WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Féminisme, genre et développement en Amérique latine: le cas de Novib (ONG néerlandaise )

( Télécharger le fichier original )
par Zoé Maus
Université libre de Bruxelles - DEA pluridisciplinaire 2002
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

U NIVERSITE L IBRE DE B RUXELLES
F ACULTE DE P HILOSOPHIE ET L ETTRES

F EMINISME, GENRE ET

D EVELOPPEMENT EN A MERIQUE

LATINE

LE TRAVAIL DE NOVIB

Mémoire présenté par Zoé Maus dans le cadre du DEA Pluridisciplinaire

Sous la direction de Madame Bérengere Marques-Pereira

Chercher à rendre visible ce qui est là devant nos yeux, mais que, pour des raisons multiples certains ont désappris à voir, certains ne veulent pas voir ou s'évertuent à cacher. Rendre visibles les fragments de possible saisis dans l'entre-deux luttes. Rendre visible c'est traquer les violences des rives, créer des points de rupture, des bifurcations, c'est poser la question du devenir, poser la question: vers quoi on va? et ne pas laisser les choses se perdre. Rendre visible ce qui est imperceptible hors du trajet.

Tessa Polak

Remerciements

Je remercie:

Madame Marques-Pereira pour son soutien, sa confiance et ses précieux conseils durant l'élaboration de ce mémoire.

Irma Van Dueren et Liesbeth van der Hoogte de NOVIB à La Haye

ainsi que Channah Bentheim et Brigitte Gloire de Oxfam-Solidarité à Bruxelles d'avoir consacré de leur temps à répondre à mes questions.

le Monde Selon les Femmes (en particulier Hélène Ryckmans), qui m'a chaleureusement accueilli et fait profiter de son centre de documentation.

J'adresse mes plus sincères remerciements à Catherine, sans qui je n'aurais jamais surmonté les difficultés, les craintes et les angoisses. Merci pour ses encouragements, critiques, commentaires, corrections et surtout, merci pour son inaltérable et précieuse amitié.

Je remercie également Samira et Annabelle, pour leur écoute amicale et leurs encouragements. Je remercie également ma famille et mes amis (ils se reconna»tront), qui m'ont apporté leur soutien.

Merci aussi à Patrick, malgré tout.

Enfin, j'ai une pensée reconnaissance pour toutes les personnes qui ont contribué, par leurs actions, leurs réflexions, leurs luttes, volontairement ou involontairement, de loin ou de près, ici ou là-bas, à la réflexion personnelle entamée il y a cinq ans et qui est à la base de ce mémoire.

Je pense en particulier aux femmes rencontrées lors de mes différents voyages en Amérique centrale et au Mexique et qui m'ont gentiment fait part de leurs réflexions et expériences.

INTRODUCTION

Introduction

Le sujet de cette recherche est le fruit de plusieurs experiences, professionnelles et privees en rapport avec les relations nord-sud. Etant personnellement proche d'un courant pour "un autre developpement", familière avec le domaine de l'education au developpement mais aussi de quelques collectifs actifs dans la recherche-action, j'ai plus ou moins naturellement dirige mes recherches vers la question du genre dans ces domaines. En effet, les femmes sont, à beaucoup d'egards, les invisibles de l'humanite, comme peuvent l'etre, dans d'autres domaines, les zapatistes, les sans -papiers ou les sans-tickets. Mais elles semblent egalement etre absentes du discours de ceux -là meme qui pretendent parler des "sans visages". Notamment, il est surprenant de voir que dans les mouvements alter-mondialiste, cette question n'est abordee que par les groupes feministes.

Le sujet me semblait donc etre à l'intersection de plusieurs de mes preoccupations et je savais que si je parvenais à defaire le nÏud de l'integration du genre, tant dans la cooperation au developpement stricto sensu que dans les autres formes de nouvelles solidarites, je pourrais aussi etre plus claire quant aux strategies à adopter dans mes actions.

1. PLAN DE TRAVAIL

Pour etudier cette question, il me fallait un fil conducteur, quelque chose qui me permette de dépasser la simple description de ce qui se fait et se dit. Mon experience professionnelle à VOICE (reseau europeen d'ONG d'aide humanitaire) mÕa donne l'occasion de travailler sur la question du genre dans le développement en general et l'aide humanitaire en particulier. CÕest lors de cette experience que j'ai trouve ce fil conducteur, ou plutTMt, que j'en ai eu l'intuition. Alors que j'essayais de mettre sur pied un groupe de travail qui se pencherait sur l'integration du genre dans l'aide d'urgence, j'ai pu constater que la chose n'etait pas facile. JÕai tente de reunir les gens pour discuter du probleme mais la plupart des personnes concernees etaient là par intérêt personnel et ne disposaient ni d'un reel pouvoir, ni d'un mandat clair de leur organisation. En outre, les fonds necessaires au bon fonctionnement du groupe de travail etaient inexistants. Il y avait donc des reticences à se pencher sur une question pour laquelle, me disait-on, des sommes enormes avaient déjà ete depensees en vain. Pourquoi toutes ces difficultés alors que le genre figure pourtant à l'ordre du jour de toutes les ONG et institutions internationales depuis quelques annees déjà?

Je me rendais alors compte qu'il y avait deux problemes: l'un etait lie à la question du savoir, l'autre à la question du pouvoir. Ces deux questions intrinsequement likes constituent un fondement de la question de genre et de son evolution. Le personnel des ONG avait une idee genérale et assez vague de ce que pouvait recouvrir le concept de genre. Il ne disposait cependant pas de connaissances suffisantes de ce que pourrait etre une pratique du "genre et developpement" et savait enco re moins comment la differencier de la pratique "femme et developpement".

Premier probleme, il assimilait encore largement "femmes" et "genre". Dans une certaine mesure, cette confusion est caractéristique du monde ONG. Il n'est pas rare en effet que les "professionnels du développement", emportes dans leur pratique quotidienne, omettent de se pencher sur la signification de leurs actions. En effet, beaucoup d'ONG souffrent dÕun manque de systematisation des experiences; et le probleme s'avere particulierement criant

dans le domaine de l'urgence oü l'incapacité à faire du "lessons learning"1 est plus marquée que dans le développement à long terme.

A. Première partie: Savoir, genre et pouvoir

Savoir

Le point crucial de l'intégration du genre dans le développement s'apparenterait donc à un problème de "savoir". Le savoir (ou connaissances) étant constitutif des formes sociales, il participe de la constitution et de la reconstitution chronique de ces structures.2 Si l'on suit Alain Eraly dans sa définition des connaissances, celles-ci sont

"des capacités apprises au travers des rapports sociaux et qui contribuent à les réaliser, des ensembles de catégories, de références, de notions et de concepts, incorporés au langage, par lesquels notamment on définit la réal ité et notre relation à cette réalité. Les connaissances sont enfin des pratiques sociales dans la mesure oü l'utilisation, la transmission, la diffusion, l'élaboration des connaissances comprennent nécessairement des activités non seulement cognitives, définissables dans l'abstrait, mais encore des activités très concrètes de relation, de transmission d'information, d'organisation et de gestion."3

Cette définition permet de dégager deux caractéristiques que nous développerons par la suite: le savoir ne peut être séparé d'une pratique et découle de l'expérience, il systématise dans un corpus théorisé lui permettant de reproduire une expérience particulière.

Genre

C'est donc à la lumière de cette définition du savoir que j'aborderai l'élaboration du savoir féministe ainsi que la question du genre proprement dite. Le genre est un concept qui décrit une réalité socialement construite. Il importe donc de cerner la construction de cette notion et de voir quelles en sont la portée et les limites. Dans le cas qui nous occupe, il est important de montrer que le passage de la notion "Femmes et développement" à la notion "Genre et développement" nécessite un véritable processus de déconstruction/ reconstruction de la manière de penser le développement en général, le rTMle des femmes dans ce développement en particulier. Dans ce domaine, j'ai pu faire certains constats et dégager des pistes d'analyse et de solutions.

Les premiers constats que j'ai pu faire sont d'ordre conceptuel: le genre est un concept, une notion, qui a été en quelque sorte ÇinventéeÈ et qui contient intrinsèquement les germes nécessaires à sa critique. Si j'en avais déjà eu l'intuition, la notion de "momentum concept" de John Hoffmann4 m'a aidée à clarifier ce caractère dynamique du genre. Car si le sexe est objectivement définissable (du moins en tant que caractéristique biologique), le genre lui ne l'est pas. En tant que construction sociale, le genre est le fruit d'un certain point de vue. Lorsqu'on parle des rTMles, des comportements ou attitudes typiquement liés à un sexe, qu'il soit masculin ou féminin, il s'agit déjà de données construites qu'il nous faut déconstruire afin de pouvoir repartir sur des bases nouvelles. Ce processus a pour objectif final, dans le

1 Terme de jargon du milieu du développement, littéralement "apprentissage de leçon", utilisé pour désigner le fait d'utiliser les expériences pour améliorer les pratiques, via un processus de "recherche-développement". Durant mon expérience au sein de VOICE, j'ai pu constater que le "lessons

learning" était une des pierres d'achoppement majeures da ns le travail des ONG et des Institutions du développement. Emportées dans l'urgence et la nécessité de réussir leurs projets, elles en perdent souvent de vue qu'il "faut s'arrêter et se retourner" de temps en temps.

2 ERALY Alain, Sociologie de la connaissance, syllabus, ULB, Bruxelles, 1992-93

3 idem, p. 5

4 HOFFMAN John: Gender and Sovereignty, Feminisme, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001.

chef de nombre de féministes, de mettre fin à une organisation patriarcale du monde. Nous tenterons également de définir ce qu'est un monde patriarcal et démontrer en quoi cette organisation rend difficile l'intégration du genre dans la coopération au développement. Dans le travail de déconstruction/ reconstruction, certains concepts doivent impérativement être déconstruits pour faire place à une nouvelle forme de pensée.

Le second constat, d'ordre plus pratique et général, tient en quelques mots: depuis que le genre a commencé, à petits pas, à être intégré dans la coopération au développement, le chemin parcouru n'est pas négligeable mais le chemin à parcourir est encore long. On peut se demander en effet si, après des années d'efforts pour féminiser le développement, les femmes du Sud en ont réellement bénéficié et si les institutions du patriarcat ont réellement été affaiblies. Malheureusement, on doit se rendre à l'évidence: les politiques et pratiques des agences de développement, nationales et internationales, qui ont intégré le FED/GED5 doivent encore être critiquées. Il ne suffisait pas de "add women and stir"6 comme l'ont cru certain(e)s, pour que les politiques de développement aient de réels impacts positifs sur la population féminine et sur les relations entre hommes et femmes.

Cette question de la constitution du savoir, et ensuite de son utilisation, nous ramène également au deuxième problème que nous avons pu relever, à savoir la question du pouvoir.

Pouvoir

Le pouvoir est quelque chose de complexe, c'est une toile aux multiples fils. Dans son Histoire du Savoir, Michel Foucault donne une définition relationnelle du pouvoir. Celui-ci est constitué de la multiplicité des rapports de force mouvants. De plus,

le pouvoir ne se possède pas, il n'est pas quelque chose qui s'acquiert, s'arrache ou se partage, quelque chose qu'on garde ou qu'on laisse échapper; le pouvoir s'exerce à partir

de

points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles." 7

Comme le savoir se transmettrait par le biais des relations sociales, le pouvoir s'exerce donc à partir de points innombrables, et c'est le socle mouvant des rapports de force qui induisent sans cesse, par leur inégalité, des états de pouvoir, locaux et instables. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un "état-major" du pouvoir, mais que celui -ci traverse l'ensemble du corps social. Cependant poursuit Foucault, il n'y a pas de pouvoir sans intentionnalité. C'est l'ensemble de ces intentions et objectifs qui, en s'encha»nant les unes aux autres, s'appelant et se propageant, trouvant ainsi ailleurs leur appui et leur condition, forment finalement des dispositifs d'ensemble, sortes de grandes stratégies anonymes.8 Si comme nous le verrons dans le chapitre II, le savoir du développement a permis la mise en Ïuvre d'un "dispositif de développement", cela ne serait

5 J'utiliserai au cours de ce travail les traductions francaises, peu usitées, de FED (femmes et développement) et GED (genre et développement) plutôt que les abréviations anglaises de Women in Development (WID), Women and Development (WAD) et Gender and Development (GAD). A propos du FED (Femmes et développement) une nuance peut être apportée entre "femmes dans le développement" (FDD) et "femmes et développement" (FED), nuance qui est soulignée dans certains ouvrages théoriques en anglais et qui montre le passage évolutif de "l'intégration" des femmes au développement vers l'étude des relations entre femmes et développement. Ce choix du francais se fait néanmoins un peu à contre-courant puisque dans le monde des ONG, oil l'anglais est la langue véhiculaire, les abréviations WID et GAD sont largement entrée dans la vocabulaire courant alors que leurs traductions françaises le sont moins.

6 "Ajouter des femmes et secouer": beaucoup de féministes ont critiqué le fait que dans de nombreux cas, les agences de développement ne faisaient qu'ajouter le terme "femmes" (ou "genre") dans leurs programmes pour se donner bonne conscience mais qu'en réalité, peu de modifications étaient apportées et que les programmes avaient les mêmes effets désastreux sur les femmes.

7 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, la volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976, p. 123.

8 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976, pp. 121-127.

donc pas le résultat d'une grande manipulation, mais plutôt celui de la convergence de plusieurs facteurs et notamment d'une volonté et d'une nécessité de contrôler les populations pour les gérer. Mais cette volonté se cache, anonymement, derrière une nécessité absolue, justifiée par un savoir.

Ce "dispositif" qui se met en place, instrumentalisation du savoir, rappelle ainsi ce qu'Eraly appelle idéologie. Pour lui l'idéologie est une construction signifiante socialement transmi ssible assurant une fonction de legitimation. La légitimation prend pour lui deux sens. Dans le premier, le pouvoir est justifié, dans le deuxième il est dissimulé. La légitimation désigne dans ce deuxième cas le fait d'un pouvoir qui engendre ou entretient les conditions de sa méconnaissance. C'est donc un processus qui a pour effet d'attribuer la contrainte sociale à une construction abstraite ou de la subsumer sous des lois biologiques.9

Mais, souligne Foucault, il n'y a pas de pouvoir sans résistance et, tout comme il existe une multiplicité de points de pouvoir, existent une multiplicité de points de résistance. Ceux -ci sont "l'irréductible vis-à-vis" des relations de pouvoir et forment également un "épais tissu qui traverse les appareils et les institutions, sans se localiser exactement en eux, traversant les stratifications et les unités individuelles". Ce binôme "pouvoir -résistance" est utile afin de comprendre la situation des ONG qui sont à la fois partie de ce dispositif et résistance à celui-ci. Leurs discours, actions et relations (notamment avec leurs "partenaires du Sud") sont inscrits dans cette "double contrainte" qui font des ONG des partenaires du pouvoir mais également des agents de changement. C'est donc à partir de cette double perspective que nous analyserons d'une part le développement en général, l'intégration du genre dans le développement en particulier. Ce clivage nous sera également très utile lors de l'analyse de cas.

B. Deuxième partie: Femmes et développement - genre et développement

Cette question fera l'objet de la deuxième partie de la recherche. A la lumière des observations de la première partie sur le savoir - pouvoir, j'essayerai de voir comment ont été conçues les politiques touchant les femmes dans le domaine du développement, quels sont les présupposés et les catégories d'analyse qui ont servi à l'élaboration des différentes approches de la question et comment ces approches ont évolué en fonction du contexte.

Depuis les années soixante, une nette évolution est perceptible dans le monde de la coopération en ce qui concerne les femmes. Différentes approches caractéristiques des évolutions successives de la coopération, ont défini une facon d'intégrer les femmes dans le développement. Des cadres d'analyses ont été élaborés, notamment le cadre des rôles de genre de Harvard et celui de Caroline Moser10 qui se base sur les théories des rôles et des besoins de femmes ainsi que l'analyse des relations sociales. Ces conceptualisations, bien qu'elles représentent une avancée considérable dans le long parcours vers l'approche "GED", ne sont pas exemptes de critiques. Pour revenir aux momentum concepts de Hoffman, ces conceptualisations portent en elles les germes de leur propre critique et donc de leur évolution. En effet, les critiques que l'on peut émettre à ces cadres permettent de donner des pistes pour que le genre soit mieux intégré, mieux compris et mieux appliqué. Les critiquer me permettra de poser les bases de nouveaux cadres d'analyse que j'ébaucherai.

9 ERALY, opcit, p. VIII 20-28. Nous précisons que cette définition est donnée par Eraly dans le cadre de la Sociologie de la connaissance et qu'il ne s'agit que d'une définition parmi d'autres. Nous l'utilisons parce qu'elle définit bien ce que nous voulons exprimer dans le cadre de ce mémoire, à savoir, l'utilisation du savoir afin de légitimer uncertain point de vue et qui contribue à la mise en place d'un dispositif.

10 MOSER Caroline O.N., Planificación de género y desarollo: teoria, practica y capacitación, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995.

En basant l'analyse sur les concepts de savoir et de pouvoir/puissance, j'analyserai ces différentes approches afin de comprendre comment le dispositif de développement s'est constitué d'une part, quelles sont les alternatives envisageables à l'approche actuellement appliquée d'autre part. Nous aborderons dans ce cadre l'idée d'autonomie et observerons quelles sont les pistes déjà suivies dans cette direction. Nous observerons notamment comment cette question est abordée par les ONG et en quoi les ONG, en tant que "mouvement s ocial", ont un rTMle crucial dans la construction d'une vision alternative de la question. Par mouvement social nous entendons, à l'instar de Teresita De Barbieri, tout mouvement qui ne prétend pas s'emparer de l'Etat mais bien peser sur ses politiques et son pouvoir de manière à y intégrer leurs propres projets de société.11 Cette analyse nous permettra de comparer ce qui se fait dans les ONG du Nord et la manière dont travaillent les femmes du Sud.

C. Troisième partie: Féminisme et développement en Amérique latine

Notre expérience personnelle nous a amenée à effectuer plusieurs voyages au Mexique et en Amérique centrale, voyages au cours desquels nous avons découvert des femmes debout, en lutte pour leurs droits, pour leur autonomie, qui nous ont fait découvrir une autre facette de ce que nous pensions être la réalité de terrain de la coopération au développement. Ce sont sans doute ces rencontres qui ont suscité le choix de ce mémoire. Nous nous limiterons donc, dans notre analyse de cas, à l'Amérique latine puisqu'il s'agit de la zone géographique que nous connaissons le mieux.

D'autre part, le féminisme et les mouvements d'organisations des femmes sont particulièrement développés en Amérique latine et ont, ces trente dernières années, effectué un cheminement énorme, tant dans la pratique que dans la théorie. Si certaines critiques sont émises quant au caractère "féministe" des "latinas", l'histoire nous montre que ces femmes n'ont rien à envier à leurs consÏurs du Nord. L'histoire particulière des pays sud - américains a forgé un féminisme basé sur un large mouvement social et politique, issu de différentes luttes et a rendu "le modèle latino-américain unique dans son organisation des femmes"12

Cette partie s'attachera donc à brosser un tableau de la situation générale en Amérique latine. Ensuite nous analyserons quelques grands traits des mouvements de femmes et des mouvements féministes pour terminer par une réflexion sur les liens entre ces groupes et la coopération internationale.

C. Quatrième partie: NOVIB: un exemple d'ONG engagée dans le genre

Enfin, pour la troisième partie consacrée à l'analyse, il me fallait trouver une (ou plusieurs) ONG(s) qui avaient fait du genre un des points centraux de leur travail. Il fallait en outre qu'elle(s) ai(en)t un historique dans le domaine qui puisse être étudiable, c'est-à-dire ayant suffisamment d'expériences, tant dans le domaine de la recherche et la production de

11 citée par WEINSTEIN Marisa, La citoyenneté dans les relations Etat-femmes populaires, in MARQUES-PEREIRA Bérengère: Femmes dans la Cité: Amérique latine et Portugal, Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, pp. 43-74, p. 66. Considérer les ONG comme un mouvement social est dans une certaine mesure un raccourci et nous expose à des critiques non dénuées de justesse sur leur participation parfois complaisante au.système néo-libéral. Nous pensons néanmoins que leur travail en général en fait des "mouvements sociaux", comme le sont les syndicats par exemple. Consciente de ces critiques, nous utiliserons néanmoins le qualificatif de mouvement social comme étant une sorte d'idéal à atteindre.

12 SAPORTA STERNBACH Nancy (et alii), Feminisms in Latin America: from Bogota to San Bernardo, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 207-239.

connaissances spécifiques que dans celui de l'action sur le terrain (au Sud comme au Nord). Assez rapidement, il ne faisait pas de doute pour moi que l'une des seules, si pas la seule, ONG qui correspondait à ces critères était OXFAM; et plus particulièrement deux branches nationales de la fédération internationale d'OXFAM: la branche Britannique (OXFAM GB-I) et la branche hollandaise (NOVIB) qui combinent une histoire qui a "évolué avec son temps" et un travail de recherche et de systématisation des expériences peu répandu dans les ONG.

Pour des raisons pratiques (proximité et facilité d'accès aux documents) et personnelles (j'avais pu me rendre compte de leur travail en Amérique du Sud lors de voyages sur place), je me suis focalisée sur le cas hollandais même si je me réfère de temps à autre au cas britannique.

Je tracerai dans un premier temps un bref historique et une description des principes politiques généraux de NOVIB. Ensuite, j'étudierai à la lumière de l'analyse faite dans les deux premières parties comment NOVIB a intégré le genre dans sa facon de travailler. J'analyserai cela d'abord au niveau des principes théoriques (statuts, plans d'action, É) pour ensuite passer à l'aspect de l'application pratique (organisation interne, projets soutenus, relations avec les partenaires). Nous observerons plus particulièrement comment se sont concrétisés les divers projets d'intégration du genre en Amérique latine.

Nous terminerons enfin par une critique générale, à partir de ce cas particulier, de l'intégration du genre dans le développement, afin de voir quelles peuvent être les perspectives tant dans le domaine de l'intégration du genre dans la coopération au développement, que dans les stratégies communes de changement sociétal qui peuvent être mises en Ïuvre par la société civile du Nord et du Sud.

2. QUELQUES PRECISIONS METHODOLOGIQUES GENERALES

A. Les sources:

Le thème "genre et développement" a déjà fait l'objet d'une vaste littérature, adoptant une multitude de points de vues différents, contradictoires ou complémentaires. Selon l'origine des réflexions et recherches, l'appréciation est donc différente. Pou r ce travail nous nous sommes basée sur cinq types d'ouvrages:

- les recherches théoriques sur les liens entre savoir et pouvoir, en particulier dans le cadre du développement;

- les ouvrages traitant spécifiquement et pratiquement de l'intégration du genre dans le développement ainsi que les différents cadres d'analyse mis en place;

- les ouvrages traitant des mouvements sociaux en Amérique latine, en particulier les femmes, tant d'auteurs latino-américains que d'auteurs occidentaux;

- les textes des association s de femmes et groupes féministes latino-américains;

- les documents publiés par NOVIB et OXFAM (soit directement, soit en collaboration avec leurs partenaires du Nord et du Sud).

B. La méthode et ses limites:

Nous avons choisi d'aborder la question "Genre et Développement" sous l'angle des relations entre savoir et pouvoir et plus particulièrement le choix du concept foucaldien de dispositif. Ce choix est subjectif (il répond à une certaine vision personnelle de la question) et restreint d'emblée la portée de l'analyse que nous allons faire.

Le deuxième choix effectué est celui faire un lien entre le féminisme et la question "Genre et développement". Ce choix tient à notre conviction que sans liens avec ces féministes, la question du genre dans le développement perd une grande partie de son sens. Au contraire de certains qui pensent que le féminisme est "forcément" occidental, et que les féministes ne sont d'aucune aide pour l'intégration de cette question au développement, nous pensons que ces associations, groupes, organisations de femmes, directement ou indirectement féministes, sont d'une importance majeure. Quel sens auraient les actions de développement en effet si elles ne se font pas en relation étroite avec les groupes locaux? A quoi servirait de vouloir concevoir des projets intégrant les femmes et le genre si on ne tient pas compte de ce qui se fait déjà sur place?

Le féminisme étant un thème vaste et inépuisable, nous nous concentrerons sur le féminisme en Amérique latine, et en étudierons quelques aspects clés au niveau des revendications et l'organisation.

Enfin nous avons choisi d'analyser l'ONG Novib, en particulier son discours et ses actions en Amérique latine. Le choix d'une ONG non opérationnelle sur le terrain, ne faisant que du financement, nous empêchera de pouvoir faire une analyse plus approfondie de comment travaillent les ONG occidentales en Amérique latine. Ce choix est délibéré et nous pensons que loin de diminuer la portée de notre analyse, notamment à propos de ce nous nommerons le dispositif de développement, il permet de montrer au contraire une facon de travailler pour un autre développement. En effet, le fait de n'être que bailleur de fond permet à NOVIB d'avoir une relation certes basée sur le financement de projets mais aussi une relation de coopération et de soutien à des projets locaux dénuée d'autoritarisme et permettant aux partenaires locaux de développer leurs projets librement.

Ce mémoire ne prétend donc pas être ni exhaustif, ni complet. Nous avons tenté, en utilisant des concepts qui nous paraissent justes, d'analyser la vaste question du genre et du développement.

F EMINISME ET D EVELOPPEMENT:
A L' INTERSECTION DU SAVOIR ET
DU POUVOIR

Introduction: Définitions et

méthodologie

En introduction à cette recherche, il importe de bien définir ce que nous entendons à la fois par féminisme, genre, développement et ONG. Ces termes ne font pas l'unanimité; et c'est bien ce qui rend difficile leur utilisation tant au quotidien, lorsqu'on veut exprimer la relation complexe entre les deux genres composant l'humanité, que lorsqu'on désire les conceptualiser pour pouvoir mobiliser la notion de genre, a fortiori lorsqu'on les associe à un domaine également controversé tel le développement. Comme ces deux notions procèdent d'un savoir, il n'est pas inutile de faire quelques réflexions sur la constitution d'un savoir.

1. DE LA CONSTITUTION DU SAVOIR ET DU RAPPORT A L'OBJET

Le savoir est le fruit d'un cheminement idéologique et culturel qui a des répercussions sur la facon de construire son objet, en l'occurrence: les femmes, le genre et le développement. Tout concept est le résultat d'une pratique, quel qu'en soit le domaine.

Etant socialement construit, il doit être remis dans un contexte plus global que le simple cadre et la réalité particulière dans lesquels se sont développées les recherches, observations, analyses, systématisations et conceptualisations qui l'ont produit. Cette double contrainte entre le particulier et l'universel prend tout son sens dans le cas des études féministes et des études de développement.

Huguette Dagenais souligne ainsi que la recherche féministe ne part pas de catégories du discours ou de théories mais de problèmes concrets et de personnes, les femmes, pour arriver à une conceptualisa tion. 13 Cette recherche s'inscrit donc directement dans un vécu, dans une situation. Or si la réalité de la recherche féministe est effectivement ancrée dans le réel, les recherches sur les femmes, et par extension sur le genre, ont créé des objets d'étude non réductibles (les femmes) pour dégager des cadres conceptuels qui ont vocation à être universels mais qui sont dans la réalité souvent réducteurs.

2. QUELQUES DEFINITIONS DU GENRE

Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur soulignent le fait que le terme genre n'est pas apparu de facon soudaine. Il est selon elles une des étapes fondamentales de la recherche féministe et est le produit d'un cheminement intellectuel. 14

L'ONG Deutsche Welthungerhilfe donne cette définition de genre:

Les gens naissent femmes ou hommes mais apprennent à être des filles ou des garcons qui grandissent pour devenir des femmes ou des hommes. Ils apprennent quelles sont les attitudes et comportements appropriés, les rTMles et activités qui sont pour eux et comment ils doivent se mettre en relation avec les autres. Ce comportement acquis est ce qui fait l'identité de genre et détermine les rTMles de genre. 15

13 DAGENAIS Huguette, Conceptions et pratiques du développement: contributions féministes et perspectives d'avenir, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p. 32.

14 BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p. 14.

15 DEUTSCHE WELTHUNGERHILFE: Gender Training for GAA Staff, Bonn, 1997, polycopié, p.2.

La notion de genre est donc utilisee pour differencier les caracteristiques biologiques, qui sont donnees par la nature et ne peuvent etre changées des caractéristiques sociales qui sont apprises par la civilisation et peuvent etre changées. Le premier aspect important dans le genre est donc la difference entre genre et sexe.

Cette definition a suscité de nombreuses critiques. La critique principale decoule du caractere culturel du concept. Son peu d'universalite en ferait un outil de travail peu recommande. Tout comportement acquis culturellement fait en quelque sorte partie d'une sphere dans laquelle on ne peut s'immiscer. D'autre part inserer le genre dans les politiques reviendrait à s'introduire dans la sphère privee puisqu'on touche aux relations interpersonnelles. Alors que les critiques fusent par rapport au caractere culturel du genre, il y a moins de scrupules à utiliser des concepts tels celui de la croissance, bonne gouvernance ou droits de l'Homme, tous concepts typiquement occidentaux. Nous reviendrons sur la critique relative à la sphere privee ulterieurement.

Selon Isabelle Jacquet,

le genre est une construction theorique dont l'objectif est de faire en sorte que toute analyse, toute initiative, tout projet de developpement prenne en consideration l'existence du decoupage des societes et des activites humaines entre deux types d'individus: les hommes et les femmes16.

Le terme de genre designe donc les relations sociales entre les sexes. Cependant, on pourrait ajouter que ce sont toutes ces relations et non pas seulement celles que les femmes pourraient avoir avec les hommes, qui sont inclues dans ce concept.17 Restreindre l'etude du genre à la seule etude des femmes ne sert à rien, sinon peut-etre à para»tre plus neutre, plus serieux et moins effrayant que lorsqu'on utilise le terme 'femmes' ou 'feminisme'. Tout comme les autres relations sociales, celles qui se nouent entre hommes et femmes sont construites; elles ne reposent donc pas sur des caracteristiques naturelles/biologiques. Sexe et genre ne peuvent se confondre. Cette difference fondamentale est soulignee par John Hoffman qui remarque que, s'il n'y avait pas de différence entre sexe et genre, alors on devrait voir que dans une société sexiste, la domination des hommes résulte de leurs différences biologiques d'avec les femmes, et que l'égalité de genre ne pourrait 'etre possible qu'en effacant ces différences, chose qui n'est ni désirable ni vraiment possible.18

Pour Marques-Pereira le genre serait, de maniere globale,

une categorie analytique qui fait reférence à: la division sociale entre le masculin et le feminin, le rapport de pouvoir entre hommes et femmes fondé sur la division sexuelle du travail, le caractère transversal du genre à l'ensemble des rapports sociaux, le caractere dynamique du genre variable dans le temps et dans l'espace, le caractère quotidien des rapports de genre et la construction sociale des differences, non seulement entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes.19

De ces quelques definitions du genre nous tirerons le cadre général de notre analyse, dans
laquelle nous tenterons de voir en quoi l'aspect dynamique, global et transversal du concept

16 JACQUET Isabelle: Développement au Masculin/Féminin. Le genre, outil d'un nouveau concept, L'Harmattan, Paris, 1995, p.9.

17 Les relations sociales sont la base d'un cadre d'analyse du genre dans le développement, cadre que nous développerons dans la deuxième partie de ce travail.

18 HOFFMAN John: Gender and Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001, page 35. Traduction libre. NB: toutes les citations d'ouvrages en anglais ou en espagnol sont l'objet de traductions libres.

19 MARQUES-PEREIRA Bérengère, Femmes dans la cite dans le cTMne sud de l'Amérique latine et au Portugal, in MARQUES-PEREIRA Bérengère: Femmes dans la Cite: Amérique latine et Portugal, Sextant, ULB, n8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, p.12-13.

de genre peut servir de base à une redéfinition des rapports de pouvoir en agissant comme un "big bang conceptuel".

3. QUELQUES DEFINITIONS DU DEVELOPPEMENT

Puisqu'il s'agit d'analyser le genre dans le développement, et particulièrement dans les ONG, il importe de définir 'développement'.

Pour reprendre la définition de Labrecque,

le développement est un processus impliquant à la fois des catégories sociales et des individus d'une part, entra»nant un changement social d'autre part. Ce processus de changement social est le résultat de la combinaison de facteurs historiques, politiques et sociaux à la faveur desquels le poids relatif des rapports hiérarchiques se déplace et finit par se refléter dans la configuration générale de la société.20

C'est donc, comme le genre une construction sociale et intellectuelle. Comme pour le genre, on peut reprocher à ceux qui parlent de développement l'utilisation d'un concept culturellement connoté et empreint de jugements de valeur. Or cette critique vient moins rapidement à l'esprit. Elle est largement intégrée dans les mentalités, à l'opposé du genre. Pourtant la conception du développement qui est mise en avant actuellement s'appuie sur des conceptions occidentales de ce qui devrait être, et des moyens pour y arriver.

En effet, malgré une évolution ces dix dernières années, la notion de développement s'appuie sur une conception linéaire de la vie. Elle s'exprime notamment dans le domaine économique par une vision néo-libérale. La croissance économique, c'est-à-dire l'augmentation du PIB reste l'objectif premier à atteindre. Parallèlement, on voit les états nationaux être dépossédés de leurs prérogatives en matières sociales et économiques. Les institutions internationales, en particulier, proposent des solutions (les programmes d'ajustements structurels entre autres) qui ne font que renforcer la dépendance extérieure des états nationaux et le désabusement de la 'société civile'. Santos Boaventura de Souza, cité par Garcia Castro souligne que

la dévastation néo-libérale a créé une classe politique vénale, qui a privatisé l'Etat afin de privatiser l'économie et, ce faisant, réduit la société civile au marché et les citoyens en consommateurs ou en indigents. Ainsi défigurée, la société civile, loin d'être opposée à l'Etat, en est comme le miroir. Pour cela, la reconstruction de l'espace public de l'Etat n'est possible qu'à condition qu'il y ait aussi une reconstruction de l'espace publique non étatique.21

Cette reconstruction de l'espace public non-étatique fait partie d 'une autre vision du développement, opposée à la vision économiciste et qui est défendu par une partie des ONG du Nord, qui tentent de rendre la parole aux population du Sud par l'établissement de relations plus égalitaires, basées sur le respect et l'équité plutôt que la concurrence et la croissance. Cette vision s'est développée parallèlement à l'émergence des mouvements altermondialistes.

Dans cette volonté de redéfinition, le développement est, comme le soutient Arturo Escobar,

une expérience historique singulière, qu'il examine selon trois axes reliés entre eux: d'abord
celui de la construction de l'objet, ensuite celui du système de pouvoir qui régule les

20 LABRECQUE Marie France, Sortir du labyrinthe, femmes, développement et vie quotidienne en Colombie, Les Presses de l'Université d'Ottawa, Coll. Etudes de Femmes, Ottawa, 1997, p.19.

21 BOAVENTURA DE SOUZA Santos, Depois do diloevio neoliberal, in O Estado de Sa Paulo, 30 septembre 1996, cite par GARCIA CASTRO Mary : Le pouvoir des genres à l'époque du néo-libéralisme. Une réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in Alternatives Sud, Vol. V, n° 4, 1998, pp. 45-64, p. 53.

pratiques et, enfin, celui des formes de subjectivité qui sont suscitées par le discours du développement.22

4. METHODOLOGIE:

Nous avons relevé deux savoirs (ou champs de connaissances) pertinents: le(s) savoir(s) féministe(s) et le(s) savoir(s) du développement tel(s) qu'il(s) est (sont) défendu(s) par les ONG. L'objectif dans cette partie est donc de comprendre quels sont les liens entre les deux et comment ils ont évolué. Ces deux savoirs ont en commun d'être à la fois les produits et les producteurs d'expérience et d'action. Ils font la synthèse entre le théorique et le pratique ou du moins, tel est leur objectif.

1/ Nous aborderons donc dans un premier temps la question de la construction de

l'objet. Nous observerons comment le savoir féministe et le savoir du développement ont construit leur objet d'étude respectif et qui a participé à cette objectivation. Nous nous attacherons donc à donner un aperçu du savoir féministe d'une part, en mettant en exergue les points qui seront par la suite utilisés dans les cadres des approches FED et GED.

2/ Nous observerons ensuite que le développement du savoir est intimement lié à

l'exercice d'un pouvoir et que dans le cas du savoir du développement, ce lien est extrêmement fort. Ensuite voir quels sont les systèmes et relations de pouvoir qui entourent et régulent les pratiques du féminisme et du développement, comment et sur quelles bases elles se définissent.

3/ Enfin, nous aborderons la question du discours et de tout particulièrement la

question de l'instrumentalisation du sujet à des fins politiques de gestion du social. Les obstacles rencontrés sont donc de l'ordre de la construction autonome d'un savoir mais aussi de son utilisation à bon escient, dans l'idée que s'en font ceux qui l'ont conçu. D'autre part nous verrons comment le savoir du développement est utilisé pour gérer les populations auxquelles s'adressent les projets de développement.

22 ESCOBAR Arturo, Encountering development. The making and unmaking of the third world, Princeton University Press, Princeton, 1995, cité par LABRECQUE Marie France, Sortir du labyrinthe, femmes, développement et vie quotidienne en Colombie, Les Presses de l'Université d'Ottawa, Coll. Etudes de Femmes, Ottawa, 1997, p. 20.

Chapitre I: Savoir féministe et Savoir

de femmes

"L'anthropologie se penche sur la répartition sexuelle des tâches, fonctions, attributions, attributs, etc., dans telle ou telle société, avec souvent le projet de trouver une bonne raison ou deux pour qu'il en soit comme ilen est, que le cru aille à l'un et le cuit à l'autre, à moins que ce ne soit le contraire. Comme si, étant donné l'identité de l'un et l'autre sexe, on pouvait comprendre que le partage symbolique attribue ceci à l'un et cela à l'autre - le strict aux hommes, le flou aux femmes, dans l'ordre de la pensée comme dans celui de la confection, par exemple."23

1. LES RACINES

Si le savoir est socialement construit, il a été, pendant longtemps, socialement construit par les hommes et pour les hommes. Les hommes ont été, comme le souligne Marcela Lagarde, les "ma»tres de la parole" qui nomment le monde dans la société patriarcale. C'est à partir de ce monopole du savoir que les hommes ont construit des conceptions qui légitiment et fondent les systèmes de valeurs, les normes, les conditions cosmogoniques et les explications de l'ordre patriarcal.24 Ce savoir est donc construit autour d'un sujet et à partir d'un imaginaire purement masculins. Toutes les théories, sociologiques, psychanalytiques, politiques etc. ont donc été établies à partir de ce regard masculin et donc à partir d'une subjectivité masculine. L'homme et le masculin sont donc les paradigmes de toute l'humanité. Cette conception du savoir légitimateur d'un ordre social patriarcal rejoint en quelque sorte la notion d'idéologie telle qu'elle est définie par Eraly.25

Le contrôle du savoir par les hommes a donné lieu à la hiérarchisation du vivant selon des catégories construites, donnant à l'homme et au masculin un caractère historique, socialement construit, supérieur et valorisé et à la femme et au féminin un caractère naturel, inférieur et dévalorisé. Les hommes ont donc légitimé la domination qu'ils exercent sur les femmes et le féminin par le recours à l'argument de la "nature", des raisons biologiques, inaltérables. Toute une série de caractéristiques soi-disant naturelles sont donc attribuées aux femmes, notamment toutes les caractéristiques qui touchent au corps, à la sexualité et à la maternité. Or, comme le souligne Marta Lamas, penser que quelque chose est naturel c'est le croire immuable. Et c'est justement dit-elle, de la critique féministe du sexe comme étant quelque chose de donné et d'inamovible qu'a surgi l'utilisation de la catégorie "ge nre".26

Comme nous l'avions souligné dans nos définitions précédentes de genre (définitions de Jacquet, de Marques-Pereira27), ce concept a un caractère socialement et culturellement, ancré dans l'historicité, ainsi que dans une démarche intellectuelle large, perpétuellement en mouvement. Le genre serait un ainsi un "momentum concept", selon la terminologie de Hoffman. Pour Hoffman,

les "momentum concepts "sont des concepts qui ont une logique égalitaire et antihiérarchique", logique qui permet de rendre compte de manière progressive des différentes phases du concept.

23 LE DOEUFF Michèle, Le sexe du savoir, Aubier, Coll. Alto, Paris, 1998., p. 25.

24 LAGARDE Marcela, Identidad de Genero, Ed. Cenzontle, Managua, 1992, p. 13.

25 voir définition page 8

26 LAMAS Marta, Usos, dificultades y posibilidades de la categor'a de género, in La Ventana, 1:10-61, Universidad de Guadalajara, Mexico, 1995 (version online: http://www2.udg.mx/laventana/)

27 voir pages 10 et 11.

Par progres Hoffman entend "mouvement vers l'emancipation". Un "momentum concept" est donc

un concept qui peut se "déplier afin qu'il soit possible de continuellement le retravailler pour qu'il réalise encore et encore son potentiel egalitaire et anti-hierarchique".28

Cette conception correspond, ou devrait correspondre, A ce qu'est le concept de genre mais aussi le concept de développement.

Le genre, la relation masculin/féminin, est donc l'un des éclairages fondamentaux qui structure le monde A tous les niveaux de son organisation, qu'il s'agisse du symbolique, du politique ou de l'économique. Loin d'être un concept occidental, on s'apergoit également que le genre se retrouve, d'une manière ou d'une autre, dans toutes les sociétés. En effet, dans la plupart des cosmogonies, une relation de genre est élaborée. L'apport de l'anthropologie est A cette égard utile comme le rappelle Frangoise Gaspard.29

Le genre est un concept permettant une analyse globale de la société mais son utilisation implique également de se poser la question du savoir. En effet, si l'on admet que la société est toute entière traversée et modelée par le genre, le savoir qui est constitué l'est également. Utiliser le concept de genre pour définir les conditions d'un changement social serait donc également redéfinir les conditions de la production du savoir sur ce changement. C'est donc pour parer au biais masculin autour du savoir, ainsi que pour élaborer une conception globale de leur situation, que les femmes se sont mises, non seulement A revendiquer un changement sociétal, mais également A faire elles -mêmes des recherches et des études sur les conditions de leur domination, se mettant A la recherche de ce que Delphy nommerait "l'ennemi principal". 30

28 HOFFMAN John, Gender and Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001, p. 23.

29 Selon Gaspard, l'anthropologie nous permet de relever au moins trois données utiles pour l'analyse des sociétés modernes. La première est que le rapport inégal entre les deux sexes a précédé la constitution de sociétés de classes formées par la division sociale du travail. Ce rapport semble être fondé, y compris dans les sociétés matrilinéaires, sur le fait que l'appropriation par les hommes de sa voirs complexes et dangereux, en raison de la fonction reproductrice des femmes, a conféré aux premiers une aura particulière. La deuxième donnée est que le statut des femmes se serait dégradé avec le développement des inégalités entre les classes, la constitution de sociétés hiérarchisées, le développement de la sphère privée. La modernité jouerait donc contre les femmes qui en seraient, au moins A certaines périodes, les perdantes. La troisième donnée est que le biais androcentrique ne concerne pas seulement l'étude des sociétés primitives, et n'est évidemment pas le propre des hommes. Frangoise GASPARD: La République et les femmes in WIEVIORKA Michel, Line Société fragmentée. Le multiculturalisme en débat, La Découverte, Paris 1997, p.154.

30 Par rapport A cette question de la constitution du savoir, en particulier le savoir développé par les femmes, Michèle Le Doeuff, dans son ouvrage "Le sexe du savoir"30, constate que tant le savoir des femmes que le savoir sur les femmes sont entourés de préjugés masculin s (selon elle le savoir 'a un sexe') qu'il importe de déconstruire car ils influencent A la fois la méthodologie et les résultats du savoir qui est constitué, et ce dans la plupart des domaines. Ceci explique également le mépris dont les femmes sont l'obje t lorsqu'elles s'engagent dans le monde scientifique, voire dans quelque initiative raisonnée que ce soit. Selon certains, "elles ont tendance A développer un mode spécifiquement féminin de connaissances, imprégné d'irrationnel, d'intuition, de rapport affectueux A l'objet, rapport qui délégitime le savoir constitué".

Pourtant, ce rapport affectif est nécessaire et inévitable puisque le savoir est issu d'une pratique et d'une situation vécue par un être sensible, qu'il soit femme ou homme. Comme le soulignait Jean Rémy lors d'une conférence donnée A Louvain -la-Neuve en 1997, il est impératif d'associer le mental et l'affectif afin de produire du rationnel car, s'il n'y a rien de plus irrationnel qu'une raison détachée de l'affectif, un affectif détaché du mental est tout aussi irrationnel. Par rapport A la question de l'irrationnel, Le DÏuff se demande 'comment l'intuition est venue aux femmes?' D'un point de vue masculin, l'intuition est traditionnellement opposée A la raison et considérée comme étant une caractéristique plutôt féminine. Elle est définie comme étant une saisie intellectuelle directe de quelque chose de vrai, et ce par différence mais non nécessairement opposition radicale, avec la connaissance médiate ou laborieuse, cette dernière supposant raisonnement, discussion, débat intérieur, dialectique, expérimentation, déduction, langage, administration ou tentative d'administration d'une forme quelconque de preuveÉ ce qu'on appelle, globalement la connaissance discursive. L'intuition fut longtemps considérée comme, primo, un mode important et valide de connaissance, secundo un mode

2. LA RECHERCHE DE "L'ENNEMI PRINCIPAL"

A. Les tendances

C'est donc durant les années soixante qu'une nouvelle vague de féministes appara»t, elle a une volonté plus claire d'analyser les raisons de la subordination féminine et de rendre compte de l'apport des femmes a la vie sociale, apport ayant toujours paru aller tellement de soi qu'il paraissait inutile d'en parler. Dans les travaux précédents (masculins), soit l'inégalité hommes-femme n'était pas traitée soit elle y était justifiée. Et peu d'études montraient la genèse de cette domination. Cette 'deuxième'31 vague de féminisme a d'abord dii déconstruire avant de pouvoir reconstruire. Il fallait démontrer le caractère patriarcal des recherches et théories classiques avant de pouvoir développer une théorie politique propre, incluant les femmes et la liberté.

L'histoire et l'analyse des différents courants féministes montrent d'ailleurs que les analyses et les solutions proposées diffèrent largement. Trois grands courants se dessinent: les libérales, les marxistes et les radicales. Ils diffèrent par l'analyse des causes de la subordination des femmes et les stratégies de changement a mettre en Ïuvre pour mettre fin a cette subordination.32

susceptible de s'articuler à d'autres modes de pensée, tertio soit la meilleure forme de connaissance possible et le parachèvement d'un processus de découverte, soit celle sans laquelle rien n'aurait lieu parce qu'elle permet d'amorcer le processus." 30

A force de chercher la rationalité et l'objectivité a tout prix, les sciences sociales au sens large, ces sciences molles , perdent de vue que, leur objet étant le vivant et le vécu, aucune recherche ne peut faire abstraction du point de vue, et, pour revenir au sujet qui nous intéresse, a l'origine du savoir, largement constitué par les hommes. Une des causes principales de l'erreur en sociologie, et dans les sciences humaines en général, réside dans le rapport incontrôlé a l'objet. Comme le souligne Le DÏuff, le chercheur en sciences sociales ne peut contrôler l'objet de ses recherches (pas plus que le chercheur en physique ne peut contrôler la vitesse de la craie qui tombe a une vitesse v). Il peut par contre faire dire n'importe quoi a cet objet. Qu'on parle de catégories construites (Le DÏuff) ou de point de vue (Bourdieu - Bourdieu définit le point de vue comme étant la position occupée dans l'espace social et dans le champ scientifique), il y a dans la pensée, des catégories ou points de vue qui déterminent les objets, sans qu'on ne se pose de questions sur la pertinence des catégories qui ont mené a cette "objectivation" c'est a dire a transformer les femmes en "réalité objective, susceptible d'étude objective".

voir LE DOEUFF Michèle, Le sexe du savoir, Aubier, Coll. Alto, Paris, 1998.

BOURDIEU Pierre , Questions de Sociologie, Les Editions de Minuit, Paris, 1980, p. 22

31 La première ayant débuté notamment avec les suffragettes, début du XXème siècle.

32 Il ne s'agit pas ici d'étudier en détail ces trois courants mais d'en donner les caractéristiques principales. Dans son article sur les courants de la pensée féministe, Louise Toupin décrit ces trois courants en expliquant ce qui pour chacun constitue 'l'ennemi principal' et quelles sont les stratégies de changement prônées.

Les féministes libérales comme leur nom l'indiquent croient en les vertus du libéralisme et estiment simplement qu'il n'est pas adapté aux femmes. Il s'agit donc de socialiser autrement les femmes, de changer les mentalités et de faire pression pour faire changer les lois discriminantes.

Les féministes marxistes par contre considèrent que la cause de la domination masculine est justement le système capitaliste et la propriété privée. C'est donc bien le système économique qui est l'ennemi principal. Il faut donc abolir la société capitaliste et la remplacer par la propriété collective. Si les moyens utilisés ressemblent a ceux des féministes libérales, la fin est toute différente puisqu'il s'agit d'éliminer le capitalisme et la propriété privée. Il faut noter que les féministes marxistes n'ont pas toujours été bien acceptées par les marxistes eux - mêmes qui les accusaient d'être un mouvement 'individualiste-bourgeois' (a ce sujet, toute la réflexion de Simone de Beauvoir sur la convergence entre les luttes des classes et des sexes est fort intéressante, et son parcours personnel de militante de gauche a véritable militante féministe illustre les dilemmes qu'il peut y avoir entre les deux militances. Voir a cet égard l'ouvrage de Jacques Zéphir, Le néo-féminisme de Simone de Beauvoir, Denoël/Gonthier, Paris, 1982). Si le féminisme marxiste a été délaissé en Occident, beaucoup de féministes des pays du Sud continuent a utiliser le grille de lecture de la lutte des classes.

Une variante du féminisme marxiste est le féminisme socialiste qui couple son analyse du capitalisme comme
cause de la domination a l'analyse du patriarcat. Ces féministes tentent donc de voir comment s'articulent ces
deux 'systèmes d'oppression des femmes'. Elles sont influencées (et influencent elles-mêmes) les féministes du

B. Les approches dans la constitution du savoir

Teresita de Barbieri distingue, dans les études féministes, deux tendances. La première met l'accent sur la production d'un savoir sur les femmes et sur ce qui détermine leurs conditions sociales, la seconde souligne qu'il est important de comprendre que la subordination des femmes est le résultat de formes d'organisations sociales qu'il importe de prendre en compte. Pour ces féministes, on ne saurait se limiter à la seule étude des femmes.33 Ces deux visions de ce que doit etre le féminisme et le savoir féministe illustrent la différence qu'il peut y avoir entre un féminisme, qui viserait plutôt à faire de petits arrangements avec le système pour permettre aux femmes de réduire les inégalités entre hommes et femmes au sein d'un système social et un féminisme qui tenterait de changer le système pour que sa totalité soit plus égalitaire.

Pour beaucoup, la domination masculine est le noeud et c'est sur cette question qu'il faut se pencher. Comprendre comment, à partir de quel moment, sous quelles formes les m%oles ont exercé une domination sur les femmes constitue le centre de ces études. La première hypothèse quant à la subordination des femmes concerne leur rapport au pouvoir. Mais celui-ci ne se situe pas uniquement dans l'Etat ou les appareils bureaucratiques: ce pouvoir est multiple et se localise dans de nombreux espaces de socialisation.

Parallèlement à l'émergence de ces "women studies"34, et en quelque sorte gr%oce à eux, les femmes commencent à etre intégrées dans de plus en plus de domaines, notamment celui de la coopération alors que pendant longtemps, les femmes ont été doublement exclues: du savoir et des études d'une part et des objets memes de ces études d'autre part.

3. LE GENRE: UN BIG BANG CONCEPTUEL

Au vu de ce qui a été développé ci-dessus, nous avons choisi de pointer deux traits qui nous
semblaient important: le rapport entre genre et féminisme et la différenciation entre sphère
privée et sphère publique. Dans ces deux points, c'est du positionnement social des

Sud (p. e. DAWN), les féministes lesbiennes ou les tenantes du Black Feminism dans leur tentative d'articuler toutes les formes d'oppression subies par les femmes dans le monde.

Le féminisme radical met lui l'accent sur le patriarcat comme étant l'ennemi principal. C'est le pouvoir des hommes, en tant que classe sexuelle, qu'il faut combattre et le changement viendra de la réappropriation par les femmes du contrôle de leur corps. Ces féministes rejettent à la fois le réformisme libéral et l'analyse classiste des marxistes. Elle se définissent plutôt comme étant "autonomes" par rapport à ces courants. Les radicales se sont divisées en plusieurs sous-courants, selon que l'explication de la différence entre les sexes était plus ou moins matérialiste ou biologique.

Parallèlement d'autres variantes et revendications apparaissent. Ainsi, un courant revendique un salaire contre le travail ménager. Ce courant a contribué à la reconnaissance du travail invisible des femmes et a largement influencé certaines approches "femmes et développement" (notamment le cadre du triple rôle).

Il existe aussi ce qui est appelé féminisme populaire, et désigne les mouvements de femmes, de milieux populaires qui, sans se définir comme féministe développent une pratique enracinée dans le quotidien

qui s'en rapproche. Ces militantes du quotidien sont fort présentes dans les pays du Sud et ont vécu une histoire parallèle et parfois en opposition avec le féminisme 'officiel'. L'analyse et les pratiques de ce féminisme sont plus globales que d'autres féminismes et induit également une solidarité des différentes luttes, tant au niveau national qu'international. Ce féminisme, avec le Black Feminism et le féminisme lesbien dépasse la simple analyse de l'oppression vue en terme de capitalisme ou de patriarcat pour y introduire les notions de race, d'ethnie, de sexualité et d'exclusion sociale mais aussi, avec l'écoféminisme , de l'environnement. Nous y reviendrons dans notre chapitre sur le féminisme latino-américain.

La base pour cette note provient de l'article TOUPIN Louise, Les courants de pensée féministe, version revue et online du texte Qu'est ce que le féminisme? Trousse d'information sur le féminisme québécois des 25 dernières années, 1997, http://netfemmes.cdeacf.ca/documents /courants0.html

33 DE BARBIERI Teresita, Sobre la categoria género. Una introducci--n teorico-metodologica, in ISIS Internacional, Ediciones de las Mujeres, n°17, 1992, pp. 111-128, p. 114 (traduction libre)

34 Celle-ci s'est surtout développée dans les pays anglo-saxons, même si d'autres pays commencent à mettre davantage de moyens dans ce que l'on peut appeler les études ou recherches féministes, tels les pays hispanophones, le Québec ou certains autres pays européens.

individus dont il s'agit. Dans le premier entre hommes et femmes, dans le second entre un individu (qu'il soit homme ou femme) et son environnement social.

A. Genre et féminisme

L'entrée des questions féminines et féministes au sein des Universités et des centres de recherches n'est cependant pas sans poser question. Encore faut-il en effet que l'esprit de la pensée féministe y soit respecté. Le risque est grand de voir se perdre la volonté de changement et la proposition novatrice des féministes. Un autre risque qui est souligné par Margarita Pisano est que l'utilisation de nouveaux concepts, tels le genre, servent à donner une vue partiale de la réalité, la découpant selon les spécialités et oubliant d'analyser le problème en le remettant dans son contexte global: à savoir une culture patriarcale basée sur une dynamique de domination.35

Dans la plupart des cas en effet, l'utilisation qui est faite du terme de genre correspond à la même pratique dont le féminisme a été (et est encore) l'objet. En réduisant la pensée féministe à la seule défense des femmes on évacue la vocation réellement novatrice de ce qu'est la pensée féministe (ou ce qu'elle pourrait être). Le terme "genre" ne sert trop souvent qu'à remplacer le terme "femme(s)" dans la littérature. Dans la plupart de ces utilisations, le champ qu'il recouvre ne concernant que les femmes, il ôte du terme <<genre>> son caractère subversif et ce qu'il implique de globalisateur. C'est-à-dire dans le sens oü il inclut l'ensemble des relations sociales. Razavi et Miller définissent les relations de genre comme se référant aux dimensions des relations sociales qui créent des différences entre hommes et femmes dans le processus social. 36

Comme le souligne Joan Scott37, le terme <<genre>> inclut les femmes sans les nommer. En conséquence, il ne para»t pas constituer la même menace que "féminisme" ou "histoire des femmes". Cette volonté de neutraliser la portée du terme se retrouve dans les textes des institutions internationales mais également des ONG, textes dans lesquels le terme <<féminisme>> ou <<féministe>>

n'appara»t que très (trop?) rarement. Or, en reliant le féminisme au genre on souligne le fait que le féminisme concerne la position de la femme dans sa relation à l'homme, et de ce fait, concerne les relations de sexe en général. Parler de genre ce n'est pas seulement parler de la catégorie "femmes". C'est également parler des hommes. D'ailleurs, comme le souligne Hoffmann, on ne peut écrire sur les femmes sans écrire sur les hommes, ni sur leurs relations sans se préoccuper du pouvoir, du privilège, des hiérarchies, de la violence et de l'état. En clair, il faut étudier les liens entre les oppresseurs et les oppressés.

La féminisation des concepts n'implique pas de privilégier les femmes mais de reconstruire nos notions de bases afin que ces idées contribuent explicitement à développer une société égalitaire, une société dans laquelle femmes et hommes se respectent, sans essayer de se dominer. Reconna»tre les différences ne veut pas dire ignorer les similitudes. Cela requiert que nous prenions en compte nos catégories générales concrètes.

Le genre implique de déconstruire, de porter un autre regard sur le monde qui nous entoure et implique donc un savoir toujours en mouvement. Ce savoir sur la différence sexuelle n'est ni fini, ni fixe. Il est donc à proprement parler un momentum concept hoffmanien. Pour Pisano, si l'on veut créer une nouvelle éthique, il s'agit de comprendre oü, quand et

35 PISANO, Margarita, Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.

36 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995, p. 27

37 SCOTT Joan, Genre: une catégorie utile d'analyse historique, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève.

comment s'est construite la dynamique de domination. Il faut se rendre compte qu'un regard neuf doit porter sur tout, car tout est imprégné de situations de dominations. La perspective de genre a pour fin, entre autres, de contribuer à la construction subjective et sociale d'une nouvelle configuration à partir de la resignification de l'histoire, la société, la culture et la politique depuis les femmes et avec les femmes. 38

B. "Homme public, femme privee"

Peu d'études portant sur les femmes et le genre font l'impasse sur la différenciation entre sphere privée et sphere publique. La participation des femmes aux mouvements sociaux qui émergent en Amérique latine durant les années 60-70 a souvent été analysée sous cet angle. Selon l'expression de Cubitt et Greenslade les femmes quittaient leurs vies naturellement diterminies pour le monde socialement determine ou elles peuvent 'etre sujets et non plus seulement objets de l'action politique.39 Cette dichotomie public/privé est largement utilisée dans les études sur les femmes mais beaucoup moins dans les études féministes. Toutefois, certaines féministes, comme les féministes libérales que dénonce Whitworth40, acceptent sans les critiquer les divisions "privé/public", "politique/non-politique". Le féminisme libéral suppose en effet que l'intégration des femmes dans la vie publique apporte l'émancipation, l'état servant à assurer qu'il y ait équité pour tous. En réalité, elle sert souvent à justifier le statut de la femme "hors la politique", "hors la cité", leur exclusion.

Or, comme tout concept dichotomique, la conception du privé et du public est socialement et culturellement construite. Elle n'est donc pas immuable ni universelle. La plupart des auteurs actuels (Kathleen Jones41, Linda Nicholson42) critiquent aujourd'hui cette conception qui devient problématique des lors qu'elle fonde toute la conception de la modernité, cantonnant les femmes dans la sphère privée alors que la sphere publique serait le domaine réservé des hommes. Si la sphere publique est le lieu des revendications politiques, du débat démocratique, du déploiement de la raison et du droit, la sphere privée est par contre le lieu de la vie intime dans laquelle on ne peut s'immiscer. Les critiques féministes de cette dichotomie public/privé et de son utilisation à des fins de "planification", avancent que d'un cTMté cette conception ne correspond plus à la réalité et que de l'autre elle est un pur produit du patriarcat libéral. Il n'est donc pas certain que cette séparation entre les deux spheres contribue à l'empouvoirement réel des femmes. Au contraire on constate que puisque les femmes sont confinées à la sphere domestique, la vie publique s'est faite non seulement sans les femmes, mais contre les femmes.43

Comment peut-on en effet confiner la politique à la sphere publique alors que les relations interpersonnelles peuvent etre oppressives et exploiteuses et donc etre politiques? Cette dichotomisation renvoie les relations interpersonnelles à la sphere privée, comme si les relations de travail, les relations communautaires ou toute autre relation socialement construite ne pouvaient etre inégalitaires ou discriminantes envers les femmes. Une des conséquences (ou des objectifs?) de cette séparation entre privé féminin et public masculin

38 LAGARDE Marcela, Género y feminismo: desarollo humano y democracia, Cuadernos Inacabados, horas y HORAS la Editorial, Madrid, 1997, p.13.

39 CUBITT Tessa et GREENSLADE Helen, Public and private spheres: the end of dichotomy in DORE Elizabeth, Gender politics in Latin America. Debates in theory and practice, Monthly Review Press, New York, 1997, p. 52.

40 citée par HOFFMAN John: Gender and Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001.

41 JONES Kathleen, Towards a revision of Politcs,in JONES K. et JONASDOTTRIN A., The political interest in gender. Developping theory and research with a feminist face, SAGE Publications, London, 1988, pp.11-32, p12- 1 3)

42 NICHOLSON Linda, The play of reason. From the modern to the postmodern, Open University Press, Buckingham, 1999, pp. 43-51

43 JONES, opcit., p13

est l'individualisation du construit de l'expérience des femmes. En la confinant dans le privé, intime, familial (que ce soit volontairement ou non ) on ignore le caractère social de la femme et les relations qu'elle tisse hors-privé. C'est à partir de ces relations qu'elle peut partager ses expériences pour ensuite développer d'autres pratiques, d'autres besoins (stratégiques) et avoir d'autres revendications. Cette séparation contribue à confiner la femme dans son rTMle d'épouse et de mère.

On verra plus loin que l'analyse en terme de rTMles, telle celle de Moser renvoie également à cette opposition bien qu'elle soit agrémentée de l'analyse des besoins pratiques et stratégiques des femmes faisant un lien entre privé et public. Elle comporte donc les mêmes biais. A propos du rTMle de gestion communautaire des femmes, Moser explique que la division spatiale entre le monde public de l'homme et le monde pri vé de la femme signifie que, pour la femme, le voisinage est une Çextension du terrain domestiqueÈ alors que pour l'homme c'est le monde public de la politique. 44 Que signifie cette séparation? La femme ne peut-elle donc s'investir à l'extérieur de son foyer qu'en tant que mère ou épouse, bonne gardienne du bien-être de sa famille? Moser fait également l'impasse sur le caractère collectif de ce rTMle de gestion communautaire. En ce sens, l'action des femmes étant collective, on ne peut la considérer comme une pure et simple "extension du terrain domestique."

Toutefois, si "le privé est politique" comme le soutiennent les féministes, il ne devient réellement politique qu'à partir du moment où certains aspects de la vie privée ou de l'intime sont transférés à l'extérieur de la sphère privée et oü les revendications privées sont exprimées en des termes politiques, via des revendications, des propositions et des projets qui dépassent le simple cadre de la vie individuelle et se collectivisent. 45

4. LE FEMINISME: "RECHERCHE-ACTION" COLLECTIVE PERMANENTE

Le savoir féministe et féminin est un savoir émanant d'une pratique, à la fois individuelle et collective. Comme le souligne Cristina Palomar,

le féminisme est (à la fois) un mouvement de revendication politique des femmes qui luttent pour avancer dans la prise de positions significatives dans un système patriarcal (et) un mouvement theorique qui représente des propositions d'avant garde en relation avec les noyaux fondamentaux dans les édifices de la connaissance existants jusqu'à maintenant.46

Il s'inscrit dans des situations particulières, lesquelles forgent un savoir particulier. L'exclusion des femmes des savoirs formalisés les oblige à se baser sur leur vécu, individuel et collectif, pour imaginer d'autres formes de savoirs. Ce qui a pour conséquence l'existence d'une multitude de féminismes, comme il y a une multitude de femmes, chacune différentes, aux caractéristiques propres. Par le lien social qui se crée, chaque situation forge quelque chose de nouveau. Il n'existe donc pas de représentation unique de tous les féminismes ou toutes les femmes. Cette multiplicité d'individus et de situations est un facteur-clé dans le féminisme et dans l'analyse de la situation des femmes, qui empêche d'en tirer une vérité absolue et universelle. Une féministe seule n'est rien, mais un collectif féministe sans lien avec la réalité des situations n'est rien non plus. En effet, une fois la "socialisation des

44 MOSER Caroline O.N., Planificación de género y desarollo: teoria, practica y capacitación, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995, p. 62

45 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la region, http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/ index.htm, p. 3.

46 Introduction au numéro spécial de Debate Feminista consacré aux aspects théoriques et pratiques du féminisme. PALOMAR Cristina, Feminismo: movimiento y pensamiento, introduction au numéro de Debate Feminista, année 6, vol. 12, Mexico, octobre 1995.

biographies"47 faites, encore faut-il apprendre A penser collectivement, A construire des connaissances et des idees, et A se concevoir comme "collectif humain, pensant, politique et autonome". En deux mots, apprendre la politique.48

La reflexion feministe s'est donc effectuee, dans un premier temps, parallelement A une pratique developpee par des groupes de femmes, qui se proclamaient (ou etaient accusees d'être) feministes. Selon Louise Toupin,

'le feminisme est une prise de conscience d'abord individuelle, puis collective, suivie d'une revolte contre l'arrangement des rapports de sexe et la position subordonnee que les femmes y occupent dans une societe donnee, A un moment donne de son experience. Il s'agit aussi d'une lutte pour changer ces rapports et cette situation.' 49

Le feminisme est donc bien un "mouvement social", ancre dans les situations, dans le quotidien et dont l'ambition est de lutter contre une certaine forme de subordination A laquelle sont soumises les femmes et de contribuer A mettre en place d'autres structures de societe ou du moins tendre A changer les rapports sociaux existants.

Les revendications feministes sont donc le reflet d'un vecu individuel et collectif. Leurs modes d'action participent A la fois de la recherche theorique et de l'action pratique. S'il existe certaines revendications qui peuvent être concretisees en des institutions ou structures formelles, Benasayag souligne que ces revendications ne sauraient être "finies". Il cite A cet egard le cas des feministes qui n'ont pas, des lors que les centres de planning familial existaient, estime que leur lutte etait terminee, qu'elles etaient arrivees A leur but. L'institutionnalisation de certaines revendications feministes (conge de maternite, avortement, acces au travail, etc.) ne doit en aucun cas permettre qu'on considere les feministes comme obsoletes. En effet, ce type de lutte se juge dans le concret de la situation, c'est-à-dire dans les lacis formés par les micro- et macropouvoirs, mais l'objectif de leur pensée et de leur praxis n'est pas le pouvoir: Un "pouvoir féministe" totalisant n'est pas pensable ni désirable de la part des féministes.50

47 Emprunt A Pisano qui parle de la "socialisation de nos biographies" pour designer le fait pour les femmes d'avoir mis en commun leurs "souffrances" et leur vecu, construisant ainsi un referent collectif pour l'action. PISANO, Margarita, Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.

48 idem.

49 TOUPIN Louise, Les courants de pensee feministe, version revue et online du texte Qu'est ce que le feminisme? Trousse d'information sur le feminisme quebecois des 25 dernieres annees, 1997, http://netfemmes. cdeacf.ca/documents/courants0.html

50 BENASAYAG Miguel et SCAVINO Dardo, Pour une nouvelle radicalité. Pouvoir et puissance en politique, La Decouverte, Coll. L'armillaire, Paris, 1997, p. 89.

Chapitre II: Savoir du développement: le

Dispositif

Ce chapitre s'attachera non pas à faire une analyse détaillée de la constitution du savoir du développement mais plutôt à observer comment se tissent les liens entre ce savoir et les institutions et organisations qui l'utilisent. Nous mettrons donc l'accent sur l'utilisation du savoir et les conséquences de cette utilisation sur le savoir lui-même. Ce chapitre s'attachera plutôt à montrer la facette "institutionnalisée" de l'utilisation du savoir. Nous verrons par la suite51 comment il est possible d'utiliser ces savoirs à "contre-courant", afin de créer d'autres relations sociales, d'autres structures, qui ne seraient plus basée sur un pouvoir institutionnel mais sur une puissance sociale plus autonome. Nous verrons en particulier comment les ONG arrivent à gérer la double contrainte paradoxale (double bind) dans laquelle elles se trouvent: dépendante du "système" qui les finance (tant en termes strictement financiers, qu'en termes de "fonds de commerce" 52), mais désireuses de se battre contre lui et de le changer.

1. DISCOURS ET LANGAGE

Tout comme un savoir et un discours ont été élaborés sur les femmes et sur le féminisme, un savoir a été élaboré dans le champ du développement. Un corpus conceptuel et explicatif a été élaboré pour comprendre la réalité des pays du Sud, les raisons de leur 'retard économique', les particularités politiques, économiques et sociales de ces pays. Ce savoir n'était pas uniquement altruiste. Depuis la colonisation les connaissances se sont développées sur les pays colonisés afin de pouvoir mieux les comprendre, mais surtout de pouvoir mieux les gérer et les utiliser.

Le développement de ces connaissances a généré un nouveau vocabulaire, le discours devant s'adapter à de nouvelles connaissances et des faits nouveaux. Fruits d'un métissage, ce langage nouveau a permis de mettre en place de nouveau schéma de pensée et d'action. Par un savant va-et-vient entre la pratique et la théorie, un nouveau savoir s'est constitué, qui n'était ni exactement le reflet de la réalité, ni exactement ce que ses concepteurs avaient voulu en faire. A de nouvelles réalités correspondent de nouveaux mots, qui à leur tour entra»nent de nouvelles réalités pour l'objet qu'ils désignent et le sujet de ce savoir. Comme l'écrit Bruyère-Rieder,

"les mots ne servent pas uniquement d'intermédiaire entre le réel, tel qu'il est percu et compris par chaque collectivité, et les hommes. Ils ne sont pas neutres, c'est-à-dire transposables tels quels dans une autre langue; ils délimitent également les contours

du réel, mettent en évidence certaines de ses figures, laissent dans l'ombre quelques-unes de ses composantes, opèrent une structuration particulière de l'espace et du temps, ordonnent les regards, hiérarchisent les valeurs, systématisent l'empirie."53

51 dans la troisième partie, deuxième chapitre, page 56

52 Cette réflexion m'a été faite notamment à propos du rôle des ONG dans les conférences pour la reconstruction en Amérique centrale "post-Mitch". Lors de ces conférences il était clair que les ONG cherchaient d'abord à garantir leur propres subsides (interview avec Maria Teresa Bland--n et Ana Quiroz à Managua, octobre 2000).

53 Citée dans SAINT-HILAIRE Colette, La production d'un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et gouvernementalité, n° thématique de Anthropologie et Sociétés, vol.20, n°1, Université de Laval, 1996, pp. 81-101, p. 82.

Ce discours, qui pour certains n'existe pas et n'est que mystification, a néanmoins produit quelque chose de 'réel' ou du moins un sujet et une 'réalité'54 adaptés à ce discours que celui- ci rend visible et concret. Escobar décrit le processus de construction de cette visibilité en expliquant comment un ensemble de techniques, de strategies, de pratiques organise, contrTMle et gere la production, la validation et la diffusion du savoir expert sur le développement et sur les populations visies par ses interventions.55

Au delà des mots, ce sont donc

des sujets catégorisés, systématisés, qui apparaissent, sujets qui sont "définis par le discours, construits dans les pratiques".56 Ces sujets deviennent des individus sérialisés, identiques, aux besoins standardisés et aux rTMles attribués d'avance. Ainsi on fait des habitants du Sud, des habitants types, pauvres, peu instruits, ancrés dans leurs traditions, qu'il faut moderniser (occidentaliser). Le fait de nommer ainsi les différentes réalités enleve des "possibles", transforme toute situation concrete en objet d'une expertise, forcement subjective et réductrice. C'est une sorte de mythologie du développement qui est ainsi mise en place, mythologie qui crée des réalités, de problemes et des besoins auxquels la coopération au développement tente de répondre par ses projets.

En parlant de mythologie, loin de nous cependant l'idée que les problemes vécus par les populations du Sud sont des inventions du Nord. Ce que nous appelons mythologie est plutTMt la réalité subjective qui est ainsi décrite par le biais du langage utilisé dans la coopération et qui nous semble, par sa subjectivité, ne donner qu'une interprétation des diverses situations vécues par ces populations. Interprétation qui ensuite suscitent des réactions "adaptées".

2. QUI DEVELOPPE LE SAVO IR DU DEVELOPPEMENT?

Au départ, il semble évident que ce savoir est constitué par les hommes, puisqu'il en est ainsi de toutes les connaissances. Ce savoir est non seulement masculin mais également occidental. A l'instar du l'opposition entre savoir féministe/savoir de femmes et savoir sur les femmes, il existerait un savoir du développement et un savoir sur le développement. Nous appelons savoir du développement celui qui est issu d'une pratique, ancrée dans les situations vécues par les populations du Sud, mais également par ceux qui travaillent avec eux, ce savoir pouvant donner lieu à des théorisations, et etre issues de centre d'études. Le savoir sur le développement serait à l'opposé, dégagé de toute implication concrete dans ces situations. La différenciation entre les différents acteurs ne se ferait donc pas tellement à un niveau Nord-Sud mais plutTMt au niveau du rapport à l'objet d'une part, à celui de son utilisation d'autre part. Les acteurs de l'élaboration du savoir du développement sont multiples: les instituts de recherche académiques du Nord et du Sud (indépendants ou non), les institutions internationales actives dans la coopération et leurs instituts de recherche propres, les ONG du Nord et du Sud, pour n'en citer que quelques uns.

Pour la plupart de ces acteurs, on observe, au cours des deux dernieres décennies, une nette évolution dans leur facon d'appréhender les questions qui leur sont posées dans le cadre de leur travail. On constate notamment que les centres de recherche, les colloques, les séminaires et les études sur l'objet

et les

sujets de la coopération, à savoir les sociétés du Sud, ont proliféré pour donner naissance à une véritable science du développement. En effet, parallelement aux actions concretes sur le "terrain", s'est déployée une pléthore de recherches, séminaires, conférences etc. sur la question du développement, et entre autres,

54 Si tant est qu'une réalité objectivement unique existe dans le domaine des relations humaines et donc du développement.

55 SAINT-HILAIRE Colette, opcit, p. 82.

56 idem, p.83.

dans le domaine femmes et développement. Ce décha»nement de littérature, de manuels et de grilles d'analyse diverses, n'est pas sans effrayer certains a qui, comme Garcia Castro,

l'élaboration de manuels concernant le genre, pratique commune aux agences internationales et a certaines ONG, (me) fait peur. On risque de s'embarquer sur un concept de type statique, impliquant des positions et des rapports sociaux pré codifiés.57

3. L'UTILISATION POLITIQUE DU SAVOIR FEMINISTE ET DU SAVOIR DU DEVELOPPEMENT

Nous pouvons, en reprenant ce que Foucault disait de la sexualité comme "domaine a conna»tre", dire que "(le développement, ainsi que le genre et les femmes), s'est constitué comme domaine à conna»tre à partir de relations de pouvoir qui l'ont institué en objet possible; et en retour, si le pouvoir a pu le prendre pour cible, c'est parce que des techniques de savoir, des procédures de discours ont été capables de l'investir."58 C'est donc un processus d'aller-retour entre le savoir et le pouvoir qui est effectué. Si le développement, et ensuite le genre et les femmes ont fait l'objet de l'attention des organisations et institutions, c'est parce que celles -ci ont vu qu'elles pouvaient tirer une certain "bénéfice" de ces savoirs. Mais une fois ce savoir existant, il est "absorbé" par le pouvoir qui, gr%oce a un certain discours, réussit, d'une part a en faire une "réalité", d'autre part a faire en sorte qu'il serve a confiner les individus dans cette réalité.

Le développement de ce savoir sur les femmes sert-il a augmenter leur pouvoir ou leur puissance59, ou alors sert-il a le/la diminuer ? L'objectivation de la femme, sa constitution en objet d'étude, a-t-elle permis a celle-ci de se libérer ou l'a-t-elle asservie davantage? Et en particulier dans le développement, quelles sont les conséquences de ce savoir sur son objet? Quels sont en définitive, les objectifs et les buts poursuivis par le développement du savoir?

A. La gestion et l'instrumentalisation du savoir

A propos de l'utilisation du savoir scientifique par les institutions et gouvernements, citons un extrait de la politique du Centre de recherches pour le développement international canadien en la matière:

Les programmes du CRDI ont pour objectif le développement durable et équitable par la production et de l'utilisation du savoir. Ils se fondent sur l'hypothèse que toutes les améliorations apportées au bien-être des êtres humains sont attribuables au savoir -- a sa production, a sa diffusion, a sa propriété et a son application éclairée. Et la recherche, aussi bien en sciences naturelles qu'en sciences sociales, est le moyen employé pour acquérir le savoir. Au CRDI, cela se traduit par le financement de la recherche dans les pays en développement, la recherche qui permet d'élaborer des politiques et de mettre au point des technologies visant a atténuer la pauvreté et a améliorer les conditions de vie des personnes. Ainsi, chaque pays se dote des ressources le rendant apte a identifier ses problèmes et de les résoudre. Le CRDI concentre son action dans les domaines suivants: protection de la

57 GARCIA CASTRO Mary, Le pouvoir des genres à l'époque du néo-libéralisme. Line réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in Alternatives Sud, Vol. V n° 4, 1998, pp. 45 -64, p. 51.

58 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976 , p. 130.

59 Je reviendrai sur cette distinction dans le chapitre suivant.

biodiversité, exploitation équitable des ressources naturelles, sécurité alimentaire, emploi durable, politiques pour une société en santé, et information et communication." 60

L'objectif avoué des activités de ces centres de recherches sur le développement serait donc d'améliorer les conditions de vie des plus pauvres, à savoir les populations du Sud et ce tant dans le développement des savoirs dans le Nord que par la promotion et le financement de centres de recherches dans le Sud. Si l'intention est louable nous mettons toutefois en doute le caractère purement altruiste du financement de la recherche dans le Sud. Ce financement ne constitue-t-il pas un moyen de contrôler et de gérer ce savoir? Qui décidera en effet de ce qu'est une "application éclairée" de ce savoir?

Comme le souligne justement Jane Parpart,

l'habilité de contrôler la connaissance et la signification, non seulement au travers de l'écriture mais aussi par le biais des institutions disciplinaires et sociales, est la clé pour comprendre les relations de pouvoir dans la société.61

Ce savoir en grande partie développé par le Nord, implique qu'il repose sur des concepts occidentaux et qu'il est élaboré dans des "laboratoires" de recherche situés au nord mais aussi par les ONG ou institutions internationales. Au delà du caractère occidental du savoir qui est développé, il faut également souligner la dépendance intellectuelle, financière et matérielle dans laquelle se trouvent certains chercheurs et chercheuses du Sud.

Pour reprendre la citation du CRDI, on peut se demander qui a choisi, et pourquoi, les domaines d'action que la recherche se propose de couvrir. Si ces domaines sont certes intéressants, ils correspondent à ce qui est considéré comme étant indispensable pour arriver à un résultat voulu. Le fait d'insister sur l'aptitude des pays à identifier leurs besoins correspond à ce que nous soulignions auparavant à propos de l'investissement de certains savoirs par le pouvoir.

B. Utilisation du savoir à des fins de gestion du social

Plusieurs auteurs soulignent le danger que constitue l'utilisation des savoirs pour légitimer l'action des institutions et donc la 'gestion du social'. Maheu et Toulouse disent, à propos de la connaissance, que

conna»tre, c'est aussi ma»triser et se donner les moyens de planifier l'avenir et de concevoir puis actualiser des actions, des interventions consistant à infléchir le cheminement ou l'évolution d'un processus dans une direction préalablement arrêtée, c'est-à-dire de gérer.62

Les sciences humaines sont donc confrontées à une situation dans laquelle les connaissances qu'elles produisent sont utilisées par les institutions dans leurs stratégies de gestion. Alors que les études effectuées par les centres de recherche sont évidemment indispensables, les résultats sont parfois utilisés pour légitimer des mesures qui ne sont pas toujours en accord avec ce qui est recherché. Ainsi combien de fois n'entendons-nous pas telle ou telle mesure être justifiée parce que "des études ont montré que". Le fait est que l'on peut faire dire n'importe quoi aux chiffres, mais également aux données qualitatives. Ces données, en général ultra détaillées, font abstraction d'une problématique d'ensemble. Par exemple, lorsque se pose la question de savoir si la libéralisation des marchés a profité ou non aux populations du Sud, d'aucuns prétendront que oui, alors que d'autres soutiendront qu'au

60 Extrait du document"L'analyse Genre, un outil de recherche" publié par le CRDI - http://www.idrc.ca/gender/tool_f.html

61 PARPART Jane L., Quien es el "otro", Una critica feminista postmoderna de la teoria y la practica de mujer y desarollo, in Propuestas - Red Entre Mujeres, Lima, mai 1994, p. 2.

62 Cités dans PIRON Florence et COUILLARD Marie-Andrée, Les usages et les effets sociaux du savoir scientifique, in Anthropologie et Sociétés , vol.20, n°1, Université de Laval, 1996, p. 13.

contraire ces populations sont dans une situation pire qu'auparavant. Cette "subjectivite" permet la mise en Ïuvre de politiques, dans une visee de gestion du social qui conditionne toute une serie d'actions. Cette gestion du social est intimement like à la notion de gouvernementalité qui, selon Foucault, est

'l'ensemble des pratiques par lesquelles on peut constituer, définir, organiser, instrumentaliser les strategies que les individus, dans leur liberte, peuvent avoir les uns à l'egard des autres. Ce sont les individus libres qui essaient de contrTMler, de determiner, de delimiter la liberte des autres et, pour ce faire, ils disposent de certains instruments pour gouverner les autres.'63

Le fait d'avoir choisi comme credo le liberalisme, c'est-à-dire, d'avoir accorde une legitimite aux theories prTMnant le libre echange, a pour consequence la production d'un savoir qui a pour point de depart ce paradigme et qui ne pose meme plus la question de la validite de ce paradigme d'une part, delimite le nombre des possibles d'autre part. Les possibilites d'agir en dehors du cadre fixe par cette "gouvernementalite" sont donc reduites, d'une part parce que ce cadre ne le permet pas, d'autre part parce que l'on n'arrive plus penser ces possibles.

4. LE DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT

Ce concept de 'dispositif' foucaldien peut etre egalement adapté au developpement, comme le fait Colette St-Hilaire64 qui definit ce "dispositif de développement" comme etant un

'ensemble de discours, d'institutions, de pratiques et de procedures à partir desquels les individus et les collectivites sont constitues, d'une part, en objets sur lesquels il est possible d'intervenir et, d'autre part, en sujets pouvant eventuellement se gerer selon les termes du developpement.'65.

Le developpement en tant que systeme ou dispositif permet, gr%oce aux savoirs sur les populations du Sud et aux appareils de gouvernement mis en place, de penetrer, d'integrer, de gerer et de contrTMler les pays et populations de maniere incroyablement detaillee et englobante.

Les connaissances sur les pays du Sud se sont faites de plus en plus precises et detaillees. Statistiques à l'appui, les populations sont cataloguees, rangées par categories, triees, afin de pouvoir, selon les "specialistes" agir de la facon la plus efficace possible. La plus petite parcelle de specificite est maintenant connue et utilisee pour justifier telle ou telle mesure ainsi que pour creer tel ou tel besoin: "Les populations du Sud n'ont pas acces à l'eau, creusons des puits, leur economie est informelle, formalisons-la, leurs entreprises nationales ne sont pas rentables, privatisons!", et ainsi de suite.

Il faut toutefois se rendre à l'év idence. Si le savoir du developpement a echoue dans la resolution des problemes de sous -developpement souligne Escobar,

'on peut aussi dire, peut-etre avec encore plus de pertinence, qu'il a reussi à creer un type de sous-developpement qui, jusqu'à present a ete en majeure partie, politiquement et economiquement administrable.'66

63 FOUCAULT Michel, L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté, in Dits et Ecrits, tome IV, Gallimard, Paris, 1994, pp. 708-729, cite par PIRON Florence et COUILLARD Marie -Andrée (sous la direction de), Savoirs et Gouvernementalité, in Anthropologie et Sociétés, vol.20, n1, Université de Laval, 1996, p. 13.

64 L'utilisation du concept de dispositif est faite par plusieurs auteurs. Le premier à l'avoir utilise est Arturo Escobar. Par la suite Saint Hilaire, Vezina, Couillard, et d'autres auteurs, notamment les auteurs québécois, ont repris ce concept pou r parler du "dispositif de développement".

65 SAINT-HILAIRE Colette, La production d'un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et gouvernementalite, n thematique de Anthropologie et Sociétés, vol.2 0, n1, Université de Laval, 1996, pp. 81 -101, p. 82.

66 ESCOBAR Arturo, Power and Visibility: the invention and management of Development in the Third World,
these de doctorat, Berkeley, University of California, 1997, cite par VEZINA Annie: La micro-entreprise: une

Depuis tant d'années consacrées à la résolution des problèmes du Sud en effet, peu d'avancées sont visibles et pourtant, les acteurs du développement (gouvernements, institutions internationales, ONG) continuent dans cette voie. Les programmes, les recherches, les formations sont toutes concues à partir de cette vision subjective qui est à la base du dispositif. Les financements sont eux aussi soumis à cette vision. Plus de subsides aujourd'hui pour les projets qui n'intégreraient pas le développement durable, la participation populaire, l'environnement, les droits de l'homme,É Comme l'explique Adela Bonilla,

"les acteurs du développement suggèrent aux bénéficiaires de former des réseaux afin d'être plus efficaces, définissent des thèmes importants pour améliorer leur démocratie, promeuvent des dialogues Nord-Sud, incorporent le genre au développement qui doit aujourd'hui être durable. Peu à peu ils ont dicté les politiques qui reflètent plus la vision du Premier Monde que la recherche conjointe d'une proposition de monde différente."67

Ce cadre imposé aux "bénéficiaires" potentiels est de plus en plus strict. Si l'on veut bénéficier des largesses du système, si l'on veut être pris en compte, il faut désormais "présenter des projets bien élaborés, mesurables et quantifiables". Il faut "(non seulement) apprendre le langage, les manières et les chemins du développement (mais également) être bien vu ou avoir le soutien de quelqu'un de reconnu par le monde de la coopération, il ne faut pas se tromper et demander des subsides pour un projet de formation pour femmes à ceux qui s'occupent de santé, ni présenter un projet de droits de l'homme à ceux qui financent des projets productifs."68

Un autre aspect de ce dispositif est celui de l'utilisation des ONG afin de garantir le bon déroulement des actions de développement, telles qu'elles sont désirées par les institutions internationales. Dans son article sur les micro-entreprises, Annie Vezina suggère que les institutions de développement international et les grandes agences de développement ont, depuis les années 1950, "discipliné les ONG pour qu'elles effectuent des interventions sur le terrain dans le cadre de paramètres de surveillance spécifiques".69 Les gouvernements et les institutions ont en effet tendance à financer des ONG pour effectuer des actions de terrain à la place des états nationaux, reproduisant ainsi la domination économique occidentale. En effet, et nous le verrons dans le chapitre consacré aux différentes approches FED70, il y a une volonté, de la part des Etats et des institutions, de privatiser et individualiser toute une série d'activités qui normalement incombent aux pouvoirs publics. L'utilisation des femmes non plus uniquement comme bénéficiaires mais également comme "fonctionnaires bénévoles" des services publiques, renforce le système actuel qui tend vers le désengagement de l'Etat dans le domaine social d'une part, l'individualisation et la destruction du lien de solidarité d'autre part.

5. LE DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT APPLIQUE AUX FEMMES

Ce dispositif mis en place dans le cadre général du développement s'applique évidemment
dès lors que les femmes y sont intégrées. Les savoirs scientifiques sont utilisés pour produire des

technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de développement. Altérités. No 3 (janvier 2002). http://www.fas.umontreal.ca/ anthro/varia/alterites/n3/vezina.html,

67 BONILLA Adela, Feminismo, el dinero y sus caminos, in Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y del Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico, 1997, pp. 31-33.

68 idem.

69 VEZINA Annie: La micro-entreprise: une technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de développement. Altérités. No 3 (janvier 2002). http://www.fas.umontreal.ca/anthro/ varia/alterites/n3/ vezina.html.

70 voir page 47

représentations qui justifieront des mesures législatives et administratives.71 Cette remarque de Couillard est valable tant pour le savoir du développement que pour la question particuliere de l'intégration des femmes dans celui-ci. Nous seulement il y a utilisation

du savoir sur les femmes mais il y a également réappropriation de ce savoir par les institutions et les centres de recherche. Ceux-ci créent des "sujets femmes" mais il usurpent également la "maternité" de ces connaissances à leur profit. Adela Bonilla dit à se sujet que les féministes se sont senties dépossédées de leurs réflexions par les "chercheuses", par "l'académie" qui a découpé le féminisme en morceaux qu'elles analyses et quantifient dans des études de genre et ce, de maniere ultraspécialisée.72 En faisant l'objet de recherches spécialisées, la pensée féministe a également été dépossédée de son aspect critique et la proposition politique novatrice qui était derrière les revendications féministes s'en est trouvée completement passée sous silence.73

Le fait de développer les recherches, d'affiner les données, de constituer des tableaux de statistiques est essentiel à la bonne gestion et à l'administration des projets mais elle a aussi pour conséquence de mettre en adéquation le sujet avec la représentation qu'on en donne. Ainsi les femmes, décrites comme "pauvres", ou "opprimées", ou "battues", ou toute autre catégorisation, vont finir par se penser et se représenter elles -memes comme cela, dans les termes utilisés dans les projets. C'est ce que Colette Saint-Hilaire appelle "la construction d'un sujet-femme adaptable au développement".74 Ce sujet-femme aurait donc des rTMles, des besoins, des attentes, qui ne sont plus tout à fait ce qu'ils étaient avant d'avoir fait l'objet de cette "sujetisa tion". Ils sont maintenant conformes aux standards de la coopération.

Dans son étude sur les filipinas, Saint-Hilaire montre qu'en parlant des femmes en termes de "division du travail et des responsabilités, de partage des décisions dans la famille, de participation aux activités sociales" les projets mis en place ont pour effet d'exclure nombre de réalités des femmes (violence domestique, exploitation au travail, problemes politiques, etc.). De plus, le fait de morceler les activités des femmes en différents rTMles, mais aussi de les cantonner dans des catégories artificiellement définies, permet, selon Kabeer, à différents groupes de décideurs de se concentrer sur des aspects tres spécifiques de la vie des femmes et de définir ainsi leurs interventions en fonction d'un aspect unique.75 Ce qui a évidemment pour effet de rendre la femme non pas plus autonome, mais bien plus administrable. En effet, la réorganisation des femmes selon de nouvelles catégories a pour résultat de fragmenter leur identité pour en faire un objet adapté au développement.

Au-delà de l'objectivation de la femmes, ce dispositif a également pour conséquence de l'assujettir. En effet, les femmes, à la fois objets et sujets du développement, doivent, pour etre "intégrées", etre "politiquement conscientes, actives et responsables. Elles doivent etre plus productives économiquement et plus engagées socialement." 76 Alors qu'elles se battent pour sortir de leurs rTMles traditionnels, et de ce que la société leur imposait comme t%oches, voilà les femmes soumises à un nouveau joug: celui du développement.

71 COUILLARD Marie-Andrée, Le savoir sur les femmes. De l'imaginaire, du politique et de l'administratif, in Savoirs et gouverneme ntalité, n° thématique de Anthropologie et Sociétés , vol.20, n°1, Université de Laval, 1996, pp. 59- 79, p. 60.

72 BONILLA Adela, op. cit., p. 33.

73 PISANO Margarita, La simulaci--n o La Academia y los movimientos sociales, in PISANO, Margarita, Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.

74 SAINT-HILAIRE Colette, La production d'un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et gouvernementalité, n° thématique de Anthropologie et Sociétés, vol.20, n°1, Université de Laval, 1996, pp. 81 -101, p. 84.

75 KABEER Naila, opcit, p. 158.

76 SAINT-HILAIRE Colette, opcit., p. 85.

77 idem.

78 idem.

79 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976 , p. 133.

80 Nous avons choisi d'utiliser "empouvoirement" comme traduction de "empowerment". Cette traduction

exprime bien, selon nous, le caractère dynamique et évolutif du concept. Ce concept est décrit page 50.

Or, comme le souligne Saint-Hilaire, ces femmes n'ont pas demandé ni commandé ces recherches, cette théorisation. C'est pour répondre à ses propres besoins que la coopération internationale a mis en place de telles "structures".77 En institutionnalisant ainsi les besoins, des femmes ou d'autres secteurs de la population, on déplace en réalité leur lutte dans des arènes plus contrôlées et administrables. tine fois à l'ordre du jour des organisations internationales et des gouvernements, les actions qui auparavant échappaient au contrôle et au champs d'application du dispositif, peuvent maintenant etre canalisées dans des structures contrôlables par le Pouvoir.

6. EN FORME DE CONCLUSION

L'idée générale de cette première partie est donc de montrer que les savoirs développés dans le champs du féminisme et du développement, y compris la notion de genre, sont non seulement instrumentalisés à des fins de gestion du social mais également délégitimés, tous deux étant, dans une certaine mesure, des savoirs alternatifs et subversifs, ne cadrant pas, l'un avec le savoir masculin, l'autre avec le savoir institutionnalisé et mondialisé que sont le capitalisme et le libéralisme (eux aussi savoirs masculins). Cette gestio n du social est le fait d'une certaine coopération qui est ce que nous qualifions d'institutionnalisée. A l'intersection du savoir et du pouvoir, le développement se renouvelle donc sans cesse, s'alimentant du vécu et de la situation vitale de ceux à qui il prétend s'adresser, "véritable machine à faire dire et à faire voir, incorporant de nouveaux discours, problèmes et pratiques."78 Cette vision négative de ce que peut etre le développement n'est cependant pas sans issue. Comme dans le dispositif de Foucault, dans lequel les rapports de force multiples traversent le corps social, une multiplicité de points de résistance existent eux aussi, comme irréductible vis-à- vis. Le discours, qui peut etre instrument et effet de pouvoir, assujettissant les corps et les etres, peut également etre "obstacle, butée, point de résistance et départ pour une stratégie opposée". "Le discours véhicule et produit le pouvoir; il le renforce mais aussi le mine, l'expose, le rend fragile et permet de le barrer."79

C'est donc au travers de ce binôme "pouvoir-résistance" que nous analyserons l'évolution du "dispositif de développement" adapté aux femmes, notamment les différentes grilles d'analyses et approches pratiques utilisées dans l'IFD et le passage à l'IGD. A cette coopération nous opposons une autre coopération qui serait basée non pas sur un accès au pouvoir mais bien sur une augmentation de puissance des populations du Sud. Nous observerons en particulier quelle peut etre le rôle des ONG dans le développement de ces alternatives à un développement institutionnalisé. Pour cette partie nous verrons en quoi la notion de puissance développée par Benasayag peut etre utile dans la mise en oeuvre de stratégies destinées à augmenter l'autonomie des femmes ainsi que leur empouvoirement. 80

DU FED AU GED: L'EVOLUTION

DU DISPOSITIF DE

DEVELOPPEMENT

Chapitre I: Des Femmes dans le

développement (FED) au Genre et

développement (GED)

1. DEVELOPPEMENT ET COOPERATION AU DEVELOPPEMENT: UNE INTRODUCTION

On l'a vu au chapitre précédent, le langage est important et les mots utilisés pour désigner telle ou telle réalité diffèrent d'une langue à l'autre. Ainsi, dans certaines langues africaines, 'développement' se traduit-il par 'le rêve du blanc'. Cette petite anecdote illustre à la fois l'importance du langage (comme nous l'avions déjà souligné au chapitre précédent), mais également le caractère occidental du développement et par extension de la coopération au développement.

La coopération au développement est en quelque sorte un monde à part dans les relations internationales81 même si l'on se rend compte (et on le montrera) que le développement participe évidemment de la même logique que l'ensemble des relations internationales, économiques, politiques ou sociales.

L'appellation "coopération au développement" prête le flanc à de nombreuses questions et critiques: Quel développement est poursuivi? Quelle coopération est envisagée et qu'est-ce que coopérer? Quels sont les acteurs qui sont impliqués dans cette "coopération"? Comment interagissent-ils entre eux? Et quels sont les résultats pour les populations qui sont censées bénéficier de ces programmes de développement.

En nous basant sur les conclusions que nous avons pu tirer de l'analyse de la constitution des savoirs féministes et des savoirs de développement, et les liens qu'il y a entre ceux-ci et les structures de pouvoir dans ce qu'on a désigné sous le terme de "dispositif de développement", nous pouvons tirer quelques conclusions sur la 'philosophie' sous-jacente au développement et aux activités de coopération, car c'est cette action de coopérer, de collaboration, de partenariat qui nous intéresse.

Pour commencer, nous pouvons dire, comme le souligne Escobar, que les discours du développement ont 'fonctionné comme de puissants instruments pour faconner et gérer le Tiers - Monde'. 82Selon lui,

'la description du Tiers-Monde comme étant sous-développé a constitué un élément essentiel de la globalisation du capital dans l'après deuxième guerre mondiale. (É) un discours culturel a été élaboré qui a non seulement placé le Tiers-Monde dans une position d'infériorité mais l'a aussi, plus efficacement et plus clairement que jamais, assujetti à l'action scientifique, normalisatrice des technologies occidentales politico-culturelles, d'une facon plus dévastatrice que son précédent colonial.

Les individus et les situations sont donc décrits comme étant en besoin absolu d'une aide et de solutions extérieures, aide que le développement se propose d'apporter. Cette remarque rejoint pleinement le constat que la coopération au développement participe d'un processus plus large, basé sur le capitalisme et le libéralisme, qui a pour objectif que le monde

81 Cette observation vaut surtout pour le versant ONG de la coopération au développement et donc sa partie indépendante, autonome des états et des institutions supranationales (ONU, BM, FMI, OMC, etc.).

82 ESCOBAR Arturo, Culture, economics and politics in Latin American social movements theory and research, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 65.

devienne un vaste marché, dans lequel le libre-échange et la liberté d'entreprendre prévaudraient. En parallèle, il y a certes un désir que ce libéralisme se fasse au profit de tous, mais dans les faits il semble que ce soit loin d'être le cas. Dans cette situation, le choix de l'autonomie, définie au niveau individuel, mais également au niveau collectif, comme mode d'action, qu'il soit opposé ou complémentaire à une participation institutionnelle au développement, nous parait indispensable. Nous nous intéresserons d'autant plus à ce clivage autonomie-institutionalisation qu'il est omniprésent dans les mouvements féministes en Amérique latine, comme nous le verrons plus loin.

A. Coopération et Développement: un bref historique

C'est au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale que la coopération au développement est née, jetant les bases de ce que nous connaissons actuellement. A l'époque, il s'agissait d'une part d'aider l'Europe à se reconstruire et d'autre part d'enrayer la progression du communisme. Pour ce faire, il fallait aider les pays susceptibles de basculer "à l'Est" en leur fournissant des moyens financiers, techniques et militaires. Très vite la coopération s'est scindée en deux parties: l'aide à la croissance économique, dite "coopération au développement" et l'aide d'urgence.83

Durant les années soixante et septante, alors que l'accent avait été mis sur le "développement", et pendant que la croissance des pays occidentaux ne cessait d'augmenter, les pays du Sud voyaient leur situation se dégrader. Si la stratégie de développement mise en place visait l'accroissement de la production en général, de la production de nourriture en particulier, les nations défavorisées étaient en réalité dépossédées de leurs ressources par le tout à l'exportation et le délaissement de l'agriculture de subsistance pour l'industrialisation massive (accompagné dans certains cas par un démantèlement de l'Etat). Alors que si les intentions semblaient aller dans la direction d'un regain d'autonomie pour les pays du Sud, c'est au contraire une relation de domination du Nord sur le Sud qui s'est installée.

Suite à cet échec, l'accent a été mis sur

la satisfaction des besoins essentiels, sur le retour à un "développement à visage humain". Les pays en développement exigeaient de pouvoir prendre part à leur développement, de participer à l'élaboration des décisions les concernant et surtout revendiquaient une répartition des ressources mondiales et des échanges commerciaux plus égalitaire, qui ne corresponde plus tant à un réel développement qu'à une réelle coopération. Guy Hermet dit à cet égard que

le développement ne devient effectif et digne de ce nom que s'il modifie les hiérarchies et les rTMles, et cela en reposant dans une mesure suffisante sur une dynamique interne capable d'engendrer une mobilisation à la fois productive et morale de la population en cause.84

Or cette modification hiérarchique des rTMles, tant au niveau international qu'au niveau interpersonnel, est restée lettre morte. La dynamique interne, permettant aux citoyens de prendre en mains leur propre destin a été longtemps mise de cTMté également.

B. Les femmes font leur entrée comme actrices du développement

83 On parle aujourd'hui d'aide au développement ou d'aide humanitaire, les deux domaines se distinguant assez nettement l'un de l'autre dans les méthodes utilisées et dans les visions sous-jacentes à leurs actions, même si les acteurs participant aux deux domaines sont souvent identiques. La différenciation principale entre les deux vient principalement de l'urgence dans laquelle agissent les organisations d'aide humanitaire. Cette urgence a des répercussions sur la totalité de leur action, tant au niveau de la conception, de la gestion que de l'évaluation de leurs projets.

84 HERMET Guy, Culture et développement, Presses de Sciences Po, Paris, 2000, p. 23.

Dans cette situation de "mal-développement", les femmes étaient les "invisibles parmi les invisibles" et la stratégie basée essentiellement sur la croissance du PIB ne faisait que contribuer à la dégradation de leur position. En particulier, le système économique libéral qui a succédé au colonialisme a perpétué la subordination des femmes.

Ce constat constitue la base de la thèse d'Ester Boserup. Celle-ci a contribué, gr%oce à son livre Women's role in Economic development, en 1970, à mettre le thème "femme et développement" à l'ordre du jour des institutions internationales.85 Si la thèse développée par Boserup dans son ouvrage est largement inscrite dans une vision productiviste du rTMle des femmes, elle a cependan t le mérite de mettre en avant la responsabilité occidentale capitaliste dans la détérioration du statut des femmes.

C'est donc au début des années 1970 que commence ce que Anita Anand appelle "course Femmes et développement" et qui désigne l'engouement qui a suivi la Conférence Internationale de l'Année de la femme en 1975.86 Véritable course en effet, tant les moyens humains et financiers mis en Ïuvre pour tenter de prendre en compte la femme dans le développement ont été importants.

Selon l'expression consacrée, intégrer la femme au développement signifie que celle -ci joue son rTMle, qu'elle participe à l'effort de développement et qu'elle s'intègre au marché. Il s'agit donc d'un développement qui reste essentiellement axé sur la croissance économique.

Alors qu'auparavant les femmes étaient considérées uniquement en tant que mères et épouses, elles sont devenues des "unités de production". A partir de la thèse de Boserup, les partisans du FED vont inscrire la subordination de la femme dans un cadre principalement économique. La différence de statut et de pouvoir des femmes est uniquement causée par leur exclusion du marché. Il suffirait donc simplement de faire en sorte qu'elles ne soient plus exclues de la sphère économique pour qu'elles puissent enfin revendiquer un statut égal à celui des hommes. Cependant cette thèse peut facilement se retourner contre les femmes. Comme le souligne ironiquement Jane Jacquette, si toute production mérite récompense, et s'il est admis que les femmes sont, pour des raisons physiques, moins productives que les hommes, il est alors normal que les femmes recoivent moins de ressources ce qui bien évidemment serait contraire à l'effet recherché.87 Les partisans du FED ont démontré que le manquement dans la reconnaissance et l'utilisation des rTMles productifs des femmes, au sein des foyers et en dehors, est une erreur de planification entra»nant une mauvaise utilisation des ressources. Il en découle que si l'on améliore l'accès des femmes aux technologies et aux crédits, leur productivité en sera augmentée et aura un impact positif sur le développement national. L'investissement dans les femmes aurait donc des conséquences positives en termes économiques mais également en termes sociaux.

Parallèlement, cette première époque voit l'émergence d'un fort courant féministe économiciste qui défie le concept d'efficacité des théories économiques néoclassique et qui élargit le discours de l'efficacité pour défendre un développement humain et durable. La stratégie qui consistait à concevoir des projets mettant l'accent sur les femmes, avec pour objectif plus d'équité et plus d'efficacité économique, a eu pour répercussion de donner la

85 BOSERUP Ester, Women's role in economic development, Earthscan Publications, London, 1989 (1970).

86 ANAND Anita, Un point de vue féministe sur le développement, in ISIS, Femmes et développement. Outils pour l'organisation et l'action, Editions d'en bas/L'Harmattan, Lausanne et Paris, 1988, p. 22.

87 La moindre productivité des femmes est évidemment toute relative. On dit souvent au contraire que les femmes ont une capacité de travail supérieure à celle des hommes. A ce propos, la plupart des personnes rencontrées lors de nos voyage en Amérique centrale, évoquaient le rTMle primordial des femmes dans la reconstruction après l 'Ouragan Mitch ainsi que la charge de travail particulièrement important qu'elles ont pris en charge.

priorité à ce que le développement attendait des femmes plutôt qu'à ce que les femmes attendaient du développement.

Or, comme le souligne Annie Vézina,

on remarque que les interventions et les discours féministes (IFD et GED)88, qui véhiculent l'idée que pour se libérer, les femmes doivent s'intégrer au développement en participant à des activités économiques, peuvent entrer en conflit avec les rôles qui sont traditionnellement dévolus aux femmes89.

Les modalités d'intégration de la femme dans le système économique productif dépendent des analyses mais on observera que lorsque l'aspect économique de cette intégration prime sur l'aspect social et politique, les cadres proposés sont inadaptés. La question de la pertinence de ce savoir se pose d'autant plus qu'il existe toujours un décalage entre la théorie et la pratique. De cette observation on peut faire deux constats:

Le premier est que cette meilleure connaissance "absolue" de la situation des femmes n'a pas contribué à une amélioration visible du sort des populations étudiées. Ce constat quelque peu pessimiste s'observe à la fois dans le domaine du développemen t et dans le domaine des femmes. J'étayerai cette assertion dans la partie consacrée au féminisme en Amérique latine.

Le deuxième constat, corollaire du précédent, est que l'acquisition de ce savoir n'ayant profité ni aux femmes, ni au développement en général, il a par contre été utile aux ONG et aux institutions qui en ont fait leur "fonds de commerce". Cette connaissance sur l'objet qu'est le développement, les femmes et le genre, s'est vue développée et instrumentalisée par les ONG et institutions, qui y ont puisé une certaine légitimité pour leurs actions, voire leur existence même. Cependant, le savoir utilisé reste largement dépendant d'une école de pensée particulière, d'une théorie qui reste assez statique alors que le défi à relever, si l'on veut que le genre contribue au dynamisme du développement, est celui de"s'orienter vers la découverte, la réinvention des cheminements, la dialectique d'un processus dans lequel on reconna»t à différentes cultures des significations qui ne sont pas nécessairement univoques."90

Or on observe ici que la plupart des théories qui émergent dans le domaine FED sont apolitiques, sans prises de positions claires. Il s'agit plutôt de constats, d'observations, de cadres qui sont élaborés sans que ceux-ci ne se rattachent à une réalité concrète. Dans la plupart des cas, la base de ces théories est une "resucée" édulcorée et dépolitisée du discours féministe (par exemple les cadres des rôles et des besoins que nous analyserons dans le chapitre suivant). Comme le fait remarquer Dagenais, on est frappés par le haut niveau d'abstraction du discours et le ton désabusé, sinon franchement cynique, adopté par beaucoup d'auteurs.91

Par ailleurs, on observe que certaines théoriciens, qui, à l'instar des féministes, préfèrent repolitiser les concepts et travailler à l'élaboration d'alternatives théoriques ou pratiques d'un autre développement, et n'hésitent donc pas à remettre en question le système global du développement et le patriarcat, sont peu prisés par les institutions. Lorsque les institutions se réapproprient leurs théories, elles perdent ce caractère novateur (en termes d'analyse des relations de genre et de leur répercussion sur l'organisation générale de la société). Pisano dit à cet égard que les connaissances ne se légitiment pas toutes de la même

88 IFD: Intégration des femmes dans le développement; GED: genre et développement.

89 VEZINA Annie: La micro-entreprise: une technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de développement Altérités. No 3 (janvier 2002). http://www.fas.umontreal.ca/ anthro/varia/alterites/n3/vezina. html.

90 GARCIA CASTRO, opcit., p.52.

91 DAGENAIS Huguette, Conceptions et pratiques du développement: contributions féministes et perspectives d'avenir, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p. 32

manière et que celles qui impliquent une action politique envers le patriarcat, le remettant en question, se "recyclent " de manière à les rendre impraticables, neutres et finalement, fonctionnelles pour le système. 92

Cette constatation n'a cependant rien d'extraordinaire puisqu'il est normal, lorsqu'une théorie ou une pensée est réappropriée par le politique, de voir cette théorie servir à confirmer, à conforter, et à justifier les actions des responsables politiques. Nous avions d'ailleurs abordé cette question de la perte d'imagination dès lors qu'il s'agit d'exercer réellement le pouvoir et la transformations de celui-ci en gestion

dans le chapitre précédent.

Dans la plupart des cadres et des approches que j'analyserai dans cette partie, on observera donc ce phénomène "d'adoucissement" du propos, phénomène qui donne l'impression que lorsqu'on parle d'intégrer le genre au développement, il s'agit plutôt de ÇrafistolagesÈ, d'intégration d'un élément mineur - femme ou environnement - comme on enfonce un dernier objet au fond de la valise avant de la fermer, lorsqu'elle est déjà pleine. En fait, il s'agit pour le développement de décider ce qu'il veut de la femme et non pas pour la femme de décider ce qu'elle veut du développement.

Paradoxalement à cet "adoucissement", on observe que la coopération internationale reste dans le pratique, dans le terre-à-terre, et rien n'est vraiment fait pour que le regard change. Ce regard, c'est souvent celui de l'expert, du spécialiste, du technicien et c'est celui-là qui influence les projets qui sont mis en place. Il semblerait donc qu'il y ait en quelque sorte un écart entre ce qui se dit et se projette dans les cénacles de la coopération internationale (au niveau institutionnel) et ce qui peut se voir dans la réalité des projets portés par les ONG. Les ONG se voient en effet confrontées à une double contrainte paradoxale qui les fait osciller en permanence entre une vision et une manière d'agir alternative et novatrice et la contrainte financière et souvent politique (malgré le "N" de leur nom) qui les oblige le plus souvent à adoucir leurs actions et propos et à se ranger dans le rang institutionnel.93 La situation n'est pas différente en ce qui concerne l'utilisation du concept de genre.

2. L'EVOLUTION DU 'DISPOSITIF' FEMMES ET DEVELOPPEMENT

Nous avons dans les chapitres précédents, analysé la question du genre et du développement sous l'angle du savoir et du pouvoir que nous avons synthétisés à partir de la notion de dispositif de développement.

C'est donc en poursuivant dans cette option théorique que nous allons analyser quelques concepts et cadres d'analyses qui sont (ou ont été) utilisés dans l'approche "femmes et développement" dans un premier temps, "genre et développement" par la suite. Nous ne prétendons pas faire une analyse exhaustive des cadres théoriques en la matière mais plutôt montrer quelle en a été l'évolution conceptuelle, quelles ont été les influences majeures et

92 PISANO, Margarita , Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.

93 Sur l'action du "militant humanitaire" et de la situation paradoxale dans laquelle il se trouve par rapport au système capitaliste, Benasayag dit ceci:

Pour ces gens de bonne volonté, la question n'est plus d'essayer de "changer le monde", mais de voir comment, au moins, on pourrait intervenir efficacement pour stopper ou limiter l'horreur. Cette attitude procède d'une ambigu
·té fondamentale: d'un côté, la matérialité de l'action est indiscutable; mais de l'autre, le mouvement dans lequel elle s'inscrit est très souvent instrumentalisée par la société du spectacle, qui joue sur la fascination de l'horreur du monde. Emerge ainsi le spectacle des"bons" qui aident les autres, laissant intacts les mécanismes qui maintiennent la grande majorité dans un rôle de spectateur. Le militant humanitaire (avec des variantes et des exceptions) court ainsi en permanence le risque de produire des effets opposés à ceux qu'il désirait. En n'abandonnant pas la croyance en une "totalité abstraite" du monde, il dépouille les habitants de la puissance qui n'existe que comme développement dans l'universel concret. Ainsi, dans un monde homogène, unifié par le pouvoir, le militant humanitaire finit par accepter l'impossibilité de s'opposer à l'hégémonie capitaliste." BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego , Du contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000, p. 74.

comment ces options théoriques ont contribué (ou non) à un "mieux développement". Nous adopterons donc une approche à la fois chronologique et thématique afin de mieux comprendre ce qui a provoqué ce changement conceptuel du FED au GED. Quelques cadres théoriques et quelques auteurs nous ont donc semblé importants pour montrer cette évolution, soit parce qu'ils sont les plus utilisés dans le monde de la coopération, soit parce qu'ils ont influencé un changement majeur dans les théories utilisées.

Naila Kabeer différencie trois différentes façons d'aborder la question "femmes et développement": la grille des rTMles de genre, la grille du triple rTMle, et enfin l'analyse des relations sociales. 94 Ces différents cadres ont donc servi de base théorique aux différentes approches pratiques qui ont marqué l'approche "Femmes et développement" en vigueur à partir du milieu des années soixante-dix. On peut distinguer, comme Moser le fait dans son analyse sur la planification de genre95, cinq approches intégrant les femmes dans le développement: l'approche du bien-titre, de l'équité , de la lutte contre la pauvreté , de l'efficacite et de l'empouvoirement. Les quatre premières approches sont essentiellement utilisées par le Nord dans ses actions vers le Sud. La dernière, celle de l'empouvoirement, est concue et défendue par les

femmes du Sud elles-memes, en réponse aux premières.

A nos yeux, l'analyse des relations sociales ainsi que l'approche empouvoirement font partie de l'approche Genre et Développement. En se référant à ce que nous avions développé dans la première partie, notamment ce qui touche au "dispositif de développement" et l'utilisation du savoir dans la construction d'un développement "alternatif", nous pouvons en effet dire que ces analyses et approches sont différentes à plus d'un titre. Elles représentent à la fois un changement sémantique et un changement organisationnel. En utilisant le genre comme terme de référence et en axant les théories et les pratiques sur les femmes et à partir des femmes, ces approches permettent de sortir du dispositif de développement ou du moins en montrent les alternatives. Nous les analyserons donc séparément.

A. Les cadres théoriques

i. Le cadre des roles de genre

Le cadre des rTMles de genre a été développé par l'Université d'Harvard. Son objectif est de fournir aux professionnels du développement un cadre permettant de prendre en compte un maximum de facteurs lors de la mise en oeuvre d'un projet de développement (que celui-ci soit spécifiquement adressé aux femmes ou non). Il s'agirait donc d'un outil servant dans la planification afin de dépasser une allocation des ressources insuffisante. Dans ce cadre96, l'accent est une fois encore mis sur le rTMle productif de la femme et son intégration dans la sphère de production meme si le postulat de départ est que l'équité et la croissance économique sont des objectifs compatibles qu'il faut atteindre simultanément.97 En mettant

94 KABEER Naila, Triples rTMles, rTMles selon le genre, rapports sociaux: le texte politique sous-jacent de la formation à la notion de genre, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris- Genève, pp. 155-174.

95 MOSER Caroline O.N., Planificaci--n de género y desarollo: teoria, practica y capacitaci--n, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995., pp. 91-123

96 voir OVERHOLT Catherine (et al.), Femmes dans le développement: cadre pour un projet d'analyse, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique , Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 201-214.

et RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995, pp.16-19.

97 OVERHOLT Catherine, opcit., p. 202.

l'accent sur des arguments économiques (allouer des ressources aux femmes), ce cadre, selon Razavi et Miller, cherche à amadouer ceux à qui les concepts de "femmes" et "équité" feraient peur.98

Ce cadre prend en compte quatre dimensions:

- l'impact différencié selon les sexes d'un contexte général, - la répartition sexuelle des activités,

- l'accès et le contrTMle différencié aux ressources,

- les mécanismes de prise de décision. 99

En faisant abstraction totale de ce que Kabeer appelle connexion sociale (social connectedness)100 et qui concerne

les relations concretes entre les femmes et les hommes, cette analyse risque d'être figée dans le temps et l'espace

et, de ce fait, de ne pas montrer comme le changement intervient dans ces relations et dans la division des rTMles et des responsabilités. De plus, en insistant sur les différences entre les hommes et les femmes, l'analyse tend à masquer les relations entre les deux sexes, leurs interactions, collaborations, lieux d'intérêt et leurs échanges.

Elle fait également abstraction de la question du pouvoir, comme si elle ne se posait pas. Or comment expliquer la différence dans l'allocation des ressources - matérielles ou autres, si ce n'est en soulevant la question du pouvoir. Pour ces auteurs, l'observation seule des faits, et leur systématisation via des données bien ordonnées, suffirait à changer cette inégalité d'accès aux ressources. Les femmes sont considérées comme appartenant à un système donné (qui est en général le ménage101 mais peut être également la communauté) mais les interactions, souvent complexes, entre éléments de ce système ne sont pas mises en exergue et les causes de l'inégalités ne sont pas analysées.

Cette facon d'analyser les choses correspond à la tendance qu'ont les ONG et les institutions à esquiver le politique. En effet, se confiner à la sphère privée permet de faire l'économie de la question du rTMle politique des femmes, de leur citoyenneté et de leur accès au pouvoir mais aussi de la dimension collective de leurs actions, en tant que femmes autonomes et non plus seulement en tant qu'épouse ou mère. En réalité, l'objectif principal (et peut-être le seul) est la réussite des projets dans lesquels, les femmes ne jouent qu'un second rTMle dans ces projets, n'étant qu'exécutantes.

ii. Les triples rTMles de genre: rTMle de reproduction, rTMle de reproduction et rTMle communautaire

98 RAZAVI et MILLER, opcit., p. 17.

99 ZWALHEN Anne, Vers un autre genre de développement, in Créativité, femmes et développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, pp. 31-41, p. 32.

100 Voir l'analyse des relations sociales point iv.

101 Le ménage, ou foyer, est ici considéré sous un angle"traditionnel": un homme, une femme, deux ou trois enfants et le posent comme"unité" de base pour l'étude des relations sociales de genre. Ne prendre en compte que les relations au sein du foyer est doublement critiquable: d'une part, en considérant qu'il y a un homme et une femme au sein de la famille, on fait abstraction d'autres modes de structure familiale (beaucoup de femmes sont seules chefs de familles, il existe d'autres formes de groupes communautaires), d'autre part, se limiter aux relations hommes-femmes dans la sphère privée, en particulier dans le couple, n'est que poursuivre ce qui a été fait auparavant, à savoir confiner la femme dans la sphère privée, comme si elle n'avait de relations avec les hommes que dans son "ménage" mais aussi comme si les relations avec les autres femmes n'étaient jamais empreintes de pouvoir ou de domination mais aussi de coopération et complicité. La question lesbienne notamment est rarement abordée par le monde de la coopération, alors qu'il s'agit d'un thème récurrent parmi les féministes en Amérique latine.

Caroline Moser, entre autres, base la planification en terme de genre sur l'analyse des rTMles. Elle en dénombre trois: reproductif, productif et communautaire. Il s'agit évidemment d'une simplification de la complexité de la réalité, mais l'identification de ces trois rTMles est, selon Moser, un outil permettant de rendre visible ce qui ne l'était pas auparavant.102 En effet, l'objectif est de provoquer une prise de conscience et d'attirer l'attention sur le fait que les femmes doivent trouver un équilibre entre leurs différents rTMles et que cela a une implication sur leur capacité à participer aux projets et à leur investissements dans ceux-ci.

La nouveauté du schéma des trois rTMles réside dans la reconnaissance du temps et de l'effort déployés par les femmes dans l'aménagement de la communauté locale. Les femmes agissent tant au niveau des infrastructures qu'à celui des services. Le tissu des relations sociales est envisagé comme un ensemble d'infrastructures et de services. Cependant ce schéma reste, selon Jeanine Anderson, l'une des reductions les plus maladroite qu'on ait tenté d'appliquer à l'analyse de la femme et à celle du développement. 103

La définition des rTMles se fait en fonction des ressources qu'ils génèrent. Le rTMle productif a ainsi trait à la production des ressources économiques et matérielles, alors que le rTMle reproductif a trait à la gestion et la reproduction des ressources humaines. Ces deux rTMles ne sont en fait qu'une autre facon de différencier la sphère privée de la sphère publique, les concepts de reproduction et de production.

Pour ce qui est du rTMle communautaire, Kabeer souligne le manque de clarté dans la définition qu'en donne Moser. On ne sait pas très bien en effet si ce rTMle communautaire produit des biens et services

gr%oce aux efforts communautaires plutTMt qu'individuels, l'accent étant mis dans ce cas sur l'organisation de la production, ou si au contraire les efforts collectifs se rapportent à ce qui est produit, par le fait de revendications rendues possibles gr%oce à l'appartenance des membres aux organisations communautaires.104 Par ailleurs, au-delà de cette imprécision, Moser fait la différence entre le rTMle de gestion communautaire et le rTMle de politique communautaire. La gestion serait le fait des femmes, et Moser décrit ce rTMle comme étant "une extension du rTMle reproductif", puisqu'il s'agit de veiller au bien-titre de sa famille et de sa communauté. La femme remplit ce rTMle lors de ses temps libre et bénévolement. Le rTMle politique communautaire serait le fait des hommes. Il s'agirait ici d'organisation politique formelle, impliquant rémunération et augmentation de statut et de pouvoir. 105 Moser relève toutefois que ce clivage entre investissement communautaire bénévole féminin et investissement politique rémunéré masculin est renforcé par les états, les institutions et les ONG. Quand des t%oches sont redistribuées aux femmes, dans le cadre de projets (par exemple des projets de santé communautaire ou d'alimentation), elles le font en général gratuitement et pour combler le vide institutionnel. Cette instrumentalisation des femmes est particulièrement claire dans l'approche "efficacité" que nous analyserons plus loin.

Ce rTMle communautaire, décrivant les activités des femmes dans la gestion de leur communauté, ne décrit pas, du moins pas de manière explicite dans les textes de Moser, l'activité politique des femmes dans d'autres lieux que leur communauté. Or, c'est autour de la défense du bien -etre des individus et de l'intéret pour la gestion collective des biens

102 MOSER Caroline O.N., Planificaci--n de género y desarollo: teoria, practica y capacitaci--n, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995, p. 140.

103 ANDERSON Jeanine, Le 'triple rTMle', in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED -EFI, Paris - Genève, pp. 175-178.

104 KABEER Naila, Triples rTMles, rTMles selon le genre, rapports sociaux: le texte politique sous-jacent de la formation à la notion de genre, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, ParisGenève, p. 161.

105 MOSER, opcit, p. 59.

publics que s'est articulée la citoyenneté des femmes développée durant ces trente dernieres années, du moins en Amérique latine.106

A propos de cet engagement, Moser prétend que, lorsque les femmes se mobilisent autour de themes qui sont directement en lien avec leurs sphere sociale et en dehors des organisations politiques établies, elles deviennent tres puissantes, justement parce qu'elles ne remettent pas en question la nature de leur subordination de genre. Par contre, une fois qu'elles s'impliquent dans le monde "masculin" de la politique publique, les confrontations sont virtuellement inévitables. Selon l'auteur c'est une des raisons pour laquelle les femmes choisissent de rester dans le gestion communautaire. Et de citer comme exemple la réussite des associations comme les Meres de la Place de Mai en Argentine, ou le Comité de Amas de Casa de Siglo XX en Bolivie.107 On ne sait pas tres bien si lorsque Moser dit que les femmes ont tendance à éviter la confrontation et restent donc dans leur sphere traditionnelle, elle approuve cette facon de voir ou si elle ne fait qu'un simple constat. Or les femmes, meme si elles ont été traditionnellement confinées au "monde privé de la sphere domestique", ont toujours été présentes dans les luttes collectives comme le souligne Elizabeth Jelin.108 De plus, lorsque les femmes préferent éviter la confrontation et restent donc dans leur rTMle de gestion communautaire, elles peuvent le faire pour diverses raisons, notamment parce qu'à ce moment, pour une raison ou une autre, elles préferent mettre en avant la satisfaction de certains besoins et intérets.

Pour conclure sur ce cadre des trois rTMles de genre, il nous faut constater que si le bon sens nous incite à le considérer comme étant un cadre d'analyse valable, nous ne pouvons que constater qu'il ne fait que transcrire une certaine réalité de la division des rTMles et qu'en aucun cas son utilisation ne menera à une transformation et une amélioration de la situation de la femme. Reconna»tre les rTMles est une choses, se donner les moyens de les transformer ou de les répartir de maniere équitable en est une autre. Or ce cadre, en se basant sur des notions et des concepts traditionnels, émanant d'une tradition "patriarcale", est par trop statique et simpliste.

Comme le souligne à juste titre Jeanine Anderson,

si nous voulons le bien des femmes, notre devoir est de reconna»tre que leur monde a la meme complexité que celle que nous attribuons à celui des hommes. Nous de parlerions jamais du "triple rTMle" des hommes, ni meme des hommes de milieux défavorisés; cela serait considéré comme une simplification insensée et intolérable. 109

iii. Les besoins de genre: pratiques et stratégiques

106 MARQUES-PEREIRA Berengère, Femmes dans la cité dans le cTMne sud de l'Amérique latine et au Portugal, in MARQUES-PEREIRA Berengère: Femmes dans la Cité: Amérique latine et Portugal, Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, p.8.

107 MOSER, opcit., p. 63. Le choix de l' exemple des Meres de la Place de Mai pour illustrer la mobilisation des femmes nous semble quelque peu malheureux car s'il est évident que les Meres se sont d'abord mobilisées à partir de leur tragédie personnelle, cette mobilisation a donné lieu à une réelle réflexion politique et un réel engagement. Si ces femmes ne se sont pas engagées dans la sphere politique formelle du pouvoir étatique c'est que c'était justement contre ce pouvoir qu'elles se battaient et non pas par volonté d'éviter la confrontation.

Au sujet des Meres de la Place de Mai, l'article sur le concept de "maternité" et la participation des femmes en Amérique latine de Schmukler est édifiant. Schmukler y montre que c'est bien de politique alternative qu'il s'agit et que les Meres, en montrant l'articulation entre le privé et le public, la maternité et la citoyenneté,

ont contribué à la déstabilisation du régime. Voir SCHMUKLER Beatriz, Maternidad y participaci--n de las mujeres en América Latina, in MARQUES-PEREIRA Berengère (coord.) : Género, cultura y ciudadan'a , Cahiers du GELA.IS - ULB, n°10, Bruxelles, 1999, pp. 159-182.

108 JELIN Elizabeth, Women and social change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, p. 1.

109 ANDERSON, opcit., p. 176.

En complément à cette théorie des rTMles, une analyse en terme de besoins des femmes a été effectuée. Elle a été théorisée dans un premier temps par Maxine Molyneux110 qui distingue trois types de besoins (ou intérêts): les besoins des femmes, les intérêts stratégiques et les intérêts pratiques selon le genre.

La première distinction est faite entre besoins des femmes et intérêts de genre. Pour Molineux en effet, on ne saurait prétendre à l'existence d'un ensemble de besoins et intérêts communs à toutes les femmes. Ceux-ci diffèrent selon la classe, l'ethnie, la race, l'%oge, etc. Les intérêts de genre par contre, pourraient être considérés comme étant ceux développés par les femmes (ou les hommes) à cause de leur positionnement social et ce selon leurs particularités de genre. Ces intérêts de genre peuvent être de deux types: pratiques ou stratégiques.

a) Les intérêts pratiques répondent à un besoin immédiat, partant des conditions concretes du positionnement des femmes dans la division sexuelle du travail.111 Ces intérêts n'ont pas de répercussion au niveau stratégique, et ne remettent pas en cause la structure sociale du pouvoir ni la division des rTMles selon les genres. Les projets mis en place cherchent habituellement à satisfaire les intérêts pratiques en se situant principalement dans la sphère domestique (par exemple l'accès à l'eau, à un toit, etc.). Ce faisant on évite d'être trop "politique" mais on tend également à invisibiliser les besoins stratégiques. La société de consommation actuelle accentue à la fois l'importance des besoins pratiques mais elle en crée également de nouveaux.

b) Les intérêts stratégiques sont le résultat de l'analyse de la subordination des femmes et de la formulation de dispositions nouvelles plus satisfaisantes que celles existantes112 Ces intérêts stratégiques seraient donc ceux permettant de défier la subordination des femmes et de répondre à leur besoin de pouvoir et d'autonomie. Ils ont trait à la division du travail, au pouvoir, aux droits, et à l'égalité en général. Ils remettent en question les rTMles habituellement attribués aux femmes. Les intérêts stratégiques sont souvent percus comme étant féministes et nécessitent en général un niveau de conscientisation plus élevés que les intérêts pratiques. Les institutions jouent un rTMle important dans la délimitation des espaces dans lesquels il faut agir pour la satisfaction de ces intérêts. Parmi ces institutions, l'Etat joue un rTMle crucial. Moser cite quelques domaines dans lesquels l'Etat contrôle les femmes: la violence domestique, les droits reproductifs, les droits matrimoniaux, les droits sociaux.

Dans les projets de développement soucieux de répondre aux besoins des femmes, la satisfaction des besoins pratiques est souvent vue comme une porte d'entrée pour la satisfaction des besoins stratégiques. Tout comme le cadre d'analyse d'Harvard qui base son approche sur l'élaboration de grilles

d'analyse des données les plus détaillées possibles (qui souvent ne montrent pas l'aspect dynamique des situations), les projets se basant sur la satisfaction des besoins des femmes utilisent des "listes" figées (et souvent peu souples) de ces besoins, en se basant entre autres sur des paradigmes occidentaux.

B. Les approches pratiques

110 MOLYNEUX MAXINE, Mobilization without emancipation? Women's interests, the State and Revolution in Nicaragua, in Feministe Studies , summer 1985, vol. 11, n°2, p.227-235 (traduction partielle in: BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 123-132.

111 idem

112 MOLYNEUX, opcit., p. 128.

i. Bien-etre

Cette approche, descendante directe du colonialisme, voit les femmes comme des beneficiaires passives du developpement et se focalise sur leur rTMle reproductif. L'objectif est d'en faire de "bonnes meres". Selon cette approche, le fait que les femmes élèvent les enfants est le rTMle le plus important pour le developpement economique. Les mesures prises sont essentiellement basees sur l'aide materielle (alimentation, sante, etc.) visant au bien-etre des familles. C'est une vision 'top down', tres paternaliste de la cooperation. Les femmes y sont identifiees comme un groupe vulnérable qu'il faut proteger. En general ces programmes instrumentalisent les femmes (auxquelles n'est pas reconnu un quelconque droit au contrTMle de leur corps) et ne répondent qu'à leurs besoins pratiques (parfois maladroitement113). Alors que les hommes sont des hommes, et que leur rTMle en tant que peres est passé sous silence, les femmes ne sont que des meres. Cette approche fait l'impasse sur les relations entre hommes et femmes et ne remet pas en cause la divis ion traditionnelle des rTMles. En etant tres politiquement correcte, cette approche, datant des annees cinquante, est toujours largement utilisee de nos jours, notamment et principalement dans l'aide d'urgence.

Au vu des nombreuses critiques que cette approche suscitait, et sous l'impulsion des Nations Unies qui met sur pied la "Decennie des Nations Unies pour les Femmes" (1976- 1 985), des alternatives à l'approche de bien-etre appara»tront. Caroline Moser souligne que ces alternatives, contemporaines, ont souvent ete confondues et englobees dans la meme categorie fourre-tout de l'approche Femmes et développement alors que d'evidentes nuances doivent etre soulignées. 114

ii. Equite

En 1979 est publiee la "Convention sur l'elimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes". Celle-ci contribue à l'elaboration d'un cadre legal pour la reconnaissance des droits des femmes (education, services, credits, etc.) meme si ce cadre legal n'est pas synonyme d'amelioration dans la pratique.

L'approche de l'equite est en quelque sorte l'approche Femmes et Développement originale. Cette approche reconna»t la femme comme participante active au developpement, tant dans son rTMle productif que dans son rTMle reproductif. Elle n'est donc plus seulement une mere. L'approche essaye d'eviter trois erreurs communement commises par les "planificateurs du developpement": l'omission du rTMle productif des femmes, le renforcement de leur rTMle reproductif, et enfin l'utilisation de valeurs occidentales pour juger du travail des femmes. L'objectif de l'approche est de reduire les inegalités entre les hommes et les femmes et se concentre particulierement sur la division du travail, prenant ainsi en compte les besoins strategiques des femmes, et non plus seulement ses besoins pratiques.

L'influence des feministes occidentales, notamment des americaines est tres forte115 et ce
malgre l'intention de l'approche d'être plus à l'ecoute de la realite du terrain. C'est d'ailleurs

113 A ce sujet, il m'a été raconté par Maria Teresa Bland--n de la Malinche à Managua que, lors des programmes d'aide humanitaire d'urgence mis en place après l'ouragan Mitch en Amérique centrale, les ONG européennes et américaines, pourtant nombreuses, n'avaient pas pense à insérer des tampons, serviettes hygiéniques et pilules contraceptives dans les paquets d'aide distribués aux femmes. Par contre, biberons, langes, lait en poudre et autres produits pour les enfants avaient bien été integre. Ce sont finalement les associations féministes locales qui ont du fournir ce dont les femmes avaient besoin.

114 MOSER Caroline O.N., Planificación de género y desaro llo: teoria, practica y capacitación, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995., p. 100.

115 Celles-ci mettent l'accent sur les desavantages des femmes provenant des stereotypes diffuses par les hommes
et internalises par les femmes, lesquels sont promus par les "agences de socialisation" (écoles, états, etc.). Pour
contrer cela, elles préconisent de donner aux femmes une meilleure education, plus de diversité dans les rTMles

en partie à cause de cette influence que l'approche équité sera accueillie avec méfiance. En effet, tant les organismes de développement, que les gouvernements du Sud et même les femmes du Sud considèrent qu'il s'agit là d'une approche ethnocentrique et bourgeoise. Mais c'est surtout la redistribution du pouvoir que sous-tend l'approche ainsi que la tentative de répondre aux besoins stratégiques des femmes qui la rend difficilement acceptable, peut importe d'oü vient l'idée.

Toutefois, dans l'approche équité, les mesures prises sont pour la plupart des mesures institutionnelles, selon une logique 'top-down' qui ne permet pas vraiment une réelle autonomie des femmes. Il s'agit de lois, de mesures légales, qui ne constituent pas une remise en question en profondeur de la structure patriarcale de la société. L'Etat joue ici un grand rôle dans la conception de ces mesures. Cette démarche répond à l'idée que si l'on accepte que les femmes soient présentes aux postes de décisions, l'équité sera obtenue. Or nous avons vu dans le chapitre précédent non seulement qu'il n'en était rien, mais également que, le plus souvent, les femmes jouent un rôle d'exécutantes de tâches qui incomberaient normalement à l'Etat et aux structures étatiques. L'instrumentalisation des femmes, leur intégration au marché correspondrait ainsi à un désengagement de l'Etat dans des domaines qui devraient être de son ressort (santé, éducation, É) d'une part, à la privatisation du social d'autre part.116

Nous soulevons également la confusion, ou l'absence de différenciation qu'il y a entre "équité" et "égalité" dans cette approche. L'objectif de cette approche est de mettre en place des mesures de discrimination positive permettant aux femmes de combler le retard qu'elles accusent envers les hommes. C'est dans une perspective de réduire les inégalités formelles, et avant tout légales, entre hommes et femmes que ces mesures sont mises en Ïuvre et non pas pour essayer de renforcer l'équité (et donc la "justice") entre hommes et femmes. Cette approche n'est donc pas tellement propre à réduire la subordination des femmes, ni à renforcer l'équité. Elle aurait plutôt tendance à faire abstraction des différences entre hommes et femmes, mais également des différences entre femmes.117 ce qui ne correspond évidemment pas à l'objectif de départ.

qui leur sont proposés et une égalité de traitement (revendications touchant à l'égalité des chances dans le domaine du travail, etc.).

116 Au Nicaragua, suite à l'Ouragan Mitch, l'Etat s'est totalement désinvesti du problème de la reconstruction, laissant cette tâche à l'Eglise catholique, mais également aux ONG. (entretien avec Maria Teresa Bland--n, septembre 2000).

117 Nous reviendrons sur cette thématique dans le chapitre sur les féminismes latino-américaines.

iii. Anti-pauvreté

Selon Moser, cette approche est une version "suavizada de tono" (édulcorée) de l'approche de l'équité.118

Selon cette approche, l'inégalité économique entre hommes et femmes n'est pas liée à la subordination mais à la pauvreté. C'est donc en réduisant la pauvreté des femmes que leur inégalité sera réduite.119 C'est parce que le rôle productif des femmes n'est pas assez développé qu'elles sont "subordonnées". Et c'est donc en développant des projets générateurs de revenus pour les femmes que cette subordination cessera. Cette conception est donc centrée sur les femmes pauvres sans mettre l'accent sur le lien entre la pauvreté des femmes et les relations hommes/ femmes. Il s'agit plutôt de mettre en avant le fait que les femmes ne sont pas uniquement des bénéficiaires mais qu'elles peuvent également jouer un rôle important dans le développement par leur productivité. Les inégalités hommes-femmes sont dues en partie au fait qu'elles n'ont pas accès à la propriété privée de la terre ou du capital.

L'objectif est que les femmes contribuent efficacement à répondre aux besoins de leurs familles. Les projets mis en place visent donc à générer des revenus pour les femmes. On part de l'idée que les femmes ont de toute facon beaucoup de temps libre (puisqu'elles ne travaillent pas de ma nière visible) pour diversifier leurs activités et s'investir

dans des activités productives. Par les aides qui leur sont accordées, les agences de développement incitent les femmes à améliorer leurs performances et à étendre leurs activités économiques, le plus souvent dans les domaines qui sont traditionnellement les leurs (couture, cuisine, artisanat, etc.), doublant ou triplant ainsi leurs journées.

Or, comme le souligne Moser, "les projets de génération de revenus ne satisferont le besoin pratique de genre d'avoir un revenu que dans la mesure oü ils déchargent les femmes d'une partie du travail domestique et de l'éducation des enfants."120 De plus, ces projets n'ont en réalité que peu de résultats car la question de redistribution des ressources dans la sphère privée et le changement d'attitudes et de comportements n'a pas été privilégiée. Ces projets n'ont donc eu aucune influence sur la réduction de la marginalisation économique des femmes.

iv. Efficacité / Compétences

Il s'agit de la troisième approche FED. C'est sans doute dans celle-ci que l'instrumentalisation des femmes est la plus criante (même si cette instrumentalisation était sous-jacente dans les approches précédentes). Il s'agit vraiment de s'assurer que le développement soit efficace gr%oce à la contribution économique de la femme. Cette approche est celle des institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, OCDE). Pour illustrer la vision de ces institutions, Moser cite la Banque Mondiale qui dans un de ses rapports dit ceci: "Si l'on laisse de côté les questions de justice et d'équité, le manque disproportionné d'éducation pour les femmes, avec ses conséquences sur la productivité, (ainsi que sur) la nutrition et santé de leurs familles, a des effets négatifs à long terme sur l'économie. "121

Cette approche co
·ncide avec la crise économique vécue par les pays du Sud et les solutions
proposées par les institutions, notamment les programmes d'ajustement structurels. Pour la
réussite de ces programmes, il était indispensable de pouvoir compter sur la main-d'Ïuvre

118 MOSER, opcit., p. 106.

119 AJAMIL Menchu, La vision de género en la cooperaci--n internacional. Trayectoria historica y perspectivas, s/l, s/d

120 MOSER, opit, p. 110.

121 MOSER, p. 111, note de bas de page.

feminine souvent gratuite. Si dans les approches precedentes les femmes etaient déjà considerees implicitement comme pouvant remplir toute une série de t%oches benevolement au sein de leur communauté, cette participation est explicite dans l'approche de l'efficacité. Ne s'agit-il pas d'une extension naturelle de leur rTMle reproductif?122 Elle a egalement eu pour conséquence que les femmes sont devenues LE groupe cible qui allait resoudre tous les problèmes si on axait les politiques sur lui, et gr%oce auquel les objectifs de developpement pourraient etre atteints. Peu importe finalement si les interets des femmes sont rencontres à long terme. Les femmes devenant ainsi une panacee qui devait pallier les insuffisances structurelles tout en faisant face à une charge de travail parfois doublee, voire triplee. Les programmes d'ajustement structurel faisant evidemment abstraction du rTMle reproductif des femmes puisque seuls les biens et services du marche economique ainsi que la production de liquidites pour la subsistance sont pris en compte dans l'economie.

Cette approche est donc tres populaire tant aupres des institutions internationales d'aide qu'aupres des gouvernements nationaux. Elle signifie pour eux un déplacement des coûts de l'economie remuneree vers l'economie benevole gr%oce à l'utilisation du temps "libre" des femmes.123 Cette approche signifie egalement une diminution drastique des depenses sociales de l'Etat, ce qui a des repercussions negatives sur la satisfaction des besoins pratiques des femmes et un durcissement de leurs conditions de vie. L'objectif serait donc non seulement de "formaliser" le travail des femmes, mais egalement de le privatiser et de l'individualiser.

Cette approche etant aujourd'hui l'une des plus populaire au niveau institutionnel, nous pouvons mettre en doute l'amelioration du sort des femmes d'une part, l'efficacite des programmes de developpement d'autre part. En effet, s'il est admis que la femme a un rTMle essentiel à jouer dans le mieux-etre de sa societe, il ne peut etre mis en doute que si elle continue à etre instrumentalisee comme elle l'est aujourd'hui, le sort des pays du Sud reste incertain.

3. GENRE ET DEVELOPPEMENT

Chronologiquement, l'evolution de l'approche FED vers l'approche GED est peu claire. On ne peut pas dire que, à partir d'une certaine date, l'approche ait bascule de l'une vers l'autre. Il s'agit plutTMt d'un lent processus qui n'est pas encore arrive à terme. Depuis quelques annees déjà le terme "genre" a remplace le terme "femmes" sans que ce changement n'ait ete accompagne d'une modification des pratiques. Pour nous, il s'agirait d'un effet de decalage temporel entre la theorie et la pratique, les institutions et les ONG ayant toujours un peu de peine (ou peu de volonte) à mettre en pratique les theories nouvelles.

L'introduction du concept de genre dans la cooperation au developpement, (É)
l'instrumentalisation qui est faite des theories existantes sur le developpement, par les
institutions internationales, servent souvent, à legitimer leurs programmes en y integrant

122 Tant les Etats que les communautés et les organisations internationales de développement considèrent en effet cela comme étant naturel. MEERTENS Donny, Autonomia y practica social: dilemas cotidianos de une estrategia de genero en el desarollo , in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de género en el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994, pp. 49-71, p. 64.

123 L'utilisation gratuite de la main d'Ïuvre feminine est particulièrement visible dans les programmes de reconstruction, dans lesquels le travail des femmes (preparation de la nourriture, approvisionnement en eau, en bois, etc. pour les constructions) n'est pas reconnu comme tel et ne donne donc pas droit aux benefice du programme "travail contre nourriture".

des concepts porteurs, d'actualité, sans que cela ne se traduise dans les pratiques sociales, politiques et économiques.124

D'autre part nous pensons qu'il s'agit également d'un décalage entre la pratique et la théorie, à savoir que les réalités du terrain, les expériences vécues par les femmes dans ce que Lagarde appellerait leur "situation vitale"125, soit leurs expériences concrètes de vie, sont difficilement et lentement prises en compte dans l'élaboration des politiques.

A. L'analyse des relations sociales (ARS)

L'une des critiques que l'on pourrait adresser à l'approche FED, du moins dans les cadres théoriques analysés ci-dessus, est qu'il se limite au très court terme et qu'il fait abstraction de la globalité et de l'ensemble des relations sociales des femmes. Le simple fait d'augmenter la productivité des femmes, ne leur permettra ni d'augmenter leur autonomie, ni de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Par contre, en se centrant plutTMt sur les rapports sociaux de sexe (gender) que sur un sexe ou sur l'autre, on met en évidence le construit social des rTMles féminins et masculins ainsi que le pouvoir et les hiérarchies qui marquent peu ou prou toute forme de relation.126 Ce cadre théorique pourrait etre considéré comme étant la base pour le passage de l'approche "Femmes et developpement" à l'approche "Genre et développement" . En effet, ce ne sont plus essentiellement les femmes qui sont l'objet de cette approche mais plutTMt les relations sociales qui sont les leurs, tant avec les hommes qu'avec les autres femmes.

Les relations de genre sont, comme les définit Kabeer, l'étendue des relations sociales qui créent des différences systématiques dans le positionnement des femmes et des hommes en relation avec les processus sociaux.127 L'analyse des relations sociales met donc l'accent sur l'étude des structures sociales qui engendrent les situations de domination et d'inégalités auxquelles sont confrontées les femmes, dans les relations de production mais également dans l'ensemble des relations sociales de la vie quotidienne (relations ayant trait aux mécanismes de production, reproduction, distribution et consommation). Cette analyse ne peut donc pas faire l'impasse sur la redistribution du pouvoir et n'exclut pas non plus que la réponse à la domination se trouve ailleurs que dans les relations de genre et au sein du foyer. D'autres institutions, telles la communauté, l'état, le marché permettent aux groupes d'acquérir des ressources mais définissent également, de par leurs règles, normes, valeurs et structures de pouvoir, la place des hommes et des femmes en leur sein. Les rTMles et attributions de chacun varient donc selon le lieu et le temps.

La différence principale entre l'analyse des relations sociales et les approches besoin s et rTMles est que, si ces dernières voient la division du travail selon le genre comme une sorte de "séparation sociale", l'ARS comprend cette division comme une forme de "connexion sociale", dans laquelle il y a relation de coopération et d'échange qui n'est pas toujours symétrique.128 Whitehead montre également que la division sexuelle des t%oches peut etre considérée de différents points de vue (culturel, sociales, politiques) et que tant que

124 THORNDAHL Marie, Pratiques et réflexion de genre. La diversité des expériences, in Créativité, femmes et développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, p. 17

125 LAGARDE Marcela, Identidad de género, Ed. Cenzontle, Managua, 1992, p. 11.

126 ZWALHEN Anne, Vers un autre genre de développement , in Créativité, femmes et développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, pp. 31-41, p. 32.

127 KABEER Naila, Triples rTMles, rTMles selon le genre, rapports sociaux: le texte politique sous-jacent de la formation à la notion de genre, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris - Genève, pp. 155 -174, p. 168.

128 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995, p.28.

l'interdépendance entre hommes et femmes se fonde sur une division asymétrique, plutTMt que symétrique, des ressources et des responsabilités, les relations de genre sont des relations de pouvoir comme de difference, de conflit comme de coopération.129

B. Empouvoirement (Empowerment)

Cette cinquième approche n'en est pas une dans le sens oil elle est à la fois un concept theorique et un mode d'action. Elle a ete utilisee par le groupe DAWN (Development Alternatives with Women for a New Era) en 1985 dans son texte Development, Crises and alternative visions.130 L'origine de cette approche est donc, contrairement aux approches precedente, la recherche feministe et l'experience des groupes de femmes du Sud. L'objectif de ces femmes du Sud etait, non seulement d'analyser la situation des femmes dans le monde, mais egalement de formuler une vision alternative de la société. L'influence des feministes est ici tres forte. Cependant, comme elles le disent elles-memes,

le feminisme, comme tout mouvement politique, se traduit par des questions, des objectifs immediats et des methodes qui ne sont pas partout pareilles.(É) sous cette diversite, le noyau irreductible du féminisme est la lutte contre les structures de subordination des femmes et la promotion de celles-ci comme partenaires egales des hommes, à tous les niveaux de la societe.131

L'objectif de cette approche est de donner plus de pouvoir aux femmes en leur donnant une plus grande confiance en elles. Cette approche cherche donc à realiser un developpement economique et social qui permettrait de satisfaire les besoins pratiques tout en permettant d'augmenter l'acces et le contrTMle au pouvoir economique et politique. Contrairement aux autres approches oil c'est le soi -disant "retard" des femmes sur les hommes qu'il faut combler, l'objectif est ici de "responsabiliser les hommes et le systeme, pour rejeter la hierarchisation et faire admettre les valeurs d'attention et d'ouverture."132

Selon Frangoise Mestrum, le terme d'empouvoirement implique un pouvoir "relationnel" (relacionado), à savoir un pouvoir qui "implique un sujet et un objet", et qui est multidimensionnel. Il se décline au niveau individuel, collectif et organisationnel.133 Un des points importants, mis en exergue par DAWN, est l'autonomie dans l'acquisition de ce "pouvoir". Il ne s'agit pas d'un pouvoir impose, tel que le decrit Saint Hilaire lorsqu'elle parle de l'assujettissement des femmes par le dispositif de développement. Il s'agit bien d'un pouvoir qui est "auto-généré" et global. Ce sont toutes les relations de pouvoir qui sont affectees et c'est un changement systemique qu'il faut effectuer.

Oxaal et Baden déclinent le pouvoir

de differentes manières: il peut s'exercer dans le cadre d'une relation de domination/ subordination (pouvoir sur), ou dans celui d'une prise de decision (pouvoir de), ou encore il peut s'agir d'un pouvoir collectif, dans l'intention de realiser des objectifs communs (pouvoir avec). Enfin ce pouvoir peut se referer à la confiance

129 citée par KABEER, opcit., p. 169.

130 Nous pensons que ce petit texte est exemplaire. De façon concise, il enonce les griefs des femmes du Sud à l'égard de la politique occidentale de développement mais c'est surtout par ses propositions qu'il est novateur. Comme l'écrit Andrée Michel dans sa preface à l'édition française: c'etait la première fois qu'un groupe de chercheuses du Sud intégrait le féminisme à une perspective globale, montrant que la situation des femmes de la planete &tait inexorablement liée aux autres problemes qui affectent l'humanité tout entière.

DAWN, Femmes du Sud, Autres voix pour le XXIè siècle, CTMté-femmes Editions, Paris, 1995 (traduction de: SEN Gita et GROWN Caren, Development, Crises and alternative visions, Earthscan Publications, London, 1988)

131 DAWN, idem, p. 103

132 DAWN, opcit., p. 102.

133 MESTRUM Francine, ÀCuanto poder en el empoderamiento? Construcci--n y deconstrucci--n de un concepto, in MARQUES-PEREIRA Berengere (coord.): Género, cultura y ciudadan'a, Cahiers du GELA.IS - ULB, n10, 1999, Bruxelles, pp. 183-201.

et l'estime de soi et permettre à l'individu de s'affirmer au sein d'un groupe ( pouvoir au sein de).134 Meertens ajoute également la notion de pouvoir pour qui, contrairement au "pouvoir sur" implique d'entrer en relation sans diminuer le pouvoir de l'autre.135

Ces deux derniers aspects du pouvoir sont les points principaux de l'approche de l'empouvoirement. L'action collective et la participation sont ainsi, avec le rTMle des ONG les points clés dans l'émergence d'un développement de 'bas en haut' (bottom-up development).136 Le développement se basant sur l'empouvoirement est donc bien un pouvoir qui vient des "gens" et non pas un développement imposé. Comme le soulignent Oxaal et Baden, les institutions et organisations de développement ne peuvent prétendre "empouvoirer" les femmes. 137 Il s'agit d'un processus autonome qui peut certes être soutenu mais ne peut être "défini en termes d'activités spécifiques, ou de résultats attendus car il implique un processus au sein duquel les femmes peuvent analyser, développer et exprimer leurs besoins et intérêts librement sans que ceux-ci ne soient préalablement définis ou imposés d'en-haut, que ce soit par les "planificateurs" ou d'autres acteurs sociaux".138

Cette vision des choses est donc bien différente des autres approches et semble constituer, enfin, une échappatoire à une prise en compte des femmes qui ne serait ni partiale, ni partielle, ni reproductrice des processus de domination contre lesquels les femmes se battent. Cette approche est utilisée par NOVIB dans ses actions, de facon explicite dans les textes de l'organisation mais également de facon "implicite" et transversalisée. On peut en fait dire que ce processus d'empouvoirement est la clé de voûte de la politique de NOVIB en termes de genre. Nous analyserons cette question dans la quatrième partie.

C. La transversalisation de la perspective de genre

Au début de l'approche Femmes et Développement, cette approche était du seul ressort soit d'une personne chargée de la question, soit, au mieux, d'un département "Femmes et développement" au sein des institutions et des ONG. Cependant, parallèlement à l'émergence de l'approche "Genre et développement", la question s'est posée de savoir s'il était mieux de spécialiser ou de transversaliser la thématique. Selon la définition des Nations Unies, le "mainstreaming", ou "transversalisation", de la perspective de genre est

"un processus d'évaluation des implications des femmes et des hommes dans toute action planifiée, y compris les législations, les politiques et les programmes, dans tous les domaines et à tous les niveaux. C'est une stratégie pour que les femmes et les hommes soient une dimension intégrale de la conception, la mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des politiques et des programmes dans toutes les spheres politiques, économiques et sociales afin que les femmes et les hommes en bénéficient également et que les inégalités ne soient pas perpétuées. Le but ultime est d'arriver à l'égalité de genre.»139

134 OXAAL Zoë et BADEN Sally: Gender and empowerment: definitions, approaches and implications for policy, BRIDGE Development - Gender, report n°40, Institute of Development Studies, Brighton, octobre 1997, p. 1.

135 Même si Meertens constate qu'il est un peu utopique de croire que l'on peut arriver à une redistribution du pouvoir à somme zéro. MEERTENS Donny, Autonomia y practica social: dilemas cotidianos de une estrategia de genero en el desarollo, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificación de género en el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994

136 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995, p.33. et OXAAL Z. et BADEN S., opcit.

137 OXAAL et BADEN, opcit, p. 5.

138 idem.

139 United Nations Economic and Social Council for 1997

La volonté de transversalisation140 part donc d'une bonne intention: que le genre soit une dimension intégrale de tous les niveaux des politiques est certes une bonne chose à l'heure oü la tendance est à la classification de toute chose. La transversalisation du genre pourrait permettre d'éclairer à la lueur des rapports homme/femme d'autres thèmes qui deviennent centraux comme la bonne gouvernance, la gestion et la prévention des conflits , la pauvreté et la mondialisation. Dans les ONG, cette volonté de transversalisation du genre montre leur désir de lui accorder une place dans toute réflexion et de faire en sorte que cette question ne soit plus une question abordée au cas par cas mais bien une manière de penser. Comme l'exprime EUROSTEP dans un de ses documents: "Do not add gender. Mainstream it!"141. Pour certaines ONG, le genre ne peut être qu'un simple terme ajouté aux textes et aux ordres du jour. La sensibilité au genre doit structurer l'entièreté des organisations.

Si nous avons analysé la transversalisation dans cette partie, conjointement avec l'analyse des relations sociales et de l'empouvoirement, prétextant qu'elle participait également de la même approche "GED", nous soulignons toutefois que la transversalisation peut également susciter des effets pervers comme la banalisation ou l'institutionnalisation du genre. Son intégration à tous les niveaux de la société pourrait mener à vider la notion de toute substance ainsi que retirer aux groupes, féministes et féminins, toute possibilité d'action en dehors des structures officielles. Cette question fera l'objet du chapitre suivant.

4. CONCLUSIONS

Nous considérons que, malgré une certaine justesse de leur analyse, ces différents cadres et grilles d'analyses sont le reflet d'une certaine facon d'envisager les choses et qu'ils pêchent par leur manque de vue globale de la situation. En plus d'être partiaux, ils sont partiels. Pour nous, ils sont ce que nous appelons la vision institutionnelle et font partie de ce que nous avions décrit comme le "dispositif de développement".

Le passage de l'approche "Femmes et développement" à l'approche plus globale du "Genre et développement", accompagnée de la notion d'empouvoirement nous semble être un pas en avant dans l'amélioration de ce dispositif, même si des nuances doivent être apportées. Nous avons par ailleurs classé, dans le tableau ci-dessous, les approches selon les critères et grilles d'analyses qu'elles mettent en Ïuvre.

 
 

rTMle primordial de la femme

 

besoins auxquels l'approche répond

 

prise en compte des relations sociales

Bien-être

 

reproductif

 

pratiques

 

non

Anti-pauvreté

 

productif

 

pratiques

 

non

Efficience

 

productif

 

pratiques

 

non

Equité

 

reproductif, productif et

 

pratiques et stratégiques

 

oui

 
 
 
 
 
 

140 Le terme "mainstream" est difficilement traduisible en francais, sa traduction littérale étant "courant principal". Nous avons décidé de franciser la traduction en espagnol de MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen (Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las pol'ticas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995) qui est "transversalizaci--n". Les auteures en donnent la définition suivante: "mainstreaming" s'utilise pour décrire les stratégies visant à intégrer une perspective de genre dans tous les aspects d'une organisation, c'est-à-dire sa mission, ses stratégies, son programme, structure, système et culture, au lieu de conserver un programme de genre séparé. È, traduction libre.

141 Nous pouvons faire le parallèle avec l'expression "Add Women and Stir", représentative du premier courant d'intégration des femmes dans les développement. EUROSTEP, Guidelines for Eurostep Working Groups, document interne, Bruxelles, 18/04/2000. EUROSTEP (European Solidarity Towards Equal Participation of People): réseau européen regroupant 21 organisations qui a pour objectif principal d'aider ces organisations au niveau de l'organisation interne et de la gestion. NOVIB fait partie d'EUROSTEP.

communautaire

reproductif, productif, communautaire

stratégiques et pratiques

oui

Empouvoirement

Nous pensons que deux manières de travailler sont possibles, peut-être de facon complémentaire mais plus probablement, au vu de la situation actuelle, de facon conflictuelle. La première serait de travailler de manière institutionnelle, dans le cadre de politiques mises en place à un niveau "macro", la seconde emprunterait plutôt la voie de l'action à un niveau plus ancré au niveau local et qu'on pourrait qualifier (avec des nuances) de manière autonome. La première catégorie regrouperait les approches de bien-être, antipauvreté et efficience. La seconde regrouperait l'approche équité et empouvoirement. Ces deux catégories correspondraient aux deux approches: Femmes et développement et Genre et développement et, dans une certaine mesure, au clivage "autonomie/ institutionnalisation". Ces deux catégories correspondraient à deux facons de concevoir et gérer des projets ayant trait aux femmes. Au delà du changement sémantique, il s'agit d'une manière nouvelle de se positionner par rapport à l'objet de l'étude. Parler de FED, c'est se concentrer sur les femmes, ce sont elles qui sont "la problématique". Parler du genre implique de prendre en compte un objet dans sa relation à son environnement. Ces changements peuvent se concrétiser de deux manières différentes, selon qu'on agisse dans un cadre "institutionnel" ou un cadre "autonome".

Ces deux aspects de l'action nous semblent importants pour pouvoir analyser l'éventail des possibles dans la recherche d'un développement qui inclurait les femmes. Sans remise en cause de la domination de certaines franges de la population par d'autres, autrement dit, la division de la société entre oppresseurs et opprimés, hommes ou femmes, cette recherche est vouée à l'échec. Or, comme le souligne Sophie Englebienne, directrice des programmes d'OXFAM Solidarité, l'objectiffondamental, pour le développement, n'est-il pas d'appuyer et de soutenir des groupes qui font une réflexion et une proposition de construction d'un autre modèle de société en cherchant à définir et à comprendre quel est le rTMle de chacun dans cette construction et comment la dignité et la place de chacun comme constructeur est définie, acceptée et assumée? 142 Autrement dit, l'objectif serait, selon la formule zapatiste, de construire un monde oà rentrent tous les autres mondes. Par rapport à cet objectif final, une question subsiste sur les moyens à mettre en Ïuvre pour y arriver. Est-il possible de construire un autre modèle de société par le biais d'institutions aux structures hiérarchisées, bureaucratisées et peu libres de leurs mouvements (qu'il s'agisse des institutions internationales ou des ONG intégrées dans le système mondial)? Ou justement, est-il nécessaire d'envisager une "sortie" du système pour reconstruire autrement? C'est à cette question que nous tenterons de répondre dans les deux chapitres suivants.

142 Document interne d'Oxfam Solidarité, 04 juin 1999.

Chapitre II: L'autonomie comme

alternative au dispositif de

Développement

Dans ce chapitre nous allons donc nous attacher à definir dans les grandes lignes ce que pourrait etre une action de developpement qui choisirait de "sortir du dispositif" et emprunterait le chemin de l'autonomie plutTMt que celui de l'institutionnalisation ce qui permettrait une reelle integration du genre dans la "problématique de developpement".

Nous definirons d'abord brievement ce que nous entendons par institutionnalisation, que nous distinguerons de la notion de transversalisation, pour aborder finalement la question de l'autonomie. Celle-ci passe tout d'abord par une reconstruction et une reappropriation des savoirs, tant individuels que collectifs. Nous analyserons ensuite ce que l'autonomie peut representer au niveau individuel et collectif pour ensuite voir comment elle peut etre mise en Ïuvre dans le cadre des relations de developpement et plus particulierement en quoi l'autonomie peut mener à des pratiques sociales qui ne viseraient pas à permettre aux individus (femmes ou hommes) de renforcer les relations de pouvoir et de domination. Ces pratiques viseraient au contraire à augmenter la puissance des acteurs sociaux. Comme nous le verrons, la puissance implique en effet une evolution permanente, un processus qui, selon Benasayag, n'accepte aucune forme "finale". Ce serait donc un retour à un reel developpement, dans ce que ce terme a de dynamique.

1. L'INSTITUTIONNALISATION: RISQUES ET PROFITS

Nous avions dans le chapitre precedent separe les approches FED et GED en deux

categories selon qu'elles nous semblaient ou non participer à une demarche novatrice ou au contraire au maintien d'un statu quo.

Les approches que nous avons mises dans la première categorie (approches bien-etre, antipauvrete et efficience) -voir tableau p. 52 - concoivent les programmes et projets dans lÕoptique de "rendre la vie des femmes plus facile et de les aider dans lÕaccomplissement des t%oches". On travaille alors à lÕamelioration et à lÕallegement des t%oches qui leur sont assignees. C'est leur integration dans le systeme economique mondial et leur participation au developpement qui est recherchee. On incite notamment les femmes à travailler à l'exterieur, à créer des entreprises, à dépasser le caractere Ç informel È de leurs activites productives. Des trois rTMles qui sont ceux des femmes (rTMles reproductif, productif et social), il n'en est reellement promu quÕun seul: le rTMle productif. Ce sont essentiellement aux besoins pratiques que l'on tente de repondre, au detriment des rTMles strategiques.

Nous qualifierions la methode d'institutionnelle. D'une part parce que l'on observe que cette facon de travailler se retrouve essentiellement dans les institutions

internationales (Banque Mondiale, FMI, agences de l'ONU) et d'autre part parce qu'elle favorise la reproduction du systeme existant. Les femmes y sont encore, dans une large mesure, considérées comme passives ou alors comme devant s'integrer dans un système donne, avec des objectifs predefinis pas les agences de developpement ou les institutions. Nous sommes totalement dans le cadre d'un dispositif tel que nous l'avions decrit dans la première partie. Le terme d'institutionnalisation se refere dans ce cas à l'intégration, à l'absorption dans un dispositif, dans une structure figee d'un element donne, element qui en sortirait legitime mais egalement affaibli.

On peut concevoir cette institutionnalisation au niveau individuel (l'individu peut à la fois participer à l'institution, en faire partie ou bien être "géré" dans son individualité par cette structure), collectif (les groupes, organisations et associations sont intégrées ou non dans l'organisation, leurs revendications sont relayées ou encadrées au niveau structurel), et organisationnel (l'organisation des différents aspects des relations sociales est gérée au niveau des institutions et ce qui en "sort" n'est pas reconnu comme légitime). Ces trois niveaux sont pareillement utiles dès lors qu'on analyse le genre dans le développement. On pourrait donc constituer un tableau dans lequel nous verrions le "niveau d'institutionnalisation" pour les individus, les collectifs et les organisations d'une part, quel est ce niveau pour les "concepts" tels le genre d'autre part. En quelque sorte, on observerait quel est le degré d'intégration au système, au dispositif, de ces éléments.

Cette institutionnalisation des concepts peut être comparée mais pas confondue avec la transversalisation. Nous avons vu dans le chapitre précédent que le genre (et la problématique femmes) tendait à être "transversalisé" dans les institutions et ONG. Alors que la transversalisation permet d'aborder la question du genre dans tous les secteurs de la vie sociale et dans toutes les activités d'une organisation, et correspond à un processus de déconstruction - reconstruction de nos savoirs, l'institutionnalisation a un aspect statique qui laisse entrevoir, plutôt qu'une amélioration, un statu quo dans l'organisation sociale. Ce statu quo serait contraire aux aspirations féministes comme le souligne Garcia Castro. Pour elle, l'institutionnalisation signifie pour les mouvements de femmes en général et le féminisme en particulier, "le passage d'un contre-pouvoir à un pouvoir sans pouvoir, à une représentation au cÏur même du discours officiel".143 Elle poursuit en montrant que l'institutionnalisation du féminisme signifie le plus souvent lier le genre à des mesures, (É) qui n'accomplissent pas l'objectif majeur du féminisme: être une position, une critique des pouvoirs, même du féminisme comme savoir-pouvoir. Revendiquer le genre suggère transition, défi, questionnement, réinvention de la femme ou de l'être féminin dans l'humain, mais aussi se relier à d'autres langages, d'autres systèmes de refus des oppressions et à des systèmes revendiquant des manières singulières d'exister.144 Cette définition nous permet de montrer en quoi le féminisme a pour vocation la création de nouveaux savoirs ainsi que la mise en réseau avec d'autres formes de refus des oppressions.

La seconde facon de travailler sur le genre (dans laquelle nous avions inclus l'approche d'empouvoirement, l'analyse des relations sociales et la "transversalisation" du genre) serait ainsi plus à même de répondre aux aspirations féministes mais également à une réelle intégration du genre dans le développement. Nous qualifions cette méthode d'autonome. Cette facon de travailler, en abordant la question de l'inégalité entre les hommes et les femmes (par exemple via la modification des lois discriminantes ou l'augmentation de l'accès des femmes à la terre), remet également en cause l'ensemble des relations sociales et dénonce les institutions (politiques, sociales, économiques) fondées sur le patriarcat.

Nous noterons ici que le concept d'autonomie est utilisé dans certains textes d'institutions145,
notamment dans les textes de politique de développement des Pays-Bas. Lorsqu'on analyse
les critères d'autonomie tels qu'ils sont exprimés dans ces textes146, nous sommes en droit

143 GARCIA CASTRO Mary, Le pouvoir des genres à l'époque du néo-libéralisme. Line réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in Alternatives Sud, Vol. V n° 4, 1998, p. 54.

144 GARCIA CASTRO Mary, idem, p. 52.

145 Le terme "autonomie" est apparu dans les textes relatifs au développement à la fin des années 70 pour ensuite être remplacé par le concept de "participation active"

146 et qui se base sur des textes de l'OCDE. Voir PRONK Jan, Comment mettre en Ïuvre le concept d'autonomie
(extrait de Policy and Development: Analysis and Policy, La Haye, Ministery of Foreign Affairs, 1992) in

d'être sceptiques par rapport à la convergence entre la conception d'autonomie telle qu'elle est défendue par des groupes tels DAWN et celle qui est inscrite dans les textes de la coopération hollandaise. En effet, le fait même que l'autonomie soit utilisée comme outil, comme mesure d'évaluation du projet retire une grande partie de son potentiel de changement. Il nous semble en effet que mesurer l'autonomie des femmes à l'aune de critères prédéfinis risque de transformer l'autonomie en un critère de plus à ajouter à la longue liste de critères d'après lesquels "l'intégration des femmes dans le développement" est évaluée. C'est bien évidemment d'une autre conception que nous voulons parler ici.

2. AUTONOMIE: UN MODE D'ACTION

Comme pour l'institutionnalisation, le sens que nous pouvons donner à l'autonomie, pour les femmes d'une part, dans le cadre du développement d'autre part est multiple. Nous entendons en effet ce concept à plusieurs niveaux et différemment selon qu'on parle des individus ou des organisations, des actions individuelles ou collectives. Mais à tous les niveaux, l'autonomie doit être concue comme un concept englobant la totalité d'une situation. Elle fait le lien entre l'intime, le privé et le public. Dans un premier temps, l'autonomie pourrait être définie comme étant une liberté de pensée et d'action par rapport au discours dominant d'une part, aux institutions existantes d'autre part. L'autonomie impliquerait alors une liberté de se redéfinir comme sujet politique et la possibilité de mettre en place des nouvelles facons d'être en politique, de nouvelles formes d'action et de réflexion.147

A. La constitution d'autres savoirs

La déconstruction /reconstruction des concepts et de la facon d'appréhender les relations de genre est le premier pas lorsqu'on veut appliquer cette optique. Il s'agit donc de réfléchir autrement sur les fondements de l'action du développement telle qu'elle a été concue jusqu'à présent et mettre en Ïuvre des projets qui permettraient l'épanouissement et le respect de tous. C'est donc dans ce sens général que nous utilisons le terme d'autonomie: chercher à sortir des chemins tracés et imposés "d'en haut". Il s'agit d'une réappropriation par les individus de leur propre destin.

Les savoirs ne sont pas inéluctablement instrumentalisés et peuvent au contraire contribuer à l'émancipation et à la re-création du lien social. De nombreux groupes et associations génèrent en effet un savoir collectif, découlant de l'expérience et du bon sens quotidien ("daily, commonsense knowledge"148). Il est donc important de réapprendre les savoirs qui sont délégitimés par les institutions, tous ces savoirs qui émergent des petits "nÏuds de pouvoir" que sont ces associations et organisations. Comme le rappelle Fals Borda, ces mouvements cherchent à construire de nouvelles formes d'Etat, et veulent une démocratie plus directe et participative. Pour ce faire il est indispensable de se baser, selon lui, sur la recherche-action participative afin d'utiliser ces nouveaux savoirs pour "démolir les

BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 249-225.

147 PRONK Jan, Femmes dans le développement: le chemin vers l'autonomie, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 87 -93, p. 88.

148 FALS BORDA Orlando, Social Movements and Political Power in Latin America, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p.314.

structures existantes de forces non sanctionnées et l'inadmissible domination et exploitation". 149

Ce sont donc les pratiques qui créeraient de nouveaux savoirs, et non pas les nouveaux savoirs qui induiraient, par leur utilisation par un système, de nouvelles manières d'être. Les individus seraient à la fois sujets et objets du savoir, dans une perspective d'épanouissement personnel et de création de nouvelles formes de relations sociales.

B. L'autonomie comme réappropriation de soi

Jan Pronk envisage l'autonomie selon quatre axes principaux, qui sont selon elle inextricablement liés. L'autonomie est donc présentée comme le contrôle sur sa propre vie et son propre corps et est envisagée du point de vue physique, économique, politique et socioculturel. 150 L'autonomie permet également, de comprendre comment et quand prendre en compte d'autres intérêts, comment et sur quoi négocier, quand et avec qui faire des alliances, sur quelles bases dialoguer dans la société.151 L'apprentissage de l'autonomie est celui de la pratique de la démocratie. En ce sens, elle ne peut qu'être bénéfique aux femmes, qui pourront développer de nouvelles stratégies pour combattre les différentes formes de domination. Pour les femmes, ce processus d'individuation induit par la recherche d'autonomie leur permet de se penser autrement qu'en fonction des hommes, de l'Etat, de l'Eglise. C'est par ce processus que les femmes peuvent reconna»tre leur propre valeur et affirmer leur citoyenneté.152

Meynen et Vargas analysent le concept d'autonomie en rapport avec les différents processus mis en place par les femmes pour faire face aux situations de subordination auxquelles elles sont confrontées. C'est dans le cadre d'un ensemble de relations sociales plus vaste que les simples relations hommes-femmes que cette subordination doit être analysées. Citant Chantal Mouffe, les auteurs soulignent que chaque agent social est inscrit dans une multitude de relations sociales, de production, de race, de nationalité, ethnicité, genre et qu'en chaque individu cohabitent différentes positions subjectives qui correspondent à autant de réseaux d'insertion sociale.153 Il n'est donc pas possible de continuer de parler de l'identité de la femme comme étant construite principalement sur le genre.

C. L'autonomie comme redéfinition de l'action collective

De ce point de vue, l'autonomie fait référence à l'existence d'une multiplicité de sujets et agents sociaux, qui revendiquent leur espace, leur voix dans la société et qui font pression pour satisfaire leurs demandes particulières. Galtung décrit l'autonomie comme étant

la capacité d'une personne de développer un pouvoir sur elle-même, non pas dans la solitude et l'isolement, non pas au travers de droits sociaux ou politiques, mais bien à travers le développement de moyens matériels et non-matériels pour surmonter - et réduire - l'oppression qu'amènent différentes formes de pouvoir sur les autres, pouvoirs qui sont ceux qui soumettent les personnes. 154

149 idem

150 PRONK Jan, Femmes dans le développement: le chemin vers l'autonomie, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 87 -93, p. 88.

151 MEYNEN Vicky et VARGAS Virginia, La autonom'a como estrategia para el desarrollo dessde los multiples intereses de las mujeres, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de género en el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994, p. 32.

152 MEYNEN et VARGAS, opcit, p. 33.

153 idem, p. 27.

154 citée par MEYNEN Vicky et VARGAS Virginia, opcit, pp. 48.

Selon cette définition, l'autonomie permet à l'individu de retrouver une certaine potentialité d'action qui, mise en commun avec les autres autonomies permet de redéfinir les relations sociales pour qu'elles ne soient plus basées sur le pouvoir, la domination et l'inégalité. Il s'agit donc d'un processus à la fois individuel et collectif.

L'autonomie serait donc un concept collectif, relationnel, qui a pour objectif la transformation de la société mais également l'acquisition des outil s pour y parvenir. Il ne s'agit donc pas de chercher dans l'autonomie un quelconque pouvoir pour dominer les autres, mais bien une puissance nouvelle qui permette de "pouvoir faire" selon les termes de Benasayag.155 Ce pouvoir faire prend tout son sens au niveau collectif. L'autonomie n'est en effet pas écrasée par l'action collective. C'est l'autonomie au contraire qui permet de lui donner un sens émancipateur. L'autonomie, en permettant l'autodétermination et l'auto- réalisation ainsi que l'empouvoirement, affecte l'ensemble des relations sociales de pouvoir qui affectent les individus. Dans les pays du Sud en particulier, l'aspect collectif de la création et de l'organisation du groupe est mise en avant dans le façonnement de l'autonomie.156 Cette conception peut être reliée à ce que Miguel Benasayag appelle "contre- pouvoir" . En quelque sorte, le concept d'autonomie est l'expression d'une stratégie de changement.

3. MOUVEMENTS SOCIAUX , POUVOIR ET PUISSANCE

Pendant longtemps, les mouvements sociaux émergents ont été analysés sous l'angle du pouvoir. Ils étaient perçus comme étant forcément en quête de pouvoir, du Pouvoir. Or ces groupes, comme le souligne Elizabeth Jelin, l'obtention du pouvoir n'est pas (ou du moins, pas forcément) leur objectif premier. Ces mouvements sociaux furent dans un premier temps vus comme étant l'expression collective, non-institutionnalisée des secteurs populaires, destinée à être canalisée dans un parti d'avant-garde.157 Cette lecture a rapidement montré ses limites: ces "nouvelles formes d'organisation" ne pouvaient être analysées selon les critères habituels de recherche du pouvoir.158 De fait, ces groupes ne cherchent pas, ou pas tous, à prendre le pouvoir et donc ne sauraient être assimilés à ces révolutionnaires dont le but est d'arriver au pouvoir, et "qui pensent qu'il suffirait de prendre et d'occuper le lieu central oü est localisé le pouvoir pour l'arracher à ceux qui le possèdent et pour l'utiliser à d'autres fins et pour d'autres groupes."159

Il s'agit plutôt d'une nouvelle manière de faire de la Politique, de nouvelles formes de relations et d'organisation sociale répondant à un besoin pour les gens de "faire sens", de reconstruire leur identité segmentée par la complexification du processus de différenciation et de spécialisation institutionnels.160 La caractéristique fondamentale de ces nouveaux mouvements sociaux serait que s'il existe effectivement une unité de principe dans la critique de la société, celle-ci ne relève pas d'un programme unique ou d'un modèle qui définirait exactement comme le monde devrait être. Au contraire, cette critique, gr%oce à la rupture de liens du pouvoir

155 BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego: Du contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000, p. 58.

156 PRONK, opcit., p. 90.

157 JELIN Elizabeth, Women and social change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, p.3.

158 C'est encore cette lecture qui suscite l'incompréhen sion de l'action des Zapatistes de l'EZLN. Beaucoup ne comprennent pas que l'objectif des zapatistes n'est pas d'accéder au pouvoir mais bien de susciter et contribuer à un changement sociétal profond, différent de ce qui est possible lorsqu'on est au pouvoir. Or c'est cela qui fait la spécificité et l'attrait du mouvement zapatiste auprès de nombreux autres groupes et mouvements qui s'inspirent de l'expérience chiapanèque dans leur propre organisation.

159 BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego, Du contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000, p. 64.

160 JELIN Elizabeth, ibid., p. 11.

preexistants, renvoie à une myriade de projets, pratiques et theoriques, concus en fonction d'une liberation de puissance.161

Ce besoin de faire sens, sans toujours se referer A un objectif supreme (le pouvoir) qu'il faudrait atteindre donne lieu A la recherche de nouvelles possibilites, notamment dans le cadre d'un "mieux-developpement", de concevoir un savoir qui servirait non pas A creer un dispositif de gestion et de domination mais bien une potentialite nouvelle d'action et de changement egalitaire. L'autonomie serait donc un "momentum concept" hoffmanien.162 Cette potentialite nouvelle correspondrait A ce que Benasayag appelle "puissance" et qu'il oppose au "pouvoir". La puissance est, selon Benasayag,

ce devenir multiple non catalogable, alors que le pouvoir est une dimension statique (É) et qui, en definissant des frontières et des formes, indique avant tout ce que l'on "ne peut pas". (É) la puissance est le fondement de tout "pouvoir faire" tandis que ce que nous nommons habituellement le pouvoir n'est autre qu'un des lieux de l'impuissance, permettant, tout au plus, de recolter l'usufruit de la puissance d'autrui.163

Il faut neanmoins articuler deux elements: la Politique qui est un element dynamique et en devenir permanent, et la Gestion qui s'assigne des objectifs pratiques et qui concerne les differents modes d'organisation et de distribution au sein de la societe. La definition d'une democratie authentique, serait selon Benasayag, l'ensemble des luttes en situation pour l'augmentation de la puissance et en vue de la construction du contre-pouvoir, ainsi que la representation de ces luttes dans la situation-gestion.164 Cette conception reflète le fait que les mouvements sociaux ne sont pas toujours des mouvements "contre" quelque chose. Ils peuvent etre au contraire un processus de creation collectif d'une situation nouvelle.

Dans cette nouvelle forme d'action collective, c'est la question de la participation qui est soulevee. Les notions d'autonomie et de puissance permettent de penser un systeme de relations sociales et par extension un developpement dans lequel, A l'instar du rhizome de Gilles Deleuze, "on entre par n'importe quel cTMte, (et oil) chaque point se connecte avec n'importe quel autre, (et qui) est compose de directions mobiles, sans dehors ni fin, seulement un milieu, par oil il cro»t et deborde, sans jamais relever d'une unite ou en deriver; sans sujet ni objet."165

On pourrait donc, au vu de ce qui precede, definir l'autonomie dans les memes termes que ceux utilises pour definir le concept de genre: l'autonomie se vit au quotidien, elle repose sur les relations entre les parties prenantes, elle est variable dans le temps et l'espace et traverse toutes les spheres de la societe.

4. FEMMES, AUTONOMIE ET PUISSANCE

Quelles peuvent etre les applications, les implications de l'autonomie pour les femmes, et en particulier, comment peut-elle contribuer A leur empouvoirement?

Nous avons vu que les differentes approches du FED et du GED avaient pour objectif de permettre aux femmes, en les integrant dans la sphere economique, d'acquerir du pouvoir mais dans le cadre de relations sociales qui resteraient inegalitaires et fondees sur la domination et l'exploitation. C'est d'un point de vue formel et dans le cadre des structures

161 BENASAYAG Miguel et SCAVINO Dardo, Pour une nouvelle radicalite. Pouvoir et puissance en politique, La Decouverte, Coll. L'armillaire, Paris, 1997, p.89-90.

162 voir definition du "momentum concept" page 18

163 BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego: Du contre-pouvoir, La Decouverte, Paris, 2000, p. 57.

164 ibidem, p. 55.

165 Manifeste du reseau de resistance alternatif, point 3. in BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego: Du contre-pouvoir, La Decouverte, Paris, 2000, p. 149.

existantes (construites d'un point de vue masculin) que l'on veut les intégrer et les faire participer (élections, droits formels, postes de décision dans les institutions et gouvernements166, ainsi qu'au travail). Or les femmes ne revendiquent pas toujours plus de pouvoir mais plus de "puissance" pour pouvoir gérer leurs corps, leurs vies et leurs projets de manière épanouissante et de facon à ce que les situations de domination auxquelles elles sont le plus souvent confrontées soient éliminées.

Si cette participation est positive, encore faut-il voir dans quels termes elle se fait. Comme le souligne Pisano167, lorsqu'un groupe de femmes atteint le pouvoir, le système se charge, subtilement, de l'intérieur comme de l'extérieur, de le démonter. Nos institutions, dit-elle, ne sont pas, de par leur propre sens, dans le statu quo puisqu'elles affectent les connaissances, symboles et valeurs de la culture dominante. Des lors, on essayera toujo urs de délégitimer les femmes .

Dans une recherche d'autonomie, les femmes suivent deux chemins. D'une part elles reconstruisent leurs savoirs , élaborent et expriment leurs visions et modèles de développement (DAWN est à cet égard un exemple). D'autre part elles s'attachent à repenser les structures (institutionnelle ou non) dans lesquelles exprimer leur autonomie au niveau collectif. Une idée répandue voudrait que la création d'organisations de femmes pour les femmes soit la garantie

de processus autonomes . Or l'autonomie n'est pas figée dans une situation, ni dans le territoire physique d'une organisation.168 La présence d'espaces réservés aux femmes n'est donc d'aucune garantie pour leur autonomie, même si elle peut aider à clarifier certaines positions et à augmenter la confiance en elles des femmes. A contrario le fait d'intégrer des structures et mouvements mixtes n'empêche pas de développer une démarche autonome. En réalité, les femmes peuvent développer un processus d'autonomie dans n'importe quel espace, organisation ou mouvement. L'indépendance organisationnelle n'est pas non plus une garantie d'autonomie. En réalité, l'autonomie des femmes ne peut être réduite à une seule vision puisqu'il s'agit d'un processus humain et politique, impliquant des acteurs sociaux, des relations sociales, des actions politiques et institutionnelles. Par l'autonomie, les femmes pourront, à partir de leur engagement au niveau domestique et communautaire, affirmer leur présence publique, sociale, politique et économique pour ensuite construire de nouvelles identités qui remettent en question et défient les conceptions et systèmes de domination qui définissent leur identité.169

Nous verrons dans le chapitre suivant comment les femmes (féministes ou non) latino- américaines ont développé, à partir de leur situation, des stratégies de réflexion et d'action menant à leur émancipation, notamment en regard au concept d'autonomie et comment les actions des ONG de développement les y ont aidé (ou non).

166 Or, si des femmes ont envie de gouverner, de diriger la société, cela n'a rien à voir avec le fait d'être femme ou
homme. Au cours d'une conférence sur le genre et le développement organisée par l'asbl Petits Pas (organisée le
20/11/2001 à Bruxelles) j'ai entendu à de nombreuses reprises l'affirmation selon laquelle avec une femme

présidente tout irait mieux. Ce point de vue peut être contesté. Une femme présidente ne modifierait rien en soià la répartition du pouvoir existante et l'organisation générale de ce pouvoir resterait inchangée. Des exemples

marquants corroborent cette idée selon laquelle les femmes dirigeantes n'ont pas toujours des effets positifs, notamment sur le "social". Margaret Thatcher en est le plus criant.

167 PISANO, Margarita, Como hacer evaluaciones feministas? in Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996

168 MEYNEN et VARGAS, opcit., p. 34.

169 idem

F EMINISMES ET GENRE EN
A MERIQUE LATINE

Chapitre I: Les féminismes latino-

amé r i c a i n s : des mouvements en

questionnement

Les strategies de pression politique basées sur le lobbying ont une limite subtile et dangereuse, une frontière pas très claire avec le trafic d'influence. Si nous consacrons nos energies à influencer le système et ses pouvoirs, nous affaiblissons considérablement le pouvoir de mouvements sociaux comme le feminisme et ses possibles allies, qui ont construit un projet de changement de civilisation transformateur(É) Les groupes au pouvoir sont très clairs dans ce jeu. Il implique (É) une intention de diviser pour empecher les connections entre ces différents projets transformateurs. Il est ingénu de croire qu'avec la logique du lobbying et de la négociation nous allons pouvoir réaliser une utopie qui pourra pénétrer l'imaginaire humain. Pour cela nous avons besoin d'une force capable de mettre en avant, comme étant un désir realisable, une utopie qui rompe avec la domination.170

Souvent méconnu, le féminisme latino-américain est pourtant bien présent et dynamique. Il s'est développé dans un contexte différent bien sar de ses homologues européens ou nord- américains mais vit depuis une vingtaine d'années un essor remarquable, qui est à mettre en parallele avec les mouvements démocratiques qui ont émergé en réaction aux régimes autoritaires dominant le continent durant les années 70-80. Libération des femmes et libération des peuples ont souvent été de pair et le processus d'acquisition de la citoyenneté des femmes s'est fait parallelement à la transformation démocratique. Les féministes latino- américaines ont donc, non seulement défié le patriarcat et la domination masculine, mais également joint leurs forces aux mouvements d'opposition dénongant l'oppression et la domination sociales, économiques et politiques. 171 Cette double lutte ne s'est évidemment pas faite de manière uniforme et Virginia Vargas insiste sur l'énorme diversité du mouvement féministe latino-américain et son rTMle clé dans la recuperation democratique et, directement et indirectement dans la recuperation et l'amplification des citoyennetes restreintes des femmes et des autres secteurs exclus par une politique peu pluraliste et peu democratique (qui continue à caracteriser la region).172

Cette diversité est observable également dans la différence qu'il existe entre "féministes" et "mouvements de femmes". Les deux appellations refletent des modes d'action parfois différents mais surtout, il fait état d'une différence dans l'auto -perception de ce que sont leurs actions ainsi que de la réflexion en termes politiques. Cette question rejoint également celles de la "double militance" et du clivage entre "autonomes" et "institutionnalisées" comme nous le verrons plus loin.

170 Margarita Pisano, citée dans ALVAREZ Sonia A., Latin American feminisms "go global": trends of the 1990's and challenges for the new millenium, in ALVAREZ Sonia, DAGNINO Evelina et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), Cultures of politics, Politics of cultures. Re-visioning latina american social movement, Westview Press, Boulder, 1998, pp. 293-324, p.312.

171 STERNBACH Nancy Saporta (et. alii), Feminisms in Latin America: From Bogota to San Bernardo, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, p. 210.

172 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la region, http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/ index.htm, p. 2.

L'objet de cette partie est de montrer quelles sont les grandes questions qui traversent le féminisme latino-américain contemporain ainsi que de voir comment les problématiques que nous avons analysées dans les chapitres précédents sont vécues en Amérique latine.

1. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE LATINO-AMERICAIN

Ces vingt dernières années, l'Amérique latine est marquée par ce qu'Escobar qualifie de "pire crise de son histoire"173. Selon lui, la plupart des discours sur cette crise se focalisent sur la question économique et la nécessité d'effectuer 'les ajustements nécessaires' et montrent une foi inébranlable dans le 'développement'; alors que si quarante années de ce

'développement' n'ont pas produit de stabilité et d'améliorations économiques durables, iiserait étonnant que plus de développement encore réussisse à modifier les choses. Pour

Escobar, 'la crise ne fera que s'accentuer, des nouvelles formes de colonialisme et de dépendance seront introduites, et la fragmentation sociale et la violence n'en deviendront que plus virulente.'174

Ce constat accablant est partagé par de nombreux autres auteurs sud-américains, comme Fontenia et Belloti selon qui ces années ont été caractérisées, notamment, "par la consolidation d'un nouveau modèle d'accumulation capitaliste basé sur la transnationalisation du ca pital, la fonction du marché comme unique régulateur de l'économie, le perte des droits du travail, la croissance du chTMmage, l'augmentation de la pauvreté et de l'exclusion sociale de vastes secteurs de la population (notamment et principalement les femmes), la croissance des inégalités et la perte de fonction et de pouvoir des Etats nationaux ainsi que leur subordination aux politiques définies par les centres de pouvoir et les organismes multilatéraux."175

Fontenia et Bellotti constatent également que les mouvements sociaux, y compris les mouvements féministes, sont parcourus par un fort mouvement d'institutionnalisation qui implique l'incorporation et la négociation avec les institutions politiques et économiques nationales et internationales. Parallèlement à cette institutionnalisation, alors que plus de femmes occupent des postes publiques, les femmes dans leur ensemble voient une diminution de leur pouvoir, notamment sur leurs vies, leurs corps, travaux, sexualités, et relations. 176

Marques-Pereira dénombre quatre tendances régionales pour ce qui est de la situation socio- économique des femmes: une diminution de la fécondité, une diminution de la mortalité maternelle, un taux d'alphabétisme de 85% ou plus et un taux d'activité entre 34 et 49%. Elle note également que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans le secteur informel. 34% des femmes y trouveraient du travail. Cette informalisation du travail des femmes est à mettre en relation avec la discrimination, le chTMmage et le sous -emploi dans le secteur formel mais également à la nécessité pour les femmes de veiller à la survie de leurs familles.177

C'est donc dans un contexte particulièrement difficile que se développe le mouvement féministe en Amérique latine.

173 ESCOBAR Arturo, Culture, economics and politics in Latin American social movements theory and research, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction

de), The making of the social movements in Latin

America. Identity, strategy and democracy , Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 64.

174 idem.

175 FONTENIA Marta et BELLOTTI Magui, Primeras miradas desde el interior de un encuentro, in Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y del Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico, 1997, p. 84.

176 FONTENIA Marta et BELLOTTI Magui, ibidem, p. 84.

177 MARQUES-PEREIRA Bérengère: Processus de développement régional en Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99 (4ème édition), pp. 17-18.

2. LES FEMINISTES LATINO-AMERICAINES178: TENDANCES ET PERSPECTIVES

Notre analyse se fera en trois temps. Dans une première partie nous décrirons les revendications des femmes latino-américaines ainsi que le contexte dans lesquelles elles se sont développées. Nous analyserons ensuite les manieres dont sont organisées les femmes ainsi que les différences et clivages qui, aujourd'hui, parcourent leur mouvement et illustrent les "choix" qu'elles ont du faire. Nous terminerons par un bref aperçu des tendances récentes.

A. Les revendications à la base du feminisme latino-americain

L'histoire du féminisme, qu'il soit latino-américain ou autre, est marquée, comme nous l'avions déjà remarqué auparavant, par un lien tres fort entre action et réflexion. Jelin explique que ces mouvements, tant dans leurs actions que dans la réflexion/ recherche, ont été en s'amplifiant et en redéfinissant continuellement les axes centraux de la préoccupation académique et de l'action politique.179 A cet égard, les "Encuentros" continentaux, réalisés tous les deux ans depuis 1981, ont permis aux féministes de s'exprimer et de se rencontrer, afin d'échanger leurs différences expériences, tant au niveau théorique que pratique. Ces forums leurs permettent également de débattre des grands themes idéologiques mais également de compar er et mettre en place les différentes stratégies d'action. 180

i. Premières revendications

Jelin divise l'évolution du mouvement en plusieurs grandes étapes 181. La première d'entre elles a été la reconnaissance du travail domestique, le processus de "rendre visible l'invisible" étant possible gr%oce aux études et recherches entreprises dans le domaine. Reconna»tre et nommer entra»ne l'existence sociale comme le souligne Jelin et c'est le fait de conceptualiser et d'analyser leur situation jusque là invisibilisée, qui a permis aux femmes d'aller plus loin dans leurs revendications. La constitution du savoir et la pratique, la situation vitale, ne sont donc pas séparables, il y a un apport respectif entre les deux.

Suite à cette nouvelle visibilité, une nouvelle distinction est apparue: la séparation entre sphere privée féminine et sphere publique masculine participait au maintien de la subordination des femmes. Ce n'est donc qu'en dépassant ce clivage, en sortant de ce qui etait considers comme prive que les femmes pourraient "s'affranchir". Il fallait donc, des lors que le rTMle reproductif des femmes était reconnu, il fallait se battre pour que le rTMle productif le soit aussi. Alors que la discrimination se ressentait principalement au sein du foyer, au niveau familial, elle a commencé à se ressentir dans le monde du travail, dédoublant ainsi la lutte à entreprendre: contre la discrimination d'une part, pour l'égalité avec les hommes

178 A propos de l'utilisation au féminin du terme "féministes latino -américaines", la réflexion de savoir s'il n'y avait pas un seul homme féministe en Amérique latine m'a été faite. Cette réflexion suscite plusieurs questions, tant au niveau de l'acceptation des hommes au sein des groupes féministes, que celle de leur apport dans la constitution du savoir féministe. Quel peut etre le "rapport à l'objet" d'un homme dans la construction d'une pensée non patriarcale?

179 JELIN Elizabeth , Femmes et culture citoyenne en Amérique latine, in MARQUES-PEREIRA Bérengère: Femmes dans la Cite: Amérique latine et Portugal, Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles, pp. 17-41.

180 STERNBACH Nancy Saporta (et. alii), opcit., p. 208.

181 Voir JELIN Elizabeth, Femmes et culture citoyenne en Amérique latine , in MARQUES-PEREIRA Bérengère: Femmes dans la Cite: Amérique latine et Portugal , Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles, pp. 17-41.

Voir également MARQUES-PEREIRA Bérengère: Processus de développement regional en Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99 (4eme édition), pp. 21-23.

d'autre part. Jelin met également en exergue deux lignes d'actions: la recherche de la reconnaissance du rôle des femmes et la tentative d'arriver à de meilleures conditions afin de dépasser les tâches liées à la division traditionnelle du travail d'un côté, la transformation de ces conditions, impliquant subordination et manque d'autonomie pour les femmes d'un autre côté. Le patriarcat, en tant que système social subi, est donc un système empreint de relations de pouvoir contre lequel il faut s'attaquer. La participation aux activités communautaires, qui représentait pour les femmes une sortie de leur sphère domestique, n'a pas toujours été émancipatrice. La participation à des organisations ou initiatives locales (comedores, etc.), bénévole, représente souvent un charge de travail supplémentaire pour les femmes et n'est pas toujours visible.

Ces quelques caractéristiques constituent en quelque sorte un "tronc commun" des revendications des femmes. Cette implication des femmes en dehors de la sphère privée, ainsi que la création d'autres espaces de développement personnel ont été importantes pour le développement d'une citoyenneté articulée, comme le souligne Marques-Pereira, autour de la défense du bien-être des individus et l'intérêt pour la gestion collective des biens publics.182

Dans le contexte latino-américain, les femmes ont joué un rôle majeur, en tant qu'actrices sociales et citoyennes, dans la recomposition du tissu social et dans la transition vers la démocratie. La politique s'apparentait selon ces femmes à la participation à la base sociale, à l'ouverture d'espaces collectifs, à la dénonciation des inégalités et des oppressions. Cette première phase du féminisme serait orientée, selon l'expression de Philips,183 au niveau "micro": les préoccupations des femmes concernent la vie quotidienne (dont elles pointent les aspects de genre)184, les relations de pouvoir au sein de la sphère privée, et la lutte pour la démocratisation.

La deuxième phase verrait les femmes agir à un niveau "macro": elles soulignent leur appartenance à la communauté politique et, en introduisant de nouveaux thèmes de réflexion, plus vastes, plus universalistes, plus politiques tentent de construire des espaces permettant la construction de citoyennetés plus vastes. 185 On pourrait considérer que ce changement dans la réflexion des femmes se fait, en Amérique Latine, parallèlement au changement démocratique. Il est aussi à mettre en rapport avec l'impulsion donnée au niveau international (par la Décennie de la Femmes et la Convention contre toutes les formes de discrimination envers les Femmes entre autres) qui valorise les principes de diversité, de pluralisme et de respect des différences et crée des conditions favorables à la participation économique et sociale ainsi qu'à la reconnaissance des intérêts et identités des femmes.186

182 MARQUES-PEREIRA Bérengère: Processus de développement régional en Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99 (4ème édition), p. 22.

183 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la region , http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/ index.htm, p. 3.

184 A propos de la mobilisation des femmes à partir de leur rôle communautaire et le rapport qu'elles voyaient entre ce rôle et la politique, Jelin différencie le "women's talk" (discours de femmes) et les "political things" (la chose politique) pour évoquer le fait que les femmes renient le caractère politique de leurs actions dès lors qu'elles les justifient par le bien-être de la communauté. C'est du, selon Jelin, à leur conception de la Politique comme étant quelque chose de distant qui ne les concerne pas alors que leur participation aux structures communautaires est vue comme une activité de "mère responsable". JELIN Elizabeth, Citizenship and Identity: final reflections, in JELIN Elizabeth, Women and social change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, pp. 184-207, p. 190.

185 VARGAS Virginia, opcit, p. 3.

186 MOLINA Natacha, Las mujeres en la construcci--n de la igualdad y la ciudadan'a en América latina, in La Ventana, http://www2.udg.mx/laventana.

ii. Citoyenneté desfemmes et reconstruction étatique

Cependant, si cette situation a ouvert aux femmes de nouvelles possibilités d'action elle a également ébranlé bon nombre de leurs certitudes.187 Plusieurs types de barrières, institutionnelles, organisationnelles et idéologiques, ont empêché la participation totale et la satisfaction complète des revendications des femmes.

· obstacles institutionnels et organisationnels

Le premier constat à faire est que la transition démocratique n'implique pas nécessairement ni une sensibilité plus grande de la société à la question de l'équité de genre, ni une diminution du sexisme.

L'ouverture et le changement organisationnel nécessaires à l'intégration des revendications sociales et des nouvelles citoyennetés est difficile à mettre en place, notamment à cause de l'inertie des acteurs sociaux (état, partis, médias, société civile). Dans leur intégration à l'espace public, les femmes (féministes ou non) se heurtent donc souvent à des structures hiérarchisées, verticales, empreintes d'une culture organisationnelle autoritaire et rigide, tant au niveau étatique qu'à celui des autres interlocuteurs sociaux et politiques.188 Dans un contexte de démantèlement de l'Etat-Providence et des contraintes imposées par l'économie de marché, un certain nombre de compétences et programmes ont été délégués aux instances régionales et municipales. Cette multiplication des interlocuteurs sociaux et l'absence de canaux de participation des femmes à ces niveaux du pouvoir n'a guère favorisé l'influence des femmes sur les programmes mis en Ïuvre.

Si des processus de réflexion et des débats publics, alimentés en grande partie par les connaissances développées par le mouvement féministe, ont effectivement lieu, mettant à l'ordre du jour une série de thématiques (sexualité, droits reproductifs, pauvreté), les programmes qui sont mis en place, destinés aux groupes sociaux les plus marginalisés, ont pour la plupart un caractère "asexué". Les revendications d'équité de genre y sont souvent effacées au profit de mesures visant à réduire les inégalités sociales et la pauvreté. Si un lien est effectivement établi entre "femmes" et "pauvreté", c'est en tant que membre d'un foyer ou comme faisant partie de catégories sociales générales (travailleuses, consommatrices, utilisatrices de services publics) que les femmes sont bénéficiaires et non en tant que comme sujets de droits avec une capacité de contrôle sur les ressources et bénéfices. La situation de subordination dans laquelle se trouvent les femmes ne s'en trouve donc pas changée.

· obstacles conceptuels et idéologiques

Alors qu'elles avaient une grande capacité de mobilisation sociale lorsqu'elle avaient un référent politique commun (lutter contre la dictature), leur pouvoir d'influence et de décision est fort réduit dès lors que l'espace public s'élargit et qu'elles doivent transformer leur participation sociale en pouvoir politique. Ainsi le mouvement de femmes est confronté à ses propres limites: socio-organisationnelles mais également conceptuelles et idéologiques.

On observe en effet à cet égard des carences dans le processus de socialisation des réalités féminines. Les femmes font face à la persistance des stéréotypes au sujet de leur engagement: celui-ci est percu comme étant exclusivement lié à leur rôle reproductif. A cet égard, Jelin souligne que la remise en cause du caractère naturel de cet engagement reproductivo-communautaire n'a eu lieu que lorsque la division sexuelle du travail a été

187 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la regi--n, http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/ index.htm

188 MOLINA Natacha, opcit.

modifiée.189 Il n'existe pas non plus de reconnaissance de la diversité des femmes, elles sont considérées comme étant quasi "identiques et donc interchangeables".190

Cette négation des diverses réalités des femmes est lié aux processus d'individuation de celles-ci. Or, comme nous l'avions souligné dans le chapitre précédent concernant la recherche d'autonomie, il est indispensable, afin d'exercer pleinement sa citoyenneté et se reconna»tre comme sujets de droits, de pouvoir se percevoir non seulement comme étant "différente" et "autonome" mais également comme étant un agent social inscrit dans une multitude de relations sociales, et au sein duquel cohabitent différentes positions subjectives qui correspondent à autant de réseaux d'insertion sociale.191 Cette capacité à contrôler, par soi-même, les aspects fondamentaux de sa propre vie et les circonstances dans lesquelles elles se développent, sans se sentir "attachée" aux décisions émanant du mari, de l'église ou du parti192, est en effet indispensable pour que les femmes puissent influencer et contrôler les décisions publiques qui les concernent.193

La réappropriation de leurs revendications par les acteurs sociaux traditionnellement responsables de relayer les demandes sociales, tels les partis, se fait difficilement. Au sein de ces structures en effet, les relations de genre sont invisibles (et invisibilisées) et la citoyenneté des femmes est limitée. Or ce sont ces organisations, plus structurées, qui ont le plus d'influence et de pouvoir de décision. Des lors, les femmes qui étaient déjà inscrites dans de telles structures (états ou partis) vont conserver un lien avec le pouvoir alors que les quelques autres, plus progressistes, assumant des responsabilités vont intégrer les structures étatiques sans réelle base sociale pouvant leur accorder la légitimité dont elles ont besoin. Paradoxalement dit Molina, si des themes centraux à l'équité de genre sont inscrit à l'agenda public, ils sont défendus par les secteurs les plus conservateurs et en des termes fondamentalistes.


· amplification et diversification du mouvement

Ces facteurs, ainsi que l'absence de référents historiques empêchent de construire un concept moderne qui ferait le lien entre le genre et la citoyenneté pour construire un concept inclusif du féminin d'une part, qui engloberait la multiplicité des champs dans lesquels participent les femmes d'autre part. La démocratisation et la construction d'un mouvement social de femmes menant à une société égalitaire (quelque soit le genre, la race, l'ethnie) passe par des processus sociaux de construction d'action et d'identité collective impliquant trois axes: les fins, les moyens et les relations avec l'environnement. Comme l'exprime Escobar, c'est au quotidien que se fait l'intersection entre les processus d'articulation du sens par des pratiques d'une part, les processus de domination d'autre part.194 Il faudrait donc, pour qu'un réel changement ait lieu, arriver à constituer une "masse critique", à créer une communauté d'intérêts susceptible de sensibiliser l'opinion publique à l'importance du rôle des femmes mais aussi des autres diversités (raciales, ethnique s, etc.), tout en continuant d'avancer sur le plan politique institutionnel. 195

189 JELIN Elizabeth, Women and soc ial change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, p. 6.

190 MOLINA Natacha, p. 10.

191 MEYNEN Vicky et VARGAS Virginia, La autonom'a como estrategia para el desarrollo dessde los multiples intereses de las mujeres, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de género en el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994, p. 27.

192 VARGAS Virginia, ReflexionesÉ, opcit., p. 5.

193 MOLINA Natacha, opcit.

194 ESCOBAR Arturo: Culture, Economics, and Politics in Latin American Social Movements Theory and Research, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 72.

195 MOLINA Natacha, opcit, p.5.

Dans leurs processus de socialisation et de construction identitaires, les femmes ont bien sar utilisé différentes stratégies. L'engagement des femmes dans des institutions et espaces publics ayant de plus grandes capacités d'influence et de proposition, telles les ONG, les Universités ou certaines instances gouvernementales a contribué à la création de cette masse critique mais a aussi contribué à la diversification et l'amplification du spectre idéologique de l'action des femmes. Toutefois, cette participation des femmes aux structures du pouvoir ne constitue un réel acquis qu'à partir du moment oil "les organisations, et les femmes, établissent des liens, négocient avec les organisations politiques conventionnelles ou manifestent une aptitude technique de manière novatrice. Faire de la politique, c'est intervenir dans le public".196 Cette intervention dans le public s'est concrétisée de diverses manières et le mouvement des femmes, loin d'être homogène, est parcouru par une série de clivages, de fractures, de conflits mais aussi de points communs qui en ont fait le mouvement riche et dynamique d'aujourd'hui. Nous observerons ci-dessous les tendances récentes de mouvement des femme s ainsi que quelques uns des clivages qui le traversent. .

B. Organisation et action: evolution, clivages et tendances recentes

Parmi les différents points "conflictuels", nous en avons dénombré deux qui nous paraissent avoir eu une influence majeure dans la structuration de l'action des femmes latino- américaines, notamment dans leur rapport avec l'extérieur (la coopération au développement en particulier): le clivage entre feministes auto-proclamées et mouvements de femmes (entre "historicas" et "movimientos"), et le clivage entre les autonomes" et les "institutionnalisees".

i. feministes et mouvements de femmes197

Le premier clivage que nous voyons est celui qui oppose les féministes d'une part, les mouvements de femmes d'autre part. Cette opposition semble être une constante du mouvement des femmes de ces vingt-cinq dernières années.

Ce clivage s'articule autour de plusieurs points de tensions relatifs à la question "Qui représente et comment les intérêts des femmes", en particulier les intérêts des femmes de classes populaires? Cette tension a notamment été exacerbée par les partis de gauche et par les structures conservatrices (telles l'Eglise). Pour des raisons différentes, celles-ci ont soit diabolisé le féminisme soit jugé qu'il y avait un "bon" et un "mauvais" féminisme. Les partis de gauche voyaient le féminisme comme un concept impérialiste. La révolution et le socialisme détruiraient automatiquement toutes les inégalités, y compris les inégalités de genre. L'Eglise, dont la conception de l'émancipation féminine est assez restreinte, était contre une série de revendication progressistes des féministes, notamment l'avortement. tant la gauche que l'Eglise estimaient également que le féminisme était un mouvement intrinsèquement bourgeois et susceptible de diviser l'unité de la lutte de la classe ouvrière. Les "movimientos de mujeres" actifs dans l'organisation des femmes pauvres ou de la classe ouvrière sont pour la plupart liés à ces structures. Ces movimientos mettent l'accent sur la modification des conditions de vie de ces classes sociales plutTMt que sur l'oppression et la

196 MOLINA Natacha, opcit, p.9.

197 Pour cette partie sur l'opposition entre movimientos et féministes, nous nous basons essentiellement sur l'article que Nancy Saporta STERNBACH (et. alii) a consacré aux cinq premiers Encuentros féministes. STERNBACH Nancy Saporta (et. alii), Feminisms in Latin America: From Bogota to San Bernardo, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy , Westview Press, Boulder, 1992,

subordination de genre. Les femmes de ces mouvements ont souvent évité de défendre des thématiques féministes classiques de peur de s'aliéner leur base sociale.

Les femmes se proclamant "féministes" refusent de choisir. Elles estiment qu'il est indispensable de travailler sur les deux fronts (équité sociale et équité de genre) et ont une vision féministe qui englobe politique, culturel et société. Si elles se centrent essentiellement sur les thématiques de femmes, leur objectif est de sensibiliser dans toutes les sphères de la vie en société aux différentes oppressions des femmes. Le féminisme est selon elles une pratique politique complète, qui doit constitue un mouvement autonome des structures existentes dont elles critiquent la structure patriarcale (Etat, partis, syndicats). Les "feministas" sont souvent considérées comme appartenant à la classe moyenne. Ce facteur, conjointement à une certaine "intellectualisation" de leurs actions, a contribué

au conflit qui

les opposent aux femmes des "movimientos de mujeres" .

Cette opposition est le reflet des différentes perceptions de la situation des femmes et des moyens à utiliser pour changer cette situation. Elle est notamment visible, comme nous l'avons vu, dans les différentes grilles d'analyse et approches du FED. Ces approches ne seraient donc que le reflet exacerbé et figé des positions existantes dans la société.

ii. autonomie et institutionnalisation

Cette opposition entre féministes et mouvements de femmes joue un grand rTMle dans la manière de socialiser et d'organiser leur lutte. Les femmes dont les objectifs étaient de contribuer à l'amélioration des conditions matérielles des femmes et dont la politique est plus pragmatique ont eut moins de réticences à s'inscrire dans une démarche institutionnelle ancrée dans une utopie réaliste comme la qualifie Virginia Vargas.198

Elle parle de glissement stratégique du mouvement féministe. Un des changements important selon elle a été la modification d'une posture anti-étatique et le changement à partir d'une autonomie défensive et une logique et dynamique de confrontation, caractéristiques de la décennie antérieure, tant par besoin de s'affirmer comme mouvement que par l'existence de dictatures sur le continent, à une logique de négociation et d'autonomie "dialogante" et propositive. 199


· Institutionnalisation et rapports avec la coopération au développement200

Le changement stratégique s'est fait sur deux fronts parallèles: l'intégration dans les structures existantes et la création d'ONG et d'associations spécifiques.

Si cette participation des femmes aux institutions n'est pas à rejeter, il faut cependant constater qu'elle s'est parfois faite au détriment de la réalisation des objectifs féministes. Le risque que le mouvement ne se soumette à des exigences et à des logiques qui ne seraient pas les siennes, et ne se convertisse en "technocratie" de genre est réel.

Ximena Bedregal, résume bien le dilemme auquel est confronté le mouvement féministe:

le "quehacer" et les objectifs institutionnels ne peuvent se confondre avec le devenir et le développement de l'ensemble du mouvement politique féministe parce qu'elles ont des logiques, des temps, des rythmes et des dynamiques différentes et parce que leurs ob jectifs et intérêts de vie et survie, lointains et immédiats, ne co
·ncident pas et ne doivent pas le faire.201

198 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la regi--n, http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/ index.htm.

199 VARGAS Virginia, opcit, p. 3.

200 Parmi les nombreux aspects de l'institutionnalisation, nous avons choisi de ne développer que ceux étant en rapport avec la coopération internationale puisque c'est le sujet qui nous occupe ici.

201 BEDRAGAL Ximena, Pensar de un modo nuevo, in Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y del Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico, 1997, p. 54-58.

Autant que sur la forme c'est également sur le fond que se crée le désaccord, qui ne fait qu'illustrer les tendances générales que nous avions ébauchées dans les deux premières parties.

Les ONGL202 créées par les femmes latino-américaines servent souvent de relais avec les institutions et organisations de la coopération internationale, que ce soit dans le cadre de mécanismes de solidarité et d'échanges d'expériences ou pour canaliser des demandes de fonds. Certaines de ces ONGL ont, en grandissant, tendance à se bureaucratiser et à laisser de côtés les objectifs qui étaient les leurs. Maria Galindo met notamment en garde contre certaines pratiques qui selon elle sont caractéristiques de l'institutionnalisation du féminisme. Elle dénonce le fait que l'action féminisme soit devenue un travail salarié, exécuté dans le cadre de relations hiérarchisées, bureaucratisées et entretenant des liens clientélistes et utilitaires avec les autres secteurs du mouvement de femmes. Dans le cas la recherche de financement cette tendance est plus regrettable que les ONGL prétendent, dans certains cas, être représentatives de l'entièreté du mouvement de femmes, devenant à la fois bénéficiaires (recevant les fonds) et bienfaitrices (redistribuant les fonds auprès des autres secteurs).203 Dans son introduction au compte rendu de la rencontre féministe de 1996,204 Edda Gaviola montre cette "usurpation":

le féminisme latino-américian se trouve dans un processus d'institutionnalisation accéléré, un discours médiatisé par les négociations et le lobbying qui, sans être discutés dans aucun espace du mouvement, se fait au nom de toutes et fragmente en thématiques les femmes et la vision du monde et la rébellion féministes qui nous avait caractérisées depuis des années.205

Le fait que ces ONGL soient responsables auprès des bailleurs de fonds mais ne se sentent pas obligées de rendre des comptes à leur base sociale est également vivement critiqué. Cette critique est d'autant plus justifiée que la conception (choix des thématiques et priorités) et l'évaluation des projets se fait généralement en cercles fermés, entre experts de genre et membres des "réseaux".206 La question de la représentativité mais également de la légitimité est donc posée. En se convertissant en interlocutrices privilégiées de la coopération internationale, les ONGL entrent dans la dynamique du dispositif de développement. Elles facilitent l'instrumentalisation et la cooptation du discours féministe par les instances internationales, ôtant de la perspective de genre toute velléité de critique du système patriarcat. Dans une certaine mesure, elles évacuent la représentation et la démocratie syndicale construite au sein du mouvement de femmes et refusent le droit à la "dissidence", selon le principe féministe du "Personne ne représente personne" .207

Les pratiques et stratégies évoquées ci-dessus ne sont bien sftr pas, heureusement, celles de toutes les ONGL latino-américaines. Nous les avons évoqué parce qu'il nous semble qu'elles constituent des menaces réelles pour tous les mouvements sociaux, en Amérique latine mais également ailleurs. En outre ils illustrent la complicité qu'il peut y avoir, dans la constitution du dispositif de développement, entre les Etats, les organisations de la société civile et les

202 ONGL: Nous indiquons ainsi les ONG locales, pour les différencier des ONG occidentales.

203 GALINDO Maria, Tiempo saboteado en que nos toca vivir, in Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colecci--n Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997, p. 13

204 En 1996 la rencontre bisannuelle des féministes latino-américaines a été marquée par un important clivage entre féministes et autonomes, clivage qui est exprimé dans l'ouvrage de synthèse de la rencontre: Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colecci--n Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997.

205 Permanencia voluntaria en la Utopia, op. cit., p.2

206 GALINDO Maria, opcit.

207 idem, p. 15.

ONG (du Nord ou du Sud). Il est donc, si l'on veut créer les conditions d'un développement basé sur l'autonomie et la participation de tous, rechercher des voies et des voix alternatives.


· L'autonomie telle qu'elle est concue par les féministes autonomes latino-américaines

Les féministes "autonomes" latino-américaines, même si elles ne constituent pas une part majoritaire du mouvement de femmes du continent, font quelques propositions que nous trouvons intéressantes dans la Déclaración del Feminismo Autónomo, faite lors de l'Encuentro au Chili en 1996. Dans cette déclaration, elles mettent l'accent sur la nécessité de faire le lien, dans toute action, entre l'intime, le privé et le public et réitèrent leur volonté de lutter contre toute forme de pouvoir patriarcal. Prônant une critique et une remise en question permanente de l'Etat et de ses institutions, elles ne prétendent pas constituer une liste de revendications mais bien "repenser le monde, la réalité, la culture" en se réappropriant les idées qui étaient les leurs. En outre, elles refusent de négocier avec les institutions supranationales telles la Banque Mondiale ou le FMI et entendent discuter et analyser les mécanismes financiers inhérents à la coopération internationale.208 L'autonomie est selon elles une limite et une possibilité définissant leur rapport au monde (É) nous sommes présentes dans le processus historique, dans sesfaits et luttes quotidiennes d'oIs nous alimentonst et approfondissons notre critique du système et ols nous entendons installer notre subversion quotidienne, ce que nous faisons avec et à partir de notre histoire.

C. Tendances récentes et perspectives

Pour résumer et conclure, nous pouvons reprendre les tendances récentes du féminisme latino-américain qui sont relevées par Sonia Alvarez et qui recouvrent et complètent notre analyse. Elle parle de l'absorption des certains éléments du féminisme par les institutions dominantes, la société politique, l'état et d'autres organisations parallèles ainsi que par "l'establishment" du développement international. Alvarez cite également la multiplication des lieux dans lesquels les femmes qui se considèrent comme féministes peuvent s'exprimer et agir, diffusant ainsi des discours féministes différents du discours figé des années 70 et 80. Parallèlement, on assiste à "l'ONGisation", c'est-à-dire la professionnalisation et la spécialisation de divers secteurs des mouvements féministes ainsi qu'à la mise en réseau et à la transnationalisation des différentes composantes du mouvement. Cette évolution est selon Alvarez, à la fois positive et négative. Positive parce qu'elle a permis l'extension des capacités d'action et d'influence du mouvement, négative parce qu'elle a entretenu provoqué des conflits sur les objectifs, cibles et priorités du mouvement. 209

Chapitre II: ONG et perspective de genre

en Amérique Latine

Comme nous l'avions évoqué précédemment, et comme nous avons pu le constater lors de
nos séjours en Amérique centrale210, il n'est pas évident que les programmes de la

208 Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colecci--n Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997, pp.111 -116.

209 ALVAREZ Sonia A., Latin American feminisms "go global": trends of the 1990's and challenges for the new millenium, in ALVAREZ Sonia, DAGNINO Evelina et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), Cultures of politics, Politics of cultures. Re-visioning latina american social movement, Westview Press, Boulder, 1998, pp. 293-324, p.294.

210 Lors de notre voyage en Amérique centrale durant l'été 2000, nous avons rencontré des femmes et des
hommes, membres d'associations féministes, d'ONG européennes et d'institutions internationales210 qui nous ont
fait part de leur expérience et de leur facon de voir. Nous avons rencontré des membres des organisations

coopération internationale répondent aux attentes des populations auxquelles ils s'adressent et les différends entre les deux parties sont grands, encore plus lorsqu'il s'agit de féminisme et de genre. Cette réflexion faite, il semble essentiel de voir ce qui sépare les deux "mondes" pour travailler à ce qui les relie.

Dans ce chapitre nous mettrons en lumière quelques traits saillants dans les rapports entre ONG (du Nord) et les féminismes en Amérique latine en observant dans un premier temps quelles peuvent être les conceptions des femmes du Sud et du féminisme qu'ont les ONG du Nord et comment ces conceptions se reflètent dans le choix de leurs partenaires et le type d'action qu'elles mettent en place. Nous évoquerons également quelques remarques qui sont faites par les femmes latino-américaines par rapport au travail des ONG.

1. ONG, FEMMES DU SUD ET FEMINISMES

Nous avons observé, lors de notre expérience à VOICE mais également à la lecture de divers documents d'ONG, qu'il existe, au sein des ONG du Nord, une réticence à aborder la thématique du féminisme (comme base théorique et courant politique) d'une part, à travailler avec les féministes (comme groupes d'action/ partenaires) d'autre part.

? ONG, féminisme et patriarcat inconscient

Un premier point qui sépare les ONG européennes des femmes latino-américaines est la reproduction du schéma de pensée patriarcal par les ONG, puisque c'est celui-là même contre lequel luttent les femmes latino-américaines. Souvent ces structures restent empreintes en effet d'un patriarcat inconscient, ce qui rend les thématiques liées aux femmes taboues, encore plus lorsqu'elles se présentent sous le terme de "féminisme". Les ONG doivent bien sftr lutter pour intégrer le genre dans leurs projets, mais également lutter pour l'intégrer à l'intérieur de leurs structures.211

Ines Smyth, (OXFAM-GB), évoque dans plusieurs articles 212, la difficulté qu'ont les ONG de développement à parler ouvertement de féminisme et d'idées féministes. Les raisons qui sont invoquées par Smyth sont les suivantes: la peur d'ingérer dans la culture locale, le 'féminisme pop'213 et l'anxiété par rapport au projet politique du féminisme.214 Dans une étude sur le Genre au sein de l'Union Européenne 215, Mandy Macdonald évoque également cette crainte. Selon elle, cette résistance viendrait d'une conception démodée du féminisme qu'ont ces personnes: celui-ci serait une "importation du Nord", "l'imposition de valeurs

suivantes: Paz y Tercer Mundo (Tegucigalpa), ECHO (le Desk Officer pour l'Amérique centrale, Tegucigalpa), OXFAM (Managua), CHRISTIAN AID (Guatemala Ciudad), Croix Rouge Américaine (Tegucigalpa), Acción Contra el Hambre (Tegucigalpa), Solidaridad Internacional (Tegucigalpa), La Malinche, La Corriente (Managua), CCER (Coordinadora Civil para la Emergencia y la Reconstrucci--n - Managua), Puntos de Encuentro (Managua), Centro de Derechos de Mujeres (Tegucigalpa), Red de Mujeres contra la Violencia (Managua).

211 A propos du changement au sein des ONG voir le chapitre 2: Dinámica de género interna de las organizaciones donantes in MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995, pp. 35-54.

212 voir A rose by any other name: Feminism in development NGOs in PORTER Fenella, SMYTH Ines et SWEETMAN Caroline, Gender Works! Oxfam experience in policy and practice, Oxfam Publications, Oxford, 1999, pp. 132-142. et NGOs in a post-feminist era, in PORTER Marilyn et JUDD Ellen (sous la direction de), Feminists doing development. A practical guide, Zed Books, Londres, 1999, pp. 17-28.

213 EISENSTEIN appelle ainsi certains thèmes qui, autrefois du seul ressort du féminisme, sont passés aujourd'hui, édulcorés et simplifiés, dans le domaine public, c'est-à-dire ces thèmes tels le harcèlement sexuel, le droit au travail, etc. qui sont aujourd'hui des problèmes d'ordre général qui rendent le combat féministe inutile aux yeux de certains puisque ces problèmes sont abordés par tous.

214 SMYTH Ines, A rose É, opcit., pp. 137 -138.

215 MACDONALD Mandy, Gender Mapping the European Union, EUROSTEP/WIDE, Brussels, 1995.

occidentales au Sud", "un complot matriarcal". Face à cette résistance, Macdonald souligne l'importance du langage qui peut, selon elle, être

aliénant et mystificateur.216

Creation d'un sujet femme homogene

On observe cependant moins de réticences des ONG lorsqu'il s'agit de créer un sujet-femme homogène. A l'instar du discours qui a été développé sur les pays du 'Tiers Monde', et qui dépeignait les sociétés du Sud comme étant 'imparfaites, anormales, ou comme étant des entités malades comparé aux sociétés développées'217, un discours dépréciant a été développé sur les femmes du Sud. Celles-ci sont souvent présentées comme étant doublement opprimées: par leur genre et par le sous-développement de leurs pays.218 Cette description de la femme du Sud est en grande partie le fait des féministes occidentales qui ont expliqué les femmes du Sud en présupposant que les réalités des femmes occidentales, blanches et de classe moyenne, pouvaient s'appliquer à toutes les autres femmes. C'est donc en se basant sur des paradigmes occidentaux que les ONG ont défini ce vers quoi on devait aller, prenant pour base la femme occidentale.

A la difficulté déjà énorme de parler des problématiques de femmes, et d'intégrer le genre dans le développement s'ajoute donc celle de déconstruire les croyances et conceptions que peuvent avoir les ONG pour pouvoir reconstruire une pensée plus novatrice et réellement incluante du féminin.

Choix des partenaires

Pourquoi, alors que les ONG travaillent avec ce qu'elles appellent des "partenaires du Sud", ne mettent elles pas plus d'enthousiasme à soutenir les mouvements féministes, qui sont la concrétisation du "savoir féministe", du "savoir de genre"? Les ONG du Nord préfèrent en général travailler avec des organisations rurales, sociales, qui ne sont pas directement féministes. Il existe une crainte en effet que les féministes avec lesquelles une collaboration est entamée ne soient pas représentatives de l'ensemble des femmes.219 Ce désir de travailler avec des partenaires qui seraient représentatifs est bien sar utopique mais pose également la question du sens politique des partenariats. Si les ONG sont claires avec les idéaux qu'elles défendent, et sont conscientes du fait qu'elles mêmes ne représentent pas "toute la société du Nord", elles ne devraient avoir aucun problème à créer des partenariats avec les organisations qui leur semblent être en accord avec leurs positions. Cette crainte n'est évidemment pas présente dans toutes les ONG. En fait, on constate que les ONG qui ont le plus peur de travailler avec les féministes, ou même d'utiliser le terme "féminisme", sont

216 MACDONALD Mandy, opcit, p. 49.

217 ESCOBAR Arturo, Culture, economics and politics in Latin American social movements theory and research, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 65.

218 pour la réflexion sur les conceptions négatives des femmes au sein des ONG européennes voir MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995, pp. 39 -40.

219 En 1996, Lors de la préparation de cette rencontre, émaillée de l'opposition entre les autonomes et les institutionnelles, les ONG européennes, et en particulier ICCO, ONG hollandaise, jouèrent un rTMle pour le moins ambigu. Après avoir décidé de financer le septième Encuentro féministe, ICCO a retiré son soutien sous prétexte que la rencontre n'était pas ouverte à l'ensemble des femmes latino-américaines (et surtout aux "institutionnelles"). Or, les organisatrices n'ont jamais refusé la participation à quiconque. Le choix de la méthodologie et du thème de la rencontre était fixé mais elles n'avaient pas pour autant fermé la portes aux femmes "institutionnalisées". La "neutralité", credo souvent mis en avant par les ONG, est ici foulée aux pieds et on peut se poser la question de la légitimité d'une telle décision. On peut également se poser des questions sur le rTMle joué par les ONGL (les institutionalizadas) dans la décision d'ICCO. voir le chapitre consacré à l'institutionnalisation du mouvement féministe latino-américain. voir Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colecci--n Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997.

celles qui ont une vision plus réductrice de l'intégration des femmes dans le développement et dont l'action est la moins dynamique en termes de changements sociaux, ce qui est généralement le cas des ONG confessionnelles. Nous verrons dans l'analyse de NOVIB que le partenariat qu'ils mettent en place est avant tout basé sur un une communauté de vues.

2. PERSPECTIVE DE GENRE ET ONG EN AMERIQUE LATINE

Le clivage qui existerait entre femmes du Sud (féministes ou non)se situerait donc dans la lecture - politique, sociale, économique et culturelle, qui est faite de leurs revendications par le monde de la coopération, y compris celui des ONG. Nous évoquerons donc ici quelques unes des critiques qui sont faites par rapport a l'intégration du genre dans les projets en Amérique latine.220 Ces quelques critiques nous permettent de voir que, outre la difficulté a intégrer le genre aux projets, en accord avec ce que demandent les populations locales, il y a également un "gouffre" entre ce que disent les ONG et les institutions de développement (notamment les principes énoncés dans les cadres d'analyse) et ce qu'elles font sur le terrain.

· le genre: un effet de mode

Le premier ensemble de critiques ont trait a la position des ONG par rapport a la problématique de genre. Dans la plupart des cas, il semblerait que les ONG intègrent cette notion dans leurs projets soit parce qu'elle est "politiquement correcte" et a la mode, soit comme condition a remplir pour avoir des subsides. Cette remarque soulève plusieurs questions, notamment celle de la dépendance financière des ONG par rapport aux bailleurs de fonds (gouvernements nationaux, institutions internationales, etc.) qui imposent leur critères de financements, même si ces critères restent de simples concepts a l'ordre du jour. Selon les associations féministes locales, les ONG européennes resteraient trop dépendantes de leurs financements, et n'iraient pas au bout de leur vision politique de peur de perdre de précieux subsides.

· mode de fonctionnement et structure des ONG

Une critique est faite également aux changements trop fréquents de personnel expatrié, personnel qui n'a dès lors pas l'occasion de réellement comprendre les problèmes auxquels il doit faire face. Un manque de coordination entre les différents acteurs de la coopération internationale est également cité comme étant une des cause du manque d'efficacité de ces organisations. D'autre part, les projets sont souvent dirigés par des hommes, peu sensibles, voire réfractaires a l'intégration du gen re, qui n'est dès lors pas prévue dans des projets pensés en termes masculins.

Par ailleurs, lorsqu'elle est prévue, cette intégration du genre est confiée a un expert du genre, souvent une femme. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de coordination avec les autres composantes du projet et manque donc cruellement de vision globale. De plus, les ONG ne répondent en général qu'aux besoins directs des femmes, les considérant comme des bénéficiaires et non pas comme des citoyennes a part entière. Cette vision a court terme est d'autant plus flagrante quand il s'agit d'intervenir dans des pays fréquemment atteints par des catastrophes et en situation d'urgence quasi permanente (comme c'est le cas en Amérique centrale - un peu moins en Amérique du Sud).

· vision politique

Une des critiques faites par Mar'a Teresa Blandón, du Collectif Féministe La Malinche a
Managua, était que les ONG rechignaient a soutenir les projets visant a augmenter le

220 Les critiques dont nous parlons ici nous ont été faites par les personnes que nous avons rencontrées lors de nos voyages en Amérique centrale, notamment par Maria Teresa Blandon (la Malinche a Managua, 04/10/2000) et An a Leticia Aguilar (Christian Aid/ La Corriente a Guatemala Ciudad, 13/10/2000).

pouvoir des femmes et surtout à les aider dans la conquete de l'espace politique dans leurs pays. Cela rejoint ce que nous avions déjà constate dans la première partie de ce travail. L'integration des femmes et du genre dans le developpement ne se fait que lorsque les risques de changements dans la repartition du pouvoir sont limités pas trop de risques et de changements dans la repartition du pouvoir. La "vision de genre" reste des lors souvent limitée aux projets de femmes pour femmes, invisibilisant les femmes du reste de la dynamique de developpement et reproduisant les modeles autoritaires et patriarcaux existants.221 Dans les faits les actions et projets des ONG s'opposent à la construction des femmes comme sujet politique.

relations inegalitaires et instrumentalisees

Selon Ana Leticia Aguilar, c'est une relation inegalitaire que celle qui se cree entre la Cooperation internationale et les organisations locales. En effet, la difference est enorme entre les deux parties, tant en termes de capacités de reflexions, de connaissances sur leurs actions et vecus, et d'acces et de divulgation des informations222 qu'en termes strategiques et materiels. Cette relation renforce bien evidemment la dependance dans laquelle se trouvent les organisations locales par rapport à la "cooperation internationale".

D'autre part, alors qu'elles devraient n'etre que de simples "facilitatrices", les ONG se transforment en executrices de projets. Ceux-ci courent alors le risque d'être completement eloignes des preoccupations et attentes des populations bénéficiaires. Cette "usurpation" se fait au detriment d'un partenariat veritable, qui serait basé sur une communaute d'interets entre ONG et organisations locales visant à la une societe plus egalitaires.

Si leur projet de développement est de contribuer à l'autonomie des populations du Sud, des femmes en particulier, il est indispensable que les ONG reconsiderent leurs fagon d'agir et soient plus cohérentes avec cet objectif. Il faut que les ONG elles-mêmes cherchent leur autonomie par rapport au systeme institutionnalisé de la cooperation internationale.

221 MONTENEGRO Maria Elena, VISSERS Cita et VOLIO Roxana, Una cuenta pendiente? Género y coopéraci--n internacional en Centroamérica, San José, 1997, p. xi.

222 Les ONG ont en effet un grand accès aux diverses sources d'informations, que ce soit les informations provenant des gouvernements ou institutions internationales, les statistiques, et autres données relatives aux populations locales. Ces dernières n'y ont pas toujours accès.

NOVIB, UNE ONG "ENGAGEE

DANS LE GENRE": ANALYSE DE

CAS

Chapitre I: Grille de lecture et

methodologie d'analyse

1. CADRE CONCEPTUEL

La plupart des ONG qui travaillent sur le genre, tentent d'établir des grilles d'analyse et de travail afin d'améliorer cette integration de genre dans leur travail, tant au niveau organisationnel, qu'au niveau de leurs actions "sur le terrain", compris ici comme etant leurs actions dans le Sud mais aussi leurs actions de sensibilisation dans le Nord. Notre recherche a pour but d'analyser leur travail, les objectifs qu'elles se sont fixés dans l'intégration du genre dans le développement et donc d'établir une grille de lecture nous permettant de comprendre et d'étudier le cas de l'ONG néerlandaise NOVIB. Cette grille de lecture se basera sur les trois premières parties de cette recherche.

Dans la première partie, nous avons mobilise differents concepts ou champs d'analyse: celui du savoir ou de la connaissance, ceux du pouvoir /puissance et finalement celui du genre. La mobilisation de ces trois concepts permet d'etablir non seulement le lien qu'il y a entre le savoir, sa production, son utilisation et le pouvoir qui en resulte mais egalement de comprendre comment, dans le cas des ONG, ce lien est compris, expl icite et mis en Ïuvre, au niveau interne et externe. Nous avons pu voir comment cette integration du genre est une problematique largement dominee par la question du savoir Ð pouvoir, tant dans la definition des concepts et donc dans l'elaborations des pol itiques, programmes et projets des institutions internationales et des ONG, que dans les relations de ces dernieres avec leurs partenaires du Sud. Nous avons pour arriver à cette analyse, fait appel aux notions de dispositif de developpement et de gouvernementalite qui nous ont permis de montrer en quoi le monde du developpement etait instrumentalise, tant par les ONG du cTMte du Nord, que par les differents mouvements et associations du Sud, dans un processus de gestion des populations.

Dans une deuxieme partie, et en se basant sur la première, nous avons esquisse une "histoire" critique de l'integration de la perspective de genre dans la cooperation au developpement, tant au niveau des ONG elles-memes qu'à celui des institutions. Nous avons analyse l'evolution de l'integration des femmes dans le développement (FED ou IFD) à l'integration plus complexe du genre dans la developpement. L'analyse de ces differentes grilles d'analyse nous ont permis de corroborer le cadre que nous avions esquisse dans notre premiere partie et qui decrivait le dispositif de developpement. Celui-ci etait compris comme etant l'ensemble des techniques et savoirs utilises à des fins de gestion et d'administration des populations du Sud. Tout comme il existe, dans le corps social des points de pouvoir, il existe des points de resistance. Ce binTMme "pouvoir-resistance" nous a servi pour analyser les autres possibles, à savoir l'action des ONG. Les deux premiers concepts et leur analyse à partir d'une perspective feministe ont permis d'arriver à une definition de la "perspective de genre" comme étant une deconstruction d'une conception des relations sociales de sexe ayant pour base une vision patriarcale de la société. Cette deconstruction doit permettre d'envisager differemment toute situation, toute problematique. Nous avons finalement defini ce qu'est l'autonomie au niveau individuel puis au niveau collectif, de maniere generale, pour ensuite arriver à une definition de ce qu'elle peut etre pour les femmes, dans les projets de développeme nt et dans les organisations de femmes. Ce clivage autonomie/ institutionnalisation, present dans les

mouvements féministes et les ONG, ainsi que dans leurs relations nous a permis d'envisager plus clairement l'action des ONG mais également des mouvements de femmes.

Dans une troisième partie, nous avons décrit dans ses grandes lignes, la situation de l'Amérique latine par rapport à cette problématique en mettant en parallèle les modes d'organisations et les revendications des femmes (féministes, groupements de femmes, ONG de femmes ou mixtes) avec ce que les ONG du Nord font comme diagnostique de la situation et proposent comme solutions. Cette comparaison permet de comprendre les problèmes de compréhension qu'il peut parfois y avoir entre ONG du Nord et femmes du Sud mais aussi les difficultés à mettre en Ïuvre un concept culturellement construit et compris.

C'est sur base de ces trois parties que nous établirons la grille de lecture qui nous servira à l'analyse de l'ONG NOVIB.

2. LA GRILLE D'ANALYSE

Nous avons commencé notre recherche par une réflexion sur la constitution des savoirs, notamment les savoirs féministes et les savoirs du développement et la mise en pratique de ces savoirs. Notre grille de lecture abordera donc deux types de thématiques, la première est de type théorique, la seconde est pratique. Par théorique nous entendons tout ce qui fait la pensée d'une organisation, ce qui implique aussi bien le savoir théorique stricto sensu que le savoir qui émane d'une pratique. Comme nous l'avions mis en exergue dans la première partie, le développement et le féminisme sont des exemples de 'recherche-action', ce sont des pratiques qui font constamment l'aller-retour (ou du moins qui devraient le faire) entre la réflexion et la pratique, mouvement qui permet d'avancer et de développer son action. Nous avions pour qualifier ce mouvement utilisé la définition de John Hoffman de 'momentum concept'223 qui décrit bien le caractère inachevé et imparfait du développement mais aussi du genre comme terme d'analyse.

La notion de dispositif et de gouvernementalité qui ont orienté notre analyse sera ici encore importante pour comprendre quel est le rTMle des ONG dans le "monde du développement".

A. Au niveau théorique

· La constitution du savoir et le type de savoir qui est mobilisé.

· Les bases théoriques sur lesquelles se fondent les actions de l'ONG.

· L'influence des études féministes et des études de développement dans l'intégration du genre. Comment sont intégrées les études faites dans des domaines parallèles à leurs actions.

· Les définitions du genre, du pouvoir, de l'autonomie.

· L'organisation du savoir au niveau interne (existence ou non d'un organe chargé d'études et de recherches, les liens entretenus avec les universités, les centres de recherche, etc.).

· L'organisation du savoir au niveau externe (comment le savoir est organisé au niveau de la pratique).

· Le rapport organisationnel entre savoir et pouvoir (Qui se charge de la constitution du savoir, quel est le rapport avec le reste de la structure, quels sont le temps et les moyens qui y sont consacrés et qui les développe?).

223 voir définition du "momentum concept" page 18

B. Au niveau pratique

Dans notre première partie, nous avons mis l'accent sur le lien entre theorie et pratique, tant pour les feministes que pour les acteurs du developpement. C'est donc à ce niveau que nous analyserons la pratique de NOVIB, d'abord leur pratique interne et ensuite la pratique externe. Par pratique interne nous entendons le travail effectue au niveau de l'organisation de NOVIB pour integrer le genre. La pratique externe concerne le travail proprement dit de l'ONG: les projets dans le Sud, les actions de sensibilisation dans le Nord, les actions de lobbying et de plaidoyer, la participation à des reseaux, etc.

Dans cette partie nous observerons donc comment est integre le genre dans la conception, la mise en Ïuvre et le suivi des projets mais egalement dans l'evaluation permanente qu'il y a de ces projets. Nous nous attacherons tout particulierement à voir comment se fondent les relations avec les partenaires locaux de l'ONG, comment sont evalues les projets, quels sont les liens qui sont tisses avec les organisations locales.

Nous observerons comment NOVIB se positionne par rapport aux aspects suivants:

· la conception qui est mise en avant (FED ou GED) et comment le passage de l'un à l'autre s'est effectue.

· quelles sont les analyses qui sont faites des grilles d'analyses existantes (besoins, rTMles, approches, etc.) et leur application sur le terrain.

· l'institutionnalisation ou transversalisation du genre.

· le positionnement politique de l'ONG.

· comment cette vision est appliquee sur le terrain et ce que ca implique pour les projets.

· les valeurs qui sont mises en avant dans le choix des partenaires et les criteres qui sont utilises pour choisir et evaluer les projets avec ces partenaires.

· la facon d'integrer le feminisme dans ses actions, les relations et les actions qui sont faites avec les groupes feministes du Sud.

· la reponse apportee aux critiques des femmes du Sud à propos de l'integration du genre.

· le lien qui est fait entre le travail de terrain proprement dit et les relations exterieures, le positionnement de NOVIB dans le monde, dans les forums et conferences internationales (e. a. les conferences des Nations Unies, les Forum Sociaux tels celui de Porto Alegre).

· l'autocritique de l'organisation ainsi que les alternatives qu'elle tente de mettre en place.

L'objectif de cette etude était de mettre en exergue certains points qui nous semblaient primordiaux dans l'analyse de l'intégration de la perspective de genre dans les ONG. La liste de points ou de thématiques pris en compte est bien sur loin d'être exhaustive. Il s'agissait pour nous de se baser sur quelques criteres que nous pensions etre pertinents. Nous voulions pouvoir comprendre quelles était le cheminement d'une ONG, de la 'dé couverte' du genre, à sa mise en Ïuvre, quels étaient les moments charnières et les difficultés auxquelles elle était confrontée et quelles sont les solutions ou les alternatives qui sont proposées. Enfin, nous terminons notre analyse par un examen plus approfondi du travail de NOVIB en Amérique latine. Cette section est toutefois, à notre regret, incomplete puisque nous n'avons pas pu rencontrer la personne chargée du Genre en Amérique latine à NOVIB. Les sources pour cette analyse relevent donc plutTMt du discours et ne sont basées que sur les informations générales obtenues de NOVIB.

3. POURQUOI NOVIB?

Le choix de NOVIB pour cette etude est personnel. C'est lors de mes voyages en Amerique centrale et de mes contacts avec les organisations de femmes centramericaines que j'ai pu constater que cette ONG etait parmi les plus actives dans le domaine du genre, tant au niveau de la recherche et la diffusion de connaissances sur le sujet que dans la transversalisation du genre, dans sa structure interne et externe. A l'instar de son organisation soeur OXFAM-GB, NOVIB a, notamment en Amerique centrale et du Sud, contribue à la generalisation de l'integration de la perspective de genre dans la cooperation internationale mais aussi à ce que ce theme soit mieux compris et mieux accepte dans les organisations locales.

Par ailleurs, le choix d'une ONG neerlandaise n'est pas innocent. Les Pays-Bas sont parmi les pays disposant d'une politique relative au genre volontariste et par certains aspects d'avant garde, notamment dans le domaine de la cooperation au developpement. Dans un des rapports de NOVIB, il est d'ailleurs note que le departement de cooperation du gouvernement neerlandais disposait d'une politique Femmes et Developpement depuis 1980 et d'un plan d'action depuis 1987.224 Ce qui, si l'on considère que la thematique est apparue au niveau international dans la seconde moitie des annees 1970, est particulierement positif.

4. METHODOLOGIE D'ANALYSE

L'ONG NOVIB est à plusieurs egards, une ONG exemplaire dans le domaine de l'integration du genre. Depuis plus de vingt ans, une reflexion est menee dans le domaine et le chemin parcouru est considerable. Nous allons faire cette analyse en quatre temps.

Dans une première partie nous aborderons les bases de l'integration du genre dans l'organisation, c'est-à-dire comment le genre est aborde dans les textes fondateurs de NOVIB, quelle est sa vision politique et quelles sont ses intentions.

Nous observerons ensuite comment ces principes sont mis en oeuvre au niveau de l'organisation en elle-meme (dans les differents departements de l'organisation, dans la structure) et au niveau de la pratique du developpement (choix des partenaires, outils de diagnostique, d'elaboration, de mise en oeuvre et d'evaluation des projets, type de projets qui sont privilegies). Cette partie montrera comment NOVIB resout le probleme classique du passage de la theorie à la pratique, et comment elle a institutionnalise le genre. Ce point est considere par NOVIB comme etant un des defis principaux qu'elle doit relever.225

Nous poursuivrons par l'analyse de deux outils specifiques mis en place par NOVIB pour l'integration du genre: le "feu de signalisation" et le "gender router project".

Enfin nous verrons comment le genre est integre dans les differents projets de NOVIB en Amerique latine et quels sont les problemes (ou les facilites) qui sont specifiques à cette region.

224 NOVIB, "En Route". Evaluation of the Gender Route Project, La Haye, 2001

225 NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p. 5.

Chapitre II: NOVIB et le genre

1. PRINCIPES FONDATEURS ET ORGANISATION INTERNE

NOVIB (Nederlandse Organisatie voor Internationale Ontwikkelingsamenwerking) a été fondée en 1956. Elle fait partie de la fédération internationale OXFAM depuis quelques années seulement (1994). Cette fédération regroupe les différents OXFAM de par le monde et possède une charte à laquelle toutes les branches nationales adhèrent. En dehors de cette charte, les branches nationales ont leur mode de fonctionnement, leurs point de vue et sont relativement autonomes. Toute les branches nationales de Oxfam International sont des ONG "libres", non-confessionnelles, non affiliées à un parti et, par rapport aux autres ONG, (plus ou moins) engagées politiquement dans le mouvement "alter-mondialiste". 226

i. "Declaration d'intentions" de NOVIB

Novib vise à une société dans laquelle les différences socio-économiques entre les riches et les plus démunis n'existeraient plus, dans laquelle la prospérité mondiale serait répartie de facon équitable et dans laquelle les individus et groupes de population pourraient apprendre à conna»tre et à respecter leurs cultures réciproques et à collaborer en vue de leur développement sur base de la responsabilité commune et de la solidarité réciproque.

Novib est membre d'Oxfam International, un groupe de plus en plus important qui compte (actuellement) onze organisations de développement ayant des accords de coopération et offrant leur soutien à plus de 3000 partenaires dans près de 100 pays. Leur objectif: «procurer un soutien mondial fondé sur la conviction que la pauvreté et l'exclusion sont injustes, inutiles et non durables». Oxfam International engage ses moyens moraux, personnels et financiers pour favoriser (avec d'autres) un courant mondial pour une équité économique et sociale: «Towards Global Equity».227

Le travail de NOVIB consiste principalement en un appui financier et un soutien en terme de services aux populations marginalisées du Sud, par le biais des organisations locales. L'objectif principal de ce partenariat est la lutte contre la pauvreté structurelle. NOVIB défend également les intérêts de ces populations

auprès des gouvernements du Nord, par des actions de lobbying notamment. Elle effectue aussi des récoltes de fonds et des campagnes de sensibilisations auprès du grand public.

NOVIB n'est donc pas, contrairement aux autres OXFAMs, une ONG opérationnelle sur le terrain. Elle est un "international donor". Le fait de ne pas avoir de personnel sur place et de ne pas avoir de projets spécifiques permet, selon Irma Van Dueren, d'être plus "politique". La démarche de NOVIB est donc clairement politisée et il ne saurait être question de se rompre un partenariat par peur des "représailles".

Tout le partenariat est donc basé sur une collaboration à la fois financière et intellectuelle. NOVIB s'engage notamment à apporter son soutien tant aux projets (appui financier) qu'au niveau organisationnel des partenaires (expertise, organisation d'ateliers consacrés à l'amélioration organisationnelle, etc.).

226 NOVIB notamment a activement participé au dernier Forum Social Mondial de Porto Alegre, en organisant notamment un séminaire autour du thème"Un féminisme global, pluriel et solidaire pour un autre monde".

227 Préambule au Rapport Annuel de NOVIB pour 2000.

La déclaration d'intention de NOVIB est claire et ambitieuse. Il ne s'agit pas de coopérer au développement mais bien de travailler à un autre monde, plus juste et respectueux des différences.

ii. La méthode NOVIB

L'objectif général de NOVIB est de combattre la pauvreté. Pour cela NOVIB utilise une méthode, dite la "NOVIB Method".

La méthode NOVIB:

- vise à des résultats spécifiques et durables;

- complete les initiatives locales;

- implique une coopération avec les organisations locales;

- encourage les contacts et les échanges entre les partenaires;

- travaille dans le Nord aux changements bénéficiant au "Global South";

- accorde une attention spécifique à l'environnement, les droits humains et les femmes.228

A propos de cette méthode nous noterons l'importance qui est donnée à la relation avec des organisations locales et l'échange entre les partenaires dont nous parlions plus haut. Les partenaires locaux ne sont pas instrumentalisés et sont, au contraire, sur un pied d'égalité avec NOVIB. Cette volonté de partenariat actif, tant dans le sens Nord-Sud que dans le sens Sud-Sud, est basée sur le "Linking and Learning" (mise en réseau et apprentissage).

iii.Linking and learning

Cette stratégie du "Linking and Learning" vise à favoriser la mise en réseaux, l'apprentissage réciproque entre organisations partenaires et ONG de développement. C'est un processus dynamique et collectif dans l'acquisition et le développement de nouv eaux savoirs. Dans cette optique, NOVIB soutient l'organisation de groupes de travails et de formations dans la plupart de ses pays partenaires. NOVIB fournit également un appui dans le choix et le recrutement de consultants (voir page 91). Ce processus est important pour les partenaires autant que pour NOVIB car il permet de disséminer l'information, les connaissances et les innovations pratiques, notamment en terme de genre et développement. De plus, les alliances entre les partenaires (organisations de femmes et organisations mixtes) d'une part, entre les partenaires et les gouvernements et secteur privé d'autre part, sont censés permettre aux partenaires d'augmenter les spheres d'influence politique. Ce processus de "Linking and Learning" s'applique également à NOVIB et à ses relations avec ses partenaires hollandais et européens (Eurostep, HIVOS, Oxfam International, etc.).

La première concrétisation de cette stratégie est le Gender Route Project, que nous analyserons plus loin.

Iv. organisation interne - organigramme

NOVIB est composée, comme toutes les autres ONG, d'une assemblée générale, d'un comité
fondateur (sorte de conseil d'administration) et d'une direction. Elle compte au niveau

228 NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p. 6.

opérationnel sur trois départements principaux: le département responsable des campagnes, celui des actions des groupes de pression et de la diffusion de l'information et enfin le département des projets. Ces trois départements dépendent de l'AG et du comité directeur. (voir annexe 2)

Nous notons à propos de la structure interne de NOVIB, l'existence d'un département "recherche et développement", qui a pour objectif, non pas de créer et produire des connaissances propres mais plutTMt de servir de "tête chercheuse". Il est composé de 6 "senior advisors" qui ont des compétences transversales (par exemple le genre). Ces conseillers collectent ainsi les informations provenant d'ailleurs, en participant aux conférences internationales, aux réunions de réseaux (ONG de développement mais aussi organisations de femmes, de migrants, etc.), ainsi qu'aux différents groupes de travail.

De ce département central dépendent différents "Focal Points" répartis dans le reste de la structure de NOVIB. Le département recherche et développement vit donc à la fois d'apports internes, provenant des autres services (notamment celui des projets) et d'apports externes (rencontres avec d'autres réseaux, ateliers de réflexion, groupes de travail, etc.).

Cette activité de "recherche et développement" est également basée sur un partenariat étroit avec les autres membres du Réseau Oxfam. Irma Van Dueren affirme ainsi que "rien ne se fait sans les autres Oxfams". Les différents membres du réseaux ont des principes d'actions (working principles) communs.229

L'objectif de ce département, comme l'ensemble de NOVIB, est de servir de pont entre les institutions et les partenaires. Il sert de base à l'activité de lobbying de l'organisation auprès des institutions internationales (Banque Mondiale, Nations Unies, etc.) ainsi qu'auprès des gouvernements (Pays-Bas et Union Européenne).

Bien que ne produisant pas de connaissances propres et ne fonctionnant pas comme un centre de recherche, contrairement à ce qui existe au sein d'Oxfam-GB, NOVIB, de par sa politique d'échange et de diffusion actif des connaissances, il contribue à la production d'un savoir résultant d'une pratique collective et permettant de redéfinir sans cesse les politiques et stratégies mises en Ïuvre. Cette politique bénéficie tant à NOVIB qu'à ses partenaires. NOVIB soutient et finance notamment de nombreuses publications de ses partenaires.

2. HISTORIQUE DU GENRE AU SEIN DE NOVIB i. Le genre et NOVIB en quelques dates

1981: L'assemblée générale décide de mettre l'accent sur la position des femmes au sein de NOVIB, de la société néerlandaise et dans le Sud.

1981: Constitution de la "Task Force on Women" (groupe de travail sur les femmes).

1983: Publication du document Femmes et coopération au développement qui décrit les facteurs historiques et sociaux qui déterminent la position des femmes et met en avant quelques recommandations d'actions.

1987: Suite aux conférences des Nations Unies, la Task Force on Women publie un document décrivant les principaux points politiques concernant les femmes et le développement qui seront utilisés dans les différents départements de NOVIB.

1989: Pour la première fois, les objectifs initiaux de l'approche "Femmes et développement" sont insérés dans le document de politique générale.

229 Entretien avec Irma Van Dueren, 26 aoilt 2002

1991: 'Countouren NOVIB-Vrouwenbeleid, werkplan 1991-1993' est publié. Ce plan d'action contient les objectifs débattus lors de consultations entre les différents départements de NOVIB. Ces objectifs améliorent la cohérence entre politiques internes et externes de NOVIB et pratiques.

1992-actuellement: La mise en oeuvre de la stratégie 'genre et développement' est intégrée dans les plans annuels, pluriannuels et le monitoring central de NOVIB.230

C'est au début des années 1980 que l'importance de prendre en compte les femmes dans le développement a été soulignée au sein de NOVIB. Adrie Papma et Ellen Sprenger racontent qu'en 1980, quatre membres du personnel de NOVIB ont pris sur leurs vacances (et leurs finances) pour se rendre à Copenhague oil se tenait le Forum de la Conférence de l'ONU sur les femmes. Ce sont sans doute gr%oce à ces femmes "rebelles"231 que 'tout a commencé'.232

Par la suite, la participation de NOVIB aux conférences internationales sur les femmes et le genre a été prise en charge par l'organisation et notamment par le groupe de travail sur les femmes qui fut créé en 1981, à la demande du Comité Directeur. Les liens que se sont tissés entre les femmes qui avaient été à Copenhague et certains membres du Comité Directeur ont été décisifs pour la suite de l'intégration du genre au sein de NOVIB, meme si on peut parler d'une réticence d'ensemble envers le genre au sein de NOVIB.

Malgré cette réticence, un texte consacré aux femmes dans la coopération au développement est rédigé en 1983. Quatre ans plus tard, un autre document décrit les points politiques qui fonderont l'intégration du FED au sein de NOVIB. Ce n'est cependant qu'en 1989 que ces objectifs sont intégrés dans les documents de politique générale. Presque dix ans ont donc été nécessaires pour que la question soit acceptée de facon institutionnelle et officielle dans l'ONG. Deux ans seront encore nécessaires pour qu'elle fasse l'objet d'une réflexion sur la cohérence entre politiques internes et externes. Ce n'est que dans le plan pluriannuel 1991- 1 993 que cette nécessaire cohésion sera intégrée et systématisée. Ce changement vient essentiellement du constat que le genre n'était pas structuré, ni au niveau interne, ni au niveau des partenaires.

Comme dans la plupart des autres ONG, et comme nous l'avions déjà noté auparavant, l'intéret porté aux femmes et au genre dépend largement, du moins dans ses débuts, des individus (souvent des femmes) qui prennent sur eux de défendre des idées féministes. Par ailleurs, le fait que beaucoup ne considerent pas encore les themes de genre comme faisant partie intégrante des projets, et que pour la plupart il ne s'agisse que d'un theme générant un surplus de travail rend tres difficile l'intégration du genre puisqu'il s'agit d'une question qui puise sa force dans sa globalité. Si elle n'est traitée que de maniere accessoire, les résultats ne peuvent etre probants.

Ce n'est guere différent au sein de NOVIB puisqu'il a fallu qu'une féministe arrive à la direction de l'organisation pour que la question du genre prenne réellement son "envol". En effet, les véritables changements ne sont apparus qu'en 1995, lorsqu'une femme, féministe, a été nommée à la direction.

ii. NOVIB et le féminisme

230 NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p. 11.

231 Lors de notre entretien, Irma Van Dueren parle de rebellion pour évoquer l'esprit qui animait les femmes qui ont été à Copenhague. Entretien avec Irma Van Dueren, 26 aoilt 2002.

232 PAPMA Adrie et SPRENGER Ellen, NOVIB y género: situaci--n actual y temas de debates, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de género en el desarollo, NOVIB, Edici--nes Red Entre Mujeres, Lima, 1994, pp. 211 -232, p. 218.

Nous avions évoqué le fait qu'ONG et féminisme ne faisaient pas toujours bon ménage et que dès lors que les idées féministes entraient dans des structures plus strictes, elles courraient le risque de se dépolitiser et de perdre ainsi de leur caractère novateur et dynamique. Cette question a bien évidemment été soulevée au sein de NOVIB et a donné lieu à une politique claire à ce sujet: l'objectif général est de renforcer le "leadership" des femmes et pour y arriver il faut qu'une réelle perspective féministe soit adoptée et transversalisée. Les moyens mis en Ïuvre pour y arrivés sont donc axés sur le partenariat avec, dans la mesure du possible, des organisations féministes. Ce partenariat est plus simple dans les régions oü les féministes sont bien implantées. Il est plus difficile d'avoir des partenaires féministes en Afrique, oü le terme est encore tabou et connoté comme étant occidental et oü les femmes ont encore des réticences à s'affirmer comme féministes, qu'en Amérique latine oü les femmes sont très bien organisées et ont une réelle tradition féministe.

L'utilisation du terme "féminisme" ou "féministe" n'est donc plus tabou, du moins dans le chef de certaines femmes à NOVIB. A cet égard, nous constatons que les deux personnes de NOVIB que nous avons rencontrées (Irma Van Dueren et Liesbeth Van der Hoogte), sont particulièrement engagées et ont des idées progressistes sur la question. L'apport des féministes est donc reconnu comme étant important. Elles ont, comme le souligne Ruiz, "proposé la possibilité de la transformation de l'oppression de genre, symbolique et structurelle" au sein du développement.233

En réalité, dire que c'est parce qu'une féministe est arrivée à la direction de NOVIB que les choses ont changé, est un peu faux: c'est parce que les choses ont changé qu'une femmes est arrivée à la direction de NOVIB. En effet si c'est effectivement gr%oce à l'intégration progressive des femmes dans les institutions et organisations, que la question de leur participation a été discutée au sein des sphères du pouvoir, c'est aussi gr%oce aux pressions incessantes en dehors de ces structures qu'elles ont pu y faire leur entrée. Le contexte international et la dynamique mondiale du mouvement des femmes autour de la Conférence de Pékin en 1995, qui a placé la question de genre au sommet de l'agenda public a également contribué à un changement au sein des partenaires de NOVIB. Tant au sein des organisations de femmes qu'au sein des organisations mixtes en effet, les femmes sont en demandes de formes de leadership alternatives et transformatrices, formes qu'elles retrouvent en partie dans la proposition de NOVIB. Un dialogue a dès lors été entamé entre NOVIB et les femmes travaillant sein de organisations partenaires afin d'acquérir plus de connaissances sur les thématiques de genre d'une part, sur les processus de changement organisationnel d'autre part.

233 RUIZ Carmen Beatriz, No tenemos todas las respuestasÉ pero las estamos buscando, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificación de género en el desarollo, NOVIB, Edici--nes Red Entre Mujeres, Lima, 1994, pp. 123-142, p.126.

3. LE GENRE DANS LES TEXTES DE NOVIB

A. Les objectifs généraux de NOVIB

Le genre est l'un des trois thèmes prioritaires de NOVIB. Les deux autres sont les droits humains et l'environnement. Ces trois thèmes constituent la base des orientations politiques de NOVIB, intégrées dans l'objectif fondateur qu'est la réduction de la pauvreté.234 Il est intéressant de constater la mise sur un pied d'égalité de ces trois thèmes.

NOVIB promeut, entre autres, l'établissement et le renforcement des organisations de femmes, leur accès et contrôle aux ressources ainsi que leur participation au processus de prise de décision. NOVIB suit ce faisant la tendance perceptible au sein des ONG qui est de favoriser une stratégie 'de bas en haut' (Down-up) visant à renforcer le pouvoir des femmes, tel qu'il est décrit par Razavi et Miller.235 Nous observons également que l'approche défendue par NOVIB dans l'intégration du genre dans le développement est celle de l'empouvoirement, son objectif étant bien de contribuer à ce que les femmes accèdent à des positions de leadership.236

B. L'approche Genre et Développement - Principes généraux

Au niveau de l'intégration du genre, la préférence est clairement donnée à l'approche "Genre et Développement" plutôt qu'à l'approche "Femmes et Développement". NOVIB considère en effet que mettre l'accent sur l'exclusion des femmes de l'accès et contrôle aux ressources ainsi que sur l'importance de l'intégration économique des femmes basées sur leur contribution particulière à la société ne suffit pas. Cette approche Femmes et Développement doit être dépassée, ce que fait, selon NOVIB, l'approche Genre et Développement. En allant au delà de la simple mise en place d'activités spécifiques pour les femmes et en prenant en compte le rôle des hommes dans le maintien de cette inégalité entre les deux sexes, l'approche GED fait une analyse des causes structurelles de cette inégalité. Pour arriver à empouvoirer les femmes, NOVIB veille à ce que les différents aspects de leur situation soient pris en compte, mais aussi à ce que ce soit les femmes elles-mêmes qui décident et définissent ce dont elles ont besoin.

Deux façons de faire face au fait que les femmes n'ont pas les mêmes opportunités que les hommes sont utilisées par NOVIB. La première est l'action affirmative (affirmative action ), tant dans les politiques internes que dans le choix des consultants, que dans le choix de thèmes de campagnes de sensibilisation intégrant le genre ou dans la décision d'affecter 15 pour cent du budget d'appui aux partenaires à des organisations de femmes. La seconde est l'analyse et l'action à partir d'une perspective de genre. C'est selon NOVIB une nécessité absolue que celle de revoir, de déconstruire et de reconstruire tous les concepts et façons de travailler en y intégrant cette nouvelle perspective.237

C. Les plans d'action

234 NOVIB's Mission and Aims, in More Power, less Poverty, opcit.

235 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995.

236 NOVIB, Novib's gender route project, Site web Gender at work, http://www.genderatwork.org/novib.php3. Voir également la partie consacrée aux objectifs du Gender Route Project, p. 92

237 NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p. 12.

Le genre est intégré dans les plans d'actions pluriannuels sous forme de criteres de base en termes de politiques et d'objectifs. L'objectif premier et fondateur de NOVIB étant, à l'instar de celui d'OXFAM, la lutte contre la pauvreté, le fondement de la politique est, en terme de genre, la reconnaissance de la relation étroite qu'il y a entre les inégalités entre hommes et femmes et la pauvreté structurelle. NOVIB soutient donc le renforcement de la capacité organisationnelle des femmes, dans le but d'augmenter et de faciliter leur acces aux ressources et services, mais aussi de leur permettre d'augmenter le contrTMle sur leur corps. Ce développement des capacités organisationnelles doit également permettre aux femmes de disposer d'un espace au sein duquel elles pourront développer des stratégies alternatives dans le but de lutter contre les inégalités entre hommes et femmes à tous les niveaux.

Parmi les objectifs de NOVIB dans le domaine du genre figuraient, pour 1997:

n arriver à avoir un dialogue et un echange d'information sur le genre et le
développement avec la majorité de ses partenaires, et cela avec des résultats visibles.

n que l'appui financier aux organisations de femmes soit maintenu et qu'une amélioration qualitative de l'appui et des services prodigués à ces organisations.

n que le lien entre la diminution structurelle de la pauvrete et la nécessité d'améliorer la position de femmes soit partie intégrale des activités de lobby et de sensibilisation de NOVIB.

n une meilleure formation du personnel dans le domaine genre et développement238

L'accent est mis, dans les grands principes, sur le dialogue avec les partenaires, l'information et la formation tant du personnel de NOVIB que des partenaires. Le dialogue avec les partenaires, du Sud, mais également du Nord, est une constante de l'action de NOVIB. On pourrait même dire qu'elle est la clé de voiate de tout le travail de l'ONG. C'est autour de cette relation que gravitent toutes les activités. Dans l'intégration du genre, NOVIB veille autant à l'intégration du genre dans ses structures que dans celles des partenaires239

4. L'INSTITUTIONNALISATION ET LA TRANSVERSALISATION DU GENRE

Institutionnellement, la politique de genre et développement est, selon les termes de Papma et Sprenger, "consolidee". C'est à dire que les politiques et pratiques de genre sont un élément fixe dans le travail de l'organisation. Il y a des fonctionnaires et des experts en genre à différents niveaux et dans tous les départements. Ces personnes sont habilitées à prendre des initiatives lorsque l'occasion se présente, même si, comme les deux auteurs le reconnaissent, les décisions finales restent du ressort de la direction.240 Une structure hiérarchique est donc largement maintenue.

Cette institutionnalisation du genre ne s'est pas faite sans mal. L e groupe de travail sur les femmes, mis en place en 1981, ne disposait d'ailleurs que d'un mandat limité aux seules actions d'éducation et de projets et n'avait aucun pouvoir sur la structure interne de l'organisation.241 Or une politique de genre ne pouvait être développée de facon cohérente à

238 PAPMA Adrie et SPRENGER Ellen, opcit, p. 212 (nbp). Voir aussi le Plan d'action pluriannuel de NOVIB, 2001- 2 004.

239 NOVIB (VAN DUEREN Irma): Novib's gender route project, Site web Gender at work, http://www.genderatwork.org/novib.php3

240 PAPMA Adrie et SPRENGER Ellen, opcit, p. 213.

241 ibidem, p. 219.

l'extérieur si elle n'était pas appliquée a l'intérieur. Ce sont les partenaires du Sud de NOVIB (surtout les sud-américains - nous y reviendrons) qui ont adressé cette critique a l'ONG.242

Cela aurait tendance a corroborer notre pressentiment selon lequel les ONG européennes (entre autres) ont tendance a prêcher a l'extérieur ce qu'elles sont loin d'appliquer a l'intérieur mais également que le changement structurel nécessaire a l'intégration du genre ne dépend pas uniquement du bon vouloir de certaines personnes. Il est limité au pouvoir que ces personnes ont au sein de leur organisation et ce pouvoir est directement lié a sa compréhension de l'importance de l'enjeu. Maintenant, savoir si l'acceptation du genre par les gens disposant du pouvoir d'influer réellement sur les politiques est dii a une réelle conscientisation ou si c'est du a un simple effet de mode est une tâche ardue, voire quasi impossible. En 1993, un séminaire organisé par EUROSTEP, réseau d'ONG de développement européen, est consacré a la question du changement institutionnel nécessaire a l'intégration du genre dans les ONG de développement. NOVIB, en tant que membre du réseau y participe de manière active. 243

Si l'on se fie aux textes de NOVIB ainsi qu'aux entretiens que nous avons eus avec deux membres du personnel de l'ONG (Irma Van Dueren - département Recherches et Développement et Liesbeth Van Der Hoogte - responsable genre en Amérique latine au département des projets), les efforts

effectués par NOVIB dans le domaine du changement organisationnel et de la sensibilisation au genre au sein de ses structures sont énormes et payants. NOVIB est donc une organisation considérant le genre comme une pratique, interne et externe.244

A. La transversalisation du genre par départements

Dans la politique de genre de NOVIB, la tranversalisation du genre est un aspect essentiel. Leur conviction est que tous les aspects de l'organisation doivent être "engendered". Différents objectifs ont donc été définis pour favoriser, au sein des différents départements, l'intégration du genre. Ces objectifs sont décrits dans le documents "More power, less poverty". En voici les grandes lignes.245

i. Département du personnel

C'est le département du personnel qui, durant les années 1980, était responsable de la mise en Ïuvre du genre au niveau interne. S'il a mis du temps a être réellement actif, on peut considérer qu'un long chemin a été parcouru. Parmi les objectifs a atteindre en 2000 figurait entre autre l'attribution de la moitié au moins des postes de cadres moyens et supérieurs aux femmes.246 Figurent également parmi les objectifs la recherche d'une plus grande diversité

242 NOVIB, A Framework for Organizational Gender Diagnosis, Site web Gender at work, http://www.genderatwork.org/novib.php3.

243 Les résultats de ce séminaire ont été compilés dans l'ouvrage suivant: MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995.

244 Un tableau reprenant la position par rapport au genre de diverses organisations membres de EUROSTEP différencie les ONG qui considèrent le genre comme étant "une bonne idée", "une bonne idée dans les textes", "une pratique". Ces trois positions sont différenciées selon qu'elles sont appliquées a l'interieur de l'organisation ou avec les partenaires. MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995, p. 31.

245 More power, less poverty, opcit, pp. 15-21.

246 Il est habituellement estimé que le seuil de 30 a 35% de personnel féminin constitue un seuil critique dans l'intégration du genre dans une organisation(ce seuil est le même pour l'intégration de toute nouveauté au sein des organisations).

ethnique ainsi que le respect des différences (genre, préférences sexuelles, différences ethniques). Enfin, tous les départements de NOVIB compteront parmi leur personnel des experts en genre. Parallèlement la politique d'action affirmative sera étendue à la questions de l'ethnicité et une "Task Force on Diversity" est mise en place.

ii. Département des projets

Comme nous l'av ions déjà vu plus haut, l'approche GED est favorisée et transversalisée. Suite, à une étude effectuée en 1995 montrant que seuls 30% des partenaires ont une politique de réduction des inégalités de pouvoir entre hommes et femmes, les critères de sélection des partenaires sont redéfinis, et durcis. Ils deviennent le "feu de signalisation" (voir plus loin), ensemble de critères permettant de mesurer l'intégration du genre au sein des ONG partenaires.

Celles-ci faisant de plus en plus de demandes en terme de conseil et de soutien organisationnel, NOVIB tentera d'améliorer et de diversifier le réseau d'experts auquel les partenaires ont accès (élaboration d'un répertoire des consultants et experts, diversification des domaines d'expertise du genre dans les domaines suivants: changement organisationnel, crédit, aide d'urgence, action affirmative, droits humains et environnement).

La participation des femmes et des personnes sensibilisées au genre sera systématiquement promue lors des ateliers, formations et réunions.

La stratégie de "Linking and Learning" sera augmentée, tant au niveau des organisations de femmes que des organisations mixtes mais également entre NOVIB et les autres centres de formation (du Nord et du Sud) ainsi qu'avec les autres bailleurs de fonds (Eurostep, Oxfam International, Hivos, etc.).

En plus de ces objectifs, des indicateurs sont mis au points pour permettre aux partenaires d'évaluer leur "sensibilité au genre". Ces indicateurs de "Good Gender Practice" sont au nombre de cinq:

· interaction active avec les femmes et apprentissage à partir des femmes dans les groupes cibles;

· une politique de genre spécifique;

· une expertise de genre "suffisante";

· une stratégie de "linking and learning" avec d'autres organisations et acteurs actifs dans le GED;

· un dialogue avec NOVIB sur le genre.247

En termes d'objectifs chiffrés, il est prévu que 50 à 70% des fonds alloués par NOVIB permettent l'accroissement du contrôle des femmes sur leur propre processus de développement. Dans chaque pays, une organisation partenaire au moins (si possible deux) sera une organisation de femmes (15% des partenaires doivent être de telles organisations).

· Quelques chiffres

En 1996, 17% des partenaires sont des organisations de femmes, contre 10% en 1990. De plus, 30% des partenaires sont activement engagés complètement dans les "bonnes pratiques de genre" (les cinq indicateurs sont vérifiés), tant au niveau interne qu'externe, alors que 30% sont dans un processus de changement dynamique visible au niveau organisationnel (ils

247 NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p. 17.

montrent entre 2 et 4 des cinq indicateurs des "bonnes pratiques de genre"). Les 40% restant ne montrent aucune volonté à contribuer à l'augmentation du contrôle des femmes sur leur propre développement. Cette même année, 40 à 50% des fonds alloués par NOVIB atteignent les femmes marginalisées et 30% ont contribué à accro»tre le contrôle des femmes sur leur propre développement.248

iii. Département des campagnes

Ce département a deux objectifs: la sensibilisation de la population néerlandaise à la coopération au développement et la récolte de fonds. Le point principal qui est défendu lors de ces campagnes est que, malgré la pauvreté le rôle des femmes dans la gestion communautaire et familiale est très important. Il y a une volonté de la part de NOVIB de démystifier la femme du Sud et de détruire les stéréotypes de la femme faible, passive et dépendante. Dans l'avenir NOVIB tentera également, lors des campagnes, de mettre l'accent sur les relations de pouvoir entre hommes et femmes, soulevant ainsi la question de la position sociale et légale des femmes. Le département des campagnes fournira toujours des données par genre sur les résultats obtenus par NOVIB.

Des lignes directrices concernant la communication de genre (termes à utiliser, aides visuelles, etc.) seront établies.

iv. Département Information et lobby

Les trois thèmes prioritaires de NOVIB (environnement, droits humains et genre) sont intégrés dans le travail d'information et de lobby de l'ONG. NOVIB est donc présent dans les forums internationaux, tant ceux des Nations Unies que les forums altermondialistes (FSM). Des réunions préparatoires à ces rencontres sont organisées entre les ONG de développement et les organisations de femmes. NOVIB y joue un rôle de médiation. Les thèmes de lobby sont tous basés sur une analyse de genre ainsi que sur des thématiques prioritaires pour les femmes, en mettant l'accent sur la position socio-économique et la participation politique des femmes. Parmi les thèmes de lobbying figureront l'éducation, les soins de santé, les revenus et les ressources productives. Comme dans le département des campagnes, les stéréotypes

sur les femmes seront défiés. L'expertise sur l'accès des femmes aux services sociaux de base sera également accrue. La politique du "Linking and Learning" sera également poursuivie et renforcée.

La transversalisation du genre n'est donc pas un simple mot pour désigner son institutionnalisation. Elle signifie bien que "rien ne sortira de NOVIB, qui ne soit pensé en des termes de genre."

248 idem

B. Les acteurs intervenants dans l'intégration du genre

i. Novib

Le rôle de NOVIB dans l'intégration du genre est principalement de deux ordres: interne et externe.

Au niveau interne, NOVIB cherche à appliquer ce qu'elle prône pour ses organisations partenaires: le changement organisationnel. Dans cette optique, une aide est accordée au personnel pour qu'il puisse construire les outils nécessaire à mesurer l'impact de son action. Cela implique de comparer, d'innover, d'améliorer les différentes expériences. Le département "recherche-développement" joue ici un rôle important.

Au niveau externe, le rôle de NOVIB est de soutenir les femmes dans la mise sur pied de leurs propres organisations et soutien à l'intégration des objectifs de l'équité de genre dans les organisations mixtes. Parallèlement, NOVIB soutient les efforts d'échange d'information et de mise en réseau entre les organisations de femmes et les organisations mixtes.

ii. Les consultants

L'un des rôles principaux de NOVIB étant d'aider les partenaires dans l'acquisition et la mise en commun de nouveaux savoirs ainsi que dans la formation technique et organisationnelle, le rôle des experts en genre est primordial. Les experts sont actifs au sein de NOVIB mais également au sein des organisations partenaires. Ce sont des indépendants qui sont chargés de promouvoir et de facilité les processus d'apprentissage de genre. Ils ont un rôle de conseil et de monitoring. Ils veillent à ce que le genre soit toujours à l'ordre du jour et que de nouvelles connaissances et capacités soient disponibles. Ces experts peuvent agir soit de manière centralisée (une unité "genre" ou "femmes" spécialisée), soit de manière décentralisée (experts de genre dans toute la structure). Une combinaison des deux modèles permet d'agir tant au niveau de l'élaboration des politiques qu'à leur mise en Ïuvre. 249

iii. Les partenaires

NOVIB travaille avec trois types de partenaires: les organisations de base (grassroots organisations), les organisations intermédiaires et pourvoyeuses de services et les réseaux. Le genre est mis à l'ordre du jour de ces trois types d'organisations depuis le début des années 80. Lors du séminaire de 1992, déjà cité, sur l'intégration du genre dans les organisations, sont soulignés nombre de problèmes pouvant surgir lorsqu'on travaille autour du genre dans le cadre du développement. Si pour les ONG du Nord et les institutions internationales, le terme "genre" a une signification précise et claire (ce qui reste encore à prouver dans de nombreux cas), ce terme est souvent sujet de perplexité pour les organisations et populations partenaires du Sud.250 Il ne s'agit pas d'ignorance mais plutôt d'une incompréhension. Le fait de travailler avec travailler avec des organisations de femmes (au moins une par pays) favorise comme nous l'avons vu plus haut la réflexion autour de la question du genre et des meilleures manières de l'intégrer au sein des organisations et des projets. 251

249 More Power, less Poverty, opcit, p. 24.

250 MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995, p. 56.

251 voir Transversalisation du genre par départements, département des projets, page 89.

Il est indispensable, selon NOVIB, que les changement en termes de genre soient voulus et ressentis comme nécessaires par les partenaires. Si ce n'est pas le cas, les changements ne seront qu'une façade et ce quelque soit le type de partenaires. Toutefois, ce n'est qu'en 1995 que NOVIB a commencé à revoir ses procédures d'attributions de financements en accordant une attention particulière au genre. C'est à ce moment que le "feu de signalisation" a été élaboré, avec le concours des partenaires. Il a été utilisé à partir de 1997.

5. LES PROJETS SPECIFIQUES D'INTEGRATION DU GENRE

Afin d'améliorer l'intégration du genre au sein de ses structures mais également afin d'aider ses partenaires à faire de même, NOVIB utilise deux outils. Le premier est d'ordre organisationnel: le Gender Route Project. Il a pour objectif le changement organisationnel nécessaire à l'intégration du genre. Le second est un outil d'évaluation: le feu de signalisation.

A. Le gender route project

i. Description du projet

Parmi les projets spécifiques concernant le genre au sein de NOVIB, le Gender Route Project est le plus remarquable. Il s'agit d'un projet de grande ampleur tournant autour du changement organisationnel et l'égalité de genre, impliquant 35 organisations partenaires et s'étalant sur une durée de trois ans. Le postulat de base est que les changements internes dans la structure, les systèmes et la culture organisationnels sont une pré-condition pour une intégration effective des objectifs d'égalité de genre dans les programmes de développement. Plus qu'un réel projet, c'est un processus d'apprentissage (a learning process) qui tente

de répondre aux trois questions suivantes:

· Quels seraient les bons critères de bonnes pratiques de genre utilisés dans l'évaluation des demandes de financement?

· Comment NOVIB peut-il, en tant que bailleur de fonds, apporter son soutien aux
partenaires dans leurs processus de changement vers les bonnes pratiques de genre?

· Comment les partenaires voient-ils les efforts de NOVIB pour avoir des bonnes pratiques de genre?

· Les objectifs

Trois acteurs sont impliqués dans ce projet: Novib, les partenaires locaux et les consultants. Ces acteurs ont un objectif général à long terme et des objectifs étalés sur cinq ans. L'objectif à long terme est:

L'empouvoirement des femmes marginalisées et sans ressources en termes d'organisation, d'accès et contrôle sur les ressources économiques et écologiques, les services sociaux de base, la prise de décision (politique), le contrôle de leurs corps et l'élimination des stéréotypes. Le but ultime est l'égalité des droits et des opportunités des femmes et des hommes.252

Les objectifs pour les cinq ans sont:

252 NOVIB, En route, p. 6.

n Pour les partenaires:

- les activites auront ete effectuees avec le groupe cible, et auront permis d'atteindre l'objectif final ou sont supposes le faire;

- pendant le GRP, les partenaires auront atteint des resultats concrets dans leur organisation interne;

- les partenaires auront ameliore leurs connaissances et savoir-faire dans le domaine du genre et du developpement organisationnel.

n Pour Novib:

- une comprehension de comment Novib, dans son rTMle de donateur, peut au mieux soutenir et promouvoir l'apprentissage de genre et les 'good gender practices' au sein des organisations partenaires. Ceci inclus la comprehension des strategies et des instruments qui sont le plus adaptés à des conditions particulieres;

- amelioration des connaissances et des 'skills' (habilites) dans le domaine du genre et du developpement organisationnel;

- amelioration de la comprehension de comment les partenaires evaluent

n Pour les consultants:

- Les consultants impliqués dans le GRP auront acquis de nouvelles compétences et de
nouveaux savoir-faire dans le domaine du genre et du développement organisationnel.

n les phases du projet

Durant les trois années que dure le GRP les partenaires sont censés suivre un processus leur permettant d'ameliorer leurs politique et programmes de genre. Le plan de travail ainsi que l'echeancier a ete defini par le coordinateur de genre. Il a ensuite ete discute par les bureaux regionaux et approuve par l'equipe de direction. La mise en Ïuvre du projet est du ressort des bureaux régionaux, aidés par de Gender Focal Points. Le GRP est divise en quatre phases:

n invitation des partenaires et introduction du projet

n auto-diagnostique de la structure et culture de l'organisation ainsi que des relations avec les autres organisation. Ce diagnostique sert à l'elaboration d'un plan d'action adapts à chaque organisation

n la mise en Ïuvre du plan d'action par les partenaires

n l'evaluation du processus GRP

Le GRP est considers comme un "package": il est prevu pour un groupe de participants commencant un projet en même temps, et se deroule de la meme facon dans le meme laps de temps; et un modele: c'est la première fois que NOVIB mettait en Ïuvre un projet "linking and learning". En plus de repondre aux objectifs mentionnes ci-dessus, le GRP devait egalement generer des lecons sur le processus suivi par NOVIB et ses partenaires. Ces lecons devant servir pour un processus de réflexion plus large au sujet de la cooperation entre donateur -partenaire.

Le GRP n'est cependant pas figé et chaque partenaire est encourage à developper sa propre strategie et d'emprunter "sa propre route". C'est de cette diversite d'experiences que doit se nourrir le GRP.

ii. Grille d'analyse utilisee pour le diagnostique de la sensibilite de genre au sein des organisations

Pour effectuer l'auto-diagnostique de sensibilité de genre préalable à la mise en oeuvre du GRP, NOVIB utilise une grille connue sous le nom de "Modèle des Neuf Cases". Cette grille, élaborée doit permettre aux organisations d'auto-évaluer leur sensibilité au genre au niveau organisationnel. (voir Annexe 3, page 119). Elle met en rapport trois aspects cruciaux d'une organisation:

· la mission (ou le mandat) indique ce que l'organisation désire accomplir (objectifs, stratégies, etc.);

· la structure de l'organisation indique les rTMles, les responsabilités, l'autorité, les méthodes de travail ainsi que le flux d'information;

· les ressources humaines font référence aux gens qui travaillent dans l'organisation et à leurs caractéristiques.

Ces trois aspects sont mis en rapport avec trois niveaux (ou sous-systèmes) auxquels il faut travailler pour entamer un processus de changement: les sous-systèmes technique (ressources sociales, techniques et financières), politique (allocation du pouvoir organisationnel - qui influence quoi et comment) et culturel (normes et valeurs de l'organisation, atmosphère, interactions avec les relations extérieures).

Cette grille permet de voir clairement quels sont les mécanismes à mettre en Ïuvre pour que le changement soit le plus efficace possible.

iii. evaluation du GRP

L'évaluation finale du GRP est complexe et remplit plusieurs objectifs. Elle vise à évaluer les changements qui ont eu lieu dans les politiques, les programmes et les structures en terme de genre mais aussi quels ont été les bénéfices tirés de ce changement par NOVIB et ses partenaires. L'évaluation servira aussi, plus pragmatiquement, à évaluer si les objectifs ont été atteints et s'ils sont durables. Elle évaluera également quels sont les acquis en termes d'égalité de genre pour les femmes et les hommes des groupes cibles. Un autre point important dans l'évaluation est celle qui est faite par les partenaires sur l'action de NOVIB en termes d'intégration du genre.

Toutes les organisations participantes au GRP participeront à l'évaluation. Deux tiers d'entre elles feront une auto-évaluation alors que les autres, constituant un échantillon représentatif seront évalué par un équipe externe. La méthodologie générale de l'évaluation a été développée et discutée avec les partenaires.

B. Le "feu de signalisation"

Le 'feu de signalisation' fait partie d'un arsenal de critères qui sont utilisés dans l'évaluation des "bonnes pratiques" (good practices) de genre, principalement pour les décisions de financements de partenaires du Sud. Alors que la plupart des partenaires de NOVIB avaient commencé à mettre en place des projets de femmes ou des départements chargés de FED au sein de leurs organisations dès le début des années 90, les rapports d'évaluation montraient que ces programmes ne répondaient pas aux attentes. C'est suite à ces évaluations que NOVIB s'est rendu compte que les organisations "ne regardaient pas la réalité avec des lunettes de genre" qui rendraient toutes les activités plus sensibles au genre et qui constituerait une garantie pour un développement équitable au niveau du genre.253

Le feu de signalisation est un ensemble de sept critères permettant de rendre

compte de la

dynamique du changement dans l'intégration du genre dont doivent faire preuve les

253 NOVIB, Novib's gender route project, Site web Gender at work, http://www.genderatwork.org/novib.php3

organisations faisant une demande de financement à NOVIB. Ces sept critères sont les suivants:

1. Il y a un échange actif de connaissances et information, ou une coopération avec d'autres organisations sur ces questions et approches.

2. Une analyse de genre est développée et se reflète dans la politique des partenaires. Cette politique est incluse dans le développement et la mise en Ïuvre de toutes les politiques et programmes.

3. Plus de 30% des cadres moyens et supérieurs (middle and senior management) est composé de femmes et/ ou l'organisation cherche activement à recruter des femmes pour les postes de décision .

4. L'organisation récolte des données "gender disaggregated" et d'outils de monitoring et d'évaluation

5. Il y a une expertise de genre suffisante et appropriée au sein de l'organisation.

6. Les femmes (et les filles) bénéficiaires participent au processus de prise de décision lors de la préparation, la mise en Ïuvre, le 'monitoring' et l'évaluation des projets et programmes.

7. Les activités 'défient' (challenge) la division sexuelle du travail existante ainsi que les stéréotypes sur la masculinité et la féminité.254

L'existence de ce feu de signalisation nous permet de comprendre mieux comment travaille NOVIB et surtout, quels sont les points que l'ONG souhaite mettre en évidence dans son travail avec ses partenaires du Sud. Plutôt qu'une série de critères coercitifs pour les partenaires, il s'agit de l'énonciation claire de ce qu'entend NOVIB par "intégration du genre dans le développement". Ces critères servent donc à "encadrer" l'intégration du genre

dans les structures, donnant les grandes lignes de ce qui doit être pris en compte. D'après Irma Van Dueren, plutôt que des critères potentiellement excluants, il s'agit au contraire de lignes de conduite directrices. Elles doivent également permettre d'entamer le dialogue sur le genre avec les partenaires, servant à la fois de point de départ et d'arrivée du processus d'intégration du genre.

Suivant qu'elles remplissent tous ou certains critères les demandes de partenariat sont acceptées ou non. Des partenariats A la manière du feu de signalisation les organisations sont classées en trois catégories:

- Verte: l'organisation répond à 6 ou 7 des critères: le partenariat est accepté ou poursuivi

- Jaune: l'organisation répond à entre 3 et 5 critères: le partenariat est accepté ou poursuivi mais accompagné de mesures spécifiques.

- Rouge: l'organisation répond à 2 critères ou moins: le partenariat est refusé ou stoppé.

NOVIB a constaté que les partenaires "rouges" étaient dans la plupart des cas, des partenaires avec lesquels la relation n'est pas satisfaisante dans tous les autres domaines et que le partenariat était donc voué à se terminer.

Chapitre III: Le genre en pratique:

réussites et limites en Amérique latine

254 NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p. 22.

Après avoir dresse un panorama general de ce que fait NOVIB dans le domaine du genre, dans ses pratiques et ses projets, nous observerons ce qui est fait en Amerique latine.

Nous observerons dans un premier temps les tendances generales de l'action de NOVIB pour ensuite voir quels sont ses partenaires et quels sont les projets qu'ils developpent individuellement. Nous evoquerons egalement les trois projets collectifs qui ont eté mis en route avant la mise en Ïuvre du GRP. Nous analyserons egalement les résultats de ce dernier dans cette région. 255

1. TENDANCES GENERALES DE L 'ACTION DE NOVIB EN AMERIQUE LATINE256

En Amerique latine, trois objectifs ou axes de travail sont poursuivis: la lutte directe contre la pauvrete, le renforcement de la societe civile et les actions de lobby .

Le budget consacre à la lutte directe contre la pauvrete a augmente ces dernieres annees, aux depends des autres strategies d'intervention. Alors qu'elle n'intervient pas normalement dans l'aide d'urgence, NOVIB a cependant debloque des fonds, notamment suite à l'ouragan Mitch et aux inondations au Venezuela.

Dans le renforcement de la societe civile, l'accent est essentiellement mis sur la mobilisation des forces pour l'acces aux ressources qui sont disponibles ainsi que le renforcement de la participation de la populations aux processus decisionnels (aux niveaux locaux et nationaux). La priorite est egalement mise sur la democratisation et la decentralisation administrative ainsi que sur la constitutions de capacite de "contre-pouvoirs" des organisations populaires et des instituts de connaissance.

Au niveau national et international, le lobbying s'exerce essentiellement afin d'influencer la politique des autorites et attirer leur attention lors des forums internationaux sur les engagements pris auparavant (concernant les droits humains, notamment).

En termes de plans strategiques nationaux, l'accent est mis sur le droit à l'acces aux services sociaux de base (dans les domaines de la santé reproductive et de l'education).

En 2000 le nombre de partenaires en Amerique latine etait de 256. Ce nombre est voue à diminuer puisque le nombre de partenariats qui prennent fin est plus grand que le nombre de liens qui se creent. Cette situation est due tant à des resultats decevants qu'à la nonconformite des projets avec le cadre politique de NOVIB. La concentration geographique croissante contribue egalement à la diminution du nombre de partenaires. Les programmes sont contrTMlés à 98% par les responsables locaux.

255 Nous precisons ici que cette partie est uniquement basee sur les informations discursives que nous avons pu recueillir sur l'action de NOVIB en Amérique latine. Nous n'avons en effet pas pu avoir acces à des données plus spécifiques sur ce qui est fait dans la region. Les seuls contacts que nous avons pu avoir avec des responsables de NOVIB ont été, bien que tres utiles, pas assez complets faute de disponibilité de leur part. Nous le regrettons vivement. Nous estimons néanmoins pouvoir donner un aperçu assez large que pour pouvoir en tirer quelques conclusions.

256 voir Annexe 2, NOVIB, Rapport annuel 2000, La Haye, 2001 (version en ligne sur http://www.novib.nl)..

2. LES PARTENAIRES ET LEURS PROJETS257

Nous examinerons à la suite, quelques projets mis en place en Amerique latine: trois projets qui sont issus d'une ONG en particulier et quatre projets collectifs et transnationaux.258

A. Projets de partenaires individuels

Nous avons choisi de decrire brievement la situation de quelques partenaires de NOVIB (qui participent au GRP) et de montrer quels sont les projets relatif à l'integration des femmes et/ou du genre qu'ils avaient mis en place avant leur participation au GRP. Nous pourrons, dans une certaine mesure, nous rendre compte du chemin qu'ils ont dia parcourir pour integrer le genre dans leurs organisations et dans leurs pratiques.

CESAT, Bolivie:

Le CESAT est une organisation fournissant une assistance technique dans le domaine agricole et active dans le renforcement des organisations paysannes ainsi que dans l'accroissement de la participation populaire au niveau local. Depuis le début des annees 90 une "unite Femmes" existe au niveau de la mise en Ïuvre des projets. L'objectif principal de cette unite etait de rendre les femmes visibles pour le staff technique. A partir de 1993, suite à une evaluation de son programme Femmes financee par NOVIB, des ateliers externes et internes sur le genre ont ete organisés. Cependant, ces ateliers, donnés par une etudiante anglaise, etaient trop theoriques et les connaissances pratiques sur les relations de genre dans les communautes andines etaient peu développées. La transversalisation du genre est restée au stade du vÏu pieux.

Cet exemple illustre d'une part la difficulte de passer d'une approche FED à une approche GED, et d'autre part montre la necessite pour les formateurs et les consultants d'avoir une connaissance approfondie de la realite des populations et des groupes avec lesquels ils travaillent. Sans cela, la plupart de tentatives d'integration du genre sont vouees à l'echec.

LABOR, Perou

Cette organisation est issue du monde syndical, traditionnellement tres active au niveau public notamment dans l'education et la formation des organisations de base et des syndicats. Son objectif est de leur permettre de s'integrer dans les débats publics. Ses programmes concernant les femmes ont toujours eté complementaires au monde du travail masculin: activites de subsistance, sante reproductive et defense legale. En 1987, LABOR a integre une equipe inter-institutionnelle travaillant avec les organisations de femmes qu'elle a quittée six ans apres pour des raisons de differences idéologiques et conceptuelles. En 1993, la perspective de genre a ete adoptée dans le plan strategique. Malgre cet acquis, l'organisation est peu au fait des conséquences pratiques de l'adoption de cette perspective de genre. LABOR a egalement mis sur pied un projet nomme "reunions de couples (maries) visant à diminuer les tensions domestiques et à identifier entre autres, les programmes generateurs de revenus.

Cette exemple illustre deux points que nous avions souleves auparavant: les differences qu'il
peut y avoir entre les organisations travaillant dans le "social" et les mouvements de femmes

257 Pour ce chapitre, nous nous basons essentiellement sur le document: NOVIB, "En Route". Evaluation of the Gender Route Project, La Haye, 2001, ainsi que sur les commentaires qui nous ont été faits par Irma Van Dueren et Liesbeth Van Der Hoogte.

258 Méthodologie d'analyse: Pour cette partie concernant les projets en Amérique latine, nous décrirons briévement le projet et l'ONG pour ensuite faire un commentaire. Cette façon de faire nous permettra de mettre en exergue les points principaux, développés auparavant.

ainsi que le risque de reproduire les schémas de pensée et de structure sociale classique, contraire à l'intégration du genre (ici la persistance de la vision en termes de rTMles traditionnels).

FUMA, El Salvador

Cette organisation a commencé par des activités d'urgence avec les populations urbaines. Depuis les accords de paix en 1992, elle a diversifié ses actions, en mettant l'accent sur la santé, l'éducation et la participation communautaire, notamment dans la conscientisation des populations à ces thématiques. Des 1992, les membres du personnel (hommes et femmes) de l'organisation on participé à des ateliers sur le genre donnés par des consultants de genre locaux, en particuliers des membres de collectif féministe Las Dignas . FUMA a eu la plupart du temps une directrice. De plus FUM A a également intégré la perspective dans son projet "Mother & Children Health Care Project": ce projet stimulait le recrutement de "volontaires de genre" dans les villages et les sensibilisait à l'intérêt de disposer d'indicateurs de genre dans les soins de santé reproductive.

FUMA est certainement dans une dynamique réelle de formation du personnel et de transversalisation du genre au niveau organisationnel. Proche de la population elle veille à la sensibilisation et à la participation. En s'adressant à des groupes féministes pour la consultance, FUMA fait le lien qui manque souvent entre les organisations socio- économiques et les féministes.

Ces trois exemples illustrent la tentative de passage de l'approche FED à l'approche GED. Cette bonne volonté reste cependant souvent limité à un changement discursif, n'étant pas accompagnée d'une réelle volonté de changement de l'organisation, ni la ma»trise des outils nécessaires à la mise en oeuvre de cette approche GED dans les projets. Ils montrent également l'ouverture de NOVIB aux différents types de partenariats, ainsi que l'importance qui est accordée à "l'expertise féministe" dans le domaine du GED. Ils illustrent également la difficulté qu'il y à la création d'une communauté d'intérêts autour de cette question.

B. Les projets collectifs (hors GRP)

Préalablement à la mise en oeuvre du GRP, d'autres projets concernant le Genre ont été mis en place en Amérique latine. Parmi eux, le réseau Entre Mujeres, un programme d'échange d'expertise et l'Escuela de Género en Colombie et finalement la Coordinadora de la Mujer en Bolivie. Ces programmes illustrent les différents axes de la politique de NOVIB et montre notamment la part qui est accordée à chaque acteur: partenaires, experts/consultants et NOVIB mais également l'importance qui est portée à la réflexion, la formation et le changement organisationnel dans l'intégration de la perspective de genre.

Reseau Entre Mujeres

En 1987, le réseau Entre Mujeres à été fondé. L'objectif de ce réseau Sud-Nord, constitué de NOVIB et de cinq centres de femmes sud -américains, est d'agir comme groupe de pression au niveau international ainsi que de promouvoir la sensibilité au genre dans tous les projets soutenus par NOVIB dans la région. Nous avions souligné que parmi les objectifs de NOVIB figurait la nécessité, dans chaque pays, d'avoir au moins une organisation de femmes comme partenaire. Le réseau Entre Mujeres a pour objectif d'améliorer et de faciliter la prise de conscience de l'importance de la perspective de genre par les autres organisations de développement de la région. Cette tentative n'a pas rencontré le succes escompté. En effet, les organisations de femmes n'ont pas réussi dans leur t%oche de diffusion de la sensibilité de genre. En réalité, la t%oche de mettre le genre à l'ordre du jour à souvent été remplie par des groupes thématiques faisant partie des plates-formes nationales. Les différents membres du

reseau n'avaient visiblement pas la même vision des manieres d'exercer ce rTMle dans la pratique et n'ont donc pas reussi à etablir des relations de travail positives avec les autres partenaires de NOVIB.

Cette difficulté confirme ce que nous avions remarque dans notre partie sur les feminismes en Amerique latine, sur les conflits et difficultés qui peuvent surgir entre les feministes d'une part, les mouvements de femmes ou organisations plus axees sur des problematiques d'autre part. Le fait que ce soient les groupes thematiques sur le genre qui aient le mieux reussi à introduire le genre dans les differentes organisations demontre egalement le peu d'influence et de capacite à créer

une communaute d'interet des feministes latino-americaines.

n Programme d'echange d'expertise

En 1991 un programme d'echange d'expertise de genre est mis en place au niveau regional. Il s'adresse principales aux consultants et autres experts. NOVIB a organise un atelier avec les differents consultants regionaux afin de discuter le rTMle de l'evaluation, du monitoring et de la formation des partenaires dans le domaine du genre. Suite à cet atelier les reseaux des consultants se sont vu renforces, tant dans leurs relations avec les organisations partenaires qu'avec le Sistema de Apoyo (bureaux de mediations mis en place dans differents pays) qui a ete mis en place ulterieurement. Les resultats de cet atelier ont ete consignés dans un livre publie par NOVIB et le reseau Entre Mujeres. 259

Ce programme est l'expression de la volonte de NOVIB de contribuer à la mise en reseau des connaissances mais egalement de sa diffusion. Comme nous l'avions signalé, NOVIB ne publie pas d'ouvrages scientifiques en tant que tels mais soutien les initiatives locales allant dans ce sens. Elle repond egalement à une demande locale en termes de conseils et de soutien organisationnel. La creation d'un reseau d'experts et de consultants locaux, recrutes localement, permet de mettre sur pied une reelle dynamique d'echange de connaissances et de pratiques. Cette dynamique, induite au niveau local, doit permettre aux partenaires d'être de plus en plus autonomes dans la gestion de leurs organisations et notamment dans les changements necessaires pour l'integration du genre.

n Escuela de Genero

L'ecole de Genre a ete mise en place en Colombie, pays ne participant pas au Gender Route Project. Son objectif est de promouvoir l'institutionnalisation du genre dans les organisations mixtes par le bien de l'organisation de formations qui leurs sont specialement adressees. L'école a ete créée parallelement à la mise en Ïuvre du GRP en Amerique du Sud. Elle a elaboré des "gender routes" pour divers partenaires de NOVIB (en dehors du GRP). Un des points forts de l'Escuela de Genero est sa capacite à organiser des formations sur mesure et a elaborer du materiel de formation. C'est l'Escuela de Genero qui a organise la reunion regionale pour le GRP en Amerique du Sud.

Ce projet permet à la fois la diffusion des connaissances mais egalement la formation du personnel des organisations locales aux differentes strategies utiles dans l'integration institutionnelle du genre et dans la facon de developper des bonnes pratiques de genre.

n Coordinadora de Mujeres

La Coordinadora a été mise en place en Bolivie en 1997, et est financee par le Ministere de la Cooperation neerlandaise et d'autres agences donatrices. Elle offre egalement des formations sur le genre aux ONG. Le contenu de ces formations est cependant apparu comme etant trop theorique et radicalement feministe. Elles n'etaient pas, au contraire des formations donnees par l'Escuela de Genero, faites sur mesure pour les organisations auxquelles elles s'adressent. Les resultats sont en realite peu probants et ses tentatives de sensibiliser les organisations rurales andines, souvent dirigees et dominees par les hommes, ont donné peu

259 BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de genero en el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994

de résultats, engendrant même plutTMt des conflits avec une population empreinte de la culture andine traditionnelle d'harmonie et de complémentarité.

Le manque de résultats probants de la Coordinadora montre encore qu'il est important, pour que la formation des organisations locales soient concluante, de conna»tre bien le contexte et la mentalité des individus et organisations auxquelles s'adressent les formations. Cette connaissance est d'autant plus impérative que les cultures sont particulières.

Ces quatre projets montrent la diversité des problématiques auxquelles sont confrontés tant NOVIB que ses partenaires locaux dans les actions de sensibilisation au genre adressées aux autres organisations. Par ailleurs, ils illustrent la nécessité de développer une stratégie commune et "transnationales" respectueuse et incluante des diversités culturelles et sociales locales.

C. Le GRP en Amérique latine

Comme nous l'avons vu auparavant, le GRP est un projet découlant de la stratégie du "Linking and learning" de NOVIB et a pour objectif principal la réflexion sur les structures organisationnelles. Ce projet s'adresse tant aux partenaires qu'à NOVIB. Nous allons ici nous concentrer sur les résultats du projets au niveau des partenaires locaux.

i. l'invitation - le choix des partenaires

En Amérique latine, neuf partenaires ont emprunté la Route du Genre, cinq en Amérique du Sud et quatre en Amérique centrale.260 En Amérique du Sud, la mise en route du projet n'a pas suivi la procédure prévue, en partie à cause du grand enthousiasme montré par les partenaires boliviens et péruviens. Au lieu d'organiser un atelier d'introduction au projet pour tous les partenaires, un contrat individuel a été fait avec chaque organisation. Le projet a débuté en Bolivie en 1996. En Amérique centrale par contre, des contretemps ont ralenti le démarrage du projet.

La sélection des partenaires pour le GRP s'est basé essentiellement sur l'expérience préalable de ces organisation dans le travail avec les femmes mais aussi sur l'accord des partenaires sur la définition de genre défendue par NOVIB: un concept intégral et relationnel qui impliquerait une remise en question des conceptions préalables des relations hommes- femmes . Il faut également qu'il y ait un accord de la direction de l'organisation sur la nécessaire transversalisation de genre. Pour les partenaires, le GRP représentait une opportunité institutionnelle, pour la formation de leur personnel surtout.

ii. le diagnostique organisationnel et le plan d'action

Les premières activités du GRP ont été initiées à des moments différents: le processus de diagnostique organisationnel s'est déroulé entre le début 96 et la fin 97. L'outil mis a disposition des partenaires pour leur diagnostique interne (le "Nine Box Model")261 n'a été mis a disposition des partenaires qu'en 1998. Le processus d'évaluation interne s'est faite

260 En Bolivie: le Centro de Servicios y Asistencia a la Producci--n Triguera - CESAT et le Centro de Investigaci--n Apoyo y Campesino - CIAC. Au Pérou: le Centro de Servicios Agropecuarios - CESA et l'Asociaci--n Civil Labor. Au Brésil: le Centro Bento Rubiao - CBR. Au Guatemala: l'Instituto de Investigaci--n y Autoformaci--n Politica - INIAP. Au Nicaragua: l'Organismo para el Desarollo Economico y Social Area Urbana y Rural - ODESAR. Au Salvador: la Fundaci--n Maquilishuatl - FUMA et l'Asociaci--n de Comunidades Rurales para el Desarollo de El Salvador - CRIPDES.

261 voir Annexe 3

avec l'aide de consultants en genre qui ont egalement, dans la plupart des cas, contribue à leur monitoring. Certaines organisation ont fait le diagnostique de la population cible egalement. C'est le cas des ONG Boliviennes.

Dans les plans d'actions qui sont mis en oeuvre par les partenaires, certains points, tels la formation du personnel et l'acquisition de competences theoriques et methodologiques ont recu la priorite. D'autres thematiques, comme l'augmentation du nombre de femmes au sein de l'organisation ainsi que leur acces à des positions plus elevees au sein de la hierarchie sont egalement defendues.

Au niveau des beneficiaires (des organisations partenaires), quatre champs d'action sont souleves: l'augmentation de la participation des femmes aux formations et activites d'assistance technique, promotion du leadership feminin, promotion de relations egalitaires au sein de la famille et lutte contre la violence domestique et sexuelle envers les femmes.

En general, la transversalisation du genre dans leurs programmes et la formation/ conscientisation du personnel sont les deux points les plus importants des plans d'actions elabores par les partenaires.

iii. la mise en oeuvre et les resultats

La majorite des partenaires ont commence le projet par des activites de sensibilisation et de formation du personnel, d'autres ont prefere commencer par la revision complete de leur programmes et politiques. D'autres encore ont choisi de mettre sur pied une unite de genre.

n politique et strategie

Avant le GRP, seuls un partenaire sur les neuf participant au projet avait inclus le genre dans sa declaration d'intention ou son plan strategique. Ils sont sept apres le GRP. Cinq le font explicitement et ont approuve une politique de genre institutionnalisee. Cependant, il faut constater que si beaucoup de strategies differentes ont ete mises en place par les partenaires, ces strategies n'ont pas toujours portes leurs fruits, pour des raisons diverses (crise politique nationale, conflits de valeurs au niveau local,...). D'autres par contre ont mis en oeuvre des projets bases sur la differenciation des rTMles de genre mais pas sur la reduction de la difference de genre. A cet egard, tous les partenaires se sont rendus compte qu'il etait plus difficile de penser des strategies reduisant les differences de genre que de travailler sur l'approche des besoins differencies avec leurs partenaires.

n structures et procedures

Au niveau des structures, la plupart des participants au GRP se sont montres concernes par le besoin de retablir l'equilibre hommes-femmes au sein du personnel. La plupart ont d'ailleurs termine le GRP avec des resultats positifs en termes de parite. Il faut cependant nuance ces resultats. On constate en effet que si le nombre de femmes a effectivement augmente, elles se sont surtout dirigees dans les t%oches subalternes. On constate egalement qu'en termes de representation, les femmes sont surtout presentes dans les instances pour lesquelles ce sont les communautes locales qui elisent leurs representants.

Par ailleurs, cinq partenaires ont cree une unite de genre, dont la place a souvent evolue en cours de projet. Dans certains cas elle a ete evolue de simple projet à un programme pour etre finalement consideree comme une thématique transversale. Certains partenaires ont cree des unites mixtes, ou ont designe un coordinateur de genre, soit pour l'entierete de leur structure, soit par departement.

n formation du personnel et changement culturel interne

Au niveau de la formation du personnel, très populaire parmi tous les participants qui ont
pour la plupart organises des ateliers de sensibilisation à la problematique de genre, on

observe néanmoins que des barrières culturelles subsistent, notamment chez les partenaires ancrés dans la culture andine, moins enclins à discuter des attitudes et perceptions individuelles.

· promotion de la participation féminine et de l'accès/ contrôle aux ressources Il s'agit ici de promouvoir la sensibilité de genre au niveau des groupes cibles des partenaires. De nombreuses stratégies ont permis de rendre la perspective de genre opérationnelle à ce niveau. Parmi elles, l'accroissement de la participation des femmes dans l'organisation d'activités publiques de l'organisation (politique locale, débats publics, etc.), l'organisation de formations adaptées aux femmes, tant dans le contenu que dans l'accessibilité (augmentation de la confiance en soi, formations au leadership, réorientation du contenu des formations vers des thématiques liées aux sphères publiques et privées et ouvertes à de nouvelles thématiques, comme la masculinité, création d'organisations de femmes, etc.).

· les relations extérieures

Le GRP a favorisé la création de réseaux relatifs aux thématiques de genre et au féminisme. Le projet a ainsi permis à des organisations qui auparavant maintenaient une distance critique avec ce genre de mouvements, de s'en rapprocher. Les partenaires se sont également impliqués dans diverses coordinations ou plates-formes au niveau régional.

iv. le support externe

· évaluation par les partenaires du rôle de NOVIB

Le rôle de NOVIB, déjà limité à une assistance technique, a été particulièrement réduit et de peu de soutien pour les partenaires en Amérique latine. Les outils susceptibles d'aider les partenaires dans leur "route du genre": le "Nine Box Model" n'a été disponible que longtemps après que l'évaluation interne soit terminée et le "Feu de signalisation" n'a pas été diffusé du tout. Les partenaires sont donc mitigés quant au rôle de NOVIB. Si la critique est plutôt positive pour les partenaires d'Amérique du Sud, elle est par contre négative pour les partenaires d'Amérique centrale. Ceux-ci ont ressenti un manque de réciprocité et communication de la part de NOVIB, même s'il ont trouvé son ouverture envers les différentes "routes" engagées "positive et fertil e".

Par contre les ateliers organisés par NOVIB ont été un véritable succès. Ils ont permis l'échange d'expériences, la meilleurs compréhension de certaines positions, l'élimination des résistances ou de l'isolement. Ils ont contribué à la mise sur pied d 'un réseau d'échange et ont permis à chaque organisation de faire son évaluation (selon le Nine Box Model) ainsi que de faire une analyse critique du processus du GRP. Lors du deuxième atelier quatre thématiques ont été abordées: participation politique et citoyenneté, politiques publiques, transversalisation et changement organisationnel, diversité culturelle et équité de genre.

· rôle des consultants

Les consultants ont joué un rôle important dans la mise en route du projet dans toutes les organisations. Ils ont également contribué à rendre le genre opérationnel et ont suscité de nouveaux débats. La cha»ne NOVIB - bureau locaux - consultants de genre a été cruciale au niveau de la communication, ainsi qu'à la création d'une concordance entre les objectifs de NOVIB et ceux des partenaires. Ils n'ont toutefois pas réussi à effacer toute résistance. Certaines organisations ont même ressenti les consultants comme étant imposés par NOVIB.

v. Conclusion et perspectives

Faire l'analyse de l'énorme projet que constitue le Gender Route Project mériterait qu'on y consacre la totalité d'une recherche. Nous nous sommes donc limités à évoquer les traits saillants du projet. Pour aller plus loin dans l'analyse nous aurions dii en effet, pouvoir rencontrer les organisations partenaires, d'autant plus que, pour faire une réelle analyse de ce projet ancré au niveau local, il eut fallu rencontrer les organisations qui ont suivi cette "route du genre". De plus, les documents en notre possession provenant principalement de NOVIB, il importe de maintenir un regard critique sur les résultats de ce projet.

Divers points positifs sont à mettre en avant. Le GRP a clairement contribué à ce que les partenaires redéfinissent leurs programmes en y intégrant une vision de genre. Il a également permis aux organisations locales de se pencher sur leurs structures organisationnelles en les regardant avec les "lunettes de genre", générant ainsi une plus grande conscientisation de ce que ces structures pouvaient avoir d'inégalitaires. En augmentant la participation des femmes aux activités avec groupes cibles et en introduisant de nouvelles thèmes de réflexion, le GRP a permis de faire quelques pas dans la direction des "bonnes pratiques de genre".

3. CONCLUSIONS

L'action de NOVIB en Amérique latine se fait donc sur plusieurs fronts. D'une part NOVIB participe et soutien des projets féministes, les soutenant dans leur développement et dans la diffusion de leurs idées. D'autre part, elle soutient des organisations de base, mixtes, dans l'intégration du genre dans leurs projets plus généraux et dans leur structure.

Par ailleurs, l'accent est mis sur le développement et l'échange des savoirs relatifs à la structure "genrée" de la société. Dans cette action, NOVIB privilégie la constitution de savoirs locaux et l'utilisation des "lunettes de genre" dans l'appréhension de toutes les thématiques. Un travail est également fait pour rapprocher les différentes cultures (notamment la culture andine).

L'action générale de NOVIB, divisée en trois thématiques (réduction de la pauvreté, renforcement de la société civile et lobbying), est donc toute entière imprégnée de la perspective de genre.

NOVIB, une ONG engagée dans le genre

Nous avions, pour etablir la grille de lecture que nous allions appliquer à NOVIB, defini des aspects theoriques et pratique. Nous voulions en premier lieu comprendre comment le discours de NOVIB (tant dans les textes fondateurs, que dans les lignes directrices d'action) se constituait et comment ce discours etait mis en pratique, au quotidien de l'organisation et dans les projets exterieurs. L'analyse generale de NOVIB nous a permis de voir qu'en general, l'adequation entre discours et pratique est etabli, du moins dans les intentions.

Vision politique et objectifs generaux

L'objectif general exprime dans la declaration d'intentions NOVIB, si elle semble quelque peu utopiste, montre que l'ONG s'inscrit de facon claire dans une demarche transformatrice de la societe mondiale.

Les ideaux defendus sont universels, voir universalistes (justice, egalité, solidarite). Sa vision globale est incarnee par le choix de ses trois themes prioritaires: genre, droits humains et environnement. Ces themes s'inscrivent dans une conception du developpement durable et à visage humain. Loin de se conformer aux exigences de la globalisation, NOVIB prefere influencer les politiques generales notamment par la creation de reseaux et le lobbying exerce tant au niveau national qu'international.

Cette action revendicative est riche des propositions et innovations decoulant des partenariats sur tous les continents. L'implication de NOVIB dans les divers forums mondiaux (tant dans les grandes conferences des Nations Unies que dans les Forums alternatifs comme le Forum Mondial Social) releve de cette double logique de pratiquer le lobbying auprès des structures existantes tout en continuant de construire en permanence d'autres pratiques.

Savoirs et reseaux

Pour developper et enrichir sa vision politique en effet, la mise en réseau et la reflexion sur les pratiques, permettant l'elaboration de nouveaux savoirs, est essentielle. Sans etre totalement opposée à l'utilisation des cadres d'analyse existants, NOVIB prefere, plutTMt que de baser son action sur des savoirs academiques et figés, apprendre en agissant et à partir de ses relations avec les autres.

Dans cette construction des savoirs, les consultants ou experts jouent un rTMle d'accompagnement et de soutien du processus, agissant plutTMt comme mediateurs ou moderateurs qu' à partir d'une position d'expertise.

Cette preference de NOVIB pour la recherche action est concretisee par la strategie du " Linking and Learning qui oriente les actions de NOVIB dans ses partenariats, et dans tous les domaines.

NOVIB, comme toute ONG travaillant avec des partenaires "locaux", doit f aire face à la relation de pouvoir caracterisant les relations donateurs - beneficiaires. A force de perseverance, mais aussi en privilegiant les partenariats à long terme, la relation entre NOVIB et ses partenaires, du Sud mais egalement du Nord, est une relation egalitaire dans laquelle les deux partenaires peuvent s'epanouir. Il s'agit d'un partenariat dynamique mettant le lien sur l'echange permanent des connaissances et des pratiques. L'objectif final est d'arriver à demanteler les structures existantes pour mettre en place une organisation plus respectueuse des differences, notamment les differences de genre.

Au niveau de la structure interne de NOVIB, constituée de plus de 300 personnes, cette introspection est plus difficile mais de réelles tentatives sont faites dans le sens de l'intégration des diversités (de race, de sexe, ou de genre).

? GED, transversalisation et empouvoirement

Pour NOVIB la perspective de genre n'est pas un vain mot. Sa stratégie est clairement exprimée dans les documents officiels - principes fondateurs, plan d'action, déclaration d'intentions.

Selon la conception de NOVIB, seule une intégration transversalisée de la perspective de genre, peut contribuer à l'élimination des discriminations dont sont victimes les femmes, et promouvoir leur leadership et empouvoirement. NOVIB défend une vision du genre clairement influencée par la pensée féministe, y compris dans ce qu'elle peut avoir de radical.

La prise en compte du genre doit être forcément accompagné d'une refonte complètes des préjugés et des schémas de pensée. Les discriminations se situant à tous les niveau de l'organisation sociale c'est donc partout qu'il faut agir, y compris (et peut être surtout) au niveau de ses propres structures (mentales et organisationnelles). Pour arriver à ouvrir les mentalités et les structures il importe de suivre la stratégie Linking and Learning.

Le Gender Route Project est symbolique de l'intégration du genre par NOVIB: un processus, ancré dans la durée, ouvert aux initiatives locales autonomes, introduisant de nouveaux thèmes de réflexion et enrichi chaque jour.

Le feu de signalisation quant à lui démontre la volonté d'avoir une politique dynamique et d'action positive dans l'évaluation interne d'une part, dans l'évaluation des partenaires, dans leur structure et leurs projets, d'autre part. Ces critères (ainsi que les "bonnes pratiques de genre"), en étant le résultat d'un processus de réflexion interne et externe, sont déjà profondément ancrés dans la pratique puisque c'est de celle-ci qu'ils découlent.

Nous avions choisi de nous concentrer sur le travail de NOVIB en Amérique latine, et avons analysé quelques projets auxquels NOVIB a participé ou impulsés. Les partenariats tissés dans cette région touchent des organisations bien différentes et un des objectifs de NOVIB est justement de contribuer à ce que ces organisations collaborent et apprennent les unes des autres. Aucun partenariat n'est écarté d'office (sauf le partenariat gouvernemental). Au contraire, en favorisant certains partenariats, tant entre les organisations de même type (Entre Mujeres), qu'en favorisant les rencontres entre organisations mixtes et féministes (FUMA), NOVIB contribue - du moins dans les intentions, à créer cette communauté d'intérêt et cette masse critique qui était indispensable pour que la question de la subordination des femmes soit abordée de manière intégrale en Amérique latine.

Pour conclure, nous pouvons constater que NOVIB est profondément ancrée dans une démarche transformatrice et globale qui, si elle ne répond pas toujours à toutes les attentes, est cependant louable. Elle pourrait (et devrait) être celle de toutes les ONG si leur objectif est de joué un rTMle dans la mise en place d'une autre "société mondiale".

CONCLUSIONS

Pour une autonomie du développement

Vouloir traiter, en une petite centaine de pages, la vaste question Genre et Développement, qui plus est en la mettant en lien avec le Féminisme, était un défi, presque une utopie. Même si nous avions d'emblée posé nos limites, notamment en nous concentrant sur l'Amérique latine et sur l'analyse du travail de NOVIB, la tâche s'est avérée malgré tout gigantesque. Nous avons toutefois réussi, et c'est heureux, à tirer quelques conclusions que nous devons remettre en perspective.

Notre ambition était double et découlait, comme nous l'avions souligné, d'une expérience et d'une vision personnelle de la question du développement en général, de la question du genre en particulier. Nous ne partions donc pas "vierge" de toute prénotions, ni non plus, d'une position de neutralité. On pourrait même dire qu'au contraire, nous avions la certitude que pour envisager la question du genre dans le développement, il fallait soulever la question de la constitution du savoir d'une part, la question du pouvoir d'autre part. Cette certitude est étayée par le fait que le genre, en soi, est une remise en question des préjugés (savoir) et des relations sociales basées sur une domination (pouvoir).

C'est donc à partir de cette double question que nous avons abordé notre recherche. En nous appuyant dans notre analyse sur les notions de dispositif et de gouvernementalité, nous avons montré le caractère profondément aliénant que peut revêtir le développement dès lors qu'il est concu en termes de gestion des populations. On pourrait même dire que le concept est, à la base, aliénant, puisqu'il pose pour vraie l'existence même d'un "développement" possible. La question qui était posée ici était donc celle de l'utilisation d'un certain langage pour décrire une certaine réalité qui, en étant décrite était transformée pour répondre à certains besoins de gestion. Nous avons souligné le danger qui existe lorsque "le diagramme du pouvoir devient bio-politique des populations prenant en charge

et gérant la vie." 262 En décrivant les populations du Sud, et en voulant contribuer à leur bien-être, c'est une réalité nouvelle qui est décrite, réalité suscitant des réactions semblant "appropriées".

Dans le cas précis du genre, cette instrumentalisation est doublée. De par son caractère transformateur, le genre implique en effet de déconstruction et reconstruire une autre facon d'appréhender les réalités. Pour cela, on ne peut se baser sur les notions habituelles, ni sur les critères et catégories du réel puisque ce sont celles-là même qu'il faut déconstruire. Or on a vu que c'était justement en se basant sur ces notions que les approches "Femmes et Développement" et "Genre et Développement" étaient basées. Les différents cadres d'analyse et approches pratiques ne font pas l'essentiel travail d'analyse à partir d'une autre perspective. En tenant certaines choses pour acquises, telles la division des rTMles, la nécessité de s'intégrer à la sphère économique ou aux structures de pouvoir existantes, on construit donc une approche qui n'est qu'une facon de réduire les inégalités mais qui ne contribue pas à détruire les structures qui provoquent (et perpétuent) ces inégalités.

Même dans les approches plus novatrices, comme celle de l'empouvoirement, la remise en
question d'un système global profondément inégalitaire n'est pas faite et les notions utilisées

262 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, la volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976.

comme le pouvoir ou le leadership, sont des notions clairement "patriarcales" et ne contribuent pas non plus à cette remise en question. Toutefois, une brèche est ouverte et il nous a été possible de voir qu'un alternative pouvait être envisagée, notamment en développant la recherche d'autonomie.

En posant l'autonomie comme étant indispensable si l'on voulait mettre en place une alternative à la conception du développement actuel, nous l'envisagions à plusieurs niveaux. Tout d'abord, l'autonomie au niveau individuel, devant permettre à chaque individu de se positionner par rapport à lui-même et par rapport au monde. Ensuite l'autonomie vue au niveau collectif et organisationnel, comme principe devant mener à la mise en place d'un système de relations sociales qui serait basé sur le développement des capacités à "pouvoir faire", à développer la puissance, plutôt que sur des relations de pouvoir. Dans ce sens, nous pensons également que "la révolution mènera à l'égalité automatique entre les sexes". Seulement la "révolution" telle que nous la concevons ici ne vise pas la conquête du pouvoir mais à la conquête de l'autonomie et de la réappropriation de la puissance d'action et de réflexion.

Afin d'illustrer cette analyse, nous avions choisi de nous attarder plus particulièrement sur la situation en Amérique latine et, en particulier, sur l'action de NOVIB. Nous avons pu observer que les femmes ont, en Amérique latine, joué un grand rôle de cette recherche de changement sociétal et qu'elles ont développé des pratiques novatrices. En s'intégrant dans la lutte pour la démocratie et les droits sociaux, elles ont affirmé la nécessité de repenser les structures. Si pour certaines cette nécessité se limitait au changement démocratique, d'autres ont par contre élaborer une critique plus globale, montrant les liens qu'il pouvait y avoir entre les système politique, économiques et culturels et la structure patriarcale de la société. Quelles que soient les modalités qui ont été adoptées dans leur divers engagements, elle ont montré la nécessité d'avoir une vue globale pour pouvoir changer quelque chose. Les mouvements de femmes latino-américains en mettant en avant les processus d'individuations et de s ocialisations ont mis en avant que la nécessaire adéquation entre fins, moyens et relations avec l'environnement qui doit prévaloir dans tout mouvement social. Les tendances récentes de ces mouvements, qui d'une dynamique nationale sont passés à une dynamique régionale voire mondiale, ont également mis en exergue les risques de cette dynamique, notamment lorsqu'elle crée des partenariats avec l'extérieur, comme dans le cadre de la coopération avec le Nord. Les critiques de cette coopération sont nombreuses et la volonté, de la part des mouvements du Sud et des organisations et associations du Nord, de collaborer dans la recherche du changement n'est pas sans poser question. La relation qui est créée entre les mouvements sociaux locaux d'une part, les organisations de développement d'autre part a tendance à reproduire, malgré les bonnes intentions, la relation inégalitaire générale qu'il existe entre le Nord et le Sud et donc a accro»tre la situation de dépendance du Sud et de ses organisations.

Notre intérêt, en étudiant NOVIB, était donc de montrer comment une ONG s'intègre dans le système de la coopération au développement et particulièrement comment elle gère cette situation ambigu`, entre autonomie et institutionnalisation, dans laquelle se trouvent toutes les ONG. Nous voulions voir s'il était possible, dans la pratique, de mettre en Ïuvre cette alternative au développement structuré et institutionnel. Et si oui, comment?

D'après l'angle de départ qui était le nôtre, à savoir la promotion de l'autonomie comme
alternative au dispositif de développement, NOVIB, dans son mode de fonctionnement,
interne et externe s'inscrit dans une stratégie de recherche-action permanente contribuant à

ce que la relation de plus en plus institutionnalisée et organisée qui se noue entre le Sud et le Nord ne reproduise pas la domination. Les différents principes d'action de NOVIB (linking and learning, contribution à l'échange des pratiques et des savoirs) favorisent en effet un partenariat équitable. Cependant, NOVIB reste, de par son statut de bailleur de fonds, reconnu et légitimé par le système, inscrite dans un dispositif de développement qui a quelque chose de contraignant.

La question se pose ici de savoir quelle peut être la valeur d'une relation qui, malgré toute la bonne volonté et les bonnes intentions, reste basée sur l'argent et le financement. La répartition inégale des ressources financières empêche de sortir de cette relation mercantilisée et de mettre en place un réseau des mouvements sociaux qui ne serait basée que sur la communauté d'intérêt et pas sur les conditions matérielles de cette mise en réseau.

Cette recherche a donc soulevé un grand nombre de questions. C'est, à notre avis, la question du sens qui est principale. Nous pensons en effet qu'il est indispensable de réfléchir au sens des actions de développement et de solidarité entre les mouvements sociaux. Cette réflexion doit dépasser l'analyse à court terme et se placer dans la perspective de la "durabilité dans le changement". Elle pose également la question du savoir comme produit d'une culture mais également comme produit d'une situation particulière. Nous pensons qu'il serait intéressant notamment, de se pencher sur la question du rapport à l'objet dans la création du savoir et en particulier sur l'élaboration d'une pensée globale.

La question serait donc pour nous d'analyser comment nous avons, en tant que femme, jeune, universitaire, blanche, de gauche, écologiste, avec toutes ces caractéristiques qui faconnent notre individualité, abordé cette recherche. Comment notre vécu à orienté notre recherche, en quoi notre situation nous a menée à tirer certaines conclusions, et en particulier, comment en tant que femme, on peut aborder la question du genre. Cette introspection du chercheur et cette réflexion par rapport à son objet de recherche est particulièrement difficile, mais la perspective de réfléchir à la question est particulièrement exaltante.

ANNEXES

 

Annexe 1: Interview de Irma Van Dueren,

responsable du genre dans le

développement de NOVIB.

How Can NGOs Improve Their Work in Gender and Development?

Novib recently completed an evaluation of its Gender Route Project. This project worked with several of NOVIB's NGO partners to help them improve their work in promoting gender equality.

Can you give me an overview of the project?

Twenty-five of our partner organizations participated in the project. All went through the same process. First, they completed a gender self-diagnosis using various gender analysis tools we provided them. That would then give them an idea of where their strong and weak points lie in regards to gender equality. This would be the departure point for the whole project. After that, they would write up a work plan detailing where they wanted to start and where they wanted to end. Some started with their weak points while others started with their strong points. Initially most of the work was concentrated at the organizational level. However, others then moved on to improve their work at the target group or beneficiary level. They all received funding from NOVIB to allow them to implement the plan over 3 to 5 years. Each year there would be workshops where they could exchange experiences, learn and receive more training.

Why did NOVIB begin this project?

NOVIB is a donor. We fund at least 1 000 partners worldwide and we pay a lot of attention to gender issues. We have 7 criteria that all partners are evaluated against. These criteria involve gender equality, of course. So, an important goal was to support partners in developing good gender policies. Before the Gender Route project, we would provide training sessions and consultancy assistance to partners as well as other interventions. But we didn't do it very systematically so the learning was quite limited. The partners asked for more systematic support over a longer period of time. That's when we decided to initiate this project which would involve more partners from all over the world going through the same process. At the end, we would be able to analyze the results and see what types of gender interventions work in particular circumstances. Along the road, partners could learn from each other and exchange experiences.

What types of interventions took place at the beneficiary level?

Most of the work was at the organizational level. So, a lot of the activities involved analyzing their decision-making procedures and their organizational cultures, for example, to make them more gender friendly. At the same time, they would try to improve their services to beneficiaries. For example, some of them would do a gender analysis before beginning projects or have more women participate in planning and monitoring. Others would look more critically at how men and women are involved in their programs. So, they might look at countering gender stereotypes in their activities or involving women in leadership roles.

What were some of the successes?

It's quite difficult to summarize them. There were lots of achievements. At the organizational level, some of them completely restructured their structures to make them more women -friendly . So, they might have looked at the organization's infrastructure and facilities or policies around child care and maternity benefits. Others might have changed their sexual harassment policies to make the organization safer for women. These changes would make it easier for women to keep on working with the organization and also increase their involvement in decision-making. All organizations did different things, but I can say that all organizations became more gender sensitive. In all of them women became more visible and in some of them we saw that more women staff were hired. We also saw more women in leadership positions. A lot also happened around organizational culture wher e men were trained to be more gender sensitive.

At the program level, in all organizations we saw more women participating in programs. Also, they would have greater decision-making roles. There would be more gender sensitivity in the programs as well as awareness raising and training activities.

What were some lessons learned?

It was meant to be a linking and learning project through which we tried to take lessons from experiences from all over the world. It was done in all the regions where NOVIB works. It worked better in some regions than others. In some places, there were workshops every year where the partners would share their experiences and give feedback to each other. This happened in South Asia, for example.

Another strong point is that it was over a period of 5 years. So, partners could grow as they tried new things. It would be very difficult to measure results over a short period of time. Even now, partners are asking for more time to do more work.

So for now we can say that the project has been positive in terms of allowing organizations to share information and develop over time. And the organizations really have changed. In all the organizations gender has become much more visible. In some cases, we can say that at least gender hasn't fallen off the agenda while in others there really has been radical change. In the workshops we didn't just involve the gender coordinators but also the directors of the organizations. So, the leadership would become much more aware of the project and the issues. If you only involve the gender coordinators, it can be very lonely for them when they come back from a workshop. So, one thing we've found is that management has to be behind it for it to work.

Were you able to see impacts at the beneficiary level?

It's difficult to say. The major focus was at the organizational level under the assumption that changes there would eventually work down to the beneficiary level. Most partners now say they would like to continue at the target group level. A lot of activities took place at that level but if you talk about what the actual impact was on their daily lives, I think it's too early to say. In fact, we've recently discussed follow-up for the project and we've decided that we would like to continue it at the beneficiary level.

Beyond continuing the work at the beneficiary level, what are the next steps?

For the partners that were involved, many want to disseminate the lessons learned to others. For example, in South East Asia there is going to be a new Oxfam International project on gender mainstreaming whereby all the lessons from the Gender Route will be shared with a much bigger group of NGOs. Some other groups are going to write a book about their own cases. At the NOVIB level, we are going to start a Gender Tools project documenting cases and instruments we have used over the years. This will involve our own people in NOVIB as well as other donors.

How has thinking about gender and development changed since you began the project?

A lot of things have changed since we began the project. Our thinking has changed. We're now just talking about a rights-based approach to gender and development and we're talking a lot more about gender and diversity. The Gender Route has been part of this change. During the Gender Route, as discussions took place on gender issues, we saw for example that talk of violence against women kept coming up. So, we've now started a violence against women project. The issue of gender and ethnicity kept arising so that has helped us formulate our gender and diversity policies.

What is the idea of a rights-based approach?

NOVIB and all the other Oxfams have decided that we will now work under a rights-based approach which means that all people we work with should have access to 5 basic rights. These include the right to a sustainable livelihood, the right to safety and the right to basic social services among others. Through this rights-based perspective, we talk about how people can work towards obtaining these rights. Before, we talked about sustainable development which was quite vague. So, now we look at the law to see which rights people should have access to and how we might help them achieve them.

In terms of gender, how does that change what you would do?

We take the international and national rights framework as a starting point. For example, we recently
participated in a justice and accountability conference to follow up on the Tokyo Tribunal judgement.

This judgement dealt with rights for women abused in war situations. In this case, we would analyze what kinds of legal mechanisms are there and what needs to be changed to make them work for women. So, it's much more concrete. Before, we would talk about supporting victims by intervening in the home but now we've expanded that work by focusing on their rights in the national and international contexts. We want to work at all levels including the home and the community as well as the national and international frameworks.

Information on the Gender Route Project can be found at www.novib.org.

From: Resource Net /Friday File / Issue 62

Posted Saturday February 02, @08:38AM http://www.awid.org/article.pl?sid=02/02/02/1947256&mode=nocomment

Annexe 2: Extraits du rapport annuel de

NOVIB (2000)263

Gender et développement

Dans les plans régionaux qui ont été formulés en 2000 sur base des cinq objectifs principaux, le thème du gender a été repris de facon explicite et implicite. En 2000, 16 pour cent des partenaires de Novib étaient des organisations de femmes. En 2000, cinquante-sept pour cent des fonds de Novib ont été consacrés à l'augmentation des chances et des possibilités de choix des femmes. Cet objectif a été concrétisé par le «feu de signalisation», qui mesure, sur base de 7 critères, la dynamique de changement d'un partenaire et vérifie si une organisation fonde ses activités sur une analyse du gender. Trois catégories de partenaires ont été distinguées. Premièrement, les partenaires qui travaillent en tenant compte du gender et sont systématiquement attentifs à l'égalité des droits, des chances et des possibilités de choix pour les femmes. En 2000, ce pourcentage a augmenté d'un tiers pour atteindre près de 40 pour cent. La deuxième catégorie se compose de partenaires qui portent un peu moins d'attention au gender . Cette catégorie se composait en 2000 d'un petit 60 pour cent des partenaires (par rapport à 55 pour cent en 1999). Une troisième catégorie (les partenaires classés "feu rouge") présente des résultats insatisfaisants. Conformément à la politique Novib de gender, les relations avec ces partenaires ont progressivement été portées à leur terme en 2000, sauf pour ceux qui ont réussi à passer << au feu jaune È gr%oce à des interventions spécifiques. La <<route du genderÈ a été inaugurée pour soutenir les partenaires dans l'amélioration de leur fonctionnement dans le domaine du gender . Novib permet aux partenaires de renforcer leur pratique en matière de gender, gr%oce à des fonds et de l'expertise supplémentaires.

Amérique latine

Investissements en Amérique latine

Tableau 10: budget selon l'objectif de lutte structurelle contre la pauvreté en pourcentage

Amérique latine

 

1998

1999

2000

Lutte directe

pauvreté

contre la

57

66

65

Renforcement de civile

la société

28

23

25

Lobby

 

15

11

10

 

Dans le programme d'Amérique latine, les investissements dans la lutte directe contre la pauvreté ont été augmentés, aux dépens des deux autres stratégies d'intervention. Une certaine distorsion des projets de réhabilitation après l'ouragan Mitch a joué un rTMle à cet égard. Certains projets de réhabilitation en Amérique centrale ont recu cette année un ultime versement.

Même si "l'aide d'urgence" faisait partie en 2000 des investissements de la lutte directe contre la pauvreté, l'année a été assez calme en ce qui concerne les situations d'urgence dans la région. Ha
·ti, dont la situation sur le plan du développement économique et politique est manifestement pire que celle des autres pays dans la région, a été confronté à la fin de l'année par de graves inondations. Dans un premier temps, Novib n'a pas accordé de fonds pour une aide d'urgence. Des fonds issus de la contribution de Novib au programme commun des organisations membres d'Oxfam ont pu y être consacrés. Ha
·ti est confronté à une expansion du SIDA, et ceci pourrait constituer une "situation d'urgence" d'un autre ordre.

Après les inondations de janvier 2000 au Venezuela, Novib a contribué à un projet d'aide d'urgence, réalisé par son partenaire Intermóns `Fé y Alegr'a'. En septembre, Novib a participé aux activités d'aide d'urgence dans le Nord du Brésil.

263 NOVIB, Rapport annuel 2000, La Haye, 2001 (site internet: http://www.novib.nl)

L'accent sur le renforcement des sociétés civiles dans les investissements consacrés a l'Amérique latine sera redéfini durant les prochaines années. Cette tendance appara»t dans les plans stratégiques d'OI établis en 2000 pour les sous régions et s'intègre dans la nouvelle analyse sur la problématique en Amérique latine. Quand le thème d'inégalité en matière de propriété et de revenus est a ce point flagrant, il s'agit surtout de faire valoir la mobilisation des forces pour l'accès aux ressources qui sont disponibles. Le renforcement de la participation de la population dans les processus décisionnels aux niveaux local et national, la démocratisation et la décentralisation administrative et la constitution de counterveiling power d'organisations de population et d'instituts de connaissance, deviennent dès lors prioritaires.

Au Mexique, le climat favorable a la participation d'organisations de la société civile se traduit par l'établissement et la réalisation de plans de développement régionaux et locaux. En supprimant la domination du PRI, la situation est également en train de changer au niveau des états fédérés. Au Chiapas, un nouveau gouverneur a été élu. A la demande des partenaires de Novib, une mission a été mise sur pied avec Oxfam GB afin d'analyser les possibilités de collaboration sur différents thèmes entre les autorités du Chiapas et les ONG. Les parties sont visiblement intéressées par l'essai au Chiapas d'un modèle de `co-gestion', semblable a celui qui a été mis en place au Mexique entre le gouvernement fédéral et les ONG. Outre les autorités publiques, Novib, Oxfam GB et d'autres bailleurs de fonds pourraient également contribuer financièrement a ce type de modèle.

Les services financiers dans le programme de Novib en Amérique latine commencent a prendre des formes plus importantes. Cette année, quelques Ä 3.950.000,- de crédits ont été accordés et un montant de É400.000,- a également été mis a la disposition de l'organisation COPIDER au Mexique, qui pourra acquérir avec ses fonds un montant dix fois supérieur par l'intermédiaire d'un programme spécial de la Banque Centrale Mexicaine. L'accord de crédits a des institutions spécialisées dans le domaine de l'octroi de crédits semble un bon moyen pour stimuler l'économie locale, les formes d'épargne et de capitalisation, et les micro et petites entreprises. L'octroi de crédits a des partenaires qui offrent des services autres que des services financiers aux groupes cibles reste délicat, notamment a cause de l'imbrication interne et organisationnelle et les différents objectifs qui sont difficiles a distinguer. Il reste cependant important d'étudier les formes dans lesquelles les différents objectifs sociaux et financiers peuvent cohabiter. L'étude des possibilités d'octroi de crédits au Guatemala aux partenaires existants a permis d'identifier une possibilité pour l'octroi de crédits, les institutions spécialisées semblent en outre ouvertes a d'autres possibilités. Au Salvador, deux organisations ont introduit une demande et des missions d'étude ont été entreprises, ce qui s'applique également a d'autres initiatives en Amérique du Sud.

Aux niveaux national et international, un lobby a été exercé par des partenaires pour influencer la politique des autorités et attirer leur attention lors de forums internationaux sur le respect des engagements pris précédemment (Red SAPRIN, Social Watch, CEDLA, Plataforma Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo, Corporación Region, IBASE, etc.). Dans le cadre d'Oxfam International, les initiatives de ce type prises par les partenaires et les réseaux dont ils font partie, continuent d'être soutenues.

Dans le cadre de l'établissement des plans stratégiques régionaux d'OI pour l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale, le Mexique et les Cara
·bes, l'accent de la lutte directe contre la pauvreté a atteint vers l'objectif 2, le droit a l'accès aux services sociaux de base: la santé reproductive et l'enseignement aux groupes de population marginalisés, a prédominance autochtone. Les investissements suivent cette tendance mais dans les prochaines années, ce choix va se concrétiser plus clairement dans les chiffres d'investissement.

Dans le domaine du gender, des progrès importants ont été enregistrés dans les programmes en Amérique latine. Outre la poursuite des projets liés au gender dans les programmes des partenaires, également alimentés par les trajets pratiquement aboutis en cette matière, de nouvelles initiatives sont continuellement formulées.

Le constat en ce qui concerne la reconnaissance des droits reproductifs des femmes est moins positif. Dans certains pays, il faut plutôt parler de reculs que de progrès. Le nouveau Président mexicain n'a par exemple jamais caché son opposition a l'avortement. De même, au Nicaragua, le thème est de nouveau tabou.

Les partenaires du Nicaragua et du Guatemala, qui se définissent explicitement comme des
organisations ayant une politique sur la sécurité alimentaire, se sont rencontrés a la mi 2000 pour un
atelier, préparé et mis sur pied par l'INCAP, spécialiste guatémaltèque. Lors de l'étape préliminaire,

des organisations ont été visitées et après l'atelier, la possibilité d'un soutien spécifique a été offerte pour donner au thème une fonction plus centrale dans le planning et le suivi institutionnel.

En ce qui concerne la situation des droits de l'homme, il semble que l'exemple de l'inculpation de Pinochet ait eu un effet stimulant au Guatemala. Rigoberta Menchoe a osé déposer en Espagne une plainte contre le président du parlement et ex-dictateur Rios Montt. Des procès semblables ont par ailleurs été intentés par quelques organisations contre d'autres dictateurs au Guatemala. A l'exception des organisations des droits de l'homme, dont le GAM, partenaire de Novib, peu de personnes ont soutenu l'initiative de Menchoe au Guatemala, mais le geste a recueilli un soutien au niveau international. Aux Pays-Bas, Novib a pris l'initiative de concerter les autres partenaires GOM, Amnesty International, Solidaridad et le Guatemala Komité Nederland, pour rejeter les activités autour de la question Menchoe. Cette idée a été accueillie favorablement par les autres participants.

Dans le domaine de l'environnement, les conséquences dévastatrices de l'ouragan Mitch, qui a touché l'Amérique centrale fin 1998 et qui a de nouveau démontré la vulnérabilité écologique de cette région, ont donné lieu à un courant d'activités axées sur la prévention et la problématique de l'environnement en général. L'année dernière, l'accent était mis sur la problématique de l'eau, qui a été stimulée par le "tribunal de l'eau" qui s'est tenu à La Haye. PRISMA, partenaire de Novib au Salvador, entendait mettre à l'ordre du jour le thème de la gestion des bassins fluviaux dans le pays et dans la région. Par ailleurs, des partenaires tels que Fundación Solar au Guatemala, LINES au Salvador et le partenaire régional Red Saprin ont également voulu apporter un nouvel éclairage en ce qui concerne la politique officielle actuelle dans le domaine de l'eau, la formulation de propositions (de loi) alternatives et le développement d'une méthodologie visant à impliquer activement la population dans la gestion de l'eau. Au Pérou, un accord de coopération entre les différents partenaires concernant la gestion de bassins fluviaux a pris la forme de deux publications. La demande semble considérable à ce propos.

Politique à l'egard des partenaires

En 2000, le nombre de partenaires en Amérique latine était de 256. La politique de No vib à l'égard des partenaires de la région se caractérise par une concentration toujours croissante. Les relations de financement qui se terminent sont plus nombreuses que les liens qui se créent. A l'origine de ces ruptures: des résultats décevants, la non conformité au cadre politique de Novib et la concentration géographique croissante. De nouvelles initiatives apparaissent dans le domaine du microfinancement et de la santé. L'an 2000 a signifié (l'annonce de) la fin de la relation avec 29 partenaires au total, alors que 16 nouvelles organisations ont pris leur place. En Amérique centrale également, la rationalisation de la politique envers les partenaires et le processus d'harmonisation d'OI a également commencé.

Le pourcentage de programmes contrôlés par les responsables locaux représente plus de 98 pour cent des budgets octroyés aux bureaux d'Amérique latine, soit une augmentation d'1 pour cent par rapport à l'année précédente.

En Amérique centrale, le processus de renforcement des capacites entamé précédemment par les partenaires de Novib se poursuit. Les organisations intègrent de plus en plus les activités dans le domaine du développement organisationnel et du renforcement institutionnel dans leur planning pluriannuel. En Amérique latine, indépendamment des processus de renforcement organisationnel des partenaires individuels, un projet a été lancé au Pérou pour toutes les organisations intéressées dans le domaine du planning, du suivi et de l'évaluation. Une discussion a également été entamée avec différents bureaux de consultance à propos de la redéfinition de la politique de consultance de Novib.

En 2000, des investissements ont également été consentis pour la capacité des organisations locales et des groupes de population afin d'exercer un contrôle plus efficace sur la qualité et l'accessibilité des services.

Annexe 3: Organigramme de NOVIB

Annexe 4: Grille d'auto-évaluation

organisationnelle

 

MISSION/MANDATE

ORGANIZATIONAL
STRUCTURE

HUMAN RESOURCES

TECHNICAL
POINT OF VIEW

POLICIES AND ACTION: (1)

- analysis - policy - activity plan

- budget

- monitoring and evaluation

- impact

TASKS AND RESPONSIBILITIES (4).

- tasks and responsibilities - coordination/consultation - information system

- gender infrastructure

EXPERTISE: (7) - quantity

- quality/recruitment - wages

- job description

- appraisal

- training

POLITICAL
POINT OF VIEW

POLICY INFLUENCE: (2) - role of management

- people influencing the organization from within

- people who influence the organization from the outside

DECISION MAKING: (5) - adequate information

- participation in discussion and decision making

- conflict management

ROOM FOR MANEUVER (8). - space for organizing

- physical infrastructure

- reward/incentive systems - diversity of styles

career opportunities

CULTURAL
POINT OF VIEW

ORGANIZATIONAL CULTURE (3):

- image

- ownership

- woman friendliness

- reputation

COOPERATION AND LEARNING (6):

- teamwork - support

- networking outside of organization

- reflection/innovation

ATTITUDE: (9) - enthusiasm

- commitment

- willingness to change

- stereotyping

 

Cette grille d'analyse a été développée par N. Tichy. dans "Managing strategic change - technical, political and cultural dynamics, University of Michigan, John Wyley & Sons Publications, 1983.

Elle a été adaptée par NOVIB pour son Gender Route Project en 1996.

voir: NOVIB, "En Route". Evaluation of the Gender Route Project, La Haye, 2001, p. 8.

B IBLIOGRAPHIE

Bibliographie

Monographies

· ALVAREZ Sonia, DAGNINO Evelina et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), Cultures of politics, Politics of cultures. Revisioning latina american social movement, Westview Press, Boulder, 1998.

· ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992.

· BENASAYAG Miguel et SCAVINO Dardo, Pour une nouvelle radicalité. Pouvoir et puissance en politique, La Découverte, Coll. L'armillaire, Paris, 1997.

· BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego, Du contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000.

· BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève.

· BISILLIAT Jeanne, Relations de genre et développement. Femmes et sociétés, ORSTOM Editions, Paris, 1992.

· BOSERUP Ester , Women's role in economic development, Earthscan Publications, London, 1989 (1970).

· BOURDIEU Pierre, Questions de Sociologie, Les Editions de Minuit, Paris, 1980.

· BYRNE Bridget and Baden Sally, Gender, emergencies and humanitarian assistance, Bridge-
Briefings on development & gender, Institute of Development Studies, Brighton, 1995.

· DAWN, Femmes du Sud, Autres voix pour le XXIè siècle, Côté-femmes Editions, Paris, 1995 (traduction de: SEN Gita et GROWN Caren, Development, Crises and alternative visions, Earthscan Publications, London, 1988.

· DEBORD Guy, La société du spectacle, Gallimard, Coll. Folio, Paris, 1992.

· DELEUZE Gilles, Foucault, Les Editions de Minuit, Paris, 1986.

· DELPHY Christine, L'ennemi principal. Economie politique du patriarcat, Syllepse, Coll. Nouvelles Questions Féministes, Paris, 1998.

· DORE Elizabeth, Gender politics in Latin America. Debates in theory and practice, Monthly Review Press, New York, 1997.

· DRION Claudine et CHOQUE Poupette, Le genre dans les ONG, Le Monde Selon les Femmes, Bruxelles, 1999.

· ERALY Alain, Sociologie de la connaissance, syllabus, ULB, Bruxelles, 1992-93.

· FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, la volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976.

· GONZALEZ Victoria et KAMPWIRTH Karen (sous la direction de), Radical Women in Latin America - Left and Right, The Pennsylvania State University Press, University Park, 2001.

· HERMET Guy, Culture et développement , Presses de Sciences Po, Paris, 2000.

· HOFFMAN John, Gender and Sovereignty, Feminisme, the State and International Relations , Palgrave, New York, 2001.

· ISIS, Femmes et développement. Outils pour l'organisation et l'action, Editions d'en bas/L'Harmattan, Lausanne et Paris, 1988.

· JACQUET Isabelle, Développement au Masculin/Féminin. Le genre, outil d'un nouveau concept, L'Harmattan, Paris, 1995.

· JELIN Elizabeth, Women and social change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990.

· JONES K. et JONASDOTTRIN A., The political interest in gender. Developping theory and research with a feminist face, SAGE Publications, London, 1988.

· LABRECQUE Marie France, Sortir du labyrinthe, femmes, développement et vie quotidienne en Colombie, Les Presses de l'Université d'Ottawa, Coll. Etudes de Femmes, Ottawa, 1997.

· LAGARDE Marcela, Género y feminismo, desarollo humano y democrac'a, horas y HORAS la Editorial, Cuadernos Inacabados, Madrid, 1997.

· LAGARDE Marcela, Identidad de género, Ed. Cenzontle, Managua, 1992.

· LE DOEUFF Michèle, Le sexe du savoir, Aubier, Coll. Alto, Paris, 1998.

· LE MONDE SELON LES FEMMES: Le rTMle des femmes dans le développement. Problématique du genre, actes de la journée d'étude et deformation, 12 janvier 1995, Bruxelles.

· MARQUES-PEREIRA Bérengère: Processus de développement régional en Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99 (4ème édition).

· MARQUES-PEREIRA Bérengère (éditrice): Género, cultura y ciudadan'a, Cahiers du GELA.IS - ULB, n°10, 1999, Bruxelles.

· MARQUES-PEREIRA Bérengère (coordinatrice): Femmes dans la Cité: Amérique latine et Portugal, Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles.

· MONTENEGRO Maria Elena, VISSERS Cita et VOLIO Roxana, Una cuenta pendiente? Género y coopéración internacional en Centroamérica, San José, 1997.

· MOSER Caroline O.N. , Planificación de género y desarollo: teoria, practica y capacitación, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995.

· NICHOLSON Linda, The play of reason. From the modern to the postmodern, Open University Press, Buckingham, 1999.

· PORTER Marilyn et JUDD Ellen (sous la direction de), Feminists doing development. A practical guide, Zed Books, Londres, 1999.

· STEPHEN Lynn, Women and social movements in Latin America. Power from below, University of Texas Press, Austin, 1997.

· WEBER Max, Le savant et le politique, Librairie Plon, Paris, 1959.

· WIEVIORKA Michel (sous la direction de), Une société fragmentée, le multiculturalisme en débat, La Découverte/Poche Essais, Paris, 1997.

· ZEPHIR Jacques, Le néo-féminisme de Simone de Beauvoir, Denoël/Gonthier, Paris, 1982 Articles

· AJAMIL Menchu, La vision de género en la cooperación internacional. Trayectoria historica y perspectivas, s.d., s.l..

· DE BARBIERI Teresita, Sobre la categoria género. Una introducción teorico-metodologica, in ISIS Internacional, Ediciones de las Mujeres, n°17, 1992, pp. 111-128.

· GARCIA CASTRO Mary , Le pouvoir des genres à l'époque du néo -libéralisme. Une réflexion
de gauche sur les féminismes en Amérique latine
, in Rapports de Genre et mondialisation

des

marchés, in Alternatives Sud , Vol. V n° 4, 1998.

· PARPART Jane L., Quien es el "otro", Una critica feminista postmoderna de la teor'a y la practica de mujer y desarollo, in Propuestas - Red Entre Mujeres, Lima, mai 1994.

· PIRON Florence et COUILLARD Marie-Andrée (sous la direction de), Savoirs et
Gouvernementalité
, in Anthropologie et Sociétés, vol.20, n°1, Université de Laval, 1996

· THORNDAHL Marie, Pratiques et réflexion de genre. La diversité des expériences, in Créativité, femmes et développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, pp. 17-27.

· ZWALHEN Anne, Vers un autre genre de développement, in Créativité, femmes et développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, pp. 31-41.

Articles ou ouvrages online

· CASTANEDA, Griselda Gutiérrez , El concepto de género: una perpectiva para repensar la pol'tica.

· GUZMAN Virginia, La institucionalización de género en el estado: nuevas perspectivas de analisis, CEPAL, Serie Mujer y Desarollo, Santiago de Chile, mars 2001.

· CRDI (Centre de recherche pour le développement international), L'analyse Genre, un outil de recherche, Québec, http://www.idrc.ca/gender/tool_f.html

· HARDING Sonia, Del problema de la mujer en la ciencia al problema de la ciencia en el feminismo, http://www.creatividadfeminista.org/fr_artfeminismo.htm

· LAMAS, Marta, Usos, dificultades y posibilidades de la categor'a de género, in La Ventana, 1:10-61, Universidad de Guadalajara, Mexico, 1995 (version online:
http://www2.udg.mx/laventana/).

· MOLINA Natacha, Las mujeres en la construcción de la igualdad y la ciudadan'a en América latina, La Ventana, http://www2.udg.m x/ laventana/.

· OXAAL Zoë et BADEN Sally: Gender and empowerment: definitions, approaches and implications for policy, BRIDGE Development - Gender, report n°40, Institute of Development Studies, Brighton, octobre 1997.

· PALOMAR, Cristina, Feminismo: movimiento y pensamiento, in Debate Feminista, année 6, vol. 12, Mexico, octobre 1995.

· PISANO, Margarita, Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.

· RAO Aruna et KELLEHER David, Transforming Institutions for Gender Equality: History, challenges and a Proposal to Move Forward, février 2001 http://www.genderatwork.org/ MoveForward.php3.

· RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995.

· REEVES Hazel et BADEN Sally, Gender and development. Concepts and definition, Bridge Develoment-Gender, report n°55, Institute of Development Studies, Brighton, février 2000.

· TOUPIN Louise, Les courants de pensée féministe, version revue et online du texte Qu'est ce que le féminisme? Trousse d'information sur le féminisme québécois des 25 dernières années, 1997, http://netfemmes.cdeacf.ca/documents/courants0.html

· VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los procesos de autonom'a y la construcción de la
ciudadan'a femenina en la región
, http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/ index.htm

· VARGAS Virginia, Itinerario de los otros saberes, http://www.flora.org.pe/ ensayos/mr.htm

· VEZINA Annie, La micro-entreprise: une technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de développement in Altérités. No 3 (janvier 2002).
http://www.fas.umontreal.ca/anthro/ varia/alterites/n3/vezina.html.

Documents d'OXFAM et NOVIB

· NOVIB, A Framework for Organizational Gender

Diagnosis, Site web Gender at work,

http://www.genderatwork.org/novib.php3.

· NOVIB, "En Route". Evaluation of the Gender Route Project, La Haye, 2001

· NOVIB, Fighting for Rights A global movement, Novib Multi-Annual Plan 2001-2004, La Haye, 2000.

· NOVIB, More power, less poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 2000 (2ème edition)

· NOVIB, Novib's gender route project, Site web Gender at work, http://www.genderatwork.org/novib.php3

· NOVIB, Rapport annuel 2000, La Haye, 2001 (version en ligne sur http://www.novib.nl).

· OXFAM, Gender Training, Oxfam Publications, London, 1991.

· OXFAM, The Oxfam Gender Training Manual, Oxfam, Oxford, 1994.

· OXFAM, Vers l'équité mondiale. Plan stratégique 2001-2004, Oxfam International, 2000.

· BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de planificación de género en el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994

· MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995.

· O' CONNELL H., Women and Conflict, Oxfam Focus on Gender Series, n°2, OXFAM Publications, Oxford, 1993.

· ORDONEZ Amado, TRUJILLO Monica et HERNANDEZ Rafael, Mapeo de riesgos y vulnerabilidad en Centroamérica y México. Estudio de capacidades locales para trabajar en situaciones de emergnecia, Oxfam, Managua, 1999.

· PORTER Fenella, SMYTH Ines et SWEETMAN Caroline, Gender Works! Oxfam experience in policy and practice, Oxfam Publications, Oxford, 1999.

· SWEETMAN Caroline (Editeur), North - South Co-operation, Coll. <<Oxfam Focus on Gender>> n° 6, Oxfam Publications, Oxford, 1994.

· VAN DUEREN Irma: How can NGOs improve their work in gender and development, NOVIB.

· WALKER Bridget (Editeur), Women and Emergencies, Coll. <<Oxfam Focus on Gender>> n° 4, Oxfam Publications, Oxford, 1994.

Documents d'ONG et organisations féministes latino-américaines

· CENTRO DE ESTUDIOS DE LA MUJER, Encuentro Centroamericano: Las mujeres en la Reconsctrucción - Honduras, Tegucigalpa, 2000.

· Feminismo y cooperación para la Democrac'a y el Desarrollo en América Latina. Un llamado a las mujeres, Red Entre Mujeres. género y Cooperación al Desarollo, Mexico, 1998.

· Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y del Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico, 1997.

· II Encuentro Centroamericano de Mujeres para el seguimiento a Estocolmo: Centroamérica también es nuestraÉ Y la queremos plena de igualdad y justicia, Managua, 2000.

· Lo que siempre quisiste saber sobre feminismo en Centroamérica y que no te atreviste a preguntar, Programa Regional La Corriente, Centro Editorial de la Mujer, Managua, 1994.

· Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colección Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997.

· VI Encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Memorias, Centro Editorial de la mujer, Managua, 1994.

Documents d'ONG européennes

· DEUTSCHE WELTHUNGERHILFE, Gender Training for GAA Staff, Bonn, 1997.

· EUROSTEP, Poverty Eradication and Gender Equality, a benchmark for the successor agreement between the EU and the ACP, Brussels, 1999.

· Integrating Gender issues in development co-operation, preliminary progress report 1997, 1st August 199.

· MACDONALD Mandy, Gender Mapping the European Union, EUROSTEP/WIDE, Brussels, 1995.

· SCHALKWYK J., THOAMS H. & WORONIUK B., Mainstreaming. A strategy for achieving equality between women & men. A think piece, SIDA Department for polic and legal services, juillet 1996.

TABLE DES MATIERES

Table des matières

FEMINISME, GENRE ET DEVELOPPEMENT EN AMERIQUE LATINE:
LE TRAVAIL DE NOVIB
INTRODUCTION 5

Introduction 6

1. Plan de travail 6

A. Première partie: Savoir, genre et pouvoir 7

B. Deuxième partie: Femmes et développement - genre et développement 9

C. Troisième partie: Féminisme et développement en Amérique latine 10

D. Quatrième partie: NOVIB: un exemple d'ONG engagée dans le genre 10

2. Quelques précisions méthodologiques générales 11

A. Les sources: 11

B. La méthode et ses limites: 11

FEMINISME ET DEVELOPPEMENT: A L'INTERSECTION DU SAVOIR ET DU

POUVOIR

13

 
 

Introduction: Définitions

et méthodologie

14

 
 

1. De la constitution du savoir et du rapport à l'objet

14

2. Quelques définitions du genre

---14

3. Quelques définitions du développement

16

4. Méthodologie:

17

Chapitre I: Savoir féministe Savoir de femmes

et

18

 
 

1. Les Racines -

18

2. La recherche de "l'ennemi principal"

20

A. Les tendances

20

B. Les approches dans la constitution du savoir

21

3. Le genre: un big bang conceptuel

21

A. Genre et féminisme

22

B. "Homme public, femme privée"

23

4. Le Féminisme: "recherche-action" collective permanente

24

Chapitre II: Savoir du développement: le Dispositif

26

 
 

1. Discours et langage --

26

2. Qui développe le savoir du développement?--

27

3. L'utilisation politique du savoir féministe et du savoir du développement

28

A. La gestion et l'instrumentalisation du savoir

28

B. Utilisation du savoir à des fins de gestion du social

29

 

4. Le dispositif de développement

-30

5. Le dispositif de développement appliqué aux femmes

---31

6. En forme de conclusion 33

DU FED AU GED: L'EVOLUTION DU DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT 34

Chapitre I: Des Femmes dans le développement (FED) au Genre et développement (GED)

35

 
 

1. Développement et coopération au développement: une introduction--

35

A. Coopération et Développement: un bref historique

36

B. Les femmes font leur entrée comme actrices du développement

36

2. L'évolution du 'dispositif' femmes et développement

39

A. Les cadres théoriques

40

B. Les approches pratiques

44

3. Genre et développement

48

A. L'analyse des relations sociales (ARS)

49

B. Empouvoirement (Empowerment)

50

C. La transversalisation de la perspective de genre

51

4. Conclusions

52

Chapitre II: L'autonomie dispositif de Développement

comme alternative au

54

 
 

1. L'institutionnalisation: risques et profits

54

2. Autonomie: un mode d'action

---56

A. La constitution d'autres savoirs

56

B. L'autonomie comme réappropriation de soi --

57

C. L'autonomie comme redéfinition de l'action collective

57

3. Mouvements sociaux, pouvoir et puissance

58

4. Femmes, autonomie et puissance

59

FEMINISMES ET GENRE EN AMERIQUE LATINE

----61

Chapitre I: Les féminismes latino-américains: des mouvements en questionnement------62

1. Contexte sociopolitique Latino-américain

63

2. Les féministes latino-américaines: tendances et perspectives

64

A. Les revendications à la base du féminisme latino-américain

64

B. Organisation et action: évolution, clivages et tendances récentes

68

C. Tendances récentes et perspectives

71

 

Chapitre II: ONG de Amérique Latine

et perspective genre en

---71

 
 

1. ONG, femmes du Sud et féminismes

72

2. Perspective de Genre et ONG en Amérique latine

74

NOVIB, UNE ONG "ENGAGEE DANS LE GENRE": ANALYSE DE CAS ---------

76

Chapitre I: Grille de lecture d'analyse

et méthodologie

77

 
 

1. Cadre conceptuel

77

2. La grille d'analyse

78

A. Au niveau théorique

78

 

Table des matières

B. Au niveau pratique--

3. Pourquoi NOVIB?

4. Méthodologie d'analyse

79

80

80

Chapitre II: NOVIB le

81

et genre

 

1. Principes fondateurs et Organisation interne --

81

2. Historique du genre au sein de NOVIB

83

3. Le Genre dans les textes de NOVIB

86

A. Les objectifs généraux de NOVIB

86

B. L'approche Genre et Développement - Principes généraux

86

C. Les plans d'action

86

 

4. L'institutionnalisation et la transversalisation du genre

87

A. La transversalisation du genre par départements

88

B. Les acteurs intervenants dans l'intégration du genre

91

5. Les projets spéc ifiques d'intégration du genre

92

A. Le gender route project

92

B. Le "feu de signalisation"

94

 

Chapitre III: Le genre en pratique: réussites et limites en Amérique lati ne

95

 

1. Tendances Générales de l'action de NOVIB en Amérique Latine

96

2. Les partenaires et leurs projets

---97

A. Projets de partenaires individuels

97

B. Les projets collectifs (hors GRP)

98

C. Le GRP en Amérique latine

100

NOVIB, ONG dans le

104

une engagée genre

 

CONCLUSIONS

106

 
 

Pour du développement

une autonomie

107

 
 

ANNEXES

110

 
 

Annexe 1: Interview de Irma Van Dueren, responsable du genre dans le développement
de NOVIB. 111

Annexe 2: Extraits du rapport annuel de NOVIB (2000) 114

Annexe 3: Organigramme de NOVIB 117

Annexe 4: Grille d'auto-évaluation organisationnelle 119

BIBLIOGRAPHIE 120

Bibliographie 121

TABLE DES MATIERES 126

Table des matières 127






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams