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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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Introduction

« Il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini ». Si l'on devait résumer en une phrase le crédo écologiste, ce serait certainement celle-ci. Depuis les années 1970 s'est progressivement installée une prise de conscience collective de la crise écologique et de son origine anthropique. Les défis environnementaux (pollutions multiples, changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, etc) se sont imposés au coeur du débat public suscitant des réactions diverses. Du développement durable proposé par le Rapport Bruntland à la croissance verte prônée jusque dans les milieux d'affaire, la question de la réinvention d'un modèle de développement intégrant les limites écologiques attire tous les regards. Parmi les réponses émises, un nouvel objet a fait irruption dans le paysage politique et médiatique français. Le mouvement de la décroissance a en effet gagné, en quelques années, une notoriété évidente. Pourtant, la décroissance semble bien mal connue. Tantôt vilipendée comme le rêve fou d'idéalistes irresponsables, tantôt remarquée comme horizon nécessaire mais peu désirable, la décroissance alimente les controverses, pas toujours pour le meilleur.

Incompréhension légitime tant il est vrai que la décroissance bouscule les habitudes et modes de pensées propres aux sociétés occidentales. Ce courant politique, plus proche du mouvement social que de la forme partisane, est composé de personnalités variées (artistes, penseurs, économistes hétérodoxes, ...) qui se donnent le nom d'« objecteurs de croissance »1(*). Au mythe mis en avant depuis les Trente glorieuses de l'opulence matérielle procurant le bonheur, ils opposent une critique écologiste radicale. Sur la base des travaux de l'économiste autrichien Nicolas Georgescu-Roegen, ils dénoncent « l'oxymore » de la croissance verte : toute croissance économique, même estampillée « durable », engendre une perte d'énergie et de matière irrémédiable qui la rend incompatible avec la finitude de la planète.

Cependant les objecteurs de croissance n'approuvent pas complètement eux-mêmes le mot « décroissance ». Celui-ci est plus pour eux un slogan politique, un « mot obus » comme le dit le politologue objecteur de croissance Paul Ariès, qu'un véritable concept théorique. La décroissance connait d'ailleurs une certaine requalification sémantique pour évider le mot de sa charge purement négative. Les récents écrits sur la décroissance affichent ainsi des titres moins provocateurs sous les vocables de sobriété heureuse, de frugalité joyeuse, etc2(*). Malgré ces périphrases l'ensemble des auteurs de la mouvance décroissante désignent un même projet. La décroissance est souvent entendue comme la réduction du Produit Intérieur Brut (P.I.B). Or la visée des objecteurs de croissance est profondément différente de l'idée d'une croissance quantitativement négative qui ne serait finalement autre que le symétrique de la croissance. Ce qui importe pour eux est de sortir de la logique de la croissance entendue comme un système économique autonomisé, incapable de penser ses limites naturelles et sociales. C'est la focalisation de l'organisation économique sur l'objectif de maximisation de la croissance qui doit être combattue. La dénonciation de la « religion de la croissance » débouche alors sur le projet ambitieux de « sortir de l'économie »3(*), de la « société de croissance », pour entrer dans une « société de décroissance ».

La décroissance a schématiquement un double objectif. Le premier est de créer du dissensus à l'heure où le développement durable se lit sur toutes les lèvres et où toutes les forces politiques disent avoir intégré la dimension écologique. En dénonçant avec force le ripolinage en vert du système économique (green-washing) les objecteurs de croissance veulent faire justice des velléités écologistes de ceux qui souhaiteraient polluer moins pour polluer plus longtemps. Le « mot obus » de décroissance re-politise la question environnementale qui s'était dernièrement banalisée et questionne les valeurs qui sous-tendent un véritable projet de société écologique.

L'autre objectif n'est autre que le prolongement du premier. Il est de mettre sur le métier une critique nouvelle du capitalisme selon le critère de sa soutenabilité écologique. Nonobstant la diversité des thuriféraires de la décroissance, tous s'accordent à dire que la sortie de la logique de la croissance ne peut se faire qu'en sortant du capitalisme. Si le communisme a été autant voire plus productiviste que le capitalisme, la logique d'accumulation illimitée qui caractérise ce dernier n'en est pas moins incompatible avec la décroissance. « Le mouvement de la décroissance est donc anticapitaliste et révolutionnaire »4(*) au sens où il postule la sortie du capitalisme pour aboutir à une société de décroissance dans laquelle le partage, la convivialité et le plaisir de vivre simplement seraient rois.

Par-delà un certain nombre de positions communes, le mouvement des objecteurs de croissance est relativement éclectique. Une étude entière pourrait ainsi lui être consacrée. Si les auteurs se retrouvent sur l'impératif écologique et la sortie du capitalisme, leurs positions différent sur la stratégie à adopter. Certains se reconnaissent une filiation assez ténue dans la gauche libertaire et antiproductiviste des Proudhon, Bakounine ou Thoreau5(*). Paul Ariès appelle ainsi à l'émergence d'une nouvelle « gauche qui renonce à l'opulence (...), une gauche qui sache réveiller les forces de vie qui continuent (...) à battre sous le carcan du productivisme »6(*). La décroissance est considérée comme un « antiproductivisme de gauche ». Une approche différente est défendue par d'autres militants de la décroissance dont l'économiste Serge Latouche : l'objectif est davantage de peser dans le débat pour infléchir les positions. Des divergences subsistent donc sur l'idée même d'entrer dans le système partisan, preuve de l'hétérogénéité de ce qui est plus un courant d'influence dans le champ politique qu'une réelle force alternative pour l'exercice du pouvoir.

Au-delà même de la critique du système économique, la décroissance s'attaque au substrat social et culturel des sociétés occidentales. Il s'agit selon Serge Latouche de « décoloniser l'imaginaire collectif » (expression reprise à Cornélius Castoriadis) des mythes qui structurent la société de croissance : progrès, technique, science, richesse. Derrière un slogan ravageur se cache en réalité une critique anthropologique du monde moderne. A travers la décroissance se trouvent donc en quelque sorte les termes du débat peut être le plus crucial de notre temps : comment vivre mieux en respectant les ressources limitées de l'écosystème planétaire ?

L'ambition de ce mémoire n'est pas d'esquisser une réponse à cette équation fort complexe et à laquelle nombre d'auteurs ont déjà consacré leurs travaux. Il s'agit pour nous d'étudier la décroissance sous l'angle plus spécifique de son appréhension par les partis politiques et en particulier par le parti écologiste français. Créé en janvier 1984, Les Verts - Confédération écologiste - Parti écologiste7(*), devenus en 2011 Europe Ecologie - Les Verts8(*) se sont longuement installés comme un acteur stable dans le paysage politique. Malgré leurs succès électoraux, les écologistes politiques ont souvent suscité l'intrigue voire l'incompréhension des électeurs et de certains chercheurs. Il est vrai que l'immixtion de l'écologie politique dans le jeu partisan tranche avec les partis traditionnels. Fonctionnement amateur, démocratie interne poussée à l'extrême, ambition de changer le monde en changeant le système productiviste, ... les Verts soulèvent des débats passionnés et les bons mots des commentateurs les plus illustres :

« ...si la majorité des adhérents [Verts] incline plutôt vers la gauche, il y a aussi, comme dans le mouvement de 1968, des virtualités rétrogrades, qui prolongent la condamnation de la société d'abondance et la dénonciation de la planification. Primitivisme contre modernisme. [...] Cette ambiguïté des motivations profondes des sympathisants du mouvement n'est pas le moindre sujet d'incertitude sur ce que sera demain le système des forces politiques. [...] Le succès de ces mouvements [les Verts et Chasse, pêche, nature et traditions] est le triomphe de vues partielles, parcellaires, bien incapables de proposer des réponses pertinentes à la plupart des grands problèmes qui pointent dans le champ politique : l'écologie peut-elle sérieusement devenir l'axe d'une politique comme le libéralisme ou le socialisme ? Sans méconnaître la sincérité des motifs qui conduisent 10 à 15 % de nos concitoyens à placer leur confiance dans ces mouvements, ni contester la nécessité et la légitimité d'une politique de l'environnement et de la protection de la nature, leur succès n'est-il pas un signe de régression de la culture politique ? »9(*).

Cette réaction, parmi tant d'autres, peut se comprendre par la difficulté à interpréter l'offre politique nouvelle que constitue l'écologie politique. Cette dernière ne se laisse en effet pas facilement saisir à l'aide des outils et repères traditionnels. Pour lever une partie du voile, l'étude de l'influence qu'exerce la décroissance sur les Verts peut se révéler particulièrement intéressante. Les idées développées par la décroissance touchent en effet au coeur de l'identité de l'organisation partisane Verte. Le vif débat que suscite la décroissance dans les rangs écologistes témoigne d'une instructive proximité idéologique avec les objecteurs de croissance. Mais comme nous le verrons plus loin, l'identité partisane ne se limite pas à la seule idéologie. Analyser les Verts français à travers le prisme de la décroissance peut donc permettre de mettre à jour les contradictions idéologiques mais aussi organisationnelles et stratégiques qui traversent le parti écologiste.

L'objet ne sera pas donc pas ici de mener une étude approfondie du courant de la décroissance mais de tenter d'éclaircir l'influence que peuvent avoir ces thèses au sein d'Europe Ecologie-Les Verts. Y a-t-il lieu d'établir une dichotomie entre les thèses de la décroissance et les celles défendues par les Verts ? Quelle est l'influence de cette écologie radicale sur l'identité du parti écologiste ? En quoi révèle-t-elle la nature profonde des Verts français et amène-t-elle un changement ?

Cadre théorique

La réponse à ces questions nous amène à mobiliser différents outils théoriques pour dépasser l'illusion du savoir immédiat. L'identité est en effet une notion plurielle qui, selon Bruno Villalba, comprend trois dimensions : « être (construire et animer une armature développée du niveau local au niveau national ; histoire d'une émergence et d'une implantation), croire (choisir ses thèmes, ses symboles, se constituer un corpus idéologique et pouvoir ainsi créer un discours spécifique ; l'identité est une mise en scène, une représentation) et agir (le sens de l'action politique et du rapport au pouvoir face aux autres et avec les autres) »10(*).

Sur la base de cette définition, il faut reconnaitre un rôle majeur, bien que non exclusif, à l'idéologie dans la construction de cette identité. Parmi les innombrables définitions de l'idéologie nous retiendrons celle d'Alexandre Dézé : « une vision du monde relevant d'un certain corps de croyances et qui est orientée vers l'action »11(*). L'analyse de l'idéologie d'un parti politique est un exercice compliqué en ce sens qu'il n'existe pas de modèle établi d'analyse des doctrines partisanes. L'idéologie est souvent un lieu commun, « une boîte noire » pour Giovanni Sartori, dont le contenu est peu précis. Par conséquent l'approche par l'idéologie peut paraitre hasardeuse puisqu'elle se résume souvent à l'analyse des discours ou des motions de congrès qui ne peuvent constituer à eux seuls les éléments intangibles d'une analyse scientifique rigoureuse.

Pour tenir compte de ces travers méthodologiques, il importe de mobiliser des outils théoriques supplémentaires pour compléter l'approche par l'idéologie. Ainsi le paradigme des clivages développé par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset12(*) permet de contourner la fragilité de l'approche idéologique en inscrivant les partis dans la trame de l'histoire sociale. Cette théorie a l'avantage de distinguer des invariants dans l'identité des partis politiques en les replaçant dans le temps long. Toutefois, s'il est possible de repérer des segments identitaires qui structurent aujourd'hui encore les partis, l'identité n'en demeure pas moins fluctuante. Elle varie à mesure des évolutions du contexte national et international, des mutations démographiques, des résultats électoraux et de bien d'autres facteurs qui modifient la situation politique. Les structures organisationnelles comme les projets des partis doivent alors se réadapter en conséquence.

La plasticité de l'identité partisane amène à envisager le parti politique comme une « institution de sens ». Selon Michel Hastings, un parti est un « entrepreneur idéologique et culturel historiquement habilité à dresser le modèle de la société légitime, à désigner les principes essentiels à partir desquels les actions particulières prennent leur justification »13(*). En tant qu'administrateur de sens le parti veille à sa cohérence idéologique tout en ne perdant pas de vue les objectifs qu'il s'est fixé sur le marché politique. Cette approche fait référence à la dimension entrepreneuriale des partis et développe l'idée d'un parti à deux visages : un visage tourné vers l'extérieur (médias, électeurs, sympathisants, ...) et un autre tourné sur l'intérieur, la vie interne du parti. Ces deux faces font l'objet d'interactions permanentes à travers un « récit identitaire » qui a vocation à poser les jalons d'une identité partagée, à modeler une communauté partisane justifiant l'adhésion de ceux qui se chargeront de la défendre. Le parti politique en tant qu'administrateur de sens se situe dès lors dans une dialectique identitaire complexe qui balance entre deux logiques : Une logique doctrinale qui ferait la part belle à la représentation des militants avec une forte intensité idéologique et une logique de compétition électorale, plus pragmatique pour obtenir des élus. Les partis politiques ont donc une identité étirée en permanence entre des logiques différentes de représentations internes et externes. Cette tension latente laisse à penser que les identités partisanes sont malléables, évolutives en fonction de changements endogènes ou exogènes.

* 1 Cette terminologie faisant référence à l'objection de conscience qui consiste à désobéir pacifiquement à certains impératifs

* 2 Voir RAHBI, Pierre, Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010 et LATOUCHE, Serge, Vers une société d'abondance frugale : Contresens et controverses sur la décroissance, Paris, Fayard, Mille et une nuits, 2011

* 3 LATOUCHE, Serge, Le pari de la décroissance, Fayard, Paris, 2006, p.6

* 4 LATOUCHE, Serge, Petit traité de la décroissance sereine, Fayard, Milles et une Nuits, 2007, p.140

* 5 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, Paris, La Découverte, 2010, p.135

* 6 Ibid, p.129

* 7 Ci-après dénommé, sauf mention contraire, Les Verts

* 8 Ci-après dénommé EELV

* 9 REMOND, René, La politique n'est plus ce qu'elle était, Paris, Flammarion, 1993, 2ème éd., 1994, p. 86-87.

* 10 VILLALBA, Bruno, De l'identité des Verts. Essai sur la constitution d'un nouvel acteur politique, thèse de sciences politiques, soutenue le 27 janvier 1995, Université de Lille II, résumé

* 11 DEZE, Alexandre, « Le Front National comme entreprise doctrinale » dans Les Partis politiques et système partisan en France, Florence Haegel (dir.), Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 285

* 12 ROKKAN Stein, LIPSET Seymour, Party Systems And Voters Alignment. Cross National Perspectives, New York, Free Press, London, Collier-Macmillan, 1967

* 13 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », dans Dominique Andolfatto, Fabienne Greffet et Laurent Olivier (dir.), Les Partis politiques. Quelles perspectives ?, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 22-23

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams