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Quel avenir pour l'art contemporain en Afrique après l'exposition Africa Remix?

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par Delphine CALMETTES
Université Rennes 2 Haute Bretagne - Master métiers et art de l'exposition 2008
  

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C. Description de l'exposition. Données conceptuelles : le paysage général de l'exposition, détails et enjeux de l'accrochage

. Rôle de la scénographie dans la présentation des oeuvres

« Les 2200 m2 de l'espace d'exposition sont organisés selon un parcours adapté au contenu de l'exposition, avec une alternance de salles spécifiquement dédiées aux

57 Voir Volume annexes, annexe 17 Calendrier détaillé d'exécution des travaux sur site, p.58.

58 Voir Volume annexes, annexe 18 Budget de l'exposition, p.63.

installations des différents artistes, et des espaces plus ouverts regroupant peintures et photographies. Le parcours est basé sur l'idée de deux grandes esplanades permettant de dégager de vastes perspectives et desservant de part et d'autres les salles dédiées aux installations. Chaque installation est introduite par une cimaise en épie légèrement saillante sur l'esplanade et permettant la signalisation de la salle59.» La description de Nathalie Crinières ci-dessus correspond assez bien à la réalité de l'exposition. Par contre, on ne sent pas vraiment, lors de sa visite, la respiration provoquée par les « deux grandes esplanades permettant de dégager de larges perspectives ». Au bout de la première esplanade se trouve la structure El Anatsui / Cheikh Diallo (5 mètres de long) qui ne participe pas à l'ouverture sur la baie vitrée. De plus, chaque élément scénographique participe à la création de chicanes (initialement, une chicane est un tracé en zigzag créé sur une route pour obliger les véhicules à ralentir) qui obligent les visiteurs à zigzaguer tout au long du parcours et à s'arrêter à différents endroits stratégiques pour observer les oeuvres. Là aussi, on peut s'interroger sur le freinage intentionnel ou non causé par tous ces obstacles dans le parcours du visiteur comme pour ralentir sa course vers la sortie. L'ultra sollicitation sensorielle provoquée par le nombre des oeuvres et leur diversité, par la couleur des murs et plus généralement par l'ensemble des structures scénographiques ne permet pas, à mon sens, la respiration et la fluidité nécessaires pour jauger chaque pièce, et apprécier l'ensemble de l'exposition.

. Titre de l'exposition

Au départ, et selon le souhait de Simon Njami, l'exposition devait s'intituler Chaos et métamorphoses. Elle devait proposer une vision singulière sur la création africaine contemporaine en mettant l'accent sur la notion de syncrétisme esthétique et conceptuel qui s'est opéré en Afrique depuis une quinzaine d'années. Peut-être en évocation à La métamorphose des dieux d'André Malraux qui écrivait dans ses Antimémoires en 1967 : « Le monde de l'art n'est pas celui de l'immortalité, c'est celui de la métamorphose». Le concept de ce titre, repoussé par les autres organisateurs de l'exposition, est développé

59 Nathalie Crinières, in « Demande de devis, note d'intention et esquisses », voir Volume annexes, annexe 16, p.54.

par Simon Njami dans le texte du même nom qui figure dans le catalogue de l'exposition60. Après un passage introductif sur les lieux communs qui fédèrent le reste du monde sur une certaine idée géographique et historique de l'Afrique, Simon Njami affirme : « Il y a bien quelque chose, au-delà de l'histoire et de la géographie, qui unit toutes ces nations. Elles vivent toutes dans le chaos engendré par l'histoire et s'en accommodent à leur manière ». Ce chaos, bien loin d'être un scandaleux handicap, aboutit selon lui à la création « d'un continent en mutation perpétuelle. Une montagne en formation ». La métamorphose africaine prend donc racine dans ce chaos pour former « ce syncrétisme culturel qui fonde toute contemporanéité [...] elle nous contraint à assister à sa propre métamorphose ». La notion de remix porte donc aussi sur l'hybridation des themes, sur des générations d'artistes mêlées et sur des identités diverses, faisant de l'Africain une espèce de mutant. Texte passionnant sur le devenir de l'Afrique et titre bien éloigné de celui qui a été finalement attribué. Africa Remix61 a été adopté et correspondait à des contraintes d'ordre linguistique (la tournure anglophone s'adaptait mieux à l'itinéraire international de l'exposition et évitait des problémes de traduction et de compréhension) ; et marketing, puisqu'il conférait ainsi à l'exposition une image plus jeune, plus moderne, et pouvait de ce fait introduire dans le concept de l'évènement différentes strates sémiologiques ainsi que des « outils » originaux : compilation musicale éditée pour l'occasion par le Centre Pompidou ou le « AFRICA REMIX » SAMPLER62 du catalogue d'exposition. Par cette référence musicale, l'institution peut aussi toucher un public plus large et plus jeune, sensible à cette terminologie anglo-saxonne, musicale et festive. Pour revenir à l'aspect syncrétique de l'exposition, il fallait un titre, qui, selon le commissaire principal, « mette en lumière l'histoire des transformations »63 . Ainsi, ces deux termes accolés, dans leur seule analyse sémantique, nous amènent à nous poser une myriade de questions : qu'est ce qui est remixé en réalité dans cette exposition ? Est-ce l'Afrique qui remixe plusieurs visions

60 Simon Njami, « Chaos et métamorphoses », op.cit., p3.

61 Un remix désigne, en musique, une version modifiée d'un morceau réalisée en studio avec des techniques d'édition audio, destinée en général aux DJ pour les clubs.

62 « AFRICA REMIX » SAMPLER, que l'on peut trouver aux pages 242 à 283 du catalogue d'exposition 340 pages a été conçu par Thomas Boutoux et Cédric Vincent comme un texte-sampler organisé à travers 130 entrées qui découpent et fragmentent la constitution de l'art africain contemporain. Ces entrées sont en réalité de courts textes qui présentent tout à la fois des acteurs ou des groupes de personnes majeurs de la politique, de la négritude, du panafricanisme, de la « renaissance africaine », bref des arts et de la culture de l'Afrique moderne.

63 Interview de Marie-Laure Bernadac par Clémentine Dirié, op.cit., p.10.

d'elle-même pour rassembler ses morceaux épars ? Est-ce le spectateur qui revisite sa façon de penser et de voir l'art africain et les africains ? (ce qui lui permettrait en ce cas et idéalement de prendre conscience de la multiplicité de l'Afrique souvent considérée comme un pays « uniculturel » et non pas comme un continent multiculturel). Sont-ce les commissaires qui remixent plusieurs formes d'expositions sur l'art africain déjà jouées auparavant, comme pour en extirper une version inédite ? Ou bien est-ce les artistes qui livrent de nouvelles versions de leurs propres oeuvres pour s'adapter au concept de cette exposition ? Simon Njami affirme dans un entretien accordé au journal Le Monde du 26 mai, que « dans le titre, Remix compte autant qu'Africa [...] ce sont les rapports entre les cultures africaines et Occidentales qui sont décisifs et la façon dont les artistes se définissent dans le contexte de la mondialisation. Ils dessinent de nouvelles cartes, ils ont besoin de savoir qui ils sont et de dire qui ils sont, avec d'autant plus de force que, jusqu'ici, ils ont été peu écoutés ». On constate donc que ce titre est loin d'induire seulement des interrogations comme le proposait Alors la chine ? en 2003, mais qu'il offre des éléments de réponse et des pistes de réflexion. Il s'oppose également aux Magiciens de la terre, en affirmant que quinze ans plus tard, l'artiste africain est bel est bien sorti d'un rapport magico-cosmogonique à l'art. L'artiste africain est devenu un DJ capable de réemployer des éléments divers et de les recycler, de les recomposer de manière à intégrer, sans signe extérieur d'apparentement géographique, le marché mondial de l'art contemporain. Il en va ainsi pour des oeuvres comme Sasa de El Anatsui qui récupère des bouchons de bouteille pour créer une tenture somptueuse et scintillante ou pour Romuald Hazoumé qui réemploie des bidons en plastique pour ériger des totems qui racontent symboliquement l'histoire du Bénin. Pour autant, le Remix évoqué ici ne se cantonne pas à l'art de la récupération qui a fait école en Afrique auprès de nombreux artistes. Fer de lance de toute une génération daptaïste64, Simon Njami s'insurge en affirmant que « certaines personnes limitent l'Afrique à la récupération et construisent toute une théorie de l'art africain autour

64 Du néologisme créé par l'artiste Sénégalais Dary Lo soit une adaptation imposée et forcenée des artistes africains à leur environnement et qui les pousse à la récupération matérielle et conceptuelle : « La récupération est l'instance même de l'oeuvre » nous dit l'artiste dans l'article « Tout est prétexte à la création », Entretien avec Dary Lo, Africultures, n°48 - mai 2002, L'Harmattan, Paris, p. 66 - 67.

du concept de friche »65. Nous pouvons aussi voir dans ses propos une attaque franche contre la théorie que développe Jean-Loup Amselle dans son ouvrage L'art de la friche66.

Enfin, l'idée de remix dans l'art contemporain est répandue tout autant que l'idée de syncrétisme. On se souvient de l'exposition Playlist au Palais de Tokyo en 2004 qui posait déjà cette question de l'hybridation dans l'oeuvre et de son caractère composite. Nicolas Bourriaud, commissaire de l'exposition déclarait à ce sujet que « l'artiste est un genre de sémionote, un inventeur de trajectoires parmi les signes »67 . Si l'objectif de cette exposition est de rallier les artistes africains à une expression universelle et non identifiable, le titre choisi permet cette intégration grâce à ce métissage et à cette hybridation où, comme l'écrivait le martiniquais Édouard Glissant : « il n'y a plus de centre, que des périphéries, et chaque périphérie devient un centre en soi. »

. Identité et histoire ; Ville et terre ; Corps et esprit ; Design, mode et musique

Les oeuvres de l'exposition Africa Remix sont regroupées en trois sections sur les thèmes suivants : Identité et histoire, Ville et terre, Corps et esprit, Design, Mode et Musique. Dans le catalogue général de l'exposition, il n'existe pas de couleur particulière de la typographie en fonction des sections mais dans le deuxième catalogue de 60 pages, Identité et histoire correspond à la couleur jaune, Corps et esprit à la couleur bleu, et Ville et terre à la couleur rose. Une quatrième section : Mode, design et musique regroupe en vert les trois artistes suivants : Joël Andrianomearisoa, Cheikh Diallo et Balthazar Faye. Sur le plan de l'exposition en page 3, des points de couleur correspondent aux artistes et chaque couleur correspond à leur section respective68. On s'interroge alors sur le caractère autoritaire de l'exposition qui nous oblige, par cette répartition tripartite, à enfermer chaque oeuvre dans un champ symbolique oü elle viendrait se loger. Pourtant, pour Simon Njami, chacun devait pourtant être seul juge des rapprochements à opérer. « Les visiteurs qui vont entrer dans l'exposition en cherchant l'Afrique vont être totalement perdus parce qu'ils vont être confrontés, d'une pièce à l'autre, à des méthodes différentes,

65 « L'Afrique n'est pas une thématique », entretien avec Simon Njami mené par Cédric Vincent et Frédéric Wecker, in art 21 magazine, n° 3, juillet/août 2005, p.14.

66 AMSELLE Jean-Loup, L'art de la friche, essai sur l'art contemporain africain, Paris, Flammarion, 2005.

67 Nicolas Bourriaud, « Qu'est-ce qu'un artiste (aujourd'hui) ? » in Qu'est-ce que l'art aujourd'hui ?, Beaux-Arts magazine, Paris, 2002, p.14.

68 Voir Volume annexes, annexe 9 Plan de l'exposition du catalogue 60 p. Africa Remix, p.29.

à des discours et des médias différents, et vont être forcés de s'arrêter devant chaque pièce à cause de la pièce précédente et ainsi de suite. Chaque pièce menant à une autre en continuant et agrandissant ce questionnement sur la nature de ce que l'on voit69. » Et c'est effectivement ce qui se produit lors de la visite. Conformément aux intentions scénographiques de Nathalie Crinières, les cimaises en épie légèrement saillantes incitent les visiteurs à stopper leur déambulation et à rentrer dans les salles. Elles remplissent leur fonction et orientent leur cheminement, bien plus que les cartels et leurs couleurs, sensés nous rappeler à tout moment à quelle section appartient l'oeuvre que nous sommes en train d'admirer. Car pour résumer, il y a les artistes jaunes, bleus ou roses, et cette identification immédiate grâce aux couleurs parait un peu trop didactique, voire redondante. Entre la couleur des murs, les cartels, les panneaux pédagogiques, les cimaises en épis et les éclairages suggestifs, on se demande parfois où est le libre-arbitre pour le visiteur et comment il peut être seul juge de ce qu'il voit. Bref, Simon Njami, à propos du choix de ces trois parties ajoute que : « ces thématiques sont communes à tout art, et qu'elles sont des réponses plastiques apportées par ces artistes à des questions universelle »70. Dans la partie qui suit, nous allons détailler brièvement le contenu de chacune de ces parties en résumant le texte de présentation que Simon Njami propose à leur sujet dans le catalogue de l'exposition.

Identité et histoire (29 artistes71) : Cette première partie de l'exposition présente des oeuvres qui mêlent la question de la mémoire personnelle, à celle de la mémoire collective. Selon Simon Njami72, on pourrait définir l'identité comme un étant-dans-lemonde. Ainsi la carte d'identité n'informe pas sur ce que nous sommes mais plutôt sur l'endroit d'où nous venons. Cette identité renvoie à une identification par rapport à un tout : la nation. C'est cette première notion qui participe à la construction des nations africaines modernes, qui émergent des turbulences de l'histoire du 20ème siècle. L'Afrique actuelle n'est que le fruit d'une histoire corrigée par d'autres. De là l'impossibilité pour l'Africain de

69 « L'Afrique n'est pas une thématique. », entretien avec Simon Njami, op. cit., p.11.

70 Simon Njami in « Á propos de l'exposition Africa Remix, l'art contemporain d'un continent », revue Gradhiva, n°2, 2005, p.144.

71 Pour les trois sections, voir Volume annexes, annexe 20 Liste des artistes par section et parcours sélectifs, p.65.

72 Simon Njami « Identité et histoire », in AFRICA REMIX L'art contemporain d'un continent, Paris, éditions du Centre Georges Pompidou, 2005, p. 84-85.

se penser, dans un premier temps, autrement qu'en réaction à autrui, en l'occurrence au colonisateur. Á l'aube des Indépendances, il s'agit d'une affirmation collective où l'identité africaine ou arabe semble être alors le mot d'ordre. Dans les années 1980, la question n'est plus d'élaborer une Afrique postcoloniale, mais de définir la place de l'Africain en tant qu'individu dans un contexte plus global.

Ainsi s'oppose, d'une part, une mémoire collective qui scelle l'appartenance à un lieu, comme dans l'oeuvre Tabla de Moataz Nasr ou l'installation History has an aspect of oversight in the process of progressive blindness de Andries Botha, ou encore la sculpture For those left behind de Willie Bester, sur lequel l'oeil critique et citoyen de l'artiste va s'exercer ; et d'autre part, une mémoire personnelle où se confrontent pêle-mêle la sexualité, le politique, le féminisme, la race, les origines, comme dans les oeuvres Dansons de Zoulikha Bouabdellah ou Oyé, Oyé de Michèle Magema.

La construction d'une identité propre passe tout naturellement par l'identification du milieu dans lequel nous évoluons et entraîne la reconnaissance de l'autre. C'est ce rôle qu'assument les artistes comme Yinka Shonibare, Fernando Alvim ou Hassan Musa qui, chacun à leur manière, revisitent les grands mythes de la culture Occidentale. Dans son installation Victorian Philanthropist's Parlour, Yinka Shonibare offre une image hybride de la culture victorienne. Quant à Fernando Alvim, il fait de Belongo, son drapeau de la nation, un commentaire politique et historique. Enfin, le tableau Great American Nude d'Hassan Musa évoque une remise en question de la représentation esthétique de l'histoire Occidentale.

Ville et terre (29 artistes) : Ici, comme dans la section précédente, sont mises en scène des notions en apparence contradictoires. Si la ville et la terre sont souvent opposées, cette division en Afrique, peut-être plus qu'ailleurs, s'avère artificielle. La ville est une aberration de la terre. En Afrique, à quelques exceptions près, il n'y a que la capitale qui remplit les fonctions organiques d'une ville. La ville africaine est un conglomérat de sensibilités, d'humanités et de perceptions, vers laquelle convergent les villageois qui ont décidé de s`y installer de manière provisoire. Comme pour ceux qui partent à l'étranger il ne s'agit que d'une parenthèse nécessaire qui parfois peut durer une vie entière.

Les photographies de Pascale Marthine Tayou montrent cette urbanité rurale qui lie la fonctionnalité de l'une au caractère bucolique de l'autre. Cette notion de chantier, d'espace

en perpétuelle mutation se retrouve dans les photographies d'Otobong Nkanga ou dans le Township Wall d'Antonio Ole. Dans un même temps, la capitale est le lieu de rassemblement de la nation sans distinction d'ethnie et de fortune, la ville est un décor fabriqué, comme le montrent les images numériques d'Allan de Souza et les maquettes de Bodys Issek Kingelez. Dans son installation, On waiting the bus, Dilomprizulike se fait commentateur social. Les silhouettes fabriquées à partir d'objets de récupération sont à la fois acteurs et matière. La terre ou la nature sont une permanente totalité comme on peut le voir dans les photographies de Tracey Derrick, tandis que la ville est un ensemble fragmentaire. Dans son triptyque, Three cities, Rodney Place nous parle du rêve inavoué d'une intégration sud-africaine au grand continent.

Les artistes africains, qu'ils vivent sur leur terre natale ou loin de leurs origines, sont tous des naufragés volontaires. Dans cet exil intérieur, il n'existe plus de ville ou de campagne, mais une terre natale qui confond tout et ramène à l'équilibre initial.

Corps et esprit (24 artistes) : Dans cette section sont réunies des oeuvres dont la préoccupation est la représentation. Si elle associe le corps et l'âme, c'est parce que, en Afrique, ces entités sont inséparables. Dans ce contexte, il est plutôt question de l'esprit. Pour peu que le corps soit un instrument, il n'en demeure pas moins le moyen unique par lequel nous apparaissons aux autres.

Dés lors qu'il devient un élément de création artistique, le corps cesse d'être la matière que nous percevons pour devenir autre chose. Lorsque Frédéric Bruly Bouabré, philosophe autoproclamé d'une nouvelle spiritualité africaine, exprime ses théories dans ses dessins, le corps humain y figure. L'initiation dépeinte par Abdoulaye Konaté est illustrée par sept formes humaines qui sont la métaphore, selon l'artiste, des sept régimes de croyances auxquelles le 20ème siècle a été soumis. Le corps africain n'est africain que parce qu'il est revendiqué comme tel. Les portraits qui jalonnent le Pédiluve n°4 de Bili Bidjocka sont autant de spectateurs actifs qui nous renvoient à nous-mêmes. Tandis que les aquarelles de Barthélémy Toguo ou les collages de Wangechi Mutu, en déformant le corps classique, nous renvoient à une réflexion sur les êtres mutants, les extra-terrestres que sont devenus, métaphoriquement, les Africains. Cette notion de mutant nous renvoie d'ailleurs au texte « Chaos et métamorphoses » de Simon Njami. Le corps devient une toile vierge sur laquelle l'artiste transpose sa vision de notre humanité.

Nous sommes ici dans le domaine de la représentation, c'est-à-dire dans celui où l'on se projette, où l'on se présente aux autres. Et où l'on négocie les conditions de son appartenance au monde.

Mode, design et musique (3 artistes) : Cette section regroupe trois artistes designers : Joël Andrianomearisoa, Cheikh Diallo et Balthazar Faye. Leur participation à cet évènement témoigne de la volonté des organisateurs d'élargir le champ des expressions et d'en faire une exposition pluridisciplinaire. Musique, cinéma, littérature, design, mode sont mis ici à l'honneur. « L'exposition est pluridisciplinaire car la création l'est »73 déclare Simon Njami. Déjà, dans la Revue Noire, Simon Njami et son équipe abordaient des domaines très variés comme la photographie, le design, la mode ..., dans la ligne éditoriale mais aussi dans des numéraux spéciaux comme celui sur Joël Andrianomearisoa : Une première Joël Andrianomearisoa Tableau d'art, photographie, architecture, design, mode de cet artiste multi-média ou le numéro d'anthologie : Revue Noire n°21 Kinshasa, Zaïre qui incluait un CD inédit "Revue Noire à Kin". L'exposition Suites Africaines au Couvent des Cordeliers à Paris témoigne aussi de la même démarche pluridisciplinaire que Simon Njami a toujours eu et qui déhiérarchise les expressions tout en fédérant les créateurs de tout ordre. Les produits dérivés de l'exposition comme le CD 16 titres « AFRICA REMIX, L'ALBUM » sont aussi le reflet de cette volonté.

. Artistes / données générales sur les oeuvres

L'exposition Africa Remix présente les oeuvres de 82 artistes soit près de 200 oeuvres (188 exactement). Un calcul rapide nous indique le nombre d'oeuvres au m2 soit 11 ! Certaines sont regroupées ou très petites mais cette information nous renseigne sur la densité de cette exposition. La plupart des oeuvres sont récentes. Certaines sont postérieures à 2000 comme l'installation de Jane Alexander African Adventure (1999-2000) qui avait été conçue à l'origine pour le Mess des officiers britanniques au Château de Good Hope au Cap en Afrique du Sud. Certains dessins de William Kentridge ou de Frédéric Bruly Brouabré datent des années 1980 et 1990, tout comme les toiles présentées par Cyprien Tokoudagba, Georges Lilanga di Nyama et Sunday Jack Alpan. L'oeuvre de ce

73 Simon Njami, « Chaos et métamorphoses », op.cit. p3.

dernier, Le chef de police avait déjà été présenté en 1989 pour les Magiciens de la terre... D'autres oeuvres ont été créées spécialement pour l'exposition (plus de vingt) comme Témoins de douleurs (version War), de Soly Cissé, Bricoler l'incurable de Mohamed El Baz, The room of tears de Bili Bidjocka ou encore les installations d'Abdoulaye Konaté, Joël Andrianomearisoa ou d'Andries Botha. Le bar musical de Balthazar Faye et le salon de lecture de Cheick Diallo ont aussi été conçus pour l'exposition. Notons enfin, que 16 oeuvres ont été prêtées par la collection Jean Pigozzi (au même moment où Africa Remix se déroulait à Paris, une exposition au Grimaldi Forum à Monaco rassemblait un grand nombre d'oeuvres de la collection C.A.A.C74).

Nous avons procédé dans la partie ci-dessus à une description des oeuvres clefs de cette exposition en même temps que nous avons évoqué leur appartenance à chaque section proposée par les commissaires d'exposition. Nous allons donc nous attacher dans la partie suivante à la question du cheminement dans l'exposition et à la répartition des artistes, par section dans cet espace. Nous effectuerons ensuite une brève étude de l'origine géographique des artistes et de leur représentativité dans l'exposition.

. Cheminement75 / regroupement des artistes

Pour pénétrer dans l'exposition Africa Remix, il existe deux options. Face à la galerie 6 du niveau 1, se trouvent deux entrées : une en face de nous, qui nous projette directement dans l'installation Obstacles de Mounir Fatmi, et une, plus discrète sur la gauche qui donne directement sur les oeuvres de Chéri Samba. La plupart des visiteurs, moi y compris, ont pénétré dans la salle Mounir Fatmi lors de la visite. Dans la première esplanade qui s'offre devant nous, les 17 premiers artistes exposés appartiennent à la section Identité et histoire. Dans son texte introductif, Simon Njami nous dit : « Africa Remix est avant tout une exposition d'art contemporain. Néanmoins, aborder le fait contemporain en Afrique conduit inévitablement à relire l'histoire. Il implique également de créer un cadre

74 Contemporary Art African Collection, initiée par Jean Pigozzi et André Magnin après l'exposition les Magiciens de la terre, elle comporte six milles pièces et privilégie des artistes autodidactes. Elle couvre un large champ de médiums et d'artistes africains.

75 Nous revenons ici, comme dans la partie Description physique de l'exposition / Rôle de la scénographie et de l'espace dans la présentation des oeuvres, sur le cheminement dans l'exposition en abordant ce point d'un point de vue plus conceptuel que technique.

théorique qui rende les différents aspects de cette exposition accessibles à un large public. » Pour pénétrer plus avant, les commissaires nous invitent donc à une relecture de l'histoire à travers ces premieres oeuvres. Le troisième tiers de la travée et le fond de la galerie correspondent à la section Ville et terre (22 artistes). Passée cette introduction historique, il semble s'agir tout à la fois de l'exode rural, du rapport des africains à la notion de « ville », de l'immigration et de ce que Simon Njami classe sous le règne des artistes de la « diaspora ». La troisième partie de l'exposition (la deuxième esplanade qui méne vers la sortie) présente des artistes appartenant à Corps et esprit avant de revenir vers la section Identité et histoire. Pourquoi finir sur la section du début, comme si la boucle était bouclée par les questions identitaires et historiques ? Ainsi, la dernière oeuvre à laquelle le visiteur soit confronté est la peinture Le Monde vomissant de Chéri Samba, planète rouge à tête négroïde portant des continents pailletés et dorés sur ses flancs, et vomissant simultanément le continent américain sur lequel est peint un char d'assaut camouflé.

Á moins de repasser par la salle des Obstacles de Mounir Fatmi...

. Autour de l'exposition : coioque, évènements, marketing

L'exposition Africa Remix a permis de mettre en place un certain nombre de réflexions et d'échanges autour des questions qu'elle soulevait76. Ainsi, un colloque de deux jours (les 15 et 16 juin 2005) a été organisé en collaboration avec le Musée du quai Branly, désireux, selon Marie-Laure Bernadac de « prendre le train en marche ». « J'avais effectué un rapport pour le quai Branly pour organiser une grande exposition d'art contemporain à Paris, au moment où il était question que je gère leur politique d'art contemporain africain [...], le quai Branly ne m'a jamais répondu mais j'avais également envoyé cette proposition à Bruno Racine. Il m'a alors convoqué en me disant qu'il était tout à fait partant et qu'il fallait absolument organiser cette exposition [...], c'est là que le quai Branly, furieux de voir que l'on organisait une exposition de cette ampleur, et désireux de se positionner théoriquement s'est raccroché au projet77. » Conjointement, une rencontre a été organisée avec quatre artistes : Ingrid Mwangi, Pascale Marthine Tayou, Mounir Fatmi et Wim Botha le 26 mai ainsi qu'un cycle de cinéma « Fictions Afrique » du 25 mai au 27 juin. Toute une gamme de produits dérivés : CD, pochettes, sets de tables, affiches, cartes

76 Voir Volume annexes, annexe 24, Colloque / évènements / produits dérivés, p.89.

77 Voir entretien avec Marie-Laure Bernadac, Volume annexes, annexe 27, op.cit., p.9

postales étaient proposés aux visiteurs, en plus des deux catalogues d'expositions : une version « réduite » de 60 pages et un catalogue plus conséquent de 340 pages.

. Itinéraire de l'exposition

L'intérêt d'Africa Remix, du point de vue des commissaires organisateurs, était à la base de pouvoir être vu dans plusieurs pays du monde. Comme nous l'avons déjà évoqué précédemment, cette exposition s'est déplacée sur trois continents :

- Museum Kunst Palast, Düsseldorf, Allemagne, du 24 juillet au 7 novembre 2004, commissaire d'exposition : Jean-Hubert Martin,

- Hayward Gallery, Londres, Royaume-Uni, du 10 février au 1 avril 2005, commissaire d'exposition : Roger Malbert,

- Centre Pompidou, Paris, France, du 25 mai au 8 août 2005, commissaire d'exposition : Marie-Laure Bernadac,

- Mori Art Museum, Tokyo, Japon, du 27 mai au 31 août 2006, commissaire d'exposition : David Elliott,

- Moderna Museet, Stockholm, Suède, du 14 octobre 2006 au 14 janvier 2007, commissaire d'exposition : Simon Njami,

- Johannesburg Art Gallery, Johannesburg, Afrique du Sud, du 1er février au 5 juillet 2007, commissaires d'exposition : Clive Kellner, Simon Njami.

On notera que le format de l'exposition a été trés différent suivant les lieux (beaucoup plus d'espace pour celle de Düsseldorf soit près de 1000 m2 en plus), avec, selon Simon Njami, une exposition très aboutie à Tokyo : « l'Africa Remix idéale tant en termes d'espace que de scénographie et de fréquentation ». Selon Marie-Laure Bernadac, « Elles sont toutes différentes, très différentes. Il y a la même base mais chaque exposition, et je l'ai toujours revendiqué, se devait d'être vivante, de s'enrichir, d'être présentée différemment. De plus, il ne s'agit pas du même public, du même contexte et des mêmes institutions »78. Enfin, rappelons que la grande victoire du commissaire général Simon Njami est que cette exposition ait pu être vue en Afrique du Sud par un public africain. Il aurait souhaité qu'elle soit montrée dans d'autres pays mais aprés que plusieurs lieux aient été envisagés, seule la Johannesburg Art Gallery présentait une structure satisfaisante

78 Interview de Marie-Laure Bernadac par Clémentine Dirié, op.cit., p.10.

pour accueillir l'exposition. Des difficultés administratives, politiques et organisationnelles dans les autres pays proposés n'ont pas permis ce parcours en Afrique.

Pour ce qui est de la définition du parcours, le Japon est venu se rajouter après que David Elliott est été nommé directeur du Mori Museum. Rogert Malbert a rejoint l'équipe des commissaires pour l'exposition à Londres, et bien sûr Jean-Hubert Martin à Düsseldorf, porteur d'une vision bien particulière sur l'art africain contemporain. L'intérêt de cette exposition réside donc dans la pluralité des visions portées par les différents commissaires sélectionnés. « Simon Njami a vraiment donné au projet une orientation post Revue Noire, une implication contemporaine, un peu anti-magiciens de la terre, pour aller vite, alors que Jean-Hubert défendait son point de vue « Magiciens ». David Elliott et moi-même étions entre les deux. On reconnaît donc qu'il s'agit d'un commissariat composite, hétéroclite et que chacun vient avec sa formation, sa génération, son expérience79. » Dans la préface de l'exposition Les Afriques : 36 artistes contemporains au Musée des Arts derniers d'Olivier Sultan à Paris, Simon Njami note : « Dès le début des années 1990, on note deux tendances dans ce que l'on nomme la création contemporaine africaine : une tendance internationaliste soutenue par la Revue Noire qui refuse tout exotisme et africanisme triomphant, traduite dans la collection de l'allemand Hans Bogatze ; et l'autre, « authentique », héritée des Magiciens de la terre, et largement représentée dans une collection comme celle de John Pigozzi »80.

Aprés avoir mis en lumière les réussites et les faiblesses de l'exposition Africa Remix, nous allons proposer dans la partie qui suit un aperçu des différentes expositions et évènements liés à la « catégorie » art contemporain africain depuis les Indépendances. Ce panorama nous permettra de voir quelles autres tentatives et formes de monstration de l'art contemporain africain ont été développées. Puis, nous dresserons un bilan de l'exposition Africa Remix, avant de développer notre position sur l'avenir contemporain en Afrique après cette exposition.

79 Interview de Marie-Laure Bernadac par Clémentine Dirié, op.cit., p.10.

80 Simon Njami, « Préface - l'histoire de l'art contemporain africain » in Les Afriques : 36 artistes contemporains, Paris, éditions Autrement, 2004, p.13.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe