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Quel avenir pour l'art contemporain en Afrique après l'exposition Africa Remix?

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par Delphine CALMETTES
Université Rennes 2 Haute Bretagne - Master métiers et art de l'exposition 2008
  

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C. La question des institutions et de la formation : quel avenir pour l'art contemporain en Afrique ?

Il nous parait donc impératif, pour développer d'une manière plus saine la place des artistes contemporains africains sur la scene de l'art mondial, d'implanter en Afrique des lieux d'art pérennes et riches d'échanges. Ces lieux prennent déjà la forme d'interfaces entre les artistes et les populations, de zones de rencontres entre artistes africains et Occidentaux, ou de structures permettant d'accueillir des artistes en leur offrant des espaces appropriés à leurs recherches et à leurs désirs de création. Ils sont malheureusement trop peu et passent souvent par des institutions Occidentales à l'étranger. Pour le cas précis de la France, les Alliances Françaises et les Instituts Culturels Français, soutenus par le Ministère des Affaires Étrangères et par Cultures France, sont les principaux lieux où les artistes africains peuvent s'exprimer et montrer leurs oeuvres. Tout comme les Goethe Institut, ces structures offrent généralement des lieux d'exposition et de débats autour des questions culturelles et artistiques. Leur mission est à la fois de faire rayonner la culture française à l'étranger mais aussi d'encourager les collaborations et les échanges culturels avec les acteurs du pays où ils sont implantés. Mais ces lieux, créés en général au sortir des Indépendances, sont chargés du passé colonial et d'une certaine manière « politisés » de par leurs orientations spécifiques. Ces dernières années, des efforts considérables sont fournis pour permettre des échanges équilibrés avec les pays africains, mais ils ne suffisent pas pour offrir une pluralité de visions, de champs d'expressions aux artistes en Afrique. Les politiques culturelles africaines sont encore aux

104 Compte tenu des difficultés d'obtenir des sources récentes et exhaustives sur ces institutions en Afrique, nous nous référons à un numéro spécial du magazine Médianes édité par l'association Cultures et développement (créée en 1961 avec l'aide du Ministère de la coopération de l'époque). La majorité des informations contenues dans ce numéro ancien (1999) paraissent encore d'actualité.

Voir Volume annexes, annexe 26 Écoles et workshops en Afrique. D'après le N° spécial Médianes, Automne 99 / numéro double 14/15, p.108.

balbutiements d'une cohésion rendant possible la mise en place d'infrastructures stables, et même un pays comme le Sénégal, qui rayonne pourtant à l'international grâce à Dak'Art comme un haut lieu d'art et de culture, n'est pas en mesure actuellement d'offrir un statut à ses artistes (notons que de nombreuses lois sont à l'étude au niveau ministériel). Rappelons ici, comme le soulignait Simon Njami que la plupart des habitants de ces états n'ont pas l'age de leur nation et que ces politiques peinent à se structurer depuis les Indépendances. Nous ne dresserons pas ici un portrait des politiques culturelles en Afrique, mais nous pouvons seulement constater que des efforts sont à faire pour développer les arts sur le continent et que ces efforts dépendent d'une réelle volonté politique, qui mesurerait l'importance de la culture, de l'art, et donc de l'art contemporain... pour les peuples africains. Comme le disait Léopold Sédar Senghor : « La culture est au début et à la fin du développement »105, et l'Afrique manque encore cruellement de témoignages concrets de cette volonté politique. Reste que depuis les années 1930 / 1940, on peut observer en Afrique la constitution d'écoles, qui étaient encore éloignées de véritables courants de pensée autonomes, car écrasées à l'époque par le poids du colonisateur et de ses critères esthétiques. Mais elles ont existé et existent encore pour certaines, ce qui a permis à toute une génération d'artistes d'émerger dans le contexte colonial. Rigobert Aimé Njeng106, artiste de quatre-vingt-deux ans vivant au Cameroun, immense peintre et totalement inconnu par ses pairs raconte : « Avant les Indépendances, je peignais avec des morceaux de brique écrasée, du bleu de teinture et du charbon ; je réalisais des portraits pour des colons qui, au début lorsqu'ils ont découvert ma passion secrete, m'ont testé pour voir si c'était bien moi qui les réalisais. Aprés l'Indépendance, je côtoyais tout un tas d'Occidentaux et un ami Grec m'a montré des oeuvres de Picasso. Il est devenu ma référence et je n'ai pas cessé d'étudier sa peinture. Je vivais quasiment en simultané ce qui se faisait en Europe, sans le voir, sinon sur des reproductions. Je faisais évoluer ma peinture en échangeant avec ces représentations. Mais j'étais seul avec mes oeuvres... ». Ce témoignage démontre que nombre d'artistes en Afrique ont entamé leurs démarches avant les Indépendances mais trés peu d'écoles ou de structures leur permettaient d'échanger et de se rencontrer. Le vieux Ndjeng est un artiste parmi des centaines en Afrique qui sont quasiment inconnu des artistes de la nouvelle génération bien que leur

105 Slogan lancé par Léopold Sédar Senghor lors de la création du premier ministère de la culture, op. cit., p3.

106 Rigobert Aimé Njeng s'est vu honoré d'une rétrospective qui retraçait sa vie et son oeuvre en 2004, Les pères de la peinture Camerounaise au Bonapriso Center for the Arts de Douala.

histoire porte en elle une avant-garde et une modernité riche et dense. Ainsi, avant les années 1950, le peintre nigérian Aina Onabulu est considéré comme le premier artiste moderne africain. Vient ensuite l'école incontournable de Poto-Poto107, ainsi que des expériences individuelles d'électrons libres de l'art africain comme le sénégalais Iba Ndiaye108.

Mais il faut bien constater que la majorité de ces structures sont le fait d'européens exilés. Sydney Littlefield Kasfir en dresse un inventaire dans son ouvrage L'art contemporain africain109 et précise que mises en place dès la fin des années 1940, elles se développent dans les années 1960 dans toute l'Afrique, et jusqu'à aujourd'hui. Parmi les plus importantes : the Polly Street Center en Afrique du Sud, celle de Ulli Beier et Suzanne Wenger à Oshogbo au Nigéria, the Workshop School de Frank McEwen au Zimbabwe et le Hangar de Pierre Romain-Desfossés au Congo. Cédric Vincent, interprète le contenu de cette liste dans une chronique bibliographique des Cahiers d'études africaines de l'EHESS qu'il écrit au sujet de cet ouvrage. « En général, ce sont des professionnels de l'art, ou proche du milieu de l'art, venus de l'étranger et qui rassemblent un groupe d'artistes africains non formé autour d'eux. Malgré leurs histoires particulières, les ateliers reposent sur la même formule : mettre en place un lieu qui permette de libérer, ou réanimer, les forces créatrices innées des Africains. L'enseignement académique des écoles d'art altérant la créativité, il s'agit de ne pas couper l'artiste de son répertoire. Le résultat est une esthétique donnant la priorité à la figuration, plutôt narrative. [...] Le chapitre « Art et marchandise » donne à ces Européens une place importante dans l'émergence de ce nouvel art africain sur la scene internationale. La reconnaissance d'un artiste est liée non seulement à son talent mais aussi, semble-t-il, à la rencontre du bon mécène au bon moment. Dans l'absence de système de galerie, il est certain que le médiateur culturel est déterminant pour la production et la manière dont celle-ci sera perçue par un public. Les expositions d'art africain ont donné la visibilité principalement aux artistes des ateliers et

107 École de peinture fondée en 1951 par Pierre Lods. De grands peintres congolais tels qu'Eugene Malonga ou Guy Fila ont perfectionné leur art dans ce lieu devenu culte. Cette école est la référence de l'art et de la peinture au Congo.

108 Né en 1928 à Saint-Louis au Sénégal, Iba Ndiaye est un peintre qui a très tôt fait une carrière internationale. En 1948 il est à Paris où il fréquente les clubs de jazz et entreprend des études d'architecture à l'École des Beaux Arts. C'est auprès du sculpteur Zadkine qu'il découverte de la sculpture traditionnelle du Continent africain. Il commence à voyager en Europe et visite les musées d'art. Á son retour au Sénégal en 1959, Il accepte de participer à la création de l'École des Arts du Sénégal où restera enseignant jusqu'en 1966.

109Sydney Littlefield Kasfir, L'art contemporain africain, Paris, Thames & Hudson, 2000.

aux autodidactes, investis par des valeurs d'authenticité. Cette pratique du mécénat et l'imposition d'un filtrage esthétique se retrouvent avec la collection Pigozzi, et l'influence qu'elle exerce sur la façon dont l'art africain est défini et perçu au sein du monde de l'art110. »

Cette démonstration de Cédric Vincent témoigne des orientations qui ont pu infiltrer, par le biais de ces écoles européanisées, la création africaine, écran en ce temps là des projections plus ou moins saines de leurs concepteurs. L'histoire de Pierre Lods et de l'école de Poto-Poto en est un parfait exemple.

Bref, à l'heure actuelle, seule l`Afrique du Sud semble offrir un tissu institutionnel public et privé favorable à la création africaine. Encore que ce propos soit tempéré par cette déclaration de Clive Kellner : « Les musées et les institutions sont des réserves de savoir collectif qu'il nous faut construire. C'est notre prochain défi. C'est une chose d'avoir une exposition, mais c'est temporaire. Nous avons besoin d'un nouveau Musée d'art africain pour le nouveau siècle ». Ailleurs, des initiatives privées et notamment venant d'artistes africains désireux d'investir leur énergie, et leur argent, dans leur pays d'origine pour aider au développement de l'art, méritent d'être cités. C'est le cas du centre d'art Bandjoun Station à Bandjoun au Cameroun de Barthélémy Toguo qui ouvrira prochainement ses portes. Barthélemy Toguo explique sur le site internet de son projet111 : « Car, au regard des multiples obstacles que rencontre l'Afrique et sa Diaspora, nous Africains ne pouvons nous offrir « le luxe » de capituler, de geindre et d'attendre. Il est primordial que nous imaginions NOUS-MÊMES nos solutions dans tous les domaines (agricole, sanitaire, économique, social, culturel, politique, éducatif, sportif...). Ainsi, nos pays africains doivent se doter d'un grand nombre de structures vivantes et innovantes, afin de stimuler la création, l'envie de culture, pour en développer les pratiques et les faire fructifier. » Dans un article du journal Le Monde, il déclare aussi : « Si rien n'est fait, il arrivera avec l'art contemporain africain ce qui s'est passé avec l'art traditionnel : désormais, il faut aller voir dans les musées en Europe et aux États-Unis. Dans les pays africains, aujourd'hui, la

110 Cédric Vincent, «Kasfir, Sydney Littlefield. - L'art contemporain africain », in Cahiers d'études africaines, 172, 2003, http://etudesafricaines.revues.org/document1551.html.

111 http://www.bandjounstation.com

culture n'est pas perçue comme une priorité. Il manque une volonté politique ».112 Il pose aussi par cette phrase la question de la fuite des oeuvres africaines en Occident. La question de l'exposition des oeuvres d'art en Afrique et de leur conservation est également problématique bien qu'elle fasse l'objet d'un autre débat. Mentionnons tout de même que les pays africains essaient de palier à aux handicaps qu'elles constituent. Au Mali par exemple, grâce aux initiatives de Samuel Sidibé113, le Musée de Bamako s'est vu doté d'une extension de 500m2. Les rencontres de Bamako y ont eu lieu et Samuel Sidibé a organisé un concours panafricain d'art visuel réservé aux artistes de moins de quarantecinq ans. Quatre artistes dont Abdoulaye Konaté ont été primés puis montrés lors de l'exposition Visions Contemporaines au Musée de Bamako. Cet évènement témoigne de la volonté de certains états de s'engager dans la culture et l'art en Afrique et ce type d'initiatives se multiplient. Le musée de l'IFAN114 au Sénégal devrait aussi voir naître une nouvelle aile consacrée à l'art contemporain et aux résidences d'artistes.

Certaines initiatives privées sont aussi déjà bien ancrées en Afrique et fonctionnent tant bien que mal. C'est le cas par exemple de l'espace Doual'Art à Douala au Cameroun ou la Princesse Marilyn Douala Bell et Didier Schaub accomplissent depuis des années un véritable travail de galeristes, de mécènes, de concepteurs d'évènements comme la première édition de la Biennale des arts visuels DUTA et réunissent des personnalités autour de débats riches et pertinents comme les symposiums « Ars et Urbis »115 en 2005 et 2008. On pense également à des lieux comme L'appartement 22 d'Abdellah Karroum à Rabat, au Maroc. Mais l'opiniâtreté de ces structures a un prix, quelquefois cher payé, pour continuer d'exister. Menaces des autorités en place, quelquefois fermeture forcée des lieux et scellés sur les portes pour racketter de l'argent au propriétaires, mise en retenue des oeuvres en douane lors de l'organisation des expositions ... Les difficultés s'accumulent et ces initiatives de qualité se retrouvent parfois bien isolées sur le continent. L'expérience

112 Catherine Bedarida, Harry Bellet et Philippe Dagen, « Les artistes africains veulent se libérer des clichés », Le Monde n°18766, jeudi 16 mai 2005, p.26.

113 Samuel Sidibé est, depuis 1987, directeur du Musée national du Mali à Bamako, le plus important musée d'Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud). Il a effectué des études d'histoire de l'art et d'archéologie à l'université de Clermont-Ferrand et il est titulaire d'un doctorat de 3e cycle en histoire des sociétés africaines de l'université de Paris-I. Très engagé dans la lutte contre le pillage et le trafic illicite du patrimoine culturel malien, il est membre de la commission des acquisitions du musée du quai Branly, à Paris.

114 IFAN, Institut fondamental d'Afrique noire.

115 Les symposiums « Ars et Urbis » sont des moments privilégiés de réflexion entre experts internationaux (architectes, urbanistes, artistes, sociologues, critiques d'art, opérateurs culturels...) sur les perspectives, réelles comme imaginaire de développement des villes du Sud.

des artistes d'Exit Tour116 en 2006 à Dakar témoigne aussi de ces aberrations. Lors de cette biennale, sept artistes décident de relier Douala à Dakar, en visitant tous les lieux et les opérateurs d'art sur leur trajet. Arrivés aux portes du Sénégal, ils se voient tous refuser l'entrée sur le pays, sauf Dunja Herzog, la seule européenne qui voyage avec eux. Elle sera la seule présente, lors de cet évènement, pour témoigner de cette injustice. Sans parler des artistes invités en Europe ou hors du continent Africain et qui n'arrivent pas à obtenir des visas de sortie, et surtout d'entrée, même sous couvert d'évènements majeurs. Les expériences positives et les projets ont toujours existé en Afrique et se multiplient mais requièrent une énergie et une combativité extrême pour continuer. Un réseau de résidences s'organise aussi mais l'exemple du Village des Arts à Dakar nous alerte sur le « parcours du combattant » que connaissent ces structures. Après la construction du stade L.S Senghor, le village installé par les ouvriers chinois à la périphérie de Dakar se trouve inoccupé. Les artistes demandent donc au gouvernement de pouvoir investir ce lieu et d'en faire une résidence d'artistes. Dix années plus tard, des tensions entre les occupants de la résidence et le ministère ont conduit les artistes à refuser un surinvestissement de la résidence par les politiques pour ne pas subir des choix qui ne seraient pas les leurs. Ils disposent donc d'un budget de fonctionnement annuel, mais personne n'a le statut adéquat pour percevoir cet argent. Le Village existe donc mais végète, se détériore peu à peu et le turn-over des artistes ne se fait plus car leur situation économique les oblige à vivre et à dormir dans les minuscules ateliers qui leur sont attribués faute de mieux. Les artistes ne tournent pas car ils n'ont nulle part oü aller.

Au niveau des formations artistiques, quelques écoles d'art existent et certaines formations, notamment universitaires verront le jour prochainement. C'est le cas de la création dans les quatre années à venir de l'Institut Supérieur des Métiers de la Création de Dakar, « centre d'excellence de formation de haut niveau pour les créateurs et les professionnels d'Afrique, de l'océan Indien, des Caraïbes, de la diaspora » à l'Université Cheikh Anta Diop. L'idée de cette formation, est née en association avec les Centres nationaux de formation professionnelle de la culture, et la Cité du Design de Saint-Étienne à la suite de la première

116 Exit Tour est un projet d'expositions, de découvertes et d'échanges à travers 7 pays d'Afrique de l'Ouest initié par 7 artistes plasticiens du Cameroun. Ce projet est né à Art Bakery lors de résidences d'artistes près de Douala. Exit Tour est une aventure humaine unique en son genre mais aussi un travail de mise en réseau des artistes et des opérateurs culturels qui va tisser des liens transfrontaliers entre les personnes et institutions artistiques rencontrées.

« Université d'été francophone des arts » du 12 au 20 Octobre 2007, à Dakar, conçue sur le thème : « la transmission des savoirs et la diversité culturelle : les formations artistiques à l'Université ». Pour l'heure d'autres comme le conservatoire des arts et métiers multimédia de Bamako sont déjà en place. Il faut que cette liste enfle pour que les arts continuent de s'épanouir dans ces états à la vitalité et aux ambitions débordantes. Les nouvelles générations ont soif de culture et d'art, et beaucoup de jeunes artistes font le choix de rester en Afrique pour contribuer à l'écriture de l'histoire de l'art africain, mais aussi pour participer à cet art vivant et farouche qui sait résister à des pressions multiples.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite