CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS
Réduire la pauvreté reste une vaste
espérance contre laquelle se mobilise actuellement toute la
communauté internationale, dans le Nord comme dans le Sud. Ce
défi n'est cependant pas facile à tenir du fait que la
pauvreté est un phénomène multidimensionnel. En effet,
elle recouvre plusieurs aspects touchant à la fois l'alimentation, la
santé, le logement et l'éducation. Ces différents aspects
nous préoccupent particulièrement dans ce travail dans la mesure
où ils contribuent non seulement à la croissance de la
productivité du travail (croissance économique) mais aussi
à la réduction de la fécondité et à
l'amélioration du niveau de santé.
Aujourd'hui, la lutte contre la pauvreté est une des
préoccupations majeures pour un pays en développement, car on
comprend bien qu'on ne puisse pas acquérir un certain
développement en laissant une partie de la population dans la
pauvreté.
Les enfants constituent l'un des groupes vulnérables.
Cela est particulièrement vrai en Afrique où un
décès sur deux est celui d'un enfant de moins de cinq ans. Les
enfants sont les plus touchés par les crises diverses que traverse le
continent. Les réformes économiques imposées par les
institutions de Bretton Wood aux pays africains ont réduit dans bien des
cas le pouvoir d'achat des populations et conséquemment aggravé
les conditions sanitaires des enfants.
L'objectif général de cette étude
était de contribuer à une meilleure connaissance sur les facteurs
explicatifs de la mortalité des enfants, en particulier la
pauvreté des ménages et de fournir aux décideurs de ce
pays et autres utilisateurs potentiels des informations actualisées sur
le phénomène étudié. Plus spécifiquement, il
s'agit de :
ü Montrer les inégalités sociales de la
mortalité des enfants selon le niveau de vie des
ménages ;
ü Identifier les mécanismes par lesquels la
pauvreté agit sur la mortalité des enfants de moins de cinq ans
en Mauritanie ;
ü Formuler des recommandations pertinentes visant
à réduire la pauvreté et la mortalité des enfants
de moins de cinq ans.
De la synthèse de la littérature, il est
ressorti trois principales Ecoles de pensée sur la mesure de la
pauvreté : l'école Welfarist, l'école des besoins de base
et l'école des capacités. Afin d'éclairer les
mécanismes d'action entre la pauvreté et la mortalité des
enfants, nous nous sommes situés aux deux niveaux d'analyse à
savoir niveau micro et macro. Ainsi, on a pu distinguer : Des facteurs
nutritionnels, socioculturels, socio-économiques et comportementaux.
Ensuite, à partir de ces facteurs explicatifs de la mortalité, on
a pu identifier un ensemble de variables qui sont en rapport avec le
phénomène. En nous référant aux résultats de
la synthèse de la littérature et du cadre théorique
développé par Barbieri M. (1991). Nous avons
élaboré un cadre conceptuel qui traduit nos hypothèses
(fondamentales et spécifiques).
Les données utilisées dans le cadre de ce
travail proviennent de la première Enquête Démographique
de Santé réalisée en Mauritanie (EDSM, 2000/2001).
Comme toute étude qui utilise des données
rétrospectives comme celles de l'EDS, on a procédé
à l'évaluation de la qualité des données relatives
à notre domaine d'étude. Cette évaluation a
consisté dans un premier temps à apprécier la
méthode d'échantillonnage et ensuite à évaluer la
déclaration de l'âge de la mère, de la parité
moyenne aux différents groupes d'âges des mères,
l'évolution des décès des mères en fonction du
groupe d'âges de la mère et des proportions de non réponses
des variables explicatives. Il ressort de cette évaluation que les
insuffisances relevées après évaluation de la base de
données n'entachent pas la qualité des informations recueillies.
Après l'évaluation de la qualité des données, on a
procédé à la construction du fichier d'analyse. Ce fichier
comporte essentiellement les variables économiques, culturelles et
intermédiaires que nous estimons utiles pour expliquer le
phénomène. Ainsi, à l'aide des méthodes
statistiques et certaines caractéristiques du ménage, la variable
niveau du vie de ménage a été créée à
partir des caractéristiques de l'habitat et biens matériels du
ménage. Le choix des caractéristiques et les biens du
ménage sont tributaires de la relation existante entre ces
caractéristiques, ces biens et la mortalité des enfants. Les
ménages ont été regroupés en trois niveaux : les
ménages pauvres ayant un niveau de vie faible, ceux qui ont un niveau de
vie moyen et les ménages riches qui ont un niveau de vie
élevé. Le souci de soumettre tous les enfants
sélectionnés au risque de mortalité jusqu'à
l'âge de cinq ans a guidé le choix de la délimitation de la
cohorte d'enfants pour l'étude. Ainsi, tous les enfants
enquêtés, nés entre l'année 2000 et 1995 et ayant au
plus de 5 ans au moment de l'enquête ont été choisis pour
la construction de notre fichier d'analyse.
Les résultats de l'analyse croisant le niveau de vie
avec certaines variables montrent que le milieu rural concentre la
quasi-totalité des pauvres du pays (93% sont du milieu rural). Par
ailleurs, le niveau d'instruction de la femme est étroitement lié
au niveau de vie. En effet, ce pourcentage diminue progressivement quand le
niveau d'instruction de la femme augmente (parmi les pauvres ¾ sont sans
niveau d'instruction). S'agissant des variables comportementales, les
résultats révèlent que ce sont les couches les plus
démunies qui n'utilisent pas les soins des services
obstétricaux.
L'analyse bivariée a abouti encore à l'existence
d'une forte association entre la pauvreté et le décès de
l'enfant de moins de cinq ans. Le risque de décès des enfants des
ménages du niveau de vie faible est presque 3 fois plus
élevé que celui des enfants vivant dans les ménages du
niveau de vie faible. Ce ratio diminue lorsqu'on passe des ménages de
niveau moyen et faible, à ceux de niveau de vie élevé. Le
risque de décès des enfants de niveau de vie moyen est environ
1,9 fois plus élevé que celle des enfants vivant dans les
ménages de niveau de vie faible.
Au niveau multivarié, l'hypothèse
générale a été confirmée. Toutes choses
étant égales par ailleurs, le niveau de vie des ménages
discrimine le décès des enfants de moins de cinq ans. Les risques
de décès des enfants des ménages de niveau de vie
élevé sont inférieurs à ceux de leurs
congénères qui sont dans les ménages de niveau de vie
moyen, lesquels ont des risques de décès inférieurs
à celui des enfants des ménages de niveau de vie faible. Les
ménages de niveau de vie élevé cumulent les avantages
d'avoir le niveau d'instruction le plus élevé, des habitats
décents, des sources d'approvisionnement en eau potable, des types de
toilettes adéquats, en somme, tout ce qui peut réduire les
risques d'exposition des enfants aux maladies infectieuses et transmissibles.
Les variables comportementales associées
significativement sont la visite prénatale, la vaccination, l'assistance
à l'accouchement, et constituent d'ailleurs des soins
obstétricaux. L'effet du niveau de vie passe par ces variables
comportementales. Eu égard aux relations significatives entre ces
variables et le décès des enfants de moins de cinq ans, on peut
comprendre que ce sont les ménages de niveau de vie élevé
qui disposent d'une capacité financière de prise en charge des
services obstétricaux, qui sont en partie tributaires de la
mortalité des enfants. Ainsi dans le modèle saturé, les
variables âge de la mère et sexe de l'enfant sont significatives.
Il faut dire aussi que la variable visite prénatale constitue le
déterminant clé.
H1 : Le risque de
décès des enfants est plus élevé dans les
ménages de niveau de vie faibles que dans les ménages de niveau
de vie élevés, a été confirmée.
H2 : Le niveau
d'instruction de la mère influence négativement le
décès des enfants. On s'attend ainsi à ce que les enfants
dont la mère a au moins un niveau d'instruction primaire court des
risques de décès plus faibles que ceux dont la mère sans
instruction, a été confirmée.
H3 : Le niveau de vie du
ménage influence négativement les risques de décès
des enfants de façon non seulement directe, mais aussi à travers
les variables comportementales, a été confirmée.
Cependant, il faut reconnaître que cette étude comporte des
limites, comme dans toute recherche en sciences sociales. Ces limites seraient
sujettes à d'éventuelles critiques ou suggestions. En occurrence,
cette recherche serait plus consistante en prenant en compte les deux
variables suivantes:
ü L'intervalle
intergénésique : souvent exprimé en mois,
désigne la période écoulée entre la survenue d'une
nouvelle grossesse et l'accouchement antérieur. Il ne figure pas parmi
les variables étudiées car sa valeur manque dans la base de
données.
ü La durée d'allaitement :
nous n'allons pas utiliser cette variable, car la question concerne seulement
les enfants en vie.
D'une manière générale le revenu et/ou la
consommation des ménages seraient mieux indiqués pour
appréhender le niveau de vie des ménages. Cependant, l'EDSM ne
saisit pas ces deux variables. Nous avons fait recours à un indicateur
composite qui prend en compte les biens d'équipement du ménage et
les caractéristiques de l'habitat (nature du sol, approvisionnement en
eau, type de toilette). Cette façon d'appréhender le niveau de
vie peut comporter des biais qui peuvent provenir de :
ü On ne connaît pas la nature d'obtention des
biens, à savoir si ce sont des biens achetés par le ménage
ou des dons d'un membre de la famille.
ü Cet indicateur standardisé peut être mal
distribué en milieu rural, il ne prend pas en compte certains biens
comme le bétail, les charrettes qui sont considérés comme
des signes de richesses en milieu rural. Dans les institutions traditionnelles
la prise en compte des concepts tels que le prestige social, la valorisation
sociale, la perception etc. devra permettre de mieux cerner la
différentiation en termes de niveau de vie en milieu rural. Ceci nous
aurait permis de construire un indicateur niveau de vie de milieu rural qui
prendra en compte les caractéristiques de richesse de ce milieu.
En outre, nous ne pouvons pas terminer ce travail sans
formuler quelques recommandations. Compte tenu des limites ci-dessus, nous
suggérons ce qui suit pour les études ultérieures :
Approfondir l'analyse en tenant compte non seulement de
l'aspect quantitatif (approche monétaire) et qualitatif (approche par le
confort) mais aussi celui lié aux perceptions socioculturelles des
populations rurales, en ce qui concerne la construction de l'indicateur de
pauvreté fondé sur le niveau de vie. Concrètement, il
s'agit, avant toute étude basée sur le niveau de vie,
d'interroger (par une enquête) les populations vivant en milieu rural
pour cerner leur point de vue, en termes de niveau de vie.
A l'endroit des pouvoirs publics :
Les analyses ont montré que le niveau de vie est un
facteur important de discrimination de la mortalité des enfants. Ainsi,
au niveau macro, nous recommandons que toute stratégie de lutte contre
la pauvreté en Mauritanie puisse prendre en compte la réduction
de la mortalité infanto-juvenile. En d'autres termes, les
stratégies de réduction de la pauvreté en Mauritanie
doivent être accompagnées des mesures de réduction de la
mortalité des enfants de moins de cinq ans.
Par ailleurs, les résultats ont montré une forte
mortalité des enfants chez les femmes qui accouchent à un
âge jeune. D'autre part, le niveau d'instruction de la mère
diminue le risque de décès chez les enfants. Ainsi, qu'un faible
effectif de celles-ci atteint le niveau secondaire et plus. Il faut de ce fait
promouvoir la scolarisation des filles et lutter contre les déperditions
scolaires. Donc, le maintien des filles dans le système scolaire permet
d'élever l'âge au mariage (cadre idéal de
procréation en Mauritanie).
Des campagnes de sensibilisation intenses doivent être
menées auprès des femmes, surtout en milieu rural afin de les
inciter à fréquenter les centres médicaux, les
maternités existant dans leurs localités. Aussi, il faut
sensibiliser les femmes afin qu'elles fassent vacciner leurs enfants contre les
maladies infectieuses les plus courantes qui sévissent dans le pays. La
formation des matrones et des accoucheuses traditionnelles, doit être en
amont dans les politiques d'éducation sanitaire dans le volet de
formation. On peut réduire l'écart de risque de
décès entre les enfants de milieu rural et urbain, en dotant le
milieu rural des infrastructures sanitaires, en d'autres termes rapprocher les
centres de santé des populations.
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