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L'histoire oubliée des Tirailleurs sénégalais de la Seconde Guerre mondiale

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par Moulaye AIDARA
IEP Aix-Marseille et UMR 5609 ESID CNRS ( Montpellier III) - DEA histoire militaire, sécurité et défense 2000
  

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CHAPITRE II

DE L'AFRIQUE A L'EUROPE

A la déclaration de la guerre en 1939, les troupes coloniales fournissent huit divisions à l'Empire français. Un an plus tard, en 1940, la plus belle page d'héroïsme est écrite dans la région Rhône-Alpes (17-23 juin) par les tirailleurs du 25ème RTS, en majorité de jeunes guinéens, qui résistent aux Allemands dans leur point d'appui du couvent de Mont luzin, au Nord - Est de Lyon.

Participer à cette guerre qui n'était pas la leur était pour ces Africains une obligation plus qu'un engagement puisqu'ils faisaient partie de l'Empire français. Si l'AEF décide de continuer la guerre dès 1940, il faudra attendre 1942 pour que l'AOF rallie la cause gaulliste. Ses renforts se monteront alors à partir de 1942 à 60 000 Africains et 16 000 Européens. Comment se sont déroulés les recrutements, l'entraînement et la mobilisation de ces hommes qui devaient combattre une des armées les plus structurées et les plus modernes de l'époque ?

1. L'appel aux armes, la mobilisation, Le Recrutement :

Par l'expérience acquise au feu lors de la conquête outre- mer, la coloniale s'illustre dès 1914, où les troupes noires forment 60 bataillons. Cependant, elles ne sont que prudemment engagées en septembre 1914. Elles se distinguent à Dixmude mais doivent être retirées du front aux premiers froids. L'expérience tirée de leurs combats va porter ses fruits. En 1916, lorsque d'autres africains sont engagés à la suite de l'intervention de Blaise Diagne, on profite des mois d'hiver pour les entraîner dans les camps de la Côte d'Azur. En 1918, les troupes coloniales forment 210 bataillons ( 66% de l'Afrique noire, 15% de Madagascar, 1 à 2% des Somalies, le reste, de l'Indochine et du Pacifique) ; L'ensemble de ces effectifs aura compté en tout 283 000 soldats et 91 000 travailleurs, et il y eut 115 000 tués et 6 393 disparus.

Ainsi, lorsque la mobilisation générale fut lancée en 1939, beaucoup d'Africains fuirent en Gold Cost. La guerre en Europe signifiait pour beaucoup d'entre eux une mort certaine. D'autant plus que la politique coloniale de la France n'avait pas beaucoup changé par rapport à celle des années 1914. Pendant la période des années 1930, les possessions françaises étaient groupées en deux fédérations de colonies et en territoires sous mandat :

- L'Afrique Occidentale Française (AOF) avait pour capitale fédérale Dakar ; elle comprenait le Sénégal, le Soudan français ( actuel Mali), la Guinée française, la Haute Volta (actuel Burkina Faso), la Côte d'Ivoire, le Dahomey(actuel Bénin), le Niger et la Mauritanie.

- Avec Brazzaville pour capitale, l'Afrique Equatoriale Française ( AEF) regroupait le Moyen-Congo ( actuel Congo), le Tchad, l'Oubangui-Chari (actuel République centrafricaine) et le Gabon.

- Anciennes colonies de l'Allemagne, le Cameroun et le Togo étaient divisés entre la Grande Bretagne et la France et placés sous mandat de la Société des Nations.

Le système colonial français est alors fondé sur l'administration centralisée et directe. Chaque groupe de territoires avait à sa tête un gouverneur général représentant le ministre des Colonies. Administrés par un haut commissaire de la république, les territoires sous mandat échappaient à la conscription et la France devait présenter à la SDN un rapport annuel sur son administration.

Les colonies étaient gouvernées par arrêtés émanant des gouverneurs généraux ou découlant des décrets des autorités gouvernementales françaises. Formé de hauts fonctionnaires, le conseil de gouvernement assistait le gouverneur général ou le haut commissaire, mais son rôle était surtout consultatif. Les pouvoirs du gouverneur général étaient de type proconsulaires : il administrait, disposait d'une force armée, nommait et révoquait à sa guise. Chaque colonies avait à sa tête un lieutenant-gouverneur dépendant du gouverneur général et assisté d'un conseil d'administration. Appelées circonscriptions ou cercles, il y avait une centaine d'unités territoriales en AOF et une cinquantaine en AEF. Chacune d'entre elles était administrée par un commandant de cercle. Au bas de l'échelle, l'administration était généralement assurée par les anciennes familles régnantes devenues alliées des français.

Chef politique et administratif, chef de la police et procureur général, présidant du « tribunal indigène », sorte de despote local, le commandant de cercle était le principal représentant du pouvoir colonial connu des africains. Jugé en fonction des profits qu'il obtenait pour l'Europe, il veillait avant tout aux intérêts des chambres de commerce et des grandes entreprises et n'hésitait pas dans la défense de ces intérêts et des siens propres à « faire travailler la masse pendant neuf mois consécutifs sans toucher la moindre rémunération »59(*) . C'est lui qui prescrivait l'impôt de capitation, prélevait les taxes, exigeait le travail forcé, mobilisait pour le travail obligatoire et imposait le service militaire. Il était avec le chef de canton à l'origine de profonds traumatismes en milieu rural.

Devenus de véritables fantoches, les chefs de village étaient tour à tour détestés par les leur ou destitués par l'administration coloniale. Ils choisissaient souvent l'option la plus intéressante pour eux et leur famille, c'est à dire faire tout pour s'attirer les faveurs de l'administration ; ils n'hésitaient d'ailleurs pas à en faire parfois un peu plus qu'on ne leur demandait.

Malgré les quelques réformes qu'il recommande, l'avènement du gouvernement de Front populaire en juin 1936 n'apporta aucun changement au système colonial. Un système de consultation de la population fut conçu par l'administration coloniale mais il était régulièrement manipulé. De fait, seuls les électeurs des quatre communes du Sénégal, environ 10 000 personnes, participaient aux consultations.

Comme le note si bien Jean Paul Sartre60(*), les soldats français d'outre-mer, repoussant l'universalisme métropolitain, appliquent au genre humain le numeris clausus61(*) . C'est très certainement la méthode qui a été appliquée en Afrique colonisée. En effet, en décidant que seuls les natifs des Quatre communes62(*) (Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée) avaient le droit d'être citoyen français et de jouir des mêmes privilèges que tous les Français, ils créaient au sein d'une même communauté une certaine inégalité63(*). Le recrutement des Tirailleurs obéit à cette même règle puisqu'il y avait une différence de traitement entre ces natifs des Quatre communes et les autres.

Recruter par tous les moyens : Les Français avaient déjà eu une première expérience avec la Première Guerre mondiale. Ils avaient compris que l'administration coloniale était réticente à une levée en masse en Afrique comme ce fut le cas lors de la Première Guerre mondiale lorsque Van Vollenhoven64(*) préféra la démission à cette charge. Ils avaient aussi compris l'importance des marabouts et avaient d'ailleurs depuis longtemps choisi d'en faire des alliés. En effet, en détruisant le système africain reposant sur une alliance au roi, la France n'avait fait que transposer le problème. Les marabouts prirent ce rôle, celui de guide et de « roi- mage » dont le pouvoir doublé de spiritualisme devait dépasser celui des anciens rois africains. Beaucoup de ces marabouts choisirent la lutte contre l'envahisseur que ce soit en Afrique noire65(*) ou en Afrique du nord66(*) . Certains, comprenant bien le pouvoir des Européens « ceux qui savent vaincre sans avoir raison », choisirent une alliance de fait dans la mesure où la France ne s'attaquait pas à l'Islam.

La France va donc utiliser ses alliés pour le recrutement car l 'expérience de la Première Guerre mondiale avait montré qu'un noir choisi parmi les siens avait plus de pouvoir de persuasion que n'importe quel européen. Ainsi, en combinant tous les moyens, la France prit toutes les dispositions pratiques en vue des hostilités. Au lieu de 10 à 12 000 appelés des années normales, on allait recruter 25 000 hommes parmi la classe normale, c'est à dire parmi ceux dont la date de naissance officielle était 1919. Malgré les protestations de certains gouverneurs, qui à cause de la mobilisation se retrouvaient à gérer une population de plus de quatre millions d'âmes avec parfois une centaine de français seulement, le recrutement allait se poursuivre.

La montée du nombre des appelés de l'AOF était importante. De 21 000 en septembre 1939, elle allait passer à 122 320 en juin 1940.

Même si l'administration, dans un style plus proche de la propagande notait à l'époque que «  des foules d'indigènes se présentaient dans les bureaux de recrutement, réclamant l'honneur de porter les armes pour notre pays », les Africains ne se ruèrent pas dans les bureaux de recrutement. Myron Echenberg cité par Anthony Clayton note pourtant :

« Le Cameroun sous tutelle de la SDN est supposé être démilitarisé, mais des volontaires camerounais se présentent d'eux même au Niger ».

L'administration mobilise d'abord les anciens Tirailleurs encore en vigueur et utilise toute sorte de propagande montrant tantôt la méchanceté d'Hitler qui n'aimait pas du tout les Africains ou alors glorifiant les fils de la France se mobilisant pour lutter pour la liberté et la dignité de l'Homme. Même si cela est en partie vrai car il faut le dire, l'envahisseur est bien l'Allemagne nazie dont l'idéologie n'était pas très pro-africaniste, les Africains ne faisaient aucune différence entre les Européens. Ils n'avaient souvent vu l'homme blanc que sous un angle de dominé ou alors de violence. Les Africains qui avaient compris qu'ils n'échapperaient pas au recrutement finirent par s'y résigner même si certains choisirent la fuite ou d'autres moyens pour ne pas aller en Europe. L'administration avait cependant des moyens de dissuasion67(*).

Le système de recrutement de 191968(*) fut maintenu plus ou moins en l'état même si les chiffres changèrent. 82 000 soldats devaient être enrôlés en A.O.F dont 30 000 immédiatement ; le reste devant être gardé en réserve pour une incorporation ultérieure.

Comme nous l'avons vu plus haut, le système colonial était très centralisé. Au plus bas de l'échelle se trouvait le chef de canton et au plus haut le gouverneur. Une fois les quotas fixés, tous les moyens nécessaires étaient bons pour les atteindre. Les commandants déléguaient les opérations de recrutement aux chefs de cantons qui souvent en bon vassal en faisaient plus qu'on ne leur demandait pour s'attirer certaines faveurs de l'administration. Les chefs de village, dernier maillon du système ( puisque le recrutement dans leur village était de leur ressort ) avaient un plus lourd travail. Liés à ces hommes qu'ils allaient envoyer à la guerre, ils n'avaient d'autres choix que de respecter les décisions de l'administration soit d'une manière démocratique en convoquant le conseil des sages, soit d'une manière plus juste en choisissant un jeune homme dans chaque famille. Cependant, certains chefs de village en profitèrent pour régler leur compte aux familles ennemies (en envoyant tous les hommes au recrutement).

La loi de 1919, qui avait institué le service militaire universel en A.O.F stipulait que « les conscrits qui avaient un frère à l'armée ou qui étaient seuls à subvenir aux besoins d'une mère ou d'une grand-mère veuve ou d'un père infirme, étaient exempts » du moins en principe. L'administration ne tient pas compte de cette loi par la suite.

Le véritable succès du recrutement est l'engagement de l'illustre marabout de l'Afrique Occidentale Française Seydou Nourou Tall69(*), descendant de El hadj Omar Tall, fondateur de l'empire Toucouleur musulman au nord du Sénégal. Il fit une tournée de plus d'un mois, haranguant les foules et avec pour mission de préparer les africains à l'effort de guerre. D'autre part, les chefs de village, de canton, pour ne pas s'attirer l'ire de l'administration envoyaient un cheptel humain assez convenable même si dans certaines régions cela était très difficile car il fallait aussi répondre aux exigences du travail forcé, du travail des champs70(*) etc. Ils arrivaient quand même à presque toujours respecter le quota qui leur était imposé tout en se préservant car peu de fils de chefs feront la guerre.

Ainsi, au moment de la déclaration de guerre en septembre 1939, 30 000 africains sont stationnés en AOF, 8 000 en AEF et 30 000 en Métropole, 4 500 en côtes des Somalis soit un total de 72 500 africains sous les drapeaux71(*). En Métropole se trouvent 6 RTS : les 4ème et 8ème RTS sont à Toulon, le 12ème à la Rochelle, le 14ème à Mont de Marsan, le 16ème à Montauban et le 24ème à Perpignan. Le 25ème RTS est créé à Souge en avril 194072(*).

Après le recrutement des hommes répondant aux critères, une seconde sélection était faite par le conseil de révision comprenant généralement le commandant de cercle, un officier et un médecin. Ils faisaient le tour des districts et y passaient trois jours environ. Les chefs de cantons qui devaient obligatoirement être présents y recevaient soit des blâmes soit des félicitations selon la qualité des recrues. Le tiers parfois la moitié des recrues étaient inaptes, soit à cause des maladies, soit pour d'autres raisons. Il y avait cependant un plus grand nombre d'apte dans les écoles comme le constate M. Conombo :

« Après avoir passé devant chacun des membres qui émettait son avis, invariablement tout se terminait par le cri du médecin : BSA (Bon Service Armée).Immédiatement, ses suivants se saisissaient de vous et mettaient votre livret de recrue à jour sur le champ73(*) »

  Certains Africains, pour ne pas aller en Europe, n'hésitèrent pas à se mettre du piment dans les yeux. D'autres utilisèrent des moyens mystiques et certainement que la plupart des réformés croyaient en la puissance de leur gri-gri. Les maladies qui sévissent dans ces contrées ( malaria, fièvre jaune) étaient aussi pour beaucoup dans les révocations. Les Français recherchent par ailleurs un certain profil de tirailleurs : grand, fort et imposant était le parfait tirailleur. On trouve donc peu de Peuls parmi les tirailleurs et beaucoup de Mandingues et de Bambaras74(*) comme le constate Anthony Clayton :

« Un soin particulier est également apporté pour que les groupes ethniques attirés par le militantisme de l'Islam, tels que les Peuls, n'aient pas la prépondérance dans aucune formation75(*)»

Au début de la guerre, la proportion des sélectionnés était en A.O.F de 20% en moyenne. Cette proportion passe à 35% en 1940. Après la visite, les sélectionnés étaient incorporés immédiatement : « Dès que je fus reçu apte, ma formation commençait. Ce n'était pas facile mais je n'avais pas peur » confirme d'ailleurs M. Ousseynou Diop tandis que l'originaire M. Cissé a une autre approche :

« Je fus incorporé le 4 novembre 1942 à Dakar et fis ma préparation militaire à Thiès. Ce n'était pas si compliqué que ça finalement l'armée ».

On leur donnait immédiatement leurs uniformes dont les Tirailleurs tiraient une grande fierté. En effet, celui ci leur donnait un certain prestige et même s'ils n'étaient pas chefs, ils se retrouvaient immédiatement au dessus de la masse.

2. Volontaires et conscrits ; « indigènes et  évolués » :

Le décret du 21 août 1930 réglementant le recours au travail public obligatoire en AOF stipule à l'art. 7 : En aucun cas, ne peuvent être soumis au travail public obligatoire :

1°Les indigènes ayant servi sous les drapeaux pendant la guerre ; [...]

9° Les militaires et agents de la force publique en activité de service ;

10° Les élèves des écoles officielles ;

On voit donc qu'il y avait quelques avantages à être engagé, au moins pouvait-on échapper au travail obligatoire. Mais ce n'était pas une des principales motivations des engagés. L'administration française utilise tous les moyens imaginable y compris la ruse pour atteindre un quota acceptable de volontaires. Les conscrits n'avaient pas le choix. Les Tirailleurs instruits ( même s'ils étaient indigènes) jouissaient d'un régime de faveur :

« Nous tous jouissions d'un régime de faveur à savoir un an de service militaire au lieu de 3 comme les autres indigènes et possibilité de faire dans la même année le peloton d'élèves caporaux 76(*)»

Ce régime de faveur est bien réel pour les Tirailleurs instruits, du moins au début de la guerre. Mais par la suite, l'administration française mit tout le monde sur le même pied d'égalité :

« Les années 1938-39 voient s'intensifier le recrutement militaire dans les grandes écoles. Au lieu d'une dizaine ou d'une vingtaine de recrues par promotion, on prend maintenant toute la promotion ! Plus de régime de faveur d'une année, qui n'était réservé qu'aux citoyens français77(*) »

Une fois le Tirailleur recruté, l'objectif de l'armée française est de lui faire signer pour quatre ans. On l'encourageait dès les premières heures de son incorporation. Un des moyens assez fréquemment utilisés fut de lui poser une multitude de questions, y compris sur la famille de la nouvelle recrue. Ce dernier avait alors l'impression d'acquérir une certaine importance due à son engagement ( ou plutôt sa sélection) ; il devenait alors facile à l'administration de le berner en lui montrant les avantages matériels. Beaucoup d'Africains se laissent faire sans se rendre compte de la supercherie.

L'objectif pour l'administration est de montrer à l'Allemagne la réussite de la mission civilisatrice de la France. D'ailleurs, les nazis dénoncent aussitôt les méthodes de la France. Elle appelle la France à se battre entre Européens. Mais la vraie raison est que les Allemands, en raison des anecdotes racontées pendant la Grande Guerre sur les Tirailleurs noirs et des souvenirs de l'occupation de la Ruhr, avaient une peur atroce de ces troupes « sauvages » comme les nomme Hitler.

L'administration coloniale rappela d'abord les réservistes avant de les renvoyer chez eux. Chouchoutés par l'administration, ils avaient pour rôle indirect de pousser les Africains à aller en masse dans les bureaux de recrutement. Les autres Africains encore entrain de faire leur service militaire furent incorporés d'office dans l'armée comme le souligne Mamadou Kane :

« J'étais originaire, j'avais 19 ans, j'étais apte et incorporé 1 ans après au 1er Bataillon de l'AOF à Kaolack  78(*)»

En fonction des régions d'Afrique, il y avait un pourcentage plus ou moins élevé de volontaires. Nancy Lawler79(*) établit une corrélation entre la culture, l'histoire d'un peuple et l'intérêt pour l'armée. Elle a certainement raison. Les Africains de la région sub-saharienne dont la culture est plutôt ouverte à l'extérieur sont plus souvent volontaires que leurs homologues africains du centre. L'environnement explique aussi beaucoup de choses. Le désert symbole de liberté et de grands espaces est le domaine ouest africain. La région centrafricaine plus hostile ( végétation dense) pousse a un caractère plus méfiant. Les fuites sont d'ailleurs plus fréquentes dans ces régions. Ainsi, plus de la moitié des Tirailleurs interrogés à Dakar se sont portés volontaires. Il faut dire que le Sénégal a une culture ouverte vers l'extérieur. Le voyage y est considéré comme un épanouissement. Ceux qui partent loin y sont respectés.

Mais une des principales motivations est surtout l'illusion de pouvoir obtenir après la guerre le droit de vote et le statut juridique français remplaçant le statut d'indigène. Cette promesse des français avant la déclaration de guerre était en fait un leurre. Il y avait cependant plusieurs avantages à se porter volontaire. Le salaire augmentait de plus de 500 FF et la reconnaissance sociale était énorme.

« L'évolué » africain est, selon le principe du Numéris clausus80(*) énoncé plus haut , un Africain ayant un certain niveau d'étude ( primaire, diplômé de William Ponty au Sénégal ) ; Les perspectives d'avancement pour ces hommes étaient beaucoup plus larges que celles du simple indigène. Ces diplômés étaient cependant plus nombreux dans les Quatre communes que dans le reste de l'Afrique. L'AOF était d'autre part mieux lotis en « évolués » que l'AEF. Instituteurs, docteurs, vétérinaires, administrateurs, ils sont d'une importance capitale dans cette guerre. Comme nous l'avons dit en introduction, nous nous intéressons plus à ces hommes qu'au reste des Tirailleurs. Les « évolués », dotés d'un certain niveau d'instruction, avaient une conscience réelle de ce qui se passait : conscience de l'ennemi, de son idéologie ; ils pouvaient lire et comprendre les propagandes tant françaises qu'allemandes et plus tard américaines. Ces « évolués » ont souvent utilisé leur statut pour profiter du système colonial. Ainsi, l'instituteur pouvait-il voyager en se faisant héberger gratuitement dans les villages car les chefs de village les considéraient comme proche de l'administration81(*). Ils marquaient leur statut par l'habillement (casque colonial), l'utilisation fréquente du français qu'ils maîtrisaient. Cela avait pour effet d'impressionner les indigènes.

Comble de l'ironie, l'administration française ne fit aucune différence entre celui là même à qui il a appris à se sentir supérieur parce qu'instruit et le reste des Tirailleurs. Beaucoup de ces Tirailleurs « évolués » se sentent alors blessés dans leur dignité d'hommes instruits82(*). Les premières semaines d'instruction furent terribles pour ces hommes qui venaient de comprendre qu'ils ne sont rien d'autre que des « colonisés » que le colonisateur utilise à sa guise.

Chéchia rouge ou casque de soldat ?

Blessés dans leur dignité d'homme « évolués », ils le sont encore une fois dans la tenue vestimentaire. Ils avaient la même tenue que l'indigène au rire niais représenté sur la publicité de « banania » à savoir un chéchia rouge, une ceinture de flanelle et un blouson col rond, liseré jaune et les bandes molletières et pieds nus. Les collègues africains qui partageaient la même école, faisaient le même travail, par le seul fait d'être originaire des Quatre commune avaient eux des habits de soldats parce qu'ils étaient « citoyens français » ; Ils portaient le casque ou le calot et étaient habillés avec le veston kaki et des chaussures. L'injustice est alors à son comble. D'autant plus que certains administrateurs laxistes ou tout simplement de mauvaise foi mentionnaient « illettré » sur toutes les fiches de recrutement des sujets français.

L'administration, à cause du manque d'officiers et de sous-officiers, est plus attentive par la suite dans l'unique but d'identifier les candidats potentiels à une promotion. Les « sujets » africains ne pouvaient être promus que jusqu'au rang de capitaine et au cas où ils allaient plus loin dans la promotion, ils étaient « officiers indigènes », histoire de leur rappeler qu'ils n'étaient pas citoyens français83(*) comme le note M. Conombo:

« Nous, nous serons Sergents infirmiers « indigènes » à 48 FF par quinzaine et nos deux autres camarades citoyens de même grade à 500 FF par quinzaine[...]Nos deux camarades mangent au mess des sous-officiers84(*) ».

Cependant, si l'administration française est réticente à former des officiers africains, elle l'est moins pour les sous-officiers. Tous les « instruits » recevaient une proposition de promotion au sein de l'armée comme sous officiers85(*). Ainsi, la règle était assez simple, sous officiers noirs mais officiers toujours blancs ( sauf quelques exceptions)

Les officiers français des régiments de tirailleurs, souvent sortis des meilleures écoles avaient reçu l'ordre de se rapprocher de ces sous officiers et « officiers indigènes » ; ce que beaucoup d'entre eux feront bien et de bonne foi en réalité. La plupart des officiers connaissait bien l'Afrique et certains parlaient plusieurs dialectes africains. Les officiers français, dans l'ensemble étaient de vrais soldats qui respectaient la bravoure86(*).

L'entraînement : Mais comment faire de ces hommes des soldats ? Pour être soldat, il ne suffit pas de savoir manier les armes mais surtout d'apprendre à faire partie d'un corps. La distribution immédiate des uniformes permettait de créer une nouvelle identité pour ces hommes venus des différentes parties de l'Afrique. Le Ouolof, le Toucouleur, le Dioula, le Mandingue se trouvèrent tout à coup un point commun : ils devenaient tous « Sénégalais ». Cette nouvelle identification est capitale. En vivant ensemble, les Africains apprennent à se connaître, à s'aimer dans la différence culturelle, à être des « soldats de France » ; C'est très certainement, cet aspect qui est la plus importante pour l'avenir de l'Afrique, il y avait au sein des RTS une unité exceptionnelle87(*). Après s'être habitué à la vie de camp, les Africains apprennent le maniement des armes (le fameux MAS 36) :

« ... Commence l'instruction militaire, chacun ayant sa tenue complète de campagne et le fusil 36 sur l'épaule. Nous parcourons ainsi chaque matin 10 à 15 km dans les nyagnés périphériques de Dakar [...] Cette vie disciplinaire n'a duré qu'un mois et n'a visé en fait qu'à un seul but : nous apprendre à ne jamais refuser l'exécution d'un ordre 88(*)».

L'entraînement est par la suite plus intensif surtout à partir de 1942 :

« ...Pendant plus de dix mois, nous allons mener la vie de casernement. Nous devons à tour de rôle avec les unités, nous préparer par tous les exercices d'endurance à affronter le débarquement 89(*)».

Les TS cultivent eux même des champs d'ignames nécessaires à leur alimentation et le soir apprennent à parler le Français, du moins les rudiments de la langue française pour se faire comprendre, le « moi y'a dit » comme disait un tirailleur dans le reportage Histoire oubliée d'Eric Deroo. Plusieurs km de marche, une alimentation assez équilibrée, et des punitions corporelles90(*) sont le quotidien de ces hommes pendant plus d'un mois. L'objectif est surtout d'apprendre à ces hommes de ne jamais désobéir aux ordres d'un supérieur.

Le tirailleur est alors fin prêt. Pendant toute la durée de ses classes, il n'avait pas pris conscience de ce qui l'attendait. Il était devenu un soldat : un « Sénégalais » ; Il en tirera une grande fierté toute sa vie durant. De frères de couleur, ces hommes venus de toutes les contrées africaines deviendront « frères de sang » sur les fronts européens. Ils verront l'homme blanc en général si sûr de lui, vaciller et perdre la face. Ils se rendront compte sur les chemins de la guerre que leur propre Liberté n'est pas loin.

3. La bataille de France :

Le 1er juin 1943, « c'est en cargo grec transformé en navire de guerre, que nous sommes acheminés comme des moutons à Casablanca » dit Mamadou Kane91(*), matricule M 795, 11ème RTS. Il faut dire qu'à ce moment de la guerre, la France doit utiliser tous les moyens logistiques pour vaincre l'ennemi allemand. Par la suite, les Tirailleurs sont acheminés en Afrique du nord par le « Pasteur » que la plupart des Tirailleurs interrogés ont pris :

« Notre unité du 18ème RTS, dirigé par le Colonel Salan, embarque le 3 octobre 1943 à bord du Pasteur pour Casablanca. De là, dispersion vers Fez ( 18ème RTS), Marrakech ( 17ème RTS) et Rabat ( 16ème RTS) » note le Docteur Conombo.

La France mobilise alors le maximum de ses troupes d'Afrique de l'Ouest. M. Cissé et M. Babacar Diop font partie de ceux qui embarquèrent à bord du Pasteur :

« Je fus incorporé le 4 novembre 1942 à Dakar. Je fis ma préparation militaire à Thiès. Revenu à Dakar, j'embarquais à bord du Pasteur le 27 septembre 1943 pour Casablanca » dit M. Cissé ( 18ème RTS). Les propos du Docteur Conombo diffèrent de ceux de M. Cissé car tous deux faisaient partie du 18ème RTS. Il semble donc qu'il y ait eu deux convois pour le 18ème RTS. M. Diop a certainement pris le même convoi que son compatriote sénégalais Cissé :

« ... mobilisé en janvier 1943, je pris le Pasteur pour le Maroc en septembre 1943. Nous étions 100 originaires ( téléphonie, chauffeurs) ».

L'Afrique du nord est donc un autre camp d'entraînement pour les Tirailleurs de l'Afrique noire. Si en 1940, la plupart des Tirailleurs se retrouvent directement en Europe, il n'en sera pas de même à partir de 1942 car beaucoup transitent par Casablanca.

Entre le 7 décembre 1939 et le 10 mai 1940, va se dérouler ce que l'on a appelé la « drôle de guerre » ; Le deuxième et le vingt-quatrième RTS prennent part à ces opérations de dissuasion. Pendant ces huit mois d'intervalle, soixante-quatre nouveaux bataillons de Tirailleurs, soit 38 000 hommes et sept nouvelles divisions mixtes coloniales vont les rejoindre. M. Ousseynou Diop92(*) est de ceux là. Embarqué en 1940, il arrive à Marseille et fut directement acheminé à Fréjus93(*). Il partit alors au front pendant 6 mois. Il y aura 250 soldats tués, affirme t-il :

« Nous embarquâmes en 1940. Arrivés à Marseille, on est acheminé à Fréjus où je passais deux mois avant d'aller au front pendant 6 mois. Nous étions 1200 originaires ».

Affectés dans des unités d'artillerie ou d'infanterie, les Tirailleurs sénégalais des premières années de guerre sont principalement acheminés à Souge près de Bordeaux, à Rivesaltes près de Perpignan et à Fréjus. Ces hommes venus des pays chauds ont dû souffrir beaucoup du froid à Fréjus pendant l'hiver particulièrement rigoureux de 1939. Certains Tirailleurs meurent à cause de ces dures conditions car leur voyage en bateau les avait déjà affaiblis. Parfois, ils meurent asphyxiés à cause du chauffage au charbon et du manque de ventilation94(*). Le moral de ces premiers Tirailleurs devait être très bas. Au front, ils creusent surtout des tranchées, bâtirent des fortifications dans l'attente de l'offensive allemande.

Réticente au départ à former des canonniers au sein des RTS, l'administration dû finalement s'y résigner. Cependant, un seul Régiment d'artillerie coloniale ( RAC) était motorisé, il s'agissait du 10ème RAC95(*). Les autres étaient affectés dans l'infanterie malgré les conseils de Mangin.

Comme en 1914, tous les Tirailleurs furent envoyés pendant l'hiver dans le Midi. Ils y continuèrent leur entraînement. Il faut dire que l'Etat-Major français pensait que les Africains ne supportaient pas du tout le froid et étaient vulnérables à la tuberculose. Elle continua de le penser jusqu'à ce que les colonnes allemandes s'enfoncent au Pays-Bas.

Beaucoup d'officiers et sous officiers français attestent la bravoure des Tirailleurs pendant la débâcle. L'Allemagne venait d'imposer à la France une façon radicalement nouvelle de faire la guerre. Elle disposait de l'armée la plus moderne, qui n'a connue que des victoires depuis plus de deux ans. Pour ces africains démoralisés qui, pour la plupart découvraient les armes à feu depuis peu, ce fut terrible.

Malgré l'attitude défaitiste de certains officiers96(*), les Tirailleurs sénégalais se battent jusqu'au bout. Beaucoup de Tirailleurs pensent par la suite que Gamelin était du côté de l'ennemi car ses instructions défaitistes conduisent beaucoup d'entre eux à la mort97(*). Refusant l'offensive, il choisit les tranchées bien que l'armée allemande vienne de démontrer que les anciennes règles de la guerre n'étaient plus valables.

Au mois de mai 1940, les Tirailleurs sont dans les cinq DIC suivantes : la 1ère,la seconde, la 4ème, la 8ème et la 9ème.Huits RTS, deux RICMS et quatre BATS.Ils sont environ 120 00098(*) hommes au total. Le 12ème et le 15ème RTS sont immédiatement au combat.

La plupart des troupes s'engagent à partir du mois d'avril 1940 sauf les 16ème et 24ème RTS présents dès septembre 1939 à Bitche. Les Tirailleurs sont en fait présents partout à la fois : dans la somme ( 16ème et 17ème RTS), à Verdun ( de nouveau) et défendent la ligne Maginot jusqu'à la défaite totale de l'armée française. Ils couvrent la retraite des français et tentent de sauver la Belgique. L'histoire retiendra le sacrifice du 25ème RTS ( 188 tués) à Lyon et ses alentours99(*), 4 jours après la demande d'Armistice de Pétain. 514 tirailleurs du huitième RTS meurent ou sont faits prisonniers pendant la retraite d'Alsace.

Le manque total de repères mais surtout le désespoir poussent les Tirailleurs à se battrent avec acharnement. D'autant plus que la propagande française contre les Allemands les poussait à préférer la mort à la torture100(*).

Le 25 juin 1940, l'ordre de l'armée N°117 allait parvenir aux soldats. Ce fut la déception pour ces hommes qui se sont battus avec l'énergie du désespoir. On remit aux soldats une copie de l'ordre accompagnée d'une mention de félicitation :  « La présente citation confère la croix de Guerre avec étoile de bronze » ; Le haut commandement qui a tardé à avertir les hommes qui étaient au front auraient peut être pu éviter le massacre de Chasselay car dès le 15 juin, le Maréchal Pétain savait déjà que la guerre était perdue. Il deviendra d'ailleurs deux jours plus tard Chef de l'Etat français. Le 25ème RTS savait-il que la guerre était perdue? Pourquoi se battre alors que l'Armistice est en train d'être signée ?

Julien Fargettas note :

« C'est uniquement pour une question d'éthique que ce dernier combat est intervenu »

« Les célèbres cadets de Saumur qui combattent eux aussi le 19 et le 20 juin et dont la résistance « pour l'honneur » a été largement soulignée et appréciée n'ont pas une telle attitude. Ils ont accepté les ordres de repli et n'ont pas livré de résistance désespérée à l'intérieur du dispositif ennemi 101(*)»

L'attitude des Allemands bien qu'atroce peut s'expliquer par la haine et la fureur car pour eux la guerre était déjà gagnée. Perdre alors des hommes (100 tués dont 8 officiers et 50 blessés) alors que l'Armistice se signe était un argument de plus pour mettre en oeuvre leur goût de la destruction et leur manque de respect pour la vie humaine. Cet épisode montre cependant la confiance totale qu'avaient les Tirailleurs noirs envers leurs officiers :

« Le Capitaine Gouzy, a avant tout contact avec l'ennemi, réunit ses hommes dans le parc du château du Plantin et demandé des volontaires pour ce sacrifice. Tous répondent présents `pour l'honneur' 102(*)»

C'est donc le Capitaine Gouzy qui, en partie, a décidé de la mort « pour l'honneur » de ses hommes. Cette spécificité de sacrifice repose sur la position incontournable que connaît l'officier colonial dans son unité. L'allégeance est presque culturelle en AOF, ce qui explique le pouvoir des marabouts. Celle ci a été tout simplement transposée à l'armée. D'autre part, une certaine éthique régnait au sein des troupes coloniales, à savoir que «  la coloniale ne se rend jamais sans combattre » . Les Tirailleurs  « noirs » en font les frais puisque certains d'entre eux meurent écrasés sous les chenilles d'un char. Dans l'atrocité, on a rarement vu pire. Ceux qui ont élaboré une théorie visant à l'extermination d'un peuple à savoir le peuple juif, ne pouvaient certainement pas s'émouvoir de la mort de ces noirs... Die schwarze Schande103(*) !

Entre 10 000 et 16 000 Tirailleurs sont tués ou portés disparus104(*). Le haut commandement accusa d'ailleurs les Tirailleurs de désertion précisant que certains ont quittés le terrain de combat délibérément et sont revenus plus tard. Notons seulement qu'il était bien difficile pour un noir de s'évaporer dans la nature d'autant plus que le terrain était à présent contrôlé par les Allemands. Cependant, la population cacha autant que possible les soldats noirs, dans les caves, les fermes et les greniers. Ils prenaient certes beaucoup de risques, ce qui témoigne de la sympathie que suscitaient les Tirailleurs sénégalais auprès des Français. D'ailleurs, tous les Tirailleurs interrogés affirment avoir ressenti un grand accueil et beaucoup de chaleur humaine en Métropole. Ce dont ils avaient bien besoin. En réalité, même si les accusations du haut commandement avaient certaines raisons d'être, les Tirailleurs qui avaient quitté les champs de bataille sont faits prisonniers.

Les pertes s'élèvent à plus de 17% des effectifs de Tirailleurs sénégalais. Lors de la Grande Guerre, Blaise Diagne, qui avait pourtant poussé les Africains à s'engager pour défendre la France accusa cette dernière d'avoir utilisé les Africains comme « chair à canon ». En effet, les pertes atteignent plus de 15% des effectifs en 1914-1918. Mais la guerre a changé de visage. Elle est soudaine et on fait désormais plus de prisonniers que de morts. En ce qui concerne les Africains, à cause de la propagande raciste, il y aura souvent plus de morts que de prisonniers ( plus de la moitié)..

A la fin juin 1940, ils étaient plus d'un millions et demi de Français à se retrouver prisonniers des Allemands. Parmi eux, environ 58700105(*) Tirailleurs sénégalais étaient détenus dans les front stalags. Les deux tiers étaient originaires de l'AOF ( 46 500 environ), 1500 de l'AEF, 9000 de Madagascar. A partir de 1943, les prisonniers coloniaux sont moins repérables106(*).

La moitié des Tirailleurs sénégalais se retrouvait dans les stalags. Si on compare ces chiffres au nombre de morts, on se rend compte qu'en fait peu de Tirailleurs ont échappé aux Allemands ( certainement moins de 1% des effectifs)107(*). Les Tirailleurs présents sur le sol français lors de la débâcle sont morts ou faits prisonniers (17 000 morts et 15 000 prisonniers)

Les Allemands, au mépris de la convention de Genève, n'hésitent pas à massacrer des troupes de Tirailleurs qui se rendaient108(*). Les officiers français protestent (parfois au risque de leur vie), évitant une mort injuste à leurs hommes. Les Allemands se comportent ainsi en représailles contre les Africains. Ils pensaient qu'ils se battaient comme « des sauvages » gardant des souvenirs de guerre en mutilant les corps de leurs ennemis. Ces idées qui avaient couru depuis la Première Guerre mondiale furent aussi entretenues par l'Etat- Major français, dans le but de terroriser l'ennemi. Les Allemands avaient certainement tort. Ces pratiques de guerre ne sont pas africaines. La mutilation des morts étaient prohibée dans les règles de la guerre africaine109(*) mais comme les Africains utilisaient parfois des coupe-coupe comme arme, leurs victimes étaient certainement méconnaissables ; ce qui a pu faire croire aux Allemands qu'ils mutilaient leurs adversaires.

Les Allemands séparaient les noirs des blancs et chaque jour, ils en tuaient quelques uns. Dormant à même le sol, pieds nus, alimentés à base d'eau chaude et de biscuits, beaucoup de tirailleurs, bien que vigoureux ne supportent pas les conditions de détention. Certains africains particulièrement remarquables à cause de leurs scarifications souffrent encore plus que les autres. Les Allemands leur remettaient du savon et les obligeaient à enlever leurs scarifications. Cette forme de torture mentale allait rendre plusieurs Africains fous.

Les premières semaines de détention furent donc très difficiles pour les Africains. A Mirecourt, Reims, Berlin et partout en France, les supplices qu'allaient leur faire subir les Allemands sont pareils. Il y eut plus d'une dizaine de camp. Cela ne voulait cependant pas dire que les Français blancs ne souffraient pas110(*). Ils n'avaient non plus pas ou peu de nourriture mais les exactions contre les noirs étaient plus courantes. D'ailleurs, beaucoup de soldats blancs commencent à avouer aux Allemands que les noirs étaient des conscrits et donc obligés par la force à venir se battre en Europe. Ainsi, au cours de la campagne de 1939-40, le nombre de prisonniers africains est de 25 516111(*) pour les troupes coloniales sur les 146 000 hors colonies au 1er juin 1940.

Les Français avaient par ailleurs les moyens de s'évader d'autant plus que leurs compatriotes s'occupaient d'eux en leur apportant vêtements civils et nourriture. Blancs, ils pouvaient se perdre dans la masse alors qu'aucun vêtement civil ne pouvait transformer un noir en blanc.

Cependant, les Allemands se rendent compte que leurs préjugés n'étaient pas fondés. Peu enclins à s'évader, les Tirailleurs sont au fond sympathiques. Travailleurs lors des travaux forcés, les Allemands commencent à avoir une lueur d'admiration à leur égard, surtout lorsqu'ils apprennent que les Africains étaient obligés de faire la guerre. Il faut aussi noter que le Maréchal Pétain fit ce qu'il pouvait pour améliorer leurs conditions de vie112(*), mais surtout pour les rapatrier au plus vite en Afrique . Les colonies se mobilisèrent aussi pour aider leurs frères comme le constate Nancy Lawler pour la Côte d'Ivoire.

Les Allemands commencèrent à prendre des photos avec ceux qu'ils considéraient, quelques semaines plus tôt comme des « demi-singes » ; Certains officiers prennent même des boys noirs chez eux. Ils poussent l'ironie jusqu'à assurer aux noirs de meilleures conditions de détention que les blancs.

Pourquoi ce changement vis à vis des Tirailleurs ? La politique du Reich était, à partir de 1940 de s'attirer les faveurs des Africains car Hitler avait des vues sur l'Afrique113(*) ( ?). Hitler envisageait même de former une nouvelle élite noire dès la fin de la guerre, au service de l'Allemagne. Ce qui inquiéta beaucoup les officiers français qui craignaient que les Africains soient sensibles à ces ruses de l'ennemi. Les Africains jouent le jeu puisque leurs conditions de vie s'améliorent mais ils restent toujours fidèles à l'Empire. Les Allemands organisèrent même des matchs de football avec les prisonniers. Des diplômés allemands, parlant les langues africaines furent envoyés dans les camps. Ils y mesuraient les crânes des Africains (comme ils le faisaient d'ailleurs avec les Juifs) afin d'avoir des arguments pour leur idéologie fasciste selon laquelle les Ariens étaient supérieurs aux autres races.

Ce changement d'attitude des Allemands remonte un peu le moral des Africains dans les front-stalags. De même que les visites dans les camps des officiers de l'armée de l'Armistice. Ces derniers en profitèrent pour remonter le moral aux Africains en leur parlant de leur bravoure reconnue par l'Etat-Major, de leurs familles mais surtout de leur retour imminent en terre d'Afrique. Les hommes de Vichy, qui ont à leur charge la nourriture des Tirailleurs font tout leur possible pour les ramener en Afrique au plus tôt. D'ailleurs, les Allemands, qui commencent à avoir peur des maladies tropicales, préfèrent transférer tous les prisonniers africains en France.

Il faut aussi noter l'engagement de la croix rouge qui sauva des milliers de noirs. D'abord en faisant une contre-propagande sur les préjugés des Allemands envers les Africains mais aussi, en les soignant. Les Médecins français prisonniers soignaient les Tirailleurs. Peut-être que les Allemands, toujours par crainte des maladies tropicales, protégeaient-ils ainsi leurs propres médecins ? En tout cas, ces médecins en profitèrent pour transférer beaucoup de Tirailleurs dans les hôpitaux militaires où les conditions étaient meilleures, soit en faisant de faux diagnostics, soit en disant aux Tirailleurs de tousser tout le temps ( symptômes de la tuberculose). Ils réussirent ainsi à sauver la vie à beaucoup de Tirailleurs sénégalais. En fait cette peur endémique des Allemands des maladies tropicales devint une véritable arme. D'ailleurs, la peur des Allemands étaient justifiée. A cause du froid, de la malnutrition, beaucoup de Tirailleurs contractèrent la tuberculose et d'autres maladies des poumons. Les engelures, la dysenterie étaient le quotidien de ses hommes dans les camps allemands114(*). Les Allemands vont donc les transférer en « zone occupée » mais la plupart d'entre eux reste prisonnière jusqu'en 1944 et 1945.

Aujourd'hui, il semble certain que les noirs aient été les premières victimes du nazisme comme le note Jacques Vergés, principal avocat de Klaus Barbie en 1987:

«  Le crime contre l'humanité ne force t-il l'émotion, ne mérite t-il commémoration que lorsqu'il frappe des Européens ? Ces massacres des 19 et 20 juin 1940 en raison de la couleur de leur peau, de la forme de leur nez et de leurs lèvres, croyait-on ainsi les oublier, les ensevelir comme un remords ? Voici qu'ils sont partis. Leur esprit entre dans cette salle. Il n'en ressortira pas 115(*)»

Pendant toute la durée de leur détention, les Tirailleurs n'avaient aucune nouvelle de la guerre : l'entrée en guerre du Général de Gaulle, le ralliement de Félix Eboué au Général, absolument rien. Les quelques Tirailleurs qui sortaient dehors pour des corvées revenaient avec des informations peu sûres. La véritable mine d'informations était la croix rouge et les quelques Tirailleurs qui ont passé un séjour dans les hôpitaux militaires.

Pourtant, lorsque tonne la voix du Général De Gaulle :  « La France a perdu une bataille mais elle n'a pas perdu la guerre », celle-ci allait prendre une nouvelle tournure. Les Français des Colonies ne savaient plus à quel saint se vouer : saint Général ou saint Maréchal116(*), que choisir ?

Un métis, portant dans sa chair l'image de l'Empire, répondit en patriote à l'appel du Général.  « Cet homme d'intelligence et de coeur, ce noir ardemment français, ce philosophe humaniste, répugnait de tout son être à la soumission de la France et au triomphe du racisme nazi117(*) », dira plus tard De Gaulle à propos de Félix Eboué. Il faut dire que le salut du Général et peut-être même tout son avenir militaire et politique vient de la décision courageuse de cet Homme.

Pendant ce temps, après avoir mûrement réfléchi, Boisson refuse de rallier la France Libre et renouvelle sa fidélité au Maréchal. Ainsi, deux camps ennemis allaient naître en Afrique : l'AOF, vichyste et l'AEF partisan de la France Libre.

4. A.O.F et A.E.F : deux camps ennemis :

Le régime de Vichy contrôlait toute l'Afrique du nord. De Gaulle ne pouvait rien attendre de positif de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie, comme il l'avoue lui-même dans ses mémoires de guerre. D'autant plus que le relâchement du régime de Vichy n'était pas sans déplaire aux arabes.

Cependant, aux premiers jours de la France libre, il y eut des manifestations à Dakar118(*), Saint-Louis, Ouagadougou, Abidjan, Conakry, Lomé, Douala, Brazzaville, Tananarive. Ainsi, pour les colonies d'Afrique noire, la continuation de la guerre paraissait aller de soi. Il faut dire que l'idéologie allemande raciste y était pour beaucoup.

Pétain avait bien négocié la garantie de l'Empire. Aux termes de l'article 10 de l'Armistice, il en obtenait l'administration. Il considérait comme acquis la fidélité de l'administration coloniale à son régime. Son plus grand problème était le rapatriement des troupes indigènes en Afrique. Pétain voulait ainsi grossir l'armée d'Afrique jusqu'au chiffre de 115.000 hommes. Il avait aussi compris l'importance de l'Afrique dans cette guerre des chefs.

Boisson quant à lui ne rencontra aucune résistance de ses subordonnés119(*). Ancien administrateur de l'AEF, il avait beaucoup de pouvoir. Cette administration de l'AOF était fortement centralisée et puis très liée à celle l'Afrique du nord. Dakar était par ailleurs bien armée. Avec des batteries modernes, appuyées par plusieurs escadrilles d'aviation, ainsi que le puissant Richelieu et des sous-marins, l'AOF disposait d'un ensemble offensif et défensif considérable. Il faut avouer que Boisson était un homme énergique et un soldat de qualité qui a eu à faire ses preuves mais qui malheureusement joua la carte de Vichy. Il mit en prison les officiers partisans de la cause Gaulliste, et exécuta les indigènes résistants qui distribuaient surtout les tracts de l'armée anglaise dans la colonie. Ousseynou Diop120(*), raconte comment il se porte volontaire pour rejoindre la résistance à Casablanca, après sa libération :

« Notre lieu de ralliement était la statue de la liberté mais on nous dénonça 3 jours avant. Les soldats nous mirent en prison dans le bateau même. Jugés et condamnés à être fusillés par la Justice intérieure. Mais les Lebous121(*) de Dakar se mobilisèrent par des manifestations. On fut sauvé par la décision du Général122(*) la veille de notre exécution »

Les exécutions sommaires étaient courantes en AOF car beaucoup d'ouest africains n'avaient pas encore digéré la défaite de la France. Cependant, si les autorités administratives se rangèrent derrière le Gouverneur Général Boisson ( dont le général Barraud), certains organisèrent la résistance. Les Africains vont de nouveau payer les frais de cette guerre franco-française.

Des unités entières et plusieurs officiers réussirent à passer en Gold - Cost afin d'offrir leurs services aux Anglais, surtout en Haute-Volta où le lieutenant-gouverneur Edmond Louveau123(*) était un des rares administrateurs supérieurs de l'AOF partisan de la France Libre. Malgré la volonté des Africains de l'ouest, peu de personnes réussirent en fait à gagner la Gold- Cost. Notons par ailleurs que des migrations traditionnelles et initiatiques ont été interprétées comme des fuites :

« ...Pour eux, c'était en Gold Coast ( la colonie anglaise voisine de la Haute-Volta que nous devions accomplir ce voyage initiatique. A partir de 1940, ces tout jeunes voyageurs saisonniers, s'ils étaient capturés à l'aller, même sans tracts, étaient simplement arrêtés comme `suspects gaullistes' et traduits en cour martiale ! 124(*)»

La plupart des troupes africaines de la France Libre va provenir de l'AEF. Les Africains de l'AEF ne s'engagèrent ni par patriotisme, ni pour De Gaulle, ils étaient dans l'armée gaulliste parce qu'ils étaient originaires de l'AEF tout simplement. Il ne faut pas non plus exagérer le nombre d'africains de l'ouest qui rejoignit les rangs gaullistes. En fait, ils étaient peu nombreux et l'armée anglaise dut donner des primes pour retenir les Africains. Plusieurs d'entre eux préfèrent retourner en AOF. Ceux qui restèrent furent envoyés au Cameroun où ils constituent l'embryon du 4ème Bataillon de Marche.

Les remaniements, tant en AOF qu'en AOF furent assez importants. Boisson renvoya une trentaine d'administrateurs de l'AOF ( ils étaient juifs, communistes ou de nationalité étrangère) et parfois même franc-maçon comme le constate N. Lawler125(*). En AEF, on changea quarante d'entre eux certainement pour des raisons de confiance.

C'est dans ce contexte général que De Gaulle va se présenter au large de Dakar le 20septembre 1940. Sa demande de débarquement au Gouverneur Général Boisson se solde par un refus. Il tente alors un coup de force les 20 et 22 septembre en lançant quelques obus sur Dakar. Les vichystes répondent par des tirs de canons. Dakar est en fait une ville sûre. L'île de Gorée est une position qui permet de nourrir un feu intense sur l'ennemi qui en fait est pris entre deux feux ou même plusieurs feux ( postes-batteries de Cap des Biches, mamelles et Bargny126(*)) ; Pour ces habitants qui n'avaient jamais vécu la guerre moderne, ce fut terrible. Certaines blagues racontées à Dakar sur les habitants de Saint-Louis prennent pour point de départ le bombardement de Dakar. On raconte en effet que beaucoup de « Saint-Louisiens » ont couru de Dakar à Saint-Louis et ne sont plus jamais revenus à Dakar. Je n'ai pas pu vérifier ces rumeurs. Les blessés furent nombreux. Le navire « Portos » fut coulé au large de Dakar et De Gaulle vient de s'attirer l'ire des Africains d'AOF : il a osé tirer sur des Français127(*). De Gaulle s'attire aussi la colère des Anglais qui perdirent beaucoup dans cette « absurde aventure » ; Churchill n'échappe pas non plus aux foudres de la presse anglaise, lui qui s'était laissé entraîner par le Général français.

Boisson mena alors une propagande très efficace contre De Gaulle qu'il présente comme l'homme des Anglais. En 1940, 35 000 Tirailleurs furent rapatriés à Dakar tandis que 27 000 autres attendent leur transfert. Le régime de Vichy accélère la démobilisation. Les effectifs indigènes pour l'AOF étaient au 31 mai 1940 de 109 587 (troupe), ils passent à 42 962 au 31 août et le 30 septembre 1940 à 36 222 hommes de troupes indigènes128(*).

Le blocus des Anglais sur Dakar empêche les bateaux vichystes de faire cap sur Dakar. Il en résulte un grand manque de carburant pour acheminer les Africains de l'intérieur par la route. Les Tirailleurs réclament par ailleurs le paiement des primes qu'on leur avait promis parfois violemment (comme à Conakry où 31 hommes furieux attaquèrent le commandant et le chef de gare).

Ces hommes avaient perdu tout respect envers la Mère-Patrie qui ne les avait ni nourri encore moins protégé pendant leurs séjours dans les front stalags allemands. Ils avaient compris au front que l'homme blanc n'était pas invulnérable et qu'au final, l 'Allemand n'était pas pire que le Français. Ils s'étaient déjà libérés des chaînes de leur complexe d'infériorité sur le blanc. Le régime aura donc fort à faire pour contenir ces troupes en colère.

Dans les camps, les Allemands leur avaient pris tout leur argent et ils se retrouvaient sans rien. L'administration oublia leur courage pour ne s'intéresser qu'à leur possible rage susceptible de mettre en danger le système colonial. N'ayant plus rien d'autre que leur dignité, ils choisirent pendant un long moment le silence, parlant peu de ce qu'ils avaient vécu.

Les Vichystes tentent quelques actions contre la France Libre129(*) mais dans l'ensemble, ils restent surtout sur leurs gardes. En effet, en démobilisant la plupart des anciens combattants, peu sûrs, l'armée coloniale d'Afrique de l'ouest ne disposait plus d'une réserve aguerrie aux difficultés de la guerre. A cela s'ajoutaient une pénurie de sous-officiers et d'officiers et surtout d'armes et de munitions. Les armées de la France Libre disposaient d'une réserve d'hommes fidèles, souvent patriotes et prête à mourir pour la France. A cela s'ajoutait le soutien matériel et logistique des Anglais et plus tard des Américains. Ces troupes étaient par ailleurs dans l'obligation de l'offensive puisqu'elles devaient reprendre les positions perdues en 1939 et 1940.

En fait, comme le constate si bien N. Lawler, en 1941, il était difficile de parler des Tirailleurs sénégalais comme d'une entité reconnaissable. Même si en 1942, le chiffre des forces militaires en AOF atteignait 125 000 hommes, beaucoup de Tirailleurs végétaient dans des camps. En effet, aucune unité n'est utilisée au combat jusqu'en 1944. Ainsi, ce furent les armées du Levant qui vont au combat en 1941.

Même si elle ne dispose que d'un mandat130(*) sur la Syrie et le Liban, la France considère ces deux pays comme faisant partie intégrante de l'Empire. Ainsi, elle envoit après la débâcle une partie des Tirailleurs sénégalais131(*) pour défendre ses possessions au Proche-Orient. Ils sont alors intégrés dans l'armée du Levant. Mais quelle France avait le pouvoir sur le Proche-Orient, celle de Vichy ou celle de De Gaulle ?

Tahiti et la Nouvelle Calédonie se sont ralliés à la cause gaulliste mais la Syrie et le Liban sonnt contrôlés par le commandant Dentz qui est du côté de Vichy. Le 8 juin 1941, le Général De Gaulle déclare la Syrie et le Liban « indépendants » ; Soutenus par les Australiens, les Anglais, les Français libres entrèrent en Syrie et au Liban. Face à eux, les Tirailleurs sénégalais envoyés par Vichy pour défendre cette zone. Les Français se battirent alors entre eux, les Africains se battirent contre leurs propres frères.

  • L'invasion, commencée le 8 juin va durer 13 jours et le 21 juin, les forces françaises libre prennent finalement Damas. Dentz accepte les négociations et le 14 juillet, le régime de Vichy accepte l'Armistice. Quelques centaines d'hommes meuront dans cette petite guerre du Levant. Les Africains qui avaient tirés et tués leurs propres frères ne comprennent plus toutes ces stratégies militaires. Les alliés leur demandent alors de choisir entre Vichy et la France Libre132(*). Beaucoup choisirent Vichy qui leur assurait un retour imminent chez eux. Pour ces Tirailleurs, la question n'est pas De Gaulle ou Pétain mais rentrer ou ne pas rentrer ? Cependant, la tournée du Général dans le Levant vers fin juillet va les faire changer d'avis car de Gaulle va faire une forte impression sur les Tirailleurs africains. 1500 Tirailleurs acceptent finalement de se rallier à la France Libre et sont regroupés en Bataillons de Marche. La légende du Général De Gaulle va naître dans le Levant.

5. De Gaulle l 'Africain :

L'admiration dont jouissait le Général de « l'Appel du 18 juin » était bien réelle. Les Tirailleurs sénégalais interviewés ont presque tous un profond respect pour cet homme d'honneur. Sa grande taille, son charisme avaient faits impression sur les troupes noires qui bientôt commencent à raconter les épopées guerrières du Général.

En effet, comme le constate Balandier, « Dans l'ouest africain, les légendes sont essentiellement consacrées à l'histoire de l'origine des dynasties, à la généalogie des chefs, aux exploits de ceux ci ... » ; De Gaulle n'y échappe pas. D'ailleurs, les Tirailleurs avaient tendance à confondre le Général ou plutôt aimer à se le faire passer pour tel ou tel officier. C'est qu'avoir vu le Général constituait pour beaucoup d'entre eux une fierté sans égal.

Machiavel disait que le prince avait besoin d'une certaine dose de chance. Ce qu'il avait appelé la providence, De Gaulle la saisit à pleine main. En choisissant le camp de la résistance, il se plaçait du même coup (lui le Général peu connu de 1939) dans l'histoire. Celle-ci prouve par la suite que cet homme d'arme était aussi un fin politicien. Son patriotisme n'est cependant pas à mettre en doute et même si son engagement est empreint peut être d'une motivation personnelle, sa spontanéité dans la défaite, son courage et sa ténacité lui valent le respect de tous les Français.

C'est en Afrique que De Gaulle trouve la plus grande partie de ses partisans. Il ne manque pas de rendre hommage à cette Afrique guerrière des savanes et des plaines après la guerre. De Gaulle, se comporte en vrai homme de guerre en Afrique. Sous ses ordres, Leclerc réussit le coup de maître du Cameroun. Le Général de Larminat, traversant le Congo prit au nom du Général, les fonctions de Haut-commissaire de l'Afrique équatoriale française avec pouvoirs civils et militaires.

Après la mésaventure de Dakar (opération proposée par Churchill), De Gaulle trouve le réconfort en Afrique. Le gouvernement anglais, par la voix de son Premier Ministre133(*) lui renouvèle sa confiance. Entre le 8 octobre et le 17 novembre, de Douala à Gibraltar, De Gaulle remonte le moral des troupes, donne les ordres nécessaires, nomme et révoque et enfin, cimente comme un maçon les briques encore fragiles de la France Libre.

Comme il le dit dans ces Mémoires :

« Le fait d'incarner, pour mes compagnons le destin de notre cause, pour la multitude française le symbole de son espérance, pour les étrangers la figure d'une France indomptable au milieu des épreuves, allait commander mon comportement et imposer à mon personnage une attitude que je ne pourrai plus changer »134(*)

Reçu par Eboué à Brazzaville, le Général s'envole ensuite avec le colonel Marchand jusqu'à Faya et aux postes du désert, où ils découvrit les conditions difficiles des troupes. Il accepte avec force de caractère Catroux qui est envoyé par les Anglais avec l'intention déguisée ou pas de diviser pour régner. Mais ce dernier se place sous l'autorité du Général De Gaulle.

A Brazzaville où il s'envole le 24 octobre, De Gaulle nomme Pleven secrétaire général afin de permettre à cette région de se relever économiquement. Le 27 octobre, le voilà à Léopoldville où il rallie à sa cause Belges et Anglais : Ryckmans (Belgique), Bourdillon au Nigeria et Huddleston au Soudan. Ensuite à Libreville le 15 et à Port-gentil le 16 novembre, l'infatigable Général, plombé par les victoires récentes de Leclerc, visite les blessés des deux camps qui y sont soignés, tente de ramener à la raison les anciens vichystes135(*). Il nomme les artisans de la France libre à différents postes : Eboué gouverneur général de l'AEF, Lapie devient gouverneur du Tchad, Cournarie gouverneur du Cameroun, Leclerc est quant à lui envoyé au commandement des opérations sahariennes et va connaître dans ce cadre la gloire. Larminat, nommé haut-commissaire avec pouvoirs civils et militaires, doit mener l'ensemble.

En sillonnant d'est en ouest ces contrées africaines, De Gaulle devient un Africain. Après la guerre, il cherche toujours la meilleure solution pour ces hommes, comme le constate Houphouët Boigny136(*) :  « Si nous n'avons pas eu la concrétisation immédiate de nos aspirations, c'est parce que le général De Gaulle est parti en 1946 ».

* 59 Jean SURET-CANALE : Afrique noire, l'ère coloniale, 1900-1945, Paris, Editions Sociales, 1964, pp.48 à 51.

* 60 Jean Paul SARTRE : Préface aux damnés de la terre de Frantz Fanon, Paris, Maspero, 1961, pp. 14 à 16.

* 61 mot à mot « nombre fermé » : désigne toute règle limitant à un nombre déterminé, relativement petit par rapport à la quantité totale, les individus faisant ou pouvant faire partie d'un groupe déterminé.

* 62 Voir annexe I

* 63 La méthode «  diviser pour mieux régner » est vieille comme le monde. Elle permet en outre de se faire des alliés au sein même de la communauté qu'on domine et exploite. Elle fut appliquée au Rwanda avec des conséquences dramatiques pour ce pays plusieurs années plus tard.

* 64 Gouverneur général de l'AOF en 1917, il fut un des critiques de la « force noire » Il refuse la levée en masse des Africains considérant qu'il n'était pas juste que ces hommes se battant pour la France soit moins bien payés et refusant le concept de militaires de seconde zone. Il démissionnera en 1918, et meurt peu après dans les tranchées.

* 65 Le mouridisme au Sénégal et le hamalisme au Soudan français sont deux mouvements religieux qui montrent les différents choix possibles . Si l'un ne remet pas réellement en cause le régime colonial, l'autre combattant pour la dignité et l'identité des peuples d'Afrique refusait toute collaboration avec l'administration coloniale.

* 66 Le grand chef Abdel kader ( Algérie) résista héroïquement aux Français avant de devenir un allié. Samory qui créa d'énormes problèmes aux Français avant d'être déporté était l'un de ces marabouts, ses fils deviendront par la suite tirailleurs. Au Soudan, le mahdi se lèvera pour dénoncer l'envahisseur britannique, il était aussi un saint musulman.

* 67 Représailles contre la famille. Souvent, c'est le chef de famille qui est jeté en prison. Quand on connaît l'importance du chef de famille en Afrique, on comprend mieux pourquoi les Africains n'ont pas souvent choisi cette option

* 68 Les quotas étaient aléatoires ( 1 à 2 % des adultes de chaque cercle administratif). Les volontaires devaient s'engager pour 5 à 6 ans avec une prime de 200 F et 240F respectivement tandis que les conscrits devaient faire 4 ans de service.

* 69 Voir annexe ( page III)

* 70 L'excès de l'administration dans l'effort de guerre ( réquisitions, travaux obligatoires) poussa souvent à la révolte comme en Casamance, au sud du Sénégal où une femme Aline Sitoé se révolta avec les Diola de Basse -Casamance : l'administration exigeait aux paysans plus qu'ils ne pouvaient faire. Plusieurs Diola seront tués et Aline Sitoé exilée.

* 71 CHETOM : 15H142/D2

* 72 CHETOM: 15H160/ Stationnement des TC

* 73 Joseph Conombo, Souvenir de guerre d'un Tirailleur sénégalais, Paris, l'Harmattan, 1996, pp 19

* 74 Les peuls sont grands mais maigres tandis que les mandingues et les Bambaras sont grands, forts et robustes, ils étaient pendant la traite négrière les esclaves les plus recherchés. Il faut dire que ce type de sélection était assez fréquent et ne diffère pas de celle utilisée par les marchands d'esclave.

* 75 Anthony Clayton, Histoire de l'armée française d'Afrique, 1830-1962, Albin Michel, 1984, pp 415

* 76 Joseph Conombo, op. Cit., pp. 19

* 77 ibid. , pp. 23

* 78 voir CHETOM 15H142/D1 : Stationnement des troupes coloniales outremer au 1er juillet 1939 / 7° Défense du point d'appui de Dakar

* 79 Nancy Lawler, Soldats d'infortune: Les tirailleurs ivoiriens de la seconde guerre mondiale, L'Harmattan, 1996, pp.58 à 59.

* 80 ibid. 4

* 81Amadou Hampaté Ba, Amkoullel, l'enfant peul,, j'ai lu, 1997

* 82 Joseph Conombo, Souvenir de guerre d'un Tirailleur sénégalais », l'Harmattan, 1984, pp.35 à 36

* 83 En décembre 1940, il n'y avait qu'un officier sur les 480 officiers d'infanterie postés en AOF qui soit « sujet français ».

* 84 Joseph Conombo, op. cit., pp 40

* 85 A partir de 1940, les instruits étaient représentés par « tous ceux qui se sont rengagés et parmi ceux qui ont été portés comme volontaires, ceux qui ont été choisis par les commandants, sans obligation d'une durée minimum de service » ; Joseph Conombo, Souvenirs de Guerre ... Op. Cit.

* 86 Plusieurs officiers perdirent la vie en tentant de protéger des tirailleurs sous leurs ordres contre les excès des Allemands envers les troupes noires. Senghor ne doit sa vie qu'à un officier qui s'est interposé alors qu'on voulait le fusiller dans un camp de prisonnier.

* 87 Les mutineries n'étaient jamais l'objet d'un groupe au sein d'un régiment mais en général de tout le régiment ; cela témoigne d'une réelle cohésion dans les RTS.

* 88 Joseph Conombo, op. Cit., p 40

* 89 ibid., p 45

* 90 Les punitions corporelles étaient toujours administrées par les sous officiers africains. Les officiers utilisaient des méthodes plus militaires( prison).

* 91 Interviewé à la Maison des Anciens Combattants de Dakar le 22 février 2001.

* 92 ibid. M 1129

* 93 C'est le plus grand et le plus ancien camp où beaucoup de Tirailleurs prendront leur retraite après la guerre. C'est d'ailleurs à Fréjus ainsi qu'à Bordeaux que se trouvent les archives sur l'outre-mer.

* 94 paroles d'un TS dans un reportage.

* 95 SHAT 9n270/D10 : Elargissement de la motorisation du 10ème RAC et du 12ème RAC ( accord n° 8605I du 25 octobre 1934 )

* 96 Le général Gamelin fut un de ces officiers qui avaient une grande responsabilité dans la défaite de la France. Il sera relevé de ses fonctions le 19 mai 1940 et remplacé par le général Maxime Weygand en tant que commandant en chef de l'armée de terre.

* 97 Nancy Lawler fait ce constat avec les Tirailleurs ivoiriens.

* 98 Centre d'Histoire Militaire de Versailles

* 99 Ibid.

* 100 L'armée française avait dépeint les Allemands d'une façon si terrible (par rapport à leurs comportements envers les Africains) que les Tirailleurs en avaient une véritable crainte.

* 101 Julien Fargettas, op. Cit., p 77

* 102 Julien Fargettas, op. Cit., p 78

* 103 La honte noire : terme développé par les Allemands durant la Première Guerre mondiale.

* 104 En fait, le haut commandement fit peu ou pas du tout de dénombrement des pertes et les sources officielles varient. Le CHETOM recensent 4440 tués dont 246 officiers et 11 504 disparus. Soit un total de 15944 tués ou disparus ( 15H142/ D2 : Pertes des troupes coloniales au cours de la campagne 1939-1940)

* 105 Notons que ces statistiques ont été faites à la va-vite par la Section d'Etudes et d'Information des Troupes Coloniales comme la plupart des statistiques concernant les Tirailleurs sénégalais d'ailleurs. Il faut croire que le recensement de ces soldats noirs était le dernier des soucis du régime de Vichy.

* 106 Le Colonel Fay parle d'une tendance à l'intégration ( ?) à partir de 1943

* 107 Ceux qui avaient réussi à s'échapper n'avaient pas d'autres choix que de rejoindre la résistance dans le maquis comme Ady Bâ, le résistant des Vosges

  • * 108 Voir en annexe le récit de la mort de Charles N'Tchoréré du Gabon, ancien combattant de 14-18, commandant de la septième Compagnie du 55ème RICMS. De même le 10 juin, à Erquinvilliers près de Lyon, sur ordre direct du commandant allemand, entre 400 et 500 tirailleurs africains ainsi que 11 officiers furent passés par les armes.

* 109 Les croyances africaines traditionnelles vouent un grand respect aux morts (culte des anciens et des morts). Le terrible Chaka zoulou était un des rares à user de ces méthodes dans le but de terroriser ses ennemis. Ce dernier était un tyran qui d'ailleurs deviendra fou vers la fin de sa vie, et vendra des terres de son peuple aux Anglais.

* 110 CHETOM 15H142/D2 : front stalags 1B, III A et B, IV B, VI B, VI ACDF, VII A, VIII C et XX B

* 111 ibid. : pertes des troupes coloniales au cours de la campagne 1939-1940

* 112 Le régime de Vichy établit un service des prisonniers dépendant de la Direction Générale de la Légion pour recueillir des dons.

* 113 Ndumbé III kumia,  Hitler voulait l'Afrique. ,Paris : Editions d'Harmattan, 1980

* 114 voir Gobineau, Noblesse d'Afrique, pp13et 14

* 115 Le Monde, 3 juillet 1987

* 116 Notons que le Maréchal, vainqueur de Verdun jouissait d'un respect profond vis à vis des généraux alors que le Général De Gaulle était un inconnu.

* 117 De Gaulle, Mémoires de Guerre, ibid. p 91

* 118 Le régime de Vichy fit plusieurs exécutions sommaires sans d'autres formes de procès sur la place de Fann à Dakar, histoire de calmer les ardeurs des Africains.

* 119 La vieille rivalité coloniale entre Français et Anglais y est pour beaucoup. Un officier français ne disait-il pas que Lafayette est parti se battre avec les Américains juste pour le plaisir de battre les Anglais !

* 120 ibid.

* 121 Ethnie majoritaire de Dakar. Ousseynou Diop est Lébou et très certainement de noble famille.

* 122 Il s'agit très certainement du Général d'Armée Barraud.

* 123 Louveau est par la suite jugé coupable de trahison par l'administration vichyste, jeté en prison au pénitencier de kidal au Soudan français avant d'être envoyé dans un camp de concentration en France.

* 124 Joseph Conombo, op. Cit., p 29

* 125 Ibid.

* 126 Les canons sont toujours présents à ces endroits.

* 127 Voir De Gaulle, Mémoires de Guerre, Plon, 1954, pp103 à 108

* 128 CHETOM 15H141/D1 : Aperçu sur l'état actuel de la démobilisation

* 129 Notamment une attaque sur Freetown, prévue le 8 juillet fut repoussée. Bathurst (capitale de la Gambie)était également une cible déclarée pour les vichystes et également la ville de Kano, au nord du Nigeria. Mais aucun de ces plans ne vit le jour.

* 130 Après la chute de l'empire ottoman en 1918, la S.D.N donna un mandat à la France sur ces deux pays.

* 131 Environ 4000 T.S et plus de 15.000 nord-africains. SHAT

* 132 Un vote sera organisée par les Anglais et Spears.

* 133 L'attitude publique de Wilson Churchill à l'égard des gaullistes contribua beaucoup à atténuer le parlement et les journaux.

* 134 Ibid.

* 135 La plupart des officiers ayant donné leur parole à Pétain préfèrent être interné jusqu'à la rentrée de l'Afrique du nord dans la guerre.

* 136 Père de la nation ivoirienne, il fut plusieurs fois ministre en France avant de conduire son pays à l'indépendance en 1960. Il recevra le titre mérité de « vieux  sage de l'Afrique ».

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