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L'histoire oubliée des Tirailleurs sénégalais de la Seconde Guerre mondiale

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par Moulaye AIDARA
IEP Aix-Marseille et UMR 5609 ESID CNRS ( Montpellier III) - DEA histoire militaire, sécurité et défense 2000
  

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CONCLUSION 

L'ancêtre de toutes les troupes noires est le « corps des Laptots de Gorée » créé par le gouverneur Mesnager le 1er octobre 1765. Le «  corps des volontaires du Sénégal » est créé par la suite en 1802 par Blanchot après qu'une compagnie d'affranchis des Antilles arrivés en 1796 fut décimée par les maladies.

L'ordonnance du 21 juillet 1845 crée le 6ème escadron du 1er Régiment de Spahis algériens mis à la disposition du Sénégal166(*). C'est à partir de 1854, avec l'arrivée du chef de bataillon Faidherbe que la France rompit avec les hésitations et les contradictions politiques et militaires et se dote d'une véritable politique coloniale qui aboutit à l'organisation d'une force noire régulière.

La volonté de Faidherbe aboutit le 21 juillet 1857 à la signature du décret impérial organisant le bataillon d'infanterie indigène à 4 compagnies sous la dénomination de Tirailleurs sénégalais puis en RTS.

«  Il est certain que dans les RTS, j'ai trouvé une camaraderie que j'ai rarement trouvée ailleurs » disait le Général Duchesnes167(*).

Les TS de la seconde guerre mondiale ont répondu avec bravoure à l'appel de la Métropole. Ils se sont battus, parfois avec la force du désespoir contre une des armées les plus modernes et les plus aguerries :

« On avait le courage mais les Allemands étaient aussi courageux, et puis que pouvions nous faire contre des chars lorsqu'on est armé de mousquetons ( ?) » disait un tirailleur dans un reportage.

Les RTS qui ont débarqué en France en 1940 étaient certainement mal préparés pour cette nouvelle forme de guerre moderne. Ils sont anéantis.

L'Etat-major français s'adapte par la suite ; les TS sont mieux entraînés. Ils sont aguerris en Afrique du nord et participent à la libération de la France. Les derniers combats de RTS se déroulent dans les Alpes et sur le front de l'Atlantique. Le 18ème RTS participe aux combats dans les Alpes en avril 1945 avant d'être rattaché à la 1ère DMI ( campagne d'Italie) puis de devenir le 43ème RIC le 1er juillet 1945. Quelques troupes noires sont employées pour les opérations sur l'Atlantique ; il s'agit du Régiment de marche d'AEF : BM 14 et BM 15, du bataillon de Somalis et du bataillon d'Oubangui-Chari.

Les troupes noires, présentes sur le front européen dès 1939 ont donc joué un rôle non négligeable dans la libération de la France et ce jusqu'à la fin de la guerre. Malgré tout, « Les mêmes dominés d'années en années sont devenus des damnés ; on les jette à coups de balaie168(*) ». Car, pour les Tirailleurs sénégalais, il n'y a certainement pas de paroles plus vraies. Ceux qui avaient fait dire à Gaston Monnerville, député de la Guyane en 1945-46 : «  Sans son Empire, la France ne serait qu'un pays libéré. Grâce à son Empire, la France est un pays vainqueur » avaient perdu à présent toute reconnaissance de la Mère-Patrie. En effet, les démarches administratives dont ils doivent faire face, pour faire reconnaître leurs droits à une pension sont parfois vaines. Obligés de courir après les papiers pour prouver comme le dit si bien Nancy Lawler qu'ils étaient effectivement nés et surtout qu'ils n'étaient pas morts.

Dès le retour des premières vagues de Tirailleurs en terre africaine, l'administration coloniale, qui passa très vite de l'éloge à la méfiance envers les soldats noirs, fit tout son possible pour les disperser. Cette première vague est essentiellement composée de Tirailleurs de la débâcle et la plupart d'entre eux a passé plus de deux ans en captivité dans des conditions ( nous l'avons vues) très difficiles. Les Allemands ont détruit leurs papiers et certains d'entre eux se trouvent alors dans l'incapacité de prouver qu'ils avaient effectivement été au front. Pour les autres Tirailleurs, l'administration fit en général le nécessaire mais l'oubli de certains faits importants sur leurs papiers ( nombre de jours au combat par exemple, blessures etc.) leur crée des difficultés par la suite pour toucher leurs pensions.

Pour bénéficier des pensions de retraite dans l'armée française, il fallait avoir servi quinze ans dans cette armée. Les épouses survivantes y avaient droit à la mort de leur mari. En fait, la plupart des retraités ainsi que les invalides de guerre toucheront leurs droits. Par contre, les anciens combattants ne furent pas aussi heureux. Ils n'avaient droit qu'à la retraite de combattant. Pour être ancien combattant, il fallait avoir « servi au moins 90 jours dans une zone de combats 169(*)». Du moins, il fallait que son régiment ait servi 90 jours en zone de combat. M. N'Diaye, un des Tirailleurs interviewés me fit la remarque suivante : « un tirailleur pouvait toucher la retraite du combattant sans avoir lui-même fait 90 jours de combat. S'il était invalide pendant que son régiment était au front, il en avait le bénéfice tandis que d'autres tirailleurs qui ont effectivement fait 85 jours de combat au front ne toucheront pas cette retraite du combattant. » ; d 'autre part, il fallait avoir 60 ans à l'époque pour la toucher et les veuves de guerre n'y avaient pas droit. L'âge est reculé depuis 1984 à 65 ans. Quand on connaît le taux de mortalité en Afrique et l'espérance de vie autour de 55 ans et parfois moins, on comprend très vite que beaucoup d'anciens combattants ne toucheront jamais cette retraite du combattant. Mais heureusement pour eux ou malheureusement pour la France, les Tirailleurs sont vigoureux et ont souvent une longue vie peut-être plombés à jamais, pour avoir plusieurs fois bravés la mort sur les fronts d'Europe.

La loi du 26 septembre 1959 dans son article 71 réduisit les pensions des anciens combattants à un montant équivalent au septième de celles de leurs frères d'armes citoyens français. Par la suite, la France les gela tout simplement les indexant sur le coût de la vie. Quelques tirailleurs font alors le choix de la nationalité française ou alors celui de s'installer en France pour toucher la même pension que les citoyens français170(*). Rives disait : «  J'ai honte quand je vois mes frères d'arme africains171(*) » ; cependant, il faut reconnaître que si les Tirailleurs touchaient la même somme que les citoyens français, ils auraient été dans leurs pays ou le salaire d'un cadre en franc français ne dépassaient pas 1500 FF ( à l'époque) de vrais nantis et ce par le seul fait d'avoir fait la guerre pour la France. Il y a donc une certaine collision entre l'administration française et les nations africaines nouvellement indépendantes. Les TS en faisaient les frais car on voulait les oublier de part et d'autre. Pour ces nations nouvellement indépendantes, cela aurait été assez dévalorisant et on comprend mieux le peu d'intérêt des politiques africains pour le problème des Tirailleurs. D'autre part, les pensions représentaient pour ces pays une fuite de l'aide dont ils avaient bien besoin. La politique avait des raisons mesquines que les pauvres Tirailleurs ne comprenaient pas souvent.

Le meilleur allié des Français fut certainement le temps. Petit à petit, les doléances auprès des administrations françaises en Afrique se réduisaient. Mais la raison en était simplement que les Tirailleurs mouraient les uns après les autres ou alors étaient trop vieux pour s'occuper de leur sort.

Que restera t-il alors des Tirailleurs quand ils seront tous morts ? Que gardera la France d'eux ? De vieux mendiants toujours en quête de pensions ou des hommes qui ont combattu et versé leur sang pour la France 172(*)? Quand on voit l'accueil de l'administration française à leur égard, parfois pour obtenir un visa173(*) pour la France, pays qu'ils ont libéré, on est en droit de se poser la question : « qui peut fermer la porte à l'un de ses enfants174(*)».

« Est-ce que le sang d'un noir ne compte pas autant que celui d'un blanc ? Est-ce qu'un noir ne sent pas les choses lui aussi, est-ce qu'un noir n'aime pas la vie lui aussi 175(*)» . Les tirailleurs méritent très certainement une meilleure vie que celle qu'ils ont héritée de l'indépendance des anciennes Colonies. Les nouveaux Etats africains ne considèrent pas leurs actions comme importantes. Au fond, qu'ont-ils faits d'autres que de se battre pour la France ? Ces nations nouvelles ne leur doivent certainement rien, du moins c'est ce que beaucoup d'hommes politiques pensent. Par contre la France a une véritable « dette » à leur égard. La France, « ce peuple de feu, qui chaque fois qu'il a libéré ses mains, a écrit la fraternité sur la première page de ses monuments 176(*)» doit guérir ses maux. Elle a blessé ses enfants africains dans leur dignité et il n'y a pourtant pas plus digne qu'un vieux bardé de médailles. Le voilà, obligé de vendre sur la place publique ses croix de guerre si durement acquises car une médaille ne nourrit pas son homme177(*).

Il faut replacer le vieux Tirailleur à la poitrine décorée de médailles dans les années 40 pour comprendre tout l'effet psychologique de cette guerre. Il était âgé d'à peine 20 ans et le voila obligé de quitter sa famille, ses parents, ses amours pour découvrir la guerre dans un pays lointain qu'il ne connaissait pas. Certains Tirailleurs trouvent même à leur retour de guerre, leur femme remariée178(*).

Militairement, la France a réussi à intégrer dans un même corps, des hommes issus de milieux très différents. Les Tirailleurs ont été un exemple d'unité africaine et les jeunes générations africaines friands d' « Africanisme » doivent prendre exemple sur eux car une véritable unité africaine est possible.

Les Tirailleurs instruits sont très vite intégrés dans le système administratif des nations africaines naissantes. En effet, les écoles militaires créées dès 1922 en AOF deviennent en octobre 1956 des écoles militaires préparatoires africaines c'est à dire à la veille des Indépendances. C'est à partir des RTS que les nations nouvellement indépendantes vont puiser l'inspiration d'une armée calquée sur le modèle français comme le note le colonel Lamdou Touré de l'armée sénégalaise :

«  L'histoire de l'armée de terre est celle de toute l'armée sénégalaise. En effet, cette dernière est mise sur pied à partir des éléments de l'armée coloniale transférés à l'organisation provisoire du commandement du Sénégal179(*) » .

Ces militaires étaient issus de la coloniale et leurs officiers provenaient, en grande partie, de l'école de formation des officiers ressortissants des territoires d'outre-mer ( EFORTOM) : « ...Cette première période est celle de la gestion de l'héritage colonial, aussi bien par la nature de son personnel que par celle de son matériel. La quasi-totalité des cadres provient des transferts, surtout au niveau des sous-officiers et officiers180(*). Ces transférés restèrent majoritaires jusqu'à la fin de cette première phase. Formés dans le moule de l'armée coloniale et aguerris par plusieurs théâtre d'opérations ( Indochine, Algérie), ils furent disciplinés et rigoureux. Aux cadres formés après l'Indépendance, ils transmirent leurs traditions et leur professionnalisme181(*) ».

Joseph CONOMBO, auteur de « souvenirs de guerre d'un tirailleur sénégalais » deviendra ministre des affaires étrangères et même Premier ministre dans son pays le Burkina Faso ( ancienne Haute Volta) tandis que SENGHOR sera le premier président de la République du Sénégal. Dans les capitales africaines, beaucoup de Tirailleurs instruits ont une carrière noble (avocat, instituteur, professeur) ; ces Tirailleurs devenus politiciens ont, contrairement aux jeunes et fougueux nouveaux africains182(*) de l'indépendance (qui eux n'avaient pas fait la guerre), une attitude toujours plus douce envers la France. Ils font de la « francophonie active » comme le note le Pr. JAUFFRET183(*). Avaient-ils encore ce profond respect qu'on a toujours envers sa mère ? En tout cas, ils choisirent toujours une politique proche de la France et défendront même ses intérêts mais cela relève d'un autre débat. Mais, pour le Tirailleur de seconde classe, qui ne comprenait que le « moi y'a dit », l'avenir n'est pas aussi rose. Il est en effet très vite réintégré dans son milieu d'origine. Oubliés de tous.

Lors de mes entretiens, un Tirailleur avait préparé un véritable manifeste qu'il me pria de noter, en voici le contenu :

« Pourquoi les Africains, qui ont combattu côte à côte avec les Français, qui ont utilisé les mêmes armes qu'eux, ont eu les mêmes blessures, et combattu les mêmes ennemis, ne sont pas traités pareils que leurs frères d'armes. Après la loi de 1971, les Européens touchent 4 fois plus que nous. Nos pensions ont été bloquées pendant 5 ans ( loi de forclusion sur les pensions). Les Français touchent 150 000 FCFA là où nous n'avons que 5000 à 7000 FCFA. Ce n'est pas juste. Nous ne demandons pas la mendicité à la France mais nous réclamons une justice. Nous avons été des soldats de l'armée française et tout travail mérite salaire 184(*)»

Un sondage que j'ai réalisé auprès de Français et d'Africains prouvent que si les Français de plus de 40 ans connaissent à peu près bien ce qu'est un Tirailleur sénégalais, les moins de 30 ans en ont juste entendu parlé et parfois ne savent pas ce que ces mots veulent dire. Les Africains par contre connaissent bien les Tirailleurs sénégalais dans l'ensemble mais ils ne retiennent souvent d'eux que les défilés ( lors des fêtes de l'Indépendance) et les médailles. Leur histoire est souvent méconnue des Africains eux même..

« A tout seigneur, tout honneur », la dernière parole revient naturellement à l'un d'entre eux qui, assis devant sa case en banco s'exclamait : «  Si la France m'avait payé de tout mon courage, j'aurai construit une maison en dur 185(*)».

* 166 Voir « Des spahis sénégalais à la garde rouge de Dakar », p6

* 167 Emission «  Du côté de chez Fred », 1989

* 168 Paroles de Didier Awadi , leader du groupe PBS ( Positive Black Soûl), groupe de Hip-Hop sénégalais.

* 169 CHETOM 15H142/D7 : Combattants de la guerre 1939-40, extrait du j.o du 24 janvier 1941 p 372

* 170 En particulier des arabes dont les pays sont plus proches de la France et dont l'histoire est relatée par un reportage de Jamila Benguigui sur canal + en 2000.

* 171 Emission «  Du côté de chez Fred », 1989

* 172 Le 21ème RIMA porte l'insigne des troupes indigènes ( Fréjus) en souvenir des troupes coloniales

* 173 Comme cet ancien Tirailleur M. Abdoulaye ( cf. Emission « du coté de chez Fred ») à qui la Guinée a refusé la nationalité guinéenne et qui ne peut obtenir la nationalité française.

* 174 Les Tirailleurs, chanson de M. Nanou Guily, Abidjan, 1987

* 175 Peter ABRAHAMS, « Rouge est le sang des noirs », Paris, Casterman, 1971, pp. 222

* 176 L.S. SENGHOR, « Hosties noires », Paris, seuil, 1956, pp 81 à 82

* 177 A l'entrée de la MAC de Dakar, les anciens combattants vendent leurs médailles militaires.

* 178 Nancy Lawler, Soldats d'infortune ...Op. Cit.

* 179 Colonel Lamdou Touré, « Des troupes indigènes... », op. Cit.

* 180 comme Mademba Sy

* 181 Colonel Touré, ibid.

* 182 Patrice Lumumba, Thomas Sankara

* 183 Dans  Armée d'Aujourd'hui , n° 190, pp. 163

* 184 Ablaye Diop, M2180, Algérie et Nouvelle Calédonie.

* 185 Reportage Histoire oubliée, Eric Deroo

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery