L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE( Télécharger le fichier original )par Mouna EL HIH Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009 |
§2 : Les principes de non-discrimination et d'égalité mis au service de la protection des libertés en matière fiscaleA) La portée du principe de non-discrimination à raison de la nationalité à travers la jurisprudence communautaire Les libertés de circulation, comme nous l'avons déjà fait remarquer, interviennent sur le plan transfrontalier et doivent par conséquent être protégées contre les mesures nationales qui viendraient entraver leur exercice. Concrètement, les mesures que Cour communautaire juge contraire aux dispositions du Traité sont essentiellement celles qui opèrent une discrimination au profit des nationaux et au détriment des ressortissants des autres Etats membres. Cela signifie a contrario, que toute mesure nationale qui peut restreindre l'exercice d'une liberté de circulation, n'est pas obligatoirement condamnable si elle n'a pas de caractère discriminatoire. En fait, le Traité sur la Communauté ne condamne expressis verbis la notion de discrmination fondée sur la nationalité que dans l'article 39 TCE, relatif à libre circulation des travailleurs. Certes l'article 58 TCE ayant trait à la libre circulation des capitaux fait-il lui aussi référence à la notion de « discrimination arbitraire ». Toutefois, les autres dispositions relatives aux autres libertés ne traitent que de restrictions. Ainsi, les articles 43 TCE et 49 TCE, relatifs à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services garantissent l'exercice d'une activité dans le pays de l'établissement, ou de la prestation, dans les mêmes conditions que celles appliquées par ce pays à ses propres ressortissants. Nonobstant, ces articles sont tout de même appliquées par la Cour en tant que conditions de non-discrimination selon la nationalité ce qui n'est pas sans rappeler les clauses de non-discrimination fiscale incluses dans les conventions fiscales bilatérales. Ce premier rapprochement démontre d'ores et déjà l'importance de l'oeuvre créatrice de la Cour sur le terrain fiscal. Celle-ci a en effet spécifié la portée de la non-discrimination au fil de ses arrêts. Une définition fut d'abord dégagée, puisqu'il ressort de sa jurisprudence que deux catégories de discriminations sont susceptibles d'être condamnées. En effet, le point 30 de l'arrêt Schumacker35(*) dispose qu'« en vertu d'une jurisprudence constante, une discrimination ne peut consister que dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes ». D'autre part, et de manière plus spécifique, la Cour a déclaré dans son arrêt Commission c/ France36(*) relatif à l'avoir fiscal, que les libertés de circulation, et notamment la liberté d'établissement, garantissent le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d'un autre Etat membre. Toutefois, elles se distinguent d'une égalité généralisée dans la mesure où une discrimination à rebours demeure possible.37(*) Parfois, c'est la jurisprudence même de la Cour qui peut à aboutir à des situations de discrimination à rebours. Ainsi la Cour a-t-elle jugée conforme au droit communautaire le refus du fisc allemand d'accorder à un contribuable de nationalité allemande, qui travaillait en Allemagne tout en résidant au Pays-Bas, le bénéfice du régime fiscal des couples mariés pour l'impôts sur le revenu allemand, au motif que la situation de l'espèce était purement interne38(*).Or, la Cour a jugé que le refus du même régime fiscal était contraire à la libre circulation des travailleurs dans le cas d'un contribuable de nationalité belge, résidant en Belgique mais travaillant en Allemagne où il percevait la quasi-totalité de ses revenus39(*). Dés lors il apparaît à travers ses deux espèces, qui mettent en cause le droit fiscal allemand, que l'application du droit communautaire par la CJCE conduit à créer une discrimination à rebours notamment en traitant un non-résident non national plus favorablement qu'un non-résident national. Cela prouve que la notion de non-discrimination communautaire, fondée sur le critère de la nationalité, est distincte d'une clause d'égalité généralisée. Néanmoins, le principe d'égalité a également su trouver sa place dans la jurisprudence de la Cour. B) Le principe d'égalité comme remède aux discriminations déguisées La notion de discrimination selon la nationalité suppose une appréciation de la différence ou de la similitude des situations. Ainsi, si un national est un non-national ne se trouvent pas dans la même situation, la discrimination ne peut être pas avérée. C'est tout du moins la logique adoptée dans les clauses de non-discrimination, insérées dans les conventions fiscales bilatérales. L'article 24 de la Convention modèle OCDE en matière d'impôts sur le revenu prévoit d'ailleurs à cet effet une interdiction pour l'Etat signataire de traiter défavorablement les nationaux de l'autre Etat contractant, qui se trouvent dans la même situation que ses propres nationaux, par exemple au regard du critère de la résidence. Néanmoins, la jurisprudence de la CJCE a su dépasser ce critère de nationalité, en assimilant à des discriminations en raison de la nationalité, des discriminations en apparence fondées sur d'autres critères, en vue de donner une pleine efficience au principe d'égalité. En effet, elle considère les discriminations fondées sur la résidence comme des discriminations selon la nationalité, puisque celles-ci sont potentiellement plus défavorables aux ressortissants des autres Etats membres, et peuvent de ce fait constituer des discriminations déguisées. Tel a été le cas dans les arrêts Biehl40(*) et Bachmann41(*). Le juge de Luxembourg a d'ailleurs eu l'occasion d'affiner son raisonnement dans l'arrêt Schumacker42(*). Il a en effet recherché si la différence de résidence fiscale est une différence de situation et a reconnu à cette occasion que de manière générale, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont pas comparables en matière d'impôts sur le revenu, ce qui implique qu'une distinction entre ces deux catégories de personnes ne devrait pas être discriminatoire. Toutefois, le Cour considéré qu'il n'y avait pas de différence de situation objective entre un résident en Allemagne et un non-résident qui ne perçoit pas de revenus significatifs dans son Etat de résidence, et qui de plus est tire l'essentiel de ses ressources imposables d'une activité imposable en Allemagne. Le critère qui avait été donc retenu en l'espèce était celui pourcentage de revenu provenant de l'Etat de source et était lié à l'objet de la fiscalité en cause. Il s'agissait dans cette affaire de prendre en compte, et ce de manière équitable, la situation de la famille du contribuable pour l'imposition de son revenu global. Or la situation familiale de M. Schumacker ne pouvait être fiscalement prise en compte en Allemagne, dés lors qu'il y percevait ses revenus taxables sans y être résident, et encore moins en Belgique, puisqu'il n'y était pas imposé. Néanmoins, la Cour a utilisé une toute autre logique dans l'affaire Asscher43(*), en vue d'exclure l'existence d'une différence de traitement entre résidents et non-résidents. Il s'agissait ici de la législation fiscale néerlandaise dont l'objet était d'augmenter la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu pour certains-non résidents, en l'occurrence ceux qui recevaient moins de 90% de leurs revenus de source néerlandaise, dans le but de compenser une moindre progressivité de la fiscalité pour les non-résidents, résultant de leur obligation fiscale limitée aux Pays-Bas et de l'absence de perte de la déduction fiscale des cotisations sociales néerlandaises, déduction perdue par les résidents après réforme fiscale sans incidence sur les non-résidents, lesquels n'étaient pas assujettis à ces cotisations44(*). Le juge de Luxembourg a estimé qu'en l'espèce un résident et un non-résident sont dans une situation comparable au regard de la progressivité de l'impôt sur le revenu, car la Convention fiscale conclue entre la Belgique, Etat de résidence de M. Asscher, et les Pays-Bas, Etat de la source, prévoyait une règle de taux effectif dans l'Etat de résidence. Il apparaît donc que la similitude des situations a été appréciée en fonction des règles concernant le problème fiscal en cause, c'est-à-dire la progressivité de l'impôt sur le revenu, et non pas en fonction du critère de pourcentage des revenus qui aurait pu tourner à l'avantage des Pays-Bas, motivés par la volonté de sauvegarder la situation des « quasi-résidents ». Ce faisant, la Cour semble évoluer vers une recherche de la pertinence de la distinction entre résident et non-résident, à la lumière de l'objet de la mesure fiscale nationale en cause. * 35 CJCE, 14 sept. 1995, aff. C-279/93, Schumacker; Rec., I. p. 1306. * 36 CJCE, plén., 15 févr. 2000, aff. C-34/98, Commission c/ France, préc. * 37 CJCE, 8 déc. 1987, aff. 20/87, Gauchard : Rec. p. 4879. * 38 CJCE, Plén., 26 janv. 1993, aff. C-112/91, Werner, préc. * 39CJCE, 14 sept. 1995, aff. C-279/93, Schumacker, préc. * 40 CJCE, 8 mai 1990, aff. C-175/88 K. Biehl, préc. * 41 CJCE, 28 janv. 1992, C-204/90, Bachmann; Rec. I, p.276. * 42 CJCE, 14 sept. 1995, aff. C-279/93, Schumacker, préc. * 43 CJCE, 27 juin 1996, aff. C-104/94, Asscher, préc. * 44 Cf. Note 26. |
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