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Le français et la diffusion du français dans la musique punk/hardcore

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par Jean-Baptiste LIVET
Université Aix Marseille - Master 2 coopération linguistique et éducative 2010
  

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III. Et les autres langues ?

Intéressons nous à la situation linguistique du mouvement punk/hardcore dans 2 autres pays : l'Allemagne et le Brésil. Ensuite nous approcherons le cas de deux langues régionales de France, le basque et le breton.

Encore une fois, du fait du manque de données et de recherches fiables sur la question, nous n'avons

pas choisi ces pays et ces zones là parce qu'ils offrent des situations particulièrement intéressantes par rapport à d'autres, mais parce que nous les connaissons bien après des voyages et grâce à des contacts sur place.

Notre objectif ici est surtout de voir si, là-bas aussi, l'anglais s'est imposé dans les habitudes des musiciens.

1) Le cas de l'Allemagne

En Allemagne le punk/hardcore est beaucoup plus populaire qu'en France. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder la liste impressionnante de festivals de ce style pendant tout l'été, outre-rhin, avec des têtes d'affiches de grande renommée :

- « Force attack festival » à Rostock, trois jours, environ cinquante groupes, la majorité

allemands.

- « Punk & Disorderly » à Berlin, trois jours et une cinquantaine de groupes également.

- « Spirit from the street », Magdeburg, trois jours, trente groupes, la majorité allemands

- « With full force », près de Leipzig, trois jours, environ soixante groupes (dont beaucoup de

métal), majorité de groupes non allemands.

Sans compter certains festivals où le punk/hardcore est mélangé avec d'autres styles comme le ska ou le psychobilly. En France, le seul festival digne de ce nom est le Hellfest mais c'est avant tout le métal qui est à l'honneur là bas. En festivals punk à proprement parler, on peut citer « les 24 heures du punk » dans le Sud Ouest (la location change d'une année sur l'autre) ou le « Kanivo Chaos » à Montréal dans l'Yonne, mais ils sont beaucoup plus confidentiels : les festivals allemands attirent chacun entre 7000 et 15000 spectateurs chaque année...

Maintenant, qu'en est-il de la langue utilisée par les formations ? Comme partout ailleurs, l'anglais s'est imposé chez certains groupes parmi lesquels Mad Sin, Bonehouse, Stage Bottles ou Cut my skin, mais il existe également un nombre important de groupes qui ont choisi l'allemand : Die Toten Hosen, Dritte Wahl, Normahl, Die Schnitter...

La particularité du punk/hardcore en Allemagne réside surtout dans un phénomène que l'on ne retrouve que très rarement ailleurs : un très grand nombre de formations qui chantent tantôt en anglais, tantôt en allemand : Terrorgruppe, Slime, Eight Balls, Wizo, Commandantes (qui chante aussi quelques morceaux en espagnol et en français). Nina Hagen, LA figure internationale du punk allemand pour plusieurs raisons (notamment parce qu'elle est là depuis 1977 et originaire de Berlin-

Est), fait partie de cette catégorie.

Certains d'entre eux mélangent parfois les deux langues dans le même morceau, voire dans le même vers comme Mad Minority ou Bubonix !

En voici d'ailleurs un exemple frappant, refrain du morceau « Irrational Autoscooter » de Mad Minority :

« Kein Plan - feel my feelings! - weiss nur nicht wohin damit!

My hear is an emotional Achterbahn

Verhaltensweisen - irrational, aber doch konsequent! My heart is an emotional Achterbahn. »

Le groupe Dritte Wahl, qui chante exclusivement en allemand, a entièrement réenregistré son album « Auge um Auge » (« OEil pour oeil ») en anglais et l'a appelé «Tooth for tooth » (« Dent pour dent »).

Ainsi, dans une approche « écologique » (cf Calvet) des langues, on a là un contact bénéfique de deux langues pour la création artistique avec un plurilinguisme assumé, et duquel on s'amuse. L'échange entre l'anglais et l'allemand, le mélange même qui en est fait par les groupes permet une « mutualisation » des mots et donc du message, avec une portée plus grande en terme d'audience. Phénomène particulièrement intéressant « sociolinguistiquement », car l'alternance de code linguistique (ou « code switching ») effectué ici par les locuteurs n'est pas dû à un contact de langues en présence dans la même aire géographique ou à une diglossie. L'allemand est la langue du pays et l'anglais la langue du style musical, un code vient de la culture nationale et l'autre de la culture musicale adoptée par les artistes (d'où l'idée du punk/hardcore comme « supraculture »).

Bien sûr, cette situation a lieu en Allemagne mais pas en Angleterre (où les groupes chantent uniquement en anglais), mais aux Etats-Unis par exemple, l'espagnol fait de plus en plus son apparition dans les paroles des formations américaines, de la même manière que l'anglais « pénètre » l'allemand dans les compositions punk/hardcore. Le groupe The Casualties a eu la même démarche que Dritte Wahl en réenregistrant son album « On the front line » en espagnol pour donner « En la linea del frente ». Toujours le même but : rendre facilement accessible le message au plus grand nombre.

2) Le cas du Brésil

Le documentaire « Botinada : a origem do punk no Brasil » s'ouvre sur ces mots de Chico Buarque (un des plus grands artistes de musique brésilien) : « Se o punk é o lixo, a miséria e a violência, entâo nâo precisamos importa-lo da Europa, pois jà somos a vanguarda do punk em todo o mundo. »

En effet, la naissance du punk/hardcore au Brésil est bien différente de ce que l'on a connu en Europe puisqu'elle est arrivée sous un gouvernement autoritaire et dans des conditions de misère et de violence autrement plus graves que ce pour quoi les jeunes anglais s'étaient révoltés... Les brésiliens n'avaient donc un accès que très limité à l'actualité du mouvement dans les pays du Nord (« Para você conseguir um vinil era o pagamento do mês », Mineirinho, du groupe Punk-SP) et se sont donc créé une identité propre.

Dès le début du mouvement, aucun groupe ne chante en anglais. Voici la liste des formations punks brésiliennes que dresse Antonio Bivar dans « O qué é Punk » en 1982 : « As primeiras bandas datam de 1978 e tinham nomes como AI-5, Condutores de Cadàver, Restos de Nada. Hoje elas nâo mais existem, mas muitos de seus membros formaram outras bandas como a Inocentes, Desequilibrio, Estado de Coma e a Hino Mortal. [...] Além das citadas, os grupos Olho Seco, Colera, Fogo Cruzado, Lixomania, Mack, Suburbanos, Ratos de Porâo, Desertores, Passeatas, [...] e as bandas femininas Skizitas, Zona X e A Banda sem Nome - para citar apenas metade delas. »

Cette longue énumération ne contient pas de nom anglosaxon, et le chant en portugais apparaît aujourd'hui encore comme l'évidence au Brésil. En effet la grande majorité des groupes brésiliens (et même les formations de hardcore, genre dans lequel, on l'a vu, l'anglais est encore plus répandu que dans le punk) chantent en portugais, y compris celles qui s'exportent le plus à l'international !

Voici ce qu'on peut lire sur le site officiel du groupe Agrotoxico ( http://www.agrotoxicohc.com.br) : « While they were trying to promote the CD, three Agrotóxico members got an offer to join Fabio Sampaio to reform the legendary Olho Seco. Naturally they took the offer and Marcos, Jeferson and André began to jump from one band to the other between shows, a marathon that very few could take... The first Olho Seco gig was at a sold out Hangar 110, with support bands Phobia and Discarga. After that there were several local gigs until they got their first European tour in their 20-year history! It was a tour that covered 9 countries, among them some dodgy places like Amsterdam, Utrecht and The Hague (Holland), Bilbao and Burgos (Spain), Lisbon and Loule (Portugal) Lubjiana (Slovenia), Berlin, Leipzig, Hannover and Hamburg (Germany) Stockholm (Sweden) etc. »

De même pour le groupe Ratos de Porâo : pour commémorer le trentième anniversaire du groupe,

ils ont tourné dans de nombreux pays d'Europe dont la France (entre autre le 13/07/2007 pour un festival à Callac (22), avec notamment Heyoka) mais aussi la Pologne, la République Tchèque, l'Allemagne, l'Espagne...

Autre exemple significatif de la vitalité de la langue portugaise dans le punk/hardcore brésilien, le groupe Porcos Cegos. Cette formation de l'état de Sao Paulo s'est effectuée en 1993 sous le nom anglais de Blind Pigs, puis a décidé en 2006 de traduire son nom en portugais et de ne plus chanter que dans cette langue. Il m'a été impossible de trouver la raison de ce choix.

Malgré le peu de ressources disponibles sur la question, il est très simple de constater que l'immense majorité des groupes brésiliens chantent en portugais (une brève recherche sur internet confirme ce sentiment). Est-ce dû à l'éloignement géographique du Brésil avec les pays anglophones ? A l'envie de diffuser le portugais ? A un certainement ressentiment vis à vis des Etats-Unis ?

Difficile de répondre à cette question, mais cela nous permet au moins de dire qu'il est possible de chanter dans une autre langue que l'anglais, de faire de la musique de qualité et de tourner au niveau international.

3) Le cas du basque et du breton

Musique contestataire par excellence, le punk/hardcore a trouvé chez les militants indépendantistes de France un terrain fertile, et certains n'hésitent pas à le mélanger à la musique traditionnelle pour rajouter au côté régional et identitaire. Instauré par les irlandais The Pogues, le « Celtic punk » (mélange de rock et de musique traditionnelle) a fait des émules d'abord aux Etats-Unis puis en Europe. C'est notamment le cas en Bretagne.

Il existe un grand nombre de groupes bretons, grâce notamment à la présence de deux des plus grands labels français en la matière : Mass Productions (depuis 1996) et Enragé Productions (depuis 1995), mais la plupart chantent en anglais (Mass Murderers, Burn at all, Nevrotic Explosion...) ou en français (Tagada Jones, Core Y Gang, La Zone...). Toutefois quelques uns ont choisi de s'exprimer en breton quand la cause régionaliste leur semble importante. Le plus connu de ces groupes est : les Ramoneurs de Menhirs, grâce à la présence du Loran, ex-guitariste de Bérurier Noir.

On peut également citer Trouz An Noz, Tri Bleiz Die...

La Bretagne est donc une région particulièrement fournie en formations de punk/hardcore, mais la cause bretonne reste marginale dans l'ensemble du mouvement, même si l'avènement des Ramoneurs de Menhir a ramené le débat sur le devant de la scène, au propre comme au figuré.

Le punk basque a choisi de marquer sa différence en nommant (puisque « nommer c'est faire exister ») ce style « le rock radical basque ». Principaux groupes : Kortatu, Eskorbuto, Skunk, Negu Gorriak, Berri Txarrak... (NB : on ne fait pas de différence entre les groupes basques côté français et ceux du côté espagnol, tout simplement parce qu'il est parfois impossible de le savoir !). Certains d'entre eux ont connu un grand succès à l'international (et pas seulement au Pays Basque, en France et en Espagne).

Voici d'ailleurs un extrait d'article du magazine Punk Rawk n° 34 à propos de Berri Txarrak: « Quand on est basque signé sur un petit label, et que l'on défend la langue d'Euskadi, difficile d'imaginer que l'on partira un jour à travers l'Europe avec un groupe de la stature de Rise Against (célèbre groupe américain, ndr).. [...] « Les premiers groupes que j'ai aimés gamin étaient Negu Gorriak et Kortatu car ils chantaient dans notre langue » se souvient le chanteur guitariste Gorka. « Je suis fier d'effectuer cette tournée européenne avec Rise Aigainst en chantant en basque. On nous dit souvent que si on chantait en anglais, nous aurions plus d'ampleur. C'est peut être vrai mais le basque est le fondement de Berri Txarrak (Mauvaises Nouvelles en VF). Notre action dans ce sens est militante. »

Adeline Nguefak de l'université de Yaoundé a étudié linguistiquement la chanson camerounaise et la place du français dans celle-ci, au milieu des nombreuses langues nationales présentes dans ce pays. Et voici ce qu'elle nous dit : « Lorsque les chansonniers sont compétents dans leur langues locales et qu'ils les utilisent dans leurs chansons, le choix de celles-ci répond alors à deux logiques. La première est d'ordre identitaire. Elle conduit les auteurs à affirmer leur identité ethnique ou nationale en préférant les langues nationales véhiculaires ou en leur accordant une place notable dans le répertoire. [...] Leur usage permet au chansonnier d'affirmer son identité par rapport aux groupes sociaux en présence, d'impliquer d'avantage les membres de ce(s) groupe(s) dans le combat qui doit être mené dans et hors de la chanson. [...] La deuxième logique est commerciale : il s'agit d'utiliser le français ou l'anglais exclusivement, davantage ou au moins autant que les langues nationales véhiculaires pour s'adresser à un public international et inscrire ses productions dans une perspective de carrière professionnelle »

Ces deux logiques peuvent également s'appliquer au rock basque, et la deuxième démarche, celle

d'ordre commercial qui vise à toucher un public international, peut même s'appliquer aux groupes francophones chantant en anglais, comme on a pu le constater dans les interviews :

Heyoka :

« Donc pour toi c'est un argument défendable d'écrire en anglais parce que ça sonne mieux sur la musique ?

Défendable, si tu vas jouer à l'étranger. »

Pour revenir aux langues basque et bretonne, on a là une analogie frappante avec ce que dit Adeline Nguefak des chansonniers camerounais.

Pour conclure ce sujet, on peut dire que ces groupes de langue régionale ont compris l'intérêt du fonctionnement punk pour diffuser leur message via leur propre langue : possibilité accrue de tourner plus que localement, public réceptif à un message anti-autorité et pro-minorités.

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