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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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Chapitre 5 : La nécessaire réadaptation des clivages pour situer les partis écologistes

Au regard de la nature atypique des partis Verts la théorie des clivages nous semble la plus pertinente pour comprendre l'influence de la décroissance. La logique du projet écologiste décrite plus haut nous amène cependant à reconsidérer les clivages de Rokkan. En effet l'application du paradigme aux partis écologistes se heurte à l'hypothèse que les clivages auraient été « gelés » (freezed) à la fin de la Révolution industrielle (début du vingtième siècle). De nombreux politistes ont alors émis l'idée, prenant acte de l'émergence des partis Verts, d'un « dégel » des clivages. Ce débat s'éloigne en réalité du modèle structural de long terme mis en évidence par le sociologue norvégien.

Les essais de définition d'un cinquième clivage pour tenter de prendre en compte la singularité des partis écologistes ne semblent pas complétement recevables. Nous préférerons discuter ces derniers dans une perspective de réactualisation des clivages originaux. Ainsi le vieux clivage urbain/rural retravaillé sous la forme d'un clivage marché/nature ou productivistes/antiproductivistes est particulièrement apte à décrire les partis Verts. L'approche tente également d'éclaircir l'impact de la décroissance sur cette redéfinition des clivages.

1. Les tentatives de définition d'un cinquième clivage matérialistes/postmatérialistes

A partir des années 1970 les systèmes de partis entrent dans une zone de turbulences. L'apparition des partis écologistes questionne le modèle des clivages que Rokkan et Lipset considéraient comme gelés dans les années 1920. D'aucuns firent alors le constat que la typologie partisane déduite de ce paradigme ne parvenait plus à « cartographier » correctement l'espace politique. Sous couvert de la supposée l'obsolescence des clivages de Rokkan, certains politistes posèrent l'hypothèse d'un nouveau clivage « matérialistes/postmatérialistes » ou old politics/new politics. Si ce nouveau clivage parait séduisant pour décrire les partis Verts, il se révèle en réalité fragile et difficilement mobilisable dans une perspective classificatoire.

Un nouveau clivage pour situer l'écologie partisane ?

Au centre de la réflexion sur un cinquième clivage se trouve l'hypothèse d'un « gel » des clivages posée par Rokkan et Lipset. Dans la logique structurale ces clivages, une fois stabilisés, ne sont plus amenés à évoluer. Les mêmes clivages seraient donc à l'oeuvre depuis les années vingt. Cette idée fut contestée de diverses manières : perte de pertinence de certains clivages, modification des systèmes d'alliances et apparition de nouvelles forces politiques procédant de logiques différentes des clivages fondamentaux.

Sur la base du bouleversement du système politique naquit la thèse d'un « dégel » des clivages (defreezing). Ce postulat permit dès lors d'évoquer un cinquième clivage pour mieux décrire l'espace politique en mutation.

Parmi les théories du cinquième clivage, celle du politiste américain Ronald Inglehart a valeur d'exemple. A travers ses travaux sur les systèmes de valeurs des citoyens il observe une « révolution silencieuse » dans les années soixante amenant un nouveau clivage180(*). Selon lui les conflits d'intérêts de classe liés à la société industrielle s'effacent au profit d'une nouvelle opposition entre « matérialistes » et « postmatérialistes ». Inglehart dissocie ces systèmes de valeurs antagonistes par le croisement de deux variables. La première est relative au niveau de revenu: « while economic cleavages become less intense with rising levels of economic development, they gradually give way to other types of conflict »181(*). La deuxième concerne la socialisation des individus déterminée par la conjoncture économique. Inglehart explique que les générations politiques socialisées pendant la Grande Dépression et qui connurent la guerre sont plus sensibles à des considérations purement matérialistes. A l'inverse les générations issues des Trente Glorieuses et bénéficiant d'un niveau de qualification inédit (socialisation secondaire par les études supérieures) seraient moins sensibles à ces considérations. Le croisement de ces variables aboutit à des systèmes de valeurs différents. Les générations qui subirent la crise des années trente, la guerre et les tourments de la reconstruction se focalisent sur des enjeux matérialistes du type bread and butter : niveau de salaires, ordre, sécurité alimentaire et sociale. A l'inverse la génération du baby-boom n'a pas connu les privations de ses aînés. Les enfants des Golden Sixties accèdent à la conscience politique dans un certain confort économique et social (chômage résiduel, Etat Providence, démocratisation de l'université,...) et développent un ethos politique postmatérialiste sensible à des enjeux comme « environmentalism, the women's movement, unilateral disarmament, opposition to nuclear power »182(*).

L'opposition entre ces deux systèmes de valeurs se retrouve dans le champ politique. L'avènement de la nouvelle génération se traduit par une série de mouvements populaires focalisés sur des revendications non matérialistes à l'instar du mouvement hippy ou des révoltes estudiantines de 1968. Dans la foulée émerge une série de nouvelles formations politiques (gauchistes, écologistes, nouvelle droite) tandis que ressurgissent de vieilles idées sous un jour nouveau (autonomistes, xénophobie,...)183(*). Ce foisonnement de nouvelles organisations politiques serait selon Inglehart symptomatique d'un dégel des clivages partisans. Ces forces politiques inédites résulteraient en effet du conflit entre matérialistes et postmatérialistes. Le clivage matérialiste/postmatérialiste expliquerait alors la montée des écologistes à partir des années quatre-vingt. Les partis écologistes se situeraient sur le versant postmatérialiste de ce nouveau clivage caractérisé par la défense d'une meilleure qualité de vie contre les dérives de la société industrielle, par essence matérialiste.

La théorie d'Inglehart a été critiquée et complétée par Scott C. Flanagan. Derrière le processus de transformation des systèmes de valeurs décrit par Inglehart se cacheraient en réalité deux autres évolutions. Flanagan précise le clivage matérialistes/postmatérialistes en le fondant dans un nouveau clivage Old politics/ New Politics. Il distingue au sein de la « New Politics » une « new left » postmatérialiste (Flanagan préfère le terme libertarian) d'une « new right » autoritaire. Les tenants de la « Old politics » sont eux intrinsèquement matérialistes (cf. Figure 1).

Figure 1 : Vision de Flanagan de la structure de clivages dans les démocraties industrielles avancées. D'après : Inglehart, R.., Flanagan, S., op. cit., p. 1304.

Flanagan décrit en réalité trois clivages différents (cf. figure 2). Le premier correspond à l'opposition Old politics/New Politics qui reprend peu ou prou la thèse d'Inglehart (matérialistes/postmatérialistes). Le deuxième clivage se place sur le plan idéologique donc « new politics » (postmatérialiste) et oppose la nouvelle gauche libertaire à la nouvelle droite autoritaire. Enfin le politiste américain sépare une Old right et une Old left soutenues respectivement par les classes moyennes et la classe ouvrière. Ce dernier clivage se construit sur la défense d'intérêts matériels et relève donc de la « Old politics ».

Figure 2 : Structure complète des clivages dans les démocraties industrielles avancées selon Flanagan. D'après : Inglehart, R.., Flanagan, S., op. cit., p. 1306.

Si l'on suit le schéma de Flanagan, les partis Verts résulteraient alors du versant libertaire du clivage « new right/new left » qui se superposerait sur le versant non matérialiste du clivage « new politics/old politics ».

Seymour M. Lipset accorde également un certain crédit aux thèses d'Inglehart et de Flanagan. Dans un texte intitulé « The Revolt against Modernity » le coauteur de Party Systems And Voters Alignment reprend cette distinction entre une gauche historique matérialiste et une gauche postmatérialiste qu'incarnent les Verts et la nouvelle gauche (essentiellement le PSU en France)184(*). Pour lui, les Verts font partie de la nouvelle gauche issue de cette « nouvelle idéologie post-bourgeoise [qui] substitue à l'ancienne conscience traditionnaliste une conscience libertaire et, partant, individualiste qui s'exprime dans les valeurs [...] post-matérialistes »185(*).

Les travaux visant à définir un cinquième clivage ou à refonder plus profondément la grille de lecture de Rokkan n'est pas dénué d'intérêt. Etudier les partis écologistes sous l'angle des valeurs matérialistes/postmatérialistes offre une clé d'analyse qu'il ne faut négliger. Toutefois les tentatives de définition d'un cinquième clivage sont frappées de biais qui les rendent peu opérationnelles.

* 180 INGLEHART, Ronald, The Silent Revolution. Changing Values and Political Styles among Western Politics, Princeton, Princeton University Press, 1977

* 181 INGLEHART, Ronald, FLANAGAN, Scott C., « Value change in industrial societies », American Political Science Review, vol. 81, no. 4, December 1987, p. 1292 (il s'agit d'un débat entre Inglehart et Flanagan, et non d'un article commun).

* 182 Ibid., p. 1297

* 183 SEILER, Daniel-Louis, Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 240

* 184 LIPSET, Seymour M., « The Revolt against Modernity », in TORSVIK, P., ed., Mobilization Center-periphery Structures and Nation-Building, Oslo, Universitetsforlaget, 1981, p. 470

* 185 SEILER, Daniel-Louis, « Populistes, extrémistes et ultras : une relecture de Political Man », Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 15, n°3, 2008

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius