avocat3. Le dirigeant peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire ou être placé en détention provisoire jusqu'au procès.

    La procédure pénale est entourée de davantage de précautions en raison des conséquences particulièrement attentatoires à la liberté auxquelles elle peut aboutir. Ces précautions sont dictées par la loi mais surtout par la Convention européenne des droits de l'Homme.

    1 A noter qu'en cas de refus par le contribuable d'accueillir une procédure de vérification de comptabilité, il s'expose à une taxation d'office et à des pénalités pour l'entreprise.

    2 Connue avant la circulaire du 25 mars 2004 sous le terme « redressement fiscal »

    3 Il ne peut pas être placé en détention (art. 113-5 CPP)

    B. La preuve de l'atteinte à l'intérêt social

    1) La constitution et la charge de la preuve : autonomie des deux notions

    a) Les obligations qui incombent aux services fiscaux et judiciaires Lors de la découverte d'un acte ne semblant pas relever d'une gestion normale, l'administration doit être en mesure de prouver ses allégations puisque la charge de la preuve lui incombe sauf lorsque le contribuable refuse le dialogue. En dehors des cas où il existe un renversement de la charge de la preuve, la théorie de l'acte anormal de gestion a fait naitre des règles spécifiques en matière de preuves. Un arrêt de principe, rendu par l'assemblée plénière le 27 juillet 19841 dit « SA Renfort-Service » fixe les principes de charge de la preuve, complétés par la jurisprudence ultérieure. Par cette décision, le Conseil d'État pose le principe selon lequel l'appréciation de l'anormalité d'un acte est une question de droit et qu'il appartient à l'administration d'établir les faits qui lui ont permis de déduire l'anormalité. Elle ajoute en second lieu que pour les contribuables relevant de l'impôt sur les sociétés, la charge de la preuve dépend de la nature des écritures comptables : si l'acte s'est traduit par une écriture portant sur les charges, le fardeau de la preuve incombe au contribuable. En revanche, lorsque l'acte de gestion litigieux a été enregistré en comptabilité par une écriture sur l'actif, la preuve incombe à l'administration.

    Le droit pénal ne connait pas toutes ces évolutions jurisprudentielles puisque la matière est régie par le principe de la liberté de la preuve sous réserve de l'utilisation de moyens licites, légaux et obtenus sans provocations2.

    b) Les exceptions : présomptions et renversement de la charge de la preuve

    La matière fiscale a connu une grande atténuation de la charge de la preuve avec l'arrêt « SA Renfort ». En effet, depuis cet arrêt, lorsque les actes litigieux portent sur dettes, amortissements, provisions ou charges, le contribuable doit être en mesure de pouvoir justifier ces dépenses dans leur principe et dans leur montant. Cet arrêt n'est cependant pas isolé puisque certaines dispositions législatives attribuent la charge de la preuve et même lorsqu'il est disposé à dialoguer

    1 CE, 7ème, 8ème et 9ème sous-sect., 27 juillet 1984, SA Renfort-Service, req. n° 34588 : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596 ; RJF 1984, n° 10, p. 562, concl. RACINE

    2 Ce principe de liberté de la preuve est renforcée par l'absence de règles concernant le mode de preuve et par le principe de l'intime conviction du juge qui prévaut (art. 427, al. 1 CPP)

    avec l'administration. Conformément aux dispositions de l'article 39-1-1° CGI1, le contribuable est dans l'obligation de pouvoir justifier des frais généraux et des dépenses personnelles.

    Mais ce renversement légal est également prévu pour d'autres types de dépenses. Ainsi, l'article 39-1-2° dispose que les amortissements ne doivent pas excéder ceux généralement admis par le commerce ou l'industrie concernée2. L'article 39-1-5° CGI concerne les provisions qui ne peuvent correspondre qu'à des pertes et charges nettement précisés.

    En raison du principe de légalité des peines et des incriminations et conformément au respect de la présomption d'innocence, le droit pénal d'admet qu'une seule exception qualifiée de « présomption simple » d'abus. Il s'agit d'une part, des détournements occultes ou illicites qui sont présumés avoir été réalisés dans l'intérêt du dirigeant, à charge pour lui de prouver que ses motivations étaient toutes autres et qu'il a entendu agir dans l'intérêt de la société.

    2) L'appréciation de la mauvaise foi et des justifications de l'auteur a) Les justifications admises

    Les justifications admises pour justifier l'anormalité d'un acte ou l'abus d'un dirigeant sont volontairement restreintes. Les débordements résultant d'une gestion risquée peuvent être amenés à atténuer l'application des notions. Ainsi, en droit fiscal la bonne foi du dirigeant ayant fait peser sur son entreprise des risques excessifs peut être de nature à écarter l'acte anormal de gestion et la rectification fiscale. A condition toutefois que cette bonne foi n'ait pas été anéantie par un entêtement déraisonnable3, où qu'elle ne nuise pas excessivement à l'intérêt social.

    Dans le cadre d'un abus de bien social, les justifications tirées de la sauvegarde d'une des filiales ou d'une société-soeur est admise par la jurisprudence. La bonne foi de l'auteur de l'opération litigieuse n'est pas susceptible d'écarter l'incrimination. Enfin, la jurisprudence n'accorde a priori aucune importance à l'accord donné par les actionnaires étant entendu que le délit vise à protéger non pas l'intérêt des actionnaires mais l'intérêt de la société (qui constitue une combinaison d'intérêts, pas seulement ceux des actionnaires). De plus, « Nul ne peut autoriser une personne à commettre une infraction »4 et enfin seul le Ministère public dispose de l'opportunité des poursuites. Pourtant, l'accord des actionnaires dans le cadre d'une gestion de

    1 Art. 39-1-1° CGI : « Toutes les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu »

    2 On constate ici un des rares cas où la loi fiscal fait référence aux usages professionnels. Cf. Supra, p. 28 et s.

    3 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 27 février 1991, req. n° 69971, Cf. supra p. 18

    4 MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 122

    type Corporate Governance pourrait amener à faire évoluer la jurisprudence et conduire le juge à atténuer la peine de l'auteur.

    b) Les justifications non admises

    Les justifications non admises sont nombreuses tant dans le cadre de la théorie de l'acte anormal de gestion que dans le domaine pénal de l'abus de bien social. La méconnaissance de la loi ne peut être admise conformément à l'adage « Nul n'est censé ignorer la loi » qu'elle soit pénale ou fiscale. Si cette maxime peut apparaitre évidente, elle ne constitue pourtant pas un argument inapproprié tant les connaissances des dirigeants de petites entreprises sont limitées concernant les risques pénaux et fiscaux pesant sur leur exploitation.

    L'intérêt du groupe de société n'est pas invocable en droit fiscal, mais l'est en droit pénal1. De la même manière, les actes illicites conformes à l'intérêt social ne sont pas des justifications solides en droit pénal mais sont admises par le juge fiscal. Enfin, l'excuse tirée de la prescription est limitée : la rectification peut intervenir dans les trois ans précédents le contrôle et la prescription est triennale en matière délictuelle2. Le droit de reprise est étendu en droit fiscal en cas de fraude et est facilitée en droit pénal puisque la chambre criminelle a décidée que le point de départ de l'infraction ne débutait pas au jour de la présentation des comptes sociaux mais au jour de leur découverte lorsque les faits ont été dissimulés, même si connus par le commissaire aux comptes3.

    II. Les solutions disparates de l'atteinte à l'intérêt social

    Le sort de l'auteur de l'acte et de la société diffère là encore. Alors que l'acte anormal de gestion aura des conséquences aussi bien pour l'entreprise que pour le bénéficiaire, l'abus de bien social ne punit que le bénéficiaire des opérations délictueuses et jamais la société (A.) ; ces sanctions ont un impact différent suivant qu'elles concernent une petite structure ou une grande (B.).

    A. Les sanctions pécuniaires

    1) Les conséquences pour l'exploitation a) La rectification fiscale

    1 Cf. supra, p. 46 et s.

    2 Art. 133-4 CP

    3 Crim. 25 mars 2005

    La principale conséquence pour l'entreprise est un rappel de son impôt sur le bénéfice. La procédure de rectification fiscale aboutit à deux types d'opération des services fiscaux : soit une exclusion des charges anormales, soit une réintégration du manque à gagner sur renonciation à recettes. La première hypothèse est bien sur celle d'un acte « positif » ayant conduit l'auteur de l'acte à faire supporter à son entreprise des frais ou charges contraires à son intérêt ou lui faisant peser des risques excessifs1. Le second cas renvoie aux renonciations de créances sans contrepartie suffisante, la jurisprudence fiscale prévoie alors que le résultat imposable est rehaussé à hauteur des sommes qui auraient du être facturées.

    b) Les conséquences pratiques pour la société dans le cadre de l'abus de bien social

    Le sort de la société, victime des abus de la part d'un dirigeant, n'a pas été prévu par le législateur. En tant que personne morale, elle dispose toutefois d'une action sociale contre le dirigeant afin d'obtenir des dommages-intérêts. L'abus de bien social est un délit de fonction, qui ne met donc en cause que la responsabilité des dirigeants sociaux2 si bien que ni la négligence de la victime (la société), ni la réparation financière de la perte ne sauraient être de nature à atténuer le dédommagement3. De plus, lorsque l'abus se caractérise par un transfert de fonds ou une cession de contrat, une action en nullité peut être intentée4.

    La société lésée peut bénéficier de dommages-intérêts pour les préjudicies moraux et matériels subis. Le préjudice moral peut résulter de l'atteinte à la réputation de la société, il est matériel lorsqu'il concerne la perte des sommes détournées (complétées par les intérêts de retard qui commencent à courir au jour de l'assignation5).

    2) Les conséquences pour le bénéficiaire de l'opération

    a) La rectification fiscale en cas d'acte anormal de gestion : une double rectification

    Deux situations sont à distinguer : lorsque l'auteur de l'acte relève de l'impôt sur les sociétés,
    l'avantage consenti à une nature de revenu distribué. Ce revenu sera imposé dans la catégorie des

    1 Lorsque l'acte anormal de gestion est une prise de risque excessive, l'exclusion ne portera que sur la fraction du prix considérée comme excessive, l'exclusion ne sera donc que partielle.

    2 LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 291

    3 Crim. 28 janvier 2004, Bull. Crim. n° 18

    4 BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 24

    5 Crim. 25 octobre 2006, Bull. Crim. n° 254

    revenus de capitaux mobiliers. Lorsque l'auteur relève de l'impôt sur le revenu (souvent entreprise individuelle), il sera imposé dans la catégorie des revenus des bénéfices non commerciaux1.

    Enfin, les distributions irrégulières n'ouvrent pas droit au régime des bénéfices distribués et subira une majoration de 25%.

    b) L'engagement de la responsabilité pénale en cas d'abus de bien social

    Les conséquences pénales pour l'auteur de l'acte sont lourdes. Les peines principales prévues par les articles L. 241-3 et L. 242-6 C. com. sont de cinq années d'emprisonnement et de 375 000€ d'amende. Les peines secondaires prévoient quant à elles une peine de confiscation2. Celle-ci porte sur les biens meubles ou immeubles ayant servis à commettre l'infraction ou étant les produits du délit.

    En outre, des peines professionnelles3 sont infligées à l'encontre des auteurs d'abus de bien social qui se matérialisent en une interdiction de gérer ou administrer une société pour une durée de 10 ans, dès lors que l'auteur a été condamné à une peine d'au moins trois mois d'emprisonnement. A noter toutefois qu'en principe, il ne peut être prononcé aucune autre peine : pas de faillite personnelle, ni d'interdiction d'exercer les professions d'expert-comptable ou de commissaire aux comptes. Ces peines secondaires sont particulièrement lourdes puisque le dirigeant ne peut plus exercer sa profession (gérer une société) ce qui est davantage dommageable lorsque le condamné est un gérant d'EURL.

    B. L'impact moral et social des sanctions

    1) L'impact au sein des grandes sociétés

    Ces peines ne sont pas vécues de la même manière par les dirigeants de grandes sociétés et par les dirigeants de petites entreprises. Dans les grandes structures (exemple : SA), dotées d'un Conseil d'administration, les dirigeants indélicats sont appréhendés de manière strictement économique : leur mandat social les détache en quelque sorte de leurs fonctions et ils sont souvent rompus à la direction d'entreprise. Dès lors, lorsque sont commis des abus contraires à l'intérêt de l'entreprise, ils en ont pleinement conscience et le dissimule.

    1 CE, 9 janvier 1974, req. n° 88069

    2 Art. 131-21 CP, issu de la loi 2007-297 du 5 mars 2007

    3 L. 128-1 à L. 128-6 C. Com. issus de la loi 2005-428 du 6 mai 2005

    Les sanctions infligées (notamment l'interdiction d'exercer une activité de gestion ou de direction de société) ne sont pas vécues de manière dramatique. Cette impact n'est pas le même lorsque le dirigeant est unique et gère une société de type EURL.

    2) L'impact au sein des petites sociétés

    Ces peines ont un impact plus important lorsqu'elles sont infligées aux petites structures. Ainsi, un dirigeant d'EURL qui se voit condamner pour abus de bien social et acte anormal de gestion en raison des risques excessifs pris, subira des conséquences fatales pour son exploitation. En effet, étant le seul gérant, il devra non seulement répondre d'une rectification fiscale mais également d'une condamnation à une interdiction d'exercer sa profession. Dès lors, il sera tenu de faire gérer sa société par un tiers.

    Ces situations sont douloureuses pour les commerçants en ce qu'ils n'ont pas toujours conscience d'agir contrairement à la société. Ainsi, l'exemple d'un engagement de caution au profit d'un tiers peut apparaitre dénué de contrariété à l'intérêt social lorsque la société est prospère, pourtant, elle expose le gérant à des risques fiscaux et pénaux1. Cette incompréhension des dirigeants illustre la fracture qu'il existe entre les normes juridiques et la gestion commerciale.

    1 BUR (C.), L'acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l'entreprise, EFE, 1999, p. 192 : l'auteur utilise les termes « pérennité juridique et pérennité économique » que l'entreprise se doit de sauvegarder ».

    CONCLUSION

    « Le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social »1.

    L'étude concomitante de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social a pu mettre en évidence plusieurs éléments : d'une part, le caractère polymorphe et flou de la notion d'intérêt social qui revêt pourtant une importance particulière dans chacune des deux notions. Cette place est critiquée et critiquable en ce qu'elle fragilise les deux notions sans en enrichir le contenu. D'autre part, la protection de l'intérêt social qui constitue le point d'ancrage de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social aboutit à des applications différentes (sanctions), voire divergentes (cas des actes illicites et des groupes de sociétés).

    Il s'agit ici d'un véritable paradoxe : en dépit d'une notion fondatrice commune, d'un socle identique, alors même qu'elles entendent défendre le même intérêt, les deux notions ne sont pas symétriques. Ces dissensions, essentiellement issues des origines même des matières fiscale et pénale, aboutissent parfois à des résultats contradictoires que certains considèrent comme nuisibles pour le système juridique.

    « L'intérêt social est la boussole de la société »2 estime un auteur. Si cette affirmation apparait idéale, elle ne résiste malheureusement pas à la réalité complexe des faits et il conviendrait de définir cet intérêt social, sans pour autant vouloir en faire l'excuse systématique de toute intervention du juge dans la gestion d'une société.

    1 RACINE (P.-F.) concl. sous CE, 27 juillet 1984, SA Renfort Service : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596

    2 PIROVANO (A.), La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l'entreprise, D.1997, chron. p. 189

    BIBLIOGRAPHIE

    I. OUVRAGES

    A. OUVRAGES GENERAUX

    AMBROISE-CASTEROT (C.),

    - Droit pénal spécial et des affaires, LEXTENSO Ed., Coll. Gualino, 2008, 639 p.

    COZIAN (M.)

    - Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., 513 p. - Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., 607 p.

    COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY (F.)

    - Droit des sociétés, LITEC, 2006, 19ème éd., 673 p.

    JEANDIDIER (W.)

    - Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., 2005, 673 p.

    PELTIER (F.)

    - La Corporate Governance au secours des conseils d'administration, DUNOD, 2004, 164 p.

    RIPERT (G.) et ROBLOT (R.)

    - Traité de droit commercial, T.3, LGDJ, 1998, 910 p.

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    - Traité de droit commercial, T.3, LGDJ, 1998, 910 p.

    RICHARD (B.) et MIELLET (D.)

    - La dynamique du gouvernement d'entreprise, Ed. d'OGRANISATION, 2003, 205 p.

    SERLOOTEN (P.)

    - Droit fiscal des affaires, DALLOZ, 2009, 5ème éd., 720 p.

    B. OUVRAGES SPECIAUX

    BOULOC (B.)

    - Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, 26 p.

    BUR (C.)

    - L'acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l'entreprise, EFE, 1999, 486 p.

    COZIAN (M.)

    - La théorie de l'acte anormal de gestion, Rép. Def. 1994, n° 10, 673 p.

    DAVID (C.), FOUQUET (O.) et PLAGNET (B.)

    - Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Fiscale, DALLOZ, 2003, 4ème éd., 1085 p.

    JOLY (E.) et JOLY-BAUMGARTNER (C.)

    - L'abus de biens sociaux à l'épreuve de la pratique, ECONOMICA, 2002, 492 p.

    MEDINA (A.)

    - Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, 354 p.

    MINISTERE DE LA JUSTICE

    - Annuaire statistique de la Justice, éd. 2008, 373 p.

    TROTABAS (L.)

    - Essai sur le droit fiscal, in Revue de science et de législation financière, 1928, p. 201

    II. MEMOIRES ET THESES

    ATIBACK (A.)

    - Intérêt social et intérêt du groupe en matière d'abus commis par les dirigeants sociaux, Thèse, Paris II, 1996, 321 p.

    DEBOISSY (F.)

    - La simulation en droit fiscal, Thèse, Préface M. COZIAN, L.G.D.J., 1997, 397 p.

    DUPUIS (B.)

    - La notion d'intérêt social, Thèse, Paris XIII, 2001, 347 p.

    LAMORLETTE (Th.)

    - Actes anormaux de gestion, Thèse, ÉCONOMICA, 2ème éd., 1985, 88 p.

    III. COLLOQUE

    CREDA ESCP-EAP, sous la présidence du Doyen Michel Véron,

    - Actes du colloque « Abus de biens sociaux », 2 avril 2003

    IV. ARTICLES DE DOCTRINE

    ANJUERE (P.-A.)

    - Le bonheur est dans le prêt... sans intérêt, Nouvelles Fiscales, 1998, n° 785, p. 2

    BACHELIER (G.)

    - Charge de la preuve en matière d'acte anormal de gestion, RJF n° 8-9/1994, p. 518

    COLLET (M.)

    - Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l'anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 536

    COZIAN (M.)

    - Illicéité et normalité, Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1836

    DOBKINE (M.)

    - Réflexion itératives à propos de l'abus de biens sociaux, D.1997, p. 323

    GERSCHEL (C.)

    - Le principe de non-immixtion en droit des affaires, PA.1995, n° 104, p. 8

    GOUYET (R.)

    - Acte anormal de gestion : vers une évolution des critères d'appréciation de l'anormalité ?, PA.1998, n° 83, p. 4

    - La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4

    KORNPROBST (E.)

    - L'abandon de créance au regard de la notion d'acte anormal de gestion et les conditions de déductibilité des aides apportées par une société à ses filiales, Rev. Soc.1992, p. 542

    LEGENDRE (A.)

    - Plaidoyer pour la reconnaissance en droit fiscal de l'existence d'une part non détachable de l'intérêt du groupe auquel elle appartient, de l'intérêt propre de la société, Dr. Fisc. 2006, n° 11, p. 606

    MAÏA (J.)

    - Quelles incidences fiscales pour un abandon de créance ?, RJF 2001, n° 10, p. 799

    MARTIN (Ph.)

    - Avances sans intérêt consenties sans contrepartie, RJF 1993, n° 3, p. 183

    PIROVANO (A.)

    - La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l'entreprise, D.1997, chron. p. 189

    SCHAPIRA (J.)

    - L'intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTDCom.1971, p. 957

    SERLOOTEN (P.)

    - Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l'encadrement de la liberté, Dr. Fisc. 2007, n° 12, p. 6

    SOUSI (G.),

    - Intérêt de groupe et intérêt social, JCP.1975.11816, p. 10

    V. OBSERVATIONS ET NOTES DE JURISPRUDENCE

    BACHELIER (G.)

    - Obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise JeanFrançois, Dr. Fisc. 2000, n° 11, comm. 205

    - Obs. sous CE, 26 septembre 2001, SA Rocadis, Dr. Fisc. 2002, n° 24, comm. 490

    BOULOC (B.)

    - Note sous Crim. 20 mars 1997, Rev. Soc. 1997, p. 581

    DEBOISSY (F.)

    - Obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise JeanFrançois, RTDCom.2000, p. 757

    - Obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RTDCom.2000, p. 757

    DUCOULOUX-FAVARD (Cl.)

    - Note sous TGI Mulhouse, 25 mars 1983, D.1984, p. 285

    KORNPROBST (E.)

    - Note sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 9 octobre 1991, Laboratoires Goupil, Rev. Soc. 1992, p. 542

    PRALUS (M.)

    - Note sous Crim., 27 octobre 1997, JCP 1998.II.10017

    ROBERT (J.-H.)

    - Obs. sous Crim. 22 septembre 2004, Dr. Pén. 2004, comm. 177

    ROSSIGNOL (J.-L.)

    - Obs. sous CE, 9ème et 10ème sous-sect., 1er mars 2004, PA.2004, n° 175, p. 3

    SCHRICKE (J.-P.)

    - Note sous CE, 7ème et 9ème sous-sect., 24 avril 1981, Dr. Fisc. 1981, n° 42, comm. 1866

    VI. TEXTES OFFICIELS

    Loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales

    Rapport Coulon 2008 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/084000090/index.shtml

    Rapport Viénot II 2002 Rapport Marini 1996 Rapport Viénot I 1995

    L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

    TABLE DES MATIERES

    LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS 5

    INTRODUCTION 6

    1ère partie 11

    La préservation commune d'une notion protéiforme : l'intérêt social 11

    Section 1 : La défense analogue de l'intérêt social 11

    I.

     

    Les fondements de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social

    11

     

    A.

    Un fondement historique commun : la lutte contre l'évasion financière

    12

     
     

    1) L'origine légale de l'abus de bien social

    12

     
     

    a) L'abandon de la théorie du mandat social et de l'abus de confiance

    12

     
     

    b) La tentative de moralisation du droit des sociétés

    12

     
     
     

    2) L'origine largement prétorienne de l'acte anormal de gestion

    13

     
     

    a) Les raisons de l'élaboration de la notion : les données du problème

    13

     
     

    b) La construction prétorienne de la notion : les solutions apportées

    14

     

    B.

    Un fondement théorique commun : la préservation de l'intérêt social

    15

     
     

    1) La contrariété à l'intérêt social : unique outil de mesure de la normalité

    15

     
     

    a) Acte délibérément contraire à l'intérêt social : l'unique critère

    15

     
     

    b) La dimension subjective de des agissements

    16

     
     
     

    2) La contrariété à l'intérêt social : élément matériel du délit d'abus de bien social 16

     
     

    a) Agissement délibérément contraire à l'intérêt social : l'un des critères

    17

     
     

    b) Le domaine limité de l'abus de bien social

    17

    II.

     

    Le mécanisme de l'acte anormal de gestion à la lumière de l'abus de bien social

    18

     

    A.

    Une atteinte à l'intérêt social

    18

     
     

    1) Les objectifs de l'atteinte à l'intérêt social

    18

     
     

    a) Acte anormal de gestion : des objectifs variés

    b) Abus de bien social : une atteinte nécessairement commise à des fins

    18

     
     

    personnelles

    19

     
     

    2) Les techniques employées

    20

     
     

    a) Acte anormal de gestion : omission ou commission

    20

     
     

    b) Abus de bien social : l'atteinte est davantage morale

    21

     

    B.

    Une perte financière consécutive à cette atteinte

    21

     
     

    1) L'admission commune de la notion de « risques » pour la société

    21

     
     

    a) L'admission par le droit fiscal

    21

     
     

    b) L'admission par le droit pénal

    22

     

    2) La perception différente de la perte financière 23

    a) Acte anormal de gestion : le rôle déterminant du critère de la perte financière 23

    b) Abus de bien social : le rôle incident de la perte financière 23

    Section 2 : Le caractère central et controversé de l'intérêt social 25

    I. La compréhension de l'intérêt social 25

    A. L'impossible définition de l'intérêt social 25

    1) Une notion sujette à controverses 25

    a) Les controverses quant à la nature de l'intérêt social 25

    b) Les critiques quant à la pertinence de l'intérêt social 26

    2) Une notion en constante évolution 27

    a) Les évolutions en droit pénal 27

    b) Les évolutions en droit fiscal 28

    B. Une utilisation partiale de l'intérêt social 28

    1) L'utilisation orientée d'une notion large 28

    a) Les deux orientations divergentes données par le droit fiscal et le droit pénal 28

    b) L'orientation essentiellement morale du droit pénal 29

    2) Propositions et remèdes à l'insécurité juridique découlant de la notion 30

    a) Le recours aux notions d'usage et d'égalité pour l'acte anormal de gestion 30

    b) Les propositions législatives en droit pénal des affaires 31

    II. Les carences de la notion d'intérêt social 32

    A. Les limites de l'utilisation de l'intérêt social 32

    1) Les limites théoriques 32

    a) Le principe de non-immixtion en droit fiscal des affaires 32

    b) Le principe de légalité des délits et des peines en droit pénal 33

    2) Les limites pratiques 33

    a) La notion d'erreur de gestion et l'acte anormal de gestion 33

    b) La confusion d'intérêts 34

    B. L'alternative de la « corporate governance » 35

    1) La définition 35

    a) Réorganisation du pouvoir dans les entreprises : composante essentielle 35

    b) La Corporate Governance à l'épreuve du système français 36

    2) Le régime à la lumière de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social 36

    a) Les percées de la Corporate Governance en France 36

    b) Les avantages et les inconvénients d'une régulation interne de la société 37

    L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

    2ème partie 39

    L'irrémédiable dissension entre les visions fiscaliste et pénaliste de l'intérêt social 39

    Section 1 : Une appréciation discordante de l'intérêt social : le réalisme du droit fiscal face au moralisme du droit pénal 39

    I. Illicéité et intérêt social : la conception amorale du droit fiscal 41

     

    A.

     

    Illicéité et intérêt social : les raisons de l'incompréhension

    41

     
     

    1)

    L'approche exclusivement comptable de l'anormalité

    41

     
     
     

    a) Les scrupules du juge fiscal

    41

     
     
     

    b) La conception gestionnaire du juge fiscal

    42

     
     

    2)

    L'approche fortement morale de l'abus de bien social

    43

     
     
     

    a) Un acte illicite ne peut pas être fait dans l'intérêt social pour le juge pénal

    43

     
     
     

    b) La tentation du réalisme

    43

     

    B.

     

    L'illustration

    44

     
     

    1)

    Un acte illicite est nécessairement abusif

    a) Les conséquences du revirement : intervention du juge pénal concernant la

    44

     
     
     

    gestion immorale

    44

     
     
     

    b) Un abus de bien social n'est pas nécessairement anormal

    45

     
     

    2)

    Un acte illicite n'est pas nécessairement anormal

    46

     
     
     

    a) L'autonomie du droit fiscal et le principe d'indépendance des législations

    46

     
     
     

    b) Illustrations jurisprudentielles

    47

     

    II.

     

    Sociétés de groupe et intérêt moral : la conception objective du droit fiscal

    48

     

    A.

     

    L'intérêt de groupe : les raisons de l'incompréhension

    48

     
     

    1)

    L'approche strictement économique de l'intérêt social en droit fiscal

    48

     
     
     

    a) L'aide financière aux sociétés soeurs constitue un acte anormal de gestion

    48

     
     
     

    b) L'aide financière d'une société mère à sa filiale ne constitue pas un acte anormal

     
     
     
     

    de gestion

    49

     
     

    2)

    L'approche fortement subjective de l'intérêt social en droit pénal des affaires

    50

     
     
     

    a) L'admission d'un intérêt de groupe

    50

     
     
     

    b) Les conséquences de l'admission d'un intérêt de groupe

    51

     

    B.

     

    L'illustration de la conception morale

    51

     
     

    1)

    Le cas des abandons de créance

    51

     
     
     

    a) La vision stricte du droit fiscal

    51

     
     
     

    b) La vision souple du droit pénal

    52

     
     
     

    2)

    Le cas des rémunérations excessives versées aux dirigeants

    53

     
     
     

    a) Un cas particulier

    53

    b) Les regards croisées du droit fiscal et du droit pénal 54

    Section 2 : Une divergence de solution devant l'atteinte à l'intérêt social : l'approche financière

    du droit fiscal face à l'approche punitive du droit pénal 55

    I. La recherche de l'atteinte à l'intérêt social 55

    A. La découverte de l'atteinte à l'intérêt social 55

    1) La constatation d'une irrégularité de gestion 55

    a) La constatation fiscale par le vérificateur fiscal 55

    b) La constatation d'un abus de bien social 56

    2) Les conséquences de la constatation 56

    a) Plusieurs cas de figure 56

    b) La mise en examen dans le cas d'un abus de bien social 57

    B. La preuve de l'atteinte à l'intérêt social 58

    1) La constitution et la charge de la preuve : autonomie des deux notions 58

    a) Les obligations qui incombent aux services fiscaux et judiciaires 58

    b) Les exceptions : présomptions et renversement de la charge de la preuve 58

    2) L'appréciation de la mauvaise foi et des justifications de l'auteur 59

    a) Les justifications admises 59

    b) Les justifications non admises 60

    II. Les solutions disparates de l'atteinte à l'intérêt social 60

    A. Les sanctions pécuniaires 60

    CONCLUSION 64

    BIBLIOGRAPHIE 65

    ANNEXES

    ANNEXE n° 1

    Conseil d'Etat statuant

    au contentieux

    N° 83310

    Publié au recueil Lebon

    7 / 8 SSR

    M. Rougevin-Baville, président

    Mme Denis-Linton, rapporteur

    M. Fouquet, commissaire du gouvernement

    lecture du mercredi 17 octobre 1990

    REPUBLIQUE FRANCAISE
    AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

    (...)

    Considérant que M. X... conclut à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1977, 1978, 1979 et 1980 à raison de la réintégration dans ses revenus tirés de l'exercice de la profession de remisier en bourse, d'une part, des sommes correspondant au remboursement des pertes en capital résultant, pour ses clients, de la gestion des fonds que ceux-ci lui confiaient, d'autre part, des intérêts des emprunts contractés à l'effet de financer ces remboursements et, enfin, des primes d'assurance souscrites en vue de garantir la bonne fin de ces emprunts ;

    Considérant que les opérations contestées par l'administration s'étant traduites dans la comptabilité de l'entreprise par des écritures de charge, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que ces opérations relèvent d'une gestion anormale si le contribuable n'est pas en mesure de justifier de l'intérêt qu'elles présentaient pour son entreprise ;

    Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X... a versé à ses clients au cours des années 1977 à 1980 pour les garantir des pertes résultant de la gestion de leur portefeuille des sommes d'un montant plusieurs fois supérieur à ses recettes professionnelles sans y être tenu par contrat ; que dans ces conditions, si M. X... a pu, dans l'intérêt de son entreprise, accorder cette garantie pendant les années 1977 et 1978, en revanche, et eu égard tant à l'expérience qu'il avait progressivement acquise dans l'exercice de son activité qu'à l'importance des pertes déjà effectuées, il a, en persistant à offrir cette garantie de bonne fin, au cours des deux années suivantes, excédé manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation ; qu'ainsi l'administration établit que pour les années 1979 et 1980, les remboursements de pertes en capital, les intérêts des emprunts et les primes de la police d'assurance souscrite pour garantir ces emprunts constituent des actes étrangers à une gestion commerciale normale ; que, dès lors, M. X... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a rejeté sa demande en décharge des compléments d'impôt auxquels il a été assujetti au titre des années 1977 et 1978 respectivement pour un montant de 44 989 F et 50 101 F ;

    Article 1er : M. X... est déchargé des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1977 et 1978.

    Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne en date du 30 septembre 1986 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

    Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

    Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X... et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.

    ANNEXE n° 2

    Cour de cassation

    chambre criminelle

    Audience publique du jeudi 11 janvier 1996 N° de pourvoi: 95-81776

    Publié au bulletin Rejet

    Président : M. Le Gunehec, président

    Rapporteur : M. Schumacher., conseiller rapporteur Avocat général : M. Amiel., avocat général

    Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan., avocat(s)

    REPUBLIQUE FRANCAISE
    AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

    REJET des pourvois formés par Y... Georges, de X... de Saint-Michel Patrick, contre l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France, chambre correctionnelle, en date du 2 février 1995 qui a condamné, le premier, pour abus de biens sociaux, à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 300 000 francs d'amende et le second, pour complicité de ce délit, à 50 000 francs d'amende.

    LA COUR, (...)

    Attendu que, pour condamner pour abus de biens sociaux Georges Y..., gérant de fait de la société Berdal Touristique, ayant pour objet l'exploitation d'un hôtel, les juges relèvent que, sur ses instructions, a été constituée une caisse noire alimentée par une partie des recettes du bar et du restaurant de l'établissement ; qu'ils énoncent que les sommes ainsi soustraites de la comptabilité, d'un montant de 1 200 000 francs environ, ont servi, dans la proportion de 25 %, à rémunérer des employés non déclarés et que, faute de justification de son emploi, le surplus, prélevé par le prévenu, a été utilisé par ce dernier à des fins personnelles ;

    Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

    Qu'en effet, selon l'article 425, 4o, de la loi du 24 juillet 1966, s'il n'est pas justifié qu'ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux, prélevés de manière occulte par un dirigeant social, l'ont nécessairement été dans son intérêt personnel ;

    Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ; (...)

    REJETTE les pourvois.

    ANNEXE n° 3

    Cour de cassation

    chambre criminelle

    Audience publique du lundi 27 octobre 1997 N° de pourvoi: 96-83698

    Publié au bulletin Rejet

    Président : M. Culié, président

    Rapporteur : M. Schumacher., conseiller rapporteur

    Avocat général : M. Lucas., avocat général

    Avocats : la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, la SCP Piwnica et Molinié, la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. Cossa., avocat(s)

    REPUBLIQUE FRANCAISE
    AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

    (...)

    Attendu que les demandeurs contestent que les dépenses engagées par le groupe Merlin, pour l'appartement du boulevard Saint-Germain à Paris et les voyages d'Alain B..., et par le groupe Lyonnaise des Eaux pour des honoraires fictifs et la reprise de la société Dauphiné News, aient été contraires à l'intérêt des sociétés et à l'intérêt du groupe, dès lors qu'elles ont eu pour contrepartie l'attribution de la concession du service des eaux de la ville de Grenoble à la société Cogese ;

    Attendu que, pour écarter cette argumentation, les juges soulignent que le coût des avantages consentis par les sociétés Merlin d'un montant total de près de 19 millions de francs s'inscrit dans une " spirale folle de l'argent " et que leur montant " considérable " a permis d'obtenir " au prix fort " l'attribution de la concession ; qu'ils relèvent que Marc-Michel Merlin qui ne s'est pas pourvu contre sa condamnation des chefs d'abus de biens sociaux et de corruption active a reconnu avoir agi dans son intérêt personnel, en vue de conserver de bonnes relations avec le maire de Grenoble et a admis que les diverses libéralités consenties par les sociétés de son groupe à Alain B... et Jean-Louis Dutaret, dont les sollicitations ont, selon lui, " frisé l'extorsion de fonds ", étaient contraires à l'intérêt social ;

    Qu'après avoir rappelé l'importance des dépenses engagées par le groupe de la Lyonnaise des Eaux d'un montant de près de 12 millions de francs les juges retiennent encore, pour établir l'abus de biens sociaux, que le rachat de la société Dauphiné News a été opéré sous la seule responsabilité de Jean-Jacques Prompsy, qui n'a pas soumis cette décision à l'autorisation du comité d'investissement de la Lyonnaise des Eaux, ni informé son supérieur hiérarchique direct ; que ce dernier a désavoué Jean-Jacques Prompsy, en précisant que le secteur média-presse n'avait jamais présenté d'intérêt particulier pour le groupe et que l'intervention de la filiale Serecom pour une telle prise de participation n'était pas conforme à la logique économique du groupe ; qu'ils ajoutent que Louis Béra, président de cette dernière société, en suivant les instructions de Jean-Jacques Prompsy, a agi de mauvaise foi, contrairement à l'intérêt des sociétés du groupe et à des fins personnelles, pour consolider sa situation au sein de la Lyonnaise des Eaux et donner satisfaction à des personnes influentes ;

    Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a caractérisé le délit d'abus de biens sociaux en tous ses éléments, notamment l'atteinte à l'intérêt social ;






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote