I.3.d La réanimation comme moment
de transformation psychique
Selon les études anthropologiques sur de nombreuses
sociétés, il a été constaté que les rites de
passage possèdent une fonction psychologique essentielle qui est de
transformer l'individu au plus profond de son identité.
« Le traumatisme est systématiquement utilisé dans
les rites d'initiation des sociétés traditionnelles à des
fins de transformation et de renaissance de l'individu, tous ces
mécanismes étant culturellement
déterminés » (ZAJDE, 1998)
La notion de rite d'initiation a été
étendue aux sociétés modernes car bien que notre culture
défende l'ethos d'un individu autonome et libre, les pratiques
des sociétés comportent toujours un aspect de modelage social des
individus selon une norme, c'est pourquoi, la démarche d'étude
ethnologique est récemment appliquée à des comportements
de culture occidentale.
Rappel sur la notion de
rite de passage
Selon Van Gennep (1909), les rites de passage possèdent
une symbolique qui simule la mort et la résurrection, le passage de la
non-vie au monde des vivants lors de la naissance. En réanimation, la
représentation de la renaissance est présente chez les soignants
(« quand on travaille ici, c'est un peu comme les accoucheurs, on
tente une renaissance », « je me sens parfois comme une petite
mère pour cette malade » qui était bien plus
âgée que son aide-soignante). Dans la même idée, le
terme de « sevrage » est utilisé pour la phase de
préparation à l'arrêt du respirateur mécanique.
Les rites de passage comportent presque toujours 3
phases :
a. Préliminaires : une séparation
afin de retirer à l'individu son statut social habituel. L'état
de malade de réanimation comporte bien, avec l'isolement et la
limitation des visites des familles, la séparation de l'individu par
rapport à son lieu de vie et à son groupe social et familial.
D'ailleurs, les malades ne manquent pas de remarquer qu'ils ne se reconnaissent
plus eux-mêmes.
b. Liminaires : une marginalisation,
période de transition avec suspension des contacts sociaux normaux. En
réanimation, l'état de malade produit souvent la sensation de se
retrouver étranger à soi-même avec un corps
dénudé et objet de soins, la parole empêchée, les
mouvements impossibles, les effets personnels réduits, la disparition de
la pudeur, etc... Cet état a été parfois associé
à une « prison ».
c. Post-liminaires : une incorporation,
période de réintégration dans la structure sociale, avec
un nouveau statut. On pourrait associer à cette phase celle de
« récupération » avec la reprise de la
capacité de communication, la remobilisation, la réalimentation
et la rééducation à la station debout et à la
marche. Nous verrons ultérieurement que l'entretien de recherche
lui-même, qui place le malade en tant que patient-expert, permet
d'engager le patient à un effort de pensée, à la
construction d'un discours propre.
D'autres aspects propres aux rites de passage ont
été relevés :
· le rythme de vie est propre à la
réanimation et imposé par les procédures de soins, les
gestes tellement ritualisés que les malades les observent avec
hypervigilance, et les attendent car ils leur permettent de rompre leur
solitude,
· les inversions sont nombreuses : Inversion des
âges car les infirmiers sont jeunes et maternent des personnes bien plus
âgées en état d'incapacité associée à
l'infans, inversion du jour et de la nuit pour le sommeil,
· Les gardiens du rituels : les médecins, les
exécuteurs : les soignants. « il a été
comme mon fils » montre le lien très particulier et
très fort entre malades et médecins , soignants.
· La transformation est marquée par le
passage de l'état de « presque mort » à
vivant, mais le problème pour le malade sera de ne pas rester prisonnier
dans l'état liminaire, cet entre-deux d'attente corporelle et psychique
toujours mortelle. Les soignants sont conscients de ce danger et font tout pour
réveiller les malades, parlent assez fort, marchent vite, toujours en
alerte et en éveil. Une grande sensibilité perceptive de
l'émotion du malade est présente avec leur attitude de
« Dureté » (voir I.1.b).
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