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La responsabilité de protéger au regard de la crise libyenne

( Télécharger le fichier original )
par Hippolyte LUABEYA Pacifique
Université de Kinshasa RDC - Licence 2010
  

Disponible en mode multipage

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EPIGRAPHE

« (...) Les Etats souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres citoyens
contre les catastrophes qu'il est possible de prévenir (meurtres à grande échelle, viols
systématiques, famines). S'ils ne sont pas capables, cette responsabilité doit être
assumée par l'ensemble de la communauté des Etats ».

CIISE, « La responsabilité de protéger », Ottawa, Centre de recherche pour le développement international,

décembre 2001, p.VIII

II

DEDICACE

« A nos parents : Godefroy Stanislas TSHIMANGA wa MUNTUABO LUABEYA et Louise MUKONKOLE SAPU, pour des sacrifices consentis en vue de notre éducation et notre instruction ;

A nos grands-pères paternel et maternel qui n'ont pu voir ce jour mémorable : Hippolyte MUNTUABO LUABEYA et Jacques NSAPU NKISHI ».

LVABE%A Pacifique glippo(yte

iii

REMERCIEMENTS

Le travail que nous présentons est la cristallisation de nos efforts et du bagage que nous avons acquis depuis notre jeun âge jusqu'à ce stade. Il n'est cependant pas le fruit d'une seule action mais d'une synergie de plusieurs forces, ayant concouru à sa réalisation, à qui nous adressons nos sincères remerciements.

De prime abord, rendrons grâce à Dieu Tout Puissant de qui nous recevons le souffle de vie, la force et l'intelligence pour la réalisation de nos projets dont ce travail.

Nos remerciements s'adressent en deuxième lieu à Monsieur le Professeur MAZYAMBO MAKENGO KISALA André qui a accepté volontiers de diriger ce travail dans un esprit d'ouverture et de rigueur soutenue et, à travers lui, tout le corps professoral de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa pour la formation solide dont nous avons bénéficié.

Il nous paraît important d'adresser aussi nos remerciements à Monsieur le Professeur Daniel TURP, Professeur à l'Université de Montréal au Canada pour ses conseils et pour ses encouragements.

En troisième lieu, nous ne saurons manquer de remercier Monsieur l'Assistant KABAMBA Valéry, le rapporteur de ce travail, pour son implication dans sa réalisation.

Enfin, nos remerciements s'adressent à nos parents, TSHIMANGA wa MUNTUABO LUABEYA Godefroy Stanislas et MUKONKOLE SAPU Louise, qui nous ont soutenus spirituellement, matériellement et moralement. Ils n'ont cessé de nous encourager durant notre parcours scolaire et académique.

Culture

URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques

iv

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS

§ : Paragraphe

CEDH : Cour européenne des droits de l'homme

CICR : Comité international de la Croix-Rouge

CIISE : Commission internationale de l'Intervention et de la Souveraineté des

Etats

CIJ : Cour internationale de Justice

CNT : Conseil national de Transition

CPI : Cour pénale internationale

CPJI : Cour permanente de Justice internationale

D.I.H : Droit international humanitaire

IFOR : Force multinationale de mise en oeuvre de la paix

KFOR : Force du Kosovo

MDM : Médecin du Monde

MINUK : Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo

MSF : Médecin Sans Frontière

OMS : Organisation mondiale de la Santé

ONG : Organisation Non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations unies

ONUSOM : Opération des Nations unies en Somalie

OSCE : Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe

OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

Rec. : Recueil

RSF : Forces de Sécurité républicaines

TPI : Tribunal pénal international

UE : Union européenne

UEO : Union de l'Europe occidentale

UNESCO : Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la

1

00. INTRODUCTION GENERALE

01. PROBLEMATIQUE

L'histoire renseigne que dans les relations internationales, l'idée d'aller dans un pays étranger pour y « aider » la population en détresse est ancienne. Au XIXe siècle, on parlait alors « d'intervention d'humanité ». C'est par ce terme que les Européens qualifiaient leurs actions pour aller, officiellement, sauver les chrétiens vivants en Turquie, mais officieusement, pour déstabiliser le Sultan de Turquie, Abdülhamid II. Au nom de cette « intervention d'humanité », des « atrocités » furent commises1.

Dans son ouvrage, De jure belli ac pacis, Grotius y faisait mention et Vattel affirmait que « toute puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande son assistance ». C'est sur cette base que s'est développée au XIXè siècle la doctrine de l'intervention d'humanité, en vertu de laquelle un droit d'intervention unilatérale existe lorsqu'un gouvernement viole sur son territoire les droits de l'humanité par des excès de cruauté et d'injustice envers sa propre population2.

Mais dès son avènement en 1945, l'Organisation des Nations Unies s'est construite sur le principe sacro-saint de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats tel que mentionné à l'article 2, paragraphe 7 de sa charte constitutive et à la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970. Ce principe est affirmé traditionnellement par le droit international public général. Il constitue l'expression de la souveraineté étatique. Il est au centre de la théorie du domaine réservé de l'Etat3.

1ROUGIER Antoine, « La théorie de l'intervention d'humanité », in Revue générale de droit international public, t. XVII (1910), page 468 et suivantes.

2 GROTIUS Hugo cité par ROUGIER Antoine, « La théorie de l'intervention d'humanité », in Revue générale de droit international public, t. XVII (1910), p.468. Précisons que dans son ouvrage De iure belli ac pacis (1625), Hugo GROTIUS avait déjà abordé la possibilité d'intervenir dans le cas où un tyran commettrait des actes abominables.

3 BELANGER Michel, Droit international humanitaire, Mémentos, Paris, Gualino, 2002, p.85

2

L'ONU n'a jamais voulu consacrer un principe contraire à celui-ci. Par conséquent, ce principe sera au coeur du droit international et va guider les relations internationales jusqu'au stade actuel.

Ce postulat établit que l'Etat est seul maître sur son territoire. Dans ce sens, aucune intervention, quelle que soit sa nature, d'une tierce personne sur son territoire n'est admissible sans son consentement préalable. Le principe de non-ingérence touche, en effet, de près à la question du respect des droits de l'homme4.

C'est ainsi que les Etats ont cherché à apporter des limites à l'application de ce principe en recourant aux notions telles que l'intervention d'humanité, l'intervention humanitaire et le droit d'ingérence humanitaire.

Au demeurant, l'idée d'ingérence humanitaire est apparue durant la Guerre du Biafra (1967-1970), conflit ayant entraîné une épouvantable famine, largement couverte par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d'États et de gouvernement au nom de la neutralité et, du sacro-saint principe de non-ingérence. Ce conflit a entraîné la mort de un à deux millions de personnes, selon les estimations5.

Les atrocités vécues dans cette guerre et les graves violations des droits de l'homme y perpétrées ont permis d'aboutir à des mécanismes pour y remédier. C'est ainsi que la doctrine a théorisé certains principes qui mettaient l'homme au centre de toutes les actions politiques des Etats et cette dernière est allée plus loin en créant même des Organisations Non Gouvernementales ayant pour but de porter secours aux populations en guerre en l'occurrence Médecins sans frontière.

4DOR Virgine, De l'ingérence humanitaire à l'intervention préventive. Vers une remise en cause des principes du droit international, Mémoire, Institut européen des hautes études internationales. Diplôme européen des hautes études internationales, 2002-2003, p.11

5GUISNEL Jean, « Derrière la guerre du Biafra, la France », in Histoire secrète de la Ve République (sous la direction de FALIGOT Roger et GUISNEL Jean), La Découverte, 2006, 2007, pp. 147-154.

3

C'est partant de cette situation que l'on a abouti à la théorie d'ingérence humanitaire. Le concept a été théorisé à la fin des années 1980, notamment par le professeur de droit Mario BETTATI et l'homme politique Bernard KOUCHNER. Ces derniers ont alors parlé d'un droit d'ingérence humanitaire.

Ce concept encourageait et justifiait le recours à la force internationale prévu dans le cadre des Nations Unies pour protéger les populations menacées à l'intérieur de leurs propres frontières. Les Etats ont depuis lors tenté de justifier leurs interventions armées dans les affaires intérieures des autres Etats par des motifs nobles tels que la défense des droits de l'homme, la défense des minorités, celle de leurs ressortissants expatriés ou d'autres motifs d'humanité6.

Mais le constat malheureux qui a été fait est qu'il y avait une utilisation abusive de ladite théorie. Plusieurs abus d'intervention ont alors été enregistrés au point qu'on assista même aux interventions non coordonnées.

Ainsi, pour arriver à favoriser une meilleure compréhension de la difficulté de concilier l'intervention à des fins de protection humaine et la souveraineté7, il a été créé en septembre 2000 par le Gouvernement canadien, répondant à l'exhortation du Secrétaire Général de l'ONU, la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE). Cette dernière, pour satisfaire au mandat qui lui a été attribué, va élaborer un rapport intitulé la « Responsabilité de protéger ».

Par ailleurs, il y a lieu de mentionner que ce rapport a été élaboré à la suite de certains travaux des Nations Unies tels que le rapport mondial sur le développement humain, le rapport Brahimi, etc. Le terme responsabilité de protéger deviendra depuis lors un principe parmi tant d'autres en droit international.

6 BOUCHET-SAULINER Françoise, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Paris, Edition La Découverte, 2006, p.310

7 CIISE, « La responsabilité de protéger », Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, décembre 2001, p.2

8 CIISE, Op-cit, p.VIII

4

La question s'était posée en ces termes : « lorsqu'il s'agit de protéger les personnes physiques par celui-là même qui en a la charge (l'Etat) et que ces personnes sont exposées à des graves violations de leurs droits, si l'Etat est défaillant, faut-il croiser les bras ? Tel est le problème de la responsabilité de protéger. Ce principe pose le problème d'intervention humanitaire.

En réponse à cet appel, l'ONU a admis que les Etats souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres citoyens contre les catastrophes qu'il est possible de prévenir (meurtres à grande échelle, viols systématiques, famine). S'ils ne sont pas disposés à le faire ou n'en sont pas capables, cette responsabilité doit être assumée par l'ensemble de la communauté des Etats8.

Ce principe a connu son application dans la crise libyenne. Tout a commencé le 15 février 2011 lorsque les premières manifestations ont eu lieu en Libye. Ces manifestations ont connu une forte répression de la part du gouvernement du colonel Mu'ammar Kadhafi. Elles ont eu lieu à l'occasion du procès de prisonniers morts en détention. Leurs mères se sont rassemblées devant le tribunal. Dans la soirée, elles sont rejointes par les avocats protestant contre l'arrestation de leur collègue, Fathi Tirbil qui défendait les prisonniers morts lors du massacre d'Abou Salim.

Le 21 février 2011, Human Rights Watch publie un bilan provisoire faisant état de 233 morts, auxquels il ajoute deux jours plus tard 62 tués à Tripoli, ce qui porte le bilan à un minimum de 295 morts. Selon la Coalition internationale contre les criminels de guerre (ICAWC, International Coalition Against War Criminals), le bilan est au matin du 22 février 2011 de 519 morts, 3 980 blessés et au moins 1 500 disparus. Alors que le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini estime que le bilan de plus de 1 000 civils tués est crédible, le régime de Kadhafi publie le soir du 23 février 2011 un bilan de 300 morts, dont 58 militaires, chiffre qui concorde avec le bilan de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) publié le matin, qui estimait le nombre de victimes entre 300 et 400.

5

Selon la Ligue libyenne des droits de l'Homme, fondée par le propre fils de Kadhafi, Saif al islam, il y aurait eu depuis le soulèvement 6 000 morts, dont 3 000 dans la seule ville de Tripoli, 2 000 à Benghazi, et 1 000 dans d'autres villes.

Face à cette situation tragique de la population libyenne que le Conseil de Sécurité des Nations Unies va prendre deux résolutions (une première le 26 février 2011 : résolution 1970 et une seconde le 17 mars 2011 : résolution 1973) dans lesquelles il rappelle que les autorités libyennes ont la responsabilité de protéger le peuple libyen. La résolution 1973 est d'ailleurs allée plus loin jusqu'à autoriser une intervention militaire en Libye.

L'autorisation par le Conseil de Sécurité de l'usage de la force dans le contexte de la crise libyenne pose un certain nombre de question : qu'est-ce que la responsabilité de protéger ?; comment ce principe a-t-il vu le jour en droit international?; quel est son contenu exact ?; dans quelles conditions peut-il être invoqué contre un pouvoir établi ?; l'intervention de l'OTAN en Libye est-elle restée dans les limites de la responsabilité de protéger ?

C'est à ces questions que nous tenterons de répondre dans cette

étude.

02. HYPOTHESE DE L'ETUDE

Le point de départ de cette étude est de considérer qu'au stade actuel du développement du droit international et de l'émergence de la responsabilité de protéger, l'Etat moderne se voit imposer certaines obligations qui mettent l'individu au centre de tout.

Ainsi donc, si telle est la nouvelle façon de concevoir le droit international, les Nations Unies étaient en droit d'autoriser l'usage de la force en Libye pour protéger le peuple libyen dont la vie était en danger parce que le régime Kadhafi avait failli à la mission de protéger ce peuple.

9 DESCARTES René cité par RUSS Jacqueline, Dictionnaire de philosophie : les concepts, les philosophes, 1850 citation, Paris, Bordas, 1991, p.178

6

3. INTERET DU SUJET

L'intérêt de cette étude est évident. En effet, au cours de cette décennie, plusieurs interventions militaires ou non militaires ont été perpétrées par certains Etats sur les territoires d'autres Etats sans pour autant que leur bien fondé soit clairement établi. Toutes ont été entreprises sous la casquette de porter secours aux populations victimes de la défaillance de protection de la part de leur Etat. C'est ainsi que cette étude pourrait contribuer, sur le plan théorique, à une meilleure compréhension du contenu et des contours du principe de la « responsabilité de protéger ».

Sur le plan pratique, l'application de ce principe au cas choisi dans le cadre de cette étude permettra de comprendre comment ce principe émerge du fait de son utilisation par l'ONU et ses Etats membres pour arriver à protéger les populations victimes des exactions de leur gouvernement notamment en Libye. Ainsi, l'étude consacrée audit principe permettra à ses acteurs ou à ceux qui sont habilités à le mettre en oeuvre d'y recourir à bon escient afin d'éviter de le détourner de son objectif principal qu'est la protection des individus.

4. METHODES DE RECHERCHE

Par méthode, René DESCARTES entend les règles certaines et faciles, grâce auxquelles tous ceux qui les observent exactement ne supposeront jamais vrai ce qui est faux, et parviendront, sans se fatiguer en efforts inutiles mais en accroissant progressivement leur science, à la connaissance vraie de tout ce qu'ils peuvent atteindre9.

En droit international, il existe une diversité des méthodes scientifiques qui s'explique essentiellement par la diversité des approches possibles du

7

droit international10. Ainsi, dans le cadre de ce travail, le choix sera porté sur la dogmatique juridique et sur la sociologie du droit.

La dogmatique juridique vise à exposer l'état du droit tel qu'il existe et à en déterminer le contenu. Il s'agit donc d'établir et d'interpréter une règle juridique, non de l'évaluer ou de la critiquer11. Elle a été choisie parce qu'elle sera utilisée pour arriver à déterminer le contenu du principe de la responsabilité de protéger à partir de la prise en compte des sources formelles du droit international positif et d'en préciser les contours.

Le droit étant décrit « soit par un de ses traits formels, soit par un fait social qui l'explique, soit encore par une vision idéale de sa finalité »12, la sociologie du droit, quant à elle, a été choisie parce qu'elle permettra de confronter ce principe à la réalité sociale existante. Elle permettra, en effet, d'examiner le contexte politique qui explique l'émergence de la responsabilité de protéger. Cette approche va conduire à expliquer pourquoi ce principe est d'application au détriment de ses prédécesseurs.

Ainsi, dans le cadre de ce travail, il sera question d'étudier les rapports entre le droit et la société, dans le seul but d'interpréter le principe susévoqué en droit positif. De ce point de vue, la dogmatique juridique est la discipline maîtresse, la sociologie du droit n'étant utilisée que de manière accessoire.

Il convient, en outre, de préciser qu'une méthode est aussi définie par rapport au courant théorique qui inspire la pensée de l'auteur concerné13. Autrement dit, toute étude repose non seulement sur le choix d'une science de référence, mais aussi sur certains postulats théoriques qui, sans être nécessairement

10CORTEN Olivier, Méthodologie du droit international public, Bruxelles, Edition de l'université de Bruxelles, 2009, p. 19

11 CORTEN Olivier, Op-cit, p.23

12 BERGEL Jean-Louis, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p.29

13 CORTEN Olivier, Op-cit, p.20

8

explicités, sont pourtant sous-jacents à l'ensemble du raisonnement scientifique14. Concernant ce travail, seul le clivage théorique opposant le volontarisme à l'objectivisme sera déterminant pour le choix du courant devant le guider.

Face à ce clivage, le choix sera porté sur une approche volontariste laquelle viendra expliquer pourquoi le principe de la responsabilité de protéger a été accepté par les Etats. Il s'agira d'établir et d'interpréter ce principe en se fondant sur la volonté des Etats tout en prenant en compte des sources formelles du droit international au sens strict.

05. PLAN SOMMAIRE

La présente étude comprend deux parties. La première partie sera consacrée à l'examen de l'émergence et de l'affirmation du principe de la responsabilité de protéger. Elle comprendra trois chapitres : le premier chapitre sera consacré à l'évolution du principe de non-ingérence à celui de la responsabilité de protéger, le deuxième à l'examen du contenu dudit principe et le troisième à l'examen de sa mise en oeuvre.

Et la seconde sera un examen de la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger pendant la crise libyenne. Elle comprend deux chapitres : le premier sera consacré à l'examen du conflit libyen et le second à l'analyse de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité dans le contexte de la crise libyenne.

14 Idem, p.45

9

Ière PARTIE : EMERGENCE ET AFFIRMATION DU
PRINCIPE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER

Le droit international se trouve être fondé sur certains principes qui invitent ses sujets à s'y conformer dans leur conduite. Ces principes ont évolué au cours des années. C'est la raison pour laquelle le droit international contemporain reconnaît actuellement certains principes qui n'ont pas existé dans le droit international classique notamment la responsabilité de protéger.

Ainsi, il sera question de montrer comment on a évolué du principe de non-ingérence à celui de la responsabilité de protéger (chapitre I). Ensuite, il sera question d'analyser le contenu du principe de la responsabilité de protéger (Chapitre II) et de la manière dont on peut arriver à le mettre en oeuvre (Chapitre III).

En tant que fondement du droit public classique, le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat est l'expression de la souveraineté

10

CHAPITRE I. DU PRINCIPE DE NON-INGERENCE A LA
RESPONSABILITE DE PROTEGER

Dans ce chapitre, nous nous attelons à l'analyse circonscrite du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat. La non-ingérence est un principe généralement admis en droit international contemporain. Mais les limites qu'il a démontré en certaines matières telles que celle relative aux droits de l'homme ont poussé les Etats à atténuer son application quand il faut mettre en oeuvre le principe de la responsabilité de protéger.

Ainsi dans ce chapitre, il sera question d'analyser l'affirmation du principe de non-ingérence dans le cadre onusien (Section 1), d'examiner les exceptions ou les atténuations audit principe (Section 2) et de montrer comment on est arrivé à la nouvelle approche qu'est la responsabilité de protéger (Section 3).

SECTION 1. AFFIRMATION DU PRINCIPE DE NON-INGÉRENCE

La non-ingérence est un principe sacro-saint consacré et reconnu par les Nations Unies, et faisant ainsi l'objet d'une consécration dans plusieurs instruments juridiques internationaux. Elle est affirmée dans la Charte des Nations Unies et dans la résolution 2625 (XXV) du 24 Octobre 1970 sur les relations amicales entre les Etats (§1). Puisqu'en lui-même, ce principe renferme un conflit que d'aucuns qualifient d'intrinsèque, il semble important de l'analyser pour enrichir cette étude afin d'en savoir plus (§2).

§1. Les prescrits de la Charte des Nations Unies et le troisième principe de la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970

A. Les prescrits de la Charte des Nations Unies

11

étatique. Pourrions-nous dire qu'il est au centre de la théorie du « domaine réservé » de l'Etat car le respect de l'intégrité territoriale en est une application notable15.

Le texte principal parmi tant des textes internationaux actuels qui continuent à l'énoncer est l'article 2 §7 de la Charte de l'ONU qui dispose : « Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement au terme de la présente Charte ; toutefois ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII ».

Ce principe constitue la base des relations internationales. Il cherche à préserver l'indépendance des Etats les plus faibles contre les interventions et les pressions des plus puissants16. Il impose aux tiers une stricte obligation d'abstention car celle-ci constitue la protection légale de l'Etat de l'immixtion de ces derniers17. Il constitue la conséquence nécessaire et directe des deux piliers du droit des relations internationales, le principe de souveraineté et celui de l'égalité des Etats qui en est l'indissociable conséquence18.

A ce sujet, Eric DAVID affirme que la souveraineté a pour corollaire le principe de non-intervention dans les affaires intérieures et le respect de l'intégrité territoriale par les autres Etats. Elle a aussi pour corollaire l'obligation de veiller à ce que son propre territoire ne cause pas de dommage au territoire des autres Etats19.

Quant à lui, Joe VERHOEVEN souligne que la règle qui condamne l'intervention d'un Etat dans les affaires intérieures d'autrui compte sans

15 Voir BELANGER Michel, Op-cit, p.85

16 BOUCHET-SAULNIER Françoise, Op-cit, p.309

17 COMBACAU Jean et SUR Serge, Droit international public, Paris, Montchrestien, 1993, p.254 ;lire dans le même sens RUZIE David, Droit international public, 16ème édition, Paris, Dalloz, 2002, p.92 ; RUZIE David, Droit international public, 18ème édition, Paris, Dalloz, 2006, p.77

18 NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Allain, Droit international public, 8ème édition, Paris, LGDJ, 2009, p.486

19 DAVID Eric, Droit des gens, 16ème édition, Tome II, Bruxelles, PUB, 2000, p. 245

12

doute parmi celles qui sont le plus souvent évoquées. L'auteur renchérit en affirmant que si fréquent que soit son rappel, il demeure difficile de s'entendre sur le contenu précis de la règle de non-intervention. Il se comprend, d'après le même auteur, que celle-ci soit parfaitement superflue si elle se contente d'interdire des actes ou comportements qui font l'objet de prohibition spécifiques en droit international20.

Le principe de non-ingérence renforce l'obligation faite aux Etats de s'abstenir de toute atteinte aux frontières et au territoire étatique en excluant toute intervention ou ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat. C'est un principe incontesté qui fait partie du droit international coutumier21.

En effet, la valeur coutumière de ce principe a été reconnue par la C.I.J dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci où la Cour a dit : « Le principe de non-intervention met en jeu le droit de tout Etat souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure ; bien que les exemples d'atteinte au principe ne soient pas rares, la Cour estime qu'il fait partie intégrante du droit international coutumier »22.

A ce titre, la Cour internationale de Justice a condamné l'intervention en des termes énergiques lorsqu'elle indique qu'elle l'envisage « comme une manifestation d'une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait trouver aucune place dans le droit international »23.

Elle va réitérer sa position en des termes identiques lorsqu'elle précise que « le principe interdit à tout Etat ou groupe d'Etats d'intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat. L'intervention est interdite dès lors qu'elle porte sur des matières à propos

20 VERHOEVEN Joe, Droit international public, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2000, p.144

21 TABRIZI SALAH Ben, Institutions internationales, Paris, Armand Colin, 2005, p.32

22 C.I.J, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Etats-Unis c. Nicaragua), Arrêt du 27 juin 1986, Rec.1986, 14, §202

23 C.IJ., Affaire du détroit de Corfou, Albanie contre Royaume-Uni, Arrêt du 9 avril 1949, Rec. 1949, p.35

13

desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d'entre eux de se décider librement. Il en est ainsi du choix du système politique, social et culturel et de la formulation des relations extérieures »24.

De l'analyse de ce qui vient d'être dit, il ressort que l'interdiction faite par la Charte des Nations Unies de s'immiscer dans les affaires intérieures d'un Etat concerne les Organisations internationales. Mais quel serait alors le fondement d'une telle obligation pour les Etats?

B. La résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970

Outre la Charte des Nations Unies, le troisième principe de la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats (résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 sur les relations amicales entre les Etats) retient le devoir de ne pas intervenir dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un Etat25.

En effet, la résolution 2625 (XXV) énonce dans ses principes que : "Tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force pour violer les frontières existantes d'un autre Etat ...ou pour violer les lignes internationales de démarcation". Ainsi, la résolution écarte l'argumentation de la tendance doctrinale, selon laquelle une intervention armée humanitaire est permise à partir du moment où elle n'entraîne pas une appropriation territoriale. De cette manière, la résolution interdit non seulement toute violation de l'intégrité territoriale, mais aussi toute violation de la souveraineté territoriale26.

D'autre part, le texte de la résolution interdit tout recours à la force armée ou non armée pour quelque raison que ce soit. Par conséquent, même le recours à la force pour des raisons humanitaires est prohibé. Enfin, le même texte

24C.I.J, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Etats-Unis c. Nicaragua), Arrêt du 7 juin 1986, Rec.1986.

25 Lire NGUYEN QUOC Dinh, Op-cit, p.486 ; COMBACAU Jean et SUR Serge, Op-cit, p.253 ; BELANGER Michel, Op-cit, p.85 ; TABRIZI SALAH Ben, Op-cit, p.33

26 Lire dans ce même sens TABRIZI SALAH Ben, Op-cit, p.32

14

prévoit que les Etats doivent régler leurs différends en utilisant des moyens pacifiques en excluant tout recours à la force. Il y a lieu d'affirmer que même la violation massive des droits de la personne constitue un différend qui doit être régler par des moyens pacifiques et en aucun cas par une intervention militaire27.

Cette résolution condamne l'intervention dans les affaires intérieures ou extérieures d'un Etat en précisant qu'il ne s'agit pas « seulement de l'intervention armée, mais aussi de toute autre forme d'ingérence ou de menace, dirigée contre la personnalité d'un Etat ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels »28.

Puissions-nous relever ici que l'organe le plus représentatif de l'ONU a eu à condamner, plus d'une fois, dans des résolutions29 l'intervention dans les affaires intérieures des Etats et a affirmé la protection de leurs indépendances et de leurs souverainetés.

Ainsi, conclut-on qu'à la charge des Etats, le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat trouve son fondement dans la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 sur les relations amicales entre les Etats et à celle des organisations internationales, il trouve son fondement dans la Charte des Nations Unies, plus précisément dans son article 2 §7.

Il convient, enfin, de préciser que, comme l'ont si bien souligné Patrick DAILLER, Mathias FORTEAU et Alain PELLET, ce principe n'a pas une portée absolue30. Car elle trouve des limites lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies fait application du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Autrement dit, le droit international ne reconnaît qu'un seul droit d'ingérence dans les affaires

27 Idem

28 Ibid., p.33

29 Résolution 2131(xx) de l'Assemblée générale de l'ONU du 21 décembre 1965 sur l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des Etats et la protection de leurs indépendances et de leurs souverainetés ainsi que la résolution n°36/103 du 9 décembre 1981 de l'Assemblée générale relative à l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats.

30 NGUYEN QUOC Dinh, Op-cit, p.487

15

intérieures des Etats. Il est prévu et limité par la Charte des Nations à son Chapitre VII. Ce droit est confié au Conseil de Sécurité quand le comportement d'un Etat constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales. Le Conseil de Sécurité peut alors prendre toute une série de mesures y compris des sanctions diplomatiques, économiques. Il peut aussi employer la force et décider d'une intervention armée internationale pour faire cesser le comportement du pays en question31.

En somme, le principe de non ingérence étant un principe bien établi, son respect est une obligation aussi bien pour les Etats que pour les organisations internationales32.

§2. Conflit inhérent au principe

Il a été précédemment dit que le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat constitue la conséquence nécessaire et directe des deux piliers du droit des relations internationales, le principe de souveraineté et celui de l'égalité des Etats qui en est l'indissociable conséquence. Mais, il faudrait aussi avoir à l'esprit que l'application de ce principe ne doit pas favoriser la violation d'autres principes, parfois même jugés supérieurs notamment les principes de la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne.

Visant des matières dont la réglementation dépend exclusivement du droit national de l'Etat en cause, la règle de non-intervention a perdu aujourd'hui une bonne part de son intérêt, car il en est peu qui ne soient plus, d'une manière ou d'une autre, « internationalisées », comme en témoigne par exemple le formidable développement contemporain des droits de la personne33.

Cette conception se justifie par le fait que les peuples sont titulaires originels de la souveraineté, et que de ce fait, il y a lieu de redéfinir le

31 BOUCHET-SAULNIER Françoise, Op-cit, p.309

32 SALMON Jean (dir.), Dictionnaire du droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.579 ; TABRIZI SALAH Ben, Op-cit, p.32

33 VERHOEVEN Joe, Op-cit, p.145

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concept de souveraineté qui découle de la théorie selon laquelle l'Etat n'est plus qu'une simple fiction juridique qui ne peut être réifié, surtout dans un monde où l'on assiste à la fin de son « tout politique »34.

Pendant plusieurs années, les Etats et les forces politiques focalisent leurs discours vers les libertés et sont critiques à l'égard de la dictature et du totalitarisme35. Ainsi, le principe de non-ingérence a représenté une sorte de mur entre les agissements d'un Etat, contraires au respect des droits de l'Homme, et le droit de regard des autres Etats. Pendant la décolonisation, la non-ingérence a souvent été invoquée par les métropoles pour s'opposer à toute intervention des Nations Unies ou d'un Etat tiers dans les efforts d'autodétermination de leurs colonies36.

La certitude est que les droits fondamentaux de la personne méritent qu'on les fasse respecter, dans son propre Etat et même dans un autre. C'est ainsi que pour trouver une issue à ce conflit, certains doctrinaires tels que Mario BETTATI ou Bernard KOUCHNER ont pensé à atténuer le principe de non-ingérence en y opposant des exceptions.

SECTION 2. EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE NON-INGERENCE

Puisqu'il est clair que la règle de non-ingérence a perdu une très grande part de son intérêt, pour en respecter l'esprit, il semble qu'il faille aujourd'hui la comprendre différemment37.

Ainsi, les exceptions trouvées par les auteurs38 pour atténuer ce principe sont l'intervention d'humanité, l'intervention humanitaire et le droit

34SKOLNIKOFF (E), BREZINSKI (Z) et BASIUK, cités par TSHILUMBAYI MUSAWU Jean-Claude, De l'obligation de non-ingérence à l'ingérence droit/devoir et/ou morale d'extrême urgence d'assistance humanitaire, Mémoire de diplôme d'études approfondies en droit public international, Faculté des sciences sociales, administratives et politiques, Département des relations internationales, UNIKIN, 2006-2008, p.3

35 CHARVIN Robert et SUEUR Jean-Jacques, Droits de l'homme et libertés de la personne, 2ème édition, Paris, Litec, 1997, p.4

36 BETTATI Mario et BASTID Suzanne cités par DOR Virgine, De l'ingérence humanitaire à l'intervention préventive. Vers une remise en cause des principes du droit international, Mémoire, Institut européen des hautes études internationales. Diplôme européen des hautes études internationales, 2002-2003, p.13

37 VERHOEVEN Joe, Op-cit, p.145

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d'ingérence humanitaire (§1). En d'autres termes, ces auteurs ont voulu insérer la notion d'ingérence en droit international. Ce qui fait qu'il faudra aussi analyser le régime juridique de la notion d'ingérence, s'il en existe (§2).

§1. Intervention d'humanité, intervention humanitaire et droit d'ingérence

La doctrine a depuis toujours, si pas développé, mais classifié les exceptions au principe de non-ingérence. Les uns ont parlé de l'intervention d'humanité ; d'autres de l'intervention humanitaire ; et d'autres encore du droit d'ingérence humanitaire.

A. Intervention d'humanité

L'expression d' « intervention d'humanité » a, semble-t-il, été inventée par Léon Bourgeois. On parle parfois également de « protection d'humanité » ou « d'autoprotection ». Une véritable théorie de l'«intervention d'humanité » a été formulée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, notamment grâce au belge Gustave Rolin-Jaequemyns39 et au Français Antoine Rougier (avec une étude publiée en 1910 dans la Revue générale de droit international public)40.

L' « intervention (armée) d'humanité » s'analyse aujourd'hui comme une action unilatérale étatique (un Etat ou un groupe d'Etats) pour la protection des nationaux de l'Etat ou des Etats intervenant à l'extérieur de leurs frontières. C'est une « ingérence soustractive »41.

38 Joe VERHOEVEN, par exemple, retient que dans sa formulation habituelle, la règle de non-ingérence est

néanmoins assortie de deux tempéraments. Le premier légitime l'intervention sollicitée. Celle-ci constitue en réalité une assistance dont la licéité paraît élémentaire au sein de la « communauté » des Etats, à la condition au moins que la demande d'aide ne soit pas entachée de nullité et qu'elle n'ait point pour objet de violer une règle de jus cogens. Le second concerne l'intervention dite d'humanité. La licéité de celle-ci demeure très controversée, en dépit de la manière d'enthousiasme que suscite aujourd'hui « l'ingérence humanitaire ». Elle ne semble cependant pas pouvoir être catégoriquement exclue. Lire VERHOEVEN Joe, Op-cit, p.146

39 Le fondateur de l'institut de droit international a publié en 1876 dans la Revue de droit international et de législation comparée une étude sur « le droit international et la phase actuelle de la question d'Orient », qui amorçait cette théorie

40 BELANGER Michel, Op-cit, p.87

41 BETTATI Mario, Op-cit, p.204

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La pratique de l' « intervention d'humanité » a en fait évolué. Au départ, elle peut être rapprochée de la pratique actuelle de l'ingérence humanitaire. Mais elle repose fondamentalement sur l'idée de la défense des intérêts des Etats intervenant, et s'est orientée d'ailleurs vers la protection des nationaux de ces Etats, qui résidaient dans des Etats tiers42. Ce sont d'ailleurs ça les principales critiques qui avaient été adressées à l'intervention d'humanité43.

B. Intervention humanitaire

L' « intervention humanitaire » peut être définie en droit international public moderne comme une action humanitaire entreprise, conduite ou acceptée par la communauté internationale en faveur d'une population dont les droits fondamentaux sont violés. Il s'agit d'une construction juridique, même si la dimension morale est sous-jacente44.

Certains auteurs pensent même que le principe d'intervention humanitaire est une extension de l'obligation d'assistance à une personne en danger. Ils soutiennent que si une personne se trouve dans une situation très difficile où sa survie est nettement menacée, il est de notre devoir moral de lui venir en aide. Pour eux, il s'agit d'un devoir impérieux. Cela n'est pas seulement louable, mais moralement requis, de manière obligatoire, de venir à son secours45.

Un obstacle majeur surgit lorsque le territoire de l'État demeure inaccessible à l'assistance humanitaire parce que des forces régulières ou irrégulières s'opposent au transit des secours. Peut-on alors faire usage de la force ? À partir de 1991, le Conseil de sécurité consacre une nouvelle lecture du chapitre VI puis du chapitre VII de la Charte. Ainsi, en 1992, une opération de maintien de la paix

42 BELANGER Michel, Op-cit, p.87

43 Lire dans ce même sens BOUSTANY Katia, « Intervention humanitaire et intervention d'humanité évolution ou mutation du droit international ? », in Revue québécoise de droit international, Vol 8 n° 1, 1993-94, p.111

44 BELANGER Michel, Op-cit, p.90

45 Sur cette thèse morale, voir NADEAU Christian, « Ingérence humanitaire et jus post bellum », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.54 ; NADEAU Christian, « Conséquentialisme et Responsabilité collective », in Archives de philosophie du droit, n°48, 2004, pp.239-252

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classique, sous casque bleu, l'Onusom I (Opération des Nations unies en Somalie)46 a été mise en place par le Conseil de sécurité avec pour tâche « d'assurer aux convois de secours des Nations Unies une escorte militaire suffisamment forte pour décourager les attaques » (résolution 751 du 24 avril). Mais cette opération demeure insuffisante et le Conseil de sécurité décide, en 1993, dans sa résolution 794, d'autoriser l'action de forces nationales. Sous le nom de Restore hope, la nouvelle opération se déploie parallèlement à l'élargissement du mandat de la force des Nations Unies, décidé par la résolution 814 le 26 mars 1993. Onusom II est la première opération autorisée à recourir à la force en vertu du chapitre VII de la Charte. Elle mobilise des forces nationales de plusieurs pays.

Il y a différents types d'interventions humanitaires : la protection des nationaux de l'Etat intervenant, la protection des nationaux de l'Etat où se situent l'intervention et la protection « mixte » (la protection des minorités entre dans ce cadre). La théorie de l' « intervention humanitaire » repose sur l'idée d'un droit de regard humanitaire. Elle envisage ce que l'on peut appeler une régulation humanitaire (comme on parle de régulation économique). La construction juridique de

l' « intervention humanitaire » établit une distinction entre : un droit général d'intervention humanitaire, dont les mécanismes principaux sont la saisine du Conseil de Sécurité (ou de l'Assemblée Générale) de l'ONU (avec l'article 35 §1 de la Charte de l'ONU), la saisine du Comité des Droits de l'Homme (dans le cadre de l'application du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966), ou encore la procédure de l'enquête sanitaire internationale selon le règlement sanitaire de l'OMS ; et un droit d'intervention humanitaire ad hoc, fondé sur l'article 51 de la Charte de l'ONU47.

Rappelons, à ce stade, que l'intervention humanitaire armée a toujours constitué un problème controversé en relations internationales. Elle est comprise comme l'action d'un Etat ou d'un groupe d'Etats cherchant à prévenir ou à

46 CORTEN Olivier et KLEIN Pierre, « L'autorisation de recourir à la force à des fins humanitaires : droit d'ingérence ou retour aux sources? », in 4 EJIL, 1993, p. 506

47 BELANGER Michel, Op-cit, p.90

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mettre un terme à des violations graves des droits de la personne et usant, pour ce faire, de mesures coercitives sans obtenir au préalable la permission de l'Etat sur le territoire duquel ces mesures sont employées. Est exclue, dans cette définition, une intervention qui serait engagée par un Etat en vue d'apporter un secours à des individus qui sont des co-auteurs48.

Ayant été généralement considérée comme contrevenant aux normes établies du droit international, la pratique de l'intervention humanitaire a été condamnée par la plupart d'Etats. Il a fallu attendre les bombardements de l'OTAN en République Fédérale de Yougoslavie pour que le débat sur la légitimité de l'intervention humanitaire s'enflamme49. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les rédacteurs de la Charte des Nations Unies en ont écarté explicitement la possibilité.

C. Existence d'un éventuel droit d'ingérence humanitaire

L'article 2 §4 de la Charte de l'ONU interdit le recours à l'emploi de la force « soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Certains auteurs ont alors conclu que la règle de l'interdiction du recours à la force ne pourrait pas concerner les interventions humanitaires.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Mario BETTATI a soutenu que d'après cette interprétation de l'article 2 §4 de la Charte, certains recours à la force sont permis50. Si on raisonne de cette façon, les recours, qui ne sont pas dirigés « contre l'intégrité territoriale ou indépendance politique de tout Etat » ou qui ne s'opèrent pas « de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies », sont autorisés51. Il concevait le droit d'ingérence humanitaire comme «

48 THIBAULT Jean-François, « L'intervention humanitaire armée, du Kosovo à la responsabilité de protéger : le défi des critères »,in Annuaire français des relations internationales, Volume X, 2009, p.1

49 Lire L'intervention humanitaire : Un problème éthique, Document du Conseil OEcuménique des Eglises du 17 avril 2000, Suisse, p.1

50 BETTATI Mario, « Un droit d'ingérence ? », in R.G.D.I.P, tome 95, 1991/3, p.649

51 Lire dans ce même ordre d'idée LABRECQUE Georges, La force et le droit. Jurisprudence de la cij, Bruxelles, édition Yvon Blais, Bruylant, 2008, pp.4-22

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l'aménagement d'un nouvel espace juridique où se trouveraient indissolublement liés la légitimation de l'intervention humanitaire et le principe fondamental de l'indépendance et de la non soumission de l'Etat à l'égard de l'extérieur »52.

Outre cela, l'exclusion indiscutable des droits de l'homme du domaine réservé des Etats53 a conduit certains auteurs et certains Etats à proposer la consécration d'un devoir ou droit d'ingérence (ou d'intervention) humanitaire, en vertu duquel les Etats ou les ONG seraient fondés à apporter une aide d'urgence aux populations se trouvant en état de détresse54. Le mot a ici une fonction justificative de l'intervention dans les affaires d'un autre Etat55.

Le texte fondateur de ce droit est la résolution 688 du Conseil de Sécurité de l'ONU du 5 avril 1991 à propos des populations civiles irakiennes56. Ce droit trouve aussi ses origines dans l'allocution du Président François MITTERAND du 14 juillet 1991. Ce qui revient à dire que c'est la France qui a pris l'initiative de ce nouveau « droit » assez extraordinaire dans l'histoire du monde, qui est une sorte de droit d'ingérence à l'intérieur d'un pays, tel que signalé ci-haut, lorsqu'une partie de sa population est victime d'une persécution57.

Partant de cela, les Etats ont depuis des siècles tenté de justifier leurs interventions armées dans les affaires intérieures des autres Etats par des motifs nobles tels que la défense des droits de l'homme, la défense des minorités, celle de leurs ressortissants expatriés ou d'autres motifs d'humanité58.

52 BETTATI Mario, Le droit d'ingérence : mutation de l'ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996, p.9. En outre, promoteur de cette notion de droit d'ingérence, Mario BETTATI affirmait que celle-ci est née de l'universalité des droits de l'homme qui autorise la communauté internationale à demander aux gouvernements des comptes sur leur manière de traiter leurs sujets.

53 L'arrêt Barcelona Traction de la C.I.J de 1970 déclarait déjà que les droits de l'homme n'étaient plus de la compétence exclusive des Etats, mais relevaient désormais de la compétence internationale ; lire aussi MENNA Yohan, Op-cit, p.3

54NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Allain, Op-cit, 2009, p.493

55 SALMON Jean (dir.), Op-cit, p.579

56 BELANGER Michel, Op-cit, p.93

57 Lire SALMON Jean (dir.), Op-cit, p.580

58 BOUCHET-SAULNIER Françoise, Op-cit, p.310

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En effet, Bernard KOUCHNER, l'un des pères fondateurs de cette notion, affirme, d'une part, que de manière générale, l'ingérence ne peut se mener au nom d'un Etat, mais doit être collective et, d'autre part, il qualifie de licites59 des opérations militaires menées de manière unilatérale sans le consentement du Conseil de sécurité telles l'opération Provide Confort qui s'est déroulé en avril 1991 dans le Kurdistan iraquien60.

Mais les ambigüités61 qui entouraient cette notion n'ont pas permis aux Nations Unies de la consacrer. Car l'ONU ne voulait pas consacrer une notion inverse au principe sacro-saint sur base duquel elle a été créée, le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat.

Qu'à cela ne tienne, l'humanité a assisté, dans les années 90, à des opérations menées sous la bannière de l'ingérence telles que: les opérations «Provide Confort » au Kurdistan iraquien 1991(première opération militaire occidentale s'appuyant sur le droit d'ingérence), les opérations « Restore Hope » en Somalie 1992 (opération menée par 2800 hommes des troupes italiennes en Somalie pour mettre un terme à l'anarchie qui régnait en Somalie de manière à restaurer un standard de vie et des conditions minimales d'existence dans ce pays), l'opération « Turquoise » au Rwanda 1994 (opération menée par la France au Rwanda en 1994 pour protéger les populations de la guerre génocidaire qui déchirait le pays).

L'on ne doit donc pas être tenté de croire, comme il en a été le cas avec ses partisans, que la doctrine d'ingérence humanitaire se justifiait par la

59 KOUCHENR Bernard, Le malheur des autres, Paris, Editions Odile Jacob, 1991, p.291

60TSAGARIS Konstantinos, Le droit d'ingérence humanitaire, Mémoire de DEA, Université de Lille II - Faculté de Sciences Juridiques, Politiques, et Sociales, Année Universitaire 2000-2001, p.26

61 Pour les ambigüités de la notion du droit d'ingérence lire BOUCHET-SAULNIER Françoise, Op-cit, 2006, p.310 ; NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Allain, Op-cit, 2009, p.493 ; BULA-BULA Sayeman, « L'idée d'ingérence à la lumière du nouvel ordre mondial », in RADIC, Vol.6 n°1, 1994, p.15 ; BULA-BULA Sayeman, L'ambigüité de l'Humanité en droit international, Leçon inaugurale à l'occasion de la rentrée académique 1998-1999 des Universités officielles du Congo, Académie des Beaux-Arts, Kinshasa, le 29 novembre 1998, Kinshasa, PUK, 1999, p.4 ; DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, « Le droit d'ingérence humanitaire : Un droit aux fondements incertains, au contenu imprécis et à géométrie variable », in Revue africaine de droit international et comparé (RADIC), vol.4, n° 3. Londres, La société africaine de droit international et comparé, 1999 ; KDHIR Moncef, Op-cit, p.901 ; BELANGER Michel, Op-cit, p.89

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pratique des interventions armées qui ont abouti à une coutume. Cette pratique ne suffit pas en elle-même pour établir une coutume. Car dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la C.I.J admît que pour déduire l'existence de règles coutumières, il est suffisant que les Etats y conforment leur conduite de manière générale. Pour la Cour, les Etats doivent traiter eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations à celle-ci et non pas comme des manifestations d'une règle nouvelle. La Cour ajoute, en outre, que la pratique ne peut être prise en compte que si elle illustre un accord entre les Etats, qui constituerait une opinion juris démontrant l'existence d'une règle coutumière.

Mais la question qui se pose est celle de savoir s'il existe un régime juridique de la notion d'ingérence. Si oui, c'est lequel ?

§2. Eventuel régime juridique de l'ingérence

Michel BELANGER souligne que l'ingérence en droit international public se définit par rapport aux compétences des Etats sur leurs « affaires intérieures ». Le droit international public se trouve aujourd'hui confronté à la tentative d'élaboration d'une théorie de l' « ingérence humanitaire », qui est, pour partie du moins, en voie de systématisation, d'après le même auteur62. Mais à ce jour, il convient d'admettre que le débat sur l'éventuelle codification de l'ingérence humanitaire est dépassé.

Les comportements constitutifs d'ingérence sont difficilement justiciables d'un principe général : outre que certains sont de toute façon prohibés par des règles particulières du droit international (la menace d'emploi de la force), ils sont enclos entre deux réalités contradictoires. D'un côté, ils ont ouvertement pour but d'orienter des décisions qui ressortissent au pouvoir discrétionnaire de l'Etat et affectent sa liberté résiduelle dans des conditions qui devraient conduire à les condamner en toute hypothèse. Mais de l'autre, ils prennent généralement une forme

62 BELANGER Michel, Op-cit, p.89

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exclusivement verbale, quelquefois normative (un jugement de valeur approuvant ou condamnant une conduite, l'annonce d'un comportement à venir de l'auteur de l'ingérence etc.) et, lorsqu'ils comportent une pression de l'auteur sur le destinataire, elle consiste le plus souvent dans le fait pour le premier d'agir dans tel sens ou dans tel autre, également conformes au droit international, suivant que le second se conformera ou non à son voeu ;ainsi de l'Etat et de l'organisation internationale qui subordonnent l'octroi d'une assistance, financière ou autre, qu'ils ne sont nullement obligés d'accorder en tout cas, à une certaine orientation politique ou économique de son bénéficiaire potentiel63.

L'ingérence relève d'une nouvelle conception du rôle de l'Etat en tant qu'acteur des relations internationales. On assiste à un affaiblissement de la souveraineté étatique et de l'aptitude de l'Etat de gérer seul ses affaires intérieures. Il s'agit, pour les défenseurs de l'ingérence humanitaire, de ne plus permettre à l'Etat de se prévaloir de sa souveraineté pour tolérer, voire même perpétrer en toute impunité, des violations massives des droits de l'homme, droits supérieurs permettant de dépasser les principes de souveraineté étatique et de non ingérence que s'appuient également les formes d'ingérence judiciaires mises en place avec les tribunaux pénaux internationaux pour les crimes commis en ex Yougoslavie et au Rwanda et la Cour Pénale Internationale64.

L'ingérence constitue donc « l'immixtion sans titre d'un Etat ou d'une organisation intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d'un Etat tiers »65. Erigée en interdiction formelle par les Etats, elle reflète toute l'importance que ceux-ci accordent à la prééminence du principe de la souveraineté en droit international66.

63 COMBACAU Jean et SUR Serge, Op-cit, p.255

64 DOR Virgine, Op-cit, p. 32

65BETTATI Mario, Le droit d'ingérence : mutation de l'ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996, p.12 ;L'auteur précise que cette définition exclut les personnes privées et les ONG

66 MENNA Yohan, Le « droit d'ingérence humanitaire » : Réflexions sur un paradoxe, Texte réalisé dans le cadre du cours de Politique étrangère et aide humanitaire, Diplôme d'études spécialisées en Sciences politiques et Relations internationales, Faculté des Sciences économiques, sociales et politiques, Département des Sciences politiques et sociales, Unité de Science politique et de Relations internationales, Université Catholique de Louvain, 2002-2003, p.2

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Il existe deux types d'ingérence humanitaire à savoir : l'ingérence humanitaire non armée et l'ingérence humanitaire armée. Ce dernier donne lieu à un débat. Il soulève en particulier le problème de l'interprétation de l'article 2 §4 de la Charte de l'ONU, portant interdiction du recours à la force. Il existe, à côté, trois formes principales de l'ingérence que l'on peut appliquer à l' « ingérence humanitaire » : l'ingérence avec l'accord de l'Etat où se situe l'ingérence, l'ingérence en dehors de tout accord de l'Etat concerné et l'ingérence en situation d'inexistence des structures étatiques (exemple de la Somalie en 1992)67.

En effet, l'engouement pour l'humanitaire68 auquel on assiste depuis 1980 lequel ne laisse pas indifférentes des associations privées dites ONG (MSF, MDM, RSF, Pharmacie sans frontières, Ingénieurs sans frontières...) ne doit pas être catégorisé dans la conception d'ingérence. Car, depuis toujours, le droit international ne considère pas les actions de ces ONG comme une ingérence.

Il convient de signaler qu'il a existé quatre périodes successives dans la mise en oeuvre de l' « ingérence humanitaire » : la période de l' « ingérence immatérielle » (1948-1968) avec la défense internationale des droits de la personne humaine, la période de l'« ingérence caritative » (1968-1988) avec une ingérence matérielle de la part notamment d'ONG (comme Médecins sans frontières à partir de la guerre du Biafra), la période de l' « ingérence forcée » (depuis 1988) avec une ingérence également matérielle de la part de la communauté internationale, en particulier avec l'établissement d'un droit d'ingérence humanitaire financier (résolution 706 et 986 du Conseil de Sécurité de l'ONU) et le temps de l'« ingérence dissuasive » avec une ingérence aussi bien matérielle qu'immatérielle axée sur la prévention des crises69.

La notion d'ingérence n'étant pas compatible avec les principes de non-ingérence et d'interdiction du recours à la force consacrés par la Charte de

67 BELANGER Michel, Op-cit, p.91

68 BULA-BULA Sayeman, Droit international humanitaire, Bruxelles, Academia Bruylant, 2010, p.63

69 BELANGER Michel, Op-cit, p.91 ; KDHIR Moncef, « Pour le respect des droits de l'homme sans droit d'ingérence », in Rev. trim. dr. h., 2002, p.901

70 MONOFORTAIN Domond, L'ingérence au nom du respect des droits de l'homme, Mémoire de Maîtrise en droit, LL.M.de l'Université de Québec à Montréal, Département des Sciences juridiques, 1999, p.2

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l'ONU, il fallait, dans ce cas, penser à la mise en place d'une nouvelle notion qui sera compatible avec le droit international. D'où l'avènement de la responsabilité de protéger.

SECTION 3. UNE NOUVELLE APPROCHE : « LA RESPONSABILITE DE PROTEGER »

L'une des responsabilités pesant sur le pouvoir de l'Etat est de promouvoir la sécurité, le bien-être des citoyens. A défaut pour un Etat de remplir cette obligation, la communauté internationale devrait pouvoir venir en aide aux populations70. Telle est la nouvelle approche par le droit international de la notion de la souveraineté de l'Etat.

Il sera question, dans un premier temps, de donner l'origine du principe de la responsabilité de protéger et de montrer comment on est arrivé à le consacrer (§1) ; dans un deuxième temps, seront analysés la nature, le fondement juridique et les principes de l'obligation de protéger (§2) et enfin, cette obligation sera analysée par rapport au cadre juridique de son lancement (§3).

§1. Origine et consécration

A. Origine

Le droit d'intervention humanitaire a connu des difficultés pour son acceptation par les Etats tel qu'il a été souligné précédemment. Toutes les puissances capables d'intervenir militairement ont été critiquées aussi bien lorsqu'elles ont agit pour protéger des populations en danger comme en Somalie, en Bosnie et au Kosovo.

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Il a fallu attendre le défi lancé par le Secrétaire Général de l'ONU à l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1999 puis en 2000 pour parvenir une fois pour toutes à un consensus sur ce problème (d'intervention humanitaire).

Ce défi se résume en ces termes : « ...si l'intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l'homme, qui vont à l'encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d'êtres humains ? »71.

C'est faisant suite à cette grande préoccupation que le gouvernement du Canada et un groupe de grandes fondations vont annoncer à l'Assemblée Générale le 14 septembre 2000 l'inauguration de la CIISE qui devait élaborer, après un an, le rapport intitulé « La responsabilité de protéger ».

Il convient de signaler que ce rapport a été élaboré en s'inspirant de certains travaux des Nations Unies tels que le rapport mondial sur le développement humain de 1994, le rapport Brahimi du 21 août 2000 sur les opérations de paix etc. En d'autres termes, le rapport sur la responsabilité de protéger n'est qu'une ramification des travaux des Nations Unies tel qu'il sera vu plus loin.

Ainsi, après avoir donné l'origine de la responsabilité de protéger, la question cruciale qui reste c'est celle relative à sa consécration.

B. Consécration

Quand bien même que la CIISE se soit penchée sur l'élaboration du rapport sur la responsabilité de protéger, cette dernière reste toujours une doctrine onusienne puisque consacrée dans le cadre onusien.

71 CIISE, Op-cit, pp.VII-VIII, p.89

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En effet, c'est au sommet de l'Assemblée Générale des Nations Unies qui s'est tenu du 14 au 16 septembre 2005 à New York que les chefs d'Etat et de gouvernement réunis vont consacrer le principe de la responsabilité de protéger dans le document final dudit sommet. Dans les §138 et 139 de ce document, ils vont reconnaitre la responsabilité qui incombe, d'abord, à chaque Etat de protéger sa population contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité (§138) ; ensuite à la communauté internationale de prendre des moyens pacifiques lorsque l'Etat en question ne parvient pas à protéger la population. Dans le cas extrême, recours sera fait à la force (§139)72. L'Assemblée Générale va réitérer ces mêmes propos dans sa résolution 63/308 sur la responsabilité de protéger du 07 octobre 200973.

Il a ensuite fallu attendre une année plus tard pour que le Conseil de Sécurité des Nations Unies évoque pour la première fois la responsabilité des Etats de protéger les populations dans ses résolutions 1674 du 28 avril 2006 et 1706 du 31 août 200674. Dans la première résolution, le Conseil de Sécurité ne fait que réaffirmer dans le §4 de ladite résolution les §138 et 139 du Document final du sommet de 2005. Par contre, dans la seconde, le Conseil mettra en application la responsabilité de protéger pour la première fois au Darfour au Soudan.

C'est cette consécration qui justifie le fait que la responsabilité de protéger est une doctrine onusienne. Dans les pages qui suivent, nous reviendrons en détail sur certains aspects de ladite consécration.

Analysons à présent la nature, le fondement juridique et le principe de l'obligation de protéger.

72 A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Application et suivi intégrés et coordonnés des textes issus des grandes conférences et réunions au sommet organisées par les Nations Unies dans les domaines économique et social et dans les domaines connexes, Document final du sommet mondial de 2005, §§138-139

73Résolution 63/308 de l'Assemblée Générale des Nations Unies sur la responsabilité de protéger du 07 octobre 2009 (A/RES/63/308).

74 Résolution 1674 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1674 (2006) et Résolution 1706 du Conseil de sécurité des Nations Unies, S/RES/1706 (2006).

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§2. Nature, fondement juridique et principes de l'obligation

Etant une nouvelle approche, la responsabilité de protéger nécessite dans son analyse, d'une part, que l'on se fixe sur sa nature pour mieux la cerner ; d'autre part, qu'il soit connu ses assises juridiques et enfin qu'il soit relevé les principes qu'il renferme en son sein.

A. Nature

De prime abord, il y a lieu de rappeler que le concept de responsabilité de protéger est apparu en 2002, dans le sillage du rapport Brahimi75 sur les opérations de paix. La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États délivre alors un rapport sur le principe et les modalités de la Responsabilité de protéger. Les conclusions de cette réflexion seront reprises, en 2005, par le rapport du Groupe de Haut Niveau sur les menaces, les défis et le changement. Un État qui faillirait à son devoir de protection envers sa population civile « activerait » une responsabilité « subsidiaire » de la communauté internationale (cas de crime de guerre, génocide)76. Telle est la clé de voûte de cette notion.

L'obligation de protéger appartient premièrement au sujet primaire du droit international qu'est l'Etat. A travers la responsabilité de protéger, l'Etat est appelé à s'acquitter d'une obligation liée intrinsèquement à sa souveraineté. Cette obligation devient un droit pour ses nationaux. Autrement dit, en droit international, il s'agit d'une obligation purement moderne car les raisons d'être d'un Etat moderne aujourd'hui se résument en l'aptitude pour celui-ci de permettre à chaque citoyen de réaliser ses aspirations, en la protection des personnes et des biens77.

75 Les difficultés rencontrées par les troupes de l'ONU pendant la décennie 1990 ont toutefois démontré que des réformes plus profondes que celles contenues dans l'Agenda pour la paix étaient nécessaires. D'où la publication du Rapport Brahimi en août 2000 ; Lire aussi HATTO Ronald, « Les propositions de réforme du maintien de la paix des Nations Unies. De Boutros-Ghali au rapport Brahimi », in Collection Logiques Politiques, 2006, p.11

76 Les opérations internationales de maintien de la paix et le droit humanitaire, Document du 3ème forum mondial des droits de l'homme à Nantes du 30 juin au 03 juillet 2008, p.6

77 A ce sujet, la CIISE pense que l'évolution du droit international a imposé de nombreuses limites à la liberté d'action des Etats, et ce pas seulement dans le domaine des droits de l'homme. La notion émergente de sécurité humaine a suscité de nouvelles exigences et de nouvelles attentes concernant la manière dont les Etats traitent leur propre peuple. CIISE, Op-cit, p.8

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Puisque la responsabilité de protéger pose le problème d'intervention humanitaire, c'est de l'analyse de cette dernière que l'on peut mieux appréhender la nature de la responsabilité de protéger et ce qui la différencie des notions examinées précédemment.

Le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, et le crime d'agression sont qualifiés de « crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la Communauté internationale » par le Statut de la Cour Pénale Internationale78. Il en va de soi qu'il pèse sur la Communauté internationale un devoir d'agir par leur prévention et leur sanction79. Le rapport sur la responsabilité de protéger rédigé par la CIISE se situe dans cette manière de voir les choses. Il repose sur le postulat suivant : « Quand une population souffre gravement d'une guerre civile, d'une insurrection, de la répression exercée par l'Etat ou de l'échec de ses politiques, et lorsque l'Etat n'est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de non ingérence »80.

L'aboutissement remarquable de cette évolution81 est à observer dans l'Acte constitutif de l'Union Africaine lorsqu'il énonce, parmi les principes de l'Organisation, le « droit de l'Union d'intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l'humanité82 ».

Cette expression « responsabilité de protéger » a été préférée dans le rapport élaboré par la CIISE aux notions plus controversée de « droit d'ingérence » ou « devoir d'ingérence »83 parce que c'était une occasion pour l'ONU

78 Article 5 du Statut de la Cour Pénale Internationale du 1er juillet 2002

79 Lire à ce propos ABDELWAHAB Biad, Droit International Humanitaire, 2ième édition, Paris, Ellipses, collection « Mise au point », 2006, p.92

80 CIISE, « La responsabilité de protéger », Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, décembre 2001, co-présidé par Mohammed Sahnoun et Gareth Evans. Voir aussi A/59/2005 du 24 mars 2005, Le développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous, Rapport du Secrétaire Général

81 NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Allain, Op-cit, p.494

82 Article 4h de l'Acte constitutif de l'Union Africaine du 11 juillet 2000

83 BETTATI Mario, Op-cit, p.15

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de définir les règles d'un nouveau comportement de la Communauté internationale face aux violations des droits de l'homme et du DIH, règles qui soient compatibles avec la souveraineté des Etats84.

La responsabilité de protéger, comme dit ci-haut, incombe d'abord à l'Etat. La communauté internationale n'étant qu'un simple garant. C'est ici que trouve place la grande sagesse de M.Boutros-Ghali telle que reprise dans le Rapport sur l'activité de l'Organisation pour 1991 lorsqu'elle souligne dans ses conclusions qu' «il n'y a pas lieu de s'enfermer dans le dilemme respect de la souveraineté-protection des droits de l'homme. L'ONU n'a nul besoin d'une nouvelle controverse idéologique. Ce qui est en jeu, ce n'est pas le droit d'intervention, mais bien l'obligation collective qu'ont les Etats de porter secours et réparation dans les situations d'urgence où les droits de l'homme sont en péril ».

Il en résulte que la responsabilité de protéger est l'expression même de cette obligation collective qu'ont les Etats vis-à-vis de leurs nationaux. C'est ainsi que les organes principaux des Nations Unies ont fait de l'assistance humanitaire l'objet premier de l'intervention collective et la justification de l'interposition armée dans certaines zones ainsi que l'embargo85.

B. Fondement juridique

Le monde a régulièrement été incapable de prévenir et d'interrompre les atrocités de masse (génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et nettoyage ethnique) comme en ont témoigné l'Holocauste, les génocides en Arménie, en Bosnie, au Cambodge, et au Rwanda ainsi que les crimes contre l'humanité au Kosovo, au Timor oriental et au Darfour. Ces échecs ainsi que les souffrances incommensurables et la perte de millions de vies qui en ont découlé ont déclenché le mouvement du « Plus jamais ça ! ». Les situations vécues au Darfour, en République Démocratique du Congo et en Birmanie rendent plus important que jamais

84 Consulter ABDELWAHAB Biad, Op-cit, p.92

85 NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Allain, Op-cit, p.494

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le nouvel engagement des gouvernements du monde entier dans la lutte contre les atrocités de masse86.

Ainsi dit, les fondements de la responsabilité de protéger en tant que principe directeur pour la communauté internationale des États reposent87 sur : - les obligations inhérentes à la notion de souveraineté;

- l'Article 24 de la Charte de l'ONU, qui confère au Conseil de Sécurité la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales;

- les impératifs juridiques particuliers énoncés dans les déclarations, pactes et traités relatifs aux droits de l'homme et à la protection des populations, le droit international humanitaire et la législation nationale;

- la pratique croissante des États et des organisations régionales, ainsi que du Conseil de Sécurité lui-même.

C. Principes de l'obligation

Lors du Sommet mondial de 2005 de l'ONU, après avoir reconnu qu'ils n'avaient pas su répondre de manière adaptée aux crimes les plus haineux, les dirigeants du monde entier se sont engagés à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité. Cet engagement, connu sous le nom de Responsabilité de Protéger, prévoit que88 :

1. C'est à chaque État qu'il incombe de protéger les populations des atrocités de masse ;

2. La communauté internationale a la responsabilité d'aider les États à assumer leurs responsabilités ;

3. La communauté internationale doit mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés pour protéger les populations de ces crimes. Si un État ne parvient pas à protéger sa population ou s'il est lui-même

86 La responsabilité de protéger : une nouvelle norme pour prévenir et interrompre les atrocités de masse, Document de la coalition internationale sur la responsabilité de protéger, p.1

87 CIISE, Op-cit, p. XI

88 La responsabilité de protéger : une nouvelle norme pour prévenir et interrompre les atrocités de masse, Document de la coalition internationale sur la responsabilité de protéger, p.1

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l'auteur des crimes, la communauté internationale doit être prête à prendre des mesures plus contraignantes, notamment le recours collectif à la force à travers le Conseil de sécurité de l'ONU.

Ces principes qui forment le socle même de la responsabilité de protéger peuvent être résumés comme suit :

- la souveraineté des États implique une responsabilité, et c'est à l'État lui-même qu'incombe, au premier chef, la responsabilité de protéger son peuple.

- quand une population souffre gravement des conséquences d'une guerre civile, d'une insurrection, de la répression exercée par l'État ou de l'échec de ses politiques, et lorsque l'État en question n'est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de non-intervention89.

En effet, la doctrine onusienne, la responsabilité de protéger, élaborée par la CIISE va bien au-delà de la théorie du «droit d'ingérence humanitaire» formulée à la fin des années 1980 par Mario BETTATI et Bernard KOUCHNER. Elle se veut à la fois plus précise (son champ d'application est limité aux crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et nettoyages ethniques) et plus ambitieuse : alors que le droit d'ingérence ne préconisait que le recours à la force pour «protéger les convois humanitaires... et les victimes face à leurs bourreaux», la responsabilité de protéger vise également la «prévention des conflits» et la «reconstruction des sociétés»90.

§3. Analyse par rapport au cadre juridique du lancement du principe

Bien qu'étant lancé dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l'ONU, le principe de la responsabilité de protéger ne s'inscrit pas toujours dans le contexte traditionnel de la sécurité collective tel qu'il sera vu dans le deuxième chapitre de cette partie. Donc, il y a lieu de le signaler dès le départ pour ne pas tomber

89 CIISE, Op-cit, p. XI

90 WEISSMAN Fabrice, « La responsabilité de protéger : le retour à la tradition impériale de l'humanitaire », in Les analyses du Crash-MSF, 2010, p.2

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dans la confusion obligation de protéger égale mécanisme traditionnel de sécurité collective. Cela se justifie dans la mesure où la sécurité collective concerne avant tout les relations entre Etats. Ainsi, le chapitre VII comme cadre juridique du lancement de ce principe, le rôle du Conseil de Sécurité et de l'Assemblée Générale comme autorité de substitution ne seront traités dans le cadre de la responsabilité de protéger que parce que le concept de la sécurité collective a été élargi aux violations des droits de l'homme qui s'observent dans un Etat quelconque et qui peuvent même menacer la paix et la sécurité internationales91.

A. Le lancement du principe dans le cadre du recours au chapitre VII de la Charte de l'ONU

Depuis le génocide au Rwanda, la communauté internationale a pris un plus grand rôle de responsabilité dans certaines situations où les gouvernements souverains manquent à leur devoir d'assurer la sécurité et le bien-être de leurs populations. Pendant des dizaines d'années, en respect de l'Article 2 §7 de la Charte des Nations-Unies qui souligne le principe de non-intervention dans les questions relevant de la juridiction domestique des pays, la communauté internationale n'a pas fait de commentaires sur les situations dans lesquelles les personnes souffraient de terribles violations des droits de l'homme dans un climat d'impunité pour leurs auteurs. Toutefois, ces dernières années, il s'est produit une évolution depuis le concept de souveraineté absolue vers la souveraineté responsable de la protection des civils et de la prévention des violations sérieuses et des atrocités en masse92.

91 La Charte prévoit que le Conseil de Sécurité est responsable en matière de paix internationale. Il n'a pas pour mission le maintien de la paix à l'intérieur des Etats ou encore la vérification du respect des droits de l'homme ou des principes de droit humanitaire. Force est de constater que la notion de la sécurité collective a évolué et s'applique même en cas de violation des droits de l'homme, de violation grave du droit humanitaire ou de violation de la démocratie. Car, relativement aux droits de l'homme, ces derniers font l'objet d'une internationalisation progressive. Le Conseil de Sécurité a reconnu qu'une violation massive des droits de l'homme pouvait désormais fonder sa compétence, sur la base du chapitre VII. Dans la résolution 688 ( 1991), il a admis que « la répression des populations civiles irakiennes dans de nombreuses parties de l'Irak, (...) a conduit à un flux massif de réfugiés vers de frontières, qui menacent la paix et la sécurité internationales dans la région ». Le caractère massif de la violation des droits de l'homme la transforme en un crime contre l'humanité et elle devient de la sorte d'intérêt international. Le comportement d'un Etat envers une partie de sa population n'est plus une affaire intérieure, bien que la résolution 688 se réfère tout de même à l'article 2 §7 de la Charte. Lire PETIT Yves, Droit international du maintien de la paix, Paris, L.G.D.J, 2000, pp.50-54

92 Lire CIISE, Op-cit, pp.8-9

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Dans cette optique, la responsabilité de protéger est venue renforcer le chapitre VII de la Charte de l'ONU. Ce qui fait que, dans le cadre de ce principe, il faut par moment passer par les articles 39 et 49 de la Charte de l'ONU pour toute intervention.

En effet, aux termes de ces articles, « le Conseil de Sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales93 ». Afin d'y parvenir, « les membres des Nations Unies s'associent pour se prêter mutuellement assistance dans l'exécution des mesures arrêtées par le Conseil de Sécurité94 ».

C'est donc dans le Chapitre VII qu'est énoncé l'élément crucial de la responsabilité de protéger. Le Chapitre VII décrit les mesures que le Conseil de Sécurité peut prendre lorsqu'il « constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression95. Aux termes du rapport de la CIISE, les dispositions générales du Chapitre VII, l'autorisation expresse de la légitime défense prévue par l'Article 51, et les dispositions du Chapitre VIII, constituent à elles trois une source d'autorité importante pour faire face à tout type de menace à la sécurité96.

B. Rôle du Conseil de Sécurité de l'ONU

Il a été dit, ci-haut, que la responsabilité de protéger pose le problème d'intervention humanitaire. Mais puisqu'il est difficile, dans ce contexte, de concevoir une action unilatérale d'un Etat, il convient donc d'associer le Conseil de Sécurité pour toute intervention qu'elle soit non militaire ou militaire. Car le fait d'agir

93 Article 39 de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945. Cette disposition confère au Conseil de sécurité un pouvoir de qualification de la situation. Avant d'engager contre un Etat des mesures conservatoires ou de contrainte, il doit au préalable déterminer la nature exacte des faits.

94 Article 49 de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945

95 CIISE, Op-cit, p.51

96 Idem, p.52

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seul pourrait devenir un prétexte évoqué par les puissants pour leurs actions sur le territoire d'un autre Etat. D'où il faut des garde-fous. Ainsi, c'est dans cette optique que se justifie le lancement du principe par le Conseil de Sécurité en cas d'intervention de la communauté internationale. Il convient aussi de préciser que, hors mis sa nouvelle terminologie, la responsabilité de protéger n'est pas une nouveauté en soi parce que, comme il a été précédemment dit et comme il le sera plus loin, ce principe ne fait que renforcer ce qui était déjà prévu dans le cadre du Chapitre VII de la Charte de l'ONU.

C'est ici qu'il importe de souligner la reconnaissance de ce principe par le Conseil de Sécurité. C'est dans la résolution 1674 du 28 avril 2006 reprenant les dispositions développées dans le document final du sommet final de l'ONU en 2005 tel que dit ci-haut que le Conseil de Sécurité entérine la responsabilité des États de protéger les populations « du génocide, des crimes de guerre, de la purification ethnique et des crimes contre l'humanité97 ». Mais dans cette responsabilité, quel serait alors le rôle du Conseil de sécurité pour aboutir aux objectifs de ladite résolution ?

En effet, le Conseil de Sécurité est le meilleur organe pour s'occuper des questions d'intervention militaire à des fins humanitaires. Ce voeu a été réitéré par la CIISE lorsqu'elle a affirmé qu' « elle était absolument persuadée qu'il n'y a pas de meilleur organe, ni de mieux placé, que le Conseil de Sécurité pour s'occuper des questions d'intervention militaire à des fins humanitaires98 » et ensuite par l'ONU lors du Sommet mondial de 200599.

Cette vision du rôle du Conseil de Sécurité a nécessairement comme, dans la pratique, le fait de veiller systématiquement à ce que toutes les

97 Résolution 1674 du Conseil de sécurité de l'ONU du 28 avril 2006 ; consulter aussi A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Op-cit; lire enfin GAGNIER Sabine, « La responsabilité de protéger au regard de la santé et de la culture », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.115

98 CIISE, Op-cit, p.80

99 Lire Document final du sommet mondial de 2005, §139.

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propositions d'intervention militaire soient officiellement présentées au Conseil. La Commission a donc convenu de ce qui suit :

- L'autorisation du Conseil de Sécurité doit être dans tous les cas sollicitée avant d'entreprendre toute action d'intervention militaire. Ceux qui préconisent une intervention doivent demander officiellement cette autorisation, obtenir du Conseil qu'il soulève cette question de son propre chef, ou obtenir du Secrétaire Général qu'il la soulève en vertu de l'Article 99 de la Charte des Nations Unies;

- Et Le Conseil de Sécurité doit statuer promptement sur toute demande d'autorisation d'intervenir s'il y a allégations de pertes en vies humaines ou de nettoyage ethnique à grande échelle; le Conseil devrait dans ce cadre procéder à une vérification suffisante des faits ou de la situation sur le terrain qui pourraient justifier une intervention militaire100.

Mais, l'on pourrait se poser la question de savoir si le Conseil de Sécurité peut outrepasser son propre pouvoir en violant les limitations inscrites dans la Charte, en particulier l'interdiction consacrée dans le §7 de l'Article 2. Par rapport à cette inquiétude, la C.I.J a, dans le passé, pris position lorsqu'elle affirmait dans l'Affaire relative aux questions d'interprétation et d'application de la Convention de Montréal de 1991 résultant de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie que le Conseil de Sécurité est tenu par la Charte de l'ONU101.

A ce sujet, la CIISE pense que la question risque de demeurer théorique, dans la mesure où il n'existe aucune disposition prévoyant le réexamen judiciaire des décisions du Conseil de Sécurité, de sorte qu'il n'y a aucun moyen de trancher un différend quant à l'interprétation de la Charte. Il semble donc que le

100CIISE, Op-cit, p.54

101 C.I.J., Affaire relative aux questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1991 résultant de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie, (Libye c. Royaume-Uni et Libye c.Etats-Unis), ordonnance en indication de mesures conservatoires, Opinion dissidente du juge Bedjaoui, Rec., 1992, §§ 29-46. Dans son opinion dissidente, le juge Bedjaoui rappelle l'une des dispositions de la Charte prévoyant que « dans l'accomplissement de ses devoirs, le Conseil de Sécurité agit conformément aux buts et principes de la Charte » et, par renvoi à une autre disposition, doit adopter une démarche qui s'ordonne « conformément aux principes de la justice et du droit international ; Lire aussi les articles 24 §2 et 1 §1 de la Charte des Nations Unies ; LABRECQUE Géorges, Op-cit, pp.235-236

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Conseil continuera de disposer d'une très grande marge de manoeuvre pour définir la portée de ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales102.

En effet, la responsabilité de protéger est à ranger dans les compétences du Conseil de Sécurité. Ce qui revient à dire que le Conseil de Sécurité peut, dans le cadre de la responsabilité de protéger, enquêter sur terrain à travers la commission d'enquête s'il estime qu'il y a une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression tel qu'il l'a fait au Darfour103. Il peut ensuite inviter les parties à se conformer au préalable qui leur est mis en présence104. Toute fois, cette invitation n'est pas dépourvue du caractère obligatoire105.

Relativement à la question du droit de veto qui paralyse le mécanisme des Nations Unies, il a été proposé la réforme du Conseil de Sécurité, qui consisterait, en particulier, à élargir sa composition et à la rendre de manière générale plus représentative, et contribuerait incontestablement à renforcer sa crédibilité et son autorité, sans toutefois nécessairement faciliter son processus décisionnel.

Alors que restera-t-il à faire si des questions humanitaires importantes exigent une intervention humanitaire et n'arrivent pas à obtenir l'unanimité des voix au sein du Conseil de Sécurité? Faudrait-il outrepasser le vote au sein du Conseil de Sécurité par un autre mécanisme ? Ou faudrait-il croiser carrément

102Voir LABRECQUE Géorges, Op-cit, p.55 ; C.I.J., Affaire relative aux questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1991 résultant de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie, (Libye c. Royaume-Uni), arrêt, Rec.1998, § 47

103A/HRC/4/80 du 09 mars 2007, La situation des droits de l'homme au Darfour, Rapport de la Mission de haut niveau présenté en application de la résolution S-4/101du Conseil des droits de l'homme, §58. Le Conseil avait adopté le 18 septembre 2004 la résolution 1564 (2004) par laquelle il a demandé la création d'une commission internationale d'enquête sur le Darfour pour enquêter immédiatement sur les violations du droit international humanitaire et des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme

104 Article 40 de la Charte de l'ONU

105BALANDA MIKUIN Gérard, Le droit des organisations internationales. Théories générales, Kinshasa, CEDI, 2006, p.177. L'auteur précise que de même que nul ne conteste actuellement le caractère obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU prises en vertu des dispositions du chapitre VII quoique leur application effective reste hypothétique et subordonnée au bon vouloir du Conseil de sécurité, l'invitation que le Conseil de sécurité lance aux parties n'est pas non plus dépourvue d'obligation. Elle a donc un « caractère obligatoire ». Abordant les choses dans le même sens, Yves PETIT affirme que bien que le Conseil de sécurité ne puisse qu'inviter les Etats membres à se conformer à ces mesures, la lecture combinée de l'article précité avec l'article 25 de la Charte des Nations Unies, d'après lequel les membres de l'ONU conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de Sécurité conformément à la Charte, donne une portée obligatoire à cette disposition. Lire PETIT Yves, Op-cit, p.26

106 CIISE, Op-cit, p.57

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les bras en attendant une décision d'intervention venant du Conseil de Sécurité? Ceci nous pousse à analyser les limites du principe de la responsabilité de protéger par rapport à l'Assemblée Générale comme autorité de substitution.

C. Limites par rapport à l'Assemblée Générale comme autorité de substitution

Il a été dit que le Conseil de Sécurité était le premier interlocuteur pour tout ce qui avait trait à l'intervention militaire à des fins de protection humaine106. Mais il reste à savoir s'il devrait être aussi le dernier.

La possibilité admise par les Nations Unies pour permettre à l'Assemblée Générale de se substituer au Conseil de Sécurité face à une situation où ce dernier, faute d'unanimité, n'a pas pu exercer sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales est celle de la procédure officielle de « l'union pour le maintien de la paix ».

Lors de l'affaire de la Corée, l'Assemblée a finalement pris acte de la défaillance du Conseil par sa résolution 377 (V) du 3 novembre 1950. Elle constatait que : « dans tous les cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression et où, du fait que l'unanimité n'a pas pu se réaliser parmi ses membres, le Conseil de Sécurité manque à s'acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'Assemblée Générale examine immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées sur les mesures à prendre. (...) y compris l'emploi de la force armée ». C'était l'opposition de l'ex-URSS à l'action du Conseil de Sécurité qui avait conduit le Secrétaire d'Etat américain à initier le vote de cette résolution qui a pris son nom « Dean Acheson ». Mais l'occasion était belle pour l'Assemblée de s'octroyer une compétence directe en matière de sécurité collective.

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Ce qui n'est pas inscrit dans la Charte et ouvre, en conséquence, la voie à la concurrence avec le Conseil de sécurité107.

Dans ce cas, il est prévu non seulement qu'une session extraordinaire d'urgence soit convoquée dans les 24 heures qui suivent une demande en ce sens, mais aussi que l'Assemblée Générale se réunisse en séance plénière seulement et procède directement à l'examen de la question proposée dans la demande de convocation de la session, sans renvoi préalable au Bureau ni à aucune autre commission; les chefs des délégations auxquelles appartenaient le Président et les vice-présidents de la session précédente sont respectivement Président et vice-présidents de la session extraordinaire d'urgence108.

A cet effet, la Commission estime néanmoins que la simple possibilité que cette démarche puisse être entreprise constituerait une importante forme supplémentaire de pression sur le Conseil de Sécurité pour l'amener à agir de manière décisive et appropriée109.

Ainsi, après avoir parcouru l'évolution du principe de la responsabilité de protéger, analysons à présent son contenu.

107 TABRIZI SALAH Ben, Op-cit, p.222

108 Article 63 du règlement intérieur de l'Assemblée générale avec les amendements et additifs adoptés par l'Assemblée générale jusqu'en septembre 2007

109 Voir CIISE, Op-cit, p.58

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CHAPITRE II. LE CONTENU DU PRINCIPE DE LA
RESPONSABILITE DE PROTEGER

En guise de rappel, la doctrine de la responsabilité de protéger concerne la responsabilité des États et de la communauté internationale de protéger les populations contre quatre types spécifiques de crimes et de violations des droits de l'Homme que sont le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité. L'idée au coeur de la doctrine est que l'État n'est plus seul responsable du bien-être de sa population. S'il échoue ou n'assume manifestement pas sa responsabilité, la communauté internationale doit le faire, dans le plein respect des principes du droit international et de la Charte des Nations Unies. La responsabilité de protéger suppose trois dimensions : la responsabilité de prévenir, de réagir (par des moyens diplomatiques, légaux et d'autres mesures pacifiques, par des mesures coercitives comme des sanctions, et par la force militaire comme dernier recours) et de reconstruire. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avions précédemment souligné que la responsabilité de protéger ne s'inscrit pas toujours dans le contexte traditionnel de la sécurité collective.

Ainsi, le présent chapitre analysera les trois obligations qui composent la responsabilité de protéger. Il s'agira, dans un premier temps, de décortiquer la première obligation qu'est celle de prévenir les conflits meurtriers et d'autres catastrophes produites par l'homme (section 1) ; dans un deuxième temps, il sera question d'aborder le problème que pose l'échec des mesures de prévention qui, nécessairement, implique la prise des mesures interventionnistes de la part d'autres membres de la communauté des Etats dans son ensemble (section 2) et enfin, il sera montré comment est-ce que l'on peut contribuer à ramener une paix durable et promouvoir la bonne gouvernance et un développement durable après une intervention (section 3).

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Ces trois éléments de la responsabilité de protéger constituent une prescription pour remédier aux violations des droits de l'homme à l'échelle internationale. Elles en constituent ses principales obligations110.

SECTION 1. LA RESPONSABILITE DE PREVENIR

Eliminer à la fois les causes profondes et les causes directes des conflits internes et des autres crises produites par l'homme qui mettent en danger les populations semble être primordial pour cette obligation111. Ce qui revient à dire que la prévention des conflits nécessite le traitement des causes qui lui sont profondes et l'option de stratégies efficaces sur le long terme d'une part (§1) et, d'autre part, le traitement des causes directes auxdits conflits (§2). C'est le double degré de la première dimension de la responsabilité de protéger (dimension préventive ou responsabilité ante facto) tel que retenu par le rapport de la CIISE.

§1. La prévention au niveau des causes profondes des conflits

La pauvreté, la répression politique et la répartition inégale des ressources sont de différentes causes profondes retenues par la CIISE112. C'est ainsi qu'il faudrait de la part des gouvernants une ferme volonté pour les prévenir et une alerte rapide des conflits.

A. La ferme volonté de prévenir et l'alerte rapide des conflits

Avant toute chose, il est important de signaler que la CIISE a rappelé que la prévention des conflits meurtriers113 et d'autres formes de catastrophes

110 Voir Considérations normatives sur La responsabilité de protéger - Perspectives et implications dans le contexte d'un système international en morcellement, à consulter dans www.journal.forces.gc.ca/vo9/no2/04-white-fra.asp[13/06/2010 18:22:11]

111Idem

112 CIISE, Op-cit, p.25

113 Depuis les années 1950, l'humanité toute entière était en alerte devant les injustices et les massacres, sur les cinq continents, à l'intérieur des frontières d'Etats reconnus. Les Etats, à cette époque, possédaient la souveraineté absolue avec droit de vie et de mort sur leurs sujets. Protéger un peuple ou une communauté sur son propre soi, de l'autre côté d'une frontière, c'était interdit, impossible. Le salut est venu des médecins. En 1968, au Biafra, commençait l'épopée des « French doctors » qui bravaient l'interdit au nom de la morale médicale

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produites par l'homme incombe, comme toutes les autres composantes de la responsabilité de protéger, d'abord et avant tout aux États souverains et aux communautés et institutions qui s'y trouvent. Une volonté résolue des autorités nationales d'assurer un traitement équitable et l'égalité des chances pour tous les citoyens constitue un fondement solide pour la prévention des conflits. Quant aux moyens nécessaires pour y parvenir, ils relèvent essentiellement de la responsabilisation et de la bonne gouvernance, de la protection des droits de l'homme, de la promotion du développement socioéconomique et de la répartition équitable des ressources114. Elle a ajouté, aussi, que fondamentalement, les efforts de prévention visent bien évidemment à réduire, sinon éliminer complètement, la nécessité d'une intervention115.

En outre, faudrait-il ajouter que dans la prévention des conflits, outre la ferme volonté des gouvernements de les prévenir, il est nécessaire d'avoir de systèmes d'alerte rapide. A ce stade, la Commission insiste sur le fait que ces systèmes doivent faire intervenir un large éventail d'entités, notamment les ambassades et les services de renseignement, les forces de maintien de la paix des Nations Unies, les ONG qui s'occupent de secours et d'aide au développement, les groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l'homme, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), des groupes religieux, des universitaires et des médias. La qualité des renseignements est variable et la coordination entre ces groupes est rudimentaire, sinon inexistante. C'est ainsi que d'autres organisations telles qu'Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, qui consacraient auparavant l'essentiel de leurs énergies à diffuser des renseignements sur les violations des droits de l'homme subies par des particuliers ou des groupes, se sont consciemment employées à élargir leur champ d'intervention à l'alerte rapide sur les conflits susceptibles de provoquer des violations massives des droits de l'homme, voire des génocides116.

(lire KOUCHNER Bernard, « La responsabilité de protéger », in Le Monde, Paris, 2002, à consulter dans www.aidh.org).

114 CIISE, Op-cit, p.21

115 Idem., p.21 116Ibid., pp.23-24

117 COLAVITTI Romélien, « La responsabilité de protéger : Une architecture nouvelle pour le droit international des minorités », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.36

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Après avoir insisté sur les deux préalables indispensables de l'obligation de prévenir (la ferme volonté de prévenir et l'alerte rapide des conflits), revenons-en à la prévention au niveau des causes profondes des conflits proprement dite.

B. La prévention proprement dite

Les causes sous-jacentes ou profondes des conflits que sont, par exemple, la pauvreté, la répression politique et la répartition inégale des sources, permettent de comprendre les conflits armés. A ce sujet, comme l'avait noté l'ancien Secrétaire général des Nations Unies, M. Koffi ANNAN dans un rapport, « chaque étape franchie sur la voie de la réduction de la pauvreté et de la croissance économique marque un progrès dans le sens de la prévention des conflits ».

Par définition, la prévention au niveau des causes profondes des conflits impliquant des minorités se place dans un contexte non belligène et a pour objectif essentiel de forger les instruments juridiques et institutionnels nécessaires à la mise en place de conditions propices à l'intégration des populations concernées, en vue de pallier toute éventualité de stigmatisation, de marginalisation sociale ou, à l'inverse, de toute volonté étatique d'assimilation forcée117.

En effet, la prévention au niveau des causes profondes comporte plusieurs aspects. Elle peut désigner le traitement des besoins et des carences politiques, ce qui peut impliquer la création de capacités et d'institutions démocratiques; la répartition constitutionnelle des pouvoirs, l'alternance et les arrangements en matière de redistribution; l'établissement de mesures renforçant la confiance entre les différents groupes ou communautés; le soutien à la liberté de la presse et à l'état de droit; la promotion de la société civile; et d'autres types

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d'initiatives du même ordre qui s'insèrent plus ou moins dans le cadre de la sécurité humaine118.

Outre le traitement des besoins et des carences politiques, la CIISE souligne que la prévention au niveau des causes profondes peut aussi désigner le traitement des privations et de l'inégalité des chances économiques, le renforcement des protections et institutions juridiques et enfin le lancement des réformes qui s'imposent dans le secteur militaire et les autres services de sécurité de l'Etat119.

Une lettre de l'ancien Secrétaire général de l'ONU adressée à l'Assemblée générale de l'ONU souligne l'importance de la prévention des conflits en ces termes : « Les opérations de paix des Nations Unies n'ont concerné qu'un tiers des situations de conflit apparues dans les années 90. Étant acquis que même des mécanismes beaucoup plus perfectionnés en vue de la mise sur pied et du soutien des opérations de maintien de la paix des Nations Unies ne permettront pas au système des Nations Unies de déployer de telles opérations dans toutes les situations de conflit en tout point du globe, il est urgent que l'ONU et les États Membres mettent en place un système plus efficace de prévention durable des conflits. De toute évidence, la prévention est de loin préférable pour ceux qui autrement devraient endurer les conséquences de la guerre, et pour la communauté internationale, c'est une option

118 CIISE, Op-cit, p.26. On pourra lire GAGNIER Sabine, « La responsabilité de protéger au regard de la santé et de la culture », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.111. L'auteur précise que le concept de la responsabilité de protéger a ouvert une voie considérable dans le cadre du droit international vers une considération plus directe de la sécurité des gens, au-delà du principe de souveraineté. La « sécurité humaine » en tant que concept de droit international a été une innovation fondamentale depuis 1945 dans la mesure où elle a développé l'idée que les États ne devaient pas assurer seulement leur propre sécurité mais aussi et surtout celle de leurs citoyens. Par cette notion, le droit international a commencé à dépasser le cadre de la souveraineté pour se préoccuper des gens. Ernest-Marie MBONDA ajoute que la responsabilité de protéger est donc un concept qui cherche à garantir la sécurité humaine. Car elle centre les questions sécuritaires non plus sur les Etats, mais sur les individus ou sur les personnes. C'est dans le rapport de la CIISE qu'on trouvera cette philosophie définie. La responsabilité de protéger annonce alors un ordre international plus humain, c'est-à-dire plus juste et plus respectueux du principe plus ancien de l'universalité des droits de l'homme (MBONDA Ernest-Marie, « La sécurité humaine et la responsabilité de protéger : vers un ordre international plus humain », in Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, Cameroun, pp.1-2). Toutefois, force est de constater que le concept de la sécurité humaine gagne du terrain au niveau international. La preuve aussi éloquente est la reconnaissance à l'unanimité par l'Assemblée Générale des Nations Unies de la responsabilité de protéger en septembre 2005 lors du 60ème sommet des Nations Unies. En effet, le concept de sécurité humaine nous permet de déplacer notre regard du niveau uniquement national vers le niveau des hommes et des femmes victimes des violences (Lire GABRIELSEN Marie, « La sécurité humaine et l'internationalisation des conflits intra-étatiques : Le cas du conflit au sud-soudan », in Revue de la sécurité humaine/Issue 3, 2007, p.29).

119 Idem

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moins coûteuse qu'une intervention militaire, les secours humanitaires d'urgence ou les travaux de reconstruction à l'issue d'une guerre 120».

De même qu'un projet de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne avance que la prévention des atrocités des masses devrait constituer une priorité pour les gouvernements121. Car toutes les fois que la communauté des Etats n'a su prévenir le génocide et les atrocités de masses, c'est l'humanité toute entière qui en a en pâti. Tels furent les cas du Rwanda, du Burundi, de la République Démocratique du Congo, du Soudan, etc qui démontrent à suffisance que le bilan de la communauté des Etats en matière de la prévention du génocide et des atrocités des masses est négatif.

Le projet122 sus-cité mentionne que le rapport sur la responsabilité de protéger de la CIISE met de l'avant la notion de « souveraineté considérée comme responsabilité », qui a été introduite pour la première fois par Francis Deng et d'autres en 1996 à la Brookings Institution123. Cette notion est venue remettre en question un consensus de longue date selon lequel le principe de la souveraineté des États possède un caractère absolu, que l'État ait ou non commis de graves violations des droits humains à l'encontre de ses propres citoyens.

Le rapport sur la responsabilité de protéger affirme au contraire que la souveraineté de l'État est un privilège et non pas un droit, et qu'elle procède d'une relation de respect réciproque entre l'État et ses citoyens. Lors du Sommet mondial de 2005, les membres de l'Assemblée Générale des Nations Unies, dont le

120 A/55/305-S/2000/808 du 21 août 2000, L'étude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects, Lettres identiques datées du 21 août 2000 adressées au Président de l'Assemblée générale et au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, §§29-32

121 DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Projet La volonté d'intervenir, Québec, Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne, 2009, p.3

122 DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Op-cit, p.3

123 La Brookings Institution est souvent présentée comme le principal think tank des démocrates (groupe de reflexion américain). Il s'agit plutôt d'un organisme représentatif des élites modérées, favorables à une régulation économique limitée, par opposition au patronat libertarien de l'American Enterprise Institute. Désormais active en politique étrangère, elle préconise, comme les néo-conservateurs et dans les mêmes circonstances, l'usage de la force, mais pour motifs humanitaires et non par évangélisme démocratique, par devoir et non par enthousiasme conquérant. La moitié de ses chercheurs a travaillé dans le passé pour le Conseil de sécurité national ou la Maison-Blanche. A consulter dans www.voltairenet.org

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Canada et les États-Unis, se sont entendus pour dire que si un État n'est pas disposé ou en mesure de protéger ses citoyens contre de graves violations de droits humains reconnus internationalement, la communauté internationale doit alors prendre la responsabilité de protéger cette population. Dans ces circonstances, la communauté internationale a le devoir de prendre des mesures de prévention, de réaction et de reconstruction afin de protéger les civils sans défense qui sont victimes d'abus aux mains de leur propre gouvernement. Il est significatif que le document final du Sommet mondial de l'Assemblée générale de l'ONU mentionne la prévention124 en tant qu'élément le plus important de la responsabilité de protéger.

Les principes contenus dans le rapport sur la responsabilité de protéger sont devenus une doctrine d'une grande portée en matière de sécurité internationale et de droits humains. Ils reflètent l'aspiration grandissante à considérer la souveraineté comme un principe qui évolue et qui est intrinsèquement lié à la sécurité et à la protection des civils125.

§2. La prévention au niveau des causes directes

Puisque la responsabilité de protéger vise également la «prévention des conflits» et la «reconstruction des sociétés»126 (ce dernier aspect sera vu plus tard), aux termes du rapport sur la responsabilité de protéger de la CIISE, la prévention directe comporte essentiellement les mêmes compartiments politico-diplomatique, économique, juridique et militaire que celle de la prévention au niveau des causes profondes, mais les outils qui s'y trouvent sont différents, en raison du délai plus court dont on dispose pour obtenir des résultats. Ces outils peuvent prendre la forme d'une aide directe, d'incitations positives ou, dans les cas plus difficiles, d'une menace de « châtiment ». Mais la caractéristique essentielle et commune à toutes ces actions et mesures est qu'elles visent (même lorsque l'État concerné est réticent à

124 Lire aussi S/PRST/2009/1 du 14 janvier 2009, La protection des civils en période de conflit, Déclaration du Président du Conseil de sécurité à la 6066è session du conseil de sécurité des Nations Unies, p.6, 16-17 ; A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Op-cit, §§106-113

125 DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Op-cit, p.3

126 WEISSMAN Fabrice, « La responsabilité de protéger : le retour à la tradition impériale de l'humanitaire », in Les analyses du Crash-MSF, 2010, p.1

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coopérer) à écarter absolument toute nécessité de recourir à des mesures directement coercitives à l'encontre dudit État127.

Il apparaît utile de relever qu'une différence essentielle entre prévention des causes profondes et prévention des causes directes tient au rôle des acteurs en présence. Si dans la première de ces hypothèses, primat sera donné à l'État, en vue de mettre en place un édifice juridique et institutionnel apte à assurer une juste intégration de ces populations au tissu social, dans la seconde d'entre elles, le rôle des acteurs tiers sera bien plus prépondérant. Si dans le premier cas l'État, en tant que destinataire principal de l'obligation de protection, est encore en position de « renverser la vapeur » et de jouer son rôle de « protecteur », il apparaît que dans la deuxième hypothèse, l'imminence de la menace pourra lui être imputable dans une large mesure, qu'il ait pris des mesures préventives s'étant avérées insuffisantes ou qu'il se soit illustré par une inaction périlleuse, voire même parfois, coupable128.

Mais au-delà de cette multitude d'acteurs et intervenants, le rapport de la CIISE postule qu'une prévention efficace des conflits suppose une collaboration stratégique entre des intervenants très divers. Les États, l'ONU et ses institutions spécialisées, les institutions financières internationales, les organisations régionales, les ONG, les groupes religieux, les milieux d'affaires, les médias et les milieux scientifiques, professionnels et éducatifs, ont tous un rôle à jouer. L'aptitude à mener à bien une diplomatie préventive dépend finalement de la capacité internationale à coordonner des initiatives multilatérales et à définir une répartition logique des tâches129.

En tout état de cause, il apparaît que la dimension préventive au niveau des causes directes des conflits s'avère bien plus circonstancielle qu'au niveau de leurs causes profondes. Les mesures à prendre doivent ici être envisagées in casus et il semble bien malaisé de chercher à dépeindre un mécanisme d'ensemble des

127 CIISE, Op-cit, p.26

128 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.38

129 Voir CIISE, Op-cit, p.29

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mesures à prendre dans l'imminence d'un conflit, et c'est justement sur ce point que « le bât blesse », d'après Romélien COLAVITTI. Mais face à la relative difficulté de mise en oeuvre de procédures opérationnelles de prévention immédiate (recours au Conseil de sécurité, déploiement de forces armées de prévention), les institutions et organes subsidiaires onusiens (Comités de suivi de l'ONU, Conseil et ancienne Commission des Droits de l'homme, Haut-commissariat aux Droits de l'homme) peuvent jouer un rôle catalyseur et dissuasif indéniable. Reste que dans certaines hypothèses, les mécanismes de prévention immédiate sont déclenchés bien trop tard et dans ce cas, l'action d'urgence doit être envisagée130.

Au regard de ce qui vient d'être exposé, le voeu intrinsèque de la CIISE est de voir un changement fondamental d'état d'esprit au sein de la communauté internationale lequel consiste en « un passage d'une culture de la réaction à une culture de la prévention ».

SECTION 2. LA RESPONSABILITE DE REAGIR

« Lorsque survient un génocide, lorsque le nettoyage ethnique est perpétré quelque part dans le monde et que nous restons sans rien faire, cela nous diminue. Et je crois que nous devons considérer qu'il en va de nos intérêts, de notre intérêt national, d'intervenir là où c'est possible 131». Telle est l'idée clé qui doit motiver la réaction de la communauté internationale lorsque la prévention des conflits est mise en mal.

Il s'agit de réagir devant des situations où la protection des êtres humains est une impérieuse nécessité, en utilisant des mesures appropriées pouvant prendre la forme de mesures coercitives telles que des sanctions et des poursuites internationales et, dans les cas extrêmes, en ayant recours à l'intervention militaire.

130 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.40

131 OBAMA Barack, dans un discours prononcé en tant que candidat à l'élection présidentielle, en 2008

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Point central de la responsabilité de protéger, la dimension réactive impliquerait la reconnaissance d'un droit d'intervention armée dans l'hypothèse où un État ne se conformerait pas à son obligation de protection132.

Mais, s'il faut réagir, dans des cas extrêmes et exceptionnels, de qui doit émaner la décision d'intervenir impliquant une action militaire et quels sont les critères à satisfaire ? (§1) De tous ces critères, quels sont les critères décisifs pouvant permettre de déclencher une action militaire ? (§2)

§1. La décision d'intervenir

De la lecture du rapport sur la responsabilité de protéger de la CIISE, il ressort que quand les mesures de prévention ne parviennent pas à résoudre le problème ou à empêcher que la situation se détériore, et quand un État ne peut pas, ou ne veut pas, redresser la situation, des mesures interventionnistes de la part d'autres membres de la communauté des États dans son ensemble peuvent s'avérer nécessaires. Ces mesures coercitives peuvent être d'ordre politique, économique ou judiciaire et, dans les cas extrêmes (mais seulement dans les cas extrêmes), elles peuvent également comprendre une action militaire. L'un des principes premiers, en matière de réaction comme en matière de prévention, est qu'il faut toujours envisager les mesures les moins intrusives et coercitives avant celles qui le sont plus133.

Il est retenu dans ce rapport que quoiqu'il en soit, même dans les cas extrêmes, le principe de non intervention est la règle par rapport à laquelle toute exception doit être justifiée. Elle souffre, néanmoins, des exceptions limitées pour certains types de situation d'urgence. Du point de vue de la CIISE, le point de vue général était que ces circonstances exceptionnelles devaient être des cas où la violence est si manifestement « attentatoire à la conscience de l'humanité » ou bien qui représentent un danger si évident et immédiat pour la sécurité internationale qu'ils exigent une intervention coercitive d'ordre militaire.

132 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.40

133 CIISE, Op-cit, p.33

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Ainsi, la décision d'intervenir doit répondre à six critères que sont : l'autorité appropriée, la juste cause, la bonne intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens et les perspectives raisonnables. Le rapport de la commission fait un sort à part à la question de l'autorité appropriée et à celle de la juste cause, à côté de ce qu'il qualifie de « critères de précaution », à savoir la bonne intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens et l'existence des perspectives raisonnables, qui ajoutent chacun un élément différent de prudence ou de précaution à l'équation décisionnelle134.

A ce stade, le message fort que lance la commission est que les critères doivent être rigoureux parce que l'action proposée est elle-même extrême : l'intervention militaire n'est pas qu'une simple intrusion dans le territoire d'un État souverain, c'est une intrusion qui donne lieu à l'emploi de la force meurtrière, éventuellement à grande échelle.

De tout temps, la question majeure qui se pose est celle de savoir à qui appartiendrait la prérogative d'intervenir lorsque l'Etat serait défaillant? Deux hypothèses sont à envisager.

Première hypothèse, face à un État défaillant, la responsabilité de protéger les populations civiles de tout risque majeur incomberait à un autre État, qu'il soit frontalier ou non. Dans le cas de la protection des droits des minorités, cette éventualité pourrait être illustrée par une intervention de l'État-parent, en vue d'assurer la protection de ses minorités sur le sol de l'État voisin défaillant. À l'évidence, cette hypothèse ne saurait être aucunement acceptable au regard du droit international positif. En dehors de l'existence de conventions bilatérales préexistantes, l'État-parent ne détient aucune prérogative extraterritoriale fondant sa capacité d'action, en vue d'assurer la protection de ses minorités expatriées135. A fortiori, il apparaît qu'aucun autre État ne saurait s'arroger le droit d'intervenir unilatéralement au nom de la

134 Idem, p.36 ; voir DECAUX Emmanuel, « Légalité et légitimité du recours à la force : De la guerre juste à la responsabilité de protéger », in Droits fondamentaux, n°5, janvier-décembre 2005, p.11

135 KOACS P. cité par COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.41

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responsabilité de protéger. Dans le cas contraire, un tel recours contreviendrait alors radicalement au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de l'État, contenu dans l'article 2 §7 de la Charte des Nations unies. Hormis l'hypothèse (d'école?) de l'actio popularis, engagée en raison d'un manquement à une règle impérative du droit international général (commission d'un génocide notamment)136, cette première hypothèse doit être écartée, faute d'existence d'un fondement juridique suffisant.

Seconde hypothèse, le rapport Evans-Sahnoun relève qu'il appartiendrait au Conseil de Sécurité de s'acquitter de cette obligation, et ce, sur le fondement de l'article 24 de la Charte qui précise que les Membres de l'ONU lui confèrent « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil agit en leur nom ». Dans ce cas, il semblerait douteux, dans l'état du droit positif, d'envisager une autre procédure que celles prévues par les chapitres VII et VIII de la Charte. Il faudrait alors que le Conseil procède expressis verbis à la qualification de la situation comme constituant une menace à la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression et recoure ensuite à l'adoption de mesures conservatoires (article 40), de sanctions (articles 41 et 42) ou à l'habilitation d'un organisme régional de maintien de la paix et de la sécurité afin que celui-ci prenne les mesures adéquates (article 53).

Ainsi, pour déterminer s'il doit autoriser ou approuver l'usage de la force militaire, le Conseil de Sécurité devrait toujours examiner quelles que soient les autres considérations dont il puisse tenir compte, au moins les cinq critères fondamentaux de légitimité suivants :

- Gravité de la menace : la nature, la réalité et la gravité de la menace d'atteinte à la sécurité de l'Etat ou des personnes justifient-elle de prime abord l'usage de la force militaire ? En cas de menaces intérieures, y a-t-il un risque de génocide et

136 Voir sur ce point : Cour internationale de justice (CIJ), Barcelona Traction Light and Power Company, 5 février 1970, Rec. 1970, p. 32. Et une thèse récente : VOEFFRAY, F., L'actio popularis ou la défense de l'intérêt collectif devant les juridictions internationales, Paris, PUF, 2004, 403 p. citée par COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.41

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autres massacres, de nettoyage ethnique ou de violations graves du droit international humanitaire, effectif ou imminent ?

- Légitimité du motif : Est-il évident que l'opération militaire envisagée a pour objet principal de stopper ou d'éviter la menace en question, quelles que soient les autres considérations ou motivations en présence ?

- Dernier ressort : toutes les options non militaires pour faire face à la menace ont-elles été examinées et peut-on penser raisonnablement que les autres mesures sont vouées à l'échec ?

- Proportionnalité des moyens : l'ampleur, la durée et l'intensité de l'opération militaire envisagée sont-elles le minimum requis pour faire face à la menace en question ?

- Mise en balance des conséquences : Y a-t-il des chances raisonnables que l'intervention militaire réussisse à faire pièce à la menace en question, les conséquences de l'action ne devant vraisemblablement pas être pires que les conséquences de l'inaction ?137

Quant aux mesures à prendre, le rapport Evans-SAHNOUN s'inspire très largement de l'état actuel du droit, en prescrivant un recours à des sanctions graduelles, impliquant d'abord des mesures non armées (embargo sur les armes, sanctions financières, rupture des relations de coopération militaire, économique ou diplomatiques, etc.)138, puis, « uniquement dans les cas extrêmes »139, l'intervention militaire. Pour ce faire, l'ONU est la seule organisation représentative de la communauté internationale habilitée à déclencher l'intervention humanitaire à l'exclusion de toute autre compétence140.

§2. Les critères décisifs : une juste cause

Etant considérée comme une mesure exceptionnelle et extraordinaire, l'intervention militaire ne peut être justifiée que lorsqu'il y a un

137 DECAUX Emmanuel, Op-cit, p.14

138 CIISE, Op-cit,pp.33-35

139 Idem, p.35

140 Lire à ce sujet ABDELWAHAB Biad, Op-cit, p.95

141 CIISE, Op-cit, p.37

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préjudice grave et irréparable touchant des êtres humains soit en train ou risque à tout moment de se produire.

Partant de cela, la CIISE retient que l'intervention militaire à des fins de protection humaine se justifie dans deux grandes catégories de circonstance qui, si l'une ou l'autre de ces deux conditions, ou les deux à la fois, sont réalisées, l'élément « juste cause » de la décision d'intervenir est à son avis amplement satisfait.

Il s'agit alors d'arrêter ou d'éviter :

- des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable; ou

- un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol141.

C'est ici que se justifie l'idée selon laquelle le premier principe du système international, l'égalité souveraine, pourrait se trouver enfreint par la poursuite du deuxième principe, la protection des droits de l'homme grâce à l'intervention militaire. Ce qui vient encore renchérir le retrait des droits de l'homme du domaine réservé de l'Etat et la passation de la conception de la souveraineté comme absolue à la souveraineté responsable.

La juste cause fait appelle à la notion de la sécurité humaine car il n'y a pas de véritable sécurité sans respect des droits de l'homme, tandis que le respect des droits de l'homme est un gage de la stabilité et du développement. Koffi ANNAN a donc le mérite de placer en exergue la liberté et de lier la sécurité, les droits de l'homme et le développement (le refus de la misère et de la terreur) comme le souligne le sous-titre « Développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous » du rapport intitulé « Dans une liberté plus grande ».

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C'est toujours dans ce contexte qu'en 1994 l'ONU a donné la quintessence de son Rapport mondial sur le développement humain, qui présentait une nouvelle conceptualisation de la sécurité insistant sur l'importance des droits de l'homme et du rôle de la société internationale dans la promotion de ces droits grâce au concept de « sécurité humaine ». Le rapport définit explicitement la sécurité humaine comme étant composée de deux éléments : « d'une part, la protection contre les menaces chroniques, telles que la famine, la maladie et la répression et, d'autre part, la protection contre tout événement brutal susceptible de perturber la vie quotidienne »142.

Le groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement avait, à cet effet, remis un rapport intitulé « Un monde plus sûre :notre affaire à tous » le 1er décembre 2004 au Secrétaire Général des Nations Unies dans lequel il revendiquait une nouvelle conception de la sécurité collective, plus large puisqu'englobant les menaces de toutes natures et de toutes origines, anciennes et nouvelles, et impliquant tant les États (acteurs traditionnels) que les groupes et entités non étatiques, les organisations de solidarité internationale, et les individus. Cette approche globale qui fonde le concept de « sécurité humaine » a pour ambition de rendre le système de sécurité collective plus efficace et équitable143.

Une intervention des Nations Unies, aux termes du rapport de la CIISE, en ce sens, serait juste et n'enfreindrait en rien la souveraineté étatique. Car bien que la Charte affirme cependant la souveraineté des Etats à l'intérieur de leurs frontières et précise qu'aucune disposition « n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat », le Chapitre VII, en cas « de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agression » peut-il alors s'appliquer en cas de conflits internes ? La réponse a été longtemps négative. Plus récemment, le Conseil a cependant décidé par exemple que le génocide au Rwanda, ou le conflit du Kosovo en 1999, interne à la Serbie,

142 Organisation des Nations Unies, Rapport mondial sur le développement humain, « Chapitre 2, Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », 1994, p. 24.

143 CROUZATIER Jean-Marie, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », in Revue ASPECTS, n° 2, 2008, p.18

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menaçaient la paix et la sécurité internationales et justifiaient la création de tribunaux spéciaux et la guerre menée en 1999 par l'OTAN contre la Serbie144.

Alors c'est ici que trouve sa justification l'idée selon laquelle la R2P prétend respecter la souveraineté des Etats en leur reconnaissant la responsabilité première de veiller à la protection de leurs populations. C'est uniquement en cas de défaillance de leur part que la «communauté internationale» aurait «la responsabilité» de se substituer aux autorités nationales quitte, le cas échéant, à déclarer la guerre aux auteurs de violences de masse145.

Puissions-nous signaler que la responsabilité de protéger ne préconise pas l'intervention humanitaire. La responsabilité de protéger demande aux Etats de reconnaître que la souveraineté implique une responsabilité de protéger leurs populations, et encourage la communauté internationale à assumer sa responsabilité de réagir quand un Etat est incapable ou manque la volonté de protéger ses populations. Ce sujet ne doit pas être apprécié comme une atteinte au droit d'intervention de l'Etat mais plutôt comme une nécessité d'assurer la protection des populations vulnérables146.

Il importe de préciser qu'en soi, le droit d'ingérence humanitaire est un concept idéologique, introduit par l'Occident, sans aucune base légale. Ce concept a été rejeté par tous les pays du sud. La responsabilité de protéger est formulée de façon à respecter les principes de l'ONU, c'est-à-dire la nécessité d'une autorisation préalable du Conseil de Sécurité avant toute intervention militaire. Mais, formulé ainsi, ce n'est pas réellement neuf, parce qu'avant l'introduction de la responsabilité de

144 IAGOLNITZER Daniel, Le droit international et la guerre. Evolution et problèmes actuel, Paris, L'Harmattan, 2007, p.10

145 Lire dans ce sens WEISSMAN Fabrice, Op-cit, p.1

146 Projet du Mouvement fédéraliste international, La responsabilité de protéger : Foire aux questions. A consulter dans www.responsabilitytoprotect.org

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protéger, le Conseil de Sécurité pouvait déjà autoriser une intervention en cas de génocide, par exemple147.

Enfin, La responsabilité de protéger n'est pas destinée à constituer une charte d'interventionniste. Plutôt, la responsabilité de protéger vise à codifier un ensemble de mesures à la disposition de la communauté internationale et des organisations régionales, quand des menaces de crises atteignent un seuil dangereux. L'intervention militaire à des fins de protection des civiles doit seulement être employée en dernier recours après que toutes les mesures pacifiques aient été vainement utilisées. La responsabilité de protéger essaye de créer plus, et non moins, de règles sur quand et comment l'intervention militaire est adéquate148.

Mais très souvent une intervention armée a pour conséquence la destruction des biens et la déstabilisation des institutions politiques d'un Etat. C'est ainsi que la reconstruction après toute intervention semble être un moyen adéquat pour permettre de revenir au calme.

SECTION 3. LA RESPONSABILITE DE RECONSTRUIRE

Fournir, surtout après une intervention militaire, une assistance à tous les niveaux afin de faciliter la reprise des activités, la reconstruction et la réconciliation, en agissant sur les causes des exactions auxquelles l'intervention devait mettre un terme ou avait pour objet d'éviter a été une question parmi tant d'autres qui a préoccupé la CIISE dans l'élaboration de son rapport. Car rien ne saurait remplacer une stratégie claire et efficace post-intervention, d'après la commission.

Troisième et dernière dimension de la responsabilité de protéger, la reconstruction constitue un élément fondamental de la pérennisation de l'ordre en zone post conflictuelle. Comme le prouvent les cas récents de l'ex-Yougoslavie, de

147 DELCOURT Barbara, « La responsabilité de protéger et l'interdiction du recours à la force : Entre normativité et opportunité », in Actes du Colloque de la société française pour le droit international, (juin 2007-Paris X Nanterre), Paris, Pedone, 2008, pp.305-312.

148 Projet du Mouvement fédéraliste international, La responsabilité de protéger : Foire aux questions. A consulter dans www.responsabilitytoprotect.org

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l'Afghanistan ou de l'Irak, la restauration de l'État de droit passe par une reconstruction impliquant l'intervention nécessaire d'acteurs internationaux, publics ou privés. C'est une responsabilité post-facto149.

Alors se posent, à ce stade, les questions relatives aux obligations après une intervention (§1) et à l'autorité sous l'administration de laquelle devrait se faire la reconstruction (§2).

§1. Obligations après une intervention

Les obligations après une intervention retenue par la CIISE sont : la consolidation de la paix, la sécurité, la justice, la réconciliation et le développement.

A. Restauration immédiate de l'ordre

Ayant été négligée par le système international de sécurité collective pendant plusieurs années, la dimension de reconstruction s'opère, en premier lieu, par la restauration immédiate de l'ordre ainsi que par la lutte contre toute éventualité de renaissance ou de mutation du conflit. Comme le prouve le cas du Kosovo, la violation systématique des droits de la minorité albanophone (minoritaire dans l'État, mais majoritaire dans la province), pouvait à tout moment de la gestion post-crise, générer une sorte de « reflux » des rivalités, cette fois, au détriment de la population serbe (majoritaire dans l'État, mais minoritaire dans la province)150.

Dans une autre perspective, en Afghanistan et en Irak, la fin des principales opérations armées menées à l'instigation des autorités américaines ne signifiait pas pour autant la fin de tout risque de mutation du conflit. Ainsi, l'insécurité notoire au sein de ces deux États pouvait à tout instant constituer le lit d'antagonismes nouveaux ayant, notamment, un fondement interreligieux.

149 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.44

150 Idem

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Pour ce faire, il y a lieu d'assurer, en premier lieu, la sécurisation des zones de conflits, notamment par le déploiement de troupes militaires sous commandement unifié. Outre la pacification des anciennes zones de combat, la démobilisation, la démilitarisation et, in fine, la réinsertion des anciens combattants (et, au premier chef, des « enfants soldats »), constituent des mesures d'urgence largement motivées par la volonté de lutte contre la reprise des combats151.

Le rôle des organisations régionales et internationales est ici majeur. En second lieu, l'intervention des organisations humanitaires et des ONG est également primordiale, afin d'assurer l'assistance aux victimes, aux réfugiés ainsi qu'à l'ensemble des populations déplacées lors du conflit. Enfin, la participation des autorités locales apparaît comme fondamentale et permet de prévenir tout risque de développement, au sein de la population, d'un sentiment d'occupation ou de tutelle extérieure152.

Le cas du Kosovo est, là encore, riche d'enseignements. La fin des hostilités n'a aucunement généré un désengagement immédiat des forces internationales. L'ONU, l'OSCE, l'Union Européenne et, dans une certaine mesure le Conseil de l'Europe, ont été associés à la sécurisation de la province et à la restauration de l'ordre, à la suite de l'adoption des accords de Rambouillet du 27 mai 1999153.

Dans ce cas, les forces de la Mission intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK), assistées par les agents de la KFOR, ont procédé à une opération de rétablissement de l'ordre par rassemblement et désarmement des factions militaires154.

Dans le cas des conflits impliquant des minorités, cette dimension de la responsabilité de protéger apparaît comme primordiale, dans la

151 CIISE, Op-cit, p.45

152 Idem, p.47

153 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.45. L'accord Rambouillet est un accord intérimaire pour la paix et

l'autonomie au Kosovo signé pour trouver une solution pacifique et politique au Kosovo qui constituait une condition préalable pour la stabilité et la démocratie

154 Idem

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mesure où les risques de reprise immédiate des hostilités semblent patents et les tensions interethniques, bien plus difficiles à juguler. De surcroît, l'inversement des rôles de « persécutés » et de « persécuteurs » a d'autant plus de possibilités à s'opérer, lorsqu'il n'existe pas d'appareillage institutionnel et policier, apte à apaiser les tensions émergentes155.

B. La consolidation future de la paix et de la sécurité

Rappelons que le Conseil de Sécurité et le Comité spécial des opérations de maintien de la paix de l'Assemblée Générale ont tous deux constaté et reconnu que la consolidation de la paix était un élément important des opérations de maintien de la paix et contribuait pour beaucoup à leur succès. Ainsi, dans une déclaration de son Président adoptée le 29 décembre 1998, le Conseil de Sécurité a encouragé le Secrétaire Général à « envisager la possibilité de mettre en place des structures de consolidation de la paix après les conflits dans le cadre des efforts accomplis par le système des Nations Unies pour parvenir à un règlement pacifique durable des différends... »156.

Pour sa part, le Comité spécial des opérations de maintien de la paix, dans le rapport qu'il a présenté plus tôt en 2000, a souligné qu'il importait de définir explicitement et d'identifier clairement les diverses composantes d'un programme de consolidation de la paix avant de les intégrer dans le mandat d'opérations de paix complexes, afin de permettre ensuite à l'Assemblée Générale d'examiner s'il est opportun de continuer à appuyer des éléments clefs du programme de consolidation de la paix lorsqu'une opération complexe arrive à son terme157.

En effet, une fois que les zones post-conflictuelles ont été sécurisées, le processus de reconstruction s'inscrit dans une démarche de consolidation pérenne de l'ordre. À ce titre, trois secteurs sont alors privilégiés : la justice, les

155 Ibid

156 A/55/305-S/2000/809 du 21 août 2000, Etude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de

la paix sous tous leurs aspects, Lettres identiques datées du 21 août 2000, adressées au Président de l'Assemblée générale et au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général (rapport Brahimi), §35

157 Idem

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institutions et le développement. Concernant le domaine de la justice, la responsabilité de protéger exige la poursuite pénale des individus responsables ainsi que l'indemnisation des victimes des conflits158.

À ce titre, la création de juridictions pénales internationalisées, comme les Tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie159 et le Rwanda160 ainsi que la récente Cour Pénale Internationale161, permet d'envisager un processus de reconstruction ne laissant pas s'exercer, post-facto, une « justice de vainqueurs » qui risquerait de méconnaître les droits de la défense et les garanties d'un procès équitable162.

Le développement de nouvelles conceptions comme la « justice transitionnelle » (dont les différentes commissions « Vérité et réconciliation » constituent des exemples topiques) illustre, dans une large mesure, la volonté d'une reconstruction qui fasse, à la fois, oeuvre de justice et « d'expiation »163.

Concernant le domaine des institutions, la dimension reconstructrice de la responsabilité de protéger exige une assistance internationale, en vue d'assurer une transition constitutionnelle et démocratique ainsi que la restauration pérenne de l'appareil d'État. La surveillance des élections, l'aide à l'organisation d'un référendum d'autodétermination (comme ce fut le cas au Timor oriental) ou l'assistance constitutionnelle (comme dans le cas de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine) ne sont que quelques-uns des exemples d'une palette de mesures

158 Conformément à l'article 79 du Statut de la Cour pénale internationale du 1er juillet 2002, la première session de l'Assemblée des États Parties de septembre 2002 a instauré le Fond d'affection spéciale au profit des victimes de crimes justiciables devant cette juridiction, voir : ICC-ASP /1/3- Rés.6.

159 Conseil de sécurité, résolution 827 du 25 mai 1993.

160 Conseil de sécurité, résolution 955 du 8 novembre 1994.

161 Voir le Statut de la Cour pénale internationale, adopté à Rome et entré en vigueur le 1er juillet 2002.

162 Pour une analyse d'ensemble des perspectives soulevées par le développement du droit international pénal, voir : Ascensio, H., Decaux, E. et Pellet, A., (dir.) Droit international pénal, Paris, Pedone, 2000, 1053 pp.cité par COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.46

163 Voir sur ce point : Philippe, X., « Les Nations unies et la justice transitionnelle : bilan et perspectives », in L'Observateur des Nations unies, 2006, pp. 169-191cité par COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.46

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envisageables, en vue de doter l'État en situation post-conflictuelle d'institutions démocratiques viables164.

Dans ce cadre, l'exemple de la Commission pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe (appelée généralement commission de Venise, du nom du lieu où se tiennent ses assemblées plénières), peut être révélateur de cette exigence d'accompagnement des États en transition, notamment dans le domaine de la protection des minorités nationales, de leur participation à la vie publique et de leur représentativité dans l'appareil d'État165.

Concernant, en dernier lieu, le domaine du développement, la réinsertion sociale et économique apparaît comme une priorité afin d'éviter la marginalisation de personnes appartenant à des minorités déplacées ou, plus généralement, discriminées au cours de la période conflictuelle. L'élaboration d'institutions autonomes dans les zones concernées peut constituer un vecteur de catalyse de l'activité productive, ainsi que de la participation effective au processus décisionnel des personnes appartenant à des minorités166.

En tout état de cause, la dimension reconstructrice de la responsabilité de protéger appelle une planification rationnelle et un désengagement progressif des organismes internationaux. Ceux-ci ne sauraient négliger cette étape essentielle, sous peine de voir renaître le conflit, mais ne sauraient également faire l'économie d'une participation suffisante des acteurs locaux. La reconstruction de l'appareil d'État exige que la démocratie ne soit pas octroyée et la pérennisation de l'ordre ne saurait se faire sans une prise de responsabilité progressive des acteurs locaux, régionaux et nationaux167.

164 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.46

165 Idem

166 Ibid.

167 Ibid.

63

§2. Administration sous l'autorité de l'ONU

La question d'autorité permet de canaliser toute action sur le plan du droit. C'est une question qui vise à s'éloigner de l'anarchie. Ainsi dit, toute action entreprise ne peut réussir que si elle est rattachée à une autorité bien déterminée168. C'est ce qui justifie que la dimension reconstructive de la R2P ne peut se réaliser sans l'administration de l'ONU qui en est l'autorité légitime.

En effet, toute action post-facto doit viser, comme le souligne la CIISE, à favoriser le progrès politique, économique et social des populations du territoire considéré ;d'encourager le respect des droits de l'homme ; d'assurer l'égalité de traitement dans le domaine social, économique et commercial à tous les peuples, et d'assurer également l'égalité de traitement dans l'administration de la justice, tel qu'il ressort de l'article 76 de la Charte des Nations Unies. Il est donc aisé ici de faire application du chapitre XII de ladite Charte.

L'ONU rappelle que, fondamentalement, la responsabilité de protéger est un principe conçu pour réagir à des menaces à la vie humaine, et non un instrument servant à réaliser des objectifs politiques tels que l'autonomie politique accrue, l'autodétermination ou l'indépendance de groupes particuliers dans le pays (encore que ces problèmes sous-jacents puissent parfaitement être liés aux préoccupations humanitaires qui sont à l'origine de l'intervention militaire). L'intervention elle-même ne doit pas servir de base à de nouvelles revendications séparatistes169.

C'est ici que trouve place le débat qui oppose le détracteur de la responsabilité de protéger à ses partisans. Ces détracteurs fustigent l'instrumentalisation politique de ladite notion en ce sens que c'est une responsabilité

168 Voir CIISE, Op-cit, p.48 ; DECAUX Emmanuel, Op-cit, p.4

169 CIISE, Op-cit, p.48

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assumée par les grandes puissances et l'instrumentalisation militaire de la protection en ce sens que le militaire n'est plus employé dans des cas extrêmes et rarissimes170.

La grande question qui se pose ici est celle de la « tutelle » qui subit une résistance généralisée, au motif qu'elle ne représente qu'un autre type d'ingérence dans les affaires intérieures d'autrui. Elle renvoie aussi aux problèmes de souveraineté dans la mesure où l'on peut se trouver en face d'une puissance extérieure qui maintient sa présence dans un pays en crise après y être intervenue.

En effet, le rapport sur la doctrine onusienne précise qu'une intervention suspend les revendications de souveraineté dans la mesure où la bonne gouvernance (ainsi que la paix et la stabilité) ne saurait être favorisée ni rétablie sans que l'intervenant exerce son autorité sur le territoire. Mais il ne s'agit que d'une suspension de facto, pour la durée de l'intervention et la période qui suit, et non d'une suspension de jure171.

En somme, la responsabilité de protéger affirme qu'une intervention entreprise pour protéger des êtres humains ne doit être entachée d'aucun soupçon d'impérialisme néocolonial. Bien au contraire, la responsabilité de reconstruire, qui découle de l'obligation de réagir, doit avoir pour dessein de rendre la société à ceux qui y vivent et qui, en dernière analyse, doivent assumer la responsabilité de son destin futur172.

C'est là l'essentiel du contenu de la responsabilité de protéger tel que conçu dans le cadre onusien. Puissions-nous alors analyser sa mise en oeuvre avant de voir comment est-ce qu'elle a été appliquée en Libye.

170 A ce sujet lire CROUZATIER Jean-Marie, Op-cit, pp.20-25

171 CIISE, Op-cit, p.48

172 Idem, pp.49-50

173 A/63/677 du 12 janvier 2009, La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies

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CHAPITRE III. MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger fait partie des problèmes cruciaux de notre époque. Ce problème se trouve être posé aux paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005. Ainsi, c'est dans le rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon173 que ce problème est traité. Ce rapport souligne que la responsabilité de protéger un peuple du génocide, des crimes contre l'humanité, du nettoyage ethnique et des crimes de guerre passe avant tout par l'action nationale qui en constitue le premier pilier (section 1). Si l'Etat en question ne réagit pas ou ne trouve pas des moyens pour réagir, il sera mis en place, par la communauté internationale, le deuxième pilier qui consistera en des mesures de persuasion et d'incitation lesquelles se traduisent par l'assistance internationale et le renforcement des capacités (section 2). Enfin, si l'Etat manque manifestement à son obligation de protection, le troisième pilier veut que la priorité soit de sauver les vies par les autres Etats membres en menant en temps voulu une action collective et résolue (section 3).

SECTION 1. PREMIER PILIER : LES RESPONSABILITES DE L'ETAT EN MATIERE DE PROTECTION

Ce pilier met en exergue les trois premières phrases du paragraphe 138 du Document final du Sommet de 2005 dans lesquelles chaque Etat s'est engagé à protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité notamment dans la prévention de ces crimes (§1). Toutes ces actions ne peuvent donc se mettre en place que grâce à l'appui des organisations internationales, organisations régionales et ONG (§2).

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§1. La prévention des crimes internationaux

Nous avions signalé précédemment que la dimension préventive constituait une priorité de la responsabilité de protéger. Ce principe ne trouve son sens que dans un cadre préventif lui permettant d'éviter la commission de tout acte qui compromettrait les principes sur lesquels se base toute notre humanité174.

Comme on peut le remarquer, le rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon insiste sur le fait que la responsabilité de protéger relève avant tout de la responsabilité de l'Etat, car la prévention commence sur le territoire national et la protection des populations est un attribut constitutif de la souveraineté et du statut de l'Etat au XXIè siècle175.

C'est ici que l'on cerne le rôle supplétif de la communauté internationale tel que voulu par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis au Sommet de 2005. C'est le libellé du paragraphe 138 du Document final dudit sommet qui confirme cette vérité fondamentale. Le rapport sur la responsabilité de protéger l'a, d'ailleurs, souligné en affirmant que la responsabilité de protéger un peuple contre les massacres et d'autres graves exactions est la plus élémentaire et la plus fondamentale de toutes les responsabilités imposées par la souveraineté, et que si un État n'est pas disposé à protéger ses citoyens ou n'est pas en mesure de le faire, une intervention coercitive déclenchée par d'autres membres de la communauté internationale pour assurer la protection humaine, y compris par des moyens militaires, peut être justifiée dans des cas extrêmes176.

174 Il a fallu attendre la remarquable mutation avec Mohamed SAHNOUN, Gareth EVANS et les autres pour que la dimension de la prévention des massacres de masse ait toute son ampleur dans un rapport axé sur la protection humaine et la prévention des massacres de masse intitulé « la responsabilité de protéger ». C'est ainsi que Bernard KOUCHNER va affirmer que « la responsabilité de protéger » est désormais le nom pudique accordé à un instrument de prévention des massacres de masse. Cette assertion se trouve être vérifiée lorsqu'on se rend compte de la place que la prévention occupe dans le rapport précité. Les massacres de masse vont à l'encontre des principes sur base desquels se trouve être fondée toute notre humanité. Ceci est une raison de plus pour que la responsabilité de protéger constitue le leitmotiv qui a pour finalité la prévention des massacres de masse. Ainsi, cette prévention ne saurait être atteinte que lorsque l'Etat et la communauté internationale parviendront à éliminer à la fois les causes profondes et les causes directes des conflits internes et des autres crises produites par l'homme qui mettent en danger les populations.

175 A/63/677 du 12 janvier 2009, Op-cit, Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies, §14

176 CIISE, Op-cit, p.75

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Aux termes de ces paragraphes, on peut lire que « c'est à chaque Etat qu'il incombe de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité. Ce devoir comporte la prévention de ces crimes, y compris l'incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés. Nous acceptons cette responsabilité et agirons de manière à nous y conformer. La communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à s'acquitter de cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d'alerte rapide »177.

Par cet engagement, les Etats devront se rassurer aussi que les quatre crimes couverts par la responsabilité de protéger sont effectivement intégrés dans leurs législations locales en les accompagnant des sanctions pénales. En outre, un accès plus égalitaire à la justice doit être mis en place, surtout face aux violations des droits humains, ainsi que la promotion de l'égalité des sexes et le renforcement de la société civile en introduisant les principes de la responsabilité de protéger afin que ces valeurs soient progressivement intégrées du moins par les jeunes générations178.

Ce qui reste alors c'est la volonté politique des dirigeants pour arriver à ces fins. Car c'est d'elle que dépendra la mise en oeuvre, sur le plan préventif, de la responsabilité de protéger. C'est à ce niveau que les dirigeants politiques jouent un rôle vital. Mais, ils ne sont pas les seuls acteurs.

§2. Le rôle des organisations internationales, des organisations régionales et des ONG

Le rapport sur la responsabilité de protéger insiste sur le fait que ces organisations jouent un rôle essentiel et sans cesse croissant puisqu'elles constituent une source d'information, d'arguments et de pressions qui infléchissent le processus décisionnel, en s'adressant directement aux décideurs et indirectement à ceux qui les influencent.

177 A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Op-cit, §138

178 Lire à ce sujet MANRIQUE Marie France, « La responsabilité de protéger : Un concept en mal d'application », in Institut de Recherche sur la résolution non-violente des conflits, p.8

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C'est donc grâce à leur soutien que toutes les actions précitées se mettent en place en insistant sur la formation et l'apprentissage afin d'instaurer la responsabilité individuelle.

L'apport du rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon, à ce sujet, est remarquable dans la mesure où il y ressort que l'un des meilleurs moyens d'empêcher que de petits délits ne dégénèrent en crimes graves, et de mettre entièrement fin à de telles atteintes à la dignité humaine, est de favoriser la responsabilité individuelle179.

Ledit rapport ajoute que les Etats qui ont subi de tels traumatismes, tout comme la société civile et les organisations internationales, peuvent faciliter la mise en place de réseaux nationaux et transnationaux de survivants afin d'assurer une plus large diffusion à leurs récits et aux enseignements à en tirer, contribuant ainsi à prévenir le retour de tels événements ou leur répétition ailleurs.

Les ONG depuis toujours se sont montrées impliquées dans cet exercice en préconisant l'action transfrontalière de protection humaine. Elles ont exercé une influence positive importante, surtout en Occident, en poussant les pouvoirs publics à agir180.

Toutefois, il peut arriver que l'Etat concerné ne réagisse pas ou ne trouve pas des moyens pour réagir. D'où les mesures de persuasion et d'incitation doivent être prises sous forme d'assistance internationale et de renforcement des capacités.

179 A/63/677 du 12 janvier 2009, Op-cit, §27

180 CIISE, Op-cit, p.80

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SECTION 2. DEUXIEME PILIER : ASSISTANCE INTERNATIONALE ET RENFORCEMENT DES CAPACITES

Il ressort des prescrits du Document final du sommet de 2005 que la communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les Etats à s'acquitter de la responsabilité de protéger d'une part, ce qui constitue une assistance de sa part (§1) et, d'autre part, elle s'est engagée à renforcer les capacités propres à réduire les risques pouvant découler des crimes couverts par la responsabilité de protéger (§2).

§1. Assistance internationale

De l'analyse des paragraphes 138 et 139 du document précité, il ressort que l'assistance internationale peut prendre l'une des formes ci-après :

a) Encourager les Etats à s'acquitter de leurs responsabilités au titre du premier pilier181 ;

b) les aider à exercer cette responsabilité182 ;

c) les aider à se doter des moyens de protéger leurs populations183 ;et

d) apporter une assistance aux pays « dans lesquels existent des tensions avant qu'une crise ou qu'un conflit n'éclate »184.

En effet, aux termes du rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon, il est précisé que si la première forme d'assistance consiste à persuader les Etats de faire ce qui leur incombe, les trois autres formes supposent, par contre, un engagement réciproque et un partenariat actif entre la communauté internationale et l'Etat185.

Cette assistance nous semble être une expression éloquente de la protection des droits de l'homme par le droit international. Car la protection de

181 A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Op-cit, §138

182 Idem

183 Ibid., §139

184 Ibid.

185 A/63/677 du 12 janvier 2009, Op-cit, §28

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l'individu se trouve être connue depuis longtemps du droit international telle que cela est prouvé par l'institution de la protection diplomatique aussi bien que les traités de protection des minorités, notamment religieuses, dont certains furent conclus il y a plusieurs siècles. Cette conception est consolidée par le droit international contemporain qui fait de la promotion et de la protection individuelle des droits de l'homme une fin en soi186.

Puisque l'assistance internationale à elle seule ne suffit pas, le renforcement des capacités des Etats parait être un autre champ de batail auquel la communauté internationale s'est livrée vis-à-vis des Etats menacés ou frappés par l'un des crimes précités.

§2. Renforcement des capacités

N'ayant pas suffisamment investi dans des capacités de prévention, qui n'absorbent qu'une partie des dépenses de l'ONU au titre des opérations vitales de consolidation de la paix après le conflit187, le monde se voit être contraint à s'engager efficacement dans le renforcement des capacités des pays dans lesquels le besoin se fait sentir de manière imminente.

A cet effet, le Secrétaire Général Ban Ki-Moon admet, dans son rapport, que contribuer au renforcement des capacités civiles des organisations régionales et sous-régionales pour prévenir les crimes et violations relevant de la responsabilité de protéger pourrait donc être un investissement avisé. Plusieurs initiatives utiles en ce sens sont envisagées dans le cadre du Programme décennal de renforcement des capacités pour l'Union Africaine de l'ONU188.

L'exemple de renforcement le plus palpable sur terrain pourrait être l'instauration d'une diplomatie parallèle cohérente en vue de renforcer les

186Pour plus de détail sur la promotion et la protection individuelle des droits de l'homme comme une fin en soi lire ALEDO Louis-Antoine, Le droit international public, Paris, Dalloz, 2005, pp.130-131

187 A/63/677du 12 janvier 2009, Op-cit, §38

188 Idem

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pressions morales publiques et/ou confidentielle, l'envoi des conseillers spéciaux, une pression de la part des organisations de développement et des institutions de Bretton Woods lesquels constituent les mesures de persuasion et d'incitation de ce deuxième pilier. Il s'avère aussi important de renforcer la bonne gouvernance qui est compatible avec les objectifs de la responsabilité de protéger189.

Le rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon retient cinq capacités190 déduites de la pratique de l'aide au développement et fondées sur les demandes des Etats Membres eux-mêmes à savoir :

a) Analyse du développement tenant compte des conflits. Cela implique le renforcement de la capacité des institutions nationales, dans le cadre de la planification du développement, d'analyser ensemble les questions et les tensions qui se font jour, afin que l'exécution des programmes de développement contribue à atténuer les tensions existantes au lieu de les exacerber ;

b) Capacité locale de médiation. Il s'agit de créer ou de renforcer des institutions et des mécanismes crédibles, aussi bien traditionnels que modernes, et dans le cadre tant des pouvoirs publics que de la société civile, qui peuvent aider à apporter des solutions internes aux différends, encourager la réconciliation et jouer un rôle de médiation sur des questions précises ;

c) Consensus et dialogue. Cela requiert des capacités de dialogue participatif sans exclusive, et la création d'espaces et d'instances neutres pour traiter les dissensions par ce dialogue. En Amérique latine en particulier, les États Membres ont institué des espaces de « dialogue démocratique » en tant que composante de la gouvernance;

d) Capacité locale de règlement des différends. Il s'agit de créer des infrastructures de paix, aux plans national et local, pour régler les litiges locaux à propos de la terre, des ressources, de la religion, de l'appartenance ethnique, ou de la transmission du pouvoir d'une manière durable avant qu'ils ne dégénèrent en conflit ;

189 Voir MANRIQUE Marie France, Op-cit, p.9

190 A/63/677du 12 janvier 2009, Op-cit, §45

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e) Capacité de reproduire les capacités. Enfin, il faut que les capacités ci-dessus définies soient absorbées et profondément enracinées dans les sociétés pour que les nouvelles générations de dirigeants aient les ressources et les compétences pour prévenir les types de fractures et de frustrations risquant de conduire à des crimes relevant de la responsabilité de protéger.

Mais, il se peut que, comme dit précédemment, les autorités nationales n'assument pas la protection de leurs populations. Dans ce cas, une réaction de la communauté internationale en vue de sauver les vies humaines serait indispensable.

SECTION 3. TROISIEME PILIER : REACTION RESOLUE EN TEMPS VOULU

La réaction de la communauté internationale est envisagée sous des échelons différents lesquels ne se focalisent pas directement sur la coercition. C'est ainsi qu'il y a d'une part, comme réaction possible, la mise en oeuvre des moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés (§1) et, d'autre part, si ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n'assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre les quatre crimes et violations visés, il y a alors lieu qu'une intervention militaire rentrant dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l'ONU soit autorisée par le Conseil de Sécurité (§2).

§1. La mise en oeuvre des moyens pacifiques

Aux termes du rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon, ces moyens sont mis en oeuvre conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte de l'ONU afin d'aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité.

73

En effet, dans les relations étatiques, ces mesures sont généralement préférables à l'emploi de la force tel que le démontre la CIISE dans son rapport191. La CIISE souligne, en outre, que les mesures autres que l'action militaire comprennent les sanctions militaires, économiques et politico-diplomatiques.

Dans le domaine militaire, le rapport de la CIISE précise, d'une part, que les embargos sur les armes constituent un outil important entre les mains du Conseil de Sécurité et de la communauté internationale lorsqu'un conflit survient ou menace de survenir. Ces embargos portent généralement sur la vente de matériel militaire et de pièces de rechange. D'autre part, l'interruption de la coopération militaire et des programmes d'entraînement est une autre mesure fréquente, encore que moins rigoureuse, que les États utilisent ou menacent d'utiliser pour assurer le respect des normes internationales, ses résultats étant toutefois assez variables192.

Dans le domaine économique, ce rapport affirme entre autre que les sanctions financières peuvent viser les avoirs étrangers d'un pays, d'un mouvement rebelle ou d'une organisation terroriste, ou les avoirs étrangers de tel ou tel dirigeant. Lorsqu'elles visent des individus, ces mesures sont de plus en plus souvent élargies aux membres de la proche famille de l'intéressé. De même, on peut aussi concevoir que l'interdiction des liaisons aériennes a été utilisée dans un certain nombre de cas et consiste généralement à interdire le trafic aérien international à destination ou en provenance d'un lieu donné193.

Enfin, dans le domaine politico-diplomatique, il peut être conçu la suspension de la participation à des organisations internationales ou régionales, ou l'expulsion de ces organisations, et la perte non seulement du prestige national qui s'y attache mais également de la coopération technique ou de l'aide financière éventuellement offerte par ces organismes, constituent un autre outil de plus en plus utilisé. A cet effet, ledit rapport souligne que le refus d'admettre un pays dans une

191 CIISE, Op-cit p.33

192 Idem, p.34

193 Ibid.

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organisation est un corollaire de la mesure précédente qui a été parfois utilisé et a donné de bons résultats194.

Nonobstant toutes ces mesures, des cas extrêmes peuvent justifier le recours à une intervention armée lorsque les mesures sus-évoquées ont échoué et n'ont pu mettre fin aux graves violations des droits de l'homme.

§2. L'intervention militaire autorisée par le Conseil de Sécurité

S'inscrivant dans la même suite d'idées que le professeur BETTATI, nous estimons que, dans certaines situations, la souveraineté sert d'alibi à une dictature établie. Elle « condamne parfois des pans entiers d'une des composantes de l'Etat, sa population, à la non-assistance, lorsque victime de catastrophes naturelles ou politiques, elle est privée de secours étranger pourtant disponible195.

C'est là la raison fondamentale qui pourrait justifier une intervention militaire. Mais cette intervention pour être légitime devra être autorisée par le Conseil de Sécurité agissant dans le cadre du Chapitre VII lorsque la situation est susceptible de mettre en péril la paix et la sécurité internationales. De même, elle ne peut être légale que si elle rentre ou trouve son fondement dans la Charte de l'ONU.

Comme nous l'avons dit, cette intervention vise à faire cesser la commission des crimes internationaux et violations des droits de l'homme suscités. C'est ici que la souveraineté n'est plus conçue comme absolue mais comme responsabilité car elle impose à l'Etat certaines obligations qu'il doit remplir.

La Charte des Nations Unies s'est déjà prononcée sur cette question car elle aborde les problèmes humanitaires et sociaux qu'elle considère comme des menaces potentielles contre la paix et la sécurité internationales et engage

194 Ibid., pp.34-35

195 Lire à ce sujet BETTATI Mario cité par DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, Le droit international dans un monde en mutation : essais écrits au fil des ans, Paris, Harmattan, 2003, p.63

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tous les Etats membres à coopérer afin de favoriser le progrès économique et social de tous les peuples196.

Les limitations à l'indépendance des Etats ne se présumant pas tel qu'admise par la C.P.J.I dans son arrêt du 7 novembre 1927197, force est de constater que, comme l'a précisé le président François MITTERAND dans sa déclaration de l'inauguration de la session de Paris de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe du 30 mai 1989, l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où nait le risque de non-assistance198.

En plus, puisque personne ne peut soutenir le terrorisme ou certains régimes corrompus du tiers monde qui massacrent impunément des minorités, détournent l'aide humanitaire et violent les droits les plus élémentaires de leurs citoyens199, une intervention armée en ce sens est admissible pour faire cesser ces violations.

De ce qui précède, le rapport du Secrétaire Général Ban Ki-Moon précise que la deuxième phrase du paragraphe 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 souligne que la communauté internationale pourrait invoquer une gamme plus large d'actions collectives, pacifiques ou non, pour autant que deux conditions soient réunies :

196 Voir Chapitre X de la Charte de l'ONU

197 C.P.J.I, Affaire du Lotus, Série A, N°10, 1927, p.18. Eric DAVID souligne qu'on dit souvent que les limitations à la souveraineté ne se présume pas ; de là la grande difficulté de toute théorie de l'abus de droit ; mais ceci ne signifie pas que la souveraineté étatique n'est pas soumise au droit. La souveraineté n'a pas un caractère inconditionnel ou absolu. Un sujet de droit ne peut être à la fois soumis au droit et au-dessus de lui. Si la souveraineté était le pouvoir de décider d'une manière entièrement discrétionnaire et sans être soumis à aucune règle, alors cette souveraineté serait la négation du droit international. Elle se heurterait en outre à la souveraineté égale des autres Etats. L'auteur conclut qu'il est donc clair que la souveraineté est soumise au droit et qu'elle n'a pas un caractère absolu. La souveraineté est aussi compatible avec des engagements volontaires, d'après le même auteur. Sur ce point, il convient de distinguer le point de vue des juristes classiques formalistes de celui qu'adopte une partie de la doctrine contemporaine. Selon les juristes classiques formalistes, le concept de souveraineté n'ayant aucun caractère absolu, la souveraineté d'un Etat est compatible avec des engagements susceptibles de limiter ses droits pourvu que ces engagements aient été volontairement acceptés. Lire DAVID Eric, Droit des gens, 16ème édition, Tome II, Bruxelles, PUB, 2000, p.246

198 MITTERAND François cité par BETTATI Mario, Op-cit, p.659 et DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, Op-cit, p.64

199 Lire à ce sujet DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, Op-cit, p.65

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a) « lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats »200, et

b) « que les autorités nationales n'assurent manifestement pas la protection de leurs populations » contre les quatre crimes et violations considérés.

Le rapport précise que dans les deux cas, les chefs d'État et de gouvernement affirment, au paragraphe 139 « nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l'entremise du Conseil de Sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes »201.

Le Secrétaire Général Ban Ki-Moon a alors relevé dans une allocution prononcée à Berlin le 15 juillet 2008202 que l'énoncé de cette phrase donne à entendre qu'une réaction rapide et souple s'impose en pareil cas, adaptée à la situation et tenant pleinement compte des dispositions de la Charte.

Enfin, le Sommet de 2005 retient que dans une situation d'urgence qui évolue rapidement, l'ONU, les décideurs régionaux, sous-régionaux et nationaux doivent avoir toujours pour principal objectif de sauver des vies humaines en menant « en temps voulu une action collective résolue »203, et se garder de suivre pas à pas une série de procédures arbitraires, qui privilégient la forme au détriment du fond et la méthode au détriment des résultats.

200 Voir dans le même sens l'Article 42 de la Charte de l'ONU : « si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles [...] »

201 A/63/677du 12 janvier 2009, Op-cit, §49

202 Voir communiqué de presse SG/SM/11701

203 A/63/677 du 12 janvier 2009, Op-cit, §139

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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

La responsabilité de protéger est une nouvelle approche onusienne qui a permis de comprendre la souveraineté autrement en dépassant la conception traditionnelle de la souveraineté comme absolue pour aboutir à une conception de la souveraineté comme responsabilité.

C'est à la suite de quelques concepts doctrinaux du droit international tels que l'intervention d'humanité, l'intervention humanitaire et le droit d'ingérence humanitaire que l'humanité est arrivée à la mise en place de ce principe.

Il sied de rappeler que les concepts précités qui ont précédé le principe de la responsabilité de protéger ont constitué un instrument pour la légitimation des intérêts de grandes puissances et de leur hégémonie sur les petits Etats tout en allant à côté des objectifs apparents qu'ils affichaient. Plus précisément, le fameux droit d'ingérence humanitaire, lui, a été balayé par les Etats à cause des incertitudes de ses fondements, de l'imprécision de son contenu et de la variabilité de sa géométrie.

C'est devant cette intolérance que la responsabilité de protéger devrait s'installer comme principe compatible aux exigences de l'Etat moderne qui voit sa mission première être orientée vers la protection de la population laquelle protection devient une fin en soi et conditionne le droit international et les relations internationales.

La responsabilité de protéger n'a donc pas, en soi, apporté des obligations nouvelles. Mais c'est seulement au niveau de la terminologie qu'il y a une nouveauté. Car, si dans les années 90 les Etats étaient allergiques à des termes tels que le droit d'ingérence humanitaire avec ses incertitudes telles que soulignées ci-haut, en plein XXIè siècle, le terme du débat a changé et l'attention est plus tirée vers un ordre plus humain avec l'avènement de la responsabilité de protéger.

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Contrairement aux principes qui l'ont précédée, la responsabilité de protéger vient renforcer le système onusien en ce que sa mise en oeuvre ne peut que rentrer dans le cadre de la Charte de l'ONU et du Conseil de Sécurité qui en est l'autorité principale et appropriée. A côté de celui-ci, l'Assemblée Générale est placée comme autorité de substitution dans le cadre de la procédure de l'Union pour le maintien de la paix.

C'est aussi grâce à son contenu sans détour que la mise en oeuvre de ce principe parait bien aisé. Toutefois, comme l'a souligné Mario BETTATI, il y a toujours et souvent l'interférence des intérêts stratégiques dans l'application du droit international, ce qui fait que, la responsabilité de protéger n'échappant pas à cette réalité, son application peut parfois s'avérer hypothétique.

Ce qui nous pousse à faire alors un plaidoyer en faveur d'une impartialité sans aucune autre de la part des acteurs de ce principe lesquels doivent s'abstenir d'appliquer la politique de deux poids deux mesures et doivent mettre à l'avant plan l'idée de solidarité qui doit forger notre humanité en cas de perpétration des crimes couverts par la responsabilité de protéger et permettre d'admettre cette fois-là l'existence d'une « réelle communauté internationale ».

Somme toute, la responsabilité de protéger ne pourra se placer sur la lignée des principes effectivement admis sur la scène internationale que lorsque ses acteurs ne l'auront pas détourné de ses objectifs comme il a été le cas avec les principes qui l'ont précédée. Ce n'est que dans cette façon de voir les choses qu'une réelle application de ce principe aux fins de protection humaine ne pourra être atteinte.

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IIème PARTIE : LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONBALITE DE PROTEGER PENDANT LA CRISE LIBYENNE

Des manifestations ont lieu à Benghazi le soir du 15 février 2011, durement réprimées par la police qui utilise des armes à feu, en plus des canons à eau et des lacrymogènes, jusque tard dans la nuit. Les affrontements font au moins 38 blessés, dont dix policiers et 4 morts à Al-Baïda. Le 16 février 2011, Kadhafi libère 110 islamistes, malgré les manifestations qui ont commencé. Le lendemain, les manifestants de Benghazi, qui protestent contre la détention d'un avocat et activiste des droits de l'homme, sont attaqués par la milice défendant le pouvoir, les gardiens de la Révolution, armés de bâtons cloutés et de sabres. Les autorités payent des prisonniers pour réprimer les manifestants. D'autres villes de l'Ouest du pays se soulèvent, en particulier à Zenten, qui bénéficie d'une situation peu accessible dans le Djebel Garbi.

Cette situation qui a prévalu en Libye de février 2011 à mars 2011 n'a pas laissé indifférente la communauté internationale. C'est la raison pour laquelle cette dernière a été contrainte de mettre en oeuvre la responsabilité de protéger en Libye pour arriver à protéger les populations civiles. Ainsi, cette seconde partie constitue un exemple plus pertinent de l'application de la responsabilité de protéger depuis son adoption en septembre 2005 par l'ONU.

Il sera alors question, dans un premier temps, d'analyser le conflit libyen (Chapitre I). Enfin, dans un second temps, il sera question d'analyser la résolution 1973 du Conseil de Sécurité dans le contexte de la crise libyenne (Chapitre II).

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CHAPITRE I. LE CONFLIT LIBYEN

Plusieurs facteurs ont incité au soulèvement populaire en Libye. Certains pensent que ce soulèvement a été occasionné par les aspirations du peuple libyen à la démocratie; d'autres, par contre, affirment que c'est l'éclatement des alliances tribales et le massacre de masse vécus en Libye qui ont occasionné ce soulèvement (Section 2). Toutefois, avant d'analyser ces causes, il convient de faire une relation des faits du conflit libyen (Section 1).

SECTION 1. LES FAITS A L'ORIGINE DE LA CRISE LIBYENNE204

La révolte libyenne est un mouvement de contestation populaire, assorti de revendications sociales et politiques, qui a débuté le 15 février 2011 en Libye. Il s'inscrit dans un contexte de protestations dans les pays arabes. Comme lors des révolutions tunisienne et égyptienne, les opposants au régime demandent plus de libertés et de démocratie, un meilleur respect des droits de l'homme, une meilleure répartition des richesses ainsi que l'arrêt de la corruption au sein de l'État et de ses institutions. Le « Guide de la Révolution » libyen, Mu'ammar Kadhafi, est le plus ancien dirigeant arabe toujours en fonction : il est à la tête de la Libye depuis 41 ans.

Le 15 février 2011, un groupe de civils est descendu dans les rues de Benghazi pour demander pacifiquement la libération d'un avocat nommé Tirbil, qui représente les familles des 2 000 prisonniers tués en 1996 dans la prison d'Abu Salim. Ils ont été accueillis par des tirs à la tête et à la poitrine.

Les forces terrestres et aériennes du Colonel Mu'ammar Kadhafi ont eu à massacrer des centaines (peut-être même plus d'un millier) de libyens qui manifestaient, d'abord de manière pacifique, contre les excès du régime205.

204 Voir révolte libyenne de 2011 à consulter dans www.wikimediaproject.com

205 A ce sujet, Amnesty International a rendu public mardi 13 septembre 2011 un nouveau rapport sur la Libye intitulé The Battle for Libya: Killings, Disappearances and Torture (La bataille pour la Libye : Mises à mort,

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Les principaux mouvements ont d'abord eu lieu dans des villes de Cyrénaïque (à l'Est) : à El Beïda, Darnah et surtout Benghazi ainsi que dans diverses autres localités dans une moindre mesure. Les protestations se sont développées puis étendues dans pratiquement toutes les grandes villes du pays et à Tripoli, la capitale. Plusieurs intellectuels qui s'étaient rangés aux côtés des manifestants ont été arrêtés et pour la plupart jugés. De hauts dignitaires religieux ont ensuite appelé à la fin du régime.

La répression des opposants prend un tour sanglant à partir du 16 février 2011, le pouvoir utilisant des milices, des mercenaires et les comités révolutionnaires pour réprimer les manifestants. Les manifestations se muent alors en

disparitions et torture). Le document ne fait pas l'impasse sur les exactions des kadhafistes : des tirs à l'arme automatique sur la foule de manifestants, aux représailles aveugles contre la population civile, en passant par les agissements des redoutés des officiers de l'Agence de sécurité intérieure (ISA), le document décrit par le menu l'horreur de la répression qui sévit en Libye depuis des mois. A considérer cet état de chose, il semblait difficile d'échapper à un bain de sang plus important tel qu'il était vécu. La nécessité d'une action « collective, opportune et décisive » était devenue impérieuse. En effet, ce massacre est constitutif des crimes contre l'humanité au regard du Statut de Rome. Car ledit statut dispose, en son article 7 point 1, qu' « aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

a) Meurtre ; b) Extermination ; c) Réduction en esclavage ; d) Déportation ou transfert forcé de population ; e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; f) Torture ; g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; i) Disparitions forcées de personnes ; j) Crime d'apartheid ; k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Le §6 du préambule de la résolution 1970 et le §7 du préambule de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité considèrent, quant à eux, que les attaques systématiques et généralisées actuellement en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l'humanité. Par conséquent, le §11 de la résolution 1970 souligne que les auteurs des attaques perpétrées contre des civils, y compris les attaques menées par des forces placées sous leur contrôle, doivent être amenés à répondre de leurs actes. Plus tard, la résolution 1973 du Conseil de Sécurité adoptée quelques jours après la résolution 1970 va condamner dans son §5 la violation flagrante et systématique des droits de l'homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires. En plus, l'évolution de la notion de crime contre l'humanité à travers les instruments de la justice internationale aboutit à une normativisation de la notion de « crime contre l'humanité ». Outre les statuts du Tribunal de Tokyo, des deux TPI et de la CPI, le crime contre l'humanité apparaît dans plusieurs conventions internationales après Nuremberg et en premier lieu dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de janvier 1951. Puis, les Conventions de 1954 relatives au statut des apatrides et au statut des réfugiés, ainsi que la Déclaration sur l'asile territorial, de 1967, prévoient de ne pas s'appliquer aux personnes ayant « commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité » (GOLDBACH NOLLEZ Raphaëlle, « Le crime contre l'humanité et la protection de la vie », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.91). Contrairement aux crimes de guerre, les crimes contre l'humanité peuvent être commis en temps de paix et en temps de guerre (ABDELWAHAB Biad, Op-cit, p.110). Le massacre commis en Libye depuis février 2011 fait partie des crimes couverts par la responsabilité de protéger (Lire CIISE, Op-cit, p.37).

Plusieurs généraux de police et de l'armée, dont Salah MATHEK et Abdel Aziz Al-BUSTA, se rangent du côté de la révolte dans les quinze premiers

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révolte armée, et le régime de Kadhafi est peu à peu abandonné par ses cadres : diplomates et ministres notamment.

Certaines unités de l'armée se rallient aussi aux insurgés, comme une des sept brigades d'élite de l'armée, basée à Benghazi. Le 17 mars 2011, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte la résolution 1973, autorisant des frappes aériennes contre les forces de Kadhafi pour la protection du peuple libyen. Elle est mise en oeuvre par une coalition internationale le 19 mars 2011. Le 29 mars 2011, la France et le Qatar sont les deux premiers États à mandater un « envoyé spécial » à Benghazi, bastion de l'insurrection libyenne, auprès du Conseil national de transition (CNT).

Le diplomate français est monsieur Alain SIVAN, « il n'est pas ambassadeur puisque nous n'avons pas formellement reconnu un État à travers le CNT » explique Alain JUPPÉ, ministre français des affaires étrangères, « mais il est le responsable diplomatique chargé des relations avec le CNT ». Près de 750 000 travailleurs immigrés et de libyens ont quitté le pays pour se réfugier dans les pays voisins ou pour revenir dans leur pays d'origine, selon l'ONU.

Le ministre de la justice Mostafa Mohamad ABDELJALIL, protestant contre la répression, démissionne dans la matinée du 21 février 2011, suivi du représentant libyen auprès de la Ligue arabe, Abdel Mounim Al-KHOUNI et de plusieurs ambassadeurs : au Bangladesh, en Belgique, en Chine, en Inde, en Indonésie, au Nigeria et en Pologne. Les ambassadeurs libyens auprès de Washington et de Paris annoncent aussi se démarquer du régime, sans toutefois démissionner dans un premier temps, l'ambassadeur à Paris et celui à l'UNESCO finissent par le faire le 25 février 2011. La totalité de la délégation libyenne auprès de l'ONU, démissionne, en deux temps.

Ces cause sont les aspirations démocratiques d'une part (§1) et, d'autre part, l'éclatement des alliances tribales (§2).

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jours. Le ministre de l'Intérieur annonce au début de la nuit du 22 février 2011 qu'il se range du côté de la « révolution du 17 février 2011» et se rallie aux insurgés. Ahmed Kadhaf Al-DAM, proche conseiller du dirigeant libyen, démissionne le 25 février 2011.

Les autorités libyennes, au début de l'insurrection, ont menacé l'Union Européenne « de cesser de coopérer dans la lutte contre l'immigration si elle continue à « encourager » les manifestations dans le pays ». De plus, exerçant un chantage, Tripoli menace de nationaliser les sociétés européennes présentes sur son territoire.

Le 2 mars 2011, le régime réagit officiellement aux sanctions prises à son encontre, et envoie une lettre au Conseil de Sécurité de l'ONU, affirmant que la répression a été modérée et demandant la suspension de l'interdiction de voyage et du gel des avoirs de Mu'ammar Kadhafi et de son entourage.

À Paris, un groupe d'opposants libyens s'empare de l'ambassade de Libye le 25 février 2011, pendant quelques heures, aboutissant à la démission de l'ambassadeur. À Besançon, plusieurs manifestations sont organisées devant l'Hôtel de ville par l'Association de la jeunesse libyenne de Besançon, et soutenues par de nombreux syndicats et associations : une le 26 février 2011 ainsi qu'une autre le 28 février 2011. Une nouvelle manifestation est prévue le samedi 5 mars 2011, place du Huit septembre.

Quelles pourraient alors être les causes de cette révolte libyenne

de 2011 ?

SECTION 2. LES CAUSES DU SOULEVEMENT POPULAIRE EN LIBYE

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§1. Les aspirations démocratiques comme facteurs incitateurs au soulèvement populaire

Les facteurs incitateurs au soulèvement populaire en Libye sont nombreux206. Mais dans le cadre de cette étude, il ne sera retenu que quelques uns d'entr'eux. On retiendra, d'une part, un pouvoir usé, caractérisé par une démocratie de façade et le blocage de l'alternance au pouvoir comme premier groupe des facteurs (A). D'autre part, on relèvera l'inégalité, la corruption dans la gestion de l'Etat, le manque des libertés fondamentales et l'influence des médias comme deuxième groupe des facteurs (B).

A. Un pouvoir usé, caractérisé par une démocratie de façade et le blocage de l'alternance au pouvoir

1. Un pouvoir usé, caractérisé par une démocratie de façade

L'Afrique subsaharienne a été touchée par les bouleversements qui ont enclenché les processus démocratiques en 1990. En effet, grâce au processus démocratique entamé dans les années 90, les populations africaines ont pu voir des changements être opérés au niveau des dirigeants. Or, les dirigeants du Maghreb, plus précisément ceux de la Libye, ont survécu à ce changement207.

Force est de constater que depuis son installation à la tête de la Jamahiriya arabe libyenne, le colonel Kadhafi ne respecte pas les exigences d'un Etat démocratique. A cet effet, nous pensons avec Jean D'ASPREMONT qu'il semble

raisonnable d'affirmer que le critère principal dont témoigne la pratique

206 A titre illustratif, le professeur BULA-BULA retient la corruption, l'inégalité de répartition de revenus, népotisme, chômage, carence des biens de première nécessité, absence de vision politique réelle, tyrannie, arbitraire, incompétence, etc. A consulter chez BULA-BULA Sayeman, Le droit international public. Introduction, origines, théories, sources formelles, 1ère édition, Bruxelles, Académia Bruylant, Mars 2011, p.17 ; le professeur LABANA LASSAY'ABAR, quant à lui, retient comme facteurs incitateurs : un pouvoir usé, caractérisé par une démocratie de façade et le blocage de l'alternance au pouvoir, la jeunesse d'une population sans avenir et le paradoxe d'une classe moyenne pauvre et au chômage, mais instruite, l'inégalité et la corruption dans la gestion de l'Etat, le rôle de l'armée et des services de sécurité et le manque des libertés fondamentales et enfin l'influence des médias. Voyez LABANA LASSAY'ABAR Jean-Berchmans, « L'onde de choc du printemps arabe en Afrique noire », Communication aux premières journées scientifiques de l'Union Africaine de la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa du 25 au 26 mai 2011, Inédit, pp.7-10

207 LABANA LASSAY'ABAR Jean-Berchmans, Op-cit, p.11

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contemporaine dominante et qui permet de juger du caractère démocratique d'un Etat est l'élection. Mais cela n'empêche pas que soit également jugé non démocratique l'Etat qui contrevient systématiquement à certains droits élémentaires de la personne humaine208 tels que la liberté de manifestation pacifique, la liberté de réunion pacifique, la liberté d'expression et la liberté de la presse209.

Quant aux élections, il convient également de préciser que plusieurs organes d'un Etat peuvent être élus par le peuple, mais cela ne suffit cependant pas pour que l'on considère cet Etat comme démocratique. Encore faut-il que cette élection soit libre, honnête, périodique, au suffrage universel et au scrutin secret. Il est enfin requis que les élus disposent effectivement du pouvoir de diriger l'Etat ou de contrôler ceux qui en ont le mandat210.

Cette exigence semblait ne pas être pratiquée en Libye durant le règne du colonel Kadhafi. En effet, c'est depuis le 1er septembre 1969 qu'un groupe de jeunes officiers, conduits par le colonel Mu'ammar al-Kadhafi, profitent du voyage du roi Idris Ier à Ankara pour prendre le pouvoir et proclamer la République arabe libyenne. Depuis lors, aucune élection crédible n'a alors été organisée.

L'absence d'élection libre, honnête, périodique et au suffrage universel secret en Libye va alors être l'un des facteurs incitateurs au soulèvement populaire du 15 février 2011 qui va être accueilli avec une violence notoire de la part du gouvernement libyen211.

208 D'ASPREMONT Jean, L'Etat non démocratique en droit international. Etude critique du droit international positif et de la pratique contemporaine, Paris, Editions A.Pédone, 2008, p.15

209 A ce sujet, le §2 de la résolution 1970 du Conseil de sécurité du 26 février 2011 confirme qu'il y a eu des violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme en Libye, notamment la répression exercée contre des manifestants pacifiques. Le §10 invite les autorités libyennes à respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d'expression, y compris la liberté de la presse

210D'ASPREMONT Jean, Op-cit, pp.16-30

211 Quant aux autres droits de la personne violés durant le régime du colonel Kadhafi tels que la liberté de manifestation pacifique, la liberté de réunion pacifique, la liberté d'expression et la liberté de la presse, il y a lieu de préciser que l'expression authentique de la volonté du peuple repose en effet sur les libertés de conscience, d'opinion, d'expression, d'association et de presse. Le Comité des droits de l'homme, dans son observation générale n°25, n'a d'ailleurs pas manqué de souligner que le « droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association est une condition essentielle à l'exercice du droit de vote » (Observation générale n°25 du Comité des droits de l'homme, CCPR/C/21/Rev.1/Add.7, §8). La Cour européenne des droits de l'homme l'a également défendu (CEDH, Affaire du Parti socialiste et autres c.Turquie, Recueil 1998-III, §45 ; Affaire Parti

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Il convient de préciser que toutes les exigences énumérées ci-haut devaient être observées puisqu'elles revêtent un caractère obligatoire et s'imposent aux gouvernants212.

Mais tel ne fut pas le cas en Libye où les droits de la personne humaine sont bafoués par les autorités. Les événements de février 2011 tels que présentés ci-haut dans les faits en constituent un exemple éloquent.

2. Le blocage de l'alternance au pouvoir

Il a été précédemment dit que l'élection des détenteurs du pouvoir, ou de ceux qui le contrôlent, a ordinairement été considérée, dans la pratique

de la liberté et de la démocratie c.Turquie, 8 décembre 1999, §§41-45 ; CEDH, Affaire du parti communiste unifié de Turquie et autres c.Turquie, Recueil 1998-1, 30 janvier 1998, §57). Partant de cette conception, le concept de démocratie engloberait donc certains droits fondamentaux (Lire D'ASPREMONT Jean, Op-cit, p.32). Précisons aussi que sans la satisfaction de ces droits universellement consacrés, la dignité peut difficilement se concevoir (Lire VEZINA Louis-Philippe, La responsabilité de protéger et l'intervention humanitaire : De la reconceptualisation de la souveraineté des Etats à l'individualisme normatif, Mémoire de master, Université de Montréal, Faculté des Arts et des Sciences, Département d'Etudes Internationales, 2009-2010, p.65 ).

212 A ce sujet, il convient d'admettre que quelques droits de l'homme font partie des normes du « jus cogens » en droit international, c'est-à-dire des normes impératives auxquelles on ne peut pas déroger sans engager sa responsabilité sur la scène internationale et devant les juridictions internationales à l'instar des droits violés en Libye. Aux termes de la Convention de vienne sur le droit des traités, en son article 53, on peut lire qu' « aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». Outre la convention de vienne, le caractère obligatoire des droits de l'homme a été affirmé par la CIJ dans l'affaire Barcelona Traction. En effet, la CIJ a admis que les obligations qui naissent pour les Etats en matière des droits de l'homme sont des obligations erga omnes. Car elles découlent par exemple, en droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d'agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l'esclavage et la discrimination raciale (C.I.J, Affaire Barcelona Traction, Belgique contre Espagne, Arrêt sur le fond, Rec.1970, §32). Toutefois, il y a lieu d'affirmer avec le professeur André MAZYAMBO qu'une norme impérative doit être acceptée et reconnue comme telle par un très grand nombre d'Etats parmi lesquels doit figurer tous les groupes d'Etats. Cela dit, aucune procédure spécifique d'élaboration des normes de jus cogens n'est acceptée (MAZYAMBO MAKENGO André, Droit international public, Notes de cours, Inédit, Faculté de droit 3ème graduat, UNIKIN, 2008-2009). En effet, aux normes de « jus cogens » ou d'ordre public international, règles qui sont obligatoires et impératives en toutes circonstances, on oppose les règles du « jus dispositivum » ou les règles « supplétives » qui ne s'appliquent que pour autant que les Etats n'aient pas convenu du contraire (DAVID Eric, Droit des gens. Ajouts et corrections, 1ère édition, Bruxelles, PUB, 1998, p.129). Ajoutons aussi que les droits de la personne doivent être respectés indépendamment des circonstances et de l'origine ethnique ou autres des victimes. Il faut enfin relever que ces droits ont été réaffirmés par l'ensemble des Etats par l'intermédiaire de l'action des Nations Unies qui ont régulièrement dénoncé les exactions observées au Kosovo (CORTEN Olivier et DELCOURT Barbara, « La guerre du Kosovo : le droit international renforcé? », in L'observateur des Nations Unies, n°8, 2000, pp.135-136). Après tout comme l'a dit le Parlement européen dans une Résolution du 2 octobre 1997 (A4-0274/97) : « Les êtres humains sont de plus en plus liés les uns aux autres, ce qui se traduit... par l'émergence de valeurs communes à toute Humanité ». Les droits de l'homme traduisent ces valeurs communes, qui doivent être sauvegardées et défendues. Les pays occidentaux considèrent généralement qu'en matière de droits de l'homme un Etat ne peut pas opposer sa compétence nationale (KDHIR Moncef, Op-cit, p.903).

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internationale, comme le fondement d'un régime démocratique. Mais ces élections doivent se dérouler dans un cadre assurant une concurrence raisonnable entre les différents courants politiques et doivent conduire à la détermination la plus authentique possible de la volonté du peuple213.

Il avait enfin été rappelé que les élections ne seront démocratiques que si elles sont « libres » et « honnêtes ». Il est également requis que ces élections soient périodiques, au suffrage universel et au scrutin secret214. Toutes ces exigences se trouvent être cristallisées dans les instruments internationaux qui consacrent un droit à des élections215.

La conséquence logique qui s'en suit est que l'Etat où les dirigeants, ou ceux qui les contrôlent, ont été élus au terme d'un scrutin non conforme à l'un de ces critères a généralement été jugé non démocratique.

Le constat fort malheureux fait en Libye est l'inobservance de ces exigences durant le règne du colonel Kadhafi. Une raison de plus qui justifie le soulèvement populaire du 15 février 2011. Ce qui nous pousse à affirmer que le pouvoir du colonel Kadhafi était usé et était caractérisé par une démocratie de façade car Robert CHARVIN et Jean-Jacques SUEUR ont souligné qu'il n'est de démocratie que si l'homme, qui ne vit certes pas que de pain, dispose néanmoins de ses droits suffisamment216.

Analysons à présent les autres facteurs qui ont été à la base du soulèvement populaire en Libye.

213 Lire à ce sujet D'ASPREMONT Jean, Op-cit, p.21

214 Idem

215 Voir par exemple l'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ; l'article 25 du Pacte international sur les droits civils et politiques ; l'article 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'article 20 de la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l'homme ; l'article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme ; l'article 29 de la Convention de la Communauté des Etats indépendants sur les droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'homme.

216 CHARVIN Robert et SUEUR Jean-Jacques, Op-cit, p.11

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B. L'inégalité, la corruption dans la gestion de l'Etat, le manque des libertés fondamentales et l'influence des médias

L'inégalité, la corruption dans la gestion de l'Etat et le manque des libertés fondamentales, d'une part et, d'autre part, l'influence des médias sont là les autres facteurs que nous avons retenus comme incitateurs au soulèvement populaire en Libye.

1. L'inégalité, la corruption dans la gestion de l'Etat et le manque des libertés fondamentales

La Libye est un Etat caractérisé par l'absence de la mise en oeuvre des mécanismes de gouvernance politique, économique et social. Ceci a même été à la base des mutations observées en Afrique du Nord.

Force est de constater que les inégalités217, la corruption dans la gestion de l'Etat et le manque des libertés fondamentales sont des vices ayant élu domicile en Libye et ayant ainsi favorisé la réaction de la population libyenne.

De ce fait, nous pensons avec le professeur Jean-Berchmans LABANA LASSAY'ABAR qu'il faudrait qu'il y ait une prise de conscience des dirigeants pour une meilleure gouvernance de la Libye. Il est aussi nécessaire que ces autorités tiennent compte des questions sociales dans la gestion de l'Etat, accordent réellement une place à la population dans les programmes de développement, mettent sur pied une politique sociale plus efficace notamment en matière de création d'emplois pour les jeunes diplômés et enfin mettent une meilleure politique de distribution du revenu national pour apaiser les grognes sociales218.

217 Nous sommes dans une situation paradoxale : un Etat riche mais une population pauvre avec un déséquilibre spatial. La répartition spatiale a été très inégalitaire, (Benghazi a été délaissé ce qui explique que la révolte a débuté dans cette province), la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales se limitant à des indicateurs globaux de portée opératoire limitée, ce qui explique les révoltes populaires.

218 Lire aussi LABANA LASSAY'ABAR Jean-Berchmans, Op-cit, pp.16-17

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En somme, tous ces facteurs constituent des causes profondes des conflits qu'il faudrait prendre en considération dans la responsabilité de protéger d'après l'ONU. D'où il fallait arriver à les traiter afin de prévenir efficacement sur le long terme les éventuels conflits qui pourraient naitre au sein de l'Etat libyen219. Chose qui n'a malheureusement pas été faite. La conséquence est que les autorités libyennes ont vu surgir un conflit sanglant qui a rongé la Libye.

On peut admettre, dans ce même ordre d'idées, avec André CABANIS et all. que les rapports qui ont été élaborés à partir des années 2000, en s'appuyant sur le principe bien connu selon lequel « il vaut mieux prévenir que guérir », tout en s'inscrivant dans le sillage de l'agenda pour la paix, mettront davantage l'accent sur les situations socio-économiques et sur la prévention sur le long terme. Comme l'indique par exemple le Rapport du millénaire présenté par le Secrétaire Général de l'ONU en 2000, la plupart des conflits qui ont marqué les deux dernières décennies sont étroitement liés au problème de la pauvreté et à l'exclusion des minorités dans les États concernés. Dans ces conditions, la question de la prévention ne peut plus concerner seulement des activités d'ordre diplomatico-militaire, mais aussi des initiatives visant à agir sur les facteurs sociopolitiques et économiques des conflits220. Le Secrétaire général de l'ONU a, quant à lui, précisé que ce sont des nouveaux arrangements sur tous les continents qui ont promu la prévention221. Ceci prouve à suffisance le rôle de la prévention des conflits notamment dans le contexte tel que celui de la Libye.

Mais hors-mis tous ces facteurs, il y a un facteur qui nous semble être aussi incitatif au soulèvement populaire en Libye. Il s'agit des médias.

219 Voir CIISE, Op-cit, pp.25-26.

220 CABANIS André, CROUZATIER Jean-Marie, RUXANDRA Ivan, MBONDA Ernest-Marie et MIHALI Criprian, La responsabilité de protéger : une perspective francophone, Idea Design & Print Editurã, Cluj, 2010, p.67. Ces auteurs précisent en outre qu'en termes d'efficacité, c'est la prévention à long terme qui est la plus prometteuse. Non seulement il est impossible pour l'ONU de gérer tous les conflits qui se produisent dans le monde, mais cette forme d'anticipation permet, à des coûts moins élevés sur le plan humain et matériel, de désamorcer la plupart des situations porteuses de conflits ; lire aussi GHYS Arnauld, « Responsabilité de protéger : Une approche critique », in Coordination Nationale d'Action pour la paix et la Démocratie, p.3 ; Document de la réunion plénière sur la responsabilité de protéger de l'Assemblée générale des Nations Unies à sa 63è session du 23 juillet 2009. Points 44 et 107, p.3

221 L'ONU publie un nouveau rapport sur la responsabilité de protéger, juillet 2009, p.2, à consulter dans http://www.adequations.org

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2. L'influence des médias

L'accès effectif aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (Internet, Facebook, Messenger) a constitué un vecteur puissant dans la crise maghrébine notamment la crise libyenne.

En effet, toutes ces nouvelles technologies de l'information et de la communication ont favorisé le rapprochement des peuples et des nations. Bien que l'accès aux médias est faible en Libye ( 4, 4% seulement de la population libyenne a accès à ces médias222), la communication à travers lesdits médias a été d'une importance capitale pour le soulèvement populaire en Libye.

Ce soulèvement, à notre avis, traduit largement des aspirations légitimes du peuple libyen. D'ailleurs, le professeur Sayeman BULA-BULA estime que la prudence s'impose dans l'appréciation des événements violents en Libye en raison de la situation spécifique de cet Etat. Il ajoute que les causes des mouvements violents dans les confins de l'Est de ce pays (Tobrouk, Benghazi) ne sont pas identiques à celles du Maghreb, Machrek, Proche et Moyen-Orient. Ils portent malheureusement, d'après le même auteur, en germe les risques d'une accentuation du néocolonialisme si l'Etat hégémonique et ses satellites les exploitent à leur profit et que les peuples qui se sont soulevés baissent la garde223.

Après avoir passé en revue les aspirations démocratiques comme premier groupe des causes du soulèvement populaire en Libye, analysons aussi une autre cause de ce soulèvement à savoir : l'éclatement des alliances tribales.

222 Dans son rapport de 2011 sur la situation des droits humains dans le monde, Amnesty International souligne que les médias, largement contrôlés par le gouvernement libyen, étaient soumis à des restrictions sévères. Lire la page 197 du rapport.

223 BULA-BULA Sayeman, Op-cit, p.17

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§2. L'éclatement des alliances tribales

La Libye est un Etat sociologiquement constitué par des alliances tribales. Ces dernières ont depuis belle lurette caractérisé la vie du peuple libyen. Mais, puisque dans toute société, il y a toujours des problèmes qui surgissent, ces alliances vont plus tard s'effriter.

L'histoire libyenne démontre que le guide libyen s'est rendu responsable de multiples attentats224, de nombreux crimes et de la déstabilisation de régions entières de l'Afrique. A cet effet, certains pensent que la fin de Kadhafi est en effet moins une aspiration démocratique populaire que la manifestation de l'éclatement de l'alchimie tribale sur laquelle reposait son pouvoir225.

A la différence de la Tunisie ou de l'Egypte, la Libye, dont plus de 90% du territoire est désertique, est un conglomérat de plus de 150 tribus divisées en sous tribus et en clans. Ces ensembles ont des alliances traditionnelles et mouvantes au sein des trois régions composant le pays, à savoir la Tripolitaine avec la ville de Tripoli qui regarde vers Tunis, la Cyrénaïque dont la capitale est Benghazi et qui est tournée vers Le Caire et le Fezzan dont la principale ville est Sebba et qui plonge vers le bassin du Tchad et la boucle du Niger.

De l'indépendance de la Libye, en 1951, jusqu'au coup d'Etat qui porta le colonel Kadhafi au pouvoir en 1969, la Libye fut une monarchie dirigée par les tribus de Cyrénaïque. Membre d'une petite tribu chamelière bédouine, le colonel Kadhafi fut porté au pouvoir par une junte militaire multi tribale mais dans laquelle dominaient les deux principales tribus de Libye, celle des Warfallah de

224 L'implication de la Libye dans deux attentats perpétrés contre des avions civils en 1988-1989 lui valent des sanctions internationales sévères à partir de 1992. Mais la mise au ban internationale de la Libye s'assouplit à partir de 1999 alors que le gouvernement de Tripoli reconnaît sa responsabilité dans les attentats de 1988-1989. Après avoir accepté d'indemniser les familles des victimes des attentats, la Libye obtient en septembre 2003 la levée des sanctions de l'ONU.

225 LUGAN Bernard, « La crise libyenne, aspiration démocratique ou éclatement des alliances tribales » à

consulter dans www.lescrutateur.com/article-l-analyse-originale-de-la-crise-lybienne-par-bernard-lugan-
68391338 comments.html. Cet article a été publié le 27 février 2011. Bernard LUGAN est historien et universitaire, spécialiste de l'Afrique.

226 Idem

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Cyrénaïque et celle des Meghara de Tripolitaine. La plupart des tribus de Cyrénaïque demeurant attachées à la monarchie, le colonel Kadhafi réussit un grand coup politique en épousant une fille du clan des Firkeche membre de la tribu royale des Barasa, ce qui lui assura le ralliement de la Cyrénaïque rebelle226.

Fort malheureusement, c'est tout son système d'alliance avec la Cyrénaïque qui avait volé en éclats. La date clé du délitement tribal du système Kadhafi est 1993 quand un coup d'Etat des Warfallah fut noyé dans le sang. Les haines furent ensuite tues tant la terreur imposée par le régime fut forte, mais les tribus de Cyrénaïque n'attendaient qu'une occasion pour se révolter et cette occasion se présenta durant le mois de février 2011. Ces tribus s'emparèrent alors de la région et arborèrent le drapeau de l'ancienne monarchie. C'est là aussi l'un des facteurs incitatifs au soulèvement populaire en Libye.

En définitive, de l'analyse de la situation en Libye, nous pensons que les aspirations démocratiques constituent les facteurs déterminants qui ont été à la base du soulèvement populaire en Libye au regard des éléments avancés précédemment quoique le contexte économique de ce pays en est aussi un élément dont il faut tenir compte.

Au regard de ce qui précède, le Conseil de Sécurité était dans l'obligation de mettre en oeuvre le principe de la responsabilité de protéger en Libye pour arriver à protéger la population civile de toutes les exactions auxquelles faisait face le peuple libyen.

Ainsi, pour mieux appliquer le principe de la responsabilité de protéger, le Conseil de Sécurité a pris deux résolutions. La première a été prise le 26 février 2011 (résolution 1970) et la deuxième le 17 mars 2011 (résolution 1973). A ces deux résolutions, il convient d'ajouter celle prise par le Conseil de Sécurité le 27 octobre 2011 mettant fin à la mission de l'OTAN en Libye. Mais seule la résolution

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1973 sera analysée car c'est elle qui a autorisé une intervention armée en Libye. Cela, c'est en fait pour répondre à la problématique de cette étude. Toutefois, rien n'empêche que de temps en temps, recours soit fait à la résolution 1970 et à celle prise le 27 octobre 2011 mettant fin à la mission de l'OTAN en Libye pour élucider certains aspects de cette étude.

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CHAPITRE II. LA RÉSOLUTION 1973 DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES DANS LE CONTEXTE DE LA CRISE LIBYENNE

La résolution 1973 a été prise par le Conseil de Sécurité à la suite de la situation qui avait prévalu en Libye notamment la violation flagrante et systématique des droits de la population libyenne par les gouvernants. A cet effet, cette résolution a été considérée comme une issue appropriée pour la protection de ladite population.

L'analyse de cette résolution débutera, en premier lieu, par la compréhension de son contenu exact (Section 1). En second lieu, il sera important d'examiner les mesures préconisées par le Conseil de Sécurité dans cette résolution au regard même du contenu de la responsabilité de protéger et leurs conséquences (Section 2).

SECTION 1. LE CONTENU DE LA RESOLUTION 1973

Initiée par la France, le Liban et le Royaume-Uni, la présente résolution a été prise par le Conseil de Sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ouvrant ainsi la possibilité d'usage de la force.

Le Conseil de Sécurité invoque d'abord le fait que la Libye n'a pas respecté sa résolution 1970 (2011) du 26 février 2011, qui avait exigé que soit mis fin aux violences, notamment contre les civils et les étrangers. Il constate la détérioration de la situation, l'escalade de la violence et les lourdes pertes civiles et que les autorités libyennes commettent constamment « une violation flagrante et systématique des droits de l'homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires », et que des actes de violence et d'intimidation sont perpétrés contre les journalistes, des attaques généralisées et systématiques menées contre la population civile, et que celles-ci « peuvent constituer des crimes contre l'humanité ». Il souligne que le retour des organismes d'aide

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humanitaire est nécessaire et que l'acheminement sans obstacle ni contretemps de l'aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire doivent être assurés.

Le Conseil de Sécurité se réfère aux condamnations des faits en Libye par la Ligue des États arabes, l'Union Africaine et le Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique et à la demande de la Ligue des États arabes du 12 mars 2011, « de demander l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne contre l'armée de l'air libyenne et de créer des zones protégées dans les secteurs exposés aux bombardements à titre de précaution pour assurer la protection du peuple libyen et des étrangers résidant en Jamahiriya arabe libyenne ».

Il reproche à la Libye de ne pas avoir écouté l'appel à cessez-le-feu immédiat lancé par le Secrétaire Général le 16 mars 2011. Il souligne que le Procureur de la Cour Pénale Internationale a été saisi de la situation en Libye et souligne « que les auteurs d'attaques, y compris aériennes et navales, dirigées contre la population civile, ou leurs complices doivent répondre de leurs actes ».

Le sort qualifié de « tragique » des réfugiés et des travailleurs étrangers forcés de fuir la violence en Libye est mis en exergue comme le fait que « les autorités libyennes continuent d'employer des mercenaires ».

C'est pourquoi "l'interdiction de tous vols dans l'espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne est importante pour assurer la protection des civils et la sécurité des opérations d'assistance humanitaire et décisive pour faire cesser les hostilités en Jamahiriya arabe libyenne", conclut le Conseil de Sécurité.

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, (qui autorise l'usage de la force), le Conseil de Sécurité demande l'établissement immédiat d'un cessez-le-feu et l'arrêt complet des violences et de toutes les attaques contre des civils et que les autorités libyennes se conforment à

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leurs obligations en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire227.

Pour assurer la protection des civils, les Etats membres sont autorisés à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils et les zones peuplées par des civils sous la menace d'attaques, tout en excluant une force étrangère d'occupation sous quelque forme que ce soit dans n'importe quelle partie du territoire libyen.

227 Sur le plan juridique, seul le Conseil de Sécurité était en droit de prendre ces mesures dans la résolution 1973 car depuis 1945, le recours individuel à la force étant interdit dans les relations internationales, plus précisément dans l'article 2§4 de la Charte des Nations Unies, hormis l'hypothèse de la légitime défense, seules les Nations Unies peuvent décider de recourir à l'utilisation de la force pour tenter de régler, en dernier ressort, une situation qui serait de nature à compromettre la paix et la sécurité internationale. Par ailleurs (et c'est plutôt cela qui est ici en jeu) l'article 2 §7 de la Charte n'autorise en principe pas les Nations Unies à intervenir dans les affaires intérieures d'un État, l'avions-nous dit, tout en précisant que « ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévue au chapitre VII », c'est-à-dire précisément lorsqu'existe une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression susceptible de compromettre la paix et la sécurité internationales. Puisque certaines des mesures envisagées dans la résolution 1973 impliquées le recours à des mesures de coercition, il convenait donc de disposer d'une résolution basée sur le chapitre VII en vue de rendre légale une intervention sous couvert des Nations Unies. C'est ce qui justifie la nécessité actuelle de la résolution 1973 de l'ONU sous l'angle juridique dans la mesure où c'est le Conseil de Sécurité qui a la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales et les Etats membres ont l'obligation d'appliquer ses décisions tel qu'il ressort de l'article 25 de la Charte des Nations Unies. A cet égard, les dispositions de la Charte, en particulier le Chapitre VII, lui confère un pouvoir d'intervention (Lire TABRIZI SALAH Ben, Op-cit, p.178). L'indication ici est claire dans la Charte car « aucune action coercitive ne sera entreprise f...] sans l'autorisation du Conseil de Sécurité », d'après son article 53 §1. Soulignons enfin que la résolution 1973 du 17 mars 2011 a quelques ressorts sur lesquels elle s'appuie :

1. Le premier ressort important de la résolution du 17 mars 2011 réside dans le renvoi à la résolution 1738 (2006) du Conseil qui rappelle les règles du droit international humanitaire « prohibant les attaques dirigées intentionnellement contre des civils » et rappelant que pareilles attaques constituent des crimes de droit international. La même résolution souligne que « le fait de prendre délibérément pour cible des civils (...) et de commettre des violations systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire et du droit des droits de l'Homme en période de conflit armé peut constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales ». Elle rappelle enfin que les auteurs de pareils actes ne peuvent bénéficier de l'impunité.

La référence à la résolution 1738 (2006) est, en tant que telle, intéressante dans la mesure où elle caractérise le conflit. En renvoyant à cette résolution et en la rappelant dès le début de la résolution nouvelle, le Conseil met en évidence une situation de conflit armé avec toutes les conséquences qui en découlent (Application du droit des conflits armés ; exclusion, pour les mercenaires, du bénéfice de certaines protections prévues par le droit international humanitaire ( article 47 du Ier protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève de 1949) ; voir aussi CICR, Comprendre le droit international humanitaire : Règles essentielles des conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels, Genève, Septembre 1983-1990, p.23). 2. Au-delà de l'obligation d'abstention qui vient d'être rappelée, la résolution insiste sur « la responsabilité qui incombe aux autorités libyennes de protéger la population libyenne ». Avant même la communauté internationale, c'est donc bien à l'État de veiller à la protection de sa population. En rappelant cela, le Conseil de Sécurité prolonge la position retenue en différentes occasions et, en particulier, dans la résolution 60/1 adoptée par l'Assemblée Générale en 2005. 3. En faisant référence au chapitre VIII (et singulièrement de l'article 53 de la Charte) qui concerne le rôle des organisations régionales, le Conseil introduit l'idée de la nécessaire gestion « multiniveaux » d'une crise à la fois nationale, régionale mais également porteuse d'implications internationales. Il rappelle d'ailleurs que tant la Ligue des Etats arabes que l'Union Africaine et le Secrétariat Général de l'Organisation de la conférence islamique ont, de leur côté aussi, condamné les violations graves des droits de l'Homme et du DIH en Libye et ont adopté des décisions en ce sens. Singulièrement, le 12 mars 2011, le Conseil de la Ligue arabe a lui-même demandé l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne et la création de zones protégées dans les secteurs particulièrement exposés aux bombardements.

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En définitive, rappelons que l'objectif « d'aider à la protection des civils » répété à tous les niveaux des interventions possibles démontre que la résolution 1973 s'inscrit dans la ligne droite de la doctrine actuellement en vogue et en quête de « positivisation », à savoir « la responsabilité de protéger », un nouveau concept « valise »228, aujourd'hui présenté par certains auteurs comme une « avancée significative du principe de la responsabilité internationale de protéger les civils contre les génocides et les crimes contre l'humanité »229.

SECTION 2. LES MESURES PRECONISEES PAR LE CONSEIL DE SECURITE DANS LA RESOLUTION 1973 ET LEURS CONSEQUENCES

§1. Les mesures préconisées

Après avoir constaté que toutes les mesures pacifiques230 dont notamment l'embargo sur les armes, l'interdiction de voyager, le gel des avoirs adoptées par lui dans sa résolution 1970 du 26 février 2011 n'ont pas été respectées par les autorités libyennes, le Conseil de Sécurité a, en date du 17 mars 2011, adopté par dix voix231 et cinq abstentions232 la résolution 1973233 dans laquelle d'autres

228MARCLAY Eric cité par SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul, « La résolution 1973 : entre légalité étriquée, légitimité douteuse et effectivité problématique », Communication aux premières journées scientifiques de l'Union Africaine de la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa du 25 au 26 mai 2011, Inédit, p.2

229 Communiqué de presse AG/10375 du 12 septembre 2005 de M.PING J., Président de la 59è session de l'Assemblée générale ; Document final du Sommet mondial de 2005 ; GALIA GLUME ; KERVAREC G. cité par SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul, Op-cit., p.3

230 Voir Résolution 1970 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1970 (2011)

231 Royaume-Uni, France, États-Unis, Liban, Bosnie-Herzégovine, Colombie, Portugal, Gabon, Nigéria et Afrique du Sud.

232 Allemagne, Brésil, Chine, Fédération de Russie et Inde.

233 Résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1973 (2011). La teneur de ladite résolution se présente comme suit :

1. La première exigence imposée par le Conseil de Sécurité est celle d'un arrêt immédiat de toutes les violences, attaques et exactions contre la population civile.

2. La seconde exigence est celle de rechercher une solution à la crise. La formulation du texte retenu par le Conseil de Sécurité est intéressante : l'exigence n'est pas seulement celle d'un retour à la paix civile, mais aussi celle de la recherche d'une solution « qui satisfasse les revendications légitimes du peuple libyen ». Ce dernier membre de phrase n'est sans doute pas neutre au regard de la nécessaire recomposition du paysage politique libyen au lendemain de la crise actuelle (Voir le HARDY de BEAULIEU Louis, « La Libye : Etat de guerre, légitime défense...simples questions de terminologie ? » à consulter dans www.louislehardy.blogspot.com). 3. Pour satisfaire les exigences de base évoquées ci-dessus, la résolution détermine un cadre juridique précis. De l'analyse de cette résolution, Louis le Hardy de BEAULIEU pense qu'elle constitue une concrétisation forte du rôle de l'ONU dans la "responsabilité de protéger" en ayant, au besoin, recours à la contrainte armée. L'auteur ajoute que dans ce cadre, le positionnement des acteurs est intéressant à observer: chacun estime que le sort de la

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mesures coercitives allant jusqu'à l'autorisation d'une action militaire seront envisagées. Il s'agit : de l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne, de l'application de l'embargo sur les armes, de l'interdiction des vols et des gels des avoirs.

A. L'établissement d'une zone d'exclusion aérienne

L'établissement d'une zone d'exclusion aérienne signifie l'interdiction de tous les vols dans l'espace aérien de la Libye de manière à protéger les civils, sauf les vols dont l'unique objectif est humanitaire. Les Etats membres sont autorisés à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire respecter l'interdiction des vols.

En effet, la zone d'exclusion aérienne est une question d'intervention militaire. Une telle zone servirait à empêcher les forces du colonel Kadhafi à continuer les bombardements dirigés contre sa propre population. Mais l'opération pour l'établir suppose la mobilisation de moyens aériens qui permettent de clouer au sol l'aviation libyenne et de neutraliser les capacités anti-aériennes des forces de Kadhafi. Pour le Luxembourg, comme pour nombreux d'autres pays de l'UE, une telle intervention ne supposait qu'un mandat exprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies, une vraie demande de la part des libyens et des grands acteurs régionaux, dont la Ligue Arabe et l'Union Africaine, desquels une participation active était attendue. Paris et Londres, membres permanents du Conseil de Sécurité, s'étaient penchés en faveur de cette solution. Parmi les autres membres permanents du Conseil de Sécurité, les USA y étaient réticents, et si la Chine et la Russie n'ont pas fait

population libyenne est à ce point grave qu'il n'est pas possible de demeurer les bras croisés. Certaines organisations régionales ont donc apporté, avant le vote de la résolution 1973, un soutien de principe à une réaction (la "no fly zone"), même si, ou peut-être parce que, tous leurs membres n'étaient pas certains que la résolution qui l'autoriserait serait bien adoptée en raison de la traditionnelle réserve de la Russie et de la Chine à l'égard de toute mesure qui conduit à une intervention dans les affaires intérieures d'un Etat. Or, voici que ces deux derniers Etats (sans pour autant voter "pour") ont estimé ne pas pouvoir faire usage de leur droit de veto face à la gravité de la situation. Cette coupure observable le 20 mars 2011 entre une position adoptée et ses conséquences induites sont peut-être bien l'une des clés de lecture du demi-pas en arrière de certains membres de la Ligue des Etats arabes et de l'Union Africaine après le début de la mise en oeuvre de la résolution du 17 mars 2011 (Voir le HARDY de BEAULIEU Louis, « La Libye : Etat de guerre, légitime défense...simples questions de terminologie ? » à consulter dans www.louislehardy.blogspot.com)

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opposition à l'embargo sur les armes, leur position sur une zone d'exclusion aérienne n'était pas connue. L'Allemagne et le Portugal, deux autres Etats membres de l'UE qui siègent temporairement au Conseil de Sécurité, était très retenus eux aussi.

L'exigence du mandat du Conseil de Sécurité et les demandes préalables des libyens et des pays de la région avait fait objet de plusieurs scission au sein de l'UE telle que nous le présentent certains hommes d'Etat.

Jean ASSELBORN, par exemple, souligne que quant à l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne, les approches au sein de l'UE étaient "plus nuancées". Mais il y avait accord que l'établissement d'une telle zone, qui équivaut à une action militaire, dépendait de plusieurs facteurs : un mandat du Conseil de Sécurité, une demande de la Ligue Arabe et des autres acteurs de la région, et de la poursuite des bombardements du régime de Mu'ammar Kadhafi contre sa propre population. Une telle approche de la question d'une intervention militaire concerne également l'idée de "frappes aériennes ciblées" que le président français Nicolas SARKOZY s'apprêtait à proposer à ses partenaires de l'UE234.

Puissions-nous préciser que les « no-fly zones », selon le jargon militaire, sont devenues un instrument commun pour stopper des Etats ou des groupes commettant des crimes contre l'humanité. Elles sont même l'objet d'exercices pour les armées de l'air, notamment dans le cadre de l'OTAN. Dans le passé récent, elles ont été utilisées en Bosnie, au Kosovo, en Irak. Une zone d'exclusion avait été suggérée par les Américains au Darfour, proposition restée sans suite.

Les deux exemples historiques d'exclusion que nous pouvons citer sont les suivants :

- En avril 1982 lors du conflit qui l'opposa à l'Argentine, la Grande Bretagne décréta une zone d'exclusion de 200 nautiques autour des îles Falkland (ou

234 ASSELBORN Jean, « La Libye : les 27 confirment l'adoption des sanctions renforcées contre le régime Kadhafi » à consulter dans www.europaforum.public.lu ... Actualités Mars 2011. Jean ASSELBORN est Vice premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Luxembourg.

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Malouines) à l'égard de tous les navires engagés dans l'effort de guerre aux côtés de l'Argentine. Il s'agit là d'un exemple de mesure adoptée en temps de guerre par un belligérant à l'encontre d'un autre. Aujourd'hui, le recours à cette notion n'est pas formellement interdit en temps de conflit. Toutefois, les paragraphes 105 et 106 du Manuel de San Remo235 sur le droit des conflits armés en mer insistent pour que certaines règles soient respectées en pareille circonstance, comme le caractère exceptionnel de la mesure, le principe de proportionnalité ou la sauvegarde du droit des Etats neutres aux utilisations légitimes et pacifiques de la mer.

- En 1991, lors du conflit Irak-Koweït, les USA, le Royaume-Uni et la France ont décrété au Nord du 36e parallèle une zone d'exclusion pour les aéronefs irakiens. Cette zone sera ensuite étendue par les deux premiers États. La base juridique alléguée était alors la résolution 688(1991) du Conseil de Sécurité. L'édiction de cette zone d'exclusion n'a cependant pas été sans poser de sérieuses interrogations juridiques. Certes, le Conseil lançait alors un appel à tous les Etats membres de l'ONU et aux organisations humanitaires en vue d'une coopération aux « efforts d'assistance humanitaire ». Il demeure que cette résolution n'était pas fondée sur le Chapitre VII de la Charte ; elle n'offrait donc pas de fondement juridique à pareille intervention armée.

Enfin, la prudence nous invite à soutenir l'idée selon laquelle n'étant pas dans un contexte de conflit armé à caractère international, un État (ou une coalition d'Etats) ne peut a priori effectuer aucune manoeuvre ou opération navale dans les eaux territoriales (habituellement 12 nautiques ou 22 kilomètres au large des côtes) d'un tiers dans son accord236. De même, l'espace aérien sous juridiction nationale surplombe non seulement le territoire terrestre, mais aussi la mer territoriale

235 Le Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés sur mer a été élaboré, de 1988 à 1994, par un groupe d'experts du droit international et d'experts navals qui ont participé, à titre personnel, à une série de tables rondes organisées par l'Institut international de droit humanitaire. Le but de cet ouvrage est de présenter une analyse du contenu du droit international actuel applicable aux conflits armés sur mer. Si, parmi les dispositions figurant dans le Manuel, certaines peuvent apparaître comme des développements du droit, la plupart sont considérées comme énonçant le droit actuellement en vigueur.

236 Ceci serait contraire au principe du droit de passage inoffensif tel que défini par l'article 19.2 de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer. Voir aussi le HARDY de BEAULIEU Louis, « La Libye : Etat de guerre, légitime défense...simples questions de terminologie ? » à consulter dans www.louislehardy.blogspot.com

101

d'un État. Les aéronefs militaires d'autres Etats n'y disposent pas d'un droit de survol sans l'accord des autorités de l'Etat sous-jacent237. S'ajoute à ceci une difficulté liée à la revendication libyenne d'un espace maritime et aérien d'une surface supérieure à ce qui est reconnu par la communauté internationale238.

Il apparaît dès lors clairement que la décision de l'établissement d'une zone d'exclusion ne pourrait être que le résultat d'une résolution du Conseil de Sécurité basée sur les articles 42 et suivants de la Charte. Mais ceci requiert un vote favorable de neuf des quinze membres du Conseil, en ce compris l'accord (ou à tout le moins pas de veto formel) de ses cinq membres permanents.

B. L'application de l'embargo sur les armes

De l'avis du Conseil de Sécurité, l'embargo sur les armes doit être respecté et strictement appliqué, avec ce que cela comporte d'inspections sur le territoire libyen, "y compris les ports et les aéroports ou en haute mer, les bateaux et les avions se rendant ou provenant de Libye". Le Conseil de Sécurité demande à tous les Etats membres d'empêcher la fourniture de mercenaires armés à la Libye.

C. L'interdiction des vols

Aux termes de cette résolution, les Etats doivent interdire à tout aéronef enregistré en Jamahiriya arabe libyenne, lequel appartient à toute personne ou compagnie libyenne ou exploité par elle, de décoller de leur territoire, de le survoler ou d'y atterrir, à moins que le vol ait été approuvé par avance par le Comité ou en cas d'atterrissage d'urgence. Ils doivent aussi interdire à tout aéronef de décoller de leur territoire, d'y atterrir ou de le survoler s'ils disposent d'informations autorisant raisonnablement à penser qu'il y a à bord des articles dont la fourniture, la vente, le transfert ou l'exportation sont interdits par les paragraphes 9 ou 10 de la résolution

237 Voir l'article 3c. de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944. Voir aussi C.I.J., Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Arrêt du 27 juin 1986, point 251.

238 Voir le HARDY de BEAULIEU Louis, « La Libye : Etat de guerre, légitime défense...simples questions de terminologie ? » à consulter dans www.louislehardy.blogspot.com.

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1970 (2011), telle que modifiée par la présente résolution, y compris des mercenaires armés, sauf en cas d'atterrissage d'urgence.

D. Les gels des avoirs

Les avoirs financiers et les ressources économiques qui sont propriété ou contrôlés directement ou indirectement par les autorités libyennes sont gelés et devront être rendus accessibles pour le bénéfice du peuple libyen.

Finalement, un panel d'experts est créé pour une période initiale d'un an qui aura pour tâche de suivre la mise en oeuvre de la résolution 1973 et de signaler en particulier les incidents de non-respect, d'en faire rapport.

Nous l'avions signalé au départ que cette résolution se place sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. C'est le premier élément qui explique son caractère obligatoire. En effet, les modèles de conduites obligatoires et généraux de ladite résolution apparaissent dans les termes de ses dispositions. Le deuxième élément qui explique son caractère obligatoire est l'utilisation de l'indicatif présent et du verbe « décide »239.

Il convient de reconnaitre et de rappeler que les auteurs s'accordent sur le fait qu'il n'existe aucun désaccord en ce qui concerne la compétence du Conseil de Sécurité à l'effet de prendre des décisions, particulièrement dans les matières qui rentrent dans le domaine du chapitre VII (et dans certains cas du chapitre VI) de la Charte240.

239 A ce sujet, on peut lire DENIS Cathérine, Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité des Nations Unies : Portée et limites, Bruxelles, Bruylant, 2004, p.145

240 JUNG-GUN-KIM, « La validité des résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies », in Revue internationale de droit international public, tome 75, 1971, p.98 ; ROCHE Cathérine, L'essentiel du droit international public et du droit des relations internationales, 2ème édition, Paris, Gualimo, 2003, p.40 ; BALANDA MIKUIN Gérard, Op-cit, p.177 ; Dans ce même ordre d'idées la Cour internationale de justice, dans l'affaire du détroit de Corfou, a interprété le compromis conclu entre les deux Parties et « établi à la suite de la résolution du Conseil de Sécurité du 9 avril 1947 » « à la lumière » et avec la volonté de donner « plein effet » à la résolution.

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C'est ainsi que le professeur JUNG-GUN-KIM estime que d'une manière générale, les décisions du Conseil de Sécurité prises en vertu du chapitre VII de la Charte sont de loin la plus importante application de la compétence exercée par le Conseil dans le domaine de l'ordonnancement de la communauté internationale241.

Au regard de ce qui vient d'être dit, si l'on doit examiner ces mesures au regard du contenu du principe de la responsabilité de protéger tel que développé au deuxième chapitre de la première partie, l'on comprend qu'on se trouve déjà dans l'obligation de réagir puisque la phase préventive a échoué et n'a su résoudre le conflit tel qu'analysé au premier chapitre de la seconde partie.

Ainsi, l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne et l'application de l'embargo sur les armes constituent des sanctions dans le domaine militaire ; par contre, l'interdiction des vols et le gel des avoirs constituent des sanctions dans le domaine économique. Toutes sont des mesures autres que l'action militaire242.

Toutefois, la décision prise par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 1973 consistant à la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne avait divisé les Etats européens et africains sur les conséquences militaires de l'établissement d'une telle zone. Il convient alors de parcourir les arguments avancés par les uns et les autres sur lesdites conséquences.

§2. Les conséquences militaires de la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne

Pour rappel, le 17 mars 2011, le Conseil de Sécurité de l'ONU a voté en faveur d'un recours à la force contre les troupes du colonel Mu'ammar Kadhafi, ouvrant la voie à des frappes aériennes en Libye. La résolution adoptée par le Conseil autorise "toutes les mesures nécessaires" pour protéger les civils et imposer un

241 JUNG-GUN-KIM, Op-cit, p.103 .

242 A ce sujet, lire CIISE, Op-cit, pp.33-35.

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cessez-le-feu à l'armée libyenne. Cette décision recueillera le soutien du Conseil de l'Union Européenne et va susciter d'autres réactions au sein de l'Union Européenne. Elle va, en outre, susciter les réactions de l'Union Africaine et de la Libye.

A. Le soutien du Conseil de l'Union Européenne et les attitudes au sein de l'Union Européenne

1. Le soutien du Conseil de l'Union Européenne243

Aussitôt, le président du Conseil européen, Herman Van ROMPUY, et la Haute représentante pour la politique étrangère de l'UE, Catherine ASHTON, avaient salué la résolution dite 1973. Ils avaient soutenu pleinement l'exigence de l'ONU qu'il soit mis fin aux attaques contre les civils et qu'une solution soit trouvée à la crise. Ils avaient appelé le colonel Kadhafi de quitter le pouvoir immédiatement et demandé à la Libye de "s'engager rapidement vers une transition rapide vers la démocratie" sur base d'un dialogue impliquant de larges couches de la société.

Dans la ligne de ce qui avait été décidé lors du Conseil européen extraordinaire consacré à la Libye le 11 mars 2011, Herman Van ROMPUY et Catherine ASHTON exigeaient que la sécurité de la population civile devait être garantie par tous les moyens et concluaient que la résolution 1973 "donnait une base légale claire aux membres de la communauté internationale d'assurer la protection des civils". Les deux dirigeants européens saluaient le rôle important de la Ligue arabe et de "leurs partenaires arabes" avec lesquels ils continueront de coopérer pour savoir comment l'UE pouvait le mieux contribuer à la mise en oeuvre des décisions du Conseil de Sécurité.

Pour eux, l'UE était "prête à mettre en oeuvre cette résolution dans le cadre de son mandat et de ses compétences", notion qu'ils n'avaient pas

243 A consulter dans www.europaforum.public.lu ... Actualités Mars 2011

244 Idem

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précisée dans leur communiqué. La Libye sera finalement à l'ordre du jour d'un sommet Union Européenne-Union Africaine-Ligue arabe sur la Libye qui s'était tenu le samedi 19 mars 2011 à Paris en présence du Secrétaire Général de l'ONU Ban Ki-Moon.

Mais quelles avaient été les attitudes au sein de l'Union

Européenne ?

2. Les attitudes au sein de l'Union Européenne244

Au sein de l'Union, la France et l'Angleterre, qui avaient poussé la résolution, étaient prêtes à intervenir. Mais la grande préoccupation était celle de savoir dans quel cadre l'OTAN ou une coalition de pays volontaires pouvait intervenir? Et quel serait le rôle de l'UE en tant que UE ?

L'Union Européenne en tant que telle devait envisager, selon des sources diplomatiques qui s'étaient confiées le vendredi 18 mars 2011 dans l'après-midi à des agences de presse, d'apporter un soutien essentiellement humanitaire en Libye mais qui pouvait prendre la forme d'une opération militaire dans le cadre de l'assistance aux réfugiés. Les 27 Etats membres par contre étaient divisés sur la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne en Libye. Le soutien militaire à des opérations dans le cadre de l'assistance humanitaire pouvait contribuer à gommer une partie de ces divisions. Catherine ASHTON avait indiqué vouloir, pour ce qui était de l'UE, se "concentrer sur les actions qui pouvaient réellement apporter une valeur ajoutée: des sanctions économiques, de l'aide humanitaire et à un plus long terme la démocratie profonde et la croissance économique".

Il ne restait que la division au sein de l'UE qui était nette et franche sur la question d'une intervention militaire aérienne pour établir une zone d'exclusion aérienne.

Le Luxembourg avait salué à travers son ministre des Affaires étrangères, Jean ASSELBORN, la résolution 1973. Il avait regretté que les Etats

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L'Allemagne ne "voulait pas mêler des soldats allemands à une guerre, à une intervention militaire en Libye", selon la déclaration de son ministre des Affaires étrangères, Guido WESTERWELLE. La chancelière Angela MERKEL avait déclaré de son côté que cette intervention n'était pas pensée jusqu'au bout et l'avis de son gouvernement quant à un succès de l'opération était différent. Mais l'Allemagne "comprenait ceux qui, pour des motifs respectables, s'étaient prononcés pour une intervention militaire internationale en Libye", avait encore déclaré Guido WESTERWELLE et elle poussait au sein de l'UE vers un moratoire de l'achat de pétrole libyen.

Le Danemark se préparait à participer à l'opération aérienne. La Pologne et la Lituanie avaient offert leur aide logistique. La Belgique était prête à mettre six F-16 qui étaient stationnés en Grèce et une frégate en Méditerranée à disposition. L'Espagne devait mettre à disposition des bases, des avions et d'autres éléments logistiques. Pendant ce temps, la Grèce réfléchissait à la meilleure manière de participer.

L'Italie, elle-même opposée à une intervention militaire en Libye, avait autorisé le départ d'opérations aériennes à partir des bases situées sur son territoire. Une telle autorisation n'avait pas encore été donnée aux Britanniques par Malte et Chypre, deux pays qui ne sont pas membres de l'OTAN, mais aussi deux îles où les Britanniques entretiennent des bases militaires.

La Suède soutenait la résolution de l'ONU et devait étudier une éventuelle demande de l'OTAN de contribution militaire en Libye, car pour la Suède, c'est l'OTAN, dont elle n'est pas membre, qui est le maître d'oeuvre d'une éventuelle opération.

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membres de l'UE au Conseil de Sécurité n'aient pas eu une position unie. Le Luxembourg misait sur la coordination avec les pays de la Ligue arabe.

La Turquie, pays candidat à l'adhésion à l'UE et membre important de l'OTAN, avait pris acte de la résolution 1973 mais rappelait dans son communiqué qu'elle était depuis le début de la crise libyenne opposée à une "intervention étrangère en Libye, pays ami et frère".

L'agence européenne de contrôle aérien Eurocontrol, qui regroupe 39 pays, avait annoncé le 18 mars 2011 avoir interdit les vols civils vers la Libye, à la suite du feu vert de l'ONU à un recours à la force dans le pays, Tripoli n'ayant pas pris une telle décision de son propre chef.

L'OTAN avait décidé d'accélérer la planification militaire en vue d'une éventuelle participation à l'intervention internationale en Libye, qui n'était cependant pas encore décidée. Mais la question d'une action concrète n'était pas encore sur la table.

Enfin, un passage sur ce qu'avaient été les attitudes de l'UA et de la Libye face à l'établissement de la « no fly zone » serait édifiant.

B. Les attitudes de l'UA et de la Libye

1. L'attitude de l'UA

Quoique les mesures envisagées dans « la responsabilité de protéger » ou le « droit d'intervention de l'Union » poursuivaient un but désintéressé, en règle générale, accrochés à leur souveraineté, les Etats africains étaient réticents face à ces deux concepts. Ils pensaient que les motifs qui se cachaient derrière la responsabilité de protéger ne répondaient pas toujours à un objectif humanitaire. Ils craignaient en effet une intervention « guidée par des considérations économiques (...)

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ou, plus ordinairement, un exercice d'exportation des valeurs et des principes partagés par les grandes puissances à économie de marché »245.

C'est ce qui justifiait le fait que les Etats africains estimaient pour la plupart que, sous des prétextes humanitaires, l'intervention de l'Union Africaine ne serait pas neutre et impartiale qu'il s'agisse des Etats non africains qui invoquaient la responsabilité de protéger ou l'Union Africaine qui brandissait son droit d'intervention. Ainsi, se référant à ce qui se passe ailleurs et aux ingérences humanitaires effectuées par exemple au Timor Oriental ou en ex-Yougoslavie qui avaient mis en lumière des politiques cachées que poursuivaient les Etats intervenants, les Etats africains avaient été poussés à la réticence. Il en avait été de même à l'occasion de l'intervention américaine en Irak en 2003. L'attitude du Soudan au sujet du conflit du Darfour témoignait que les ambigüités du droit d'ingérence humanitaire246 qui avaient motivé ces interventions n'avaient pas échappé aux détracteurs de ce droit d'intervention en Afrique.

A ce sujet, partageant le même avis que le professeur Jean-Paul SEGIHOBE BIGIRA nous pensons que cette réserve des Etats africains s'expliquait aussi par les nombreux abus que cette doctrine risque d'entrainer dans la pratique. Les interventions de la communauté internationale en Somalie, en Côte d'Ivoire, au Rwanda, en Sierra Leone, quoique justifiées à des degrés divers par des raisons humanitaires, ont cependant laissé un goût amère à de nombreux Etats africains qui craignaient que l'intervention de l'UA puisse masquer des intentions d'ordre politique et économique de certaines puissances régionales (Nigéria, Afrique du sud, Libye, Egypte, etc.). Par conséquent, l'auteur ajoute que tout retour vers l'unilatéralisme doit

245 PARIS R., « International peacebuilding and the mission civilisatrice », cité par SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul, Op-cit., p.14

246 Sur cette notion, lire CORTEN Olivier cité par SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul, Op-cit., p.14 ; BOUCHET-SAULNIER Françoise, Op-cit, 2006, p.310 ; NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Allain, Op-cit, 2009, p.493 ; BULA BULA Sayeman, « L'idée d'ingérence à la lumière du nouvel ordre mondial », Op-cit., p.15 ; BULA-BULA Sayeman, L'ambigüité de l'Humanité en droit international, Op-cit., p.4 ; DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, « Le droit d'ingérence humanitaire : Un droit aux fondements incertains, au contenu imprécis et à géométrie variable »,Op-cit.; KDHIR Moncef, Op-cit, p.901 ; BELANGER Michel, Op-cit, p.89

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être banni et seul le Conseil de Sécurité doit autoriser une action militaire à vocation humanitaire ou pro démocratique247.

2. L'attitude de la Libye248

Le ministre des Affaires étrangères libyen Moussa Koussa avait déclaré le 18 mars 2011 au cours de la matinée un cessez-le-feu immédiat et déclaré que la Libye entreprendrait "tout pour protéger la population civile et pour que l'aide humanitaire dont elle a besoin soit acheminée. Il avait également expliqué que la Libye était prête au dialogue. Déclaration qui n'avait pourtant pas été respectée par les mêmes autorités libyennes.

Catherine ASHTON avait immédiatement réagi à cette annonce, déclarant que l'UE allait examiner "les détails de l'annonce de cessez-le-feu par le régime libyen" tout en soulignant qu'il fallait s'interroger sur sa "signification". Le chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez ZAPATERO, avait de son côté déclaré que la communauté internationale "n'allait pas se laisser tromper" par le régime libyen "et allait vérifier par tous les moyens le degré de respect" de la résolution de l'ONU.

Enfin, une dernière question faisant couler beaucoup d'encre et de salive dans la crise libyenne est l'intervention de l'OTAN en Libye. Parcourons-la à présent à la dernière section.

SECTION 3. L'INTERVENTION DE L'OTAN EN LIBYE AU REGARD DE

LA RESOLUTION 1973

Il a été précédemment dit que les mesures coercitives à prendre par le Conseil de Sécurité dans la phase réactive de la responsabilité de protéger peuvent être d'ordre politique, économique ou judiciaire et, dans les cas extrêmes,

247 Lire SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul, Op-cit., pp.14-15

248 A consulter dans www.europaforum.public.lu ... Actualités Mars 2011

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mais seulement dans les cas extrêmes, elles peuvent également comprendre une action militaire. C'est dans ce cadre que s'inscrit cette section car après l'échec de la prévention en Libye, toutes les mesures autres que l'action militaire n'ont pu, elles aussi, mettre fin à la crise libyenne.

En effet, aborder la question de l'intervention de l'OTAN en Libye revient à se poser la question de savoir si l'OTAN pouvait se considérer comme destinataire de la résolution 1973, d'une part (§1) et, d'autre part, cette question nous amène à examiner la conformité de l'action de l'OTAN aux prescrits de la résolution 1973 (§2).

§1. L'OTAN, destinataire de la résolution 1973

De la lecture de la résolution 1973 dans son point 4, il ressort que les Etats Membres de l'ONU et certains organismes ou accords régionaux sont désignés comme destinataires de ladite résolution. A cet effet, il leur est autorisé de prendre les mesures nécessaires voire d'employer la force pour protéger les populations et zones civiles menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne. C'est ainsi que l'OTAN en tant qu'accord régional s'y trouve aussi être impliquée quoique non désignée nommément249.

En effet, l'emploi de la force dans le cadre des Nations Unies, l'avions-nous dit, ne se conçoit que dans des contextes bien limités rentrant dans le cadre de l'application du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies par le Conseil de Sécurité, d'une part et, d'autre part, la pratique internationale veut que cet emploi tienne compte de l'opportunité alliant les principes et les circonstances. C'est ce qui justifie le fait que le système de la Charte des Nations Unies répond à une double

249 Analysant la conception contemporaine extensive de la notion d'accords ou organismes régionaux, Yves PETIT souligne que d'après l'Agenda pour la paix, l'interprétation souple et extensive qui va prévaloir permet l'extension du concept « d'accords et organismes régionaux» non plus seulement à des organisations dont la création repose sur un traité, à des organisations de sécurité et de défense mutuelles ou à des organisations destinées à assurer le développement régional, mais aussi à des groupes d'Etats ad hoc, susceptibles « d'intervenir pour régler une question qui se prête à une action de caractère régional » et de contribuer ainsi au maintien de la paix. Lire PETIT Yves, Op-cit, p.72

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problématique, celle de la légalité du recours à la force (A), mais aussi celle de la légitimité du recours à la force (B).

A. Légalité de l'intervention de l'OTAN en Libye en droit international

Il convient de signaler que née en 1949 de la signature du traité de Washington250, l'OTAN a été créée pour assurer la défense collective de l'Europe contre la menace de l'URSS et de ses alliés du Pacte de Varsovie. Sont parties à ce traité à cette époque, les cinq Etats de l'UEO (la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Pays-Bas et le Luxembourg), les Etats-Unis, le Canada, le Danemark, l'Islande, la Norvège, l'Italie et le Portugal251.

Cette réalité se trouve vérifiée dans l'article 5 du traité252 qui l'institue. Mais plus tard, l'OTAN va élargir ses fonctions à un ensemble de missions dites « non article 5 », c'est-à-dire, le maintien et l'imposition de la paix, la sécurité, la stabilité253.

En effet, l'intervention de l'OTAN en Libye est légale puisqu'elle se base sur la résolution 1973 du Conseil de Sécurité laquelle a été prise dans le cadre des Chapitres VII et VIII de la Charte des Nations Unies. Dans cette résolution, le Conseil de Sécurité autorise les Etats Membres qui ont adressé au

250 Le 04 avril 1949, il fut signé à Washington le Traité de l'Atlantique Nord par douze Etats occidentaux (Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni). Son article 5, pierre angulaire des objectifs de l'Alliance, stipule que : "les pays membres conviennent de considérer une attaque armée contre l'un d'eux, en Europe ou en Amérique du Nord, comme une attaque dirigée contre tous."

251 Lire NTUMBA KAPITA Patrice, Fonctionnement des institutions internationales, Notes de cours, Inédit, Faculté de droit 2ème licence, UNIKIN, 2010-2011, p.11. Aujourd'hui, l'O.T.A.N comprend 19 membres : depuis 1952, la Grèce et la Turquie ; depuis 1955, la République fédérale d'Allemagne ; depuis 1982, l'Espagne ; depuis mars 1999, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque.

252 « Aux termes de cet article, les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du nord sera considéré comme une attaque contre toutes les parties, et en conséquence [...], chacune d'elles, [...] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée... »

253 NTUMBA KAPITA Patrice, Op-cit., p.12. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, l'Alliance a redéfini son rôle. À Rome, en 1991, puis lors du Conseil de l'Atlantique Nord à Washington, en 1999, elle a adopté un nouveau concept stratégique. L'O.T.A.N. doit s'ouvrir à de nouveaux États, développer des partenariats avec la Russie et l'Ukraine, élargir le dialogue avec les pays de la Méditerranée. Une conception élargie de la sécurité peut conduire l'Organisation à mener des opérations de maintien de paix hors de sa zone de compétence. La condition en est alors une réforme de ses structures militaires.

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Secrétaire Général une notification à cet effet et agissant à titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire Général, à prendre toutes les mesures nécessaires [...] pour protéger les populations et zones civiles menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi254. Plus loin, il est prié aux Etats Membres concernés d'informer immédiatement le Secrétaire Général des mesures qu'ils auront prises en vertu des pouvoirs qu'ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l'attention du Conseil de Sécurité255.

A ce sujet, Yves PETIT affirme que quand le Conseil de Sécurité décide de voter une résolution autorisant un groupe d'Etats Membres ou une organisation régionale à mettre en oeuvre des actions coercitives, son initiative s'apparente à une « sous-traitance ». L'auteur ajoute que la résolution 836 (1993) ou la résolution 1031 (1995) donnant mandat aux Etats et aux organisations régionales pour établir l'IFOR, sans citer explicitement l'OTAN, illustrent ce cas de figure256.

Mais l'inquiétude reste toujours évidente en ce qui concerne la légitimité de l'emploi de la force par une organisation régionale telle que le cas de l'OTAN en Libye.

B. Légitimité de cette intervention en droit international

La question qui est soulevée ici est celle de savoir si l'usage de la force contre un autre Etat est légitimé pour la promotion ou la restauration de la démocratie, la réalisation de l'autodétermination, l'intervention, qualifiée d'humanitaire ou autrement, pour le sauvetage de nationaux ou pour d'autres motifs.

254 Abordant la question des évolutions de la sécurité collective, Yves PETIT souligne que lors du drame du Kosovo, le Conseil de Sécurité a posé un principe d'accès aux victimes, dans le respect des principes de neutralité et d'impartialité. De ce fait, les Nations Unies autorisent les Etats à intervenir auprès des victimes, en utilisant leur forces armées si besoin est, pour leur fournir une assistance directe, protéger les populations civiles ou rétablir un minimum de sécurité pour qu'elles retrouvent des conditions de vie normales. Lire PETIT Yves, Op-cit, pp.45-51

255 Voir Résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1973 (2011), point 4.

256 PETIT Yves, Op-cit., p.77

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Pour éviter certains débats du passé concernant la légitimité de l'emploi de la force par un Etat, par exemple le cas de l'intervention des Etats-Unis en Irak pour l'imposition de la démocratie au monde dont la légitimité posait problème à cause de son unilatéralisme militaire, désormais, de telles interventions dans le cadre des Nations Unies requièrent d'alliés pour leur légitimation. En effet, le multilatéralisme garde tout sens, s'il vise le renforcement du cadre des Nations Unies, dans le respect des buts et principes de la Charte. Ce qui revient à dire que toute aventure unilatérale quant à l'emploi de la force en droit international manque de légitimité. Car il convient de faire que ce qui est « légal » soit également « légitime ».

La légitimité tient compte de l'efficacité, en considérant les résultats. Ce faisant, loin d'affirmer que les fins justifient les moyens, elle rappelle que les conséquences peuvent hypothéquer les meilleures intentions. Reste à déterminer, en évitant tout raisonnement circulaire, la justesse des fins et la justesse des moyens, c'est-à-dire à « justifier la guerre »257.

Outre ce qui vient d'être dit, toute intervention militaire tire sa légitimité de l'autorité à laquelle elle se rattache. C'est ainsi que dans le cadre de la responsabilité de protéger, l'autorité légitime pour décider une telle intervention militaire c'est le Conseil de Sécurité de l'ONU258.

Force est de constater que le rapport du Panel présenté sous le titre « Un monde plus sûr : notre affaire à tous » élaboré par un groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement mis en place par le Secrétaire Général Kofi ANNAN et transmis par lui à l'Assemblée Générale officiellement en décembre 2004259 aborde la question de légitimité « en allant tout droit à la question de savoir, non pas si la force peut légalement être employée, mais si la morale et le bon sens commande qu'elle le soit »260.

257 ANDREANI Gilles et HASSNER Pierre cités par DECAUX Emmanuel, Op-cit., p.10

258 CIISE, Op-cit., p.XII

259 A/59/565 du 2 décembre 2004, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement

260 Idem, §205

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Ainsi, il sera constaté qu'en Libye, les raisons qui justifient l'emploi de la force sont :

1. La gravité de la menace car le risque d'un massacre qualifié par la suite par le Conseil de Sécurité des crimes contre l'humanité était constaté en Libye261. En effet, le risque d'un massacre de civils imminent était aussi réel à Benghazi ;

2. La légitimité du motif car il est évident que l'opération militaire envisagée par le Conseil de Sécurité a pour objet principal de stopper la menace en question, nonobstant les autres considérations ou motivations en présence262. Si le pétrole (ou le changement de régime) avait été la motivation première, la Ligue Arabe et le Conseil de Sécurité n'auraient jamais avalisé l'intervention militaire;

3. Le dernier ressort car toutes les opérations non militaires pour faire face à la menace en Libye ont été examinées et il y a lieu de penser raisonnablement que les autres mesures étaient vouées à l'échec263. En effet, la résolution 1970 du 26 février 2011 exerçait des sanctions ciblées, un embargo sur les armes et la menace de poursuites par la Cour Pénale Internationale pour concentrer l'attention du Colonel Mu'ammar Kadhafi sur la protection des civils. Ce n'est que lorsque cela a échoué que la résolution 1973 a autorisé l'option militaire ;

4. La proportionnalité des moyens car l'ampleur, la durée et l'intensité de l'opération militaire envisagée en Libye semble être le minimum requis pour faire face à la menace en question dans la mesure où le Conseil déplorait le fait que les autorités libyennes continuaient d'employer des mercenaires264;

5. La mise en balance des conséquences car il est raisonnable au stade actuel d'admettre que l'intervention militaire en Libye a réussi à faire pièce à la menace en question et qu'à notre avis, il est difficile de prétendre que l'utilisation de la force a coûté plus de vies qu'elle n'en aurait sauvé. Cela se justifie par le fait que l'abstention face à l'urgence est plus à craindre que la manipulation de la norme265.

261 Voir préambule de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, S/RES/1973 (2011)

262 Idem, point 4

263 Ibid., préambule

264 Ibid.

265 Voir WEISS Thomas cité par TARDY Thierry, « L'ONU et le recours à la force ou le mariage de la carpe et du lapin », in Etude Raoul-Dandurand, n°12, 2006, p.25

115

Ce n'est donc que puisque ces cinq critères fondamentaux de légitimité266 dont doit tenir compte le Conseil de Sécurité pour déterminer s'il doit autoriser ou approuver l'usage de la force militaire sont réunis, tout en considérant les autres exigences de légitimité émises par le rapport du Panel à savoir : la morale et le bons sens, que l'intervention de l'OTAN en Libye est légitime. Car lorsque notre humanité commune est menacée, même si nous ne faisons pas tout ce que nous devrions, ne devrait-on pas au moins faire tout ce que nous pouvons ?

Quant au document onusien élaboré par la CIISE, ce document souligne qu'une intervention ne peut être considérée comme légitime que si « un dommage grave et irréparable touchant des êtres humains est en train (ou risque à tout moment) de se produire. »267. Autre motif justifiant la légitimité de l'intervention de l'OTAN en Libye car ce motif a été aussi observé en Libye avant que l'OTAN ne puisse intervenir.

C'est ici qu'il convient d'admettre que bien qu'il n'y a pas d'innovation véritable avec la responsabilité de protéger au regard de son contenu, il y a quand même quelques précisions apportées notamment sur la mise en place de critères de légitimité concernant l'intervention268.

La dernière question qui se pose est celle de savoir si, bien qu'étant légale et légitime, l'action de l'OTAN en Libye était conforme aux prescrits de la résolution 1973.

§2. La conformité de l'action de l'OTAN aux prescrits de la résolution 1973

A ce stade, l'analyse de l'action de l'OTAN en Libye commencera par l'examen des prescrits de la résolution 1973 en ce qui concerne

266 Ces critères n'ont pas encore été formellement adoptés par l'Assemblée Générale ou le Conseil de Sécurité, et sont encore noyés dans les discutions générales du débat international actuel. Mais leur utilité pratique justifie une bien plus grande visibilité.

267 CIISE, Op-cit., p.XII

268 Lire DOMEJEAN Christelle, La responsabilité de protéger, Point de droit, Master II Droit International et Comparé, Université Toulouse 1-Capitole, 2008-2009, p.1

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particulièrement la protection des civils, c'est-à-dire on commencera par voir, en premier lieu, ce que dit le texte de la résolution 1973 relativement à la protection des civils puisqu'il a déjà été fait précédemment l'analyse du contenu de cette résolution (A). Il sera enfin décelé quelques dérapages dans l'exécution de ladite résolution par l'OTAN (B).

A. La protection des civils conformément aux prescrits de la résolution 1973

Le Conseil de Sécurité, dans la résolution 1973, met la protection des civils au coeur de l'intervention en Libye. Il y ressort d'une part que le Conseil de Sécurité autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et zones civiles menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen, et prie les États Membres concernés d'informer immédiatement le Secrétaire général des mesures qu'ils auront prises en vertu des pouvoirs qu'ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l'attention du Conseil de Sécurité269.

D'autre part que le Conseil de Sécurité mesure l'importance du rôle que joue la Ligue des États arabes dans le maintien de la paix et de la sécurité régionales et, gardant à l'esprit le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, prie les États Membres qui appartiennent à la Ligue de coopérer avec les autres États Membres à l'application du paragraphe 4270.

La protection des civils tels que préconisée par le Conseil de Sécurité dans cette résolution a été, à notre avis, instrumentalisée au point qu'on est

269 Résolution 1973 du 17 mars 2011, §4 270Idem, §5

117

arrivé à une subjectivation, au bon vouloir des intervenants, de l'expression « prendre toutes mesures nécessaires ».

En effet, certaines pratiques observées pendant l'intervention de l'OTAN en Libye, tel qu'il sera vu en sus, ne sont pas toujours justifiables. Rien ne peut donc justifier la protection des civils dans ce sens.

B. Quelques dérapages de l'action de l'OTAN en Libye

L'intervention de l'OTAN en Libye a connu quelques dérapages qu'il faudra examiner. Il s'agit notamment du manque de réalisme de l'OTAN dans certaines de ses frappes confondant leur cible et ayant tué plusieurs personnes parmi les forces rebelles et les civils, du bombardement de la résidence du colonel Mu'ammar Kadhafi, la mort d'un de ses fils, Mouta Sim Kadhafi, pendant ces frappes. Il y a lieu de souligner que l'action de l'OTAN en Libye n'avait pas empêché la commission de graves violations des droits de l'homme en Libye271 ou que le cessez-le-feu tant exigé par la résolution de 1973 s'observe un peu tardivement.

En outre, il convient de signaler l'exécution « extra judiciaire » du colonel Mu'ammar Kadhafi le 20 octobre 2011 par les troupes du CNT sous la direction des opérations militaires par l'OTAN.

A ce sujet, l'article 11 point 1 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme dispose que « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». Surabondamment, l'article 6 point 1 du Pacte International relatif aux

271 En ce qui concerne les violations des droits de l'homme en Libye, on consultera le rapport d'Amnesty international du 13 septembre 2011. Ce document de plus d'une centaine de pages décrit les graves violations des droits humains qui ont été commises tout au long du conflit de ces six derniers mois. Il se fonde principalement sur les informations collectées lors d'une mission qu'a effectuée Amnesty International sur le terrain entre le 26 février et le 28 mai 2011, en particulier dans les villes d'El Beïda, Ajdabiyah, Brega, Benghazi, Misratah et Ras Lanouf. Des délégués d'Amnesty International sont retournés en Libye à la fin du mois d'août, quelques jours avant que les forces d'opposition prennent d'assaut Tripoli.

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droits civils et politiques de 1966 renchérit en disposant que « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».

Ceci revient à dire que rien ne justifie l'exécution extrajudiciaire dont ont été l'objet le Colonel Mu'ammar Kadhafi ainsi qu'un de ses fils. Bref, il y a eu une exécution « ultra petita »de la résolution 1973 par l'OTAN.

Enfin, il convient de signaler qu'alors que l'impasse militaire menaçait la Libye, l'ONU gardait son autorité juridique et le soutien moral et politique qui l'accompagnait. C'est ainsi que l'OTAN devait en tenir compte car elle ne devait pas la dépasser si elle voulait préserver sa propre crédibilité et la capacité du monde à intervenir dans de tels cas de conscience.

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CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

L'instauration de la démocratie tient à coeur les populations du continent africain. La preuve la plus marquante est le soulèvement des peuples du Maghreb et du Machrek au début de l'année 2011. Ces peuples ont pris la ferme résolution de prendre congé des régimes totalitaires ayant survécu aux différents changements qui ont frappé le monde pendant les années 90. C'est dans ce cadre que peut s'inscrire le soulèvement populaire en Libye.

La communauté internationale a assisté en février 2011 aux exactions des autorités libyennes sur sa population qui s'était soulevée pour réclamer ses droits pacifiquement. Il fallait alors trouver une solution à cette crise. C'est ainsi que le Conseil de Sécurité, à l'initiative de certains Etats, va par sa résolution 1970 prendre des mesures pacifiques pour arriver à y mettre fin. Cette résolution n'a pu être respectée par les autorités libyennes. La passation à la prise des moyens plus efficaces dans la résolution 1973 s'était révélée importante pour ainsi mettre en oeuvre la responsabilité de protéger que nous avons analysée dans la première partie.

Après avoir répondu aux exigences de légalité et de légitimité, la résolution 1973 a été appliquée par plusieurs acteurs dont le CNT, la ligue arabe, la coalition et l'OTAN. La légalité et la légitimité ont été analysées parce qu'hormis son aspect conceptuel et son ambition normative, la responsabilité de protéger est envisagée comme un ensemble d'actions devant trouver l'application des principes de la Charte des Nations Unies, une légalité et une légitimité internationales.

Mais le constat malheureux que nous avons fait est que, malgré la prise de cette résolution, il a fallu du temps pour arriver à un cessez-le-feu en Libye pendant que les milliers des libyens mouraient du jour au lendemain. Aussi, le principe de la responsabilité de protéger qui avait été invoqué pour protéger les peuples libyens a été instrumentalisé dans la mesure où il y a eu certains dérapages et violations du

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DIH qui étaient fréquents dans l'affrontement direct entre les forces du colonel Kadhafi et les insurgés appuyés par la coalition et l'OTAN.

De part et d'autres, on assista à l'ouverture du feu sur des civils qui, d'après la résolution 1973, devraient normalement être protégés. Par exemple, l'OTAN, mandatée par l'ONU, a eu à maintes reprises à confondre de cible dans ses bombardements en tuant les civils voire certains fils du colonel Kadhafi. Outre cela, certaines puissances occidentales ont fait prévaloir leurs intérêts au lieu d'appliquer le principe. Ce qui revient à dire que le principe de la responsabilité de protéger a été certes appliqué mais pas comme il se doit. Cette situation risquerait de faire croire que chaque fois que quelqu'un invoque l'humanité c'est dans l'intention de tricher.

Mais au delà de tout ce qui vient d'être affirmé, le principe de la responsabilité de protéger reste en soi, un instrument important pour la garantie de la sécurité humaine et la prévention des massacres de masse. La décision de son application ne doit donc pas tenir compte des intérêts en présence pour éviter qu'il y ait des populations qui meurent à cause d'une politique généralisée et systématique de leurs gouvernements tels que cela se constate en Syrie où il y a plus de 5 000 morts d'après l'ONU. Mais hélas ! La mise en oeuvre du principe de la responsabilité de protéger se trouve être étouffée par les Etats au sein de l'ONU à cause de la diversité d'intérêts en présence.

Mettre en oeuvre la responsabilité de protéger dans l'idée première conçue par ses rédacteurs serait, à notre avis, une nouvelle approche dans la construction d'un monde résolument humain et pacifique et échapperait à l'idée d'une responsabilité assumée par les grandes puissances. Car le vibrant appel de Paul VI en 1965, lors du 20ème anniversaire de la Charte à la tribune de l'Assemblée Générale des Nations Unies, « jamais plus la guerre jamais plus la guerre », n'a pas fini de résonner dans la conscience humaine.

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CONCLUSION GENERALE

En plein XXIè siècle, la souveraineté des Etats ne saurait plus répondre à sa conception traditionnelle westphalienne qui la concevait comme absolue. Le monde a connu une mutation considérable dans la conception de la souveraineté en passant de la souveraineté absolue à la souveraineté responsable. Toute action de l'Etat sur sa population est désormais contrôlée par la communauté internationale. Car la souveraineté est en même temps ce qui bloque et ce qui protège la sécurité humaine.

La nouvelle conception de la souveraineté comme responsable nous est apportée par la doctrine onusienne intitulée « la responsabilité de protéger». La responsabilité de protéger est un concept lien qui met en présence l'intervention et la souveraineté, contrairement aux principes qui l'ont précédée tels que le droit d'ingérence lesquels rendaient antagonistes ces deux notions. Bien que n'étant pas une nouveauté, la responsabilité de protéger rend prioritaire la prévention des conflits tant au niveau de ses causes profondes que directes. Le principe retient alors la réaction lorsque la prévention a échoué et dans des cas extrêmes une intervention militaire peut être concevable.

Mais puisqu'après une intervention militaire, il y a des dégâts qui s'ensuivent, il faut alors penser à reconstruire l'Etat pour remettre en place tous ses organes. Ces différentes actions ne peuvent se concevoir que dans un cadre bien précis à savoir le cadre onusien, avec le Conseil de Sécurité comme autorité traditionnelle et appropriée. L'Assemblée Générale n'intervenant que dans des circonstances bien limitées.

De la conception de l'ONU, la responsabilité de protéger n'a pas été portée au rang d'une norme impérative générale qui aurait eu une valeur supérieure à celle de la souveraineté. Car le droit international étant un droit essentiellement consensualiste et les Etats agissant en calculant les intérêts économiques, politiques et diplomatiques qu'ils peuvent retirer d'une situation avant

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de penser à la protection des populations, c'est le principe de souveraineté lui-même qui empêche le concept de « responsabilité de protéger » de devenir une norme impérative générale.

De même que dans certaines situations, la souveraineté sert d'alibi à une dictature établie, le danger qui guète la responsabilité de protéger serait qu'elle serve, elle aussi, d'alibi pour des interventions qui, en réalité, ont d'autres buts que la protection à cause de la diversité d'intérêts des Etats. Car nul n'ignore l'interférence des intérêts stratégiques dans l'application du droit international.

Tout en reconnaissant ces dangers, la responsabilité de protéger ne constitue non seulement une avancée normative mais une approche vers l'humanité. Car, elle met l'individu au centre de toute intervention et consolide la protection de ses droits. La sécurité humaine et la survie de l'Etat après l'intervention se trouvent être prioritaires.

C'est ainsi que rentrant dans l'aspect reconstructeur de la responsabilité de protéger, en Libye, il faudrait maintenant instaurer la démocratie comme le veulent les libyens. Car leur soulèvement n'a pas été une conspiration comme le pensent certains. Ce qu'il faut faire à présent en Libye c'est rassembler toutes les armes qui circulent, créer les syndicats et la société civile et organiser les élections afin de parvenir à la dimension reconstructrice de la responsabilité de protéger.

Quant à la communauté internationale, elle devra cesser d'appliquer la politique de deux poids deux mesures. Car c'est d'elle que dépend la crédibilité du principe de la responsabilité de protéger. Au regard de ce qui se passe en Syrie où il y a effectivement des exactions d'un gouvernement sur sa population qui s'est soulevée pour manifester pacifiquement, il devrait normalement être déclenché la responsabilité de protéger comme il a été le cas en Libye.

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28. NADEAU Christian, « Conséquentialisme et Responsabilité collective », in Archives de philosophie du droit, n°48, 2004, pp.239-252

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29. PATRICK F., « Considérations normatives sur la responsabilité de protéger-perspectives et implications dans le contexte d'un système international en morcellement », in Revue Militaire Canadienne, 2010, pp.1-16

30. ROUGIER Antoine, « La théorie de l'intervention d'humanité », in Revue générale de droit international public, t. XVII, 1910.

31. SANJUAN Raphael, « Quelques observations à propos des conflits armés internes dans le statut de la cour pénale internationale », in International law: Revista colombiana de derecho internacional, junio n°003, 2004, pp.148-177.

32. SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul, « La résolution 1973 : entre légalité étriquée, légitimité douteuse et effectivité problématique », Communication aux premières journées scientifiques de l'Union Africaine de la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa du 25 au 26 mai 2011, Inédit.

33. TARDY Thierry, « L'ONU et le recours à la force ou le mariage de la carpe et du lapin », in Etude Raoul-Dandurand, n°12, 2006, p.25 à consulter dans www.dandurand.uqam.ca.

34. THIBAULT Jean-François, « Quelle responsabilité de protéger en cas de catastrophes politiques extrêmes? », in Sécurité mondiale, n°36, 2008, pp.1-4.

35. THIBAULT Jean-François, « De la responsabilité de protéger : le test échoué du Darfour », in Sécurité mondiale, n°18, 2005, pp.1-4.

36. THIBAULT Jean-François, « L'intervention humanitaire armée, du Kosovo à la responsabilité de protéger : le défi des critères », in Annuaire français des relations internationales, Volume X, 2009.

37. THIBAULT Jean-François, « Protection des civils et responsabilité de protéger : Les enjeux humanitaires d'une séparation du jus in bello et du jus ad bellum », in Bulletin du maintien de la paix.

38. WEISSMAN Fabrice, « La responsabilité de protéger : le retour à la tradition impériale de l'humanitaire », in Les analyses du Crash-MSF, 2010, pp.1-11.

39. DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, « Le droit d'ingérence humanitaire : Un droit aux fondements incertains, au contenu imprécis et à géométrie variable », in Revue africaine de droit international et comparé (RADIC), vol.4, n° 3. Londres, La société africaine de droit international et comparé, 1999

130

40. ZAKI Laïdi, « L'OTAN des démocraties, le pire des paris », in Le Monde, 2008

IV. RAPPORTS

1. Organisation des Nations Unies, Rapport mondial sur le développement humain, « Chapitre 2, Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », 1994

2. A/55/305-S/2000/809 du 21 août 2000, Etude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects, Lettres identiques datées du 21 août 2000, adressées au Président de l'Assemblée Générale et au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire Général (rapport Brahimi).

3. CIISE, « La responsabilité de protéger », Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, décembre 2001.

4. A/59/565 du 2 décembre 2004, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement

5. A/59/2005 du 24 mars 2005, Développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous, Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies

6. L'intervention d'humanité en Arménie occidentale jusqu'à la grande guerre, Rapport n°5 du 23 février 2007 de Monsieur Arménag APRAHAMIAN, Membre du Conseil National Arménien.

7. Rapport de synthèse du séminaire du centre Thucydide organisé pour la DAS 9/10 février 2007 sur la doctrine du maintien de la paix des Nations Unies : conditions de réussite des opérations du maintien de la paix.

8. A/HRC/4/80 du 09 mars 2007, La situation des droits de l'homme au Darfour, Rapport de la Mission de haut niveau présenté en application de la résolution S-4/101du Conseil des droits de l'homme.

9. A/63/677 du 12 janvier 2009, La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies.

10. Rapport d'Amnesty International de 2011 sur la situation des droits humains dans le monde.

131

11. The battle for Libya : Killings, Disasppearance and Torture, Rapport

d'Amnesty International du 13 septembre 2011 sur la situation en Libye

V. INSTRUMENTS JURIDIQUES INTERNATIONAUX

1. La Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 ;

2. Le Statut de la Cour internationale de justice du 26 juin 1945 ;

3. La déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;

4. La Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 ;

5. Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ;

6. Le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966;

7. La Convention américaine relative aux droits de l'homme de 1968 ;

8. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités ;

9. Le Règlement intérieur de la CIJ du 14 avril 1978 ;

10. L'Acte constitutif de l'Union Africaine du 11 juillet 2000

11. Le Statut de la Cour Pénale Internationale du 1er juillet 2002

12. Le règlement intérieur de l'Assemblée générale avec les amendements et additifs adoptés par l'Assemblée Générale jusqu'en septembre 2007

VI. THESES ET MEMOIRES

1. DOR Virgine, De l'ingérence humanitaire à l'intervention préventive. Vers une remise en cause des principes du droit international, Mémoire, Institut européen des hautes études internationales. Diplôme européen des hautes études internationales, 2002-2003.

2. KATUNDA AGANDJI, La responsabilité de protéger : une issue pour la protection des populations civiles en Républiques Démocratiques du Congo, Mémoire de licence en droit, UNIKIN, 2009-2010.

132

3. MENNA Yohan, Le « droit d'ingérence humanitaire » : Réflexions sur un paradoxe, Texte réalisé dans le cadre du cours de Politique étrangère et aide humanitaire, Diplôme d'études spécialisées en Sciences politiques et Relations internationales, Faculté des Sciences économiques, sociales et politiques, Département des Sciences politiques et sociales, Unité de Science politique et de Relations internationales, Université Catholique de Louvain, 2002-2003.

4. MONOFORTAIN Domond, L'ingérence au nom du respect des droits de l'homme, Maîtrise en droit, LL.M.de l'Université de Québec à Montréal, Département des Sciences juridiques, 1999.

5. TSAGARIS Konstantinos, Le droit d'ingérence humanitaire, Mémoire de DEA, Université de Lille II - Faculté de Sciences Juridiques, Politiques, et Sociales, Année Universitaire 2000-2001.

6. TSHILUMBAYI MUSAWU Jean-Claude, De l'obligation de non-ingérence au droit d'ingérence. Dilemme ou paradoxe ? , Mémoire de DEA en Relations Internationales, UNIKIN, 2007-2008.

7. VEZINA Louis-Philippe, La responsabilité de protéger et l'intervention humanitaire : De la reconceptualisation de la souveraineté des Etats à l'individualisme normatif, Mémoire de master, Université de Montréal, Faculté des Arts et des Sciences, Département d'Etudes Internationales, 2009-2010

VII. JURISPRUDENCE INTERNATIONALE

A. CPJI

1. C.P.J.I, Affaire du Lotus, France contre Turquie, Arrêt du 7 septembre 1927, Série A, N°10, 1927

B. C.I.J

2. C.IJ., Affaire du détroit de Corfou, Albanie contre Royaume-Uni, Arrêt sur le fond, Rec. 1949.

133

3. C.I.J, Affaire Barcelona Traction, Belgique contre Espagne, Arrêt sur le fond, Rec.1970

4. C.I.J, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Etats-Unis c. Nicaragua), Arrêt sur les exceptions préliminaires, Rec.1984.

5. C.I.J., Affaire relative aux questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1991 résultant de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie, (Libye c. Royaume-Uni et Libye c.Etats-Unis), ordonnance en indication de mesures conservatoires, Rec., 1992.

6. C.I.J, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Avis consultatif, Rec.1996.

7. C.I.J., Affaire relative aux questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1991 résultant de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie, (Libye c. Royaume-Uni et Libye c.Etats-Unis), arrêt, exceptions préliminaires, Rec., 1998.

C. CEDH

1. CEDH, Affaire du parti communiste unifié de Turquie et autres c.Turquie, Recueil 1998-1, 30 janvier 1998

2. CEDH, Affaire du Parti socialiste et autres c.Turquie, Recueil 1998-III.

3. CEDH, Affaire Parti de la liberté et de la démocratie c.Turquie, 8 décembre 1999.

VIII. DOCUMENTS OFFICIELS

1. Résolution 2131 (xx) de l'Assemblée Générale de l'ONU du 21 décembre 1965 sur l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des Etats et la protection de leurs indépendances et de leurs souverainetés.

134

2. Résolution n°36/103 du 9 décembre 1981 de l'Assemblée Générale relative à l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats.

3. Résolution 827 du Conseil de Sécurité du 25 mai 1993.

4. Résolution 955 du Conseil de Sécurité du 8 novembre 1994

5. Résolution 1234 du 09 avril 1999 (S/RES/1234).

6. Résolution 1674 du Conseil de Sécurité de 2001.

7. Note du Secrétaire Général des Nations Unies du 02 décembre 2004 (A/59/565)

8. A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Application et suivi intégrés et coordonnés des textes issus des grandes conférences et réunions au sommet organisées par les Nations Unies dans les domaines économique et social et dans les domaines connexes, Document final du sommet mondial de 2005

9. Résolution 1674 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1674 (2006).

10. Résolution 1706 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1706 (2006).

11. Résolution 63/311 de l'Assemblée Générale des Nations Unies sur la cohérence du système des Nations Unies du 02 octobre 2009 (A/RES/63/311).

12. Document de la réunion plénière sur la responsabilité de protéger de l'Assemblée Générale des Nations Unies à sa 63è session du 23 juillet 2009. Points 44 et 107.

13. Résolution 63/308 de l'Assemblée Générale des Nations Unies sur la responsabilité de protéger du 07 octobre 2009 (A/RES/63/308).

14. Résolution 1970 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1970 (2011).

15. Résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/1973 (2011).

IX. AUTRES DOCUMENTS

1. L'intervention humanitaire : Un problème éthique, Document du Conseil OEcuménique des Eglises du 17 avril 2000, Suisse.

2. Sécurité humaine : clarification du concept et approches par les organisations internationales. Quelques repères, Document d'information de l'Organisation Internationale de la Francophonie, 2006.

135

3. Sécurité et protection : mission impossible?, Document des 5èmes Universités d'Automne de l'Humanitaire 27, 28 et 29 septembre 2007 du groupe U.R.D.

4. La responsabilité de protéger : une nouvelle norme pour prévenir et interrompre les atrocités de masse, Document de la coalition internationale sur la responsabilité de protéger.

5. Document du 3ème forum mondial des droits de l'homme à Nantes du 30 juin au 03 juillet 2008 sur les opérations internationales de maintien de la paix et le droit humanitaire.

6. Les opérations internationales de maintien de la paix et le droit humanitaire, Document du 3ème forum mondial des droits de l'homme à Nantes du 30 juin au 03 juillet 2008

7. La responsabilité de protéger et l'Union Européenne, Oxfam international, mars 2008.

8. DOMEJEAN Christelle, La responsabilité de protéger, Point de droit, Master II Droit International et Comparé, Université Toulouse 1-Capitole, 2008-2009

9. La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Déclaration du 23 juillet 2009 à la 63ème session de l'Assemblée générale de son Excellence Monsieur Jan GRAULS, Représentant de la Belgique auprès des Nations Unies.

10. DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Projet La volonté d'intervenir, Québec, Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne, 2009

11. Projet du Mouvement fédéraliste international, La responsabilité de protéger : Foire aux questions. A consulter dans www.responsabilitytoprotect.org

12. Déclaration du Président du Conseil de Sécurité sur la protection des civils en période de conflit du 14 janvier 2009 à la 6066è session du conseil de Sécurité des Nations Unies, S/PRST/2009/1

13. L'ONU publie un nouveau rapport sur la responsabilité de protéger, juillet 2009 à consulter sur http://www.adequations.org.

14. Observation générale n°25 du Comité des droits de l'homme, CCPR/C/21/Rev.1/Add.7

136

X. WEBBOGRAPHIE

1. www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3232,50-1067212,0.html

2. www.responsibilitytoprotect.org

3. www.sphereproject.org/french/handbook/pages/navbook.htm

4. www.journal.forces.gc.ca/vo9/no2/04-white-fra.asp[13/06/2010 18:22:11]

5. www.idrc.ca/fr/ev-28735-201-1-DO_TOPIC.html

6. www.grotius.fr/2010/08/31/%c2%abresponsabilite-de-proteger%c2%bb-le-retour-a-la-traditionimperiale-de-l%e2%80%99humanitaire/

7. www.iciss-ciise.gc.ca.report2-fr.asp

8. www.lescrutateur.com/article-l-analyse-originale-de-la-crise-lybienne-par-bernard-lugan-68391338 comments.html

9. http://www.adequations.org

10. www.louislehardy.blogspot.com

11. www.europaforum.public.lu ... Actualités Mars 2011

12. www.project-syndicate.org/commentary/evans3/French -

13. www.aidh.org

137

ANNEXE :

CARTE GEOGRAPHIQUE DE LA LIBYE

SECTION 1. LA RESPONSABILITE DE PREVENIR 42

138

TABLE DES MATIERES

EPIGRAPHE i

DEDICACE ii

REMERCIEMENTS iii

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS iv

00.

INTRODUCTION GENERALE

1

01.

PROBLEMATIQUE

1

02.

HYPOTHESE DE L'ETUDE

5

03.

INTERET DU SUJET

6

04.

METHODES DE RECHERCHE

6

05.

PLAN SOMMAIRE

8

Ière PARTIE : EMERGENCE ET AFFIRMATION DU PRINCIPE DE LA

RESPONSABILITE DE PROTEGER 9

CHAPITRE I. DU PRINCIPE DE NON-INGERENCE A LA RESPONSABILITE DE

PROTEGER 10

SECTION 1. AFFIRMATION DU PRINCIPE DE NON-INGÉRENCE 10

§1. Les prescrits de la Charte des Nations Unies et le troisième principe de la résolution 2625

(XXV) du 24 octobre 1970 10

§2. Conflit inhérent au principe 15

SECTION 2. EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE NON-INGERENCE 16

§1. Intervention d'humanité, intervention humanitaire et droit d'ingérence 17

§2. Eventuel régime juridique de l'ingérence 23

SECTION 3. UNE NOUVELLE APPROCHE : « LA RESPONSABILITE DE PROTEGER » 26

§1. Origine et consécration 26

§2. Nature, fondement juridique et principes de l'obligation 29

§3. Analyse par rapport au cadre juridique du lancement du principe 33

C. Limites par rapport à l'Assemblée Générale comme autorité de substitution 39

CHAPITRE II. LE CONTENU DU PRINCIPE DE LA RESPONSABILITE DE

PROTEGER 41

139

§1. La prévention au niveau des causes profondes des conflits 42

§2. La prévention au niveau des causes directes 47

SECTION 2. LA RESPONSABILITE DE REAGIR 49

§1. La décision d'intervenir 50

§2. Les critères décisifs : une juste cause 53

SECTION 3. LA RESPONSABILITE DE RECONSTRUIRE 57

§1. Obligations après une intervention 58

§2. Administration sous l'autorité de l'ONU 63

CHAPITRE III. MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER 65

SECTION 1. PREMIER PILIER : LES RESPONSABILITES DE L'ETAT EN MATIERE DE

PROTECTION 65

§1. La prévention des crimes internationaux 66

§2. Le rôle des organisations internationales, des organisations régionales et des ONG 67

SECTION 2. DEUXIEME PILIER : ASSISTANCE INTERNATIONALE ET RENFORCEMENT

DES CAPACITES 69

§1. Assistance internationale 69

§2. Renforcement des capacités 70

SECTION 3. TROISIEME PILIER : REACTION RESOLUE EN TEMPS VOULU 72

§1. La mise en oeuvre des moyens pacifiques 72

§2. L'intervention militaire autorisée par le Conseil de Sécurité 74

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 77

IIème PARTIE : LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONBALITE DE PROTEGER

PENDANT LA CRISE LIBYENNE 79

CHAPITRE I. LE CONFLIT LIBYEN 80

SECTION 1. LES FAITS A L'ORIGINE DE LA CRISE LIBYENNE 80

SECTION 2. LES CAUSES DU SOULEVEMENT POPULAIRE EN LIBYE 83

Ces cause sont les aspirations démocratiques d'une part (§1) et, d'autre part, l'éclatement des

alliances tribales (§2). 83

§1. Les aspirations démocratiques comme facteurs incitateurs au soulèvement populaire 84

A. Un pouvoir usé, caractérisé par une démocratie de façade et le blocage de l'alternance au

pouvoir 84

B. L'inégalité, la corruption dans la gestion de l'Etat, le manque des libertés fondamentales et

l'influence des médias 88

§2. L'éclatement des alliances tribales 91

140

CHAPITRE II. LA RÉSOLUTION 1973 DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES

NATIONS UNIES DANS LE CONTEXTE DE LA CRISE LIBYENNE 94

SECTION 1. LE CONTENU DE LA RESOLUTION 1973 94

SECTION 2. LES MESURES PRECONISEES PAR LE CONSEIL DE SECURITE DANS LA

RESOLUTION 1973 ET LEURS CONSEQUENCES 97

§1. L'OTAN, destinataire de la résolution 1973 110

A. Légalité de l'intervention de l'OTAN en Libye en droit international 111

B. Légitimité de cette intervention en droit international 112

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 119

CONCLUSION GENERALE 121

2. KATUNDA AGANDJI, La responsabilité de protéger : une issue pour la protection des populations civiles en Républiques Démocratiques du Congo, Mémoire de licence en droit,

UNIKIN, 2009-2010. 131

4. MONOFORTAIN Domond, L'ingérence au nom du respect des droits de l'homme, Maîtrise

en droit, LL.M.de l'Université de Québec à Montréal, Département des Sciences juridiques,

1999. 132

ANNEXE 137

TABLE DES MATIERES 138






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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry