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La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

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par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

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C. TRANSGRESSION DE L'INTERDIT ALIMENTAIRE

La question de la nourriture constitue un thème fondamental des écritures saintes, formant un entrelacs complexe de pratiques doublées d'interdits58. Comme l'écrit Jean Soler, « ces comportements qui jouent (...) sur l'usage rituel de la nourriture sont loin d'être anecdotiques »59. La littérature satirique du Moyen-âge intègre ainsi les données du code alimentaire de la Bible, selon un rapport de transgression lié tant à la qualité (violation de l'interdit alimentaire) qu'à la quantité (excès orgiaque de la gula). Comme le suggère Sarah Gordon, la nourriture apparaît en effet en prise directe avec le domaine religieux : « Eating and fasting were tied with religion and morality »60.

L'analyse des manières et service de tables dans le Roman de Renart relève d'une certaine complexité, dès lors que la description des animaux est soumise à l'ambiguïté de la métamorphose illusoire61. La représentation simultanée de pratiques animales (dévoration de la viande crue) et de traits anthropomorphes pose en effet un rapport de transgression. La prohibition biblique de l'hybride62, en matière d'essence (identité irréductible de l'homme et de la femme, interdiction de croiser les espèces

58 Le code alimentaire de la Bible distingue les animaux purs (boeuf, mouton, cerf, gazelle, chevreuil...) des animaux impurs (chameau, lièvre, daman, porc, cf. Deutéronome, 14, 3-21) et des créatures hybrides.

59 Jean SOLER, Sacrifices et interdits alimentaires. Aux origines du Dieu unique, Tome 3, Hachette Littératures, coll. « Pluriel », Histoire, 2006, p. 26

60 Sarah GORDON, Culinary Comedy in medieval french literature, Purdue University, 2007, p. 3

61 La « métamorphose illusoire » désigne, dans le Roman de Renart, une représentation des personnages tantôt comme des animaux, tantôt sous des traits anthropomorphes (cf. à ce sujet l'article de Gabriel BIANCIOTTO, « Renart et son cheval », Études de langue et de littérature du Moyen Âge offertes à Félix Lecoy par ses collègues, ses élèves et ses amis, Paris, Champion, 1973, p. 27-42). Les habitations sont ainsi tour à tour des châteaux ou des terriers, les personnages se déplacent à cheval ou manifestent des attitudes et modes de déplacement zoomorphes. Les effets de hiatus sont particulièrement porteurs de sens. Sur le fonctionnement de la « métamorphose illusoire », Gabriel BIANCIOTTO écrit (à propos de la branche I) : « Tout en utilisant les choses et les mots du monde réel, animal et humain, le poète de la branche I n'assimile jamais totalement l'univers du conte à l'un ou l'autre, évoquant des métamorphoses par la superposition de plan en transparence sans travestir ou masquer ».

62 Cf. Jean SOLER, op. cit., p. 27-28

animales) comme d'existence (« Tu ne revêtiras pas un tissu hybride de laine et de lin », Deut., 22, 11), proscrit la bestialité en l'homme63. La dévoration des anguilles dans la branche X met en résonance l'absence de préparation des anguilles 64 , trait spécifiquement animal, et le sourire narquois de Renart savourant sa ruse, trait spécifiquement anthropomorphe : « Mais Renars n'en fait fors sourire / Car molt a entre faire et dire », v. 83-84. L'infraction morale se manifeste ainsi dans l'hybridité d'une écriture ambiguë quant à l'essence des personnages qu'elle figure65. De même, dans la « Confession de Renart », la dévoration sauvage du chapon se superpose à l'expression de sentiments humains : « Ains n'i quist nape ne touaille / Tot maintenant li ront la teste » (III, v. 100-101) et « Mais molt par vendi chierement / Al caponet son maltalent / Qui riens ne lui avoit meffait ! » (III, v. 105-107). La présence de l'alimentation est ainsi chargée de sens, car « la cuisine est un langage à travers lequel une société s'exprime », comme le suggère Jean Soler à la suite de Claude Lévi-Strauss (L'Origine des Manières de table).

La lettre du récit renardien porte également la marque d'une transgression alimentaire notamment liée au jeûne pratiqué dans les abbayes. Renart, dans la branche du « Duel Judiciaire », transgresse ainsi ses voeux (« trespasse obedience », II, v. 1578), en ajoutant à la prédation le scandale d'une interjection citant le Seigneur, mêlant par là invocation divine et refus d'obéissance : « Par Dieu, fait il, ne m'appartienent / Cil de char mengier se tienent », II, v. 1565-1566. Le commentaire du « larrecin » (II, v. 1586) par le conteur fait de la transgression de l'interdit alimentaire l'une des composantes de l'instinct vicié du goupil : « Se licheres est par aventure / Bien s'en retrait a sa nature » (II, v. 1588). La réplétion semble ainsi s'intégrer à un ensemble de transgressions inhérentes aux dispositions physiologiques et morales de Renart.

Si les plaisirs de bouche, alimentaires et spiritueux, présentent le corps humain sous un jour théologiquement hideux, érotisme et sexualité redoublent le sentiment de la souillure66, le plaisir de la jouissance allant de pair avec l'exaltation de la matérialité du corps.

63 Lévitique, 17, 12 : « Nul d'entre vous ne mangera de sang ».

64 Le Roman de Renart, Branche X, « Renart et les anguilles », v. 90-91 : « Car molt en menja volentiers / Qu'onques n'i quist ne sel ne auge ».

65 Cf. la notion de clinamen, originellement propre à la philosophie épicurienne, dans l'acception de Jean SCHEIDEGGER (Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, p. 210) : « ce point limite où se rencontrent le discours humain et le cri animal, le cri humain et le discours animal, lorsque l'homme régresse à la bête et que l'animal devient parlant ».

66 Cf. Ephésiens, 5, 3 : « Quant à la fornication, à l'impureté sous toutes ses formes, ou encore à la cupidité, que leurs noms ne soient même pas prononcés par vous : c'est ce qui sied à des saints ».

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