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L'encadrement de l'histoire par le droit dans les démocraties européennes

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par Pierre RICAU
Université Paul Cézanne Aix- Marseille 3 - Master de sciences politiques 2009
  

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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III

INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES

MEMOIRE

pour l'obtention du Diplôme

L'ENCADREMENT DE L'HISTOIRE PAR LE DROIT DANS LES DEMOCRATIES EUROPEENNES

Par M. Pierre RICAU

Mémoire réalisé sous la direction de

Marie-Sophie DOUDET

ANNEE 2008-2009

#

L'IEP n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

2

Mots-clés : droit de l'histoire, historiographie, philosophie, politique, négationnisme, révisionnisme, lois mémorielles, mémoire collective.

Résumé :

En partant d'une approche multidisciplinaire, ce mémoire tente de montrer qu'au-delà du débat médiatique l'histoire est un concept complexe dont la place dans les démocraties européenne est en mutation.

L'histoire enseignée et institutionnalisée doit être distinguée de l'histoire vécue et transmise en tant que mémoire, tout comme de l'histoire envisagée comme connaissance scientifique du passé. Si les trois domaines s'interpénètrent, chacun a aussi des enjeux et un statut propre.

Réclamer la totale liberté de l'histoire est loin d'être facilement défendable alors que l'histoire contemporaine se fond avec l'actualité, que l'opinion des historiens vient s'opposer à l'autorité du législateur et du juge et que les analyses scientifiques ne suffisent à apaiser le besoin de légitimité des mémoires en souffrance.

Le droit, à la fois présent pour protéger l'histoire et pour guider les mémoires tente de trouver la juste place de chacune dans le nouveau contexte de sociétés du savoir et de la communication.

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SOMMAIRE

Ière PARTIE: UNE HISTOIRE CONTROVERSEE, DES LOIS POUR L'ÉCLAIRCIR?

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A) LES DETOURNEMENTS DE L'HISTOIRE

1) Les détournements courants

2) Le problème spécifique du négationnisme

B) L'HISTOIRE ET LA MÉMOIRE AU CENTRE DES DEMOCRATIES

1) Réalité et illusions du rôle identitaire de l'histoire

2) Le développement des lois mémorielles en Europe: pourquoi et comment?

IIème PARTIE: UNE HISTOIRE ENCADREE PAR LE DROIT DANS LE CONTEXTE D'UNE PERPETUELLE RECHERCHE DE PERFECTIONNEMENT DE LA DEMOCRATIE

A) LES NORMES DE PROTECTION ET L'ENCADREMENT DES MEMOIRES

1) Différentes formes d'encadrement de la mémoire par le droit

2) La protection de la « mémoire de l'Humanité » mais aussi de l'histoire comme science: les lois anti-négationnistes

B) LES GARANTIES JURIDIQUES DE L'HISTOIRE COMME SCIENCE ET DISCIPLINE

1) Les libertés fondamentales première source de protection du travail des historiens

2) La création d'un environnement favorable à la recherche historique

INTRODUCTION

L'automne 2008 a été en France l'occasion de renouveler mais aussi d'apaiser un débat considérable, ne serait-ce que par la dimension qu'il a revêtu dans les médias et sur la scène politique, concernant la place de l'Histoire et de la Mémoire dans les institutions

démocratiques.

A quelques jours près, deux rapports sont venus établir une position ferme vis-à-vis de « la querelle des lois mémorielles »1, et de l'intrusion législative dans le domaine historique ; il s'agit tout d'abord du rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, remis au Secrétaire d'État à la Défense et aux Anciens combattants Jean-Marie Bockel le 12 novembre 20082, suivi six jours plus tard par les Conclusions de la Mission d'information sur les questions mémorielles de l'Assemblée Nationale3. Ces deux rapports, bien que de taille et d'importance inégales car le deuxième est le fruit d'un travail beaucoup plus large et d'une étude plus approfondie du problème, viennent montrer la nécessitée de définir clairement, dans le jeu institutionnel qui anime toute démocratie moderne, l'espace légal et l'espace réel attribués à l'Histoire et à la Mémoire des individus et des communautés d'individus, que ces dernières soient culturelles ou sociales, locales, nationales ou internationales.

Comme le remarquait l'académicien Pierre Nora dans un article du Nouvel Observateur publié peu de temps avant les deux rapports institutionnels, « il serait absurde de croire que l'usage politique du passé est une nouveauté », l'Histoire révèle une « dimension intensément politico-civique »4 qui la mène au centre du débat public.

Cependant on a pu constater depuis une trentaine d'années et notamment depuis l'adoption de la loi « Gayssot » du 13 juillet 1990 une recrudescence des débats et des interventions publiques dans la sphère du souvenir et de l'étude du passé.

La France, même si cette problématique y a pris une grande importance, est loin d'être le seul pays à s'être interrogé et à avoir légiféré sur l'Histoire. On constate, en effet, un développement des débats publics et des textes juridiques relatifs au passé dans la grande majorité des démocraties occidentales ou « occidentalisées »5, et certains pays (Espagne, Japon, Argentine, Turquie, ex-Démocraties Populaires) sont confrontés à une

1 Rapport d'information de la Mission d'information sur les questions mémorielles présidée par Bernard Accoyer, p. 18, disponible en ligne sur http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1262.asp

2 Rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques du Secrétariat d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, présidée par André Kaspi, disponible en ligne sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000707/0000.pdf

3 Rapport d'information de la Mission d'information sur les questions mémorielles présidée par Bernard Accoyer

4 Pierre Nora, « La politisation de l'histoire », Le Nouvel Observateur, Hors-série n°70: « L'histoire en procès », Octobre-novembre 2008, p. 6

5 On s'abstient ici de se positionner sur le caractère « démocratique » de régimes politiques « non-occidentaux » tel que l'Iran ou la Chine.

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histoire que la violence et la proximité rendent bien plus douloureuse et controversée que dans le cas français.

En notant parfois dans les débats une différence d'optique et d'argumentation entre acteurs et intellectuels du monde juridique et du monde des sciences-humaines, il se révèle intéressant de faire converger les deux approches et c'est pourquoi ce travail se propose d'analyser la place de l'Histoire dans la démocratie à travers l'étude des relations entre Droit et Histoire. Cette approche, il est évident, ne relèvera pas, ou seulement sporadiquement, de l'histoire du droit, c'est-à-dire de l'analyse de l'évolution du droit en fonction des différents contextes historiques ; elle se concentrera plutôt sur la situation de l'histoire dans les cadres juridiques contemporains, que ce soit au niveau des normes comme des institutions.

D'autre part, et même si le contexte français sera souvent amené à servir de base, les relations droit-histoire seront envisagées dans le cadre européen - tour à tour considéré comme ensemble régional ou comme ensemble juridique - car l'Europe bénéficie à la fois d'une certaine unité culturelle et juridique qui permet d'identifier et de rapprocher des problématiques et des phénomènes semblables, et parallèlement sa diversité rend possible des analyses comparatistes que ce soit entre les États ou entre droit national et international.

Il est nécessaire dans un premier temps d'étudier les évolutions qui ont conduit à une discussion voire une confrontation entre le Droit et l'Histoire, entre les juristes, les juges, les acteurs politiques et institutionnels d'une part, et les historiens, les enseignants, les journalistes ou les philosophes d'autre part - même si cette simplification est largement dépassée par un débat qui est avant tout transdisciplinaire, elle nous servira de point de départ pour comprendre l'opposition des points de vue et des intérêts entre les producteurs du droit et les spécialistes de l'histoire. Cette analyse sera aussi l'occasion de définir les deux notions « histoire » puis « droit » tel qu'on les entendra dans l'ensemble du mémoire.

Le 12 décembre 2005, dix neuf intellectuels célèbres, principalement des historiens, lançaient dans le journal Libération6 un appel aux hommes politiques intitulé « Liberté pour l'histoire » face à la multiplication des « lois mémorielles » sous la plume du

6 « Liberté pour l'histoire », 19 signataires, Libération, 12 décembre 2005

législateur français. Le 9 janvier 2006 cet appel qui venait de donner naissance à une association rassemblait déjà quatre cent quarante quatre signataires7 et allait pousser la revue L'Histoire à consacrer son numéro de février 2006 à ce débat. Pourtant l'intrusion politique dans le champ de l'histoire que dénonce le collectif, la « mise en place subreptice d'une histoire officielle »8, n'est pas chose nouvelle dans une France où, comme le rappelle Marc Ferro: en 1904 un professeur du Lycée Condorcet de Paris pouvait être blâmé par son proviseur pour simplement avoir « nié les « miracles » et parlé des « hallucinations » de Jeanne » d'Arc9.

L'analyse historiographique nous montre que, bien plus qu'une politisation de l'histoire, le phénomène en cause dans ce débat, qui en 2008 a révélé qu'il concernait l'ensemble de la sphère culturelle européenne avec « l'Appel de Blois »10, signé par des universitaires de tout le continent, relève plutôt d'un processus d'émancipation de la connaissance historique vis-à-vis du politique. On peut se demander pourquoi et comment.

L'histoire

L'histoire se réclamant de la science est précédée, ou du moins encadrée, par une histoire perçue comme outil politique et par une histoire-fiction relevant plus du domaine littéraire. Dans la Grèce du Vème siècle la naissance de la discipline et de son nom dans l'Historiai (445 av. J.-C.) d'Hérodote ne se cache pas de cette affinité avec les considérations politiques et si l'Histoire de la Guerre du Péloponnèse (entre 420 et 400 av. J.-C.) de Thucydide, introduit, elle, une tentative d'approche plus critique et une première méthodologie scientifique dans l'analyse de l'enchainement des événements et des périodes historiques, elle reste tout de même encore largement soumise au patriotisme hellénistique et athénien. L'Historien arabe Ibn Khaldoun avec son Histoire des exemples11 (1375-1379) est l'un des très rares intellectuels à avoir suivi la même voie que Thucydide, car enfin jusqu'au XIX siècle l'histoire est et reste principalement un instrument entre les mains du

7 Entretient avec Françoise Chandernagor, L'Histoire, n° 306, février 2006, p. 79

8 Ibid, p. 78

9 Marc Ferro, « Tentation et peur de l'histoire », Manière de voir, n°26: « Leçons d'histoire », publication du Monde diplomatique, mai 1995, p. 11

10 « Appel de Blois », Le Monde, 11 octobre 2008, p. 21

11 Nom original: Kitab al-ibar (1375-1379), Ibn Khaldoun, Le Livre des exemples, tome I, traduit et annoté par Abdesselam Cheddadi, éd. Gallimard, collection La Pléiade, 2002

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pouvoir politique et religieux pour se légitimer, vis-à-vis des autres pouvoirs: origines des frontières territoriales, des allégeances, et vis-à-vis de lui même: fondements de la « nation » romaine, des communautés chrétiennes, des dynasties monarchiques.

L'histoire romantique qui se développe à partir du Génie du christianisme (1802) de Chateaubriand, va faire entrer dans les arts littéraires une histoire esthétisée qui servira souvent là encore un fond politique dans une période d'incertitudes où les hommes font l'histoire plus qu'il ne l'étudient et pour reprendre une belle citation de Victor Hugo « brandissent leurs souvenir comme des torches »12 pour tenter d'éclairer un chemin semé de doutes. Cette histoire nouvelle qui va atteindre une grande qualité narrative dans des ouvrages tels que Le Récit des temps Mérovingiens (1833-1840) de Augustin Thierry, l'Histoire de France (1833-1869) de Jules Michelet ou encore l'Histoire du Consulat et de l'Empire (1845-1846) de Adolphe Thiers ne prétend pas encore à une véritable scientificité même si des auteurs comme François Guizot dans son Histoire de la Civilisation en Europe (1828) et son Histoire de la Civilisation en France (1830) commencent à associer une méthodologie plus stricte à une prose très travaillée.

La méthodologie la plus rigoureuse appliquée à l'histoire nait en Allemagne avec des universitaires comme Leopold von Ranke, Heinrich von Sybel ou Theodor Mommsen qui critiquent l'enthousiasme de l'histoire narrative romantique et imprègnent leurs études avec les sciences sociales naissantes: économie, sociologie, science-politique. Mais c'est surtout le développement des systèmes éducatifs en Europe, la création des premières revues spécialisées: Historische Zeitscrift allemande en 1859, Revue historique française en 1876, English Historical Review en 1886, et l'apparition d'institutions de protection et de classification des sources historiques avec notamment la création de l'Ecole des Chartes de Paris en 1821, de l'Institut de correspondance archéologique de Rome en 1829, de l'Ecole française d'Athènes en 1846, qui tend au développement d'une discipline scientifique à part. Cette évolution aboutira à la fondation de l'Ecole des Annales en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch et plus tard à l'émergence de la « nouvelle histoire » française rapidement repris dans toute l'Europe pour la qualité de son « analyse clinique et expérimentale du passé des sociétés »13.

A cheval sur la fin du XIX et la première moitié du XXème siècle l'établissement

12 Citation extraite du sujet de l'épreuve de culture générale de 4ème année à l'IEP d'Aix en janvier 2009, référence exacte non trouvée.

13 Marc Ferro, op.cit., p. 10

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de l'histoire comme une discipline scientifique à part est donc progressif . Il s'accompagne de son institutionnalisation dans les écoles et les universités qui fait de la matière un enseignement majeur et dont les bases sont largement répandues dans la société. Mais à cette histoire devenue enfin « non-pas une science de l'homme, mais la première d'entre-elles » pour reprendre l'expression d'Yves Florenne14, il restait encore à s'émanciper des prétentions positivistes et marxistes qui se réclament d'une réelle objectivité ou d'une exagérée parenté avec les sciences physiques et mathématiques, et que critiquait déjà Max Weber en 1904 dans L'Objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales15: « Il est absurde de croire, suivant la conception qui règne même parfois chez certains historiens de notre spécialité, que le but, si éloigné soit-il, des sciences de la culture pourrait consister à élaborer un système clos de concepts qui condenserait d'une façon ou d'une autre la réalité dans une articulation définitive, à partir de laquelle on pourrait à nouveau la déduire après coup. Le flux du devenir incommensurable coule sans arrêt vers l'éternité. »16

Dans ce sens une critique forte de l'historiographie marxiste ou nationaliste qui dominait l'après Seconde Guerre mondiale, sous la plume d'historiens tels que François Furet et Mona Ozouf pour la Révolution française, a permis à l'histoire de reconnaitre ses limites et l'indépassable dimension politique qui accompagne le choix d'un sujet et la manière de l'aborder. Comme l'écrit Bernard Lepetit dans un article de 1995 intitulé « L'histoire prend-elle les acteurs au sérieux »: la société « redevient l'objet privilégié de l'histoire. Elle n'est plus définie comme l'une des dimensions particulières des rapports de production ou des représentations du monde, mais comme le produit de l'interaction, comme une catégorie de la pratique sociale » 17 , dans la continuité des apports épistémologiques de Max Weber et de Michel Foucault.

L'histoire éclatée qui nait aujourd'hui de la diversification des approches et des méthodes: microstoria18 venue d'Italie, histoire du temps présent, des minorités, des

14 Yves Florenne, article de présentation du livre Le phénomène « nouvelle histoire », d'Hérvé Couteau-Bégarie, Manière de voir, op.cit., p. 14

15 Max Werber, L'objectivité de la connaissance dans les sciencs et la politique sociale, trad. Julien Freund, Plon, 1904

16 Demander la ref exacte à Mme Doudet

17 Bernard Lepetit, « L'histoire prend-elle les acteurs au sérieux? », EspaceTemps, 1995, cité par Jean-Claude Ruano-Borbalan dans « Enjeux et débats », Sciences humaines, hors-série n°18, septembre-octobre 1997, p. 6

18 « micro-histoire », voire l'article de Jacques Revel dans Sciences humaines, op.cit, p. 22

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cultures, ne peut vraiment prétendre au statut de science qu'en ce qu'elle s'est enrichie d'une autocritique remarquable et ne vise plus qu'à la production d'un savoir précis mais partiel, libéré de toute idéologie globalisante. Comme le remarque le chroniqueur du Nouvel Observateur Jacques Julliard dans son article « L'avenir de l'histoire », la démarche des historiens d'aujourd'hui, qui à l'exemple de ceux réunis dans l'association « Liberté pour l'histoire » prônent l'indépendance de leur discipline vis-à-vis du politique et du droit, ressort moins d'un orgueil corporatiste qui les érigerait en maîtres de leur spécialité que d'un réflexe d'humilité qu'il résume ainsi: « De nos découvertes à l'indicatif nous ne voulons pas tirer de conclusions à l'impératif. A plus forte raison, nous refusons que d'autres les tirent en s'appuyant sur nous. Nous ne sommes pas des auxiliaires de justice. Nous ne sommes pas des témoins de moralité »19.

Mais l'histoire devenue une science à part entière peut-elle pour autant s'isoler hors de la sphère politique?

Le problème qui sous-tend l'ensemble du débat sur la place de l'histoire dans la démocratie relève du fait que l'histoire comme savoir et comme discipline ne s'identifie pas à l'histoire comme science.

Tout d'abord parce que en tant que savoir elle interfère avec la sphère du vécu et/ou de la mémoire, c'est-à-dire de la perception subjective des événements, et de leur retranscription sous la forme d'un savoir transmissible et généralement transmis à travers un filtre émotionnel et idéologique. Or la mémoire constitue la trame centrale du lien social qui unit une famille, une communauté, un peuple ou une nation, elle est le pilier d'une culture et l'étincelle libératrice d'une individualité, c'est pourquoi le droit et le politique ont la fonction et le devoir de la protéger et, dès lors qu'ils sont volontaristes, de la guider.

Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire (1984) explique à propos des rapports entre histoire et mémoire: « loin d'être synonymes, tout les oppose: la mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants, ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie, vulnérable aux utilisations et aux manipulations. L'histoire est la reconstruction problématique et incomplète de ce qui n'est plus [...]. La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l'histoire l'en débusque. [...] La mémoire est toujours suspecte à l'histoire »20.

19 Jacques Julliard, « L'avenir de l'histoire », Nouvel Observateur, hors-série n°70, octobre-novembre 2008, p83

20 Pierre Nora (dir. par), Les Lieux de mémoire, Gallimard, 1984, p. 19-20

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Comme l'a remarqué Paul Ricoeur leurs ambitions sont distinctes et complémentaires: la mémoire cherche la fidélité, l'histoire la vérité21. Mais « que serait une vérité sans fidélité ou encore une fidélité sans vérité »22?

La mémoire est un sujet d'histoire, « le plus beau matériau de l'histoire » selon Jacques Le Goff23, mais ne peut s'assimiler à elle. Le droit doit donc bien distinguer les deux notions et la place qu'il leur donne.

D'où cette analyse de Jean-Claude Ruano-Borbalan: « l'organisation de l'histoire comme discipline d'enseignement n'est pas directement liée à son organisation comme « science » »24 ; l'enseignement de l'histoire peut répondre à des impératifs autres que l'acquisition et la recherche d'une connaissance précise et critique, il sert notamment la création d'un savoir et de références communes, la formation d'une mémoire particulière, qui fut longtemps nationale et qu'on voudrait maintenant européenne, il sert aussi « dans le contexte du développement exponentiel des technologies de l'information et de la communication »25 à l'acquisition égalitaire de compétences techniques pour accéder à l'information mais surtout à l'apprentissage d'une méthodologie et d'un esprit critique permettant aux futurs citoyens d'extraire une information de qualité de la profusion informationnelle.

D'autre part, parce que l'histoire conserve toujours son intérêt narratif, la science doit perpétuellement se confronter à la simplification et aux détournements ne servant que l'intérêt « médiatique », que la recherche du public au détriment de la qualité de l'information. Cela peut se traduire dans les évolutions récentes par le rôle de plus en plus important des « témoins ». Au départ appelés pour éclairer le discours de l'historiens, ceux-ci viennent peu à peu constituer un « tribunal de l'opinion »26 qui concurrence voire éclipse l'analyse historique dans les médias de masse.

21 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Le Seuil, 2000, analysé par François Dosse dans « Paul Ricoeur: entre mémoire, histoire et oubli », Les Cahiers français, n°303: « La mémoire entre histoire et politique », juillet-août 2001, p. 15

22 F. Dosse, Ibid, p. 15

23 Jacques Le Goff, Histoire et mémoire, 1988, cité par Laurent Wirth, « Face aux détournements de l'histoire », Détournements de l'histoires, rapport général du symposium « Face aux détournements de l`histoire » organisé par le Conseil de la coopération culturelle du Conseil de l'Europe du 28 au 30 juin 1999, Editions du Conseil de l'Europe, p. 39

24 Jean-Claude Ruano-Borbalan, op.cit., p. 4

25 Jacques Tardif, Introduction de L'enseignement de l'histoire face aux défis des technologies de l'information et de la communication, Edition du Conseil de l'Europe, 1999, p. 15

26 Jacques Revel, « Le tribunal de l'opinion », Le Nouvel Observateur, op.cit., p. 9

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Enfin, et parce qu'elle reste « une activité politique, au sens large du mot : mythes d'origines, récits de fondation et de légitimation, généalogies célébratrices, modèles de vie et leçons de conduite pour les grands » 27 , l'histoire continue d'être interprétée et transformée au profit du discours politique, au point que selon Christophe Charles : le citoyen « ne peut pas, à la lettre, participer au débat politique dominant. Celui-ci est en effet surchargé en permanence d'allusions, de références, de mises en écho ou d'analogies historiques »28.

L'histoire à travers les multiples facettes du savoir qu'elle fonde est donc fondamentalement une discipline « politique », peut-être la plus politique de toutes, et dans le cadre d'un Etat de droit se trouve liée aux normes qui régissent la vie en société. L'articulation de ses différentes facettes à travers les normes démocratiques sera le principal objet de ce mémoire.

Le droit

Le développement de l'Etat de droit libéral est, en parallèle de l'évolution historiographique, lui aussi la cause de l'émergence du débat relatif à la place de l'histoire dans la société. La problématique des relations entre histoire et droit ne se pose que parce que l'Etat moderne prétend à la fois protéger les libertés individuelles, garantir le bien être et la paix sociale et veiller au respect de la « dignité » des personnes, ce à travers un équilibre des pouvoirs soigneusement ajusté.

L'Etat autoritaire et même l'Etat légal qui historiquement a précédé l'Etat de droit peuvent exercer toute leur influence sur l'histoire et la mémoire collective: en France l'ordonnance du 27 floréal appelait les poètes « à célébrer les principaux événements de la Révolution française, à composer des pièces dramatiques républicaines, à transmettre à la postérité les grandes époques de la régénération des Français, à donner à l'histoire le ferme caractère qui convient aux annales d'un grand peuple conquérant sa liberté, attaquée par tous les tyrans de l'Europe »29. L'Eglise Sainte-Geneviève de Paris transformée en « temple de la patrie », sous le nom de « Panthéon français » fut chargée d'accueillir des « pères de

27 Pierre Nora, « La politisation de l'histoire », Le Nouvel Observateur, op.cit., p. 6

28 Christophe Charles, «Être historien en France, une nouvelle profession? », L'Histoire et le métier d'historien en France, 1945-1995, sous la direction de François Bédarida, ed. de la Maison des sciences de l'homme, 1995, p. 21

29 B. Accoyer, Rapport de la mission de l'Assemblée Nationale française, op.cit., p15

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la Révolution » tel que Voltaire et Rousseau.

Plus généralement dès la naissance de la IIIème République, « les parlementaires s'estiment fondés à marquer, par la loi, leur volonté d'honorer les grands hommes de leur temps »30, on assiste donc à la création volontaire d'une mémoire nationale républicaine qui comme on l'a déjà remarqué plus haut au sujet de Jeanne d'Arc conditionne fortement l'enseignement et le contenu du savoir historique hors du champs des spécialistes isolés dans leurs universités.

Sous la Vème République française, alors que la doctrine moniste a déjà fait rentrer le droit international dans la sphère juridique nationale depuis 1946, et que la création du Conseil Constitutionnel ouvre la voie vers un contrôle de constitutionalité qui achève de poser les bases en France d'un véritable Etat de droit, le pouvoir mémoriel, transféré du parlement au pouvoir règlementaire par un article 34 de la nouvelle Constitution qui limite expressément le champ de compétence législatif, tend à concentrer la définition publique de l'histoire entre les mains du Président de la République. Un Président de la République qui exerce en parallèle un contrôle étroit sur les médias et censure sans hésitation toute vision de l'histoire non conforme à la version officielle. Comme l'écrit Jean Daniel dans un article du Nouvel Observateur : « Le Général avait fini par persuader les siens, et peut-être se persuader lui-même, que c'était Leclerc qui avait libéré Paris ; et, dans son fameux discours du 25 août 1944, il n'a pas cité une seule fois les Alliés, et cela n'a choqué personne »31, et en 1969, un film comme « Le Chagrin et la pitié » de Marcel Ophuls ne pouvait accéder à une diffusion télévisée simplement parce qu'il montrait la vérité sur l'Occupation de la France: « qu'il y a eu un petit nombre de résistants, un petit nombre de collaborateurs, et une majorité plus ou moins pétainiste ou attentiste »32.

C'est un phénomène récent, plus vieux d'à peine dix ans que les premières « lois mémorielles » modernes des années 1990, qui voit émerger l'idée d'une primauté de la liberté d'expression, de publication et de diffusion, sur un discours historique officialisant, et qui met en avant les historiens « critiques » vis-à-vis du conte officiel, dans les « vieilles » démocraties d'Europe occidentale puis, et à plus fort titre, dans les jeunes démocraties naissantes d'Europe centrale et orientale. Cette évolution correspond à la création d'Etats démocratiques modernes où le droit s'enrichit d'une hiérarchie des normes

30 B. Accoyer, op.cit, p. 16

31 Jean Daniel, « Ouvriers du passé », Le Nouvel Observateur, op.cit., p. 3

32 Ibid., p. 3

14

renforcée: contrôles constitutionnel et conventionnel, contrôles des juridictions internationales, prise d'assurance des juges nationaux dans l'exercice de leur compétence jurisprudentiel, limitation du domaine de la loi. Cette nouvelle hiérarchie vient limiter le contrôle de chaque pouvoir et de chaque institution sur les discours et les positions politiques ou scientifiques tenus sur la scène publique.

Toutefois l'évolution récente du droit, si elle a pu, en allant vers un plus grand équilibre des pouvoirs, renforcer les libertés civiques dites « de première génération » telle que la liberté d'expression et l'un de ses corollaires: la liberté de recherche scientifique, a aussi avec l'émergence des droits économiques et sociaux puis des divers droits dits « de troisième génération », limité ces premières libertés pour en garantir de nouvelles. Ainsi la liberté d'expression et de recherche des historiens peut-elle être amenée à se confronter à de nouveaux droits tel que le respect des traditions et des mémoires locales et minoritaires et plus largement le « droit à la dignité », droit qui peut d'ailleurs venir encadrer la pratique et la recherche scientifique dans d'autres domaines tels que la médecine et plus largement les sciences du vivant.

Si une vision libérale, privilégiant une forme de justice commutative, telle qu'elle peut prévaloir comme on le verra aux Etats-Unis, peut regretter la limitation des droits civiques, on peut aussi considérer que l'extension du champ des droits et libertés fondamentales en Europe va dans le sens d'une démocratie plus pragmatique et efficace qui tente d'équilibrer les différentes nécessités de l'épanouissement individuel et du « vivre ensemble », et c'est dans ce sens que le droit peut être amené à intervenir encore de nos jours dans le champ de l'histoire.

Le droit tel qu'il sera considéré dans ce mémoire sera donc pris dans un sens très large, englobant au-delà de la production législative les différents niveaux de normes, et incluant parfois des normes « non-impératives », pour reprendre l'expression du Conseil d'Etat français issue de l'arrêt de section du 18 décembre 2002, Mme Duvignères, au sens où elle ne seront pas forcement sanctionnées par un contrôle juridictionnel mais tendront plus à définir des modes d'action consensuels.

Notre analyse se focalisera donc autour de deux question concentriques:

- Dans quelle mesure les différents types de normes qui constituent le droit peuvent-ils et doivent-ils influencer, encadrer et protéger l'histoire dans ses différentes acceptions?

- Plus globalement quelle est et quelle doit-être la place occupée par une histoire multiple et souvent controversée dans les démocraties européennes modernes?

La première partie de ce travail se centrera sur les détournements, les controverses et les nécessités qui menacent et compliquent le savoir historique, son enseignement et sa diffusion et peuvent entrainer la nécessité d'une intervention juridique.

La deuxième partie viendra mettre en avant la richesse, tout comme les insuffisances des différents niveaux et sources de droits dans la place et le statut qu'ils accordent à l'histoire au sein de la démocratie.

15

Ière PARTIE:

UNE HISTOIRE CONTROVERSEE, DES LOIS POUR L' ECLAIRECIR ?

Si un statut juridique est donné à l'histoire au sein des démocraties européennes

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c'est que, qu'on la prenne comme savoir scientifique ou comme savoir mémoriel, l'histoire ne fait jamais l'unanimité et est au centre d'enjeux politiques et sociaux rendent sa protection nécessaire.

On commencera par étudier les risques qu'encourt l'histoire et qui vont alimenter la réflexion sur sa place dans la démocratie à travers l'analyse de ses détournements.

A) Les détournements de l'histoire

Une histoire « détournée » signifie-elle qu'il existe une histoire « réelle », qui coulerait comme un flot continu et loin de laquelle nous emmèneraient les manipulations de toutes sortes?

Ce serait revenir à une définition de l'histoire qui comme on l'a vu en introduction à en partie été écartée par l'évolution historiographique: aucune histoire scientifique ne prétend à la vérité absolue et il est évident que l'histoire même comme science est en partie une construction de l'historien.

Mais si l'histoire reste un « mixte indissoluble du sujet et de l'objet » selon l'expression d'H.I. Marrou33, elle peut aussi prétendre à une approche de la vérité: « à défaut de l'atteindre »34 elle « a pour norme la vérité »35 et doit s'éloigner le plus possible du mythe et de la projection personnelle, pour appuyer ses analyses sur des vérités matérielles. Comme l'écrit parfaitement Pierre Vidal Naquet : « Que l'historien ait perdu son innocence, qu'il se laisse prendre comme objet, qu'il se prenne lui-même comme objet, qui le regrettera? Reste que si le discours historique ne se rattachait pas, par autant d'intermédiaires qu'on le voudra, à ce que l'on appellera, faute de mieux, le réel, nous serions toujours dans le discours, mais ce discours cesserait d`être historique.»36

C'est pourquoi un « détournement » est non-seulement possible mais courant dès lors que la démarche de l'analyse historique ne se fonde pas sur des sources matérielles

33 cité par L. Wirth, « Face aux détournements de l'histoire », op.cit., p. 31

34 Ibid., p. 31

35 J. le Goff cité par L. Wirth, Ibid., p. 31

36 Pierre Vidal Naquet, « Les assassins de la mémoire », essai publié dans le recueil Les assassins de la mémoire, La Découverte, 1987, p. 148

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sûres ou qu'il y a confusion entre les différentes sphères du concept « histoire »: science, mémoire ou fiction ; cette confusion peut, on le verra, être involontaire ou volontaire.

Les détournements de l'histoire ont été et sont principalement visibles dans les régimes autoritaires et totalitaires où le savoir historique est soumis à une doctrine idéologique clairement établie et où la volonté de constituer une mémoire commune pousse la prétendue histoire vers le domaine du mythe.

« Se rendre maître du passé est une des conditions essentielles pour régner sur le présent »37 si l'on en croit Jacques Julliard, et plus un régime politique a la prétention de créer un homme nouveau et pour cela de contrôler la « totalité » des aspects de sa vie et de sa pensée, plus la manipulation de l'histoire est un outil précieux.

Que ce soit une histoire communiste redessinée à la lumière de la « lutte des classes » , une histoire nazie guidée par la « lutte des races » ou une histoire fasciste nationalo-centrée, l'histoire totalitaire n'a plus de la science qu'une tentative de déguisement tristement comique au même titre que les représentations d'Hitler en chevalier teutonique ou de Mussolini en César romain.

Mais les détournements de l'histoire ne se limitent pas aux seuls Etats totalitaires ou autoritaires, « tout le monde peut détourner l'histoire » déclarait en juin 1999 le ministre norvégien de l'Education en ouverture du symposium « Face aux détournement de l'histoire » organisé à Oslo par le Conseil de l'Europe, et chaque démocratie peut être sujette à divers types de détournements que nous allons analyser maintenant, en étudiant à part le négationnisme du fait de ses spécificités et de son importance pour le sujet en général.

1) Les détournements courants.

Par qui et pourquoi?

Comme le remarque Laurent Wirth, difficile de dissocier ces deux questions:

37 J. Julliard, op.cit., p82

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« chercher les mobiles du détournement permet d'en mettre en évidence les responsables »38. Mais si la responsabilité des détournements est souvent identifiable elle peut aussi parfois être fortement diluée dans la société.

La première fonction de la manipulation historique est bien sûr d'assurer une propagande politique et à ce titre on peut observer nombre d'exemples dans les pays totalitaires où l'histoire a pu servir à embrigader la jeunesse et à mobiliser les masses: souvenir de la gloire romaine pour unir l'Italie fasciste, « espace vital » nazi appuyé sur le récits de conflits passés comme la lutte des chevaliers teutonique contre les slaves, brutalité révolutionnaire communiste toujours justifiée par l'expérience de la Commune de Paris de 1871 et sa sanglante répression. Mais la propagande agit aussi en démocratie, et peut-être d'autant plus que l'appui de la masse y est plus nécessaire.

Le premier aspect de ce type de détournements est certainement le développement des nationalismes ; comme le fait remarquer Georg Iggers dans un discours introductif sur « L'historiographie au XXème siècle », il y a une « corrélation entre le développement du nationalisme et l'étude de l'histoire »39 qui a pu aller jusqu'à l'invention des nations. La construction d'un mythe national est une des premières missions, conscientes ou non, que l'histoire s'est vue attribuer, avec entre autres la création de héros nationaux tel Vercingétorix et Jeanne d'Arc en France, comme l'a analysé Ch. Amalvi40 , ou les chefs vikings Olaf Tryggvesson et Olaf Haraldsson en Norvège comme Ola Svein Stugu le montre dans sa conférence « Histoire et identité nationale en Norvège »41, mais aussi la fabrication d'événements fondateurs comme en Serbie la bataille de Kosovo Polje (« bataille du champ des merles ») en 1389, symbole nationaliste aussi utilisé pour affirmer la souveraineté serbe sur l'ancienne province autonome du Kosovo.

Christina Koulouri, dans une conférence intitulée « Les Deux faces de la discrimination dans l'enseignement de l'histoire: discriminants et discriminés à la fois »42 montre autour de l'exemple grec le développement de « couples opposés » reprenant la problématique de l'affirmation du même par opposition à l'autre au niveau des

38 L. Wirth, op.cit., p. 33

39 Georg Iggers, « L'historiographie au XXème siècle », Détournements de l'histoire, op.cit., p. 14

40 Ch. Amalvi, De l'art et la manière d'accommoder les héros de l'histoire de France, 1988

41 Ola Svein Stugu, « Histoire et identité nationale en Norvège », Détournements de l'histoire, op.cit., p. 126

42 Christina Koulouri, « Les Deux faces de la discrimination dans l'enseignement de l'histoire: discriminants et discriminés à la fois », Détournements de l'histoire, op.cit.

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communautés nationales. Ces couples forment en général des « réseaux complexes » à l'intérieur d'une même affirmation identitaire, ainsi l'histoire de la nation grecque moderne se construit autour d'une lutte à la fois contre les Slaves et contre les Turcs et plus généralement « l'Orient » tout en refusant de s'identifier totalement à l'Europe « occidentale » ; en France on peut observer un jeux de « couples opposés » vis-à-vis de l'Angleterre, de l'Allemagne et du catholicisme romain voire même dans l'histoire contemporaine vis-à-vis des Etats-Unis.

Au-delà de la construction des identités nationales l'histoire peut aussi servir à promouvoir des valeurs à l'intérieur d'un régime démocratique, conduisant parfois comme en France à un véritable « catéchisme républicain qui a pu amener à confondre démocratie et République »43, à sous estimer les expériences démocratiques d'autres pays et à méconnaitre des atteintes aux droits de l'homme commises par un pays qui les a vu naître. De même, l'histoire actuelle, souvent encore fortement guidée en Europe par le libéralisme ou le positivisme, peut être tentée de survaloriser les progrès scientifiques ou démocratiques et au contraire d'amoindrir des phénomènes comme l'augmentation globale des conflits ou des inégalités. On rajoutera le proverbe bien connu et difficilement contestable selon lequel se sont toujours les vainqueurs qui écrivent l'histoire et donc la biaise encore une fois en leur faveur.

Dans ces cas, il est évident que si l'intention du détournement peut relever du pouvoir politique, économique, médiatique ou de groupes de pression, ce n'est pas toujours le cas et la responsabilité est souvent très diffuse au sein d'une catégorie d'acteurs sociaux: groupements politiques divers, cercles d'intellectuels, communautés scientifiques, corporations enseignantes entre autres. Car encore plus souvent qu'à une véritable censure ou qu'à une « histoire d'Etat » la construction intellectuelle de l'histoire se confronte à de l'autocensure et à des phénomènes de « mode » qui font par exemple que si la négation de la collaboration française avec le pouvoir nazi ou de la gravité des crimes commis par l'armée française en Algérie ont pu être dénoncés des années 1970 à 1990 comme des exemples flagrants d'une histoire manipulée par le pouvoir démocratique, ces deux thèmes de recherche n'en sont pas pour autant devenus des domaines très étudiés et pour la collaboration , malgré les remarquables travaux qui ont suivi la « révolution » initiée par

43 L. Wirth, « Face aux détournements de l'histoire », op.cit., p. 38

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La France de Vichy de l'américain Robert O. Paxton44, l'intérêt universitaire et médiatique porté au sujet est resté limité.

On s'approche aussi avec ces exemple d'une autre cause de détournement de l'histoire très importante, notamment dans les sociétés de l'information qui sont devenues les notres: l'attrait intellectuel, médiatique et commercial de l'histoire. En tant que production intellectuelle et narrative l'histoire révèle chaque jour un peu plus son importance et son utilité dans la production générale de savoirs et de divertissements « populaires » et éventuellement « commercialisables ». Or une production de savoir historique basée sur « la demande » reste obligatoirement limitée au niveau des champs auxquels elle s'intéresse et de l'exigence critique dont fait preuve sa « vulgarisation ». Comme l'écrit Laurent Wirth : « La recherche du sensationnel et du scandale peut amener à accepter sans vérification sérieuse des hypothèses présentées comme des révélations »45. Mais au-delà des dangers du « style journalistique » 46 , il y a aussi un risque dans l'utilisation commerciale d'images ou de symboles historiques comme par exemple la récupération de personnages tel que Napoléon Bonaparte ou Ernesto « Che » Guevara dans de nombreux pays, récupération qui crée des images totalement biaisées de personnages qui sont aussi intéressants que controversés.

Finalement, l'origine des détournement de l'histoire la plus courante, autant dans la sphère publique que dans la sphère privée, est certainement la confrontation avec les mémoires des groupes et des individus, la tentation qu'a chacun de faire passer sa mémoire pour l'Histoire, la vraie, celle qui a été vécue et transmise au sein des familles et des communautés et qui tire de là une légitimité qui la ferait prévaloir sur des recherches froides et parcellaires d'universitaires poussiéreux, or on a vu en introduction l'importance de la distinction entre les deux concepts, tout l'enjeux est pour l'histoire à la fois une prise en compte et une prise de distance vis-à-vis de la mémoire.

Les détournements de l'histoire peuvent donc être l'oeuvre de chacun et si les hommes et appareils politiques sont plus que d'autres soupçonnables de la manipuler, c'est toute la société à travers ses enjeux économiques, idéologiques et identitaires ou par de simples « consensus sociaux »47 qui peut être amenée à faire de l'histoire un instrument

44 Robert Ower Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Seuil, Points Histoire, 1973

45 L. Wirth, op.cit., p 43

46 Ibid., p 43

47 ibid., p52

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malléable déguisé en savoir prétendument objectif.

Sans sombrer dans le relativisme, il devient donc évident que le premier atout pour se prévenir de ces détournements reste une certaine méfiance. On va maintenant étudier les formes qu'ils peuvent prendre.

Comment?

On traitera plus loin le cas particulier de la négation d'évidences historiques qui a donné lieu à la création du mot « négationnisme » et qui est la source d'un important travail tant au niveau intellectuel que juridique. On se basera ici sur la typologie établie lors du symposium d'Oslo sur les détournements de l'histoire.

Un premier type de détournement, et peut être le plus évident est la falsification, elle peut concerner des documents d'archives, des témoignages et plus généralement toutes les sortes d'informations qui permettent aux travailleurs de l'histoire de fonder leurs connaissances. La falsification peut consister dans la fabrication de faux documents ou dans la transformation de documents existants. Un cas ancien et bien connu est celui de la « Donation de Constantin », testament de l'empereur Constantin Ier faussement daté du IVème siècle avant J.-C. qui est devenue au cours du Xème siècle un document officiel de l'Eglise Catholique justifiant juridiquement des possessions et des privilèges papaux et dont en 1440 l'humaniste Lorenzo Valla48 démontra qu'il s'agissait d'un faux, fait que l'Eglise n'a reconnu qu'au XIXème siècle.

Au XXème siècle, les tristement célèbres « protocoles des sages de Sion » sont venus alimenter une manipulation antisémite de l'histoire qui a touché toute l'Europe et qui malheureusement sévit encore largement aujourd'hui en se basant sur ce même faux qui n'est qu'un médiocre plagiat du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu (1864) de Maurice Joly.

Les faux sont parfois d'époque, on peut penser aux fausses preuves contre le maréchal soviétique Toukhachevski fabriquées lors d'une entente pleine de présages entre Staline et Hitler, et c'est alors à l'historien de faire un travail d'enquête suffisamment profond pour montrer la fabrication d'une fausse vérité à partir de laquelle a pu s'amorcer

48 Lorenzo Valla, Sur la donation de Constantin, à lui faussement attribuée et mensongère. traduction et commentaire Giard, 1993, éd. Des Belles Lettres.

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une manipulation de l'histoire.

Il faut prendre en compte que le développement technologique, s'il a pu fournir aux historiens des outils d'expertises pour vérifier la fiabilité de leurs sources donne aussi de plus grandes possibilité de falsification, notamment par une capacité de transformation des images à une époque où les médias visuels et télévisuels leur donnent un rôle central.

Un autre élément qui peut servir le détournement de l'histoire et se rapproche de la falsification est la destruction de preuve et d'archive parce qu'elle cherche à ôter toute possibilité de fonder une histoire scientifique et donc à laisser régner le doute ou le mensonge sur des événements historiques. Si les nazis ont cherché à éliminer les traces de leur entreprise d'extermination, des pays comme la Grèce ont aussi pu voter démocratiquement la destruction de fichiers de leur résistance dans le but d'éteindre les rancoeurs et les soupçons au sortir de la Seconde guerre mondiale.

Les détournements par fixation, peut-être les plus répandus parmi les tentatives de manipulation politique de l'histoire, cherchent à faire occulter un point de l'histoire en insistant systématiquement sur un autre. Par exemple tel que l'a fait l'historiographie soviétique à propos du Pacte germano-soviétique de 1939 soi-disant justifié par les accords de Munich et jamais considéré en tant que tel, avec ses clauses secrètes sur le partage des Pays-Baltes et de la Pologne, d'un insoutenable impérialisme. De même, « en Autriche, depuis 1945, la tendance à longtemps été de présenter les Autrichiens comme ayant subi l'occupation nazie sans être impliqués eux même dans le nazisme »49 . Or, même si la pression de l'Allemagne était énorme, l'Anschluss ne rencontra aucune résistance en 1938 et comme l'a montré E.B. Bukey l'enthousiasme d'une grande partie de la population autrichienne pour l'unification et même plus largement pour le nazisme était considérable50.

Un peu partout en Europe les enrôlements au côté des nazis et la participation à des massacres et des déportations a été mise sur le dos de l'occupant et plus particulièrement des groupes de SS alors que l'implication des populations et des forces armées nationales a parfois eu une spontanéité et une violence incroyables comme l'ont montré les travaux par exemple de Christopher Browning51 sur l'Allemagne et le Luxembourg ou en France

49 Laurent Wirth, Ibid, p. 49

50 Evan Burr Bukey, Hitler's Austria, Popular Sentiment in the Nazi Era, 1938-1945, The University of North Carolina Press, 2000

51 Christopher Browning, Fateful Months: Essays on the Emergence of the Final Solution, New York, Holmes & Meier, 1985, and, Ordinary Men: Reserve Police Battalion 101 and the Final Solution in

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le cas maintenant bien connu de la rafle du Vel'd'Hiv qui poussa Jacques Chirac le 16 juillet 1995 à marquer sa récente élection par un discours sur la « faute collective » de la France. Plus globalement le recours à des boucs émissaires est une tendance très répandue dans l'utilisation de l'histoire, les minorités et les nations voisines sont utilisées comme causes explicatives des périodes de crises dans de nombreuses histoires nationales pour détourner l'attention des responsabilités internes réelles.

Enfin un dernier type de fixation provient du fort européocentrisme qui touche l'histoire et son enseignement encore aujourd'hui en Europe ; de cette absence de décentrement découle une histoire partielle et lacunaire notamment parce que les grands changement qu'à connu l'Europe ont souvent eu des causes extérieures: Renaissance influencée par les découvertes arabes sur les grecques, capitalisme et expansionnisme européens initiés par la copie des techniques chinoises: imprimerie, porcelaine, armes à feu. A l'Européocentrisme s'ajoutent évidemment toute les dérives socio et ethnocentristes qui ont pu laisser de côté l'histoire de certaines minorités, tziganes, lapons, juifs, ou encore des femmes, des campagnes, des régions et des communautés.

Les fixations sont particulièrement marquées dans les programmes et manuels scolaires, ces derniers « transmettent une certaine vision du patrimoine et de la culture moderne d'une nation et relèvent souvent de ce qui fait l'objet de controverses politiques ou sociales » dans le pays comme le remarque A. Benavot52.

Les détournements par omission dont l'intentionnalité est généralement dure à définir pourraient être considérés comme une forme extrême de la fixation qui ignore des parts de l'histoire comme c'est le cas au Japon pour le massacre de Nankin, en France pour la violence de l'écrasement des soulèvements vendéens pendant la Révolution ou la sanglante répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961, mais aussi en Finlande pour le sort de la minorité Carélienne.

Enfin un détournement courant et dont les conséquences ne sont pas négligeables provient de la paresse et de l'ignorance dont peuvent faire preuve les professeurs, les journalistes, les hommes politiques voire les historiens eux-mêmes et qui conduit à des simplifications radicales voire à la construction de préjugés tel que l'inefficacité de la

Poland, New York, HarperCollins, 1992

52 A. Benavot, Une analyse critique de la recherche comparée, Perspectives, Genève: Bureau International de l'Education, 2002, p 71, cité par Josefina Vijil, « Elaboration des programmes scolaires et pouvoir socio-politique », site internet « Recherche et Education ».

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IVème République française associée à l'instabilité des gouvernements ou le « partage du monde » par les deux grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale à Yalta en 1945, là où on devrait plutôt voire un préliminaire à la création de l'Organisation des Nations Unies.

Le détournement de l'histoire est donc possible à partir de nombreux instruments et prend de nombreuses formes. L'histoire comme savoir nécessite ainsi des protections démocratiques qu'on s'appliquera à étudier dans la deuxième partie de ce mémoire. On va maintenant se pencher sur un aspect très particulier et central du débat mémoriel: le ou les négationnisme(s).

2) Le problème spécifique du négationnisme

Pourquoi « négationnisme » ?

Ce terme est lié au douloureux souvenir du génocide des juifs par le parti National Socialiste allemand et ses alliés en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme l'a déclaré Nadine Fresco: « l'incommensurabilité des maux rend souvent difficile leur dénomination.[...] Entre cet événement-ci et celui là, de quoi s'agit-il au juste? D'une différence de degré? D'une différence de nature? [...] Entre les maux et les mots l'engendrement est décidément mutuel. On appelle meurtre, puis on tue. Après quoi, le meurtre ayant été perpétré, il faut trouver les mots pour le dire »53. Là est l'origine de différents concepts: génocide, crime contre l'humanité, shoah, extermination, qui sont venus enrichir le sombre champ lexical de la violence humaine. Tout comme ces termes « négationnisme » est un néologisme récent, créé en 1987 par Henry Rousso dans le Syndrome de Vichy 54 , pour qualifier l'inquiétant phénomène d'un refus visiblement croissant de reconnaissance du génocide juif .

Il se distingue d'une première qualification « révisionnisme historique » utilisée

53 Nadine Fresco, « Nouveaux visages du vieil antisémitisme », La lutte contre le négationnisme. Bilan et perspective de la loi du 13 juillet 1990, actes du colloque du 5 juillet 2002 à la cour d'appel de Paris, La documentation française, p 17

54 Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy 1944-198..., Paris, Le Seuil, 1987, p 176

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notamment par l'un de ses plus brillants analystes, Pierre Vidal-Naquet, encore dominante dans de nombreux pays, notamment en langue anglaise. En France il a acquis une grande notoriété et semble maintenant faire l'objet d'une certaine unanimité pour décrire le phénomène particulier de la négation de la Shoah.

Le terme révisionnisme a été partiellement abandonné car il ne permet pas de distinguer la spécificité d'une entreprise qui n'a rien à voir avec une critique ou une remise en cause de l'analyse historique majoritaire, comme cela a pu être le cas par exemple pour le massacre de Katynlongtemps attribués aux forces allemandes à la suite du procès de Nuremberg alors que ce meurtre collectif visant à détruire l'intelligentsia polonaise avait été réalisé par l'occupant soviétique soutenu secrètement par les britanniques et les américains ; le négationnisme est une tentative de destruction de la vérité, qui cherche à faire ré-émerger un discours de haine contre une population juive à laquelle on veut nier sa situation de victime.

Pierre Vidal-Naquet dans le dernier essai de son recueil Les assassins de la mémoire (1987) écrivait de l'entreprise négationniste: « sa perfidie est précisément d'apparaitre pour ce qu'elle n'est pas, un effort pour écrire et penser l'histoire »55, et en effet, bien au contraire d'une argumentation scientifique fondée sur la recherche de la vérité, le négationnisme est un effort de négation des vérités historiques qui vise a détruire l'histoire en tant que savoir sur lequel pourrait se fonder, au moins en partie, une morale humaine et un éclairage du présent.

Comme le fait remarquer Nadine Fresco, le terme est discuté dans sa pertinence par certains auteurs comme l'écrivain Natacha Michel qui estime qu'« à bien le regarder, en face le négationnisme est un affirmationnisme. Non un discours pseudo-historique, mais une apologie: celle du crime. [...] Chaque fois que l'on dissimule le meurtre des juifs, [...] on ôte non-seulement à la douleur son nom, mais on excite le crime en disant qu'il n'était rien. [...] La sophistication affirmationniste est non de se défendre d'un crime, mais en l'absentant, de l'exalter. [...] Avec ce codicille imprononçable: s'il n'y a pas eu de camps nazis, rien n'empêche qu'on puisse un jour y jeter les gens »56.

De même le psychanalyste Patrick Lacoste, se demande si « l'appellation d'annulateurs ne serait pas tout aussi exacte, quand, en contestant la réalité de l'acte par

55 Pierre Vidal Naquet, « Les Assassins de la mémoire », op.cit., p. 149

56 Natacha Michel (texte rassemblés par.), Paroles à la bouche du présent. Le négationnisme: histoire ou politique?, Marseille, Al Dante, 1997, p 191, citée par Nadine Fresco, op.cit., p. 18

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les seuls moyens de la logique, ils sont dans une réversibilité du temps qui transforme l'histoire et défigure la mémoire »57.

Le philosophe Christian Godin, se référant là encore à la psychologie et au concept de « dénégation » propose le terme de « dénégationnisme » parce qu'il existe selon lui « une forme d'antisémitisme tellement virulente et dévastatrice sur le plan psychique que pour celui qui en est frappé, admettre l'état de victime pour l'ennemi juif est une représentation insupportable. »58

Le concept de négationnisme sert donc à définir le cas particulier d'un refus de prise en compte des apports de la recherche historique pour manipuler une histoire devenue pleine de doutes. Il ne peut s'apparenter à la simple omission et à la falsification car il est une entreprise active de destruction du savoir historique et de négation des mémoires qui emploie l'ensemble des méthodes à sa portée: « hypercritique, ergotage sur des chiffres, des détails et des mots, insinuation pertinente, ignorance délibérée du contexte, volonté de faire apparaître comme la conclusion d'une démonstration ce qui est le postulat de départ »59, faisant ainsi fit de toute méthodologie scientifique et jouant sur la manipulation du langage et de l'information et sur un relativisme qui pousse Pierre Vidal-Naquet à comparer les négationnistes à des « sophistes »60 tel que Platon les présentait dans ses dialogues les plus ingrats envers eux.

D'où vient le négationnisme?

Son apparition est liée à de nombreux facteurs difficilement recensables mais dont on essayera ici de donner quelques axes d'analyse principaux.

On pourrait considérer que le premier élément est l'importance de l'apprentissage collectif qui a résulté de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Car d'un crime d'une monstruosité, on peut l'affirmer, jamais atteinte: par le nombre de morts, l'importance de la préméditation collective et l'horreur de l'entreprise, par, même si elle est discutable, l'implication des populations et des différents agents de tous les pouvoirs, par l'utilisation

57 Patrick Lacoste, « Avec nous. Des commémorations », L'inactuel, n°1, Etats de mémoire, automne 1998, p11-32, cité par N. Fresco, op.cit., p18

58 Christian Godin, Négationnisme et Totalitarisme, Nantes, Pleins Feux, 2000, p 64, cité par N. Fresco, op.cit., p. 18

59 L. Wirth, op.cit., p. 45

60 P. Vidal-Naquet, « Un Eichmann de papier » (1980), Les Assassins de la Mémoire, 1987, p 13

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pour le meurtre de l'ensemble des savoirs, des techniques et des outils produits par l'homme, a surgi une prise de conscience et une volonté de prévention par l'enseignement jamais atteinte, avec un quasi consensus international et une volonté de dépasser les différents niveaux de communautarisme pour créer un début de conscience commune pour un concept en pleine maturation: l'humanité.

Il ne devient plus aussi facile de détourner une histoire prônée comme « patrimoine commun de l'humanité », sujette à un travail de réflexion massif regroupant en son sein toutes les branches des sciences « humaines »: histoire, philosophie, sociologie, psychologie, anthropologie, garantie par la publicité et l'autorité du premier grand tribunal international 61 et vulgarisée par l'ensemble des moyens de transmission du savoir historique pour tenter de pénétrer au plus profond les populations. Comme le dit Serge Barcellini : « la mémoire de la Shoah s'est imposée comme le paradigme du temps présent »62. Le seul moyen de détourner un monument historique et mémoriel si imposant est très certainement la négation, le refus d'intégrer ce savoir et cette expérience, en les rejetant grâce au vieux mythe paranoïaque de la manipulation généralisée, du complot international.

Mais si cette négation a émergé c'est aussi parce qu'elle a été facilitée par un contexte particulier que remarquait Pierre Vidal-Naquet dans son article « Un Eichmann de papier » 63 , le développement de ce que Marcel Gauchet en 1980 « l'inexistencialisme »64, un renouveau de relativisme dans la seconde moitié du XXème siècle, certainement en grande partie impulsé par le coup psychologique porté par la Seconde Guerre mondiale puis par la découverte des réalités de l'URSS aux conceptions rassurantes du matérialisme que celui-ci soit positiviste, marxisant ou libéral. Ce trait commun d'une grande partie de la pensée occidentale d'après 1950, qui s'est aussi penchée, sur l'importance et la détermination du langage et de l'imagination, a pu faciliter l'émergence de thèses qui jouent sur le doute et les rapports entre imaginaire et réel.

En parallèle, le développement de la recherche et de sa médiatisation a favorisé ce

61 Le Tribunal de Nuremberg

62 Serge Barcellini, « Du droit au souvenir au devoir de mémoire », La mémoire entre histoire et politique, Les Cahiers français, n°303, juillet-août 2001, p. 25

63 P. Vidal-Naquet, « Un Eishman de papier », paru dans la revue Esprit en septembre 1980, publié dans le recueil d'essais Les assassins de la mémoire, La Découverte, 1987, p. 14

64 Marcel Gauchet, « L'inexistencialisme », Débat, n°1, mai 1980, cité par P. Vidal-Naquet, op.cit., p. 14

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que Vidal-Naquet nomme le « spectacle universitaire »65. Il donne en exemple la remise en cause de l'existence de l'anthropophagie par l'universitaire américain William Arens66, exemple particulièrement éloquent d'un processus dénoncé à l'époque par Marshall Sahlins: « Le livre d'Arens suit un modèle traditionnel des entreprises journalistico-scientifiques en Amérique: le professeur X émet une théorie monstrueuse - par exemple : les nazis n'ont pas véritablement tué les Juifs ; ou encore: la civilisation humaine vient d'une autre planète ; ou enfin: le cannibalisme n'existe pas. Comme les faits plaident contre lui, l'argument principal de X consiste à exprimer, sur le ton moral le plus élevé qui soit, son propre mépris pour toutes les preuves qui parlent contre lui [...]. Tout cela provoque Y ou Z à publier une mise au point telle que celle-ci. X devient désormais le très discuté professeur X et son livre reçoit des comptes rendus respectueux écrits par des non-spécialistes dans Times, Newsweek et le New Yorker. Puis s'ouvrent la radio, la télévision et les colonnes de la presse quotidienne. »67

Le développement de la recherche de publicité dans le monde universitaire peut être rapproché avec de nombreux phénomènes, privatisation des systèmes de recherche

et concurrence entre chercheurs, à lier avec la plus grande médiatisation de la recherche, mais peut-être surtout et plus simplement dérapage aux extrémités d'une recherche devenue plus massive et dont le libéralisme parie sur l'imagination, la curiosité et l'esprit critique des individus dont certains seront toujours à coup sûr dominés par leurs psychoses.

Enfin, comme l'analyse Nadine Fresco, « la recrudescence du négationnisme traduit aussi, sous une forme paroxystique, une modification progressive du regard porté sur les juifs dans le monde, en rapport avec l'évolution géopolitique d'Israël », l'image « de rescapés du plus effroyable des massacres, trouvant enfin un pays » a, dans l'imaginaire collectif, pu être remplacée, pour tout ou partie, par « celle d'agents « sionistes » de l'impérialisme américain, persécutant les Palestiniens »68. Dans ces conditions, une petite minorité de l'extrême gauche a pu être séduite par les thèse négationnistes comme le montre l'exemple du négationniste français Robert Faurisson: « les alliés les plus actifs de celui-ci lorsqu'il sort de l'anonymat par le scandale, ne viennent pas en premier lieu de

65 P. Vidal-Naquet, « Un Eishman de papier », op.cit., p. 19

66 The Man-Eating Myth: Anthropology and Anthropophagy, New York, Oxford University Press, 1979

67 Marshall Sahlins, New Yorker review of books, 22 mars 1979, p 47, cité par P. Vidal-Naquet, op.cit., p 19

68 N. Fresco, op.cit., p 31- 32

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l'extrême droite, comme on aurait pu s'y attendre et comme c'était le cas dans d'autres pays, mais bien d'une frange particulièrement étroite de l'extrême gauche, qu'on appelle parfois l'ultra-gauche »69.

Mais surtout le négationnisme a pris une ampleur géopolitique. Dans certains pays arabes ou musulmans il a pu apparaître comme un instrument de lutte psychologique contre l'existence de l'Etat israélien. En décembre 2005, les déclarations du président iranien Mahmoud Ahmadinejad suite à la publication des caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten ont été les plus médiatisées, notamment un discours télévisé dans lequel il parlait du « mythe du massacre des juifs » et clamait ses doutes sur l'existence de la Shoah avant d'organiser un an plus tard une conférence sur l'holocauste en présence de plusieurs négationnistes européens70. Mais il faut savoir qu'un négationniste reconnu tel que Roger Garaudy auteur d'un pamphlet antisémite condamné par la justice française en 1998, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne71, a reçu pour cet ouvrage la médaille de la prédication islamique égyptienne en 1988, puis le prix Kadhafi pour les droit de l'homme en 2002. Autre cas, plus ancien, qui lui aussi montre le risque de dérive géopolitique du négationnisme, l'ex-adjoint de Goebbels, Johann von Leers, qui « à la différence de nombreux nazis qui cherchent à se faire oublier, [...] est de ceux qui, dès qu'ils le peuvent, reprennent le combat avec les moyens dont ils disposent »72, s'est retrouvé après 1955 à la tête de la section « Étranger » de la direction nationale de l'Information égyptienne de Nasser, c'est-à-dire responsable de la propagande antisémite égyptienne et animateur des programmes radiophoniques de « La Voix des Arabes » à destination des autres continents, d'où il a pu répandre de long discours négationnistes.

La négation de la Shoah, même s'il faut souligner qu'en Europe elle reste un phénomène limité à des cercles intellectuels et politiques très restreints et généralement marginalisés, n'est pourtant pas un danger à négliger. Ses animateurs sont très actifs et peuvent avoir un impact beaucoup plus grand à l'étranger que dans leurs pays d'origine. En Europe, les négationnistes tentent encore des actions d'éclat tel que l'acclamation au Zénith de Paris par quelques cinq mille personnes de Robert Faurisson le 26 juillet 2008,

69 Ibid., p. 32

70 Voire notamment les articles parus dans Le Monde des 10/12/2005 et 12/11/2006

71 Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, 1995, ouvrage condamné par la justice française.

72 N. Fresco, op.cit. p. 27

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lors d'un spectacle de l'humoriste controversé Dieudonné73. Il faut rajouter qu'internet leur a donné un nouvel outil bien plus dangereux que jamais car il leur permet de déguiser leurs théories et de contacter directement des citoyens qui ignorant se trouver dans un contexte extrêmement politisé pourraient être séduis par l'aspect « paranoisant » des thèses négationnistes.

Après avoir analysé l'origine du négationnisme en limitant son champ d'application à la seule négation des crimes nazis de la Seconde Guerre mondiale, on va maintenant étudier la possibilité d'élargissement du terme vers d'autres événements historiques.

Quand peut-on parler de négationnisme?

Le néologisme créé à propos de l'holocauste a peu à peu vu son emploi élargi pour qualifier des comportements de négation vis-à-vis d'autres grands drames historiques.

Cette réappropriation du mot est marquée par deux phénomènes, d'une part une volonté de certaines victimes, témoins ou spécialistes de crimes collectifs d'attirer l'attention sur la gravité des faits commis en les mettant en parallèle avec le génocide juif ; d'autre part l'utile précision du mot pour désigner le comportement de certaines personnes voire d'Etats vis-à-vis des crimes commis, appliquant en effet une attitude de négation systématique des faits connus et admis et de manipulation de l'histoire et du discours historique comparable à celles utilisées par les négationnistes antisémites.

Les cas où le terme négationnisme a été repris sont nombreux, on peut essayer de citer les principaux: le « massacre »74 des Arméniens par le gouvernement « Jeune-Turc » de l'Empire Ottoman entre avril 1915 et juillet 1916, la déportation dans les goulags de dizaines de millions de personnes par les autorités soviétiques, la mort de plus de 20% de la population du Cambodge sous le régime des Khmers rouges entre 1975 et 1979, le massacre de Nankin perpétré en Chine par l'armée impériale japonaise de décembre 1937 à janvier 1938, le génocide rwandais de 1994.

Le débat pour savoir à quel cas on peut appliquer le terme « négationnisme » est

73 Voire l'article du sociologue français Michel Wievorka du 29 décembre 2008 sur le site internet d'information et d'analyse Rue89. Voire aussi les commentaires nombreux et parfois inquiétants qui suivent l'article.

74 On ne se prononcera pas sur le caractère génocidaire ou non de ces massacres qui fait débat dans la communauté historienne spécialisée, et dans les reconnaissances officielles relève plus d'une politique de défense de la communauté arménienne dans l'Etat turc actuel que de la conclusion d'analyses sérieuses.

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encore aujourd'hui très vif. S'il est clair que le terme a été créé dans le cadre strict de la négation de la Shoah, les mots ont aussi une liberté d'emploi qui permet, dès lors que leur utilisation est explicitement justifiée, d'en modifier et d'en exploiter le sens dans la limite d'une réelle parenté entre les expériences désignées. Cependant cette liberté qui peut rester fondée pour un emploi courant ou scientifique du terme, disparaît en grande partie lorsque celui-ci entre dans le vocabulaire juridique, là, la précision des termes est une base essentielle du respect de la hiérarchie des normes et de la sécurité juridique qui fondent un Etat de droit. On ne peut, ou du moins on ne doit pas pouvoir, manipuler les textes sources du droit pour en tirer des normes trop éloignées de celles voulues par leurs auteurs et de celles généralement admises par la doctrine et l'opinion publique. Si le juge, à travers son « pouvoir jurisprudentiel » a la faculté et le rôle de concrétiser les normes et d'en définir les contours il a aussi besoin de se baser sur des termes précisément définis.

Or précisément il n'existe pas de définition juridique du négationnisme, les lois anti-négationnistes en vigueur en Europe condamnent en général la contestation, la minimisation, la banalisation ou la justification de la Shoah, avec une exception notable en Suisse et en Espagne où ces même atteintes à la dignité mémorielle concernent les génocides et crimes contre l'humanité sans référence particulière à l'holocauste.

Les plus grandes discussions s'orientent donc vers les qualifications de « crime contre l'humanité » et de « génocide », qui, elles, ont une définition juridique depuis la Charte de Londres75 de 1944 et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide76 de 1948, et qui ouvriraient donc dans le cas d'une contestation la porte au concept de négationnisme. Etant donné que chacun des massacres désignés plus haut se distingue par des caractéristiques propres qui le rendent unique au milieu de la longue liste des abominations humaines, le débat est inévitable et nécessaire jusqu'à ce qu'une institution qualifiée tranche sur la qualification à donner aux crimes commis, une fois la décision prise la qualification est acquise, comme c'est le cas pour le Rwanda avec la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda dont le statut créé par la résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de Sécurité des Nations Unies établit l'existence d'un

75 Charte de Londres du Tribunal Militaire International, publiée le 8 août 1945, article 6 fixant la définition des « crimes contre l'humanité »

76 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, approuvée par la Résolution 260 A du 9 décembre 1948 de l'Assemblée générale des Nations unies, entrée en vigueur le 12 janvier 1951, l'ensemble du document définit les caractéristiques et les conditions de qualification du concept de génocide.

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génocide.

Le problème qui se pose une fois cette qualification établie ou confirmée par une juridiction internationale, voire nationale, est le maintien d'un débat qui contesterait l'autorité de la chose jugée, car on ne peut dans un Etat de droit démocratique remettre en cause cette autorité publiquement, sous-peine de rendre inefficace l'ensemble du système judiciaire et normatif.

La difficulté est triple: d'une part l'ampleur et la diversité des expériences qui résultent de ces événements rendent l'acceptation unanime et internationale de la décision plus difficile, d'autre part les institutions qui émettent ces décisions ne bénéficient pas forcement d'une légitimité reconnue par les populations77, enfin et surtout, ces événements sont trop rapidement englobés dans le champ de l'histoire contemporaine, or à partir de quand l'historien peut-il prendre suffisamment de recul pour analyser froidement le résultat d'un jugement et le contester pour tout ou partie sans remettre en cause l'autorité de la chose jugée. Mao Tsé tong répondant à un journaliste français qui l'interrogeait sur ce qu'il pensait de la Révolution française lui répondit que c'était encore trop récent pour en parler78. L'historiens peut-il intervenir étudier le passé quand celui-ci continue de marquer profondément le présent?

La loi française de 1990, fonde le crime de négationnisme sur la contestation d'un crime contre l'humanité reconnu par une juridiction nationale ou internationale sur la base des statuts du Tribunal de Nuremberg, c'est globalement le mode de pénalisation choisi par les Etats européens qui condamnent le négationnisme. La référence à un jugement condamne elle toute analyse critique des historiens à se voire réprimée comme négationniste? L'absence de jugement empêche-t-elle l'emploi du mot?

La question reste encore posée mais il est certain qu'une partie de la réponse et de la justification d'une limitation de la liberté d'enquête et d'expression de l'histoire est le devoir des historiens de rester dans un « passé » suffisamment distant et de ne pas mélanger leur engagement présent et leurs analyses du contemporain avec une science qui a besoin de recul pour être considérée comme telle.

77 On peut notamment penser à la création des Tribunaux Pénaux Internationaux par un Conseil de Sécurité des Nations Unies dont la légitimité est foncièrement discutable et qui pourtant permet la qualification de crime contre l'humanité et de crime de génocide.

78 Anecdote racontée par le Professeur à l'IEP d'Aix Pierre Langeron lors de son cours sur les Libertés fondamentales.

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Le négationnisme est donc une catégorie très spécifique du détournement de l'histoire, qui touche particulièrement une histoire récente dont les implications contemporaines sont encore importantes. Comme tel on verra qu'il a acquis un statut à part dans les systèmes juridiques encadrant l'histoire.

Avant de passer à l'étude des garanties et des limitations de l'histoire produites par le droit dans les démocraties européennes on va maintenant se pencher plus profondément sur la place de l'histoire au sein des Etats européens.

B) L'histoire et la mémoire au centre des démocraties

Comme on l'a affirmé en introduction, l'histoire joue un important rôle politique en constituant un savoir commun unificateur et moralisant, mais aussi la base de l'argumentation rationnelle qui fonde le débat interne et fait vivre une démocratie. Le discours politique, les réflexions philosophiques, la construction des idéologies ou des courants d'opinion se structurent sans cesse autour de références historiques tour à tour présentées comme des modèles, des contre-modèles, des alternatives ou des éclairages du présent. C'est aussi autour d'expériences communes, partagées et fondatrices d'identité que se forment les différents niveaux de communautés humaines.

Les détournements, multiples et souvent sournois, dont l'histoire est susceptible et que l'on vient de voir ne sont pas négligeables en démocratie. Ce n'est pas simplement la protection de la sainte « vérité » qui se trouve en jeu mais, au-delà, la liberté, le dialogue et la paix des citoyens et des communautés qui participent à la vie de la « cité ». Source d'identité et de légitimité l'histoire ne peux être abandonnée sur les routes des passions humaines bien qu'elle chemine toujours côte à côte avec une mémoire dont ces dernières sont à la fois l'expression et les guides.

Dans les différents points qui vont suivre on tentera d'estimer le poids que ces deux

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formes de conservation ou de retour du passé, histoire et mémoire, exercent réellement sur les enjeux de stabilité et d'action démocratique en revenant sur l'actualité des problématiques qu'elles soulèvent.

Dans une première partie on prendra le temps de s'arrêter sur les rôles identitaires de l'histoire et de la mémoire, car, souvent considérée comme le principal attribut de ces deux notions, la formation de l'identité prend toujours plus d'importance dans la pensée moderne, au risque d'être parfois surestimée comme enjeux politique. On rapprochera ensuite l'histoire et la mémoire du droit pour analyser le développement des lois mémorielles en Europe et tenter de comprendre la légitimité que l'histoire et le droit se fournissent mutuellement.

1) Réalité et illusions du rôle identitaire de l'histoire

Qu'est-ce que l'identité?

Le français, comme la plupart des langues européennes a consacré au mot une double signification qui qualifie à la fois l'individualité et la sociabilité/comparabilité de l'homme: on a une « identité » personnelle (adjonction de l'individuel, du social et du culturel) et une « identité » (ressemblance) avec certaines personnes.

En fait elle n'est que le reflet de la dialectique de tout être et même pour être plus précis de tout phénomène « individuel » qui prétend à une unité singulière, mais dont la singularité n'est réelle que dans la comparaison qui le distingue et en même temps le rapproche des autres.

L'identité d'une personne , même si on devait lui accorder une réalité ontologique, la singularité de son existence, n'est phénoménologiquement qu'une accumulation de relations de possessions et de non-possessions, d'appartenances et de non-appartenances: « Il est « un tel », possédant ces caractéristiques historiques, physiques, psychologiques et statutaires, tout comme tels autres et à la différence de tels autres, et appartenant à telles catégories, communautés et groupements. »

On peut rapprocher cette idée de celle élaborée au sujet du passé par Tzvetan

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Todorov: « La spécificité ne sépare pas un événement des autres, elle le relie. Plus sont nombreuses ces relations, et plus le fait devient particulier (ou singulier). »79

C'est pourquoi, l'identité ne se forme que là où l'interaction, la comparaison est possible, et pour qu'il y ait comparaison il faut qu'il y ait savoir, c'est-à-dire mémoire. On peut illustrer cette analyse par un exemple récurrent chez les penseurs de la mémoire même si son évocation est douloureuse: celui d'une personne atteinte par la maladie d'Alzheimer. Au fur et à mesure que s'efface sa mémoire, l'identité de cette personne - tant les caractéristiques qui la définissaient aux yeux des autres que la profondeur de sa conscience de soi - lui échappe. A la fin de la maladie l'identité de cette personne n'existe plus que dans le regard que lui portent les autres, c'est-à-dire dans la mémoire de ceux qui ont connu son identité volée.

Cet exemple peut aussi nous permettre de continuer vers un autre aspect de l'identité, celui-ci bien connu et établi comme un des principaux paradigmes de la sociologie: l'identité intériorisée est en permanence soumise à l'interaction avec les autres. L'individu est en grande partie ce que les autres individus lui renvoient qu'il est. Ici la mémoire perd un peu de son importance au profit du présent, de l'« activité communicationnelle » d'Habermas80, qui crée aussi une partie de l'identité dans l'instant, dans la mise en situation.

Que la mémoire soit constitutive d'une grande partie de l'identité semble donc évident mais il faut bien se garder de lui en attribuer le monopôle.

Quant à l'histoire, si on prend bien le soin de la distinguer de la mémoire, elle apparaît sous trois formes comparables au découpage de la notion déjà utilisé: savoir institutionnel, sorte de « mémoire artificielle », c'est une connaissance qui prétend dans ce cas à la formation d'une « mémoire empruntée »81 constituée de « souvenir fondés sur l'histoire apprise »82 ; d'autre part, analyse critique de la mémoire, comme une sorte de mémoire désindividualisée, c'est-à-dire un travail et un savoir qui tendent à l'objectivité et qui permettent de se décentrer de la mémoire personnelle ; enfin, en tant que narration, elle vient encadrer la mémoire vécue et transmise dans une prise de conscience de l'historicité

79 Tzvetan Todorov, « La vocation de la mémoire », Les Cahiers français, op.cit., p. 4

80 Jurgën Habermas, La technique et la science comme idéologie, Gallimard, trad. J.R. Ladmiral, p. 22

81 Marie-Claire Lavabre, « Peut-on agir sur la mémoire », Les Cahiers français, op.cit., p. 9

82 Ibid, p. 9

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de la condition humaine et peut éventuellement renforcer l'adhésion à des entreprises sociales de grande ampleure qui grâce à l'histoire acquiers une continuité dans laquelle les individus sont poussés à vouloir s'inscrire.

Dans ses trois aspects qu'on retiendra donc, l'histoire participe à la formation de l'identité: par la part de mémoire enseignée qu'elle crée, par les transformations de l'identité que ses critiques de la mémoire génèrent, par la mise en perspective de l'individu et de sa mémoire au coeur d'un récit plus large.

Histoire, mémoire et identité.

Pour la démocratie, les enjeux identitaires sont primordiaux. On est là dans une sorte de topos sur lequel il n'est pas nécessaire de s'étendre longuement pour notre sujet. On peut simplement considérer que d'une part, la formation d'une identité commune est le socle indispensable sur lequel repose un système qui se légitime par la participation volontaire et la reconnaissance de ses institutions par la majorité - idéalement la totalité - de sa population. D'autre part, la protection et la libre expression des identités individuelles et communautaires est une des conditions essentielles de la paix et des épanouissements individuels qui sont les objectifs de la démocratie, car dans l'identité participent les habitudes, intérêts, désirs et idéaux qui motivent l'action humaine et qui s'ils ne peuvent ,à défaut d'être accomplis, s'exprimer, génèrent tristesse et violence. On a donc une double nécessité de production et de garantie d'identité.

Pour bien analyser les mécanismes qui lient concrètement l'identité avec la mémoire et l'histoire dans les démocraties européennes il est nécessaire de revenir une fois de plus sur ces deux concepts qui sont au centre de ce travail.

On peut commencer par remarquer que la mémoire, qu'on s'est contenté jusqu'ici de définir assez superficiellement, est une notion un peu trop facilement utilisée par les historiens et les hommes politiques. Comme l'analyse à ce propos Marie-Claire Lavabre:

« Un usage commun s'en est imposé, notamment en France depuis le milieu des années 70, avec les premiers travaux des historiens de la mémoire, lesquels en prenant la mémoire pour objet ont prononcé un « divorce libérateur et décisif »83 entre

83 Marie-Claire Lavabre cite ici Pierre Nora, « Mémoire collective », in Jacques Le Goff (e.a dir) La nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978, p. 400

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histoire et mémoire. Ainsi la « mémoire » ne désigne-t-elle plus seulement la capacité d'un individu à fixer, à conserver, à rappeler le passé: elle évoque pêle-mêle, toutes les formes de la présence du passé qui ne relèvent pas stricto sensus de l'histoire comme opération intellectuelle qui s'efforce d'établir les faits du passé et de rendre ceci intelligible. Commémorations et monuments, manuels d'enseignement et didactique de l'histoire, usages politiques du passé et représentations esthétiques, mobilisations publiques pour la reconnaissance ou la réparation juridique des dommages subis: tout est mémoire dès lors que le rapport au passé engage l'identité des groupes sociaux, larges ou étroits - Etats, Nations, Eglises, partis, associations - plutôt que la connaissance du passé en tant que telle. »84

La différence entre histoire et mémoire, dans cette perspective relève donc plus du « statut » donné au savoir relatif au passé: la mémoire serait la « présence vive d'une histoire encore chaude »85, l'histoire l'analyse froide et clinique de tout événement passé,

même proche. Or il est important de relativiser cette extension de la mémoire qui est avant tout un phénomène individuel vers le concept très complexe et souvent mal considéré de

mémoire collective qu'on analysera plus loin.

Pour cette raison les discours des historiens et des hommes politiques, notamment

dans les ambitions qu'il réclament vis-à-vis de l'histoire et de la mémoire sont à relativiser: si l'histoire et la mémoire participent à la formation de d'identité il n'est pas pour autant

certain que l'histoire scientifique enseignée et institutionnalisée ait un impact considérable sur la construction de la mémoire et de l'identité, tout comme il est loin d'être évident que la mémoire constitue une élément de l'identité facilement manipulable. C'est-ce qu'on va

s'attacher à voire à travers trois exemples successifs puis une analyse de fond.

Identité nationale et histoire

La considération générale que « l'histoire est une matière « identitaire » dans la mesure où elle renforce l'identité collective de toute nation et de tout groupe social »86 est

très fortement liée à la construction des Etats-nations. En effet, comme on l'a déjà vu en

84 Marie-Claire Lavabre, op.cit., p. 8

85 Ibid., p. 8

86 Sirkka Ahonen, « Programmes postcommunistes d'enseignement de l'histoire: les cas de l'Estonie et de l'Allemagne de l'Est », Les détournements de l'histoire, p. 65

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introduction, le développement de l'histoire comme science et la construction des sentiments nationaux ont été étroitement liés, l'histoire étant présentée comme l'un des

principaux outils de cette construction.

Analysant cette association à travers une comparaison des histoires nationales dans

les différents pays européens, Miroslav Hroch relevait en 1998 quatres éléments explicatifs:

« 1. l'histoire a renforcé non seulement l'identification de l'individu avec la nation, mais aussi l'idée selon laquelle la nation est une entité cohérente, distincte d'autre entités comparables ;

2. l'histoire a légitimé l'existence de la nation. Avoir une histoire permet d'affirmer sa propre existence nationale et de considérer la nation comme l'aboutissement d'une évolution inévitable ;

3. l'histoire donne à l'individu un sentiment de pérennité. L'existence d'un lien continu entre le passé et le présent, non seulement lui permet de se sentir en union avec ses ancêtres, mais contient également la promesse d'un avenir sans fin ;

4. l'histoire a servi de fondement à la prise de conscience des valeurs nationales communes - à l'institution d'un système de valeurs collectives. Grâce à l'histoire, des modèles de comportement positifs et négatifs ont été construits, tandis que des rêves et des espoirs pour l'avenir étaient projetés vers le passé. »87

Ces quatre points, judicieusement relevés, semblent consacrer l'important rôle

identitaire de l'histoire.

Il faut tout de même remarquer à ce niveau que comme le notent de nombreux

analystes, cette construction par l'histoire s'est faite en imbrication avec les mémoires individuelles et collectives existantes, l'histoire comme science est venue encadrer,

rationaliser et temporaliser - intégrer à un passé plus vaste - les souvenirs allant dans le sens de l'identité nationale. Dans cette évolution le rôle de l'histoire scientifique n'est pas négligeable: « bien que la recherche et les ouvrages historiques professionnels ne

constituent que l'une des sources de l'identité historique, il n'en reste pas moins que l'histoire professionnelle jouit d'un statut propre en légitimant ou rejetant certaines

87 Miroslav Hroch, cité par Ola Svein Stugu, « Histoire et identité nationales en Norvège », Les détournements de l'hsitoire, p. 121

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versions du passé, ainsi qu'en fournissant les matériaux de base pour d'autres récits »88.

Pourtant ce rôle identitaire de l'histoire qui pouvait sembler établi, reste questionnable au regard d'expériences autres que la construction des Etats-nations, les cas des anciens pays socialistes, et de l'enseignement de l'histoire aujourd'hui révèlent certaines de ses limites.

Identité socialiste et histoire

Pour commencer par les anciens pays socialistes d'Europe, on peut se baser sur le travail de plusieurs historiens finlandais résumé dans un article de Sirkka Ahonen intitulé: « Programmes postcommunistes d'enseignement de l'histoire: les cas de l'Estonie et de l'Allemagne de l'Est »89. Elle y remarque que:

« Dans « le socialisme effectivement pratiqué », l'histoire était une discipline prépondérante. Les écoles lui consacraient beaucoup de temps, et l'histoire produite par les académies des sciences servait à imposer au peuple une identité socialiste »90 Cependant « au fil du temps, la négation de l'identité nationale est apparue comme posant problème dans les sociétés socialistes, car une communauté socialiste était trop abstraite et anonyme pour que les gens pussent s'identifier à elle. On manipule donc la notion de « mère patrie » pour la faire correspondre au récit marxiste.

En RDA, dans les années 80, le Parti encouragea les historiens à réévaluer « l'héritage et la tradition » allemands. Les historiens abandonnaient alors l'idée antérieure selon laquelle seul les champions de la lutte des classes sont des objets d'identification historique acceptable, et tous les défenseurs de la cause allemande [...] furent hérigés en héros progressistes, surtout ceux originaires de l`est du pays.»91

Au final, malgré tous les efforts des régimes communistes et une récupération du nationalisme contraire à leurs idéaux, comme le constate Madame Ahonen : « l'institution

88 Ola Svein Stugu, « Histoire et identité nationale en Norvège », Les détournements de l'histoire, p 122123

89 Sirkka Ahonen, « Programmes postcommunistes d'enseignement de l'histoire: les cas de l'Estonie et de l'Allemagne de l'Est », Les détournements de l'histoire, Editions du Conseil de l'Europe.

90 ibid., p. 66

91 ibid., p. 67

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d'identités collectives a manifestement échoué en RDA comme en Estonie »92. Une enquête effectuée en RDA à deux reprises à la fin du régime montre cet échec: en 1986, seulement 43% des jeunes répondaient « oui » lorsqu'on leur demandait s'ils se sentaient appartenir à la RDA, un peu plus d'un an plus tard, « la même enquête révélait que cette proportion avait reculé à 19% »93.

L'identification au socialisme par son échec largement reconnu par la grande majorité des historiens de l'ex-bloc soviétique - sauf peut-être pour la Russie où l'identification a un peu mieux fonctionné - et révélé par les sursauts nationalistes qui ont marqué les années 90 dans toute l'Europe de l'Est nous donne donc un contre-exemple intéressant de la capacité de l'histoire comme savoir prétendument scientifique à forger une « mémoire collective » et une identité commune. Le meilleur, mais aussi le plus triste exemple de cet échec, aura certainement été l'explosion rapide et violente de la Yougoslavie.

On va maintenant donner un exemple plus actuel sur le rôle donné à l'histoire aujourd'hui et les limites de son efficacité.

Identité démocratique et histoire dans l'Europe contemporaine

Pour enfin se concentrer sur notre présent, on peut considérer que deux enjeux identitaires principaux sont attribués à l'histoire de nos jours en Europe: l'intégration des valeurs démocratiques -au sens le plus large - par les citoyens, et la construction d'un sentiment de citoyenneté européen. C'est donc autour de ce concept de « citoyen » que se centre la grande majorité des « détournements » (on peut employer ce mot sans qu'ici il prenne un sens dépréciatif) actuels de l'histoire, que ce soit par son enseignement, dans l'orientation des recherches scientifiques, dans la médiatisation du savoir historique, dans les monuments, musés, expositions, commémorations et autres « actions mémorielles » qui se légitiment par un passé « historicisé ».

On voit bien au passage que ce type de détournement est difficilement critiquable et que placer l'histoire sur une stèle sacrée au dessus des enjeux humains n'est pas

92 ibid., p. 68

93 ibid., p. 68, enquête reprise de S. Ahonen, Clio sans uniforme. A study of the post-Marxist transformation of the history curricula in East Germany and Estonia, 1986-1991, Annales Academiae Scientiarum Fennicae, 1992, Gummerus

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forcement justifié.

Or vis-à-vis de ces enjeux identitaires, force est de constater que l'histoire comme

discipline et science est confrontée à un relatif échec. La citoyenneté européenne reste globalement marginalisée et l'impressionnante enquête « Les jeunes et l'histoire » dont le rapport initial a été publié en 199794 et qui a concerné quelque 32 000 jeunes dans une

trentaines de pays européens montre la faible conscientisation démocratique réussie par l'histoire enseignée. Il est ainsi considéré dans le rapport que:

« Le programmes actuels supposent que l'enseignement de l'histoire développe des compétences et des comportements démocratiques chez les jeunes. D'après les réponses au questionnaire, il est loin d'être évident que les professeurs d'histoire réussissent à susciter la curiosité de leurs élèves envers des sujets tels que la politique et l'essor de la démocratie. Si la plupart des adolescents pensent que, dans quarante ans, l'Europe sera démocratique, ils ne se montrent en revanche guère enclins à s'informer sur la démocratie [...]. »95

Une étude similaire réalisée aux Etats-Unis96 avec des adultes montre un semblable

désintérêt pour l'histoire telle qu'elle est enseignée dans le système éducatif et une distinction forte entre « histoire » et « passé »: « à la question: « Vous intéressez-vous à

l'histoire? » une majorité d'entre eux répond « non », alors que ces même personnes répondent « oui, énormément » quand on leur demande si elles s'intéressent au passé »97.

Aux yeux de cette majorité, l'histoire est une science du passé lointain sans utilisation remarquable dans le présent et son enseignement apparaît comme la transmission d'un savoir plutôt abstrait. Si, comme le remarque Bernard Eric Jensen, une

conclusion rapide et aujourd'hui très largement partagée par une partie de l'opinion publique et des leaders politiques semble attribuer cet imperméabilité des jeunes à l'histoire

à l'incompétence des professeurs qui l'enseignent, on peut surtout observer avec cet auteur que l'enseignement de la discipline est devenu en Europe « une tache fort difficile et une

94 Youth and history. A comparative European Survey on Historical Consciousness and Political attitudes among Adolescents, edité par M. Angvik & B. von Borries, 1997.

95 J. van der Leeuw-Roord dans Youth and History, op.cit., volume A, p. 3, cité par Bernard Eric Jensen, « L'histoire à l'école et dans la société en général: propos sur l'historicité de l'enseignement de cette discipline », Détournements de l'histoire, op.cit., p. 90

96 R. Rosenzweig & D. Thelen, The Presence of the Past. Popular Uses of History in American Life, 1998

97 B.E. Jensen, op.cit., p 91

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véritable gageure »98.

Le professeur Jensen estime que l'enseignement de l'histoire a connu un véritable « changement paradigmatique ». L'ancien objectif de formation d'une connaissance solide et détaillée du passé s'est transformé en un objectif d'interconnexion avec le présent et l'avenir, la formation d'une conscience historique non plus axée sur le poids du passé mais sur les « processus socioculturels dans lesquels évolue l'être humain »99. Cette évolution liée aussi à l'évolution des sources de savoir historique marque l'entrée dans un monde où « les cours d'histoire ne sont rien de plus que l'un des multiples facteurs susceptibles de forger et de transformer la conscience historique des élèves »100. Voir diagramme 1 fourni en annexe.

L'enquête « Les jeunes et l'histoire » montre que ce changement d'objectif n'est pas perçu par les jeunes alors que les enseignants l'ont largement intégré. La formation des professeurs et la définition de la matière y sont sans doute pour quelque chose mais peut-être plus encore la difficulté de faire converger dans un cours les disparités de connaissances, d'approches et d'intérêts des élèves dans une société où la profusion et la diversité d'information augmentent les inégalités.

L'histoire enseignée comme élément formateur d'identité est donc confrontée dans nos « sociétés du savoir et de la communication » à un décentrement qui la marginalise en partie. D'une part elle est concurrencée par un apport de savoir historique qui provient de tous les fronts à la fois, d'autre part elle peut être voilée par l'importance de l'actualité et de la communication interpersonnelle qui monopolise une grande part de l'attention et de l'enregistrement d'information des citoyens et des apprentis citoyens. On passe peut-être plus de temps et d'attention à « chater » et à téléphoner et moins à lire et à regarder des oeuvres en rapport avec l'histoire, on consacre surtout de plus en plus de temps et d'intérêt à une actualité plus riche en informations et en sensations grâce aux nouveaux médias.

Globalement, l'histoire comme science et discipline semble avoir perdu une grande part de son efficacité pour le développement de la citoyenneté et l'unification de la nation, du moins en comparaison avec le rôle central qu'on avait pu lui attribuer lors de la construction des Etat-nations car il ne faut rien exagérer, « pratiquement rien n'atteste que, de nos jours, la majorité des gens s'intéresse moins aux événements du passé qu'autrefois,

98 Ibid., p 92

99 Ibid, p. 95

100 Ibid, p. 96

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au contraire »101.

En temps que « critique des mémoires » on peut considérer qu'elle joue encore son rôle et sera certainement amenée à le jouer de plus en plus. Les historiens sont devenus les arbitres médiatiques des questions relatives au passé, ils participent encore grandement à la formation initiale et continue des hommes politiques et les assistent dans l'exercice de leurs fonctions, par exemple dans des commissions comme celle dirigée par André Kaspi à propos de la profusion mémorielle, les professeurs d'histoire seront de plus en plus amenés à animer et à critiquer des classes interactives où l'information historique proviendra des expériences et connaissances personnelles ou de médias non-originaires des systèmes d'éducation nationaux.

En temps que productrice de « mémoire collective », elle semble perdre une grande part de son poids par rapport à d'autres sources, et on peut même ce demander dans quelle mesure celui-ci n'a pas été exagéré suite au phénomène historiquement très ponctuel de la formation des Etats-Nations.

Histoire et manipulation de la « Mémoire collective ».

Tout d'abord, comme on l'a déjà dit, si l'histoire a pu participer à la formation de mémoires collectives ça n'a jamais été comme véritable source de mémoire mais plutôt en encadrant et éclairant des mémoires déjà existantes ou en formation.

L'identité nationale elle-même ne s'est pas formée dans les livres d'histoire et les écoles, même si ces dernières l'ont institutionnalisé et ont participé à sa diffusion. Le concept de « nation » s'est surtout implanté en Europe au milieu des luttes, d'une part des peuples contre le monarchisme ou les pouvoirs oppressifs, d'autre part des peuples entre eux, à l'intérieur de forces armées marquées par la conscription. Ce sont les révolutionnaires puis les soldats, originaires de toutes les couches les plus modestes des sociétés européennes, qui, revenus au foyer ou au village, ont rapporté avec eux ce nouveau concept. C'est une notion née de la mémoire avant d'être récupérée par l'histoire.

Ailleurs dans le monde, le succès du concept « nation » est lié soit à des éléments comparables issus de conflits, soit à un intérêts commun puissant de la population, intérêt antérieur au concept: par exemple peur de l'anarchie en Chine, idéal de liberté et

101 Ibid, p. 93

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d'enrichissement aux Etats-Unis. Dans l'ensemble, l'histoire comme science et discipline vient toujours ratifier, structurer et légitimer un sentiment identitaire déjà préexistant et n'a pas le pouvoir de création d'une identité que lui prêtaient faussement les dirigeants de l`URSS et des Démocratie populaires, peut-être à cause de l'importance de l'histoire dans leurs formations marxistes personnelles.

Comme l'écrit Georg Iggers: « la nouvelle profession d'historien a servi des besoins de la collectivité [...]»102 Quelque part, la majorité du public ne s'est toujours intéressé et n'a donné de l'importance à l'histoire que quand elle venait consacrer ou discuter les mémoires individuelles et collectives qui la concerne assez directement.

Plus largement on peut relativiser la possibilité même de manipulation de la « mémoire collective ».

Comme l'analyse Marie Claire Lavabre il faut bien faire attention en maniant ce concept de « mémoire collective » qui dans les discours politiques et médiatiques peut prendre tour-à-tour le sens de mémoire institutionnelle, résultant des « politiques de la mémoire », ou de mémoire partagée relevant des expériences individuelles et de groupe et de leur transmission dans la population:

« La première souligne que la mémoire est d'abord un effet du présent, qu'elle est choix d'un passé et qu'à ce titre elle donne forme au passé, voire autorise la manipulation de l'histoire en fonction des impératifs du présent. La seconde, à l'inverse, invite à penser la mémoire comme un effet du passé, une trace de l'expérience et à ce titre une éventuelle capacité de résistance aux « politiques de la mémoire » encore appelées « mémoires officielles » »103.

En regardant le problème sous l'angle sociologique, notamment à partir des travaux de Maurice Halbwachs104, on s'aperçoit que si la mémoire est avant tout une intériorisation individuelle du passé, donc potentiellement indépendante des pouvoirs et du savoir institutionnalisé, elle a aussi une dimension actuelle et communicationnelle, elle est ramenée au présent en permanence pour en réaménager la perception de manière plus rassurante, et c'est de ce resurgissement de la mémoire dans le présent comme savoir

102 cité par Ola Svein Stugu, op.cit., p. 123

103 M.-C. Lavabre, op.cit., p. 9

104 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Alcan, 1925, suivi et largement complété par La mémoire collective, Paris, 1950

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interactionnel immanent de la vie sociale des individus que surgit une mémoire partagée qui, au fur et à mesure que la trace mémorielle perd de sa couleur avec le temps, s'homogénéise à travers un « travail socialisé de réduction des représentations possibles »105 nécessaire à la cohésion communautaire.

La mémoire comme souvenir du passé, implanté avec une force émotionnelle plus ou moins variable chez les individus est donc dans une interaction permanente avec le présent des expériences et échanges humains qui laisse la possibilité de l'influencer mais de façon limitée et dans certaines conditions. Marie-Claire Lavabre relève trois de ces conditions: « que les interprétations du passé que produisent les pouvoirs, voire les porte-parole, notables ou entrepreneurs de mémoire ne rentrent pas en contradiction avec l'expérience vécue de la communauté sociale concernée », « que le passé ne [soient pas] purement et simplement occulté, sauf, [...], à prendre le risque que la mémoire résiste »106, que le temps produise une atténuation de la trace mémorielle, une impression du passé plus fugace et aussi plus souple, le renouvellement des générations est un élément essentiel des mutations de la mémoire. On rajoutera aussi, et c'est peut-être la condition la plus centrale, que les influences exercées sur la mémoire doivent être en accord avec des intérêts ou préoccupations présents, conscients ou inconscients, partagés par les individus et communautés.

La mémoire collective et l'identité qui en découle ne sont donc pas des notions aisément manipulables, ce dont on peut sincèrement se réjouir. L'apparent effet de certaines politiques mémorielles semble avant tout lié à une adhésion conjoncturelle des populations, à un phénomène d'emballement pour une idéologie ou un concept qui peut éventuellement pousser à nier une partie de sa propre mémoire telle qu'ont pu le faire des anciens déportés communistes vis-à-vis des goulags, que d'une véritable transformation de la mémoire.

L'importance du débat autour des lois mémorielles semble donc étonnant. On va voir qu'il est en grande partie lui aussi conjoncturel.

105 M.-C. Lavabre, op.cit., p. 9

106 Ibid., p13

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2) Le développement des lois mémorielles en Europe: pourquoi et comment?

Pourquoi cherche-t-on à agir sur la mémoire de nos jours en démocratie?

Deux éléments entrent en jeu sans être isolés l'un de l'autre et qui renvoient au deux facettes de l'importance de l'identité en démocratie.

D'une part un recule de l'identité nationale et de l'unité qu'elle procure, que les hommes et institutions politiques prônent et tentent de limiter dans le même temps. Il peut être considéré comme la conséquence de la perte de poids de l'échelon national et de la revalorisation de l'individualisme dans la suite du balancement dialectique entre socialisme et libéralisme - non-pris comme des opinions politiques, mais comme des enjeux partiellement contradictoires de « vie en société » et d'« épanouissement individuel libre» - qui a remis en cause le paternalisme des Etats-providences et la centralisation des Etats, et a accompagné la revalorisation des particularismes et des identités minoritaires.

D'autre part, la nécessité de soulager les mémoires douloureuses qui peut s'effectuer par la survalorisation de certains souvenirs pour « rétablir la confiance, assurer la paix civile ou la réconciliation quand on sait que le passé et son cortège de drames, de morts, de déchirement ou d'injustices pèsent sur le présent »107 .

C'est donc à la fois la production d'identité collective et la protection et l'épanouissement des identités individuelles qui ont provoqué l'apparition de lois mémorielles. A travers ces deux concepts on peut voir surgir deux phénomènes juridico-historiques différents: le « droit au souvenir » et le « devoir de mémoire ».

Droit au souvenir et devoir de mémoire

Pour Serge Barcellini: « le droit au souvenir sert à enraciner l'idéologie nationale » quand « le devoir de mémoire sert à enraciner les droits de l'homme »108 comme garanties des droits individuels. Cette définition bien que critiquable est très intéressante.

107 M.-C. Lavabre, op.cit., p. 11

108 Serge Barcellini, « Du droit au souvenir au devoir de mémoire », Les Cahiers français, op.cit., p. 27

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A travers l'article qu'il consacre aux deux notions M. Barcellini établit une certaine typologie. Le contenu a changé, là où le droit au souvenir est une glorification des héros militaires: soldats, communes, régiments, et civils: hommes politiques, scientifiques ou intellectuels, le devoir de mémoire est un recueillement en hommage aux victimes et opprimés. Les acteurs ont en partie évolué dans des cérémonies moins solennelles, le héro fier et mué du droit au souvenir, a été remplacé par le témoin et l'historiens, gardiens de la mémoire, qui racontent et essayent de faire vivre le passé. Un public plus vaste est recherché et il participe plus. Le fonctionnement n'est plus le même, les commémorations figées et traditionnelles du souvenir ont fait place à des entrepreneurs de mémoire qui font entrer les passés en compétitions pour obtenir de l'audience et des financements.

Bien que le passage de l'un a l'autre ne soit pas clairement définissable et que les deux notions soient un peu simplificatrices - il y avait déjà une certaine forme de « devoir » moral dans les commémorations rendues aux héros du souvenir, et juridiquement la mémoire revalorisée des victimes reste un « droit », rien n'oblige à assister, à participer ou ni même à adhérer aux commémorations qui leur rendent hommage - ce changement de concept montre une évolution morale de l'engagement politique en matière de mémoire qui a pu aller dans le sens d'une plus grande intervention législative au fur et à mesure que le pouvoir politique a senti les éléments traditionnels de contrôle des mémoires lui échapper, et des nouvelles tensions sociales surgir.

Même si, comme on vient de le voir, on doit fortement relativiser les possibilités d'encadrement et de récupération de la mémoire, les hommes politiques et intellectuels gardent cet idéal, qui n'est pas vain, de continuer d'intégrer toujours plus les citoyens à la démocratie par l'histoire enseignée et commémorée. Pour cela ils prennent des initiatives: commémorations, musées, manifestations, déclarations qui tentent d'occuper toujours plus les nouveaux espaces d'information et d'échange: lieux publics, espace publicitaire, différents médias d'actualité, médias de débat et d'enquête ; et il est certain que cette récupération de l'ensemble des supports des espaces publics a pour effet la transmission d'un plus grand savoir historique institutionnel au final, du moins pour les individus qui y prêtent attention.

On pourrait rajouter un autre élément, cette fois non pas politique mais d'ordre économique: l'enrichissement des populations et le développement de la culture comme bien immatériel très valorisé et commercialisable a aussi un impacte non-négligeable dans

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la redécouverte et l'affirmation des mémoires et histoires locales, communautaires, nationales et internationales. Si cette évolution prévaut pour toutes les cultures, qu'on tente depuis peu à travers le monde de protéger de l'homogénéisation, voire de leur évolution normale, à plus ou moins juste titre et souvent en les valorisant économiquement, en Europe, principal pôle touristique et culturel mondial et où le niveau de richesse et d'éducation de la population donne aux biens culturels un important poids économique, les mémoires et l'histoire sont devenus une source de profits que plus ou moins consciemment on cherche aussi à valoriser, notamment dans les politiques locales. Il est difficile de dire si c'est la volonté de valorisation des mémoires et de l'histoire qui a entrainé le développement d'une économie du passé considérable ou si c'est l'intérêt économique qui a poussé à valoriser le passé, mais toujours est-il que les deux phénomènes sont allés de pair et que la création d'un musée qui coûtait jusque dans les années 1970 un million de franc d'investissement s'élève à plusieurs dizaines de millions d'euros depuis les années 1980109 et doit donc être rentabilisé avec un flux de visiteurs massif.

Toutefois, la montée en force des commémorations et plus généralement de la présence du passé dans nos démocraties en recherche de stabilité et de continuité, n'est pas le phénomène qui a le plus fortement marqué le débat autour des lois mémorielles. Ces dernières, bien plus que des lois de profession d'une mémoire ou d'une identité collective, ont été des lois de reconnaissance et de protections de mémoires encore « en souffrance » . Elle ont pour but l'apaisement d'une tension entre communautés ou interne à la société.

Les lois mémorielles ou comment tenter de soulager le poids de l'histoire par la repentance ou la reconnaissance?

En Europe les lois mémorielles qui ont fait le plus débat ont été soit des lois de protection de la mémoire juive contre les agressions antisémites des négationnistes que l'on étudiera précisément dans la deuxième partie, soit des lois de reconnaissance et de protection d'autres mémoires.

Que ce soit en Espagne avec la Loi de Mémoire historique du 31 octobre 2007 qui cherche à institutionnaliser la mémoire des républicains espagnols, ou en France avec les lois sur la reconnaissance du Génocide arménien du 29 janvier 2001 et sur la

109 op.cit., p. 27

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reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité du 21 mai 2001, c'est l'apaisement de mémoires en souffrance qui est recherché.

C'est tout l'enjeux du phénomène de « repentance » qui a gagné une grande partie des commémorations et des discours publics. Comme l'écrit Philippe Moreau Defarges: « la réaction traditionnelle des sociétés pour surmonter une tragédie qui les a plongées dans le chaos (guerre civile, occupation étrangère...) est de l'effacer, de faire comme si elle n'avait jamais eu lieu. » 110 L'Athénien Thrasybule en 430 avant Jésus Christ pour réconcilier une cité brisée par la dictature des Trente Tyrans inaugure une pratique de l'amnistie, « oubli institutionnel »111 pour reprendre l'expression de Laurent Wirth, qui a depuis fait recette notamment après des conflits internes: guerres de religion du XVIème siècle, Révolutions anglaises et françaises, Guerre de sécession américaine, affaire Dreyfus en France, guerre civile espagnole, fin de la Seconde guerre mondiale dans toute l'Europe, conflits de décolonisation. L'amnistie part du principe que pour reconstruire une société humaine dont le lien unificateur a été brisé par les événements historiques, l'oubli forcé est le moyen de supprimer une mémoire qui nuit au fonctionnement de la communauté.

L'apparition d'une attitude nouvelle vis-à-vis d'un passé douloureux est récente, c'est le Chancelier allemand Willy Brandt qui l'initie le 7 décembre 1970, lors d'une visite officielle à Varsovie, en se rendant au Monument du Ghetto devant lequel il s'agenouille. Comme le soulignait la définition de Serge Barcellini au sujet du « devoir de mémoire », une dimension internationale anime le geste, la prise en compte du fait que « les relations entre les peuples sont façonnées par des expériences historiques ; la réconciliation entre ces peuples passe par une reconnaissance du passé et de ses traumatismes. »112 Le souvenir et l'analyse globalement partagée par les historiens du traité de Versailles de 1919 a ici eu un impact considérable, on s'est rendu compte de l'importance des phases de « post-conflit » dans la construction d'une paix durable après une Grande guerre qui pour avoir été mal conclue s'est révélée loin d'être la « der-des-ders ».

Pourtant comme l'analyse Philippe Moreau Defarges, tout le monde n'est pas prêt à se repentir, « il faut que face à la demande se constitue une offre », et c'est pour des raisons précises que des pays entament un processus de repentance. L'Allemagne ou, à partir du concile oecuménique Vatican II de 1962, l'Eglise catholique ont choisi la

110 Philippe Moreau Defarges, « Le temps de la repentance », Les Cahiers français, op.cit., p. 40

111 L. Wirth, op.cit., p. 53

112 Ph. Moreau Defarges, op.cit., p. 41

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repentance pour éviter une marginalisation et garder un rôle respectivement au sein de la « communauté internationale » et de la « société civile ». En effet, l'Eglise se trouvait dans un contexte délicat après s'être vue presque partout en Europe écartée d'un pouvoir politique sécularisé. Au contraire, les Etats-Unis pour l'utilisation de la bombe nucléaire à Nagasaki et Hiroshima ou les Français pour les atrocités commises en Algérie n'ont pas eu d'attitude de repentance, le Japon ou la Turquie ont même des attitudes de négation face aux massacres historiques qu'ils ont commis lors de leurs passés impériaux respectifs. Pourtant contrairement a ce qu'affirme Philippe Moreau-Defarge quand il dit que « celui qui se repent le fait parce qu'il a le sentiment de ne pas avoir d'autre choix »113, on peut considérer que ce sont principalement des causalités internes qui poussent à une repentance même si l'enjeux en est international. Une sorte de « maturation des mémoires » est nécessaire, que certains corps politiques ou certaines populations ont été capables de réaliser plus vite que d'autres. Par exemple, la négation de leurs crimes coûte cher en termes de relations internationales à la Turquie et au Japon, la première voit son intégration européenne largement freinée, le second laisse perdurer de fortes tensions politiques avec une Chine devenue son principal partenaire économique et empêchant son entrée au Conseil de Sécurité de l'O.N.U., pourtant les deux Etats restent crispés sur une version du passé qui ne leur apporte rien. Une certaine continuité des pouvoirs en est sans aucun doute l'une des principales causes: le pouvoir impérial qui a commandé les crimes de guerre japonais a été maintenu par les américains après leur victoire en 1945, le gouvernement « jeune-turc » de ?dates? est à l'origine de la démocratie laïque moderne turque.

D'autres types de repentances plus récentes sont marquées par des considérations politiques internes: en Australie et en Nouvelle-Zélande face à une pression de la minorité Aborigène, en France face à la pression des minorités afro-descendantes, notamment antillaises, ou pour des raisons plus idéologiques vis-à-vis des mutins français de la Première guerre mondiale.

Enfin, des lois comme celles relatives au génocide Arménien ne relèvent pas de la repentance mais de la reconnaissance car le pays émetteur n'est pas concerné sinon qu'il prend position sur un débat historique pour défendre la mémoire d'une communauté particulière et plus largement affirmer certaines valeurs au sein de la « communauté internationale ».

113 Ibid, p. 42

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Finalement on peut remarquer trois choses: tout d'abord les lois mémorielles témoignent d'une volonté d'intégration envers une communautés ou une partie de la population dont la mémoire est troublée par un désaccord avec l'histoire officielle ou juste par une omission qui même passée n'a jamais été regrettée, leur objectif pour le législateur est de protéger une mémoire de l'oubli ou de l'ingnorance, pas d'imposer une version de l'histoire, or cet objectif en droit est pris en compte par le juge au moment d'interpréter la loi ; d'autre part les lois mémorielles sont toutes très particulières et si on peut souvent leur reconnaître des objectifs communs, chacune relève d'un problème ou un enjeux spécifique à un pays, il faut éviter de trop les systématiser ; enfin, moins que la manipulation de l'histoire à des fins identitaires c'est sa neutralisation comme outil critique qui est dangereuse car elle enlève une possibilité de décentrement et risque de laisser la place à une guerre des mémoires dans une démocratie divisée.

Pour reprendre le thème plus large de l'intervention du politique dans le champ historique, on a vu d'une part que le « pouvoir » de l'histoire est à relativiser et que si celle-ci peut jouer un rôle partiel de « ciment identitaire » 114 en participant à l'institutionnalisation et à la légitimation d'une identité, elle n'est instrumentalisable que quand elle va dans le sens de la mémoire et de l'expérience vécue ; pour cette raison l'histoire a surtout un rôle critique qu'il est utile de renforcer pour enrichir un champ de connaissances utiles au débat démocratique mais aussi pour éclairer ou arbitrer les conflits de mémoire.

La manière d'envisager la mémoire humaine a donc changé. Avec « la fragilisation de l'échelle nationale »115 et le développement du multiculturalisme l'objectif de création d'une mémoire commune tout comme la tradition d'oubli forcé des mémoires douloureuses sont complétés ou remplacés par une approche plus « psychologisante » qui cherche à laisser les mémoires s'exprimer et se compléter ou se critiquer mutuellement dans l'espace public pour réaliser le « travail de mémoire »116 que Paul Ricoeur appelle de ses voeux, comparable à celui que tente de réaliser la justice transitionnelle dans des pays marqués

114 Patrick Garcia, « Exercices de mémoire ? Les pratiques commémoratives dans la France contemporaine », Les Cahiers français, op.cit., p. 39

115 Ibid., p. 39

116 Paul Ricoeur, op.cit., d'après l'analyse de François Dosse, op.cit, p. 16

par une violence particulièrement aigue tels que l'Afrique du Sud, le Rwanda, le Cambodge ou la Colombie.

Plus que le début d'une nouvelle manipulation législative de l'histoire, les lois mémorielles, tout comme les autres formes d'intervention politique dans le champ historique telles que les commémorations et la construction de mémoriaux, peuvent apparaître comme des réajustement ponctuels ou volontaristes par le politique de l'expression des mémoires sur la scène publique, quitte à des simplifications historiques, car l'action et le débat politique restent plus médiatisés et plus légitimants que le travail et les découvertes des historiens.

On va maintenant analyser le statut de l'histoire au point de vue juridique et la formulation des lois mémorielles pour tenter d'en reconnaître les réussites et d'en affirmer les limites.

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IIème PARTIE

UNE HISTOIRE ENCADREE PAR LE DROIT DANS LE CONTEXTE D'UNE PERPETUELLE RECHERCHE DE PERFECTIONNEMENT DE LA DEMOCRATIE

A) Les normes de protection et de reconnaissance des mémoires

Si la démocratie a pour objectif le bien être générale elle se doit d'allier la protection de chacune des expressions de l'histoire dans la société. Que ce soit l'histoire prétendant à l'objectivité d'une science ou l'histoire affirmant sa subjectivité chez les individus, chacune a ses enjeux propres. Bien protégées et bien distinguées toutes les expressions de l'histoire viendront s'enrichir mutuellement, alors que leurs possibles affrontements ne font que diminuer la valeur de chacune.

C'est pourquoi la définition de politiques de l'histoire doit se faire d'une part à travers l'existence d'un droit mémoriel, d'autre part grâce à une histoire scientifique protégée par des statuts juridiques précis.

1) Différentes formes d'encadrement de la mémoire par le droit

On choisira ici d'isoler encore une fois le cas du négationnisme, qui en droit relève d'un statut très précis, à distinguer du reste des « lois mémorielles ». Cette particularité, reconnu par la grande majorité des juristes et par de nombreux historiens, comme ceux en France du « Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire » sera développée plus loin.

On va donc se centrer dans un premier temps sur les modes d'intervention des différents producteurs de droit dans le champ mémoriel

Par le parlement

Comme le soulignait le rapport de la Mission d'information sur les questions mémorielles de l'Assemblée nationale française, l'intervention parlementaire dans le domaine de la mémoire est « ancienne et protéiforme »117. En France, dès la Révolution apparaissent des fêtes civiques et un culte laïque des grands hommes dictés par le législateur. Elles posent les bases de toutes les cérémonie républicaines qui font naitre des

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117 Bernard Accoyer, op.cit., p. 11

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représentation essentielles à l'affermissement d'un pouvoir nouveau qui a besoin d'une symbolique pour montrer sa présence et se définir une nouvelle légitimité.

Comme l'écrit Bernard Accoyer: « Révolutionnaire, la fête l'est dans la mesure où elle prétend remplir à elle seule les trois fonctions des anciennes festivités : à la fois politique par son contenu, religieuse par son déroulement liturgique et populaire à travers son projet pédagogique. Au contraire du sujet, le citoyen ne peut plus simplement se réjouir d'une inversion temporaire et ludique de la société : il s'élève à mesure qu'il prend connaissance et conscience des efforts accomplis, avant lui et pour lui, par les défenseurs de la liberté. » En ce sens ces premières commémorations sont déjà « mémorielles », car elle prétendent former chez le citoyen le sentiment d'appartenir à une entreprise historique régulée par le cycle des commémorations et guidée par l'exemple des ainés dont sera conservé la « poussière et la trace de leurs vertus » selon l'expression de la Marseillaise.

La Convention notamment fut particulièrement prolifique en terme de fêtes civiques: fête de la Fraternité, de l'Hospitalité, de la Régénération, de la Raison, des Victoires, de l'Être Suprême. Comme le remarque Bernard Accoyer, « dans les fêtes votées par les conventionnels, la confusion de l'historique, de l'artistique et du politique est totale »118, les artistes mettent en scène une histoire imaginaire pour les besoins du moment à la demande des conventionnels, David, à la fois peintre et député, administre le tout.

Parallèlement à la mise en place des commémorations, le législateur crée les premiers monuments mémoriels républicains: l'Eglise Sainte-Geneviève devient le « temple de la patrie » en 1791 sous le noms de Panthéon français. Les statuts et autres représentations des précurseurs de la pensée révolutionnaire ou des grands acteurs de la période commencent à être édifier un peu partout dans les espaces publics.

Lorsque en 1880, les républicains enfin revenus au pouvoir décident de créer une fête patriotique et républicaine, ils choisissent la date du 14 juillet, date d'une prise de la Bastille qui pour ses contemporains n'avait pourtant pas été perçue comme un événement décisif si on en croit la célèbre phrase du journal de Louis XVI: « aujourd'hui il ne s'est rien passé » et qui devient dès-lors le centre d'une attention et d'analyses historiques poussées qui lui donne un rôle de tournant de la Révolution en partie exagéré. Mais la célébration de la Révolution n'est pas exclusive d'autres hommages ; à l'imitation de leurs grands ancêtres justement, les parlementaires veulent fonder, par la loi, leur volonté

118 Bernard Accoyer, rapport, p. 15

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d'honorer les grands hommes de leur temps. Dès lors rien ne borne le domaine d'intervention de la loi, celle-ci comprise comme l'expression de la volonté générale. Le Parlement intervient de manière protéiforme, à travers les hommages aux morts, les hommages aux vivants, les mesures réparatrices et commémoratives. C'est ce que Pierre Nora appel « l'ère des commémorations »119, devant à la fois, selon la conception de Rousseau, « toucher le coeur »120 et instruire les participants.

Monseigneur Darboy et les otages de la commune, Louis Blanc, Gambetta, le président assassiné Sadit-Carnot, Félix Faure reçoivent du Parlement des funérailles nationales, la loi y fixe la participation symbolique et matérielle de l'Etat. Les « panthéonisations » reprennent de l'importance avec l'entrée de Hugo, de Zola, de Gambetta parmi « les grands hommes ».

La Première guerre mondiale marque la naissance de nouvelles commémorations. Avec la loi du 2 juillet 1915 instituant la mention « Mort pour la France » commence le « cycle du souvenir »121, rapidement enrichi par les lois d'octobre 1915 relatives à « la commémoration et à la glorification des Morts pour la France au cours de la Grande Guerre » ou encore la loi du 8 novembre 1920 qui ordonne l'inhumation d'un soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe.

Globalement la loi s'est auto-attribuée de nombreux pouvoirs relatifs à la mémoire: pouvoir de fixer les dates des commémorations, cérémonies, annuelles ou ponctuelles, et jours fériés, pouvoir de créer des monuments tel le Sacré-Coeur ou de leur donner un statut particulier, pouvoir de conférer des honneurs spéciaux et des récompenses (médailles, titres, pensions à vie) à des individus ou des groupes de personnes, pouvoir d'ouvrir des crédits spéciaux pour réparer les conséquences d'un événement historique et ainsi en effacer les conséquences, comme ce fut le cas pour le Coup d'Etat de Napoléon III de 1851 et la Commune de Paris de 1870. Plus récemment, notamment avec la loi du 4 janvier 2002 qui crée le label « musée de France » et la création d'un Code du patrimoine en 1978 le Parlement a distingué un statut particulier qui renforce la protection des biens à valeur mémorielle.

Au final on peut distinguer trois « compétences mémorielles » du législateur : une compétence commémorative, une compétence statutaire, une compétence réparatrice.

119 cité par Patrick Garcia, op.cit., p. 33

120 cité par P. Garcia, ibid., p.33

121 B. Accoyer, op.cit., p. 16

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En plus de ces trois compétences les parlements possèdent un pouvoir politique déclaratif, traduit généralement dans des actes qualifiés de « résolutions » ou de « déclarations ». En France, la Vème République ne prévoyait pas jusqu'à la réforme constitutionnelle du 23 Juillet 2008 la possibilité pour le Parlement d'émettre ce type d'actes déclaratifs, ce qui l'a poussé à utiliser la loi ordinaire pour exercer ce pouvoir politique. Il en résulte l'aberration juridique des lois non-normatives condamnée par le Conseil Constitutionnel français dans sa décision n°2006-203 I du 31 janvier 2006.

Si on observe les lois mémorielles récentes et litigieuses on s'aperçoit que certaines obéissent à ces compétences ou sont des déclarations. La loi Badinter de 1985 instituant la mention « Mort en déportation » relève de la compétence statutaire. La loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 est purement déclarative avec son article unique qui dispose que : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien ». La loi Taubira de 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité a principalement une porté déclarative. Elle comporte aussi des objectifs commémoratifs en fixant notamment des modalités pour l'organisation de cérémonies dans les Départements et Collectivités d'Outre-mer, ainsi qu'au niveau international car elle établi une requête en reconnaissance de crime auprès du Conseil de l'Europe et de l'Organisation des Nations Unies visant à l'institution d'une date internationale de commémoration. Seul l'article 2 de cette loi est controversé car il dispose que les programmes scolaires et les programmes de recherche en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage « la place conséquente qu'ils méritent » - on verra plus loin que le législateur a dépassé dans cet article son champ de compétence. La loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », qui est en partie une réponse partisane à la loi précédente, relève en grande partie du pouvoir déclaratif et de la compétence de réparation car elle alloue des aides financières à ces victimes d'une décolonisation brutale. Là encore seul un article, le 4, est véritablement controversé, il prévoit que:

« Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.

Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux

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sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.

La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée. ».

Cet article, dont l'alinéa 2 a été déclassé au rang de norme réglementaire par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n°2006-203 I du 31 janvier 2006, pour ensuite être abrogé par le décret n°2006-160 du 15 février 2006, relevait là encore d'un abus de compétence et reste critiquable en particulier pour son alinéa 1 qui, lui, reste en vigueur.

La loi espagnole « par laquelle sont reconnus et élargis des droits et sont établis des mesures en faveur des personnes ayant souffert de persécution et de violence durant la guerre civile espagnole » de 2007 122 , plus généralement appelée Loi de Mémoire historique, est quant-à-elle une loi principalement de réparation, avec des effets statutaires et commémoratifs, ainsi qu'une portée déclarative sans équivoque. Elle permet la révision sur demande de tous les procès réalisés par les tribunaux franquistes, étend la réparation financière déjà existante pour les victimes du franquisme, établit la participation de l'Etat espagnol dans la localisation, l'identification et l'éventuelle exhumation des républicains disparus et souvent enterrés dans des fosses communes. Elle permet aux anciens membres des « brigades internationales » et aux descendants de républicains en exil d'obtenir la nationalité espagnole et comporte un volet commémoratif, en établissant un statut particuiler pour le Valle de los Caidos, mais aussi un volet « anti-commémoratif » lorsqu'elle impose le retrait des symboles du pouvoir franquiste.

Avant d'étudier la spécificité des lois relatives au négationnisme on peut observer le rôle des autres producteurs de droit.

Par le pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif et notamment le chef de l'Etat a toujours eu dans le domaine

122 « Ley por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la Guerra Civil y la Dictadura » (« Loi par laquelle sont reconnu et élargis des droits et sont établis des mesures en faveur des personnes ayant souffert de persécution et de violence durant la guerre civile espagnole » traduction personnelle), adoptée par le Congrès des députés (chambre basse espagnole) le 31 octobre 2007

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mémoriel un rôle solennel et déclaratif particulièrement important. C'est le Président ou le Premier ministre d'une démocratie qui participent aux plus grandes commémorations et les animent. C'est dans les discours et les attitudes des membres du gouvernement qu'apparaissent certaines reconnaissances ou repentances mémorielles comme on l'a vu pour l'Allemagne avec le Chancelier Willy Brandt en 1970, ou comme le Premier ministre Lionel Jospin l'a fait en France vis-à-vis des mutins de 1917 dans un discours prononcé le 5 novembre 1998 sur le plateau de Craonne.

Le discours d'un Président peut aussi inspirer une loi. Celui de Jacques Chirac le 16 juillet 1995 est à l'origine de la loi française du 10 juillet 2000 « instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France », mêlant repentance et hommage.

D'autre part l'exécutif est à l'origine de la création d'une grande partie des monuments, mémoriaux et musées nationaux. A caractère d'établissement public, généralement en régie, ils sont gérés et entretenus par les services de l'Etat, et dépendent pour leur grande majorité des ministères de la Culture.

Enfin, c'est l'exécutif et notamment les ministères de l'Education qui définissent les programmes scolaires et les contenus pédagogiques des enseignements à contenu mémoriel: histoire mais aussi français, géographie ou éducation civique. Si dans les démocraties européennes les parlements peuvent parfois comme en France poser les principes fondamentaux de l'enseignement, confier à l'exécutif la définition des programmes est essentiel pour les dépolitiser le plus possible en confiant leur élaboration à des professionnels et en laissant au Parlement le rôle de contrôler leur neutralité a posteriori, dans son rôle d'évaluateur des politiques gouvernementales.

Par les pouvoirs locaux

L'importance des pouvoirs locaux dans l'encadrement et l'institutionnalisation de la mémoire est centrale. Parce que ce sont eux qui mettent en oeuvre les commémorations nationales, parce qu'ils organisent des commémorations locales mais aussi parce qu'il créent une mémoire institutionnelle au quotidien dans le choix des noms de rues et de bâtiments publics, dans la création de musée, de mémoriaux et de centres culturels ou dans le financement de projets et de sorties scolaires, ils sont « le point d'ancrage « naturel »

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des commémorations et les premiers animateurs » 123 des politiques mémorielles.

Comme l'a déclaré André Kaspi dans son audition par la Commission de l'Assemblée: « Chaque commune est dépositaire d'une histoire, chaque région est pourvue de lieux de mémoire ; toutes doivent être animées par la volonté de développer le sentiment identitaire. C'est à partir de cette réalité parlante et émouvante, témoignage de l'existence d'une mémoire locale et régionale inscrite dans la mémoire nationale, que les esprits des jeunes pourront être formés. »124

La Commission française de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques a ainsi proposé dans la conclusion numéro 3 de son rapport125 de renforcer ce rôle mémoriel des autorités décentralisées et de faire passer à l'échelon local une partie de la surcharge de commémoration qui a envahi la vie publique nationale.

De façon croissante, par les institutions internationales

Les institutions internationales jouent aussi un rôle dans la protection et l'encadrement des mémoires.

Tout d'abord, et comme les gouvernements ou parlements nationaux elles peuvent faire des déclarations politiques sur le passé. Par exemple le Génocide arménien a été reconnu par la Sous-commission des Nations-Unies pour la prévention des discriminations et la protection des minorités dès le 2 juillet 1985, par le Parlement européen le 20 juillet 1987 et par le Conseil de l'Europe le 24 avril 1998.

Les organisations internationales peuvent aussi être à l'origine de commémorations comme l'a fait l'Assemblée générale des Nations Unies en adoptant en novembre 2005 une résolution pour que le 27 janvier devienne la « Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l'Holocauste ».

Une compétence statutaire leur a aussi parfois été attribuée, c'est le cas notamment pour l'UNESCO avec les classements au « Patrimoine mondiale de l'Humanité » mis en place par la Convention Concernant la Protection de l'Héritage Culturel et Naturel Mondial, le 16 novembre 1972, qui protège déjà en Europe plusieurs centaines de sites

123 B. Accoyer, op.cit., p. 131

124 A. Kaspi cité par B. Accoyer, op.cit., p. 131

125 Rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques présidée par André Kaspi, rendu public le 12 novembre 2008, p. 9

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considérés comme ayant une valeur culturelle et mémorielle centrale. Depuis 1992 le programme « Mémoire du monde » est venu compléter ce classement avec un registre de patrimoine documentaire qui comprend des nombreuses oeuvres, bibliothèques et archives européennes et cherche à les protéger mais aussi à les valoriser pour le grand public.

En Europe, les institutions de l'Union et du Conseil sont très actives dans le domaine mémorielle. Parce qu'elles cherchent à valoriser la coopération et la citoyenneté européenne, elles mettent en avant la mémoire européenne et le multiculturalisme en produisant notamment des recommandations aux Etats européens sur le contenu et la forme de leurs commémorations et de leurs enseignements. On peut donner un exemple qui a beaucoup aidé à la réalisation de ce mémoire: le Conseil de la coopération culturel du Conseil de l'Europe a lancé en 1999 un projet « Apprendre et enseigner l'histoire de l'Europe du XXème siècle » qui a donné lieu à des travaux et des rencontres nombreux et riches ainsi qu'à de nombreux documents de conseil pédagogique et à une liste de recommandations aux Etats membres126.

Enfin, un rôle considérable des institutions internationales, propre actuellement au Conseil de Sécurité des Nations Unies et à la Cour Pénale Internationale, est la qualification juridique de certains faits comme les « Génocide » ou les « Crime contre l'humanité ».

Cette qualification, qui confère un statut spécifique aux faits entraine une protection particulière de leur mémoire comme on l'a déjà vu et comme on va le développer plus loin.

On peut donc considérer que l'intervention des producteurs de droit dans le domaine mémoriel est généralisée. Chaque niveau d'autorité politique et réglementaire cherche à la fois à fonder et émanciper tout en les équilibrant les différentes mémoires, et à produire une mémoire institutionnelle conforme à ses objectifs. Cet encadrement se produit sous la forme d'actes divers, souvent sans normativité juridique, mais créant des normes d'action et de pensée qui deviennent des institutions.

La répartition des compétences et pouvoirs relatifs à la mémoire entre les différentes autorités n'est pas un débat négligeable, le fait de priver un parlement de prérogatives en matière mémorielle a pu conduire en France à un détournement de la loi à des fins déclaratives qui a eu raison d'inquiéter la communauté historienne. Ce genre de dérive où sont confondus pouvoir politique et pouvoir législatif du parlement est particulièrement

126 Rec(2001)15 du 31 octobre 2001

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dangereux car il fait courrir le risque de la création d'une « histoire d'Etat » là où il n'y avait qu'une intention de positionnement sur l'histoire de la part des parlementaires.

Il est donc à la fois important de confier une responsabilité aux parlements dans la politique commémorative, notamment la fixation des grandes dates de commémorations nationales et en même temps de laisser les autres acteurs politiques jouer un rôle mémoriel conséquent, chacun à son échelle et de telle sorte que soit protégées la liberté de l'enseignement et les libertés d'initiative locales.

On va voire maintenant que le cas du négationnisme relève d'un domaine très particulier de la protection des mémoires qui a pu justifier le recours à la loi et à la répression juridique la plus lourde, le pénal.

2) La protection de la « mémoire de l'Humanité » mais aussi de l'histoire comme science: les lois anti-négationnistes

Comme on l'a vu dans le premier point de la première partie de ce mémoire, le négationnisme n'est pas un détournement classique de l'histoire. Il est dans son acception classique, au sujet de la Shoah, une négation antihistorique de faits clairement établis, ainsi que de la « chose jugée » par les tribunaux internationaux et civils dans le cadre d'instructions telles que le procès Papon127 de 1998 en France, avec une vocation raciste et antisémite.

Il est de façon plus générale une manière de rejeter une vérité historique établie par le droit et donc de remettre en cause l'un des piliers de la stabilité démocratique.

C'est pourquoi certains Etats européens ont choisi de le réprimé par la loi. Comme le remarque Martine Valdès-Boulouque il s'agit d'« une législation peu répandue car à l'échelle de la grande Europe, celle des 44 pays membres du Conseil de l'Europe, 7 pays seulement ont introduit dans leur législation des dispositions réprimant l'expression du négationnisme. Ces pays sont : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la France, le Luxembourg et la Suisse ». La France a été la première avec une loi de 1990 dite loi « Gayssot » .

127 Cour d'assises de la Gironde, Papon, 2 avril 1998

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La loi « Gayssot » du 13 juillet 1990

Première en son genre, la loi française « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » du 13 juillet 1990 est considérée par beaucoup comme la première « loi mémorielle » moderne, bien qu'elle se distingue des lois dites « mémorielles » qui lui sont postérieures.

A vocation antiraciste, c'est son article 9 qui a été et est encore au centre des débats. Ce dernier vient insérer dans le code pénal un article 24 bis qui stipule:

« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »

En faisant entrer dans le code pénal la contestation des crimes contre l'humanité, cette loi place le négationnisme au plus haut niveau de gravité des actions juridiquement condamnables.

Comme l'ont expliqué les participants au Colloque organisé par la cour d'appel de Paris sur « La lutte contre le négationnisme » en 2002:

« Il convient tout d'abord de replacer l'origine de la proposition de loi de 1990 dans le contexte politique de l'époque très marqué par la profanation du cimetière de Carpentras, par les déclarations de Jean-Marie Le Pen considérant les chambres à gaz comme un « détail de l'histoire de France » et par la résurgence de comportements racistes voire néo-nazis au travers de nombreux faits divers (rapport de la CNCDH constatant à partir des chiffres du ministère de l'Intérieur, une augmentation globale des actes de racisme depuis 1982) »128.

D'autre part: « 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale et la découverte de

128 François Asensi, « Contexte d'élaboration de la loi du 13 juillet 1990 » , La lutte contre le négationnisme. Bilan et perspective de la loi du 13 juillet 1990, op.cit., p. 45

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l'Holocauste, la transmission orale de la mémoire allait s'éteindre, la voix de ceux qui pouvaient « dire » l'indicible ne pourrait bientôt plus s'élever au-dessus de celle, de plus en plus forte, des falsificateurs de l'histoire... »129

C'est pourquoi l'ensemble de la loi se centre, bien plus que sur le « délit de négationnisme » qui la rendu célèbre, sur une plus grande information et sensibilisation du public face aux délits racistes.

Deux idées la motive: d'une part la considération que « Le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit »130, pour reprendre les termes employés par le député Jean-Claude Gayssot lorsqu'il défend cette proposition du groupe communiste à l'Assemblée nationale ; d'autre part l'assurance que « l'ignorance est une condition du succès des idées racistes »131. C'est donc en préférant un combat juridique et sa médiatisation au déjà traditionnel combat intellectuel et scientifique, que les députés on choisi de s'attaquer au racisme et à ses divers formes d'expression.

On peut considérer qu'il vaut mieux lutter contre l'idéologie raciste par le débat

d'idées et la contradiction scientifique comme l'ont contesté beaucoup d'intellectuels, notamment vis-à-vis du discours négationniste, mais le législateur français a considéré que le sujet été trop grave pour laisser régner un débat, même marginalisé, et a préféré donner à la loi le rôle d'exclure des espaces publics les propos racistes. Si la mesure peut sembler liberticide, elle a pour objectif, au même titre que la protection contre la « diffamation » ou « l'injure » de préserver l'ordre public.

Contrairement à ce qui a pu parfois lui être reprochée, la Loi Gayssot n'a pas

vocation à dicter une « histoire d'Etat ». Elle laisse la place à la discussion et à toutes les investigations possibles sur les raisons, l'organisation ou l'exagération de certains faits concernant le génocide des juifs par les nazis. Elle établi seulement la valeur de « chose jugée » des arrêts du Tribunal de Nuremberg, et oblige les historiens à soigner leur méthodologie scientifique et leurs discours publics dès lors qu'ils s'intéressent à un sujet aussi sensible que cet horrible crime contre l'humanité. Elle protège l'histoire comme science d'une manipulation perverse qui, si elle est facilement réfutable sur le plan

129 Martine Valdès-Boulouque, « Les législations en vigueur en Europe », La lutte contre le négationnisme., op.cit., p. 72

130 Jean-Claude Gayssot, cité par B. Accoyer, op.cit., p. 19

131 François Asensi, op.cit., p. 45

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scientifique comme l'a montré et brillamment mis en pratique Pierre Vidal-Naquet, peut jouer sur le doute, la victimisation ou l'emballement journalistique pour apparaître impunément sur la scène publique et sortir des franges étroites de « l'antisystème » où elle reste en général retranchée.

On va voir que cette position a d'ailleurs été rapidement reprise dans plusieurs pays européens et confirmée par les juridictions internationales.

Le droit anti-négationniste en Europe

Tout d'abord, il faut remarquer avec Martine Valdès-Boulouque, que « la législation contre le négationnisme est à la fois peu répandue et relativement récente ». Elle reste confinée à des pays qui ont par leur histoire été fortement concernés par le drame de la Shoah, en tant qu'acteurs ou témoins silencieux, et est apparue entre 1990 et 1997. D'autre part, les pays de tradition juridique anglo-saxonne et scandinave, très attachés à une vision maximaliste de la liberté d'expression, n'ont jusqu'ici pas adopté ce type de procédés pour une lutte contre le racisme et l'antisémitisme dont ils ne sont pas absents.

On peut constater d'autre part une relative homogénéité entre ces différentes législations. En ce qui concerne la mise en oeuvre des poursuites, il faut distinguer les cas français et belge, où sont compétent à la fois le parquet et certains types d'associations, et à l'opposé, l'Autriche, l'Allemagne et le Luxembourg où seul le parquet peut effectuer un recours contre des propos négationnistes. Dans ce deuxième cas, la loi anti-négationniste prend beaucoup moins d'envergure et risque de se limiter à contrer des déclarations publiques très médiatisées, alors que la « veille » des associations est un outil essentiel si on veut poursuivre le négationnisme sur l'ensemble de la scène publique.

Dans cinq des sept pays concernés le délit relève du droit commun de la procédure pénale, seule la France et la Belgique l'ont placé au niveau du délit de presse, ce qui rend de délai de prescription plus court et donc complique l'utilisation de ces outils juridiques anti-négationnistes.

L'étude des conditions de fond pour engager les poursuites est intéressante. L'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg et la Suisse considèrent tous que pour être punissable, la négation peut aussi prendre la forme de la minimisation, de la banalisation et de la justification. En France, le délit qui concerne une « contestation » a

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pu être étendu par la jurisprudence à la « minoration outrancière ».

Si cinq pays limitent pour l'instant cette législation à la négation de l'holocauste nazi, la Suisse et l'Espagne l'ont ouvert à la négation de tous les crimes contre l'humanité et génocides. Pourtant leurs lois respectives n'ont conduit ni à l'apparition d'une « histoire d'Etat » , ni à une limitation de la liberté d'expression au sujet de l'histoire inquiétante. La jurisprudence suisse a même ouvert une voie intéressante relaxant des ressortissants Turques qui avaient diffusé une pétition contre la reconnaissance du génocide arménien par le gouvernement fédéral suisse en stipulant que ce génocide était une « déformation profonde de la vérité historique ». Le juge a considéré que la démarche des prévenus « tendait seulement à défendre le point de vue national dans lequel ils avaient été éduqués » et que la négation d'un génocide n'était condamnable que si elle s'appuyait sur un mobile raciste, usant une notions qui n'existait jusque là que dans la loi allemande132. La recherche du mobile raciste est un bon élément pour éviter de condamner des mémoires divergentes de celle que le législateur a voulu protéger.

On doit aussi ajouter que les institutions internationales semblent s'être ralliées à ce type de législation. Le Conseil de l'Europe a mis en place un instrument juridique contraignant qui puni le délit de négationnisme, il se situe dans la Convention sur la cybercriminalité relatif à l'incrimination des actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de système informatique dont un protocole additionnel incrimine « la négation, la minimisation grossière, l'approbation ou la justification des crimes contre l'humanité » tels que définis par le tribunal international de Nuremberg.

La Commission européenne des droits de l'homme a quant-à-elle reconnue le 24 juin 1996, dans l'affaire Marais c/ France, la légitimité des lois anti négationnistes. Ses considérations, analysées par Gérard Cohen-Jonathan suivent ce raisonnement:

« Le négationnisme, comme le racisme - dont les liens avec le négationnisme sont des plus étroits-, est un facteur d'exclusion profondément destructeur du tissu social ; il met même en danger l'ordre public en menaçant la cohésion sociale du groupe et par là même la notion d'État libéral et pluraliste. »133

132 Analyse de jurisprudence reprise à partir de Martine Valdès-Boulouque, op.cit., p. 75

133 Gérard Cohen-Jonathan, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et la position du Comité des droits de l'homme des Nations unies », La lutte contre le négationnisme., op.cit., p. 77

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Suivant la même ligne que cette décision la Cour européenne des Droits de l'Homme a jugé légitime la limitation de la liberté d'expression telle qu'elle est prévue à l'article 17 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Dans l'arrêt du 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni c/ France, elle a explicité sa position vis-à-vis du négationnisme en déclarant:

« La Cour reconnaît formellement qu'il existe des faits clairement établis, tels que l'Holocauste, dont la négation ou la révision, se verraient soustraits par l'article 17 à la protection de l'article 10 sur la liberté d'expression »134

Les institutions du Conseil de l'Europe, pourtant particulièrement protectrices en terme de droits individuels, ont donc confirmé la légitimité de la condamnation négationniste, dès lors qu'elle reste attachée à des motifs racistes.

Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a fait de même. Dans une décision du 8 novembre 1996, Faurisson c/ France, il a constaté que la loi Gayssot telle qu'elle est appliquée par les juridictions françaises n'enfreignait pas la liberté d'expression protégée par l'article 19 du Pacte sur les libertés civiles et politiques de 1966, la restriction de cette liberté publique est justifiée par une liberté opposée: « le droit de la communauté juive à ne pas craindre de vivre dans un climat d'antisémitisme »135.

Les principaux garants internationaux des libertés fondamentales ont ainsi rejeté des plaintes considérées comme des « abus de droits » et homologué les législations européennes qui condamnent le négationnisme.

Finalement la décision-cadre adoptée par le Conseil de l'Union Européenne le 28 novembre 2008 sur « la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal », va dans les années qui viennent homogénéiser le droit dans l'Union en reprenant le système initié par la loi Gayssot et en l'élargissant. Cet acte communautaire a soulevé de gros débats et de fortes critiques de la part des historiens136, car il institue dans toute l'U.E. la répression pénale de « l'apologie publique, la négation ou la banalisation grossière des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre » en référence au tribunal de Nuremberg mais aussi aux statuts de la

134 Jurisprudence citée par G. Cohen-Jonathan, ibid., p. 78

135 Jurisprudence citée par G. Cohen-Jonathan, ibid., p. 80

136 Voir l'article de Pierre Nora « Liberté pour l'histoire », Le Monde, octobre 2008, p. 21

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Cour Pénale internationale (CPI). Or, la référence aux statuts de la CPI laisse une grande liberté d'interprétation dans la définition des trois formes de crimes, car les articles 6, 7 et 8 de ces statuts sont des listes relativement longues de faits ouvrant une possibilité de qualification large, d'autant plus que la décision-cadre ne précise pas quelle autorité est compétente pour les interpréter. D'autre part l'entrée des « crimes de guerre » parmi les « faits jugés » protégés par la loi risque d'élargir le champ du négationnisme vers des dimensions plus politiques des crimes humains.

Les limitations de la liberté d'expression que peut provoquer cette décision-cadre vont donc beaucoup plus loin que ceux créés par les lois nationales anti-négationnistes. On peut cependant penser que les Etats opteront pour une transcription minimaliste du texte, comme la France l'a déjà annoncé, en ne considérant comme concernés que les « crimes » reconnus par une juridiction internationale. D'autre part on peut penser que les juridictions internationales et notamment la Cour Européenne des Droits de l'Homme sanctionneront des transcriptions nationales trop liberticides.

Mais avec la publication de cet acte communautaire au Journal Officiel de l'Union Européenne le 6 décembre 2008, on peut donc dors et déjà conclure que la répression du négationnisme va s'étendre au-delà de l'antisémitisme, à la protection des faits jugés en Yougoslavie, au Rwanda, au Sierra-Léon, au Cambodge, en Uganda, en R.D.C., en République Centrafricaine, et depuis le mois de mars 2009 et le mandat d'arrêt international de la CPI contre le président Omar el-Béchir au Soudan.

Si la pénalisation du négationnisme semble donc en voie de se généraliser en Europe, on peut maintenant s'intéresser à son efficacité au regard des exemples existants.

L'efficacité du droit anti-négationniste

On peut tout d'abord constater que le nombre de condamnations permis par les lois anti-négationnistes est globalement très faible. En France, entre 1990 et 2000 seulement 29 condamnations ont été répertoriées, en Belgique une seule entre 1995 et 2000. Cette limitation s'explique par la difficulté d'identifier de nombreux auteurs de textes ou autres documents négationnistes, mais aussi par la marginalisation des idées négationnistes réussie grâce à la loi. En effet, la répression pénale a généré une médiatisation qui a semble-t-il sensibilisé une partie de la population à la gravité du problème. De plus, les peines

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prononcées, en France huit peines de prison avec sursit et des amendes entre 3000 et 4000 euros, ont eu l'effet préventif escompté.

Il est intéressant de comparer la situation européenne avec le contre-modèle des Etats-Unis basé sur la suprématie de la liberté d'expression, où un juge fédéral reconnaissait lors d'un affaire de révisionnisme historique McCalden v. California Library Ass'n, que « personne ne conteste le droit de McCalden de dire son avis, aussi répugnant que le message puisse être »137, et où plus généralement « le discours « révisionniste est une opinion aussi légitime qu'une autre »138.

En Californie, l'Institute for Historial Review créé en 1978 est une organisation totalement légale qui peut publier en toute liberté des ouvrages antisémites et négationnistes distribués dans le monde entier et accueille dans ses conférences les plus grands négationnistes internationaux tels que David Irving, Robert Faurisson, Ernst Zündel, Fred Leuchter, Arthur Butz, Joseph Sobran ou Ahmed Rami.

En 2004, le département d'Etat américain a constaté dans un rapport 139 sur l'antisémitisme que le phénomène était un « problème considérable » dans de nombreuses universités américaines. Plus généralement internet est devenu aux Etats-Unis un outil de propagande raciste et antisémite puissant qui véhicule de nombreuses théories négationnistes.

Mais aux Etats-Unis, le discours négationniste bénéficie de la protection du Premier amendement de la Constitution américaine qui garantie la liberté d'expression, et dès lors qu'il est exprimé comme une opinion et non-comme une vérité scientifique il ne craint aucune répression.

Si personne n'a encore établi d'études montrant une hiérarchie d'efficacité dans la marginalisation du négationnisme entre les deux modèles européen et américain, on peut considérer que les lois anti-négationnistes s'inscrivent dans la tradition volontariste du droit du « vieux continent » qui tente de prévenir dans les populations les dérives racistes que les démocraties européennes ont déjà connues.

On peut rajouter que le droit anti-négationniste voit son efficacité limitée face aux

137 Juge Kozinski, opinion dissidente de la Décision 955 F.2d 1214 (9th Cir. 1990), cité par Laurent Pech, La liberté d'expression et le discours raciste, xénophobe ou révisionniste aux Etats-Unis et en France, Mémoire de D.E.A. de Droit Public, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, 1998, p. 110

138 Laurent Pech, ibid., p. 110

139 Global Anti-Semitism Review Act, Public Law 108-332, 118 Stat. 1282, 16 octobre 2004

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nouvelles technologies qui comme on l'a déjà fait remarquer rendent difficilement identifiables les coupables et biaisent la réception des informations par les internautes en éliminant ou en manipulant le poids du contexte, par exemple en déguisant un site négationniste en site scientifique institutionnel. Le développement des outils de contrôle informatique et l'action des associations et autres organismes capable d'alerter les pouvoirs publics deviennent donc essentiels.

B) Les garanties juridiques de l'histoire comme science et discipline

Si comme on la vu précédemment l'historien et l'histoire en général peuvent avoir un devoir de prudence et de non interférence avec l'autorité de la chose jugée dès qu'ils s'attèlent à l'étude du passé récent, préserver la libre recherche, le libre enseignement et la libre expression des chercheurs sont essentiels.

L'histoire comme science et comme discipline d'enseignement reste un savoir trop facilement susceptible de détournement et un outil critique indispensable pour la bonne marche de la démocratie dont on doit maximiser la liberté, c'est pourquoi le droit même s'il doit la concilier avec le respect et la libre expression des mémoires a pour vocation de rester avant tout un instrument de protections de toutes les libertés des professionnels de l'histoire.

1) Les libertés fondamentales première source de protection du travail des historiens

Pour reprendre une célèbre formule des commissaires du gouvernement du Conseil d'Etat français: « La liberté est la règle, la restriction [...] l'exception » 140 dans les démocraties libérales. Plusieurs libertés protègent le professionnel de l'histoire, on va maintenant les étudier avec leurs limites.

140 Cité par la quasi-totalité des manuels de droit administratif français, ici retrouvée dans Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, ed. 2005, p.290

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La liberté d'opinion et d'expression

Comme tous les citoyens, les historiens européens bénéficient d'une liberté d'expression protégée contre les intrusions du pouvoir. Celle-ci fait partie des libertés fondamentales reconnues par la Constitution de chaque pays européen et garantie au-delà de la diversité des systèmes nationaux par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950, sanctionnée par le contrôle juridictionnel de la Cour Européenne des Droits de l'homme (CEDH). On peut citer les deux paragraphes de cet article comme élément et exemple de la portée et en même temps de la limitation de cette liberté dans les systèmes juridiques européens:

« 1 Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. »

« 2 L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

A ce texte la CEDH a tendance à donner une interprétation extensive comme le montre par exemple explicitement l'arrêt de 1999 Fressoz et Roire c. France, dans lequel la Cour déclarait:

« La liberté d'expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme,

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la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels, il n'est pas de « société démocratique ». »141

La nécessité de combiner cette liberté avec les impératifs de la vie en société, est traduit par différents concepts: « ordre social », « ordre public », opposition avec d'autres

libertés fondamentales ou avec le « droit au respect de l'honneur personnel» pour reprendre les termes de l'article 5 de la Loi fondamentale allemande142.

Dans les cas d'espèces une première limitation de la liberté d'expression peut surgir

du principe de droit commun de responsabilité individuelle qui veut, comme l'exprime le code civil français à son article 1382, que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à

autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L'élément susceptible d'engager la responsabilité d'un historien sur la base de ce principe est

l'existence d'une faute. Le juge français a par exemple estimé que bien qu'il ne soit aucunement de son devoir de trancher des controverses historiques il peut en revanche contrôler la méthode de travail de l'historien. Ainsi, dès un arrêt du 27 février 1951 dit

arrêt « Branly », la Cour de Cassation française a considéré que le métier d'historien impose de publier des ouvrages ou de donner une opinion sur la base d'une information

prudente et objective. C'est sur cette base que par exemple l'historien de l'empire ottoman Bernard Lewis, a été condamné, le 21 juin 1995 par le tribunal de grande instance de Paris.

Le tribunal, en l'absence même de reconnaissance du génocide arménien par les autorités françaises avait pu estimer que M. Lewis:

« ne pouvait passer sous silence des éléments d'appréciation convergents...révélant que, contrairement à ce que suggèrent les propos critiqués, la thèse de l'existence d'un plan visant à l'extermination du peuple arménien n'est pas uniquement défendue par celui-ci ».

De plus: « même s'il n'est nullement établi qu'il ait poursuivi un but étranger à sa

141 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France, n°29183/95

142 Cité par Elise Durand, La liberté d'expression et le discours raciste, xénophobe et négationniste. Etude comparée: Etats-Unis, France, Allemagne, Autriche, Danemark, Cour Européenne des Droits de l'Homme, mémoire de Master II, année 2005-2006, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, p. 31

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mission d'historien (...) il a (...) manqué à ses devoirs d'objectivité et de prudence, en s'exprimant sans nuances, sur un sujet aussi sensible ; que ses propos, susceptibles de raviver injustement la douleur de la communauté arménienne, sont fautifs »143.

Toutefois les jurisprudences nationales face a une fronde des historiens soulevée par ce type de verdicts et aux risques qu'il entraine pour la liberté de recherche ont tendance a

abandonner ce type d'infraction, donnant à la liberté d'expression plus de poids comme l'a finalement fait la Cour de Cassation française dans deux arrêts d'Assemblée plénière du 12 juillet 2000 qui ont exclu l'application de l'article 1382 pour sanctionner les abus de la

liberté d'expression prévus par la loi sur la presse de 1881. Selon la Cour, « Les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil »144. Cette jurisprudence pousse à penser

que la responsabilité de droit commun pour faute pourra de moins en moins servir à

contrôler l'expression des historiens.

En ce qui concerne le respect de la vie privée, autre limite à la liberté d'expression issue des principes énoncés plus hauts, l'historien bénéficie en France d'une « immunité »

particulière qui lui permet de ressasser le passé sans être inquiété par le « droit à l'oubli » dès lors que les faits qu'il publie ou affirme ont été licitement révélés et sont justifiés par

un intérêt actuel. La jurisprudence admet aussi qu'un historien peut se pencher sur la vie privée d'un mort, même si cela peut atteindre celle de ses proches, dès lors que sa démarche est justifiée par l'éclairage apporté au personnage145.

L'historien voit aussi sa liberté d'expression limitée par les principes légaux qui dans tout les systèmes juridiques européens garantissent l'ordre public et l'honneur des

individus dans les publications et discours publics en se basant sur différents concepts juridiques: la diffamation, l'injure, la provocation à la haine raciale et l'apologie du crime,

la banalisation et la contestation des crimes contre l'humanité.

Toutes ses limitations éventuelles de la liberté d'expression sont rigoureusement

143 Jurisprudence cité par B. Accoyer, op.cit., p. 39

144 Jurisprudence cité par Ibid., p. 39

145 Repris de Ibid., p. 40, en référence à Carole Vivant, « L'historien saisi par le droit. Contribution à l'étude des droits de l'histoire », thèse pour le doctorat en droit de l'Université de Montpellier I, Dalloz, 2007

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définis par la loi et encadré par des procédures qui leur confèrent un délai de prescription court et garantissent pleinement les droits de la défense.

Enfin, l'article 17 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, utilisé pour rejeter les recours devant la CEDH des auteurs négationnistes, reprend une limite basé sur

un principe juridique de base: l'abus de droit. Il est définit ainsi:

« ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention

».

Finalement, la CEDH, dans un arrêt du 23 septembre 1998 rendu à propos de l'affaire Lehideux, a mis en place « un standard européen sur les limites au libre débat dans l'histoire »146. Elle distingue les « faits historiques clairement établis » tel que l'existence de l'holocauste, ne pouvant être contestés de bonne foi, et les faits non « réputés

incontestables » qui doivent faire l'objet d'un débat libre protégé par la liberté d'opinion. Le rapport de la Mission d'information sur les questions mémorielles de

l'Assemblée nationale française a préconisé l'abandon des lois françaises « qualifiant juridiquement des faits ou des processus historiques » en soulignant deux risques.

D'une part un risque de censure des historiens par la menace de poursuites qui même

si elles ont peut de chance d'aboutir portent atteinte à la libre expression des historiens tel que l'a montré le cas de l'assignation en justice en 2005 de l'historien Olivier Pétré-

Grenouilleau pour avoir considéré que l'esclavage ne pouvait être qualifier de génocide par le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais. Même si cette plainte a été retirée

et si le procès avait peu de chance d'aboutir, comme le déclarait Henry Rousso à la mission parlementaire:

« Le risque n'est pas de sombrer dans une sorte d'obscurantisme, mais que la parole savante se réfugie dans sa tour d'ivoire. Si vous travaillez sur l'histoire de la Résistance et que vous n'êtes pas « politiquement correct », que vous avez à faire à

146 B. Accoyer, op.cit., p. 41

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une figure de la Résistance qui n'a pas fait tout ce qu'on a dit qu'elle a fait, si vous intervenez dans le débat public, vous pouvez « en prendre plein la figure », sans que votre statut soit respecté pour autant. Pourquoi donc aller prendre des coups ? »147

« Bien que souvent non normatives, ces lois sont perçues et revendiquées comme telles par le public, qui les utilisera pour appuyer des actions fondées sur l'article 1382 du code civil ou des actions pénales fondées sur le délit d'injure »148 a long terme le risque

d'autocensure est considérable.

D'autre part, le risque de ces lois est la création de « délits d'opinions », selon la juriste Nathalie Mallet-Poujol, « les délits de négationnisme ou de banalisation risquent de

bousculer le fragile équilibre du droit de la presse en touchant à la subtile frontière entre des propos constitutifs d'une infraction et ceux qui restent une opinion » 149 . La loi « Gayssot » a créé un engrenage qui pousse les défenseurs de mémoires différentes et non-

soumises aux mêmes enjeux que celle de la Shoah ou des autres crimes contre l'humanité reconnus, à oeuvrer pour que le même type de protection pénale soit accordé à leur version

du passé. Françoise Chandernagor parle de « mimétisme mémoriel » à ce sujet et les cinq propositions de lois déposées à l'Assemblée nationale lors de sa douzième législature pour

étendre le dispositif de la loi Gayssot montrent l'importance et les dangers du phénomène. Il est donc important de bien cadrer l'intervention législative pour continuer à garantir la pleine liberté d'expression des professionnels de l'histoire.

La liberté professionnelle des enseignants et des chercheurs

Principe d'indépendance des enseignants et des chercheurs, leur liberté professionnelle est garantie différemment selon les pays européens.

Au niveau de l'enseignement, dans la majorité des pays européens, comme au

147 Henry Rousso lors de la Table ronde sur « Les questions mémorielles et la recherche historique » organisée par la Mission d'information sur les questions mémorielles de l'Assemblée nationale française, ibid., p. 306

148 B. Accoyer, ibid., p. 42

149 Cité par B. Accoyer, Ibid., p. 48

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Danemark, en Estonie, en France ou au Portugal la loi fixe les « grandes orientations » ou les « grands principes » de l'enseignement en général et le ministère de l'éducation définit des programmes scolaires assez précis. En Finlande ou en Grande Bretagne les systèmes éducatifs donne plus d'autonomie aux établissements, le ministère se contente de former des lignes directrices que les éditeurs et les professeurs sont libres d'interpréter. L'ambassadeur de France en Finlande a fait remarquer à la mission parlementaire de l'Assemblée nationale que « cette souplesse a permis aux débats sur les périodes les plus controversées de l'histoire finlandaise, autrefois taboues, de trouver un écho dans les salles de classe ». Il est dans tout les cas essentiel de préserver l'autonomie et la liberté d'initiative des enseignants à travers une délimitation stricte des rôles dans la définition des programmes scolaires et un statut professionnel protecteur pour les professeurs.

On peut ajouter que l'indépendance de l'enseignement de l'histoire passe aussi par la possibilité juridique mais surtout financière pour les professeurs ou les établissements de lancer des initiatives autonomes de commémorations et d'activités extrascolaires tels que des sorties scolaires et des visites de musées ou de mémoriaux, et de faire participer des intervenants extérieurs témoins, animateurs et associations notamment. Le fait de doter les établissements scolaires de budgets spéciaux pour ces activités ou la possibilité pour les autorités locales de les subventionner est donc primordial.

En France, la liberté des enseignants du primaire et du secondaire est garantie par un principe législatif de « liberté pédagogique » qui interdit aux programmes d'être trop précis sur les méthodes et les contenus des enseignements. D'autre part, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984 a dégagé le principe de l'indépendance des professeurs de l'enseignement supérieur et des chercheurs comme un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » ce qui en fait une norme à valeur constitutionnelle. Même si les enseignants du supérieur et les chercheurs sont des fonctionnaires chargés d'un service public et en tant que tels soumis à un statut, le Conseil a estimé que « par leur nature même, les fonctions d'enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l'intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ».

La liberté des enseignants et des chercheurs doit donc aussi être garantie contre une responsabilité administrative et disciplinaire à l'intérieur du système éducatif en limitant

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la contrainte des programmes de recherche et en se gardant de toutes « orientations historiques » légales ou règlementaires. Si les dirigeants politiques veulent légitimement entretenir le rôle mémoriel de l'éducation ce n'est pas en contraignant les enseignants dans leurs méthodes et leurs analyses de l'histoire mais plutôt en fournissant à ces derniers les moyens, principalement matériels, leur permettant de sortir du cours classique d'histoire et d'animer des activités ludiques et des discussions capables d'intéresser les élèves d'eux même à la mémoire démocratique et européenne. Car, comme la souligné Bernard Eric Jensen tout au long de son intervention sur « L'histoire à l'école et dans la société en général » lors du symposium sur les détournement de l'histoire du Conseil150 de l'Europe, c'est en grande partie un manque de moyen face à des coups de plus en plus élevés qui limite les ressources pédagogiques des enseignants et la participation des cours d'histoire au développement d'une conscience civique et démocratique chez les élèves.

Les professeurs d'histoire et les historiens bénéficient donc de protections légales pour leur expression et leur travail qui doivent impérativement être préservées et éventuellement accrues. On va maintenant voir que la garantie d'une recherche historique efficace et autonome passe aussi par la protection de l'accès aux sources et à la connaissance historique.

2) La création d'un environnement favorable à la recherche historique

La protection et l'accessibilité du patrimoine archivistique

Les archives constituent la première des sources permettant la recherche historique c'est pourquoi elles sont un enjeux majeur de la liberté et de l'efficacité du travail des historiens.

Comme l'écrit Vincent Duclert: « La valeur des archives et de leur politique dans la

150 Bernard Eric Jensen, op.cit.

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construction des Etats de droits et des libertés civiles a été très tôt reconnue »151. Par exemple « la naissance des Archives nationales et l'élaboration d'une première loi sur les archives constituèrent un des actifs importants mais peu reconnus de la Révolution française »152.

March Olivier Baruch distingue plusieurs intérêts publics recelés dans les archives153. Tout d'abord, elles placent les gouvernants et les membres de l'administration, c'est-à-dire tous les délégataires d'une autorité publique sous le regard, présent ou futur, des citoyens. Par ce biais elles garantissent le principe posé dans l'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 selon lequel: « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». D'autre part elles offrent une garantie juridique durable et par ce biais favorisent le bon fonctionnement de l'Etat de droit. Elles seront amenées à servir de preuves auprès des tribunaux que ce soit pour l'administration concernée si elle est attaquée ou pour les citoyens dans leurs actions vis-à-vis de l'administration ou éventuellement d'un tiers. Enfin, elles constituent un patrimoine mémoriel, potentiellement historisable, de la nation. Elles permettent aux citoyens directement ou par l'intermédiaire des historiens de retrouver leur passé, d'observer les évolutions de leur pays ou de leur région, et de chercher les moyens d'améliorer l'Etat dans l'observation de ses réussites et de ses échecs passés.

C'est donc les archives qui fondent une grande partie de la légitimité et de l'apport critique de l'histoire.

De même leur rôle pour l'apaisement des mémoires n'est pas négligeable. Comme l'écrivait en octobre 2008 Perrine Canavaggio, secrétaire général du International Conseil International des Archivistes (ICA): « Depuis les années 1990, le droit à l'information a pris une importance vitale dans les pays qui ont subi des dictatures et des violations graves des droits de l'Homme. Les documents d'archives sont ainsi devenus un outil et un enjeu essentiels dans les processus de transition politique et de réconciliation »154 .

151 Vincent Duclert, « La bataille des archives », Le Nouvel Observateur, op.cit, p. 78

152 Ibid, p. 78

153 March Olivier Baruch, « Archives, mémoire nationale et politique de l'Etat » , Les Cahiers français, op.cit., p. 28-29

154 Perrine Canavaggio, Secrétaire générale du International Council on Archives (ICA), conférence effectuée le 3 octobre 2008 lors du forum sur « les Droits de l'homme à l'âge de la

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Pour toutes ces raisons un droit des archives a du émerger à travers deux volets successifs :

«
· lois sur les archives d'abord pour répondre aux préoccupations de la recherche historique. Après la loi française de 1794 qui a fait de l'accès aux archives non plus un privilège mais un droit civique, ce droit a été progressivement mis en oeuvre dans toutes les législations nationales européennes, avec des délais de communication des documents plus ou moins longs selon les pays [...].

· lois sur l'accès aux documents administratifs ensuite. La Suède a été un pays pionnier avec sa loi de 1766 mais c'est après la Seconde guerre mondiale qu'a émergé le mouvement en faveur de la transparence administrative. Ce mouvement s'inspire de la Déclaration universelle des DH de 1948 qui garantit dans son article 19 à tout individu le droit de « chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit ». »155

Le ICA constate au niveau international que 13 pays avaient une loi sur l'accès à

l'information en 1990, 70 en ont une aujourd'hui et 30 en ont une en cours d'élaboration. Si de nombreuses organisations internationales reconnaissent les principes de

protection des archives et de droit d'accès aux archives publiques, le Conseil Européen est jusqu'ici la seule à avoir établi une norme internationale dans ce domaine. Il s'agit d'une

recommandation du 13 juillet 2000 « sur une politique européenne en matière de communication des archives »156 qui même si elle n'a pas de force juridique contraignante

bénéficie d'un suivi du Comité des Ministres qui en fait une norme politique.

Parmi les mesures les plus avancées qu'elle recommande se trouve son article 5 qui considère que le droit d'accès aux archives s'étend aux personnes de nationalité étrangère,

l'article 7 qui demande l'existence obligatoire d'une limite de la durée des régimes

globalisation, le renforcement des partenariats » organisé par l'UNESCO disponible sur internet sur le site du ICA

155 Ibid.

156 Recommandation n° R (2000) 13 du Comité des Ministres aux États membres sur une politique européenne en matière de communication des archives, adoptée le 13 juillet 2000, lors de la 717e réunion des Délégués des Ministres

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d'exceptions pour les archives présentant un intérêt public particulier (défense nationale, politique étrangère, ordre public) ou relevant de la protection de la vie privée et l'article 11 qui considère comme obligatoire la motivation et la possibilité de faire appel des refus de dérogation pour la consultation d'archives non rendues publiques.

Au niveau des législations nationales l'accès aux archives en Europe même s'il est partout reconnu comme un droit, se décline sous diverses versions.

La majorité des pays européens ont opté pour un délai normal de trente ans avant l'ouverture des archives publiques, c'est le cas notamment de l'Allemagne, Chypre, la Grèce, le Luxembourg ou la République Tchèque. Mais l'ensemble des délais varient entre le principe de communicabilité immédiate valable en France depuis juillet 2008 et un délai de 50 ans en Estonie et Bulgarie.

Les régimes particuliers sont en général très nombreux comme le montre par exemple le tableau d'analyse de la réforme française de 2008 présenté en annexe 2.

La possibilité de dérogation discrétionnaire donnée aux administrations et aux services d'archives nationaux pour permettre la visualisation des documents d'archive avant le délai légal est essentielle. Comme l'écrit Bruno Delmas, ancien directeur de l'Institut National des Archives français: « cette procédure prémunit en même temps contre les dérives éventuelles. Elle est une approche pragmatique pour identifier des besoins et des problèmes et préparer la voie à des dérogations générales. »157

Globalement le régime de ces dérogations est d'ailleurs très libéral. Dans le cas français Bruno Delmas fait savoir que « une réponse favorable est donnée pour 96 % des 62 000 demandes annuelles ».

Une dérive considérable et encore peut encadrée, si ce n'est en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves où la tradition de transparence est forte, est la privatisation des archives publiques aux plus hauts postes de l'Etat. C'est une pratique auto-instituée et non-régulée qui voit les documents produits par les cabinets des ministères et des chefs d'Etat, ou par les exécutifs locaux, sortir du domaine public ou en y restant voir leur accès limité par leurs auteurs. Par exemple, en France, les archives des présidences de François Mitterrand ont été confiées à une fondation, structure de droit privé qui en contrôle l'accès

157 Bruno Delmas, « De nouveaux espaces pour la recherche : la nouvelle loi sur les archives », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N° 5, mai-août 2008, article disponible en ligne sur le site d'Histoire@Politique.

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et dont on peut douter des objectifs de transparence. Or, cette question de transparence des plus hauts niveaux du pouvoir a un rôle primordial, notamment pour la recherche historique, qui reste jusqu'à présent en marge du débat public.

Et comment obliger les administrations à conserver et à protéger leurs archives si comme l'écrit Marc Olivier Baruch: « le mauvais exemple viens d'en haut : il n'est pas une alternance ministérielle d`importance qui ne s'accompagne, à en croire la presse, d`un usage intensif des machines à broyer.»

C'est pourquoi, la lutte contre la destruction ou la disparition d'archives est un autre élément important de garantie pour le travail des historiens. La pratique est courante et difficilement contrôlable dans le secret des administrations. Le seul instrument efficace pour protéger les archives est la pénalisation de leur destruction. Une condamnation pénale sévère peut seule rendre la destruction d'archives plus risquée pour les administrations et les administrateurs que leur conservation. C'est pourquoi une réforme du droit des archives publiques comme celle de 2008 en France y a consacré une importante part. Des pays comme les anciennes démocraties populaires, qui ont vu la quasi-totalité de leurs archives disparaître avec l'URSS devraient y être d'autant plus sensible, mais globalement les pouvoirs publics restent très modérés dans ce domaine, et une certaine unanimité règne entre les partis politiques qui y trouvent tous un intérêt commun, c'est pourquoi la constitution de « lobbies » d'historiens, d'archivistes ou de simples défenseurs des libertés publiques est essentielle pour aller vers plus de transparence.

L'encouragement de la transmission de savoir historique

Valoriser les lieux de mémoire et les musées, en les fédérant, en créant des labels, en développant des concepts interactifs et ludiques, tout en les adossant à des organismes de recherche paraît aussi être le meilleur moyen de conserver l'histoire scientifique au centre de la démocratie.

Pour Bernard Accoyer: « Une telle politique permettrait d'envisager la création d'une filière professionnelle des métiers de l'histoire, au service des musées et des structures en charge du patrimoine: différente de la formation des historiens universitaires, elle comporterait ses propres diplômes et masters professionnels, sur le modèle de la public

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history américaine. »158

Toutefois un équilibre restera toujours à trouver entre la recherche du public et de l'intérêt des profanes et les exigences critiques d'une science sociale qui apporte une richesse de fond et de long terme à la politique et à l'épanouissement des individus. Une richesse que des démocraties trop axées sur leurs enjeux économiques de court terme risqueraient d'oublier, fascinées par la possible valorisation économique de l'histoire. C'est pourquoi on peut considérer qu'un enseignement et une recherche publique indépendante et libre, fondés sur l'amour des historiens pour la connaissance du passé doivent devenir, ou rester quand ils le sont déjà, le coeur, ou le cerveau, de l'histoire dans toutes ses dimensions politiques, narratives, émotionnelles, éducatives et scientifiques.

CONCLUSION

A partir d'un débat français qu'on peut penser conjoncturel, la réflexion sur l'histoire s'est animée et les historiens ont pu enfin crier, calmement et doctement, le droit à s'émanciper du politique qu'ils avaient patiemment conquis.

Les lois mémorielles, loin d'exprimer une véritable tentation du législateur à dicter l'histoire comme le faisaient les « hussards noirs de la République » au début du siècle, ont surtout mis en avant le malaise des dirigeants démocrates, vis-à-vis d'une histoire devenue plus complexe et moins certaine.

Ce vieil instrument qu'était l'école pour former les jeunes esprits à devenir des citoyens libres et égaux en droit, se heurte à une crise de l'autorité doublée d'une perte d'efficacité de son rôle d'ascenseur social. Dans les nouvelles sociétés de la connaissance, elle perd beaucoup de son rôle central de transmetteur de savoir et peine à unifier et combiner les points de vue d'une jeunesse qui revendique à l'image du reste de la société ses particularités et sa mémoire.

Le Républicain engagé doit donc agir avec tous les pouvoirs juridiques, politiques et médiatiques qui sont en son pouvoir pour rassembler les communautés divisées au sein de la cité et il se fonde pour cela en grande partie sur le pouvoir de la science qui a nourri sa formation: l'histoire, et de sa célébration.

158 B. Accoyer, op.cit., p. 107

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Si l'histoire transformée en mémoire institutionnelle est largement surestimée pour son rôle identitaire, l'histoire scientifique n'en reste pas moins un instrument de pacification sociale par sa capacité à arbitrer et à encadrer les mémoires individuelles. Par ses déclarations sur l'histoire l'homme politique cherche à accélérer la marche normale des facultés que possède cette science pour l'homogénéisation de la mémoire à long terme. Et qu'est-ce qu'une science sociale sinon un discours qui par l'utilisation d'observations, de références et de paradigmes communs cherche à mettre tout le monde d'accord ou du moins dans la capacité de se communiquer.

C'est pourquoi, même si les lois mémorielles françaises sont nées de carences regrettables de la Constitution de la Vème République, elles ont eu le mérite de révéler la place acquise par l'histoire scientifique au sein de la République, celle d'un savoir scientifique autonome essentiel pour une démocratie de plus en plus communautarisée.

C'est en temps que savoir scientifique au rôle démocratique central que l'histoire doit être protégée par le droit. Dans l'idéal démocratique elle doit être un langage critique et commun, facilitant le travail des mémoires et le débat politique, et ne le sera que si elle est garantie contre le détournement et l'usurpation.

C'est ce que prétendent faire, quoi qu'on en dise, les lois anti-négationnistes qui tentent de délimiter la frontière entre un discours fondé sur une analyse, même partisane, de l'histoire et un discours fondé sur la négation de l'histoire et l'affirmation d'un relativisme absolu qui ouvre la voie à tous les crimes et toutes les injustices. Ces lois cherchent certainement une protection de la mémoire commune mais plus encore de la scientificité de l'histoire.

La protection du travail des historiens est donc garantie par de multiples règles de droit: libertés publiques et libertés professionnelles, accès aux sources et protection de celles-ci, accès aux médias et aux moyens de transmettre le savoir historique. Si ces droits souffrent encore des limitations, ils se sont jusqu'ici beaucoup accrus et la loi bien loin de commander à l'histoire lui a surtout aménagé un espace privilégié.

Reste que l'accroissement des droits de l'histoire ne donne pas pour autant à la discipline l'autorisation de concurrencer le droit lui-même. L'historien peut politiquement s'engager contre un verdict, pour la révision d'un procès ou pour la transformation d'institutions jugées illégitimes. Il doit éviter d'utiliser sa science pour porter des jugements sur le présent, pas plus qu'il ne devrait d'ailleurs le faire sur le passé.

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Les enjeux du droit, s'ils rejoignent par certains côtés ceux de l'histoire: la recherche de faits réels passés et de leur enchainement, vont au-delà de la simple recherche de la vérité et servent à assurer un ordre social parfois injuste mais nécessaire et, dès lors que l'on est en démocratie, politiquement combattable.

Comme l'écrivait Paul Ricoeur, « l'histoire est une permanente réécriture ». Au contraire, le droit doit figer une version du passé à un moment précis, sur laquelle on ne pourra revenir qu'au terme d'une procédure spécifique.

L'histoire libre n'est pas une grande histoire maîtresse d'elle-même, de tous les savoirs et de tous les jugements, c'est juste une histoire capable d'offrir chaque jour des petits savoirs nouveaux et inattendus capables de nous faire repenser un peu notre passé, notre présent et notre futur.

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· Ibn Khaldoun, Le Livre des exemples, traduit et annoté par Abdesselam Cheddadi, éd. Gallimard, collection La Pléiade, 2002.

· Le Goff, J., Histoire et mémoire, Gallimard, 1988.

· Michel, N. (texte rassemblés par.), Paroles à la bouche du présent. Le négationnisme: histoire ou politique?, Marseille, Al Dante, 1997.

· Nora, P. (dir. par), Les Lieux de mémoire, Gallimard, 1984.

· Paxton, R. O., La France de Vichy 1940-1944, Seuil, Points Histoire, 1973.

· Ricoeur, P., La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Le Seuil, 2000.

· Rosenzweig, R., & Thelen, D., The Presence of the Past. Popular Uses of History in American Life, 1998.

· Rousso, H., Le Syndrome de Vichy 1944-198..., Paris, Le Seuil, 1987.

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· Valla, Lorenzo, Sur la donation de Constantin, à lui faussement attribuée et mensongère. éd. Des Belles Lettres, trad. Giard, 1993.

· Vidal-Naquet, P. , Les assassins de la mémoire, recueil d'essais, La Découverte, 1987.

· Werber, M., L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociale, trad. Julien Freund, Plon, 1904

Mémoires universitaires:

· Durand, E., La liberté d'expression et le discours raciste, xénophobe et négationniste. Étude comparée: États-Unis, France, Allemagne, Autriche, Danemark,

85

Cour Européenne des Droits de l'Homme, mémoire de Master II, année 2005-2006, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

· Pech, L., La Liberté d'expression et sa limitation, Thèse de doctorat de droit, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, 2001

· Pech, L., La liberté d'expression et le discours raciste, xénophobe ou révisionniste aux États-Unis et en France, Mémoire de D.E.A. de Droit Public, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, 1998

· Vivant, C., « L'historien saisi par le droit. Contribution à l'étude des droits de l'histoire », thèse de doctorat en droit, Université de Montpellier I, Dalloz, 2007

Rapports officiels:

· Accoyer, B. (président - rapporteur), Rapport d'information de la Mission d'information sur les questions mémorielles de l'Assemblée nationale française, enregistré le 18 novembre 2008

· Kaspi, A. (président), Rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques du Secrétariat d'État à la Défense et aux Anciens Combattants, novembre 2008

· Youth and history. A comparative European Survey on Historical Consciousness and Political attitudes among Adolescents , edited by M. Angvik & B. von Borries, 1997, Denmark

· Global Anti-Semitism Review Act, Public Law 108-332, 118 Stat. 1282, 16 octobre 2004, United-States

Articles:

· « Appel de Blois », Le Monde, 11 octobre 2008.

· « Liberté pour l'histoire », 19 signataires, Libération, 12 décembre 2005.

· Ahonen, S., « Programmes postcommunistes d 'enseignement de l'histoire: les cas de

86

l'Estonie et de l'Allemagne de l'Est », Les détournements de l'histoire, rapport général du symposium « Face aux détournements de l'histoire » organisé par le Conseil de la coopération culturelle du Conseil de l'Europe du 28 au 30 juin 1999, Editions du Conseil de l'Europe.

· Asensi, Fr., « Contexte d'élaboration de la loi du 13 juillet 1990 » , La lutte contre le négationnisme. Bilan et perspective de la loi du 13 juillet 1990, actes du colloque du 5 juillet 2002 à la cour d'appel de Paris, La documentation française.

· Barcellini, S., « Du droit au souvenir au devoir de mémoire », Les Cahiers français, n°303: « La mémoire entre histoire et politique », juillet-août 2001.

· Baruch, M. O., « Archives, mémoire nationale et politique de l'Etat » , Les Cahiers français, n°303.

· Charles, Ch, «Être historien en France, une nouvelle profession? », L'Histoire et le métier d'historien en France, 1945-1995, sous la direction de François Bédarida, ed. de la Maison des sciences de l'homme, 1995.

· Cohen-Jonathan, G., « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et la position du Comité des droits de l'homme des Nations unies », La lutte contre le négationnisme, La documentation française.

· Daniel, J., « Ouvriers du passé », Le Nouvel Observateur, Hors-série n°70: « L'histoire en procès », Octobre-novembre 2008.

· Dosse, F., « Paul Ricoeur: entre mémoire, histoire et oubli », Les Cahiers français, n°303.

· Duclert, V., « La bataille des archives », Le Nouvel Observateur, Hors-série n°70.

· Delmas, B., « De nouveaux espaces pour la recherche : la nouvelle loi sur les archives », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N° 5, mai-août 2008

· Entretient avec Françoise Chandernagor, L'Histoire, n° 306, février 2006.

· Ferro, M., « Tentation et peur de l'histoire », Manière de voir, n°26: « Leçons d'histoire », publication du Monde diplomatique, mai 1995.

· Florenne, Y., article de présentation du livre Le phénomène « nouvelle histoire », d'Hérvé Couteau-Bégarie, Manière de voir, n°26.

·

87

Fresco, N., « Nouveaux visages du vieil antisémitisme », La lutte contre le négationnisme, La documentation française.

· Garcia, P., « Exercices de mémoire ? Les pratiques commémoratives dans la France contemporaine », Les Cahiers français, n°303.

· Gauchet, M., « L 'inexistencialisme », Débat, n°1, mai 1980.

· Iggers, G.,« L 'historiographie au XXème siècle », Détournements de l'histoire.

· Jensen, B. E., « L'histoire à l'école et dans la société en général: propos sur l'historicité de l'enseignement de cette discipline », Détournements de l'histoire.

· Julliard, J., « L'avenir de l'histoire », Nouvel Observateur, hors-série n°70, octobre-novembre 2008.

· Koulouri, Ch., « Les Deux faces de la discrimination dans l 'enseignement de l'histoire: discriminants et discriminés à la fois », Détournements de l'histoire.

· Lacoste, P., « Avec nous. Des commémorations », L'inactuel, n°1, Etats de mémoire, automne 1998.

· Lavabre, M.-C., « Peut-on agir sur la mémoire », Les Cahiers français, n°303.

· Lepetit, B., « L'histoire prend-elle les acteurs au sérieux? », EspaceTemps, 1995.

· Möller, H., « Mémoire(s), histoire, identité », Regards croisés sur le 20e siècle, « Apprendre et enseigner l'Europe du 20ème siècle », Conférence finale de Bonn, Allemagne, Editions du Conseil de l'Europe, Mars 2001.

· Moreau Defarges, Ph. « Le temps de la repentance », Les Cahiers français, n°303.

· Morin, G., « La nouvelle loi sur les archives », Histoire@Politique. Politique,

culture, société, N° 5, mai-août 2008.

· Nora P. « La politisation de l'histoire », Le Nouvel Observateur, Hors-série n°70.

· Nora, P., « Liberté pour l'histoire », Le Monde, 11 octobre 2008, p. 21.

· Revel, J., « Le tribunal de l'opinion », Le Nouvel Observateur, Hors-série n°70.

· Revel, J.,« La micro histoire », Sciences humaines, hors-série n°18, septembre-octobre 1997.

· Ruano-Borbalan, J.-C. « Enjeux et débats », Sciences humaines, hors-série n°18.

· Sahlins, M., « Review of books » New Yorker, 22 mars 1979.

·

88

Svein Stugu, O., « Histoire et identité nationale en Norvège », Détournements de l'histoire.

· Todorov, T., « La vocation de la mémoire », Les Cahiers français, n°303

· Valdès-Boulouque, M., « Les législations en vigueur en Europe », La lutte contre le négationnisme, La documentation française.

· Vijil, J., « Elaboration des programmes scolaires et pouvoir socio-politique », Recherche & Education , Comparer, 2008 (article en ligne).

· Wirth, L., « Face aux détournements de l'histoire », Détournements de

l'histoires.

89

ANNEXE 2/

LA RÉDUCTION DES DÉLAIS DE COMMUNICATION D'ARCHIVES PAR LA LOI

FRANÇAISE DE JUILLET 2008

Nature des documents

Délai
actuel

Proposé par le projet de loi initial

Sénat en première lecture

Retenu par

l'Assemblée nationale

Délibérations du

Gouvernement et relations internationales

30 ans

25 ans

id.

id.

Sûreté nationale ou secret de la défense nationale

60 ans

50 ans

id.

id.

90

Vie privée

60 ans

50 ans

75 ans

50 ans

Actes des notaires

100 ans

50 ans

75 ans

id.

Archives des juridictions

100 ans

50 ans

75 ans

id.

Registres de naissance de l'état civil

100 ans

100 ans

75 ans

id.

Registres de mariage de l'état civil

100 ans

50 ans

75 ans

id.

Renseignements sur la vie privée collectés dans le cadre d'enquêtes statistiques

100 ans

50 ans

75 ans

id.

Questionnaires de recensement de la population

100 ans

50 ans

100 ans

75 ans

Documents concernant des personnes mineures ou des agressions sexuelles

Pas de délai spécifique

Pas de délai spécifique

100 ans

id.

Dossiers de personnels

120 ans

50 ans

75 ans

id.

Secret médical

150 ans

120 ans (ou 25 ans à compter du décès)

id.

id.

Autres documents

30 ans

Communication immédiate

id.

id.

Documents relatifs à la sécurité des personnes et concernant la défense nationale

Pas de délai spécifique

Incommunicabilité absolue

id.

100 ans

Documents permettant la fabrication d'armes de destruction massive

Pas de délai spécifique

Incommunicabilité absolue

id.

id.

Source:

Gilles Morin, « La nouvelle loi sur les archives », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N° 5, mai-août 2008.






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote